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Mémoire à la Commission de services policiers de Toronto sur l’utilisation d’armes à impulsions

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Octobre 19, 2017

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Commission ontarienne des droits de la personne
Mémoire par écrit à la Commission de services policiers de Toronto

Réponse au document de discussion du SPT sur « Achieving Zero Harm/Zero Death » (« zéro blessure/zéro décès »)

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) présente le mémoire suivant en réponse au document de discussion du service de police de Toronto (SPT) qui propose l’expansion du déploiement des armes à impulsions qui seront remises aux agents de l’unité d’intervention primaire en service et aux agents en service d’unités spécialisées désignées.

La CODP ne soutient pas le projet d’expansion de l’utilisation des armes à impulsions figurant dans le document de discussion. Selon elle : 

  1. l’utilisation d’armes à impulsions soulève de graves préoccupations au plan des droits de la personne;
  2. le SPT doit élaborer et adopter des normes, des lignes directrices, des politiques et des directives strictes pour minimiser les effets des armes à impulsions sur les personnes qui sont protégées par le Code des droits de la personne de l’Ontario, en particulier les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale perçus et réels ou des dépendances; et
  3. le SPT ne devrait pas élargir le recours aux armes à impulsions avant d’avoir mené les études et adopté les garanties recommandées à plusieurs reprises par la CODP, l’examen indépendant de Monsieur le juge Frank Iacobucci, et les nombreuses enquêtes de coroner. 

Le recours aux armes à impulsions soulève des préoccupations graves au plan des droits de la personne parce que les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ont tendance à avoir des contacts plus fréquents avec la police et à être maîtrisées plus souvent avec un pistolet Taser en raison de comportements et de réactions aux instructions de la police qui semblent « inhabituels » ou « imprévisibles ». Elles sont aussi plus susceptibles de mourir après avoir été maîtrisées à l’aide d’un pistolet Taser.

La CODP a demandé à plusieurs reprises au gouvernement et aux services de police d’adopter et de mettre en œuvre toutes les normes, lignes directrices, politiques et directives strictes nécessaires pour mettre un terme à l’utilisation discriminatoire de la force sur les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou des dépendances. Elle a notamment exigé que les agents de police désamorcent la situation, utilisent des stratégies de communication et s’abstiennent d’avoir recours à la force aussi longtemps que possible. La CODP continue de soutenir que les techniques de désamorçage permettent de minimiser l’impact négatif de l’utilisation des armes à impulsions sur les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale perçus et réels.

Malheureusement, le document de discussion ne place pas de manière appropriée le recours accru proposé aux armes à impulsions proposé par le SPT dans le contexte des efforts plus généraux et concrets déployés pour mettre un terme à l’usage discriminatoire de la force sur les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou des dépendances. Les pistolets Taser sont des armes et, en tant que tels, ils ne devraient être qu’un facteur accessoire et non pas central lorsqu’il s’agit de l’engagement pris par le SPT envers le désamorçage et les services policiers non discriminatoires.

Compte tenu de ces risques, la CODP maintient sa position de longue date, à savoir que les services gouvernementaux et policiers, y compris ceux du SPT, doivent adopter et mettre en œuvre, jusqu'au point de préjudice injustifié, toutes les normes, lignes directrices, politiques et directives strictes nécessaires pour minimiser les effets nuisibles du recours à des armes à impulsions contre des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou des dépendances, ou des personnes qui sont intoxiquées.

En dépit de ce qu’elle prétend, la proposition du SPT ne tient pas compte des garanties primordiales et des études supplémentaires recommandées par la CODP, Monsieur le juge Frank Iacobucci dans son rapport sur les contacts entre la police et les personnes en situation d’urgence (rapport Iacobucci) et de nombreuses enquêtes de coroner. 

La proposition du SPT ne tient pas compte des préoccupations exprimées par la CODP à propos du recours à des armes à impulsions contre des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou des dépendances

La CODP a constamment mis le gouvernement et les forces de police en garde contre le recours accru aux armes à impulsions sans effectuer des recherches appropriées et adopter des garanties pour protéger les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou des dépendances. Cependant, en dépit du recours accru aux armes à impulsions contre les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale, qui est une tendance qui se dessine, le document de discussion n’aborde pas ce problème.

Il est primordial que le SPT, en collaboration avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MSCSC), prenne des mesures allant jusqu'au point de préjudice injustifié, pour minimiser l’effet nuisible de l’utilisation d’armes à impulsions contre des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale perçus et réels et des dépendances.

En 2011, le SPT a signalé que 41,9 p. 100 des incidents dus à l’utilisation d’armes à impulsions concernaient des personnes qui, selon les agents, étaient « perturbées sur le plan émotif  » ou qui étaient perçues comme souffrant des effets combinés d’un trouble émotionnel/trouble mental et de la consommation d’alcool et/ou de drogues. En 2016, ce pourcentage était passé à 48,6 p. 100[1]. Le document de discussion ne fait aucune proposition pour résoudre ce problème.

Il existe aussi des preuves suggérant que les personnes qui sont en phase de « décompensation psychiatrique aiguë » ou qui sont en « réaction toxique d’origine médicamenteuse » risquent davantage de mourir lorsqu’elles sont maîtrisées à l’aide d’un pistolet Taser[2]. Une étude canadienne a constaté que les décès de personnes aux prises avec des dépendances qui ont été maîtrisées à l’aide d’une pistolet Taser risquent d’être disproportionnellement élevés. Les chercheurs ont constaté que 16 des 26 personnes décédées à la suite de l’utilisation de pistolets Taser au Canada avaient des « problèmes chroniques de consommation de drogues »[3].

Dans le document de discussion le SPT propose d’élargir le recours aux armes à impulsions, conformément aux lignes directrices du MSCSC. Cependant, la CODP a averti à plusieurs reprises que le caractère subjectif du recours aux armes à impulsions et le seuil de risque acceptable qui y est associé dans ces lignes directrices (c.-à-d. le « comportement menaçant ou violent ») risquent d’avoir un effet négatif sur les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale. Elles sont en particulier plus susceptibles d’adopter un comportement qui est perçu comme menaçant ou violent en raison même de leur état. Ce comportement peut aussi altérer leur capacité de comprendre et de répondre aux directives ou aux instructions de l’agent de police. La CODP a demandé au MSCSC de revoir et de réviser ses lignes directrices. Cependant, jusqu’à présent, ceci ne s’est pas produit. Le respect des lignes directrices actuelles du MSCSC ne suffit pas pour prévenir les effets discriminatoires de l’utilisation accrue des armes à impulsions.

Les services de police, y compris le SPT, doivent aussi adopter des politiques qui stipulent spécifiquement quand les armes à impulsions peuvent être utilisées et qui précisent leurs utilisations inappropriées. Ces politiques devraient porter en particulier sur le recours à des armes à impulsions contre des personnes vulnérables comme les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale, et sur l’augmentation du risque potentiel de décès des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale ou qui sont intoxiquées.

La proposition du SPT ne tient pas assez compte des recommandations du rapport Iacobucci

La CODP ne peut pas soutenir la proposition du SPT d’accroître le recours à des armes à impulsions en l’absence des garanties et des travaux de recherche recommandés dans le rapport Iacobucci. Ce rapport, qui a été rédigé à la demande du SPT et publié il y a plus de trois ans, formule 84 recommandations. La vaste majorité d’entre elles mettent l’accent sur le fait qu’il faut élaborer des politiques et des pratiques pour tenir compte des besoins des personnes en situation de crise qui ont des contacts avec la police, notamment une meilleure utilisation des modalités de recours à la force et des programmes de formation pour insister sur les techniques de désamorçage.

Le rapport Iacobucci aborde également l’utilisation des armes à impulsions et formule les conclusions suivantes :

Le peu de données fiables concernant les effets des armes à impulsions sur les personnes atteintes d’affections, les personnes en situation de crise et les sujets ayant dans leur système des médicaments sur ordonnance, des drogues illégales ou de l’alcool fait qu’il est difficile pour la police de prédire si un sujet donné lors d’une interaction dans la vraie vie subira les conséquences graves de l’exposition à une arme à impulsions.

L’absence de recherche définitive sur les risques de l’utilisation d’armes à impulsions sur des groupes de personnes qui risquent d’avoir des interactions avec la police dans des contextes non criminels pose un problème lorsqu’on doit décider si des armes à impulsions devraient être utilisées à l’encontre de personnes en situation de crise. Certaines personnes atteintes de maladie mentale risquent d’être particulièrement vulnérables aux effets potentiellement graves du recours aux armes à impulsions car elles risquent de présenter de nombreux facteurs de risque (affections préexistantes, médicaments sur ordonnance, troubles de toxicomanie, degré élevé d’agitation) dans leurs rapports avec la police lorsqu’elles sont en situation de crise. Comme de nombreux intervenants l’ont dit, la police n’est pas équipée pour diagnostiquer des affections ou des troubles psychologiques, et on ne s’attend pas à ce qu’elle puisse le faire. Par conséquent, les premiers intervenants risquent de ne pas être en mesure d’identifier les facteurs de risque accrus chez un individu avant de décider d’utiliser une arme à impulsions. (Traduction libre) 

Compte tenu de ces conclusions, Monsieur le juge Iacobucci a reconnu les avantages potentiels des armes à impulsions, mais a mis en garde contre l’élargissement de leur utilisation et a formulé les conclusions suivantes :

À l’heure actuelle, nous ne savons pas dans quelle mesure les armes à impulsions peuvent être mortelles, et l’inquiétude quant à une utilisation abusive de ces armes est tout à fait justifiée. Les signalements de mésusage des armes à impulsions par la police, bien que statistiquement rares, ne sont pas difficiles à trouver, tant au sein du SPT qu’ailleurs. Ma conclusion est que le SPT devrait faire preuve de prudence dans ce domaine, mais qu’il devrait néanmoins élargir le recours aux armes à impulsions sous forme de projet pilote accompagné de garanties rigoureuses afin de donner de meilleures réponses aux questions posées. Mes recommandations détaillées à ce sujet figurent ci-dessous [accent ajouté]. (Traduction libre)

Compte tenu de cette conclusion, Monsieur le juge Iacobucci a formulé 17 recommandations détaillées sur le recours aux armes à impulsions, notamment la nécessité d’étudier davantage les effets de ces armes sur les personnes en situation de crise (recommandation 55) et la définition des garanties nécessaires à la mise en place d’un projet pilote sur l’utilisation accrue des armes à impulsions (recommandation 59)[4].

Bien qu’elle prétende le contraire, la proposition actuelle du SPT ne correspond pas aux recommandations de Monsieur le juge Iacobucci. En effet, le SPT a spécifiquement rejeté ses recommandations consistant à étudier davantage les effets des armes à impulsions sur les groupes vulnérables (comme les personnes en situation de crise)[5]. Et bien que le SPT prétende avoir mis en œuvre la recommandation 59 de Monsieur le juge Iacobucci portant sur un projet pilote sous « une autre forme », le document de discussion ne parle absolument pas de « projet pilote » assorti de limites de temps ou limité par le nombre de divisions, tel qu’envisagé dans le rapport Iacobucci[6]. Il ne fait allusion qu’à un « déploiement accru ». 

La proposition du SPT ne tient pas assez compte des recommandations des enquêtes de coroner

Dans le document de discussion, le SPT compte sur les recommandations concernant le recours accru aux armes à impulsions figurant dans « dix-huit enquêtes ». Cependant, la proposition du SPT omet de nouveau de tenir compte des recommandations accessoires de ces enquêtes qui permettraient de veiller à ce que les armes à impulsions soient déployées de façon à ne pas discriminer contre les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale et/ou des dépendances.

Par exemple, dans le cadre de l’enquête de 2014 sur les décès de Reyal Jardine-Douglas, Sylvia Klibingaitis et Michael Eligon, le jury a recommandé que le MSCSC « commande une étude sur les armes à impulsions pour déterminer si l’utilisation de ces armes auprès de personnes perturbées sur le plan émotif s’accompagne de préoccupations ou de risques particuliers ». La proposition du SPT ne mentionne pas si une telle étude a eu lieu ou est envisagée.

Dans l’enquête de 2017 sur le décès d’Andrew Loku, sur laquelle le document de discussion repose spécifiquement, le jury a formulé une recommandation consistant à équiper les véhicules de patrouille d’« armes moins meurtrières », notamment potentiellement les armes à impulsions. Cependant, cette recommandation a été formulée dans le contexte de recommandations générales visant à mettre en œuvre des programmes de formation de la police pour qu’elle puisse offrir des services équitables aux personnes aux prises avec des troubles de santé mentale et/ou des dépendances. Une telle formation constituerait une composante essentielle de toute expansion du recours aux armes à impulsions. En outre, le jury a recommandé spécifiquement que le MSCSC finance et continue d’étudier l’utilisation et le déploiement d’options de recours à la force moins meurtrières comme les armes à impulsions. Rien n’indique que le SPT s’est renseigné sur de pareilles études dans le cadre de sa proposition d’accroître le recours à des armes à impulsions.

Enfin, le document de discussion repose sur certaines preuves émanant de l’enquête de coroner de 2004 sur le décès de Jerry Knight, qui précède le rapport Iacobucci. De nouveau, les recommandations du jury provenant de cette enquête ne préconisent pas une augmentation du recours à des armes à impulsions mais encouragent  un « accroissement des travaux de recherche et des programmes de formation portant sur le délire agité et la contention; notamment la pertinence du recours à un pistolet Taser en mode contact et au gaz poivré ».

En l’absence des types de protection et des autres travaux de recherche figurant dans les recommandations de ces enquêtes de coroner, la CODP n’est pas en faveur du recours accru aux armes à impulsions tel que proposé dans le document de discussion.    

 

 

 

[1] Dans son rapport annuel de mai 2012 sur l’utilisation en 2011 des armes à impulsions, le service de police de Toronto indique à la page 57 que sur les 222 incidents dus à l’utilisation d’armes à impulsions, 28,8 p. 100 concernaient des sujets qui, selon les agents, étaient perturbés affectivement. Ce chiffre passe à 41,9 p. 100 lorsqu’on inclut les incidents relatifs à des personnes qui sont perçues comme souffrant des effets combinés d’un trouble émotif/ mental et de la consommation d’alcool et/ou de drogues.  Service de police de Toronto, rapport annuel 2016 : utilisation des armes à impulsions (mars 2017), p. 5.

[2] Office of the Police Complaints Commissioner, Colombie-Britannique, « Taser Technology Review and Interim Recommendations » (septembre 2004), en ligne : http://fundar.org.mx/mocipol/images/taser%20technology%20review.pdf

[3] Temitope Oriola, Nicole Neverson et Charles T. Adeyanju, “‘They should have just taken a gun and shot my son’: Taser deployment and the downtrodden in Canada” (2012) 18(1) Social Identities 65.

[4] RECOMMANDATION 55 : Le SPT préconise une étude interprovinciale des effets médicaux de l’utilisation des armes à impulsions sur divers groupes de personnes (notamment des groupes vulnérables comme les personnes en situation de crise), tel que suggéré dans le rapport Goudge. (Traduction libre)

RECOMMANDATION 59 : Le SPT envisage de mener un projet pilote pour évaluer l’expansion potentielle de l’accès aux armes à impulsions au sein de ce service, assorti des paramètres suivants :

(a) Supervision : à un moment approprié qui sera déterminé par le SPT, des armes à impulsions devraient être remises à un groupe d’agents de première ligne dans un nombre limité de divisions et pendant une période de temps limitée, l’utilisation et les résultats devant être surveillés de près;  

(b) Caméras : tous les agents de première ligne auxquels on remet des armes à impulsions devraient être équipés soit de caméras corporelles soit de fixations audio ou vidéo pour ces appareils;

(c) Rapports : le projet pilote exige la présentation de rapports normalisés sur certains sujets, notamment :  

i. fréquence et circonstances liées à l’utilisation d’une arme à impulsions, y compris si elle a été utilisée à la place de la force létale;

ii. fréquence et nature du mésusage des armes à impulsions par les agents;

iii. effets médicaux de l’utilisation des armes à impulsions; et

iv. état physique et mental du sujet;

(d) Analyse : les données du projet pilote doivent être analysées en tenant compte des facteurs suivants :

i. si les armes à impulsions sont utilisées plus fréquemment par les unités d’intervention primaire comparé aux données de référence sur l’utilisation actuelle des armes à impulsions par les superviseurs;

ii. si les armes à impulsions sont utilisées à mauvais escient plus fréquemment par les unités d’intervention primaire comparé aux données de référence sur l’utilisation actuelle des armes à impulsions par les superviseurs;

iii. les réactions en matière de mesures disciplinaires et de formation face au mésusage des armes à impulsions par les agents et les superviseurs;

iv.si l’utilisation de la force en général a augmenté compte tenu de la plus grande disponibilité des armes à impulsions dans le projet pilote; et  

vi. si les procédures, la formation ou les mesures disciplinaires du SPT ont besoin d’être modifiées pour insister sur l’objectif consistant à réduire le nombre de décès sans augmenter le recours général à la force ou sans enfreindre les libertés civiles; et  

(e) Transparence : le SPT présente un rapport sur le projet pilote à la Commission de services policiers de Toronto (CSPT) et publie ce rapport. 

[5] Rapport Iacobucci, statut de la mise en œuvre par le SPT, Annexe B, page 47 : www.torontopolice.on.ca/publications/files/reports/20150911-iacobucci_report_recommendations_‌with_tps_response.pdf

[6] Rapport Iacobucci, statut de la mise en œuvre par le SPT, supra, annexe B, page 50.