Skip to main content

Le Code de l’Ontario et la législation dans le domaine des droits de la personne autorisent la discrimination fondée sur l’âge si l’âge constitue une qualité raisonnable et de bonne foi compte tenu de la nature de l’emploi. On parle alors d’exigence professionnelle réelle[84]. Par conséquent, si les employeurs imposent la retraite obligatoire avant l’âge de 65 ans[85], une plainte peut être déposée aux termes du Code. L’employeur doit alors prouver que l’âge constitue une exigence professionnelle réelle.

La Cour suprême a défini le critère d’exigence professionnelle réelle dans le contexte de la discrimination fondée sur l’âge dans une affaire ontarienne, l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke[86]. Dans cette affaire, le plaignant, un pompier, a été obligé de prendre sa retraite à 60 ans. Le juge McIntyre a établi le critère suivant pour déterminer si une exigence de retraite obligatoire est justifiée :

(1) Élément subjectif : l’employeur doit prouver que l’exigence de retraite obligatoire a été imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction qu’elle vise à assurer la bonne exécution du travail, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code.

(2) Élément objectif : l’employeur doit prouver que le régime de retraite est raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

En ce qui concerne le deuxième élément, un régime fondé sur des motifs économiques, c'est-à-dire relié à la productivité, sera beaucoup plus difficile à justifier qu’un régime fondé sur la sécurité du public :

Lorsque le souci de la capacité de l’employé est surtout d’ordre économique... il peut être difficile, voire impossible, d’établir que la retraite obligatoire à un âge déterminé, sans égard à la capacité d’une personne en particulier, peut valablement être imposée en vertu du Code.[87]

Afin de motiver l’existence du régime en fonction de l’intérêt de la sécurité publique, la Cour doit se demander si la preuve fournie justifie la conclusion selon laquelle les personnes qui ont atteint l’âge de la retraite obligatoire (en l’occurrence 60 ans) présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l’intérêt de la sécurité.[88]

Dans l’affaire Large c. Stratford (City) [89], la Cour suprême a examiné une politique de mise à la retraite obligatoire qui exigeait que les policiers prennent leur retraite à 60 ans. Cette politique avait été adoptée et, par la suite, insérée dans la convention collective en réponse aux revendications du syndicat des policiers. La Cour suprême a conclu que la politique était discriminatoire, mais justifiée en fonction du moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle réelle. La Cour a fait remarquer que le but de l’élément subjectif de ce moyen de défense est de veiller à ce que les employeurs adoptent la règle pour une raison valide. Les tribunaux ne devraient pas l’appliquer de façon trop rigide, par exemple en insistant sur des éléments de preuve relatifs à l’état d’esprit de l’employeur. Dans cette affaire, la politique faisait suite à une modalité négociée de la convention collective. Si l’employeur a agi honnêtement et sans aucun motif inavoué lorsqu’il a conclu la convention collective, comme cela est le cas ici, l’élément subjectif du critère est respecté. En ce qui concerne l’élément objectif, la Cour a précisé que la justification d’une règle générale qui traite tous les employés comme ayant les mêmes caractéristiques dépend de la preuve qu’il n’est pas pratique d’identifier et d’exclure de l’application de la règle générale ceux qui n’ont pas les caractéristiques requises. L’employeur peut s’acquitter de son obligation en démontrant que l’évaluation individuelle est impraticable. Dans cette affaire, l’employeur a présenté des preuves relativement à la combinaison d’une maladie cardiovasculaire et du déclin de la capacité aérobie qui l’ont libéré de son obligation relativement à l’élément objectif du critère de l’exigence professionnelle réelle.

Dans MacDonald c. Regional Administrative School Unit No. 1[90], une commission d’enquête a confirmé l’exigence de mise à la retraite obligatoire à 65 ans applicable aux conducteurs d’autobus scolaires. Des témoignages de médecins experts indiquaient que, dans leur ensemble, les personnes ayant plus de 65 ans sont plus susceptibles d’avoir des accidents et qu’il est impossible de faire passer des examens à toutes ces personnes pour recenser celles qui peuvent avoir des problèmes de santé ou faire courir des risques à d’autres.

Dans plusieurs autres affaires, on a conclu que la retraite obligatoire constituait une exigence professionnelle réelle.[91] Dans d’autres, l’employeur n’a pas réussi à établir les deux éléments du critère défini dans Etobicoke. Par exemple, dans Gerlach c. Canada Trust Co.[92], le tribunal a statué que la mise à la retraite obligatoire d’une standardiste enfreignait le code des droits de la personne de la Colombie-Britannique, étant donné qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour établir l’existence d’une exigence professionnelle réelle.


[84] Alinéa 24 (1) (b) et paragraphe 24 (2).
[85] Comme nous l’avons déjà signalé, si l’âge de la retraite obligatoire est fixé à 65 ans ou plus, aucune contestation n’est possible en Ontario, étant donné que le Code ontarien ne protège que les personnes ayant moins de 65 ans pour ce qui est de la discrimination fondée sur l’âge. Dans les compétences territoriales où la législation en matière de droits de la personne ne prévoit aucun âge maximal ou aucun autre moyen de défense à l’égard de la retraite obligatoire à 65 ans, l’employeur devra démontrer que l’exigence de retraite à 65 ans constitue une exigence professionnelle justifiée.
[86] (1982), 132 D.L.R. (3d) 14 (R.C.S.) [ci-après Etobicoke ].
[87] Ibid, p. 20.
[88] Ibid, p. 21.
[89] [1995] 3 R.C.S. 733.
[90] (1992), 16 C.H.R.R. D/409 (P.E.I. Bd. Inq.).
[91] Par exemple, Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (City), [1989] 2 R.C.S. 1297 (chef de la prévention des incendies), Hope c. St. Catherines (City) (1998), 9 C.H.R.R. D/4635 (Comm. d’enquête de l’Ont.) (Pompiers).
[92] (1990), 14 C.H.R.R. D/211 (B.C.C.H.R.).