A. L’importance de mettre en place des pratiques proactives
Le respect des droits de la personne, de la dignité et de l’égalité des personnes constitue une valeur fondamentale de la société canadienne, ainsi que le fondement des politiques publiques prônées par celle-ci. Les tribunaux accordent une importance particulière à la législation en matière de droits de la personne, lui conférant même un statut « quasi constitutionnel ». Il y va de l’intérêt de chaque Ontarien et Ontarienne de bâtir une société soucieuse du respect des droits de la personne et dans laquelle chacun se sent partie intégrante et apte à y contribuer pleinement.
Le respect des droits de la personne est aussi une obligation prescrite par la loi. En vertu du Code, les employeurs, syndicats, locateurs et fournisseurs de services doivent veiller à procurer un environnement inclusif et non discriminatoire. Le harcèlement et la discrimination contreviennent à la loi, et les organismes qui négligent de prendre des mesures adéquates pour prévenir et traiter les cas de harcèlement et de discrimination peuvent être tenus de rendre des comptes à cet égard.
La prévention des atteintes aux droits de la personne et le traitement des violations devraient aller de soi. En effet, les fournisseurs de logements, les employeurs, les syndicats et les fournisseurs de services bénéficient de la mise en place et du maintien de milieux inclusifs, diversifiés et libres de toute discrimination.
Les employeurs en bénéficient dans la mesure où cela leur permet d’attirer à leur service et de garder les meilleurs employés, et d’optimiser le potentiel et le rendement de ces employés. En réalité, certaines politiques et mesures discriminatoires déjà en place peuvent nuire aux efforts des employeurs voulant attirer, recruter et promouvoir de bons employés; cela peut engendrer chez ces derniers un sentiment de frustration et un épuisement professionnel, aboutissant alors à un fort roulement des effectifs. Le harcèlement au travail suscite des conflits entre les employés, diminue leur rendement et peut occasionner pour l’entreprise la perte d’employés de grande valeur. Un milieu de travail respectueux des droits de la personne est de nature à susciter moins de conflits entre les employés et à favoriser une loyauté accrue du personnel[1].
Les fournisseurs de services en bénéficient aussi, étant davantage en mesure d’attirer et de servir une clientèle plus vaste et diversifiée, et donc de satisfaire une gamme de besoins variés. Ainsi, les fournisseurs de services dont la main-d’œuvre est diversifiée peuvent rejoindre une plus vaste clientèle. De la même manière, les fournisseurs de logements qui respectent les droits de la personne bénéficient de leur aptitude à attirer et à conserver de bons locataires et à prévenir les conflits entre les locataires.
Lorsqu’ils sont ignorés ou ne sont pas traités comme il se doit, les problèmes mettant en cause les droits de la personne peuvent entraîner le dépôt de plaintes, le versement d’indemnités en vertu du régime d’accidents de travail, la présentation d’un grief en vertu d’une convention collective, des poursuites aux termes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, ou encore l’application d’un ordre donné par le directeur et de pénalités administratives aux termes de la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario. Il est tout à l’avantage des organismes d’éviter des coûts en temps et en argent, l’atteinte à leur réputation et les effets de telles poursuites sur le moral de leurs employés. En outre, une plainte en droits de la personne peut entacher l’image d’un organisme et nuire à ses relations au sein d’une collectivité, alors que les organismes qui manifestent leur engagement envers le respect des droits de la personne et la diversité peuvent améliorer considérablement leurs relations au sein de la collectivité.
B. Les obligations juridiques[2]
1. Principes généraux
Aux termes du Code, la responsabilité ultime eu égard à la création d’une atmosphère saine et inclusive, ainsi qu’à la prévention et au traitement des cas de discrimination et de harcèlement, repose sur les employeurs, les fournisseurs de logements et les fournisseurs de services. Ils doivent veiller à ce que l’environnement qu’ils proposent soit exempt de discrimination et de harcèlement.
Un organisme pourrait être jugé responsable de discrimination même si l’atteinte se produit de manière indirecte. Par exemple, un employeur qui autoriserait une agence de placement à exercer une discrimination pour son compte pourrait être jugé responsable de discrimination.
Par ailleurs, une pratique discriminatoire peut exister sans que cela soit intentionnel. Par exemple, un organisme peut avoir mis en place une politique qui, tout en semblant neutre de prime abord, s’avère discriminatoire car elle a des répercussions négatives en raison d’un motif visé par le Code. Un organisme peut aussi être tenu responsable de discrimination lorsque, sans intention malveillante de sa part, ses efforts en vue de mettre en place des mesures d’adaptation ou de procurer un traitement égal ne sont pas à la hauteur des exigences à cet égard.
Un organisme enfreint également le Code lorsqu’il autorise, tolère, adopte ou ratifie un comportement contraire aux dispositions de ce dernier. En outre, il est de son devoir de ne pas tolérer ou poursuivre une action discriminatoire qui s’est déjà produite, car cela aurait pour effet d’étendre ou de prolonger la durée de l’action discriminatoire initiale.
Un organisme a l’obligation de s’assurer que les politiques, pratiques ou programmes qu’il met en place n’ont pas d’effet néfaste ou ne se traduisent pas par une discrimination systémique en vertu d’un motif visé par le Code. Qu’une plainte ait été déposée ou non, l’organisme a le devoir de reconnaître et de traiter toute atteinte potentielle aux droits de la personne.
Les organismes qui ne prennent pas les mesures adéquates pour prévenir ou traiter les cas de harcèlement et de discrimination peuvent s’exposer à de graves conséquences. Les décisions rendues dans le cadre de poursuites pour atteinte aux droits de la personne concluent fréquemment à la responsabilité d’organismes et les condamnent à verser des dommages-intérêts en fonction du défaut à répondre de façon appropriée à la discrimination et au harcèlement[3]. L’un des principaux facteurs retenus dans l’appréciation de la responsabilité ou l’évaluation des dommages-intérêts est la présence ou l’absence de politiques et de procédures adéquates destinées à prévenir et à traiter les cas de discrimination ou de harcèlement[4].
Un organisme peut répondre à des plaintes concernant des cas individuels de discrimination ou de harcèlement, mais sa réponse peut ne pas être jugée acceptable si le problème sous-jacent n’est pas réglé[5]. Il peut exister une atmosphère empoisonnée ou une culture organisationnelle qui exclut ou marginalise les personnes en vertu d’un motif visé par le Code. Dans ce cas, l’organisme devra prendre des mesures supplémentaires pour résoudre le problème, comme la formation et l’éducation, ou encore l’examen des obstacles et leur élimination.
Il incombe aux syndicats et aux associations professionnelles de s’assurer qu’ils n’exercent ni discrimination ni harcèlement à l’égard de leurs membres ou de leurs membres pressentis. Ils doivent en outre s’assurer qu’ils ne sont pas la cause de la mise en place de pratiques discriminatoires dans leur milieu de travail ou qu’ils n’y contribuent pas. Un syndicat peut être tenu conjointement responsable avec l’employeur s’il a contribué à la mise en place de politiques ou de mesures discriminatoires au travail, par exemple en négociant des conditions discriminatoires dans le cadre d’une convention collective, en bloquant une mesure d’adaptation ou en négligeant de prendre les mesures appropriées afin de remédier à une atmosphère empoisonnée, ou en tolérant le harcèlement de la part d’employés.
2. Responsabilité de l’organisme à l’égard des agissements de ses employés
En vertu du paragraphe 46.3 (1) du Code, une personne morale, un syndicat ou une association professionnelle, une association non dotée de la personnalité morale ou une organisation patronale sera tenu(e) responsable, en matière de discrimination, des omissions et des actes commis par ses employés et/ou ses mandataires dans le cadre de leur emploi. C’est ce que l’on appelle la responsabilité du fait d’autrui. En termes simples, un organisme est responsable des actes de ses employés ou de ses mandataires, que l’organisme en ait ou non connaissance, qu’il y participe ou non, ou qu’il ait ou non le contrôle de ces actes.
La responsabilité du fait d’autrui ne s’applique pas aux violations des dispositions du Code qui traitent du harcèlement[6]. Toutefois, puisque l’existence d’une atmosphère empoisonnée est une forme de discrimination, lorsque le harcèlement aboutit à la création d’une atmosphère empoisonnée, la responsabilité du fait d’autrui est restaurée.
Dans une telle situation, la « théorie organique de la responsabilité des sociétés » peut s’appliquer. Autrement dit, un organisme peut être responsable des actes de harcèlement pratiqués par ses employés s’il peut être démontré que sa direction était au courant du harcèlement ou que l’auteur du harcèlement fait notoirement partie de la direction ou de « l’âme dirigeante » de l’organisme[7]. Les décisions, actes ou omissions de l’employé engagent donc la responsabilité de l’organisme si :
- l’employé qui fait partie de « l’âme dirigeante » exerce un harcèlement ou adopte un comportement incorrect qui est contraire au Code; ou
- l’employé qui fait partie de « l’âme dirigeante » ne réagit pas comme il se doit au harcèlement ou au comportement incorrect alors qu’il en a connaissance ou devrait raisonnablement en avoir connaissance.
En règle générale, les cadres et les principaux décideurs d’un organisme constituent son « âme dirigeante ». Les employés qui n’ont qu’une autorité de supervision peuvent également faire partie de « l’âme dirigeante » s’ils agissent ou paraissent agir comme des représentants de l’organisme. Même des non-superviseurs peuvent être considérés comme faisant partie de « l’âme dirigeante » s’ils ont en fait une autorité de supervision ou une responsabilité notable dans l’encadrement des employés[8]. Par exemple, un membre d’une unité de négociation qui est chef de section peut être considéré comme faisant partie de « l’âme dirigeante » d’un organisme.
[1] Pour un examen plus exhaustif des recherches dans le domaine des droits de la personne et de la productivité en milieu de travail, voir : Bates, Michael et Este, Dr. David, Creating Workplace Environments that Reflect Human Rights Values, Cultural Diversity Institute, University of Calgary (mai 2000); Gandz, Dr. Jeffrey, A Business Case for Diversity, disponible en ligne à l’adresse www.hrsdc.gc.ca; et Iacobucci, Edward M., Antidiscrimination and Affirmative Action Policies: Economic Efficiency and the Constitution, (1998), Osgoode Hall L.J. 293-337.
[2] D’autres lois provinciales relatives aux problématiques des droits de la personne doivent être prises en compte lors de l’élaboration des politiques et procédures internes. Les organismes ont des responsabilités distinctes mais connexes en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité
au travail et de la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO). Ces lois font valoir les principes et les objectifs visés par le Code, mais ne limitent ni ne remplacent les obligations incombant à tout organisme en vertu du Code.
Aux termes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, les employeurs doivent élaborer des politiques, des procédures et des programmes concernant la violence et le harcèlement au travail afin d’enquêter sur les plaintes en la matière et d’y répondre. Les dispositions de cette loi s’appliquent à toutes les formes de violence et de harcèlement au travail, sans se limiter aux seuls motifs visés par le Code. Les politiques et procédures élaborées pour traiter les cas de violence et de harcèlement au travail peuvent être distinctes des politiques de lutte contre la discrimination et des procédures de règlement des plaintes d’un employeur; elles peuvent également y être intégrées ou associées. Pour en savoir plus sur les exigences en vertu de la
Loi sur la santé et la sécurité au travail ainsi que sur ce qu’elles impliquent pour votre organisme, consultez le site Web du ministère du Travail, à l’adresse www.labour.gov.on.ca/french/hs/pubs/wvps_toolbox/index.php.
Selon leur taille et leur nature, les organismes sont également tenus, aux termes de la LAPHO, de repérer et de supprimer les obstacles à l’accessibilité des personnes handicapées, ainsi que d’empêcher leur création. Par exemple, un organisme peut être dans l’obligation de prendre diverses mesures pour se conformer à cette loi, en procédant notamment à l’élaboration de politiques et de plans d’accessibilité, à l’intégration de critères d’accessibilité dans ses processus d’achat et à la formation du personnel quant aux exigences du règlement sur les Normes d’accessibilité intégrées et aux dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario ayant trait aux personnes handicapées. Certaines exigences particulières s’appliquent également à différents types d’organisme dans les domaines des services à la clientèle, de l’information et des communications, de l’emploi et du transport. Pour en savoir plus sur les exigences propres à chacun de ses domaines ainsi que sur ce qu’elles impliquent pour votre organisme, consultez le site Web :
www.mcss.gov.on.ca/documents/fr/mcss/accessibility/iasr_guidelines/complete_frguidelines.pdf.
[3] À titre d’illustration, voir Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (No. 4) (1996), 27 C.H.R.R. D/230 (No. 4) (Commission d’enquête de l’Ontario) confirmé dans (1999), 34 C.H.R.R. D/405 (La Cour de l’Ontario (Division générale), a maintenu la décision de la Commission d’enquête sauf quant
à ce qui a trait à la réintégration) (2001), 41. C.H.R.R. D/349 (C.A. Ont.), permission d’appel refusée [2002] S.C.C.A. no 69; Smith c. Mardana Ltd. (No. 2) (2005), CHRR Doc. 05-434 (C. div. Ont.) révisé en partie (2002), 44 C.H.R.R. D/142 (Commission d’enquête de l’Ontario); Smith v. Menzies Chrysler Incorporated, 2008 HRTO 37 (CanLII).
En cas de discrimination au regard du Code pour cause de non-respect des obligations de fond et de procédure en matière d’adaptation, les organismes peuvent se voir contraints d’élaborer une politique en matière de droits de la personne et une procédure de règlement des plaintes. Voir DiSalvo v. Halton Condominium Corporation No. 186, 2009 HRTO 2120 (CanLII). L’absence de politiques ou de procédures sera prise en compte dans la détermination de la responsabilité ou des dommages-intérêts, au même titre que le caractère approprié des politiques existantes, afin d’évaluer si l’organisme mis en cause avait connaissance de ses obligations en vertu du Code. Voir Puleio v. Moneris Solutions, 2011 HRTO 659 (CanLII). Toutefois, dans certains cas, les mesures prises par un employeur en matière de discrimination peuvent être jugées raisonnables même en l’absence de politique et de formation en matière de droits de la personne. Voir Caldeira v. 2068006 Ontario, 2010 HRTO 760 (CanLII). Par ailleurs, lorsqu’une responsabilité est admise, le Tribunal tient compte de la taille de l’organisme mis en cause aux fins de l’évaluation des mesures correctives à respecter. Si l’organisme est de petite taille, un employeur n’ayant pas élaboré de politique en matière de droits de la personne ne sera pas forcément contraint d’en mettre une en œuvre. Voir Torrejon v. 1147335 Ontario, 2010 HRTO 1513 (CanLII).
[4] Voir Lavoie v. Calabogie Peaks, 2012 HRTO 1237 (CanLII). Dans cette instance, les critères suivants ont servi à l’évaluation des mesures prises par l’employeur pour traiter les allégations de discrimination au travail : sensibilisation aux problématiques de la discrimination ou du harcèlement au travail au moment de l’incident; mise en œuvre d’une politique appropriée de lutte contre la discrimination ou le harcèlement; existence d’un mécanisme approprié de règlement des plaintes; formation adaptée de la direction et des employés. L’application de ces critères se fondait sur le principe de raisonnabilité.
[5] School District No. 44 (North Vancouver) c. Jubran, 2005 BCCA 201, (CanLII). Permission d’appel devant la Cour suprême du Canada refusée : 2005 CanLII 39611 (SCC).
[6] Voir Caldeira v. 2068006 Ontario, 2010 HRTO 760 (CanLII).
[7] Voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Farris, 2012 ONSC 3876 (CanLII) et Olarte v. DeFilippis and Commodore Business Machines Ltd. (No. 2) (1983), 4 C.H.R.R. D/1705 (Commission d’enquête de l’Ontario), conf. dans (1984), 14 D.L.R. [4th] 118 (C. div.).
[8] Shroff v. Tipco, 2009 HRTO 1405 (CanLII).