Les codes vestimentaires, les horaires de travail et le travail par quart ont souvent un effet négatif sur les personnes en raison des exigences de leur religion. Lorsque cela se produit, le Code impose l'obligation de tenir compte des besoins de la personne, en se fondant sur les besoins du groupe dont elle fait partie.
1. Codes vestimentaires
Les milieux de travail, services et établissements ont souvent des règles concernant les vêtements. Il peut s'agir de l'obligation de porter un uniforme, ou des vêtements protecteurs, ou encore de l'interdiction de porter une coiffure. Or de telles règles peuvent s'opposer directement aux exigences religieuses en matière vestimentaire. Si tel est le cas, le Code impose le devoir de tenir compte des besoins de la personne, à moins que cela ne cause un préjudice injustifié.
Exemple : Une école exige de ses élèves qu'ils portent un uniforme interdisant le port d'une coiffure. Pour respecter les observances de sa religion, une élève musulmane doit se coiffer d'un voile. Les responsables de l'école sont tenus de tenir des besoins de cette élève et de lui permettre de porter sa coiffure.
Exemple : Certaines religions ne permettent pas aux hommes de se couper les cheveux. Les milieux de travail qui préfèrent engager des hommes aux cheveux courts agissent de façon discriminatoire, à moins qu'ils agissent ainsi en raison d'une exception légale reconnue dans le Code. Il faut noter que, pour des raisons de santé et sécurité, l'employeur peut demander aux employés de se couvrir les cheveux d'un filet ou d'une autre coiffure appropriée.
Exemple : Un directeur d'école dit aux parents d'un enfant sikh que le port du turban ou du kirpan n'est pas permis à l'école. Cependant les cinq K et les règles religieuses qui s'y rapportent, notamment l'obligation de porter le turban, font partie de la foi sikhe. Dans des cas semblables, les commissions d'enquête ont rejeté les raisons de sécurité invoquées par les écoles (au sujet du kirpan), concluant que le port du kirpan de cérémonie ne justife pas cet argument au point qu'il ait préséance sur les exigences religieuses en matière de tenue vestimentaire. Les écoles doivent modifier leurs politiques pour s'adapter aux besoins des enfants qui demandent une modification des règles pour des raisons religieuses.[26]
Voici quelques facteurs à prendre en considération au sujet du code vestimentaire :
- quelle est la nature exacte de l'observance religieuse?
- quelle est la raison motivant l'uniforme ou le code vestimentaire?
- quelles mesures peuvent être prises pour tenir compte de besoins de la personne? Y a-t-il d'autres solutions possibles?
- y a-t-il des facteurs de santé et de sécurité qui entrent en jeu?
- s'il y en a, s'agit-il uniquement de la santé et sécurité de l'employé ou employée qui fait la demande d'adaptation ou y a-t-il des conséquences pour d'autres employés?
- si tel est le cas, l'employeur a-t-il montré que la mesure d'adaptation prise à l'égard de l'employé qui la demande causerait un risque tel pour la santé et la sécurité qu'elle constitue un préjudice injustifié pour l'employeur?
En règle générale, les uniformes comme les uniformes des écoles et de travail qui n'ont pas de fonction sécuritaire peuvent être facilement modifiés pour permettre aux personnes concernées de porter le ou les articles qu'elles sont tenues de porter pour des raisons religieuses. Les vêtements ou accessoires qu'il faut porter pour des raisons de sécurité peuvent constituer une exigence raisonnable pour l'emploi. Néanmoins l'employeur est tenu de tenir compte des besoins des employés, en essayant de modifier les vêtements pour permettre à la personne de porter en toute sécurité les articles vestimentaires que lui impose sa religion (sauf si cela cause un préjudice injustifié à l'employeur) ou en envisageant la possibilité de transférer la personne à un autre poste qui pourrait être vacant dans l'entreprise qui ne requiert pas le port d'un tel vêtement ou accessoire de protection.
2. Politiques concernant les pauses
Certaines religions exigent de leurs membres qu'ils observent des périodes de prière à des moments précis de la journée. Cette pratique peut entrer en contradiction avec l'horaire normal de l'entreprise ou les routines quotidiennes du milieu de travail. L'employeur a le devoir de prendre des mesures pour tenir compte des besoins de l'employé ou employée, sauf si cela lui cause un préjudice injustifié.
Voici des formules possibles d'adaptation :
- modification de la politique concernant les pauses;
- horaire souple;
- attribution d'une aire ou d'un local privé pour les dévotions.
3. Méthodes de recrutement
La religion d'un candidat ou d'une candidate ne peut être un critère de sélection pour l'emploi. Il existe cependant une exception, si le milieu de travail correspond à un «groupement sélectif» au sens du Code, c'est-à-dire un organisme ou un établissement religieux, éducatif ou social dont l'objectif principal est de servir les intérêts de personnes identifiées par leur croyance (alinéa 24 (1) (a) du Code). Sauf dans ce cas d'exception, il n'est pas permis de tenter d'obtenir des renseignements sur la croyance d'un candidat ou d'une candidate aux étapes du recrutement précédant l'entrevue.
Par conséquent, les offres d'emploi et les formules de demande d'emploi ne doivent pas contenir :
- de questions sur la disponibilité pour le travail qui sont formulées de façon à révéler la croyance du candidat ou de la candidate;
- de questions conçues pour indiquer si des exigences religieuses pourraient entrer en conflit avec les horaires de travail ou la routine du milieu de travail de l'employeur;
- de questions concernant l'appartenance religieuse, les lieux de culte fréquentés ou les coutumes observées.
Cependant, rien n'empêche l'employeur de poser des questions sur la croyance au moment d'une entrevue individuelle, pourvu que les questions respectent le Code à tous points de vue. Pour plus d'information, consultez la publication de la CODP intitulée Les droits de la personne au travail, qui est consultable sur le site Web de la CODP, à www.ohrc.on.ca.
Exemple : Il est permis au cours d'une entrevue de s'informer de l'appartenance religieuse d'un candidat ou d'une candidate pour un poste d'enseignement dans une école confessionnelle si le poste comprend l'enseignement des valeurs
religieuses aux élèves.
Si une personne se voit offrir un emploi, elle doit aviser l'employeur des exigences religieuses qui ont un effet sur l'exercice de ses fonctions et demander une mesure d'adaptation.
4. Congés pour observances religieuses
Lorsqu'un employé ou une employée demande un congé pour observer une fête religieuse pendant laquelle la personne ne peut travailler, l'employeur est tenu de tenir compte de ses besoins. La mesure dans laquelle il doit tenir compte de ses besoins est une question qui revient fréquemment : la personne doit-elle être payée? jusqu'à quel point? pourrait-il s'agir de congés non payés?
Deux fêtes chrétiennes, (Noël et le Vendredi saint) sont aussi des jours fériés en Ontario. Ce fait est souvent perçu comme une preuve de la nature non discriminatoire de ces congés. Certains employeurs ont maintenu que puisque ces congés étaient maintenant des congés fériés obligatoires, les employeurs ne sont pas tenus de tenir copte des besoins des employés en payant pour aucun autre congé religieux. La Cour suprême du Canada a déclaré que cet argument est erroné.
Dans l'affaire Chambly[27], la Cour a examiné la question de savoir si la nature profane du Vendredi saint et de Noël peut excuser une politique prétendument discriminatoire sur le plan de la religion, parce qu'elle est fondée sur le calendrier chrétien. Voici l'analyse qui a conduit à la conclusion de la Cour à l'existence d'un effet préjudiciable :
"En l'espèce, l'horaire de travail est établi en fonction du calendrier des fêtes religieuses catholiques. Néanmoins, je suis d'avis que ce calendrier de travail devrait être considéré comme étant de nature civile et donc neutre ou non discriminatoire à première vue. On se rappellera que la Cour d'appel à la majorité a conclu que le calendrier n'était pas discriminatoire puisqu'il ne visait aucun objectif religieux. En toute déférence, j'estime qu'il s'agit là d'une conclusion erronée. Il est vrai que cette façon de procéder peut à bon droit servir à déterminer qu'il n'y a pas eu de discrimination directe. Toutefois, l'analyse doit aller plus loin. Il reste encore à examiner l'effet du calendrier pour déterminer s'il y a discrimination indirecte ou discrimination par suite d'un effet préjudiciable."[28] [Accent présent dans l'original.]
Autrement dit, la nature profane des fêtes traditionnelles chrétiennes peut éliminer la présomption de discrimination directe mais pas celle de discrimination constructive.
Exemple : Dans l'affaire Chambly, on a refusé à trois professeurs juifs travaillant pour une conseil scolaire catholique de se prévaloir des dispositions de la convention collective concernant les congés payés pour raisons spéciales afin de leur permettre d'observer les Grandes Fêtes juives. On leur a dit qu'ils pourraient prendre des congés non-payés. Le tribunal a jugé que la politique de congé du conseil scolaire avait un effet négatif sur les professeurs juifs malgré la nature profane du Vendredi saint et de Noël. Pour conclure qu'il y avait eu effet négatif, le tribunal s'est appuyé sur l'analyse établi par Monsieur le juge Cory.
"En effet, les enseignants adeptes de la plupart des religions chrétiennes n'ont pas à prendre de journées de congé à des fins religieuses puisque le calendrier scolaire prévoit déjà les jours de fête chrétienne de Noël et du Vendredi saint. Cependant, les adeptes de la religion juive doivent prendre une journée de congé pour célébrer le Yom Kippour. Il s'ensuit inévitablement que le calendrier a un effet différent sur les enseignants de religion juive. À cause de leurs croyances religieuses, ces enseignants doivent prendre une journée de congé, alors que la majorité de leurs collègues ont leurs jours de fête religieuse reconnus comme jours de congé. En l'absence d'accommodement de la part de leur employeur, les enseignants de religion juive doivent perdre une journée de salaire pour observer leur jour de fête. Il s'ensuit que le calendrier scolaire a pour effet de faire preuve de discrimination envers les membres d'un groupe identifiable à cause de ses croyances religieuses. Le calendrier ou l'horaire de travail a donc un effet discriminatoire."[29]
La Cour a ensuite examiné la nature de la mesure d'adaptation qui serait nécessaire pour contrer ces effets négatifs. Il a rejeté l'opinion que l'offre du conseil scolaire d'offrir un congé non payé était une adaptation suffisante. Monsieur le juge Cory a écrit :
S'il existait une condition de travail qui niait à tous les professeurs asiatiques une journée de salaire, on conclurait qu'il y a discrimination. . . Manifestement, la discrimination directe résultant en une perte de salaire serait intolérable et défierait les mesures législatives relatives aux droits de la personne. Les effets négatifs semblables découlant de cette discrimination et donnant lieu à la même perte ne peuvent être tolérés à moins que l'employeur ne prenne des mesures raisonnables pour répondre aux besoins des employés touchés.[30] [accent ajouté] [traduction non officielle]
La Cour a conclu que le conseil aurait dû offrir des congés pour observances religieuses en vertu des dispositions de la convention collective relatives aux congés pour raisons spéciales, ce qui ne lui aurait pas causé de préjudice injustifié.
Un certain nombre de principes généraux découlent de la décision rendue dans l'affaire Chambly au sujet des mesures d'adaptation en matière d'observance religieuse, principes qui ne sont pas limités dans leur application aux termes particuliers de la convention collective examinés dans l'affaire Chambly.
- Un employeur a le devoir de considérer et d'accepter les demandes de congés pour observances religieuse, y compris les congés payés, à moins qu'une telle mesure lui cause un préjudice injustifié.
- Le principe de l'égalité de traitement exige, à tout le moins, que les employés aient droit à des congés payés pour observances religieuses, jusqu'à concurrence du nombre de jours de congés chrétiens qui sont considérés comme jours fériés, soit deux jours (Noël et le Vendredi saint).
- Le nombre de congés payés peut être de trois en vertu de certaines conventions collectives qui reconnaissent aussi le Lundi de Pâques comme un congé payé.
- Au-delà de ces mesures, soit l'octroi de deux ou de trois jours, les personnes concernées peuvent demander d'autres mesures d'adaptation. Par exemple, ces mesures peuvent inclure des congés payés additionnels comme les congés mobiles ou des congés pour raisons personnelles, si de telles dispositions existent dans la convention collective ou la politique de la compagnie, ou des congés non payés.
- Le critère de préjudice injustifié s'applique à toutes les demandes d'adaptation, et c'est à l'employeur qu'il incombe de montrer les effets du préjudice causé et de prouver à quel point le préjudice est injustifié.
5. Horaire souple
L'objet de cette mesure est de prévoir une certaine souplesse dans l'horaire de travail des employés, ou de permettre aux employés de changer ou de reporter leurs jours de travail lorsque leurs convictions religieuses ne leur permettent pas de travailler certains jours ou certaines heures. Par exemple, les adventistes et les juifs observent le sabbat depuis le coucher du soleil, le vendredi, jusqu'au coucher du soleil, le samedi. Les personnes pratiquant ces religions ne peuvent travailler pendant cette période.
Un horaire souple peut comprendre : des heures d'arrivée et de départ différentes les jours où la personne ne peut pas travailler tout le jour, ou travail durant l'heure de repas pour compenser le départ anticipé ou l'horaire échelonné. Lorsqu'une personne a utilisé tous les congés payés auxquels elle a droit, l'employeur devrait aussi envisager de permettre à la personne de reprendre les heures de travail perdues ou d'utiliser ses congés mobiles
6. La modification de l'horaire et la Loi sur les normes d'emploi
Dans certains milieux de travail, la modification de l'horaire peut être une mesure d'adaptation pratique mais qui peut poser des problèmes financiers en raison de l'obligation de majorer le salaire des employés qui travaillent les jours de Noël et du Vendredi saint, soit ordinairement le taux régulier majoré de 50 pour 100. Il y a lieu de signaler que certains employeurs pourraient soutenir que l'obligation de majorer le salaire des travailleurs qui travaillent les jours fériés pose un obstacle au devoir d'accommodement parce qu'elle constitue un préjudice injustifié.[31]
En Ontario, la Loi de 2000 sur les normes d'emploi, L.O. 2000, chap. 41, prévoit diverses options concernant le travail et le droit à une rémunération de jour férié.[32]
[26] Sehdev v. Bayview Glen Junior Schools Ltd. (1988), 9 C.H.R.R. D/4881 (commission ontarienne d'enquête); Pandori v. Peel Board of Education (1990), 12 C.H.R.R. D/364, confirmé (1991), 14 C.H.R.R. D/403 (cour divisionnaire de l'Ontario), permission d'interjeter appel devant la Cour d'appel de l'Ontario refusée.
[27] Commission scolaire régionale de Chambly v. Bergevin (1994) 22 C.H.R.R. D/1.
[28] Ibidem; p. 3/11.
[29] Ibidem; pp. D/11 - D/12.
[30] Supra, note 16, p. D/12.
[31] "Jour férié" y est défini à l'article 1 et comprend le jour de l'An, le jour de Noël et le 26 décembre.
[32] Supra, note 21.