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« Sans fondement » (« Unfounded ») – un enjeu en matière de droits de la personne

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Février 16, 2017

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Par Renu Mandhane, Commissaire en chef de la CODP

L’enquête inédite de Robyn Doolittle, « Unfounded » (« Sans fondement »), montre à quel point les services de police de tout le Canada sont « mal équipés ou réticents lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les cas d’agression sexuelle ». En effet, près de 20 p. 100 des cas sont rejetés comme étant « sans fondement ». À un moment au cours de son enquête, Mme Doolittle demande à la police d’expliquer le taux disproportionné de cas « sans fondement ». La police lui répond que ceci est peut-être dû à des erreurs de codage ou à une mauvaise classification des cas, mais nous savons que d’autres facteurs entrent en jeu. Comme les taux de cas « sans fondement » atteignent 19 p. 100 au Canada et même 60 p. 100 dans certaines territoires de compétence, une partie de la réponse doit également être attribuable aux préjugés systémiques à l’égard des femmes, soit un problème en matière de droits de la personne.

Comme c’est le cas de la majeure partie de la discrimination systémique au sein du système de justice pénale, l’absence d’enquête et de poursuites appropriées à l’égard d’infractions de nature sexuelle a probablement pour cause initiale le fait que, consciemment ou inconsciemment, on accorde une trop grande confiance aux stéréotypes. Ces stéréotypes ou « mythes du viol » sont nombreux et bien documentés : ce sont des stéréotypes concernant le type de femmes qui sont agressées, le comportement qui devrait être le leur durant l’agression, et le comportement qu’elles devraient adopter après l’agression.

Au cours des dernières années, les procès très médiatisés et les taux de condamnation faibles dans le cas d’agressions sexuelles ont suscité des débats à propos de ces mythes et du rôle qu’ils jouent dans les tribunaux. Les données qui sous-tendent l’enquête de Mme Doolittle apportent un nouvel éclairage sur ces débats. Elles expliquent comment ces mythes sévissent probablement au sein des services policiers de tout le pays, loin des regards du public jusqu’à présent, entravant toute enquête sérieuse, le dépôt d’accusations criminelles ou même tout procès. C’est le pouvoir des données : elles peuvent mettre les pleins feux sur un aspect d’un problème qui a été ignoré auparavant.

La discrimination systémique dans les services policiers reste un enjeu majeur au plan des droits de la personne au Canada et un enjeu auquel la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) s’est attaquée depuis plus d’une décennie. Cette question transcende les enjeux exposés clairement dans « Unfounded ». Il s’agit de l’absence d’enquêtes appropriées sur les milliers de cas de femmes et de jeunes filles autochtones disparues et assassinées. Il s’agit de l’intervention policière excessive à l’égard des hommes noirs, autochtones et du Moyen-Orient, basée sur des stéréotypes. Et il s’agit de l’utilisation excessive de la force envers les personnes ayant des troubles de la santé mentale. Le résultat est que certains groupes sont surreprésentés au sein de notre système de justice pénale alors que certains criminels circulent librement dans nos rues.

Après la publication de « Unfounded », de nombreux services policiers, dont la GRC et la Police provinciale de l’Ontario, ont pris l’engagement de revoir le mode de traitement des allégations d’agression sexuelle. Le service de police de London (London Police Service), qui a l’un des taux les plus élevés d’enquêtes « sans fondement » parmi les villes canadiennes, est en train d’effectuer une vérification de centaines de cas et son chef a présenté ses excuses aux victimes pour le maque de soutien qui leur a été accordé. Il s’agit là de signes positifs. Le changement doit commencer par les services policiers eux-mêmes, qu’il s’agisse du chef, du conseil d’administration ou du personnel. Cependant, nous devons en faire plus.

Éliminer la discrimination systémique est une tâche difficile. Il faudra plus d’une vérification interne pour résoudre les problèmes en matière de droits de la personne révélés dans « Unfounded ». La police doit premièrement reconnaître la présence de discrimination systémique dans les services policiers et l’impact négatif que cette discrimination exerce sur les survivantes de violence sexuelle, les personnes racialisées, les peuples autochtones et les personnes ayant des troubles de la santé mentale. Les services de police devraient songer à retenir les services de spécialistes tiers pour effectuer une vérification de leurs opérations et recueillir des données visant à cerner les nombreuses situations propices à la présence de discrimination systémique. Ils devraient adopter des politiques et des procédures pour éliminer les décisions discrétionnaires qui sont souvent un terrain fertile pour la discrimination. Ils devraient s’assurer que tous les policiers et les dirigeants suivent une formation rigoureuse sur la discrimination systémique et les droits de la personne, en incluant, de façon idéale, les connaissances d’experts et l’expérience vécue des groupes les plus touchés. Ils devraient veiller à ce que leurs services reflètent la communauté qu’ils servent et inclure notamment la promotion de femmes et de personnes racialisées à des postes de direction. Enfin, la surveillance et la responsabilité indépendantes devraient être acceptées et devenir la norme. Ceci implique la collecte et l’analyse continues des données pour évaluer les préjugés systémiques dans les services policiers et la prise de mesures disciplinaires à l’égard des policiers qui ont recours à des pratiques discriminatoires.

La Commission ontarienne des droits de la personne a fait de l’application des droits de la personne au sein du système de justice pénale une de ses grandes priorités pour les 3 à 5 prochaines années. Nous sommes également déterminés à promouvoir une culture des droits de la personne par le biais de l’éducation, afin d’éliminer, à la source, les types de stéréotypes qui risquent d’être à l’origine de ces statistiques.

En conclusion, il s’agit de notre humanité et de la véritable signification d’une justice égale pour tous. Les survivantes d’agression sexuelle doivent être prises au sérieux, les communautés racialisées doivent pouvoir vivre tous les jours en paix, les femmes et les jeunes filles autochtones doivent voir leurs vies valorisées, et les personnes aux prises avec des troubles de la santé mentale doivent bénéficier d’une aide des services policiers lorsqu’elles traversent une crise. En tant que société, c’est ce qu’on attend de nous.  

 

Lisez l'article de la commissaire en chef Renu Mandhane dans le Globe and Mail, publié le 16 février 2017 (en anglais).