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Principes généraux d’interprétation de la législation sur les droits de la personne

Dans l’optique de vérifier l’application du paragraphe 14(1) du Code eu égard aux services parallèles de transport adapté en question, il est important d’exposer les principes régissant l’interprétation de la législation sur les droits de la personne.

Un code des droits de la personne n’est pas un texte législatif ordinaire. Il s’agit d’une loi fondamentale qui énonce des dispositions d’ordre public[46]. De ce fait, les règles d’interprétation des lois qui prônent une approche grammaticale stricte ne constituent pas une démarche appropriée pour l’interprétation de ces dispositions; limiter la portée du texte au sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés reviendrait à ignorer le but premier de la législation sur les droits de la personne[47].  Un code des droits de la personne est censé être réparateur et doit s’interpréter de la façon la plus propre à assurer la réalisation de ses objets[48].

Égalité en matière de prestation de services

Le Code stipule que « toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d’installations, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’expression de l’identité sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap »[49]. Pour établir un cas apparemment fondé de discrimination, le plaignant ou la plaignante doit démontrer qu’il ou elle a fait l’objet d’une différence de traitement en matière de services, de biens ou d’installations fondée au moins en partie sur l’un des motifs illicites cités. Dans le contexte du handicap, la différence de traitement peut naître en cas d’inégalité d’accès à un service, un bien ou une installation.

L’obligation d’adaptation

L’adaptation (ou l’accommodement) fait partie intégrante du droit à un traitement égal garanti par le Code. Par mesure d’accommodement, on entend ce qui, dans les circonstances, est nécessaire pour éviter toute discrimination et atteindre l’égalité[50]. Il n’y a pas de formule ou de norme établie pour l’adaptation à l’intention des personnes handicapées, mais certains principes directeurs doivent orienter le processus d’adaptation.

Premièrement, l’obligation d’adaptation à l’intention des personnes handicapées signifie que ladite adaptation doit être effectuée de la façon la plus respectueuse de la dignité de la personne, si elle ne cause pas de préjudice injustifié. Deuxièmement, l’adaptation à l’intention des personnes handicapées consiste essentiellement en une individualisation. Il n’existe donc aucune formule préétablie. Troisièmement, le but de l’adaptation consiste à parvenir à l’intégration et à la pleine participation des personnes handicapées au sein de nos collectivités. Pour atteindre ces objectifs, les personnes régies par une loi concernant les droits de la personne (fournisseurs de services) doivent tenir compte, dans leurs normes, des caractéristiques des groupes touchés[51] et les obstacles existants doivent être éliminés. Enfin, il faut envisager des différences de traitement ou des services spécialisés afin d’offrir un accès égal lorsque l’adoption d’un design inclusif et l’élimination des obstacles actuels n’aboutissent pas à la pleine participation[52].

Lorsqu’un cas apparemment fondé de discrimination a été établi, le fournisseur de services peut arguer que le fait de tenir compte des besoins des personnes handicapées lui fait subir un préjudice injustifié, en vertu des dispositions des articles 11 et 17 du Code. En 1988, le Code a fait l’objet d’une modification visant à intégrer ce concept d’obligation d’adaptation sans s’imposer de contrainte excessive. Avant cette date, une personne intimée pouvait échapper à toute responsabilité si la présumée obligation répondait au seul motif d’un manque d’accès ou d’un « manque de commodités » à l’intention des personnes handicapées[53]. Les dispositions législatives actuelles ont imposé l’obligation d’adaptation à tous les fournisseurs de services de l’Ontario depuis avril 1988. La nature de l’obligation d’adaptation a été décrite comme suit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23. c. Renaud[54] :

[...] Il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l’obligation d’accommodement. L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte « excessive » répond à ce critère. Les mesures que l’auteur de la discrimination doit prendre pour s’entendre avec le plaignant sont limitées par les expressions « raisonnables » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais de différentes façons d’exprimer le même concept. Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire.

La Cour suprême renchérit sur le concept dans les arrêts Grismer[55] et Meiorin[56]. Dans l’arrêt Grismer, la Cour confirme que « ceux qui fournissent des services visés par le Human Rights Code doivent adopter des normes qui tiennent compte de la situation des personnes atteintes de déficiences lorsque cela peut être fait sans sacrifier leurs objectifs légitimes et sans qu’il en résulte pour eux une contrainte excessive »[57].

La première obligation consiste à concevoir des réseaux qui soient aussi inclusifs que possible, selon les principes du design universel. Aucun nouvel obstacle ne doit être créé et tout obstacle actuel doit être supprimé progressivement. Toutefois, certains obstacles s’avèrent plus complexes que d’autres. Par conséquent, les obstacles les plus faciles à éliminer doivent être levés en premier et les solutions d’élimination des obstacles les plus complexes ou les plus onéreuses peuvent être mises en œuvre par étapes. Bien qu’il ne soit pas forcément possible d’obtenir un jour un réseau pleinement inclusif, il incombe de poursuivre cet objectif dans la mesure maximale possible. Tout besoin restant insatisfait doit être pris en compte sauf s’il en résulte une contrainte excessive.

Programme spécial

L’article 14 du Code permet la mise en œuvre d’un programme spécial qui aurait été considéré en d’autres circonstances comme discriminatoire pour l’application du Code. Le paragraphe 14(1) définit un programme spécial comme un programme :

  • destiné à alléger un préjudice ou un désavantage économique; ou
  • destiné à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales; ou
  • qui favorisera probablement l’élimination d’une atteinte à des droits reconnus dans le Code.

La mise en œuvre d’un programme spécial peut venir en aide à des groupes de personnes qui font historiquement l’objet d’une discrimination, d’un préjudice ou d’un désavantage économique en instaurant des mesures qui tiennent compte de leurs besoins particuliers aux fins de favoriser l’élimination de la discrimination. Ces « programmes » sont protégés par l’article 14.

Dans l’optique de savoir si des programmes peuvent être soustraits au contrôle judiciaire en vertu du Code, il convient de garder à l’esprit le double objectif du paragraphe 14(1), à savoir la protection des programmes de promotion sociale et la promotion de l’égalité réelle[58] :

Protection des programmes de promotion sociale

Le paragraphe 14(1) est explicitement lié à la notion de protection visant à soustraire au contrôle judiciaire, pour l’application des dispositions relatives au traitement égal stipulées dans la partie I du Code, les programmes de promotion sociale faisant l’objet de contestations fondées sur les principes de l’égalité formelle. Le journal des débats confirme cette fin visée par l’Assemblée législative :

Est adoptée une disposition visant à exempter les plans ou programmes de promotion sociale légitimement conçus dans l’intérêt de classes particulières de personnes. Cette disposition vient en réponse au point de vue exprimé par nombre de groupes d’intérêt selon lequel il convient de permettre aux programmes spéciaux aidant leurs membres à jouir de chances égales de fonctionner avec un niveau minimum de difficulté[59]. [Traduction libre]

Par conséquent, les membres des groupes favorisés ne peuvent pas invoquer le Code pour faire annuler des programmes spéciaux dont ils sont exclus.

Promotion de l’égalité réelle

Le second objectif du paragraphe 14(1) du Code consiste à favoriser l’égalité réelle[60]. En effet, le paragraphe 14(1) ne vise pas simplement à exempter ou à protéger les programmes de promotion sociale en cas de contestation. Il sert également d’aide à l’interprétation en clarifiant le sens plein de l’égalité des droits en faveur de l’égalité réelle. Par conséquent, le paragraphe 14(1) ne doit pas être interprété et mis en application d’une façon qui, aux fins de soustraite un programme au contrôle judiciaire, permettrait de nuire à l’égalité réelle.

Les programmes spéciaux doivent être conçus et doivent fonctionner « de façon que les restrictions contenues dans le programme aient un lien rationnel avec le programme. Autrement, le prestataire du programme encouragera cette même inégalité et injustice qu’il cherche à atténuer »[61]. Les restrictions du programme ne peuvent pas être arbitraires et doivent, de fait, pouvoir se justifier en vertu de l’objectif du programme. En d’autres termes, les programmes spéciaux ne doivent pas imposer de restrictions en matière d’admissibilité ayant pour effet de limiter au-delà du raisonnable les personnes susceptibles d’en bénéficier.


[46] Insurance Corp. of B.C. c. Heerspink [1982] 2 R.C.S. 145, p. 158
[47] O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S. 536, p. 547
[48] CN c. Commission canadienne des droits de la personne (« Action Travail des Femmes ») [1987] 1 R.C.S. 1114, p. 1134
[49] Code, art. 1
[50] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) [1999] 3 R.C.S. 868, paragraphe 22 (« Grismer »)
[51] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U. [1999] 3 R.C.S. 3, paragraphe 68 (« Meiorin »)
[52] CODP, « Politique et directives concernant le handicap et l’obligation d’accommodement » (2000)
[53] Voir discussion dans Turnbull c. Famous Players Inc. (n° 1) (2001), 40 C.H.R.R. D/333 [Commission d’enquête de l’Ontario], paragraphe 201
[54] Central Okanagan School District c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970, paragraphe 19
[55] Grismer, précité.
[56] Meiorin, précité.
[57] Grismer, précité, paragraphe 44
[58] Commission ontarienne des droits de la personne c. Ontario (1994), 117 D.L.R. (4th) 297, p. 333 (« Roberts »). Cette démarche a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans une cause fondée sur la charte, Lovelace c. Ontario [2000] 1 R.C.S. 950
[59] Débats de l’Assemblée législative de l’Ontario, vol. 5, p. 5 098 (9 décembre 1980).
[60] Roberts, précité, p. 332
[61] Roberts, précité, p. 339

 

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