Skip to main content

Mémoire de la CODP au Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre des Nations Unies

Questions clés
Human Rights Culture

 

Résumé

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a préparé le présent mémoire pour renseigner le Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre des Nations Unies (le « Mécanisme d’experts ») aux fins de la préparation de son quatrième rapport au Conseil des droits de l’homme, lequel porte sur le racisme systémique envers les Africains et les personnes d’ascendance africaine dans le système de justice pénale. Le présent mémoire a également pour but de souligner le plaidoyer de la CODP contre la discrimination raciale, et particulièrement la discrimination envers les Noirs, dans le système de justice pénale de l’Ontario pour le bien de toute la population ontarienne.

 

À propos de la CODP

Établie en 1961, la CODP est un organisme indépendant du gouvernement provincial. Chargée d’appliquer le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code), elle a pour mandat de promouvoir et de faire respecter le Code par des activités de recherche, d’élaboration de politiques et de sensibilisation du public, par des enquêtes publiques et par des interventions juridiques devant les tribunaux administratifs et judiciaires. La CODP est l’un des trois piliers du système de droits de la personne de l’Ontario. Les deux autres sont le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) et le Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne (CAJDP).

Le Code a pour objet de créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à y contribuer pleinement. Il confère à toute personne le droit à un traitement égal en matière d’emploi, de logement, de biens, de services et d’installations, de contrats et d’adhésion à un syndicat ou à une association commerciale ou professionnelle, sans discrimination fondée sur 17 caractéristiques protégées par le Code connues sous le nom de motifs[1].

 

Le présent mémoire

La CODP formule régulièrement au gouvernement et aux organes des droits de la personne des Nations Unies des observations sur des questions qui relèvent de son mandat. Elle a soumis récemment un mémoire à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme (la « Rapporteuse spéciale ») concernant les travaux qu’elle a accomplis au cours de plusieurs décennies sur l’intersectionnalité selon une perspective de justice raciale. 

La justice pénale compte parmi les cinq secteurs d’intervention stratégique de la CODP dans son Plan stratégique 2023-2025 qui est en vigueur actuellement. La CODP est résolue à « [f]aire progresser les droits de la personne et réduire la discrimination systémique au sein du système de justice pénale en exigeant la responsabilisation et un changement organisationnel » et a fixé les buts suivants : 

  1. Réduire les pratiques discriminatoires et le profilage racial en contexte de maintien de l’ordre à l’échelle de l’Ontario;
  2. Réduire les pratiques discriminatoires des services correctionnels, comme le placement en isolement dans les établissements provinciaux.

Dans le présent mémoire, la CODP décrit les tendances et préoccupations auxquelles elle a fait face au cours de décennies de plaidoyer contre la discrimination envers les noirs dans le système de justice pénale, et particulièrement dans le maintien de l’ordre. La CODP reconnaît que la discrimination raciale dans le système de justice pénale se répercute sur de nombreuses autres communautés racisées de l’Ontario, y compris les communautés autochtones et musulmanes, et elle s’emploie activement à lutter contre toutes les formes de discrimination raciale. Cependant, le présent mémoire se concentre sur le racisme envers les Noirs, conformément au thème qui intéresse le Mécanisme d’experts. 

Soulignons que, si le Mécanisme d’experts évoque les Africains et les personnes d’ascendance africaine, la CODP parle des personnes noires ou des communautés noires. Cette terminologie reflète les commentaires recueillis lors de consultations communautaires, est d’usage courant en Ontario et s’aligne sur le large éventail de motifs liés à la race qui sont protégés par le Code[2].

La CODP félicite les Nations Unies d’avoir constitué et de continuer de soutenir le Mécanisme d’experts, l’importance qu’il accorde à la discrimination raciale dans le maintien de l’ordre étant essentielle. Depuis sa création en 2021 dans le but de « promouvoir une transformation porteuse de justice et d’égalité raciales dans le contexte de l’application des lois à l’échelle mondiale », le Mécanisme d’expert a jeté un éclairage sur des enjeux clés, comme le recours disproportionné à la force contre des personnes racisées.

Cependant, la CODP est préoccupée par le fait qu’en quatre ans, le Mécanisme d’experts n’a effectué que quatre visites de pays, n’a présenté que 13 communications et n’a publié que 16 communiqués de presse (dont la plupart avaient simplement pour but d’annoncer des visites de pays). 

La CODP met en garde contre un plaidoyer purement symbolique et invite instamment le Mécanisme d’experts à tirer pleinement parti de son mandat et de ses méthodes de travail pour faire face de manière significative au racisme et à la discrimination envers les Noirs dans le maintien de l’ordre. Il pourrait notamment :

  • effectuer des visites de pays plus fréquentes, particulièrement lorsque les demandes ont déjà été acceptées;
  • publier chaque année un plus grand nombre de communications compte tenu de l’urgence du problème;
  • rehausser la visibilité de son travail en faisant appel aux médias;
  • faire en sorte que la présidence nomme un membre du Mécanisme d’experts comme point de contact ou rapporteur afin de mettre en lumière des questions d’intérêt particulières, comme la menace que représente l’intelligence artificielle (IA) biaisée sur le plan racial.

La CODP a appris qu’une demande de visite au Canada dans le cadre du mandat du Mécanisme d’experts a été présentée en novembre 2024 et est actuellement en attente. La CODP serait favorable à une telle visite et prie le gouvernement du Canada d’accepter cette invitation.  

 

Le racisme et la discrimination systémiques envers les Noirs dans le système de justice pénale 

On entend par discrimination systémique des attitudes, des formes de comportement, des politiques ou des pratiques qui font partie des structures sociales et administratives d’une institution, d’un secteur ou d’un système, et qui créent ou perpétuent une situation de désavantage chez des personnes protégées par le Code. Elle découle non pas d’un geste particulier, mais bien de la structure d’un système; par exemple, quand on affecte plus de ressources policières à un secteur considéré comme étant à criminalité élevée, lorsque les statistiques de criminalité découlent elles-mêmes du profilage racial et du racisme envers les Noirs. 

Il existe un lien entre la discrimination raciale individuelle et systémique. La discrimination découlant des préjugés entretenus par une personne peut avoir un impact systémique plus large, en plus de contribuer aux inégalités raciales. De plus, il peut y avoir discrimination systémique sans préjugés raciaux explicites ou implicites. Si la façon dont certains services (y compris les services de justice pénale) sont fournis exacerbe la situation désavantageuse des personnes racisées, elle est discriminatoire.

 

Causes fondamentales 

Le racisme systémique dans le système de justice pénale tire ses origines des inégalités historiques et structurelles qui façonnent la société canadienne. Les politiques discriminatoires de maintien de l’ordre, comme le profilage racial, entraînent des retombées en cascade. Une personne qui fait l’objet d’un contrôle de police peut se retrouver avec un casier judiciaire, ce qui peut limiter ses perspectives d’emploi. Si elle subit des contrôles répétés, on pourrait la considérer comme étant « connue de la police », ce qui accroît le risque de préjudice, d’accusations criminelles et d’incarcération. Ces torts s’accumulent et perturbent la vie des personnes concernées, brisent des familles et déstabilisent des communautés, qui font l’objet d’une surveillance excessive mais d’une protection insuffisante de la part des services de police. 

Le racisme systémique envers les Noirs se manifeste également par une inégalité sociale et économique plus générale. Les communautés noires et racisées font face à une pauvreté disproportionnée, sont surreprésentées dans le système de bien-être de l’enfance et les prisons et sont sous-représentées aux postes de direction sur la scène politique, dans les médias et dans l’administration publique. Les obstacles au logement, aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi sont persistants. 

La discrimination systémique est parfois difficile à déceler, mais elle a des conséquences bien réelles.

Dans le contexte de la justice pénale, le profilage racial constitue une manifestation importante de discrimination raciale systémique. Dans sa Politique sur l’élimination du profilage racial en contexte de maintien de l’ordre, la CODP définit le profilage racial comme étant « toute action ou inaction de la part de personnes ou d’organisations en position d’autorité qui est liée à des motifs réels ou allégués de sécurité ou de protection des citoyens et qui soumet une personne à un examen plus attentif ou moins attentif, ou à un autre traitement négatif en raison de sa race [et de motifs liés à la race]. »

En outre, dans sa Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, la CODP affirme clairement que « le profilage racial consiste essentiellement à assimiler une personne à un stéréotype, en fonction d’idées préconçues sur son caractère » et qu’il représente donc « […] une forme de discrimination raciale ».

 

Maintien de l’ordre

La discrimination et le racisme systémiques envers les Noirs sévissent dans de nombreuses institutions, mais c’est peut-être dans le maintien de l’ordre qu’ils sont le plus visibles. 

Cela fait plus de trente ans que la CODP étudie les questions relatives aux services policiers et au profilage racial, mène des enquêtes sur le sujet et porte certains litiges devant les tribunaux. À titre d’exemple, en 2003, la CODP a publié Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, qui rendait compte directement de ce phénomène et formulait des recommandations en matière de prévention. La CODP a ensuite publié Pris à partie : Rapport de recherche et de consultation sur le profilage racial en Ontario en 2017, avant de présenter en 2019 la Politique sur l’élimination du profilage racial en contexte de maintien de l’ordre évoquée plus haut afin de fournir aux organismes de maintien de l’ordre et au gouvernement de l’Ontario des orientations en vue de prévenir et de déceler les situations de profilage racial, de discrimination raciale, de harcèlement ou d’autres violations du Code et d’y réagir.

Plus récemment, la CODP a mené une enquête publique sur le profilage racial et la discrimination raciale envers les Noirs par le Service de police de Toronto (SPT). Cette enquête a révélé de la discrimination raciale systémique, du profilage racial, une surreprésentation considérable des personnes noires dans les incidents de recours à la force par la police et du racisme envers les Noirs dans les interactions avec le SPT.

Ces constatations ont éclairé les publications suivantes de la CODP : 

Depuis la publication de ces rapports, la CODP a cherché à entretenir un dialogue axé sur l’ouverture et la collaboration avec le SPT afin de réaliser des progrès et de soutenir la mise en œuvre des 107 recommandations contenues dans le rapport De l’impact à l’action.

Bien que cette enquête ait porté sur le SPT, les enjeux et ses constatations ne sont pas uniques à ce service de police. Par exemple, la police de la région de Peel (PRP) a reconnu que le racisme systémique sévit dans cette région. En 2020, la CODP ainsi que la PRP et sa commission ont signé un protocole d’entente dans lequel ils s’engagent à élaborer et à mettre en œuvre des recours juridiquement contraignants pour « éliminer le racisme et la discrimination systémiques dans les services policiers, promouvoir la transparence et renforcer la confiance des communautés noires, racialisées et autochtones à l’égard des forces de l’ordre de la région de Peel ».

En plus de faire part de ses inquiétudes quant au profilage racial et à d’autres pratiques qui perpétuent la discrimination raciale dans le maintien de l’ordre, la CODP a exprimé des réserves quant au recours à des systèmes d’IA dans ce contexte. Les services de police qui se servent de tels systèmes peuvent aggraver les disparités existantes ou créer de nouvelles situations discriminatoires. En 2021, la CODP a remis un mémoire à la Commission de services policiers de Toronto concernant sa politique relative à l’utilisation des technologies d’intelligence artificielle, soulignant que les préjugés des développeurs, y compris leurs préjugés racistes, pouvaient être intégrés par inadvertance dans des outils d’IA. Il peut en résulter des approches de maintien de l’ordre qui s’appuient sur des données inexactes et biaisées sur le plan racial, lesquelles créent des situations où le risque que posent les personnes noires n’est pas correctement évalué.

La jurisprudence analysée par la CODP confirme la discrimination raciale systémique, le racisme envers les personnes noires et la discrimination raciale individuelle envers les personnes noires dans le maintien de l’ordre. La Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour supérieure de justice de l’Ontario ont toutes reconnu l’existence du racisme envers les personnes noires dans notre système de justice pénale[3]

 

Établissements correctionnels

La surreprésentation des personnes noires dans les établissements correctionnels est un fait démontré au Canada, ce qui est particulièrement préoccupant, car c’est en Ontario que vit plus de la moitié (52,4 %) de la population noire du pays. 

De plus, les prisonniers noirs sont détenus dans des conditions qui violent leurs droits protégés par le Code, par exemple, en raison du recours aux fouilles à nu sans motifs raisonnables et probables.

Les enfants noirs sont également surreprésentés dans le système de bien-être de l’enfance de l’Ontario, comme il a été constaté dans le cadre de l’enquête publique Enfances interrompues : Surreprésentation des enfants autochtones et noirs au sein du système de bien-être de l’enfance de l’Ontario que la CODP a menée en 2018. Les enfants noirs sont plus susceptibles de subir les effets négatifs du placement dans le système de justice pénale pour les adolescents (un phénomène qualifié de « pipeline de l’aide à l’enfance à la prison »).

 

Intersectionnalité 

La discrimination raciale intersectionnelle, c’est-à-dire la discrimination fondée sur des caractéristiques multiples de l’identité d’une personne, dont la race et des motifs liés à la race, mais aussi sur l’intersection de motifs, aggrave les torts que cause le racisme systémique au sein du système de justice pénale pour les personnes noires aux identités multiples. Ainsi, lorsque ces identités se chevauchent de façon notable sur le plan social, elles peuvent exposer la personne à la discrimination intersectionnelle. Par exemple, un jeune homme noir peut être considéré comme une « personne noire », un « jeune » ou un « homme ». Il peut donc subir de la discrimination fondée sur l’un ou l’autre des motifs que sont la race, la couleur, l’âge et le sexe, mais également sur les préjugés et stéréotypes raciaux dont fait l’objet une personne qui s’identifie comme étant un « jeune homme noir ».

La CODP a exploré l’intersectionnalité en détail dans son mémoire susmentionné à la Rapporteuse spéciale. Elle invite le Mécanisme d’experts à consulter ce mémoire en plus des renseignements fournis dans la présente.  

 

Les voies du progrès

Par des enquêtes publiques, des consultations communautaires, l’élaboration de politiques et des actions en justice, la CODP peut surveiller les atteintes systémiques aux droits de la personne et y faire face, et favoriser des changements dans toute la province. 

En responsabilisant les détenteurs d’obligations par des mécanismes de recours comme le TDPO et les tribunaux judiciaires, la CODP établit et entretient des rapports fondés sur la collaboration avec des fournisseurs de services en vue de lutter contre le racisme et la discrimination systémiques envers les Noirs et de prévenir d’autres violations du Code. Le protocole d’entente susmentionné avec la PRP est un exemple de collaboration permettant de réaliser des progrès. Ce travail repose sur l’application d’une approche fondée sur les droits de la personne (le « cadre AFDP ») à tous les aspects de la justice pénale, y compris l’élaboration de politiques, la prestation des services, la surveillance et l’utilisation de technologies émergentes comme l’IA.

La CODP fournit également des conseils pratiques à la population ontarienne sur les moyens efficaces de respecter, de promouvoir et de protéger de manière tangible les droits de la personne en Ontario. Plus récemment, la CODP a publié deux guides visant à aider les détenteurs d’obligations, notamment la police et d’autres fournisseurs de services du système de justice pénale, à mettre en œuvre des approches fondées sur les droits de la personne dans le cadre de leur travail, y compris avec de nouvelles technologies : l’Approche fondée sur les droits de la personne pour l’élaboration de programmes et de politiques – Le cadre AFDP et l’Évaluation de l’impact de l’intelligence artificielle sur les droits de la personne

Enfin, il y a lieu de recueillir des données désagrégées et de les mettre à la disposition du public pour découvrir les retombées du racisme et de la discrimination envers les Noirs dans le système de justice pénale et y remédier. S’ajoutant aux obligations que le Code impose, la Loi de 2017 contre le racisme de l’Ontario rend obligatoire la collecte de données fondées sur la race en vue d’éliminer le racisme dans les organisations du secteur public, y compris celles du système de justice pénale. 

Tout au long de ses décennies de plaidoyer, la CODP a préconisé la collecte de données comme catalyseur d’améliorations à ce chapitre, en réclamant responsabilisation et transparence. Voici quelques exemples :

 


[1] Les 17 motifs protégés par le Code sont les suivants : 

  • Âge
  • Ascendance, couleur, race
  • Citoyenneté
  • Origine ethnique
  • Lieu d’origine
  • Croyance
  • Handicap
  • État familial
  • État matrimonial (y compris le fait d’être célibataire ou d’avoir un partenaire de même sexe)
  • Identité sexuelle, expression de l’identité sexuelle
  • État d’assisté social (dans le domaine du logement uniquement)
  • Existence d’un casier judiciaire (dans le domaine de l’emploi uniquement)
  • Sexe (y compris la grossesse et l’allaitement)
  • Orientation sexuelle

[2] C’est-à-dire la race, l’ascendance, la couleur, la citoyenneté, le lieu d’origine, l’origine ethnique et la croyance.

[3] Par exemple, Abbott v Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 1909; Maynard v Toronto Police Services Board, 2012 HRTO 1220; Shaw v Phipps, 2012 ONCA 155; R v Ahmed, [2009] OJ No 5092 (SCJ); R v K(A), 2014 ONCJ 374; R v Smith, 2015 ONSC 3548; R v Thompson, [2016] O.J. No. 2118 (Ont CJ); Elmardy v Toronto Police Services Board, 2017 ONSC 2074.