Publication : Décembre 2004
(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)
par Dre Joanna Anneke Rummens
Dre Anneke Rummens, rattachée au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Toronto, est une anthropologue et sociologue multilingue qui, dans ses travaux de recherche, explore les processus d’identité et, de manière plus particulière, les liens entre la santé et le bien-être. Elle a été membre du Comité consultatif de l’Enquête sur la diversité ethnique (mis sur pied par Statistique Canada et Patrimoine Canada) en 2002 et 2003.
Résumé analytique
La clarté du concept de race demeure assez difficile à définir, tout comme la nature de ses liens avec les fondements du Code ontarien des droits de la personne, tels que la couleur de la peau, l’origine ethnique, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté. Dre Rummens définit ces termes et souligne comment les euphémismes d’identification, les approximations, les dérapages et les associations (conflations) soutiennent la discrimination raciale en tant que forme de négociation de l’identité.
Une version plus détaillée de cet exposé a été soumise pour une publication dans les journaux.
Les efforts que nous déployons pour examiner et juger les cas de racisme et les droits de la personne, de même que pour élaborer une politique en matière de discrimination raciale, sont coincés entre deux questions fondamentales. D’une part, quels fondements précis peuvent être utilisés pour déterminer s’il y a discrimination raciale ou non? D’autre part, comment pouvons-nous utiliser au mieux ces fondements pour déterminer si un traitement inéquitable s’est produit?
Au cœur même de cette impasse se trouve l’interrogation suivante: que signifie exactement le mot « race »? En d’autres termes, quelle est la nature du phénomène auquel nous faisons référence? À cette interrogation s’en greffe une autre: quels sont les liens entre la race et les divers fondements connexes – comme la couleur de la peau, l’origine ethnique, le lieu d’origine, l’ascendance, la croyance et la citoyenneté – également énumérés dans le Code? En somme, la problématique devient celle-ci: quels sont les différents types d’identification auxquels nous nous référons?; comment sont-ils interdépendants?; quels liens, c’est-à-dire quels chevauchements et quels recoupements, les unissent?
Les différents types d’identité
Les acteurs sociaux s’organisent en catégories et en groupes en utilisant un vaste éventail de critères d’identification qui classent les similitudes et les distinctions considérées comme socialement ou culturellement pertinentes. Une telle reconnaissance des ressemblances et des différences constitue la pierre angulaire de l’interaction sociale et le fondement non seulement de la quête de soi, mais aussi de la formation des groupes et de la démarcation des frontières. Les identifications conséquentes personnelles et sociales contribuent à façonner les possibilités, les expériences et les accomplissements dans la vie des individus.
Les critères d’identité spécifiques utilisés dans les processus d’identification varient d’une culture à l’autre et sont directement influencés par le contexte historique, sociétal, situationnel et interactionnel dans lequel ils apparaissent. On retrouve donc différents types d’identité (ou de critères d’identité) dans ces processus, chacun d’eux donnant lieu à un certain nombre d’identités spécifiques associées ou à des étiquettes d’identification. (Rummens 2004b, 2003, 1993; voir la Figure 1).
FIGURE 1TYPES D’IDENTITÉ |
IDENTITÉS SPÉCIFIQUES |
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® home, femme |
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® enfant, adolescent, adulte, aîné |
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® inférieure, moyenne, supérieure |
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® homosexuelle, hétérosexuelle, bisexuelle, transsexuelle |
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® apte / inapte physiquement ou mentalement |
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® haïtienne, coréenne, canadienne, etc. |
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® italo-canadienne, etc. |
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® « noire », « asiatique », « blanche » |
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® chrétienne, musulmane, juive |
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® francophone, anglophone |
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® québécoise, canadienne de l’Ouest |
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® autochtone, immigrant, réfugié |
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Bien que ces différents types d’identité soient clairement distincts comme concepts, ils peuvent en pratique se chevaucher ou même se recouper à la fois pour les groupes et les individus (Ibid. 2004b, 2003). On dit que les identités se chevauchent quand il n’existe pas d’effet interactif significatif entre elles (voir la Figure 2). Des identités se recoupent lorsque des effets interactifs entre elles peuvent être clairement identifiés (voir la Figure 3).
FIGURE 2 - Chevauchement d’identités
FIGURE 3 - Recoupement d’identités
La race, la couleur de la peau, l’origine ethnique, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté sont tous des types différents d’identité. Certains de ces types en chevauchent d’autres, alors que d’autres types d’identité se recoupent ou recoupent des statuts minoritaires.
La race est un type d’identité fondé sur l’apparence physique qui est utilisé pour construire un système subjectif de classification sociale visuelle. Lorsqu’elle est exprimée en tant qu’identité spécifique, la race fait référence au résultat final d’une identification personnelle ou sociale basée sur des critères biologiques observables sous la forme de traits physiques ou d’indicateurs génétiques de caractéristiques physiques particulières. Frances Henry et al. définissent la race comme étant « une catégorie utilisée pour classifier le genre humain selon une ascendance commune reposant sur une différenciation par des caractéristiques physiques comme la couleur de la peau, la texture des cheveux, la stature et des traits faciaux » (1995: 328). Evelyn Kallen indique que toute définition scientifique de la race doit inclure deux éléments importants: « En premier lieu, la race fait référence à une catégorie sociale arbitraire (et non à un groupe social) », et, « en second lieu, ces catégorisations raciales [subjectives] sont basées uniquement sur des différences biologiques [perçues] entre des populations humaines (et non sur des différences culturelles) » (1995: 19; c’est nous qui soulignons).
Ainsi, un groupe racial est essentiellement une distinction catégorielle reposant sur un seul critère d’identité (la race) considéré comme socialement pertinent dans une société donnée. Il importe de noter que les scientifiques n’ont pas trouvé une validité biologique pour le concept de catégorie raciale ayant des fondements génétiques. Il existe une plus grande variabilité génétique dans des populations soi-disant «raciales» qu’entre ces mêmes populations. Malgré cela, il demeure un fait social établi que les gens agissent comme si les différences dans l’apparence physique chez des individus et des groupes étaient une manière significative de séparer les individus et les groupes sociaux les uns des autres dans leurs interactions sociales.
La couleur, comme la race, est un type d’identité fondé sur des références à l’apparence physique, dans ce cas précis à la couleur de la peau. Elle peut être utilisée pour désigner une combinaison particulière de teintes et de gradations provenant d’un ensemble de nuances considérées comme socialement marquantes. Des combinaisons particulières peuvent varier en importance selon le contexte historique, sociétal, situationnel et interactionnel dans lequel l’identification prend racines. À ce titre, la couleur identifie facilement le recoupement des notions de race en tant que fondement de l’identification à la fois personnelle et sociale (voir la Figure 4).
Figure 4 - Recoupement de la race et de la couleur
Pour bien comprendre ce qu’on entend par origine ethnique, il est nécessaire de définir en premier lieu la culture, puis le statut minoritaire. La culture désigne l’ensemble des croyances, des valeurs, des connaissances, des traditions, des systèmes de symboles et de la façon de vivre partagés par un groupe de personnes. Elle est renforcée à travers l’interaction sociale, transmise d’une génération à l’autre, et les changements qui surviennt au fil des ans. Le statut minoritaire fait référence à une position désavantageuse, caractérisée par un accès inéquitable à des ressources sociales limitées comme la richesse, le pouvoir et le prestige. Cette désignation est utilisée par opposition au terme statut majoritaire (ou majorité dominante). Ces termes ne font pas référence, comme on le pense souvent, à des nombres relatifs, mais plutôt à la dynamique du pouvoir et à l’accès différentiel connexe aux principales ressources et récompenses. Le statut minoritaire peut reposer sur une variété de critères, comme le sexe, le statut socioéconomique, la race et la culture. L’origine ethnique est donc un type d’identité défini par le recoupement d’une pratique ou d’une affiliation culturelle et du statut minoritaire (voir la Figure 5).
FIGURE 5 - Origine ethnique = culture + statut minoritaire
Le lieu d’origine est un type d’identité fondé sur la géographie qui cherche à classer les individus selon l’endroit dans le monde d’où ils proviennent. En conséquence, des identités spécifiques associées reflètent largement les désignations nationales ou régionales. Parmi les indices qui témoignent du lieu d’origine d’un individu, mentionnons l’apparence physique, la langue, les pratiques culturelles et les observances religieuses. Plus souvent qu’autrement, ils comportent des combinaisons spécifiques. Cette identification chevauche facilement – et parfois recoupe – des identités raciales, linguistiques, culturelles et religieuses (voir la Figure 6). La plupart du temps, le lieu d’origine désigne le « lieu de naissance » – considéré comme étant le pays – et il s’exprime donc communément, mais non exclusivement, en termes de « première nationalité ».
FIGURE 6 - Lieu d’origine
L’ascendance est un type d’identité généalogique qui sert à classer des individus selon les antécédents culturels ou raciaux de leurs parents ou de leurs grands-parents. Cette identification est axée sur une continuité générationnelle. Des identifications spécifiques peuvent refléter des identités culturelles, ethniques, nationales, linguistiques, raciales, religieuses ou propres au lieu d’origine. Dans ce cas, le critère d’identité particulier utilisé doit nécessairement être articulé (voir la Figure 7). L’ascendance est donc une identification qui repose explicitement sur les identifications sociales ou personnelles des ancêtres des individus désignés.
FIGURE 7 - Ascendance
La croyance désigne à la fois un ensemble de croyances, de valeurs, de rites et de pratiques, et leur association objective ou leur affiliation subjective. Dans son essence, la croyance est une identification religieuse ou spirituelle. Ce terme est plutôt inclusif: il va bien au-delà des traditions religieuses formellement établies pour inclure même toute absence de référence religieuse, et il regroupe des expressions à la fois personnelles et collectives (voir la Figure 8). En bref, la croyance est un type d’identité qui repose sur une association ressentie ou exprimée avec un système de croyances facilement identifiable.
Figure 8 - Croyance
Enfin, la citoyenneté désigne une identité fondée sur une allégeance commune et une responsabilité à l’égard d’une entité sociopolitique semi-autonome particulière qui possède une certaine souveraineté sur un territoire donné. La plupart du temps, une telle identification civique est associée à un pays en particulier, bien qu’elle puisse s’articuler aux niveaux régional, provincial, municipal ou local. Quand elles s’appliquent dans le contexte d’une société en particulier, les références à la citoyenneté peuvent, en outre, être utilisées pour déterminer simplement la présence ou l’absence du statut de citoyenneté d’un individu donné. À ce titre, elle sert à distinguer les citoyens appartenant à la majorité et les non-citoyens minoritaires à l’intérieur de ce contexte social, réaffirmant ainsi de manière frappante les différences de statuts existantes et les allocations de ressources connexes (voir la Figure 9).
FIGURE 9 - Identité civique
Le racisme en tant que forme de négociation de l’identité
Bien que la clarté conceptuelle soit essentielle à une compréhension plus nette du phénomène de la discrimination, il est aussi important d’examiner ces processus d’identification dans la pratique. D’ores et déjà, l’accent est souvent mis sur le développement ou la formation de l’identité – « qui fait référence aux processus de développement cognitif qu’applique chaque individu à mesure qu’il acquiert de la maturité, qu’il analyse sa place dans l’univers et qu’il développe un sens unique du moi » (Rummens, 2003). Mais il importe également de considérer l’émergence de l’identité et la négociation de l’identité. L’émergence ou la construction de l’identité désigne « la création, la formulation et l’expression d’identités personnelles ou sociales pour le moi et par des individus ou des groupes »; la négociation de l’identité « fait référence à la nature politique de l’identification sociale de soi ou d’autrui entre les groupes, par eux ou parmi eux, par l’entremise des interactions des individus. (Ibid.)
La discrimination raciale est un exemple de négociation de l’identité. Le raisonnement logique fonctionne comme suit: « tu es différent, tu n’es pas l’un de nous; donc, tu n’as pas les mêmes droits et les mêmes responsabilités que nous ». Cet argument de base contrôle efficacement l’accès aux récompenses sociales limitées, incluant ainsi le pouvoir, la richesse, les possibilités et le prestige. En termes de processus d’identité, nous avons affaire à l’établissement d’identités limitatives plutôt qu’à des identifications à la culture hôte. En fait, la discrimination est un traitement inéquitable fondé sur un terrain particulier énuméré dans la législation sur les droits de la personne. De plus, elle est un mécanisme très efficace orienté sur une exclusion sociale, économique ou politique. Une exclusion efficace est l’objectif; l’identification, l’outil; et la discrimination, le résultat final.
En réalité, il existe de nombreuses façons de différencier efficacement les individus et les groupes. La race et ses divers fondements connexes identifiés dans le Code ontarien des droits de la personne sont chacun un type d’identité qui peut être utilisé. Mais il y a d’autres possibilités, comme le sexe, le statut socioéconomique, etc. Chacun de ces divers critères d’identité peut être choisi pour inclure ou exclure efficacement des individus ou des groupes sociaux particuliers.
Les euphémismes, les approximations et les dérapages
Il existe aussi des techniques de négociation spécifiques.
La race et la couleur sont des concepts hautement stigmatisés. À ce titre, la plupart des individus sont bien conscients qu’ils ne peuvent pas facilement utiliser ces concepts ou des identifications connexes, même si, en pratique, il est évident que des gens continuent de juger les autres au moyen de critères fondés sur des attributs physiques. Pour cette raison, des fondements connexes comme le lieu d’origine, l’ascendance, la citoyenneté (à la fois la nationalité et le statut de citoyen) sont régulièrement utilisés comme étant des référents plus « neutres » et, donc, plus acceptables. Cela est possible, parce que ces fondements connexes sont souvent étroitement liés à des différences physiques. Bien qu’ils soient distincts au plan conceptuel en tant qu’identités qui se chevauchent, ces fondements se recoupent facilement en pratique.
Le même phénomène peut survenir aussi bien avec d’autres types d’identité. Par exemple, le lieu d’origine, l’ascendance, la citoyenneté ou la nationalité deviennent souvent des euphémismes ou des approximations qui visent à déterminer ou attribuer une croyance ou une identité religieuse. De même, le lieu d’origine et la citoyenneté peuvent servir d’euphémismes pour un non-Canadien. De tels euphémismes comportent l’utilisation d’un terme socialement plus acceptable, dans lequel une autre signification est en fait visée. En revanche, les approximations impliquent l’utilisation d’une désignation particulière pour estimer une autre désignation, la définir en termes généraux ou la remplacer.
Les identifications peuvent aussi « déraper » à partir d’une identification spécifique à une autre ou d’un statut à un autre, même à travers différents types d’identité. Ainsi, par exemple, alors que la race et la culture se chevauchent au plan conceptuel, leur recoupement et les recoupements séparés avec le statut minoritaire permettent, en pratique, de nombreux « dérapages » possibles. En bref, puisqu’elle croise le statut minoritaire, la race permet un dérapage à partir de la race à l’origine ethnique sur la base d’une désignation minoritaire commune; un second dérapage à partir de l’origine ethnique à la culture relie subséquemment les doubles recoupements et deux identités (voir la Figure 10). Un tel dérapage peut simplement être conceptuel par nature; il peut aussi être une démarche stratégique en tant que partie intégrante de la négociation de l’identité.
Figure 10 - Statut minoritaire
Liens communs et associations d’identités
Les euphémismes, les approximations et les dérapages ne s’excluent pas mutuellement. Au contraire, ils se renforcent et se soutiennent facilement les uns les autres. Plus souvent qu’autrement, ils présentent simplement différentes solutions de rechange à la négociation de l’identité. Dans chaque cas, l’intention demeure la même, à savoir localiser un lien commun entre deux types d’identité ou de statut. Il faut noter les trois niveaux et les degrés croissants de recoupements théoriquement possibles entre les identifications raciales, culturelles et religieuses, d’une part, et le statut minoritaire, d’autre part.
- race et statut minoritaire
- culture et statut minoritaire
- religion et statut minoritaire
- [race plus culture] et statut minoritaire
- [race plus religion] et statut minoritaire
- [culture plus religion] et statut minoritaire
- [race plus culture plus religion] et statut minoritaire
Ce sont de tels liens communs qui permettent les dérapages d’identification les plus efficaces. Dans d’autres cas, deux types d’identification sont simplement associés (conflated). C’est ce qu’on retrouve le plus souvent dans les exemples où, théoriquement, des identités distinctes se chevauchent largement, en particulier lorsqu’elles sont articulées comme identifications spécifiques. La race et la culture sont souvent erronément associées de cette manière. Cela se produit quand, en pratique, les identifications spécifiques respectives associées à deux types différents d’identité ou plus se chevauchent (particulièrement si les mêmes termes sont utilisés), comme c’est le cas pour des individus provenant de sociétés plus traditionnellement « homogènes » (par exemple, la société japonaise ou coréenne). Une association similaire peut aussi survenir entre des identités « raciales » et religieuses se chevauchent: la plupart des Arabes, mais pas tous, sont musulmans; la plupart des individus de race blanche, mais pas tous, sont chrétiens.
En bref, quand nous examinons les liens entre la race et chacun de ses fondements connexes – la couleur, l’origine ethnique, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté – nous parlons en réalité des chevauchements qui existent entre ces différents types d’identité, des recoupements possibles entre eux et des recoupements communs avec le statut minoritaire. Quand nous examinons des exemples de discrimination raciale alléguée, il est particulièrement important, d’une part, de noter que la race et chacun de ses fondements connexes peuvent tous facilement recouper le statut minoritaire, et, d’autre part, de considérer la possibilité de multiples statuts minoritaires.
Vers des solutions possibles
Ces chevauchements, ces recoupements et ces techniques de négociation de l’identité se combinent et font en sorte qu’il est difficile d’établir clairement que la race ou la couleur constitue le fondement d’un traitement discriminatoire inéquitable allégué. Ce défi existe principalement en raison de la prégnance sociale continue qui s’étend à des permutations particulières de certains traits physiques visibles (la peau, les cheveux, la couleur des yeux, la forme et la taille relatives de caractéristiques physiques) dans l’interaction sociale, malgré la nature hautement stigmatisée de critères semblables comme fondement d’une classification sociale. Au contraire, les « fondements connexes » comme la culture et la religion reflètent des valeurs réelles, des croyances, des idées, des traditions qui ont le plus de chances de se refléter dans des pratiques réelles ou des comportements associés. Les modèles de comportements sont beaucoup plus faciles à vérifier et plus socialement acceptables comme fondement d’une différenciation sociale entre des individus et des groupes. De même, les fondements connexes, comme l’ascendance, le lieu d’origine, la « nationalité » et la citoyenneté, sont en revanche plus susceptibles d’être reliés à des faits démontrables et, donc, plus neutres et moins réfutables dans les discours sociaux.
Compte tenu de ces réalités, il importe d’utiliser une perspective intersectionnelle et multidimensionnelle (voir Rummens, 2003) comme outil pour aller au-delà de l’approche actuelle à fondement unique dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’application d’une politique en matière de droits de la personne, même en fonctionnant « à l’intérieur » d’un seul fondement protégé comme la race. Il est essentiel de s’assurer que tous les fondements applicables – principaux, connexes et autres – sont inclus à des fins d’examen, d’enquête et de prise de décisions. La race et chacun de ses fondements connexes doivent être soupesés de manière égale; la possibilité de multiples fondements connexes doit être examinée; et les autres fondements énumérés doivent être considérés en parallèle. Aussi, les divers chevauchements et recoupements parmi la race, ses fondements connexes et les autres fondements protégés en vertu du Code doivent être pleinement explorés et pris en considération. De tels efforts sont essentiels à toute tentative d’établir les fondements d’une discrimination alléguée reposant sur la race et de déterminer des liens possibles entre l’oppression raciale et d’autres formes ou fondements de l’oppression. L’objectif doit être de déterminer les fondements suffisants, qu’ils soient déterminés séparément ou en combinaison avec un ou plusieurs autres fondements connexes. Bien que certains dossiers relatifs aux droits de la personne puissent comporter plus d’un fondement protégé, il n’en demeure pas moins qu’un seul fondement connexe devrait suffire à examiner des cas de violations alléguées des droits de la personne reposant sur des identifications raciales.
Les incidents présumés de discrimination raciale n’ont pas à être rattachés à un schéma de classification sociale hautement stigmatisé et scientifiquement discrédité. La race, la couleur, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance ou la religion, la citoyenneté ou la nationalité sont tous et de manière égale des fondements interdits de discrimination. Nul ne doit conclure que le comportement discriminatoire repose strictement sur la race ou la couleur, en particulier puisque le racisme voilé ne s’exprime pas facilement dans des termes, mais utilise plutôt des approximations, des euphémismes, des dérapages à travers des liens communs et des associations dans toute la mesure du possible. Est-il vraiment important que nous établissions qu’un traitement inéquitable s’est produit sur la base d’une telle notion hautement informe, socialement stigmatisée et scientifiquement erronée comme la race, alors qu’un traitement inéquitable ayant un fondement connexe a le même effet recherché? Indépendamment du fondement particulier utilisé ou articulé dans son expression, le traitement inéquitable qui rabaisse la dignité inhérente à l’individu racialisé et qui restreint ses droits d’accès aux ressources sociales – ce traitement demeure. En nous servant de la logistique légaliste pour faire correspondre des fondements et des actes préjudiciables, c’est précisément cela que nous devons nous rappeler.
Références
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Ontario Human Rights Commission – Year End Results 2003-2004. 27 juillet 2004. http://www.ohrc.on.ca/english/publications/year-end-results_6.shtml
Rummens, Joanna Anneke. « Identity and Diversity: Overlaps, Intersections and Processes. » Canadian Ethnic Studies. Special Issue: Intersections of Diversity, Vol. 35, No. 3, 2003:10-25
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Rummens, Joanna Anneke. « Operationalizing Diversity Intersections: Race and its Related Grounds in Human Rights Policy. » Race Policy Dialogues Conference Paper, 2004c. [Soumise pour publication].
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Rummens, Joanna Anneke. Personal Identity and Social Structure in Sint Maarten/Saint Martin: A Plural Identities Approach. Toronto: Département de sociologie, Université York, thèse de doctorat, 1993.
Sangha, Dave et Kwong-Leung Tang. « Race Discrimination and Human Rights Process. » Exposé présenté à la Canadian Critical Race Conference, Université de la Colombie-Britannique, Canada, 2 mai 2003.