L'une des réactions initiales les plus courantes au profilage racial consiste à nier son existence, mais certains admettent le phénomène tout en soutenant qu'il s'agit d'un procédé utile et justifié puisqu'il permet d'orienter des ressources limitées à la surveillance des éléments les plus susceptibles de se livrer à des comportements répréhensibles.
Or, la preuve n'est plus à faire de l'inefficacité du profilage racial. En fait, à la suite d'études du phénomène dans le contexte du maintien de l'ordre, aux États-Unis par exemple, certains chercheurs ont constaté que ce moyen de parer à la criminalité n'est ni efficiente ni efficace[26]. D'autres études américaines ont systématiquement révélé que, même s'ils sont davantage ciblés, les membres de minorités (afro-américaine et latino-américaine) présentent, relativement aux Blancs, des chances égales ou moindres d'être trouvés en possession d'articles de contrebande lorsqu'on fouille leur voiture. En fait, plusieurs de ces études établissent que les membres de minorités soumis à des fouilles sont statistiquement beaucoup moins susceptibles que les Blancs d'être touvés en possession d'articles de contrebande. Ainsi, selon un rapport de 2001 du ministère américain de la justice examinant 1 272 282 interpellations de citoyens effectuées par la police en 1999, les Afro-américains et les Hispaniques sont beaucoup plus susceptibles que les Blancs de se faire arrêter et fouiller, alors qu'ils présentent deux fois moins de probabilités de se trouver en possession d'objets de contrebande [27].
À la lumière de ces études, les spécialistes américains ont conclu que la concentration des ressources sur un groupe unique pourrait avoir pour conséquence que les membres d'autres groupes qui commettent des délits, souvent dans les mêmes proportions, peuvent continuer à le faire en toute impunité.
Également, lorsque le service américain des douanes a réformé son protocole relatif aux fouilles afin d'en éliminer les préjugés tenant à la race, à l'ethnie et au sexe tout en instituant un meilleur cadre de surveillance des fouilles, il a pu abaisser de 75 % le nombre des fouilles sans réduire le pourcentage de celles qui aboutissaient à la découverte d'articles frauduleux chez les voyageurs. Notons bien que les taux de fouilles positives étaient essentiellement les mêmes pour les « Blancs », les « Noirs » et les « Hispaniques ». Bilan : grâce à l'élimination du profilage racial, le service des douanes a gagné en efficience et maintenu sa capacité d'appréhender les voyageurs qui passent des objets en fraude, tout en réduisant des trois quarts le nombre des personnes en règle soumises à l'humiliation d'une fouille[28].
Vient s'ajouter aux preuves existantes de l'inefficacité du profilage racial le fait qu'il s'agit d'une pratique boîteuse sur le plan de la logique. Les spécialistes signalent que, même si certains délits sont surtout attribuables à des membres d'un certain groupe, il ne s'ensuit pas qu'un individu de ce groupe est davantage susceptible d'en commettre[29]. De plus, même si un nombre plus élevé de délits était attribuable à un certain groupe formant un petit pourcentage de la population, il demeurerait encore plus probable qu'un délit donné soit le fait d'un sujet du groupe majoritaire[30].
Quoiqu'il en soit, les chiffres suggérant que les membres d'un certain groupe sont responsables d'un nombre disproportionné des délits sont souvent faussés, en raison justement du profilage racial. Si les membres d'un groupe donné sont appréhendés plus souvent, même s'ils sont responsables d'un nombre de délits plus faible que le reste de la population, le fait d'être soumis à des arrestations plus fréquentes aboutira forcément à des taux plus élevés d'inculpations. Voilà qui sert ensuite à justifier le profilage. Certains chercheurs avancent donc que, au bout du compte, les statistiques ne constituent une mesure des comportements délictueux de différents groupes raciaux, mais plutôt des activités de profilage de l'entité qui s'y livre[31].
On dispose donc de preuves convaincantes à l'appui de la conclusion que la pratique du profilage racial n'est ni efficiente ni efficace. Les commentaires qui suivent montreront que le profilage racial comporte un prix considérable à payer pour les personnes, les familles et les collectivités, tout en ayant des répercussions négatives pour les institutions mêmes qui en sont responsables.
[26] De nombreuses enquêtes menées aux États-Unis - dont la plus importante est celle du ministère américain de la justice, bureau des statistiques sur la justice (qui a examiné 1 272 282 cas de fouilles de citoyens par la police en 1999) - ont révélé que les probabilités de découvrir des articles de contrebande lors de la fouille de membres de minorités (Noirs et Latino-Américains) sont égales ou inférieures à celles de trouver des preuves de délit lors de la fouille de Blancs. De même, lorsque le service américain des douanes a réévalué ses procédures de fouille afin d'en éliminer l'incidence des préjugés fondés sur la race, l'ethnie et le sexe, on a réussi à abaisser de 75 % le nombre des fouilles, sans pour autant réduire le nombre de cas où l'on découvrait des articles de contrebande chez les voyageurs : Lamberth Consulting, « Racial Profiling Doesn't Work », supra, note 20.
[27] Ces résultats ont mené les spécialistes américains à conclure que le profilage n'aide aucunement la police à appréhender les criminels : voir D. A. Harris, Profiles in Injustice: Why Racial Profiling Cannot Work (New York, The New Press, 2002), en particulier le chapitre 4, « The Hard Numbers: Why Racial Profiling Doesn't Add Up », p. 73-90.
[28] Lamberth Consulting, ibid.
[29] Professeur adjoint en politiques publiques à l'University of California at Berkeley, Jack Glaser souligne l'illogisme du profilage racial par l'exemple suivant : si l'on voit une personne enceinte, il s'agit nécessairement d'une femme. Mais si l'on voit une femme, cela ne permet pas de conclure que celle-ci est nécessairement enceinte. En fait, la très grande majorité des femmes ne sont pas enceintes. J. Glaser, « The Fallacy of Racial Profiling », San Francisco Chronicle (5 décembre 2001).
[30] On a tenté de justifier le profilage racial en invoquant que les membres de certains groupes sont responsables d'un nombre disproportionné de délits relativement à leur pourcentage de la population. On a cependant démontré l'illogisme de cette approche : il est en fait davantage probable qu'un membre du groupe majoritaire ait commis l'infraction. Ainsi, disons que les membres du groupe A représentent 20 % de la population mais sont responsables de 40 % des actes criminels avec violence, et que les membres du groupe B, représentant 80 % de la population, sont responsables de 60 % des actes criminels avec violence. Il est vrai que les membres du groupe A sont responsables d'un nombre disproportionné de ces actes avec violence. Cependant, si un tel acte se produit, il est encore plus probable qu'il ait été commis par un membre du groupe B - soit 6 chances sur 10. Il serait donc plus normal de chercher le coupable parmi les membres du groupe B. Un profil de recherche axé sur les membres du groupe A sera erroné plus de la moitié du temps. Voir T. Wise, « Racial Profiling and It's Apologists », Z Magazine (mars 2002); en ligne : Z Magazine http://www.zmag.org/Zmag/articles/march02wise.htm.
[31] Profiles of Injustice: Why Racial Profiling Cannot Work, supra, note 27.