Les tribunaux judiciaires n’ont pas fixé de formule ou d’approche analytique claire pour traiter des droits contradictoires, mais ont fourni certaines indications à ce chapitre. En |cas de conflit apparent entre des droits, les principes de la Charte exigent que les décisionnaires tentent de « concilier » les deux catégories de droits concernées. Il n'existe aucune formule ou « règle nette »[21] pour régler un conflit de droits contradictoires. Les décisions des tribunaux ont plutôt établi un certain nombre de principes fondamentaux qui donnent des indications sur l'approche à adopter et les mécanismes à éviter en cas de plaintes relatives à des droits contradictoires.[22] Les tribunaux judiciaires ont reconnu que les faits spécifiques d’une affaire en détermineront souvent le dénouement. Un grand nombre de ces principes sont donc abstraits, ce qui procure une certaine souplesse en vue du règlement des différends au cas par cas. Et bien qu’ils soient souvent soulevés dans le contexte de litiges faisant intervenir la Charte, ces principes procurent aussi des indications sur la façon de régler d’autres types de conflits relatifs à des droits de la personne :
- aucun droit n’est absolu
- il n’y a pas de hiérarchie entre les droits
- la portée des droits peut être moindre que ce qui est revendiqué
- l’examen doit prendre en compte le contexte dans son ensemble et tous les faits et valeurs constitutionnelles en jeu
- l’examen doit mesurer l’étendue de l’entrave (un conflit n’existe qu’en cas d’atteinte réelle à un autre droit)
- les éléments fondamentaux d’un droit bénéficient d’une plus grande protection que ses éléments périphériques
- le but est de respecter les deux catégories de droits en jeu
- les défenses légales peuvent restreindre les droits d’un groupe et accorder des droits à un autre.
Les organisations doivent tenir compte de ces principes juridiques lorsqu’elles composent avec des situations de droits contradictoires.
5.1 Aucun droit absolu
La jurisprudence rappelle constamment le principe selon lequel les droits légaux n’ont pas de caractère absolu mais comportent des limites inhérentes découlant des droits et libertés d’autrui.[23] Dans R. c. Mills, la juge McLachlin de la Cour suprême du Canada (plus tard juge en chef) et le juge Iacobucci de la Cour suprême du Canada ont affirmé :
Trois principes étayés par des dispositions particulières de la Charte sont en jeu dans le présent pourvoi. Ce sont les principes de la défense pleine et entière, de la vie privée et de l’égalité. Aucun de ces principes n’est absolu et n’est susceptible de l’emporter sur les autres; tous doivent être définis à la lumière de revendications opposées. Comme le juge en chef Lamer l’a dit dans l’arrêt Dagenais, « Lorsque les droits de deux individus sont en conflit […], les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits. » Cela montre l’importance de donner aux droits une interprétation fondée sur le contexte – non parce qu’ils ont une importance sporadique, mais parce qu’ils sous-tendent ou s’inspirent souvent d’autres droits ou valeurs aussi louables qui sont en jeu dans des circonstances particulières.[24]
Le juge Iacobucci réitère ce point dans un article intitulé Reconciling Rights:The Supreme Court of Canada's Approach to Competing Charter Rights lorsqu’il affirme : « un droit particulier garanti par la Charte doit être défini en relation à d’autres droits et dans l’optique du contexte dans lequel est survenu le conflit apparent. »[25]
Exemple : Une personne a le droit à la liberté d’expression aux termes de la Charte, mais n’a pas le droit de concevoir du matériel de pornographie juvénile.
Dans le contexte de la liberté de croyance ou de religion, les tribunaux judiciaires ont conclu que « la liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance », lorsque cette dernière empiéterait sur les droits d’autrui.[26]
Le Code des droits de la personne de l’Ontario offre une protection contre la discrimination fondée sur la croyance. Mais cette protection ne s’étend pas aux croyances religieuses qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes, ni aux pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux mais qui contreviennent au Code criminel ou aux normes internationales en matière de droits de la personne.
Autres exemples : Limiter le droit à la liberté d'expression garanti par l'alinéa 2b) de la Charte, si cette liberté aurait pour effet de compromettre le droit à un procès équitable garanti par l'alinéa 11d) et l'article 7 de la Charte,[27] d’inciter à la haine, au sens du Code criminel du Canada et de certaines lois sur les droits de la personne,[28] ou de causer de la discrimination contre un groupe minoritaire de la société.[29]
5.2 Aucune hiérarchie entre les droits
La Cour suprême du Canada a aussi indiqué clairement qu’il n’existait aucune hiérarchie de droits[30] — les droits méritent tous le même respect et il faut éviter une approche qui placerait certains droits au-devant d'autres.[31] Aucun droit n’est intrinsèquement supérieur à un autre.[32]
Exemple : Dans Dagenais c. Société Radio-Canada, la Cour suprême du Canada a reçu une requête d’ordonnance d’interdiction de publication. L’interdiction aurait empêché la Société Radio-Canada de diffuser une minisérie télévisée décrivant le récit fictif d’abus physiques et sexuels commis sur de jeunes garçons dans un établissement scolaire catholique pour garçons de Terre-Neuve durant le procès de plusieurs membres d’un ordre catholique religieux. Les membres de l’ordre étaient accusés d’avoir abusé physiquement et sexuellement de jeunes garçons confiés à leurs soins dans des écoles de l’Ontario. Pour décider d’émettre ou non une ordonnance d’interdiction de publication, la cour devait concilier deux catégories de droits constitutionnels clés, soit les droits à la libre expression [alinéa 2b) de la Charte] et le droit à un procès équitable [par. 11(d)]. Le juge en chef Lamer a affirmé ce qui suit :
Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit […], les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits.[33]
5.3 Portée des droits parfois moindre que ce qui est revendiqué
Lorsqu’elles font face à un scénario de droits contradictoires, les organisations doivent évaluer si oui ou non la portée des droits est aussi vaste que ne le prétendent les parties. Ce processus de validation compte deux composantes principales :
-
La situation fait-elle intervenir un droit légal existant?
-
Après examen des preuves, l’auteur de la revendication peut-il démontrer
que le droit invoqué s’applique à sa personne?[34]
Les tribunaux judiciaires ont laissé entendre que, pour qu’il y ait scénario de droits contradictoires, il doit avant tout y avoir un droit légal.[35] Lorsque les faits et les dispositions légales applicables sont isolés clairement et mis en contexte, il se peut que la revendication des droits ne soit pas valide sur le plan juridique.
Les tribunaux des droits de la personne ont étudié et rejeté plusieurs justifications de conduite discriminatoire qui pourraient sembler constituer des situations de droits contradictoires. Par exemple, des décisionnaires n’ont pas accepté d’inclure « la préférence du client » ou des « intérêts commerciaux ou économiques » parmi les droits contradictoires valides dans des affaires de discrimination contraire à la législation sur les droits de la personne.[36]
Exemple : Des organisations et des personnes qui s’opposent à l’allaitement dans les lieux publics ont allégué avoir le « droit » de demander à une femme qui allaite de se recouvrir, d’aller dans un lieu privé ou autre. Ce droit a parfois été articulé sous forme de revendication du droit à la liberté d’expression. À première vue, il semblerait y avoir un conflit entre le droit à la liberté d’expression et le droit à vivre à l’abri de la discrimination fondée sur le sexe. Mais un examen attentif de la situation nous entraîne dans une autre direction. Les décisions des tribunaux judiciaires et administratifs ont clairement établi le droit des femmes à allaiter en public.[37] Selon ces décisions, toute action qui empêche une femme d’allaiter en public est discriminatoire. Ces précédents signifient qu’en l’absence d’un droit contradictoire irréfutable et tout aussi valide (ou une défense prévue au Code comme la santé et la sécurité), une femme a entièrement le droit d’allaiter en public. On ne peut pas ici revendiquer le droit contradictoire à la liberté d’expression parce que la préférence personnelle ne constitue pas un droit légal positif. Autrement dit, vous pouvez avoir une opinion sur le fait qu’une femme allaite en public, mais vous ne pouvez pas vous baser sur cette préférence pour empêcher une activité déjà reconnue comme constituant un droit à l’égalité établi.
Si la revendication porte sur un droit légal, il faut établir si, en fonction des faits de l’espèce, la personne peut faire la preuve de l’application du droit à sa personne. Il pourrait être nécessaire de produire des éléments de preuve démontrant que la revendication entre dans le champ d’application des paramètres du droit, à moins que l’applicabilité du droit ressorte clairement des circonstances.[38]
Dans le cas de Grant v. Willcock, le droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte ne pouvait pas servir à justifier le refus de vendre un bien-fonds à une personne racialisée. Un tribunal des droits de la personne (anciennement la « commission d’enquête ») a conclu que, dans les circonstances de l’espèce, le droit à la liberté n’englobait pas la liberté de faire de la discrimination fondée sur un motif interdit dans le contexte d’une vente publique d’un bien privé.[39]
5.4 Prise en compte du contexte dans son ensemble et de tous les faits et valeurs constitutionnelles en jeu
5.4.1 Contexte et faits
Une fois les droits contradictoires établis et décrits, il reste à les définir les uns par rapport aux autres en examinant le contexte sous-jacent au conflit apparent.[40] Cette approche est indispensable, car les tribunaux ont réitéré à plusieurs reprises que les droits garantis par la Charte et les droits de la personne n’existaient pas dans l’abstrait et qu’ils devaient être analysés en fonction de leur contexte pour pouvoir être conciliés.
Exemple : La Cour d’appel de l’Ontario a indiqué clairement dans R. c. N.S. : « La conciliation de valeurs contradictoires enchâssées dans la Charte doit nécessairement s’inspirer des faits de l’affaire. Le contexte est essentiel et le contexte est variable. »[41]
Le juge Frank Iacobucci de la Cour suprême du Canada a exprimé un point de vue semblable :
À mon avis, la clé de la conciliation de droits repose sur l’appréciation fondamentale du contexte. Les droits garantis dans la Charte ne sont pas définis dans l’abstrait, mais en fonction de la matrice factuelle particulière dans laquelle ils surviennent.[42]
…
Les trbunaux juridiques doivent avoir une grande sensibilité au contexte, et aborder l’analyse de la Charte avec souplesse, avec l’objectif d’accorder à tous les droits en jeu leur pleine expression.[43]
Même de petites variations de contexte peuvent avoir une incidence déterminante sur la façon de concilier les droits. Par exemple, dans une affaire qui évalue les répercussions du droit à la liberté d’expression sur un groupe vulnérable, le ton, le contenu et le mode de diffusion précis du message contesté ont tous une incidence considérable sur l’évaluation de son effet et du degré de protection constitutionnelle qu’on devrait lui accorder. Comme le fait remarquer la juge Rosalie Abella dans son avis minoritaire dans Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., « crier "au feu" dans une salle
de théâtre bondée et crier "théâtre" dans un poste d’incendie bondé sont deux choses différentes. »[44]
5.4.2 Valeurs constitutionnelles et sociétales sous-jacentes
Pour comprendre le contexte, il faut cerner et comprendre toutes les valeurs constitutionnelles sociétales en jeu.[45] Cet examen de la portée des droits permet de résoudre certains conflits de droits.
Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour délimiter la portée des droits. L’analyse contextuelle inclut souvent la pondération des valeurs sous-jacentes de la société canadienne, lesquelles sont enchâssées dans une variété d’instruments légaux et dans la jurisprudence. Par exemple, comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Oakes, qui énonce les critères à appliquer pour déterminer si une atteinte aux droits garantis par la Charte peut être justifiée dans une société libre et démocratique :
[L]es tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société.
Les valeurs et principes sous-jacents d’une société libre et démocratique sont la genèse des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme ultime à utiliser pour déterminer si, malgré ses effets, la restriction d’un droit est raisonnable et justifiée.[46]
Le préambule du Code des droits de la personne de l’Ontario, adapté de la Déclaration universelle des droits de l’homme, reflète aussi les valeurs de la société relatives aux droits de la personne et à l’égalité. C’est pourquoi le préambule établit quatre principes clés :
- reconnaître la dignité et la valeur intrinsèques de chacun
- assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans
- discrimination contraire à la loi
- établir un climat de compréhension et de respect mutuel
- afin que chaque personne puisse ressentir un sentiment d’appartenance
- à la collectivité et contribuer pleinement à son avancement et à son bien-être,
- et à ceux de la province.
Au cœur de ces valeurs figure l’atteinte d’un équilibre[47] entre les droits des personnes et des groupes. Le préambule décrit un système de droits relationnels où l’égalité de chaque personne et le développement et le bien-être de la collectivité se côtoient. Ces valeurs ne sont pas considérées comme hiérarchiques; l’une établit l’autre et lui donne son sens. Autrement dit, la création d’un climat de respect mutuel favorise l’accès de chacun à l’égalité. En même temps, la reconnaissance de la dignité inhérente à toutes les personnes améliore la collectivité. Le préambule indique clairement que les lois sur les droits de la personne ne traitent pas uniquement des atteintes aux droits à l’égalité. Elles sont aussi conçues pour favoriser un climat inclusif de respect mutuel.[48]
Le droit international en matière de droits de la personne peut aussi servir d’indicateur des valeurs sous-jacentes d’une société. Par exemple, lorsqu’il appuie une convention internationale, le Canada affirme publiquement qu’il s’engage envers le respect des valeurs enchâssées dans cette convention.[49]
Dans certains cas, les objections d’une personne à ce qu’elle juge être une atteinte à ses droits n’ont pas donné de résultats parce que le point de vue de la personne ne correspond pas aux valeurs sous-jacentes de la société en matière de droits de la personne et d’égalité. Les décisionnaires devraient effectuer une analyse contextuelle qui tient compte des valeurs constitutionnelles et intérêts de la société, dont les droits à l’égalité des femmes, l’attribution de stéréotypes négatifs aux groupes minoritaires, l’accès à la justice et la confiance du public dans le système de justice.[50]
Exemple : Dans l’affaire Chamberlain c. Surrey School District No. 36[51], les requérants contestaient la décision d’un conseil scolaire de ne pas approuver trois livres montrant des familles composées de parents de même sexe, à titre de ressources complémentaires pour l’enseignement du programme d’éducation à la vie familiale. Selon la Cour suprême du Canada, les préoccupations d’ordre religieux de certains parents pouvaient faire partie des considérations, mais ne pouvaient pas servir à refuser à d’autres membres de la collectivité une reconnaissance et un respect égaux. La décision majoritaire soulignait le droit d’embrasser des convictions religieuses, y compris le droit de désapprouver des pratiques d’autrui. Pour favoriser un climat de tolérance et de respect à l’école, elles reconnaissaient par contre que ces convictions ne pouvaient pas constituer les bases des politiques scolaires.
Dans Bruker c. Marcovitz[52], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la relation entre la liberté de religion et les droits à l’égalité des sexes. Une dispute conjugale est survenue en raison du refus d’un époux d’accorder un divorce religieux à son épouse. Le couple avait signé une entente sur la façon de régler leurs conflits matrimoniaux, qui incluait l’obligation de l’époux d’accorder le get à sa femme.[53] Cependant, l’époux a refusé pendant plus de 15 ans d’assumer son engagement à accorder le get dans le cadre de l’entente, en soutenant qu’un tribunal judiciaire civil ne pouvait pas imposer l’application de l’entente qu’il avait signée sans enfreindre ses droits religieux. La majorité des juges de la Cour suprême du Canada voyaient la situation différemment. La Cour a conclu que le contrat représentait une obligation valide et exécutoire et que l’époux n’était pas exonéré de toute responsabilité pour ne pas avoir respecté son obligation au motif de sa liberté de religion. Ainsi, la Cour suprême a laissé entendre que, non seulement les droits de la femme étaient un facteur, mais l’étaient également les valeurs fondamentales canadiennes. [54] Les juges ont fait remarquer que l’époux avait « bien peu à mettre dans la balance », à la fois parce qu’il avait de plein gré conclu une obligation contractuelle qu’il qualifiait maintenant d’atteinte à ses droits et parce que le fait de le laisser se désister de sa promesse serait contraire à l’ordre public :
L’intérêt que porte le public à la protection des droits à l’égalité et de la dignité des femmes juives dans l’exercice indépendant de leur capacité de divorcer et se remarier conformément à leurs croyances, tout comme l’avantage pour le public d’assurer le respect des obligations contractuelles valides et exécutoires, comptent parmi les intérêts et les valeurs qui l’emportent sur la prétention de M. Marcovitz, selon laquelle l’exécution de l’entente pourrait restreindre sa liberté de religion.
Les décisions en matière de droits contradictoires ne concernent pas toutes directement des questions de discrimination. Mais un grand nombre de valeurs à la base des protections des droits de la personne, dont le respect pour la dignité humaine, l’engagement envers la justice sociale et l’égalité, la prise en compte de diverses croyances et circonstances, ainsi que la protection des personnes vulnérables et des groupes minoritaires, sont importantes lorsqu’il s’agit de concilier ou de limiter des droits de façon appropriée.
5.5 Examen de la portée de l’entrave
Lorsqu’il semble y avoir un conflit de droits, il est important de déterminer s’il y a eu entrave d’un droit sur un autre, et dans quelle mesure. Si l’entrave est mineure ou insignifiante, le droit ne va probablement pas bénéficier de beaucoup de protection, ni même de protection quelle qu’elle soit.
Exemple : Dans Syndicat Northcrest c. Amselem, un syndicat de copropriétaires a demandé à une famille juive de retirer une souccah (une structure temporaire placée sur le balcon pour célébrer une fête religieuse) parce qu’elle ne respectait pas les règlements de la copropriété et nuisait à la jouissance par les voisins de leur balcon. La Cour suprême s’est refusée à opposer la liberté de religion aux droits à la jouissance paisible et à la libre disposition des biens puisque, dans l’optique de la Cour, les incidences sur la famille juive étaient considérables tandis que les incidences sur les copropriétaires étaient jugées « tout au plus minimes ». L’entrave à la liberté de religion n’était donc pas justifiée.[55]
À moins qu’il n’y ait atteinte considérable à d’autres droits, il n’est pas nécessaire de poursuivre le processus de résolution.
Exemple : Il a été déterminé que la distribution d’autocollants arc-en-ciel (pour montrer son appui aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles, transgenres, intersexes, queer, en questionnement, bispirituelles et leurs alliées) à une enseignante qui pouvait choisir ou non d’afficher l’autocollant ne créait pas de fardeau ou de préjudice relativement aux droits religieux.[56]
La reconnaissance des droits d’un groupe (p. ex. la légalisation du mariage entre des personnes de même sexe) ne peut pas en soi porter atteinte aux droits garantis à un autre groupe (p. ex. les groupes religieux qui ne reconnaissent pas le droit de personnes de même sexe de se marier), à moins qu’une atteinte réelle n’ait été portée aux droits de quelqu’un (p. ex. un officiel religieux à qui on demande de célébrer un mariage entre personnes de même sexe). Dans Renvoi relatif au mariage entre personnes de même sexe, la Cour suprême du Canada a affirmé :
[L]a simple reconnaissance du droit à l’égalité d’un groupe ne peut, en soi, porter atteinte aux droits d’un autre groupe. L’avancement des droits et valeurs consacrés par la Charte profite à l’ensemble de la société et l’affirmation de ces droits ne peut à elle seule aller à l’encontre des principes mêmes que la Charte est censée promouvoir.[57]
De façon similaire, il n’est pas suffisant d’avancer comme hypothèse qu’une atteinte à un droit pourrait avoir lieu. Il faut des preuves, et non seulement une présomption non étayée, que la jouissance d’un droit aura un effet nuisible sur la jouissance d’un autre droit.
Exemple : Exiger d’étudiants inscrits à un programme de formation d’enseignants d’une université chrétienne qu’ils adhèrent à des « normes communautaires » qui interdisent les « activités homosexuelles » ne signifie pas que les diplômés du programme feront preuve de discrimination ou d’intolérance fondée sur l’orientation sexuelle à l’égard de leurs élèves.[58]
5.6 Plus grande protection des éléments fondamentaux du droit que de ces éléments périphériques
Si l’incidence sur les droits en question est importante, il faut procéder à une pondération ou à une conciliation des droits; un droit doit primer sur un autre, ou les deux doivent être compromis. La loi semble privilégier la restriction d’une catégorie de droits dans le cas d’activités qui seraient contraire à l’élément fondamental, ou central, du droit d’une autre personne. Par exemple, les tribunaux ont indiqué que le fait de permettre à des autorités religieuses de ne pas célébrer des mariages de même sexe qui sont contraires à leurs croyances religieuses[59] est différent du fait de permettre à une personne qui exploite une entreprise de refuser d’offrir ses services d’impression à une organisation à l’intention des personnes homosexuelles sur la base que cela porte atteinte à ses droits religieux. Dans cette dernière affaire, le tribunal a fait observer qu’une entreprise commerciale se trouve à la « périphérie » de la liberté de religion et qu’en conséquence, les droits religieux devaient céder la place au droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.[60]
Le tribunal a affirmé :
Plus une activité s’éloigne des éléments fondamentaux de la liberté en jeu, plus elle a de risques d’avoir des répercussions sur autrui et de ne pas mériter de protection. Les services d’impression commerciale fournis par M. Brockie ont été jugés à la périphérie des activités protégées au nom de la liberté de religion.[61]
Les tribunaux judiciaires ont constamment reconnu que les personnes sont libres d’adhérer aux croyances religieuses de leur choix ou d’exprimer leur opinion, mais ont également affirmé clairement qu’il y avait des limites à l’exercice de ces croyances et de cette liberté d’expression, si cet exercice nie le droit à l’égalité et au respect de membres marginalisés de la société. Pour y parvenir, on attribue habituellement plus de protection à l’exercice d’un droit en privé qu’à son exercice en public.
Exemple : Les droits à la liberté d’expression et de religion peuvent être restreints lorsque leur exercice porte considérablement atteinte à la dignité inhérente et à l’égalité des personnes protégées par la législation sur les droits de la personne, comme lorsque les publications d’un enseignant ont été jugées préjudiciables à l’environnement d’étude de ses élèves de confession juive.[62]
Pour qu’un droit ait préséance sur un autre, on doit pouvoir montrer que l’atteinte à l’élément fondamental du droit est réelle et considérable dans les circonstances. Mais même lorsqu’on démontre ce genre d’atteinte, l’obligation d’accommoder le plus possible le droit que l’on restreint demeure.
5.7 Respect de l’importance des deux catégories de droits
En cas de conflit apparent entre des droits, les principes de la Charte exigent d’adopter une approche qui respecte le plus possible l’importance des deux catégories de droits concernés.[63] Comme le juge Frank Iacobbuci de la Cour suprême du Canada l’explique dans son article, que la Cour d’appel de l’Ontario cite avec autorisation :[64]
…Il est approprié pour les tribunaux d’interpréter dans leur sens le plus large tous les droits garantis par la Charte, en tenant compte du contexte factuel ainsi que des autres droits constitutionnels en jeu. [65]
Cependant, des compromis potentiels aux deux catégories de droits, décrits récemment par la Cour d’appel de l’Ontario comme des « compromis constructifs », sont des solutions possibles dans le cadre de l’effort de conciliation. Ces compromis « peuvent minimiser des conflits apparents […] et créer un processus dans le cadre duquel les deux valeurs peuvent être protégées et respectées. »[66] La recherche d’un compromis inclut l’examen de mesures qui pourrait atténuer le préjudice causé à chaque catégorie de droits.
L’effort déployé pour trouver des options de conciliation des droits contradictoires est semblable à l’analyse énoncée à l’article 1 de la Charte et au processus à suivre dans le cadre de l’obligation d’accommodement dans le contexte des droits de la personne. Ainsi, dans des cas comme Dagenais c. Société Radio-Canada.,[67] la Cour suprême a ordonné aux tribunaux examinant une demande d’interdiction de publication qu’ils trouvent « d’autres mesures raisonnables et efficaces » pour atteindre les importants objectifs en jeu.
Lorsqu’un conflit réel de droits existe, un certain équilibrage peut s’avérer nécessaire. Un droit peut devoir céder la place à un autre, ou on peut en venir à des compromis constructifs touchant les deux catégories de droits. Dans R. c. O’Connor,[68] une affaire opposant le droit d’une victime à la protection du caractère privé de ses dossiers médicaux au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, un compromis a été réalisé par la décision de soumettre en premier les dossiers à l’examen du tribunal.
Dans de rares cas, il peut s’avérer impossible de concilier des droits. Par exemple, dans R. c. N.S.,[69] la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que, malgré le besoin de traiter équitablement les différents droits au début du processus, un droit peut devoir céder la place à un autre si la conciliation devient impossible. Par exemple, si un conflit porte véritablement atteinte au droit d’une personne accusée d’un acte criminel à une défense pleine et entière, aux termes de la Charte, ce droit l’emporte. Le droit opposé devra céder la place, car notre système de justice a toujours considéré que le risque de déclarer coupable un innocent était un élément central des principes de justice fondamentale.[70]
5.8 Pouvoir des défenses légales de restreindre des droits
Les lois sur les droits de la personne et la Charte prévoient des exceptions permettant un traitement différentiel dans certaines situations. Dans bien des cas, les défenses légales sont une tentative d’enchâsser dans la loi la reconnaissance de droits contradictoires et peuvent refléter les efforts déployés par les législateurs pour concilier différents droits contradictoires. [71]
Souvent, les défenses légales ont pour but de protéger les droits collectifs.[72] Ces défenses traitent habituellement de questions comme l’éducation religieuse, la capacité de certains types d’organisations représentant les intérêts d’un groupe particulier de limiter l’adhésion aux personnes qui appartiennent à ce groupe, la capacité de limiter l’accès à certaines installations et types d’hébergement partagés selon le sexe, et le droit de dirigeants religieux de refuser de célébrer des mariages qui sont contraires à leurs croyances religieuses.
Le Code des droits de la personne de l’Ontario comprend aussi des dispositions qui semblent constituer des tentatives de la part des législateurs en vue de réduire les conflits de droits. Le préambule du Code offre des indications initiales sur la façon d’aborder les droits contradictoires en prenant en compte les valeurs qui sous-tendent le Code et les lois sur les droits de la personne en général. Le Code contient aussi plusieurs exceptions qui aident à éviter les situations éventuelles de droits contradictoires. Les exceptions prévues au Code le plus souvent citées lors d’affaires de droits contradictoires sont tirées des articles 13, 18, 18.1 et 24 et du paragraphe 20(3) du Code. Le critère d’admissibilité prévu dans chacune de ces dispositions restreint la portée de ces exceptions, tant sur le plan des personnes que des situations auxquelles elles s’appliquent.
Par exemple, l’article 13 du Code tente d’atteindre un équilibre entre l’interdiction d’une intention annoncée de faire de la discrimination et le droit à la libre expression de ses opinions.
13. (1) Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la partie I le fait de publier ou d’exposer ou de faire publier ou exposer en public un avis, un écriteau, un symbole, un emblème ou une autre représentation analogue qui indique l’intention de porter atteinte à un tel droit ou qui a pour objet d’inciter à une telle atteinte.
(2) Le paragraphe (1) n’entrave pas la libre expression d’opinions.
En reconnaissance de l’importance de la liberté d’expression, telle que convenue dans la présente section, la CODP est intervenue devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire Whiteley v. Osprey Media Publishing Inc. and Sun Media Corporation. Dans cette affaire, on alléguait qu’un éditorial paru dans le County Weekly News était discriminatoire envers les personnes venues d’ailleurs qui se sont installées dans le comté de Prince Edward. Le requérant soutenait qu’il avait fait l’objet de discrimination fondée sur le lieu d’origine en matière de services. La CODP soutenait que l’article 13 du Code ne restreint pas le droit des journaux d’imprimer des opinions qui pourraient ne pas plaire à certaines personnes. Le tribunal s’est prononcé en accord avec la CODP, affirmant que « la publication d'une opinion dans les médias est au cœur de la liberté d'expression et de la liberté de la presse dans une société démocratique. »[73]
Dans un autre exemple, l’article 18 du Code porte sur les « organisations à vocation particulière » :
Ne constitue pas une atteinte aux droits, reconnus dans la partie I, à un traitement égal en matière de services et d’installations, avec ou sans adaptation, le fait qu’un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par un motif interdit de discrimination, n’accepte que des personnes ainsi identifiées comme membres ou participants.
Cette section s’applique uniquement aux services et aux installations qui sont limités par l’adhésion ou la participation à un organisme qui dessert principalement les intérêts de personnes identifiées par un motif interdit de discrimination. (p. ex. club pour personnes âgées italiennes). Afin d’être admissible à une exception en vertu de cet article, l’adhésion et la participation doivent être limitées à des personnes qui servent les principaux intérêts de l’organisme. Par conséquent, cette disposition tient compte des libertés religieuses en autorisant les groupements religieux à accorder la préférence sur le plan de leurs politiques d’admission ou de l’adhésion aux personnes de même confession religieuse.[74] L’interprétation de cet article dans la jurisprudence établit un équilibre entre la liberté d’association et les droits à l’égalité. Comme chacune des dispositions prévoyant une exception, cet article tient compte de la relation entre les sphères publique et privée. Le droit du public de vivre à l’abri de la discrimination doit être pris en compte à la lumière du droit d’un organisme privé de limiter ses membres
à un groupe identifié.[75]
L’article 1 est la principale disposition conciliatoire de la Charte. Connue aussi sous le nom de « clause des limites raisonnables », cette disposition permet au gouvernement de limiter les droits garantis par la Charte d’une personne. Lorsque le gouvernement a limité les droits d’une personne, il a la responsabilité de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que cette restriction du droit est conforme à la loi et constitue une limite raisonnable au sein d’une société libre et démocratique. Pour ce faire, il doit appliquer les critères établis dans l’affaire Oakes. Le test Oakes prend en considération les éléments suivants :
1. s’il y a un objectif gouvernemental sérieux et important
2. si le gouvernement tente d’atteindre cet objectif de façon proportionnelle
(raisonnable et justifiée). Cela permet de déterminer si :(a) les mesures du gouvernement ont été conçues soigneusement pour atteindre cet objectif
(b) l’approche utilisée porte le moins possible atteinte aux droits en jeu
(c) les effets bénéfiques des mesures du gouvernement surpassent la
gravité des effets préjudiciables sur les droits.[76]
En situation de droits contradictoires, les critères établis dans l’affaire Oakes devraient être appliqués de façon souple afin d’atteindre un équilibre entre le droit auquel on a porté atteinte et le droit que l’État espère favoriser par cette atteinte. Encore une fois, cela exige d’examiner dans son entier le contexte des circonstances particulières du cas devant les tribunaux.
Exemple : La majorité des juges de la Cour suprême ont déterminé dans B. (R.) v. Children’s Aid Society [77] que la liberté de religion protégeait la décision des parents de refuser qu’on fasse subir à leur nourrisson une transfusion sanguine qui pourrait potentiellement lui sauver la vie. Grâce à un processus prévu par la Child Welfare Act, la tutelle de l’enfant avait été confiée temporairement à la société d’aide à l’enfance, qui avait consenti à la transfusion sanguine. L’article 1 de la Charte justifiait l’atteinte grave aux droits des parents prévus à l’alinéa 2a). La Cour a opposé l’intérêt de l’État envers la protection des enfants à risque aux droits des parents, et jugé que l’intérêt de l’État prédominait.
Plusieurs éléments ressortent clairement de l’examen des décisions qui ont pris en compte des défenses prévues dans les lois sur les droits de la personne pour justifier la discrimination. Premièrement, à la différence des défenses qui justifient une atteinte à des droits de la personne en raison d’autres intérêts (par exemple un préjudice financier injustifié[78]), il ne faut pas interpréter trop étroitement les défenses qui reconnaissent aussi les droits contradictoires d’autres groupes de la société et en font la promotion. Deuxièmement, malgré ce mode d’interprétation, on doit aussi faire la preuve que la défense s’applique bel et bien à l’affaire en jeu. Enfin, on doit aussi considérer pleinement le contexte en fonction des éléments de preuve de l’affaire. Surtout, l’organisation tentant de se prévaloir de la défense doit pouvoir établir, au moyen d’éléments de preuve objectifs, un lien entre les actions ayant un impact discriminatoire sur autrui et sa jouissance du droit de son groupe.
[20] L’information fournie dans cette section est adaptée de la publication de la CODP intitulée L’ombre de la loi : Survol de la jurisprudence relative à la conciliation de droits contradictoires, supra, note 7, qui fournit une discussion plus détaillée de la jurisprudence concernant les droits contradictoires.
[21] R. c. N.S., 2010 ONCA 670, au par. 97. Droit accordé de faire appel de la décision devant la Cour suprême : 2011 Can LII 14361 (CSC). L’appel a été entendu par la Cour suprême le 8 décembre 2011.
[22] Exemples de ce qu'il ne faut pas faire dans une situation de droits contradictoires : (1) traiter le droit comme absolu; (2) traiter un droit comme intrinsèquement supérieur à un autre; (3) accepter une hiérarchie des droits; et (4) examiner les droits d'une façon abstraite sans tenir compte des faits.
[23] Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, au par. 29; P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, au par. 182; B. (R.) v. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 S.C.R. 315, au par. 226.
[24] R. c. Mills, [1999] CanLII 637 (CSC), au par. 61.
[25] L’honorable juge Frank Iacobucci, « Reconciling Rights: The Supreme Court of Canada’s Approach to Competing Charter Rights », Supreme Court Law Review, 20 S.C.L.R. (2e édition), 2003, p. 137-139.
[26] Trinity Western, supra, note 23, au par. 29.
[27] Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.
[28] Commission canadienne des droits de la personne c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.
[29] Ross, supra, note 12.
[30] Veuillez noter qu’il peut exister une hiérarchie de droits entre des droits garantis par la Charte et d’autres droits, et entre des droits protégés par le Code et d’autres droits. La Charte a primauté sur toutes les lois du Canada. Par ailleurs, les droits quasi-constitutionnels prévus dans les lois sur les droits de la personne l'emportent généralement sur les droits légaux non constitutionnels [voir par exemple le paragraphe 47(2) du Code des droits de la personne de l'Ontario, L.R.O. 1990, Chap. H. 19].
[31] Dagenais, supra, note 27; Mills, supra, note 24, au par. 61.
[32] R. c. N.S., supra, note 21 au par. 48. Voir aussi Mills, ibid.; Dagenais, ibid. à 877; R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858, au par. 34.
[33] Dagenais, ibid.
[34] Par exemple, une plainte pour atteinte à la liberté de religion peut ne pas être légitime si, selon les faits de l’espèce et le contexte pertinent, la croyance religieuse invoquée n’est pas sincère. Dans l'arrêt Bothwell v. Ontario (Minister of Transportation), 2005 CanLII 1066 (ON S.C.D.C.), le tribunal a examiné tous les éléments de preuve concernant l'objection du requérant à la prise d'une photo numérique pour le permis de conduire pour des motifs religieux, et conclu que le requérant n'avait pas réussi à établir une croyance religieuse sincère comme prévue dans la décision de la Cour suprême du Canada, à l'arrêt Amselem, supra, note 16. Le tribunal a tenu compte, en partie, du fait que le requérant avait soulevé plusieurs points relatifs à la protection de la vie privée, plutôt que d’ordre religieux, et que ses actions étaient contraires aux croyances religieuses qu’il avait fait valoir. Autre exemple d’omission de prouver que le droit s’applique à sa personne : si le droit revendiqué à la liberté d’expression concerne une activité qui (a) ne transmet pas ni ne tente de transmettre une signification et est donc une expression sans contenu, ou (b) qui transmet une signification par une forme d’expression violente; voir Irwin Toy Ltd. c. Procureur général du Québec, [1989] 1 R.C.S. 927.
[35] R. c. N.S., supra, note 21, aux par. 49 et 65.
[36] Voir par exemple : Giguere v. Popeye Restaurant, 2008 HRTO 2 (CanLII) qui cite plusieurs décisions en matière de droits de la personne. Dans Giguere, le Tribunal a affirmé ce qui suit au par. 77 : « Les droits et intérêts économiques ne priment pas sur les droits de la personne, à moins qu’il existe une exemption spécifique dans la loi. »
[37] Voir, par exemple, Québec et Giguère c. Montréal (Ville) (2003) 47 C.H.R.R. D/67.
[38] Dans R c. N.S., le tribunal a souligné que, contrairement au droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière dans un procès équitable, le droit d’un témoin à la liberté de religion ne découle pas intrinsèquement de sa participation à une instance criminelle. Le témoin qui veut exercer une pratique religieuse tout en témoignant doit établir que la pratique relève du droit à la liberté de religion. À cette fin, il est presque inévitable d’appeler ce témoin à démontrer le lien entre la pratique et ses croyances religieuses, bien que dans la plupart des cas l’interrogatoire sera relativement simple; R. c. N.S., supra, note 21, aux par. 65-66. Dans une décision du Tribunal des droits de la personne de la C.-B., le tribunal a estimé qu’il n’était pas possible de « conclure à un lien » entre le traitement préjudiciable que la partie aurait reçu et ses croyances religieuses, sur la base des faits allégués. En conséquence, il n’existait pas suffisamment de preuves pour établir qu’un droit religieux était invocable; Chiang v. Vancouver Board of Education, 2009 B.C.H.R.T. 319, au par. 115.
[39] Grant v. Willcock (1990), 13 C.H.R.R. D/22 (Ont. Bd.Inq.).
[40] Mills, supra, note 24; Trinity Western, supra, note 23.
[41] R. c. N.S., supra, note 21, au par. 97.
[42] Supra, note 25, au par. 141.
[43] Ibid., au par 167.
[44] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., [2011] 1 R.C.S. 214, au par. 96.
[45] Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à 1099-1101; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357 à 362-363, 366; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 R.C.S. 236 à 253-255.
[46] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Il est intéressant de constater que ces mots font étroitement écho aux valeurs et principes de protection des droits de la personne qu’énonce le préambule du Code des droits de la personne de l’Ontario ainsi que les diverses lois du pays en matière de droits de la personne.
[47] On retrouve la notion d’« équilibre » dans une variété de décisions juridiques sur les droits contradictoires : Voir par exemple Ross, supra, note 12, aux par.73 et 74.
[48] Pour obtenir des renseignements détaillés sur cette question, voir Commission ontarienne des droits de la personne, La conciliation des droits contradictoires : à la recherche d'un cadre analytique, 2005, à la p. 7; disponible à l’adresse : www.ohrc.on.ca/fr/resources/policy/balancerightsFR/pdf
[49] Pour obtenir des renseignements détaillés, voir Sebastian Poulter, « Ethnic Minority Customs, English Law and Human Rights », International and Comparative Law Quarterly, vol. 36, 1987, p. 589 à 596.
[50] Voir R. c. N.S., supra, note 21.
[51] Chamberlain c. Surrey School District nº 36, [2002] 4 R.C.S. 710.
[52] Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607.
[53] Le get est un divorce juif qui libère la femme des obligations du mariage et lui permet de se remarier selon la foi juive. Seul l’époux peut accorder le get. La religion juive ne prévoit aucun autre moyen pour la femme mariée de se libérer de ses obligations du mariage.
[54] La majorité des juges de la Cour ont indiqué que, malgré la réticence des tribunaux judiciaires à examiner des questions religieuses de nature « strictement spirituelle ou purement doctrinale », ils interviendraient dans les cas de violation de droits civils et de droits de propriété. Les juges ont ensuite mis en question la revendication par l’époux de ses droits religieux, ajoutant qu’ils voyaient difficilement comment le fait de l’obliger à honorer son engagement d’accorder le get allait à l’encontre d’une croyance religieuse sincère et aurait des conséquences non négligeables pour lui. Cependant, même si l’époux avait pu en faire la preuve, sa revendication d’un droit religieux devait être examinée en regard de valeurs contradictoires ou des préjudices qu’entraînerait le respect de ce droit. La Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP reconnaît aussi des limites à la liberté de religion et affirme, à la page 5, que ce droit ne s’étend pas aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d'autres groupes ou personnes » ou aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel. » La politique indique que « la mutilation génitale des femmes est une violation des droits fondamentaux des femmes et n'est pas une activité protégée pour des raisons de croyance ». Vous pouvez consulter la Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP à l’adresse : www.ohrc.on.ca/fr/resources/policies/ReligionCreedPolicyFREN/pdf.
[55] Amselem, supra, note 16, aux par. 57 et 60.
[56] Chiang, supra, note 38, au par 36.
[57]Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 C.S.C. 79, au par. 46. Dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes, 2012 SCC 7, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi interjeté aux termes de l’al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés par des parents qui alléguaient qu’un cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse entraverait leur capacité de transmettre leur foi catholique à leurs enfants. La cour a conclu qu’une personne doit prouver, à l’aide de faits objectivement démontrables, qu’il y a eu atteinte à un droit religieux. Même si les parents croyaient sincèrement qu’ils avaient l’obligation de transmettre à leurs enfants les préceptes de leur religion, ils n’ont pas été en mesure de démontrer objectivement qu’on avait porté entrave à leur capacité de le faire. La Cour suprême a aussi indiqué que l’exposition d’enfants à des points de vue autres que ceux que leur a inculqués leur famille ne constituait pas en soi une atteinte aux droits religieux (au par. 40).
[58] Trinity Western, supra, note 23.
[59] Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, supra, note 57.
[60] Dans Brockie v. Brillinger (No. 2), (2002), 43 C.H.R.R. D/90 (Ont. Sup.Ct.), la Cour divisionnaire a remarqué que l’exercice, par M. Brockie, de son droit à la liberté de religion sur le marché commercial est, au mieux, aux confins du droit. C’est pourquoi les limites imposées à son droit à la liberté de religion ont été jugées justifiées si l’exercice de ce droit portait atteinte aux droits d’autrui, à savoir le droit d’autres personnes en vertu du Code à vivre à l’abri de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Le tribunal a laissé ouverte la possibilité d'atteindre une conclusion différente si les documents à imprimer avaient un contenu « qui pourrait raisonnablement être considéré comme contraire aux éléments fondamentaux des croyances religieuses de M. Brockie » (au par. 56).
[61] Brockie v. Brillinger (No. 2), ibid., au par. 51.
[62] Ross, supra, note 12.
[63] Trinity Western, supra, note 23, au par. 31; Dagenais, supra, note 27, p. 877.
[64] R. c. N.S., supra, note 21, au par. 47.
[65] Supra, note 25, à 140.
[66] R. c. N.S., supra, note 21, au par. 84.
[67] Dagenais, supra, note 27.
[68] O’Connor, supra, note 19.
[69] R. c. N.S., supra, note 21. La Cour suprême du Canada a accordé le droit d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Elle aura donc bientôt l’occasion de commenter l’approche des droits de la personne en jeu, ou de la réviser.
[70] R. c. N.S., ibid., aux par. 88-89; Mills, supra, note 24, au par. 89.
[71] Les législateurs sont souvent bien placés pour aborder le potentiel de conflits entre les droits. Contrairement aux décisionnaires, les législateurs ont la capacité d’aborder les conflits de façon proactive avant qu’ils ne surviennent, en rédigeant des lois dont le libellé peut prévenir les conflits. Cependant, comme le fait remarquer une auteure, « Le choix des lois comme mécanisme préférentiel de traitement des conflits de droits de la personne peut restreindre l’étendue du problème pour les tribunaux, mais ne l’éliminera pas. Il y aura toujours des situations où le législateur ne voit pas les répercussions négatives éventuelles sur un droit de la protection d’un autre droit ». Voir Eva Brems, « Conflicting Human Rights: An Exploration in the Context of the Right to a Fair Trial in the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms », Human Rights Quarterly, vol.o 27, p. 294 à 305, 2005.
[72] Voir Caldwell c. Stewart, [1984] 2 R.C.S. 603.
[73] Whiteley v. Osprey Media Publishing, 2010 HRTO 2152 (CanLII).
[74] Par exemple, aux termes de l’article 18, un établissement postsecondaire privé chrétien peut limiter l’inscription aux étudiants qui sont d’accord que l’« homosexualité » constitue un péché et qui acceptent de ne pas s’adonner à des pratiques homosexuelles.
[75] Martinie v. Italian Society of Port Arthur (1995), 24 C.H.R.R. D/169 (Ont. Bd. Of Inquiry). Veuillez noter que cette section pourrait s’appliquer à d’autres organisations, comme des organismes de défense des intérêts des femmes ou de minorités ethniques, ou autres.
[76] Le libellé exacte des critères établis dans R. c. Oakes, supra, note 46, au par. 70 indique ce qui suit :
-
Il doit y avoir un objectif urgent et réel
-
Les moyens utilisés pour atteindre l’objectif doivent être proportionnels
-
Il doit exister un lien logique entre l’objectif visé et les moyens
-
L’atteinte aux droits doit être minimale
-
Il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et l’objectif
-
[77] B. (R.), supra, note 23.
[78] Le paragraphe 17(2) du Code exige de prendre trois considérations en compte au moment de déterminer si une mesure d’adaptation causerait un préjudice injustifié. Il s’agit : du coût, des sources extérieures de financement, le cas échéant, et des exigences en matière de santé et de sécurité, le
cas échéant.