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Mémoire de la CODP sur les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs

Le 14 novembre 2022

 

Mémoire de la CODP sur les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs

La CODP salue les efforts déployés par le gouvernement pour affronter la crise du logement. À mesure que se poursuit la mise en œuvre du plan Accélérer la construction de plus de logements, nous devons nous assurer que les lois, politiques, programmes et règlements municipaux relatifs au logement s’articulent autour du respect des droits de la personne. Cela inclut le respect des obligations de l’Ontario aux termes du Code des droits de la personne (Code) et la reconnaissance du droit au logement, tel qu’il est affirmé dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement.

 

Contexte

En vertu de l'article 99.1 de la Loi de 2001 sur les municipalités et de l'article 111 de la Loi de 2006 sur la Ville de Toronto, les municipalités peuvent adopter des règlements visant à réglementer la démolition ou la conversion d’immeubles de logements locatifs de six logements ou plus.

Les règlements relatifs au remplacement des logements locatifs varient d'une municipalité à l'autre et comprennent actuellement des exigences concernant le nombre, la taille, le type et le coût des logements locatifs, ainsi qu’un droit de premier refus pour les locataires existants. Seules quelques municipalités ont actuellement des règlements relatifs au remplacement de logements locatifs.

Le gouvernement propose d'édicter un pouvoir ministériel de réglementation en vertu des lois susmentionnées afin de permettre à la ou au ministre de prendre des règlements pour normaliser et clarifier les pouvoirs municipaux de réglementation de la démolition et de la conversion d’immeubles résidentiels locatifs dans le but d'assurer l'uniformité et de rationaliser la construction de nouveaux logements et la revitalisation du parc de logements.

Les modifications législatives apportées n'auront pas d'incidence sur les protections offertes aux locataires en vertu de la Loi sur la location à usage d'habitation.

Le Ministère souhaite connaître l’avis des gens sur ce qui suit :

  1. Quels types d'exigences les municipalités devraient-elles être en mesure de définir en matière de démolition et de conversion de propriétés résidentielles?
  2. Quels types d'exigences les municipalités ne devraient-elles pas être en mesure de définir (p. ex., certaines exigences constituent-elles un obstacle à l’accroissement ou au renouvellement de l’offre de logement ou limitent-elles l'accès au logement)?
  3. Selon vous, quel impact les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs pourraient-ils avoir sur l'offre et la construction de logements neufs?
  4. Selon vous, quel impact les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs pourraient-ils avoir sur la protection des locataires et l'accès au logement?

 

Recommandations de la CODP

L’accès à un logement adéquat est un élément essentiel du sentiment de dignité, de sécurité et d’inclusion de la personne, et de sa capacité de contribuer au mieux-être de nos quartiers et de la société dans son ensemble[1]. Le droit international et le Code des droits de la personne affirment tous les deux l’importance du logement pour la dignité humaine, ainsi que son statut de droit de la personne. Le Canada a reconnu le caractère fondamental du droit à un logement adéquat en ratifiant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). L’article 11 du PIDESC reconnaît le droit de toute personne à un logement adéquat, dont l’importance et le lien à l’interdiction de la discrimination sous toutes ses formes ont été confirmés dans les rapports et énoncés subséquents des Nations Unies. Le Canada a également reconnu ce droit au logement dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, tout en indiquant clairement que « le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes et d’une économie nationale forte[2] ».

En Ontario, le Code inclut des mesures spécifiques de protection contre la discrimination en matière de logement, qui reconnaissent l’important rôle social qu’occupe le domicile. Toutes les facettes du droit au logement doivent être exercées sans discrimination[3].

Le domicile n’est pas uniquement un bien à gérer, mais l’espace dans lequel les personnes bâtissent leur vie. Les locateurs et promoteurs immobiliers jouent un rôle important dans l’économie canadienne, mais ce rôle est assujetti aux restrictions prévues au Code, lesquelles devraient assurer qu’on attribue au domicile une importance supérieure à sa seule valeur de produit.

La CODP reconnaît la réalité changeante du logement. Or, tout changement opéré est assujetti au Code, qui a préséance sur presque toutes les autres lois provinciales. Au cours des deux dernières décennies, la nature des marchés de l’immobilier a évolué de façon draconienne à mesure que de nouveaux acteurs, y compris des locateurs financiarisés, se sont mis à dominer le marché. Ces changements ont nui de façon disproportionnée aux personnes vulnérables, y compris les groupes protégés par le Code[4].

La CODP appuie les efforts déployés par le ministère des Affaires municipales et du Logement (MAML) en vue de normaliser les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs et l’encourage fortement à articuler ses travaux sur le respect des droits de la personne. La CODP est d’avis que ces travaux sont l’occasion de renforcer les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs existants ou d’en mettre en œuvre en vue de mieux protéger le droit au logement des locataires et le parc de logements locatifs abordables. Par conséquent, la CODP aurait d’importantes réserves à l’égard du fait d’assouplir ou d’éliminer les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs.

Bien que le MAML cherche à obtenir des réponses à quatre questions spécifiques, le travail de la CODP consiste à examiner ce qui se cache derrière les modifications et mesures législatives proposées pour traiter de leurs répercussions imprévues et inattendues sur les droits de la personne, et pour veiller à ce que les droits de la personne des Ontariennes et des Ontariens soient adéquatement pris en compte au moment d’élaborer des lois et règlements.

Par exemple, la disponibilité immédiate de logements locatifs abordables du marché est essentielle à l’exercice du droit à la sécurité des femmes, des enfants des membres des communautés 2SLGBTQ+ fuyant des situations violentes. Cela est d’autant plus vrai dans le cas des femmes, des enfants et des membres des communautés 2SLGBTQ+ autochtones, noirs et autrement racialisés. Comme le révèle le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la marginalisation sociale et économique contribue à l’expérience de la violence ou entretient avec elle un lien direct. L’accès à des possibilités de logements locatifs abordables est nécessaire pour que les femmes, les enfants et les membres des communautés 2SLGBTQ+ puissent échapper à la violence et retrouver la sécurité.

Les familles doivent aussi avoir accès à un logement locatif abordable du marché pour s’assurer de pouvoir prendre soin de leurs enfants et assurer leur sécurité. En Ontario, selon le rapport Enfances interrompues de la CODP, les enfants soumis à une enquête sur le bien-être de l’enfance courent environ deux fois plus de risques d’être pris en charge si leur famille n’a pas accès à un logement ou les moyens de se procurer des services publics. Le rapport de la CODP souligne également des incidences démesurément élevées de prise en charge d’enfants autochtones et noirs dans bon nombre des SAE de l’ensemble de la province.

Nous savons également que les personnes autochtones, noires et autrement racialisées, et les personnes handicapées sont la plupart du temps des locataires. Selon un rapport récent de l’Ontario Real Estate Association, 72 % des personnes blanches en Ontario sont propriétaires de leur logement comparativement à 43 % des personnes noires, 50 % des personnes autochtones et 67 % des personnes autrement racialisées. Toute loi ou tout règlement municipal qui réduit l’offre de logements locatifs du marché aura des répercussions disproportionnées sur les personnes autochtones, noires ou autrement racialisées.

En l’absence de règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs, les promoteurs immobiliers pourraient cibler à des fins de réaménagement les logements locatifs abordables actuellement sur le marché, ce qui ne ferait qu’exacerber les situations préoccupantes susmentionnées.

Le remplacement des logements locatifs n’est pas uniquement une question de brique et de mortier. Il a pour but d’assurer que les membres les plus vulnérables de la population ontarienne puissent obtenir un logement abordable et se doter de conditions de vie sécuritaires et dignes. Bien utilisées, les mesures de remplacement des logements locatifs peuvent constituer un outil de réalisation des droits de la personne en Ontario en garantissant l’accès plus équitable de toutes et tous à un logement. Il s’agit d’un outil systémique de lutte contre la discrimination systémique et les iniquités sur le plan du droit à un logement adéquat.

La CODP reconnaît que l’inadéquation du logement et l’itinérance sont des problèmes complexes, structurels et systémiques qui doivent être réglés sur le long terme au moyen de politiques et de programmes exhaustifs, et de stratégies de planification complètes, assorties d’objectifs et d’échéanciers réalisables. En protégeant le parc actuel de logements locatifs, le MAML peut agir de façon concrète pour veiller à ce que toutes les Ontariennes et tous les Ontariens aient un logement adéquat.

 

  1. Quels types d'exigences les municipalités devraient-elles être en mesure de définir en matière de démolition et de conversion de propriétés résidentielles?

La province doit encourager l’adoption de politiques relatives au remplacement des logements locatifs et le renforcement des politiques existantes partout en Ontario afin de protéger les locataires vulnérables et de veiller à ce que des logements locatifs abordables du marché ne soient pas perdus.

Le règlement municipal relatif au remplacement des logements locatifs de la ville de Toronto offre un bel exemple de mesures positives que peut prendre une municipalité pour préserver son parc de logements locatifs et protéger les locataires vulnérables, en ce sens qu’il :

  • exige que toute démolition d’immeuble de logements locatifs soit uniquement approuvée si le demandeur remplace les logements locatifs perdus par des logements locatifs à loyer similaire
  • exige que toute démolition d’immeuble de logements locatifs soit uniquement approuvée si le demandeur donne aux résidents actuels de l’immeuble visé (a) un droit d’obtention d’un logement à loyer similaire dans l’immeuble de remplacement, (b) un logement de remplacement adéquat pendant toute période de relogement nécessaire et (c) un dédommagement pour tous les coûts additionnels en lien avec le relogement
  • exige que toute conversion d’immeuble de logements locatifs soit uniquement approuvée si le demandeur donne aux résidents actuels de l’immeuble visé (a) un logement de remplacement adéquat à loyer similaire et (b) un dédommagement pour tous les coûts additionnels en lien avec le relogement.

De plus, tout processus d’approbation de la démolition ou de la conversion d’un immeuble de logements locatifs :

  • tient compte des répercussions sociales qu’aurait la démolition ou la conversion sur la collectivité et les résidents actuels des immeubles visés, en portant une attention spécifique sur ses répercussions disproportionnées possibles sur les groupes protégés par le Code
  • encourage la participation véritable des membres touchés de la collectivité à toutes les décisions et tient compte des besoins en matière de préservation communautaire et de soutien informel. Les consultations menées doivent être conçues de façon à répondre aux besoins des communautés touchées sur le plan linguistique et culturel.

 

  1. Quels types d'exigences les municipalités ne devraient-elles pas être en mesure de définir (p. ex., certaines exigences constituent-elles un obstacle à l’accroissement ou au renouvellement de l’offre de logement ou limitent-elles l'accès au logement)?

Les municipalités ne devraient pas pouvoir adopter de règlements municipaux qui occasionnent une réduction du parc de logements locatifs abordables du marché.

En moyenne, les groupes protégés par le Code ont des revenus inférieurs à ceux d’autres groupes de la société. Les locataires à faible revenu ont moins de choix sur le marché locatif parce qu’ils ne sont pas en mesure de se payer une grande part des logements offerts. Cela signifie que les actions d’une municipalité qui limitent ou réduisent directement ou indirectement la disponibilité de logements locatifs abordables, du marché ou autres, peuvent avoir un impact négatif sur les personnes protégées par le Code.

 

  1. Selon vous, quel impact les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs pourraient-ils avoir sur l'offre et la construction de logements neufs?

Les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs ont le pouvoir de protéger le parc de logements locatifs abordables du marché et, ce faisant, de réduire l’impact de la discrimination systémique, qui nuit de façon disproportionnée aux groupes protégés par le Code. Les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs établissent aussi un seuil minimal de création de logements locatifs. Contrairement à d’autres règlements municipaux ou restrictions touchant le logement, ces règlements ne nuisent pas à la création de logements additionnels. Leur utilisation devrait être encouragée et élargie afin d’accroître l’offre de logements aux groupes vulnérables protégés par le Code qui sont surreprésentés au sein du marché locatif.

 

  1. Selon vous, quel impact les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs pourraient-ils avoir sur la protection des locataires et l'accès au logement?

Dans son travail sur le logement, la CODP a entendu à répétition que les personnes qui s’identifient à certains motifs ou à certaines combinaisons de motifs du Code sont plus susceptibles d’être locataires, de vivre dans la pauvreté ou d’avoir un revenu faible comparativement à la population générale. Le Code peut s’appliquer lorsque le faible revenu est lié à des motifs tels que l’âge, l’ascendance, le handicap, l’origine ethnique, l’état familial, l’identité sexuelle, le lieu d’origine, la race ou l’état d’assisté social.

Les règlements municipaux sur les logements locatifs sont discriminatoires s’ils font en sorte qu’une personne se trouve désavantagée dans un domaine social protégé, comme le logement, en raison de l’association de cette personne à un motif protégé par le Code. Par conséquent, les mesures qui limitent l’accès au logement locatif abordable pourraient occasionner un désavantage chez les groupes protégés par le Code.

Le renforcement et l’adoption de règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs assureront un accès stable ou accru à des logements locatifs abordables du marché, chez les personnes à revenu faible surtout, qui font de façon disproportionnée partie des groupes protégés par le Code. Cette approche ira dans le sens de la protection du respect de la dignité et de la valeur de l’ensemble de la population ontarienne. Le fait d’affaiblir ou d’éliminer les règlements municipaux relatifs au remplacement des logements locatifs aura l’effet contraire.

 

[1] CODP, Le droit au logement : Rapport de consultation sur les droits de la personne en matière de logements locatifs en Ontario, 2008, p. 8. La Cour d’appel du Québec a indiqué que le logement, encore davantage que l’emploi, est un besoin fondamental de l’ensemble des membres de la société. Voir Desroches c. Québec (Commission des droits de la personne), 1997, 30 CHRR D/345 (QC, CA).

[2] Loi sur la stratégie nationale sur le logement, Préambule, Loi sur la stratégie nationale sur le logement (justice.gc.ca).

[3] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pheneus et une autre) c Fornella, 2018 QCTDP 3.

[4] Manuel Aalbers, The Financialization of Housing: A Political Economy Approach (New York : Routledge, 2016); Elvin Wyly et coll., « American Home: Predatory Mortgage Capital and Neighbourhood Spaces of Race and Class Exploitation in the United States », Georgrafiska Annal, vol. 88B, n1 (2006), p. 105; Elvin Wyly et coll., « Cartographies of Race and Class: Mapping the Class-Monopoly Rents of American Subprime Mortgage Capital », Int J Urban Reg, vol. 33, n2 (2009), p. 332; Elvin Wyly et coll., « Gender, Age, and Race in Subprime America », Housing Policy Debate, vol. 21, no 4 (2011), p. 529; Loretta Lees et Elvin Wyly, Gentrification (New York : Routledge, 2008); Raquel Rolnik, « Late Neoliberalism: The Financialization of Homeownership and Housing Rights », Int J Urban Affairs, vol. 37, n3 (2013),  p. 1058.