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Section II : Établir l’absence de conflits de droits

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De nombreux litiges qui semblent soulever un conflit de droits contradictoires se révèlent, après examen approfondi, être des situations qui peuvent très bien être résolues sans passer par le processus complexe d’établir un équilibre entre des droits contradictoires. Étant donné les difficultés liées à ce processus, il est impératif que seuls les conflits réels de droits fassent l’objet d’un effort de conciliation. Dans la présente section, nous examinerons brièvement les facteurs utilisés pour déterminer l’existence d’un véritable conflit de droits contradictoires. Cependant, avant de s’atteler au processus de conciliation, il faut répondre à trois questions importantes :

  • Les conflits de droits sont-ils correctement caractérisés?
  • Les droits en jeu sont-ils des droits valides et reconnus par la loi?
  • Les besoins des deux parties sont-ils vraiment contradictoires?

Si la réponse à une seule de ces questions est négative, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de s’aventurer dans les eaux troubles du processus de conciliation de droits conflictuels. Deux solutions s’offrent alors : rejeter les plaintes pour conflits de droits pour cause d’invalidité ou de non-pertinence, ou gérer le conflit en imposant des mesures d’accommodement informelles.
Dans tout conflit apparent de droits, il faut examiner la question de l’opportunité de la plainte. Il est assez courant de brandir la carte du conflit de droits comme moyen de défense, mais le nombre de causes présentant un conflit réel sera beaucoup plus rare. Peut-être que les intérêts en jeu ne sont pas vraiment conflictuels. Pour évaluer le bien-fondé de la caractérisation du conflit, il est important de se demander si le conflit met réellement en jeu deux droits également valides. Le conflit peut être présenté comme un conflit de droits contradictoires, mais cette étiquette n’est correcte que si les plaintes sont réellement liées à des motifs protégés en vertu du Code ou de la Charte.

Citons par exemple le principe solidement ancré dans le droit des droits de la personne selon lequel la préférence du client ne peut pas être invoquée pour justifier un acte discriminatoire [3]. Cependant, la préférence du client peut être le motif sous-jacent des plaintes qui, à première vue, semblent porter sur un conflit de droits. L’un des moyens de vérifier si c’est véritablement le cas est de délimiter soigneusement les droits en jeu.  Un exemple particulièrement marquant de l’habitude de masquer la préférence du client par une étiquette de droits contradictoires est l’objection à l’allaitement dans des lieux publics.  Les organismes et les particuliers opposés à cette pratique ont souvent clamé qu’ils avaient le « droit » d’exiger notamment qu’une femme qui allaite se couvre ou qu’elle se rende dans un endroit privé. Il a parfois été tenté de fonder ce droit sur la liberté d’expression afin de présenter ces exigences comme des droits de la personne légitimes.

À première vue, il semble bien y avoir un conflit entre la liberté d’expression et le droit à un traitement égal sans discrimination fondée sur le sexe. Cependant, un examen attentif de la question de savoir si ces droits sont correctement étiquetés aboutit à un résultat différent. La jurisprudence des tribunaux judiciaires et des tribunaux administratifs a clairement établi le droit d’une femme à allaiter en public [4]. Et surtout, ces décisions ont statué que les actions visant à empêcher une femme d’allaiter en public étaient discriminatoires. Cette jurisprudence signifie qu’en l’absence d’une plainte convaincante et également valide pour discrimination, la femme a un droit catégorique à allaiter en public. L’argument de la liberté d’expression n’est pas un contre-argument valide parce qu’il n’existe pas de droit juridique positif à la préférence individuelle. En d’autres termes, n’importe qui peut exprimer ses préférences personnelles à propos de l’allaitement en public, mais il n’est pas possible d’invoquer ces préférences pour contraindre une femme à cesser une activité qui est déjà reconnue comme un droit à l’égalité bien établi. Dans cet exemple, ce qui revient à un critère de norme communautaire pour la discrimination se cache derrière une étiquette de liberté d’expression [5]. Dès que ce déguisement est mis au jour et que le motif réel de la plainte est révélé, il n’y a plus aucune raison de s’atteler à la tâche de concilier des droits contradictoires.

Il peut y avoir d’autres cas, cependant, dans lesquels les deux premières questions de la caractérisation et de la validité obtiennent une réponse positive. Dans ces cas, le conflit entre des droits contradictoires passera au troisième niveau d’évaluation : les besoins des deux parties sont-ils réellement en conflit? À ce stade de l’analyse, il est important de mettre l’accent sur les besoins précis de chaque partie afin de déterminer s’il est possible ou non de les accommoder. Si c’est possible, il n’est plus nécessaire de se lancer dans le processus de conciliation des droits plus formel.

À titre d’exemple, examinons le scénario suivant : une personne souffrant d’un handicap utilise un chien d’assistance pour exécuter ses tâches d’enseignant, mais une élève de la classe qui souffre d’un handicap (des allergies) a des réactions allergiques en présence du chien. Le Code ordonne aux employeurs de tenir compte des besoins des employés handicapés, et aux fournisseurs de services de tenir compte des besoins des clients handicapés. Le Code n’établit pas une échelle de priorité entre ces besoins ou ces exigences – ils sont tout aussi importants les uns que les autres. Il est toutefois possible de résoudre le conflit créé par ces droits contradictoires en procédant à une évaluation minutieuse des besoins des deux parties. L’employeur ou le fournisseur de services doit commencer par cerner aussi précisément que possible les mesures d’adaptation que requiert l’employé ou le client, afin de savoir si les besoins des deux parties sont réellement conflictuels. Par exemple, dans quelle mesure le chien d’assistance aide l’employé dans la salle de classe? Y a-t-il d’autres moyens de lui offrir le soutien dont il a besoin sans avoir recours au chien? Le document de la Commission intitulé « Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement » affirme que : « si on a le choix entre deux mesures d’adaptation qui répondent aussi bien l’une que l’autre aux besoins de la personne tout en respectant sa dignité, les responsables de l’adaptation peuvent choisir la solution la moins coûteuse ou celle qui entraîne le moins de dérangement pour l’organisme. » [6] Les besoins de l’élève doivent être évalués de la même façon. Si les besoins d’adaptation sont directement en conflit, l’employeur ou le fournisseur de services se doit de trouver des solutions qui satisferaient les deux personnes concernées. Dans notre exemple, il pourrait être suffisant de transférer l’élève dans une autre classe avec un autre enseignant.

Alors que les deux premiers volets de l’évaluation visent à déterminer l’opportunité et la validité des plaintes, le troisième volet de l’évaluation s’attache aux besoins précis que soulèvent les droits conflictuels, dans l’objectif de réduire l’étendue du conflit. Dès que la cause précise du conflit est découverte, il devient possible de satisfaire aux besoins des deux parties concernées dans le même temps, sans avoir recours au processus compliqué de la conciliation entre des droits aussi légitimes les uns que les autres. Ce n’est que si on peut répondre par l’affirmative à ces trois questions, qu’il sera nécessaire de faire appel aux outils de conciliation décrits à la.


[3] Berry v. Manor Inn (1980) 1 C.H.R.R. D/152.
[4] Voir par exemple, Québec et Giguere c. Montréal (Ville) (2003) 47 C.H.R.R. D/67.
[5] Supra note 2, à D/153.
[6] CODP, Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement (2000), p. 21.

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