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Sur l’adaptation et la discrimination religieuses vécues par les communautés juives en Ontario

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Anita Bromberg est directrice nationale des affaires juridiques de B’nai Brith Canada. Elle est également coordonnatrice des droits de la personne pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada. Diplômée de l’Université du Manitoba en sciences politiques et en études judaïques, elle est venue à Toronto pour obtenir un diplôme en droit de l’Université de Toronto. Pendant ses études de droit et sa carrière en droit, elle s’est vouée à la cause des droits de la personne. Durant ses études de droit, elle a travaillé comme directrice pour les jeunes de la Children’s Law Clinic for Justice for Children. Après avoir terminé son stage d’avocate au cabinet Minden, Gross, elle a travaillé au cabinet juridique spécialisé en droits de la personne, Iler, Campbell, puis a formé son propre cabinet de recherche juridique. Elle donne des cours sur les droits de la personne depuis de nombreuses années. Elle s’est jointe à B’nai Brith Canada en 2002. À titre de coordonnatrice des droits de la personne pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, elle est chargée de coordonner les activités de la Ligue, ainsi que ses publications et ses activités éducatives. En particulier, elle a assumé l’exploitation de sa ligne  Anti-Hate Hotline et a répondu à des incidents d’antisémitisme au Canada. Elle est coauteure de la vérification annuelle des incidents d’antisémitisme de la Ligne. En qualité de directrice des affaires juridiques, Mme Bromberg a effectué de nombreuses interventions traitant de droits constitutionnels, de questions de diversité, d’adaptation et de racisme.

Résumé

Les juifs sont venus au Canada dès le 19e siècle pour échapper à la persécution religieuse dans leurs pays d’origine et sont devenus une minorité petite, mais bien établie, au Canada et, en particulier, en Ontario. En dépit de l’antisémitisme que les immigrants juifs ont subi et leur statut d’étranger au sein d’une société principalement chrétienne, ils considéraient le Canada comme un paradis de tolérance. Ils ont réclamé et obtenu une adaptation religieuse tout en demandant peu de changements à la communauté principalement chrétienne pendant qu’ils s’efforçaient de renforcer la loi sur les droits de la personne et d’obtenir une adaptation. L’article explore les nouveaux enjeux pour l’adaptation traditionnellement réclamée par la communauté juive à la lumière de la diversité religieuse et des droits contradictoires croissants. Les adaptations astreignantes sont devenues l’objet d’un débat à mesure que les exigences du multiculturalisme se sont généralisées et ont été remises en question. Le problème inhérent au débat sera examiné à la lumière des malentendus sur ce que l’adaptation postule et des nouveaux messages dissuadant les groupes religieux de demander un traitement spécial perçu.

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Les juifs sont présents au Canada depuis le début. Selon Statistique Canada, environ 348 605 juifs vivent actuellement au Canada[1]. Ce dernier abrite en fait la quatrième population de juifs la plus importante du monde après les États‑Unis, Israël et la France. Et pourtant, ils représentent seulement un pour cent de la population totale du pays. 

Dès le début, les juifs ont dû réclamer des mesures d’adaptation. Étant donné que les Français avaient décrété que seuls les catholiques romains pouvaient se rendre dans la colonie, il n’y a aucun juif n’est officiellement inscrit dans les dossiers au XVIIIe siècle. Après 1760, les dossiers britanniques documentent la présence active de juifs dans l’armée britannique. Ezekiel Hart, fils d’un général britannique à la retraite, est le premier juif qui a été élu membre de l’Assemblée législative du Bas-Canada en 1807. Cependant, lorsqu’il prononça le serment officiel sur la bible hébraïque, la population catholique a été tellement outrée que M. Hart fut expulsé. En dépit du soutien du lieutenant gouverneur du Bas‑Canada et de sa réélection subséquente, il ne fut pas autorisé à entrer en fonction. La situation changerait deux décennies plus tard. En effet, en 1829, la loi rendant obligatoire le serment « sur ma foi en tant que chrétien » fut modifiée pour permettre aux juifs de ne pas prononcer le serment. En 1831, une loi conférant des droits politiques équivalents aux juifs fut adoptée, une première pour l’Empire britannique.

À mesure que le nombre de juifs au Canada continua d’augmenter, leur présence même commença à poser les fondements de l’approche multiculturelle du Canada. À leur arrivée, les juifs trouvèrent une société chrétienne qui n’était prête à accepter la présence d’un groupe non chrétien. Cependant, leur présence obligea la politie à ouvrir les portes de l’adaptation. Les juifs étaient également confrontés aux tensions entre les francophones et les anglophones qui reconnaissaient d’une part dans leur dualité que le Canada pouvait être composé de groupes différents. D’autre part, les juifs deviendraient de temps à autre les souffre-douleurs des tensions inhérentes à cette dualité[2]

Selon Harold Troper[3], les juifs sont venus au Canada pour de nombreuses raisons, notamment une quête désespérée de refuge.

Les juifs sont également venus au Canada pour trouver un refuge. Au fil des ans, il y a eu ceux qui fuyaient les pogroms perpétrés en Europe de l’Est au tournant du siècle, ceux qui échappèrent aux massacres des nazis dans les années 30 et 40 et, plus tard, ceux qui voulaient se protéger contre les politiques antijuives et antisionistes des régimes soviétiques et arabes. Fuyant l’oppression de l’Ancien Monde, ils espéraient que le Canada fournirait un pays qui, s’il n’était pas exempt d’antisémitisme (ce serait trop espérer), serait suffisamment exempt d’antisémitisme pour que leurs enfants n’aient pas à craindre pour leur sécurité personnelle. Les Canadiens, qui ne comprenaient pas toujours l’horreur dont les opprimés s’échappaient et fermaient trop souvent les yeux et tournaient le dos aux victimes, fournissaient quand même un sanctuaire à ceux qui avaient réussi à traverser leurs frontières.

En 1850, il n’y avait toujours que 450 juifs vivant au Canada, principalement à Montréal. La population commencerait à augmenter considérablement à partir de 1880 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, par suite de l’intensification des pogroms en Europe de l’Est. Entre 1880 et 1930, la population juive du Canada a augmenté pour s’établir à plus de 155 000. Des politiques d’immigration restrictives dans les années précédant et suivant immédiatement la Deuxième Guerre mondiale, qui incluaient les juifs dans les catégories d’immigrants non privilégiés au moment même où ils étaient menacés de génocide, limitèrent la croissance de la communauté juive au Canada durant ces années là[4].

Dès les années 1900, on a pu constater la présence d’institutions communautaires juives dans la majorité des grandes villes canadiennes. Exclus des organismes à vocation chrétienne, les juifs s’occupèrent d’établir des structures institutionnelles qui fourniraient des services sociaux et autres. Lorsque l’adaptation n’était pas possible, les juifs qui souhaitaient éviter une confrontation ou étaient incapables de faire un changement établissaient des organismes parallèles. C’est ainsi que des hôpitaux ont été établis pour permettre aux étudiants en médecine juifs bloqués par les quotas ou la discrimination d’obtenir des postes de stagiaires.

À mesure que les immigrants juifs commençaient leur nouvelle vie au Canada, les juifs tentaient d’obtenir des changements qui accorderaient à toutes les communautés le droit légal au respect et à la tolérance. Ils sollicitaient des mesures d’adaptation religieuse au travail, à l’école et dans leurs logements. Les pratiques religieuses juives éprouvèrent la volonté de compromis de la majorité chrétienne dominante dans un contexte d’attitudes antisémitiques continues. L’observation d’un Shabbath qui commençait le vendredi, des journées religieuses différentes, des vêtements religieux différents (la kippa) – tous ces éléments soulevèrent des questions liées aux droits de la personne aux lieux de travail que reflètent maintenant les politiques sur les croyances de la Commission et autres institutions. Les élèves juifs qui ne respectaient pas les pratiques des systèmes scolaires catholique ou protestant (p. ex., la prière à l’école) soulevèrent de nouveaux enjeux. Les étudiants universitaires pratiquants devaient avoir le droit de passer leurs examens durant les jours qui n’entraient pas en conflit avec leurs pratiques religieuses.

Des questions soulevées de temps à autre exigent une réparation ou une clarification de la part des commissions des droits de la personne et des tribunaux. Par exemple, une variation inhérente aux pratiques et aux croyances religieuses a incité la Cour suprême du Canada à reconnaître qu’une croyance religieuse personnelle professée avec sincérité devait être accommodée[5]. Les causes comme celle du « kirpan » dans laquelle la Ligue est intervenue a établi le droit d’exprimer ses croyances religieuses en portant des habits religieux en public, sous réserve bien entendu de préoccupations valides en matière de sécurité[6]. Ce raisonnement a été appliqué depuis lors dans une grande variété de causes. Dans une cause moins connue, mais plus récente, une employée du gouvernement canadien a été harcelée (même menacée de mort) par un collègue anonyme après avoir demandé une adaptation pour obtenir un changement à la politique sur l’observation des pratiques religieuses. Elle a également été l’objet de commentaires malvenus concernant sa façon de s’habiller et son refus d’assister à des rencontres sociales tenues dans des restaurants cachers. On a jugé que l’employeur était tenu d’enquêter sur de telles circonstances même si une plainte détaillée n’avait pas été déposée[7].

En dépit de lois et de politiques cohérentes, des questions concernant les demandes d’adaptation continuent de surgir. La Ligue des droits de la personne continue d’offrir un soutien aux personnes qui tentent d’obtenir une adaptation légale. Parmi les causes récentes, mentionnons : l’étudiant en pharmacie pratiquant dont l’examen annuel d’agrément a lieu le jour d’une fête religieuse juive; la propriétaire d’une copropriété apprend soudainement qu’elle ne peut accrocher un mezuzah, une pratique religieuse communément observée, sur la porte extérieure de son appartement. Ces causes reflètent l’évolution continue du débat. 

Il y a certes du travail à faire dans ce domaine. Un récent reportage sur les questions d’adaptation dans le système scolaire de Hamilton mentionne la nécessité d’élaborer des politiques d’adaptation cohérentes concernant les pratiques religieuses. Telle fut l’expérience de la Ligue lorsqu’elle est venue en aide à des familles juives en Colombie‑Britannique. 

Cependant, à mesure que la diversité religieuse du Canada augmente et que les exigences se multiplient, il est de plus en plus difficile d’avoir un débat civilisé[8]

Des malentendus à propos du concept d’adaptation raisonnable ont alimenté ce débat, créant un climat d’animosité et de méfiance à l’égard des nouveaux immigrants et des communautés culturelles ou religieuses actuelles. Par exemple, en 2007, un YMCA à Montréal a accepté de dépolir ses fenêtres à la demande d’un établissement religieux voisin qui craignait que ses membres ne puissent éviter de voir des femmes habillées en vêtements d’exercice révélateurs, ce qui est contraire aux convictions religieuses du groupe. C’était en l’occurrence un compromis conclu volontairement entre voisins et non pas une adaptation raisonnable imposée par la loi, étant donné qu’aucune discrimination en vertu de la Charte n’était en cause. Néanmoins, il a suscité des commentaires publics racistes et l’annulation du compromis conclu entre les voisins. 

Comme la Ligne l’a alors fait remarquer, pour que la discussion reste dans la bonne voie il faut bien comprendre ce que le concept d’adaptation raisonnable exige et n’exige pas, dans le contexte du droit au respect conféré par la loi à toutes les minorités. L’adaptation raisonnable est un compromis exigé par la loi pour garantir l’égalité de chaque personne. Elle vise à corriger les effets discriminatoires involontaires des normes, pratiques ou politiques qui semblent neutres de prime abord. L’objectif est d’éviter la violation des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et/ou les lois provinciales en matière de droits de la personne. L’adaptation raisonnable ne consiste pas dans le fait d’imposer des besoins individuels à la société en général; elle est plutôt une mesure justifiable fondée sur les droits et libertés dans une société libre et démocratique. Elle requiert la coopération de toutes les parties concernées.

Les réactions aux demandes croissantes de changements qui remettent en question les coutumes établies reflètent certaines tensions. À certains moments, les réactions incohérentes aux nouvelles demandes qui semblent menacer les coutumes ou les normes établies entraînent un repli de droits publiquement acceptés dont la communauté juive et d’autres groupes ont joui. D’un côté, l’expérience juive sert certainement de modèle à d’autres communautés d’immigrants plus récentes qui cherchent à se créer une place dans la société canadienne. D’un autre côté, les dirigeants utilisent l’expérience juive pour envoyer un message, à savoir que les groupes minoritaires peuvent et doivent restreindre leurs demandes[9].   

Par exemple, le récent débat en Ontario concernant les prières dans les écoles a suscité des commentaires publics suggérant qu’il fallait cesser de louer des locaux aux groupes juifs pour des activités religieuses après l’école. Ces commentaires semblent avoir pour but de dissuader les groupes religieux de demander ce que le public considère comme un traitement spécial plutôt que l’exercice de leur droit à l’adaptation légale comme il devrait être envisagé.

Les solutions consistent clairement à intensifier les efforts des provinces en vue de promouvoir la tolérance et la compréhension interculturelle tout en encourageant dans tous les segments de la société l’adoption de pratiques exemplaires qui célèbrent la diversité et la mise en œuvre des politiques actuelles relatives aux croyances et à la religion.



[1] Statistique Canada 2001. Voir également  The Jewish Population of the World. Jewishvirtuallibrary.org.

[2] Pour une autre discussion sur ce sujet, voir Michael Brown Not Written in Stone, Presses de l’Université d’Ottawa, 2003.

[3] Ruth Klein éd., From Immigration To Integration, B’nai Brith Canada, Toronto, Canada 2000, chapitre premier.

[4] Voir la discussion de Troper sur ce sujet. Voir également St. Louis 2009 Conference animée par la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada http://www.stlouis2009conference.ca/pages/English/Sessions/Audio_Recordings et sa publication Welcome to Canada, Toronto, 2010.

[5] Syndicat Northcrest c. Amselem [2004] 2 R.C.S. 551 http://www.canlii.org/en/ca/scc/doc/2004/2004scc47/2004scc47.pdf.

[6] Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6 http://www.lexisnexis.ca/documents/2006SCC006.pdf.

[7] Labrance c. Conseil du Trésor,  2010 http://pslrb-crtfp.gc.ca/decisions/summaries/2010-65_f.asp.

[9] Voir Julian Bauer,  « Jews as Symbols and Reality in Multicultural Canada », 2011 www.jcpa.org.

 

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