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3. Exigences légitimes en matière d’emploi

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Les compétences que les employeurs ou les organismes de réglementation entendent évaluer lorsqu’ils imposent aux candidats une exigence d’expérience canadienne ne font l’objet d’aucune vision commune. Ceci peut s’avérer extrêmement frustrant pour les nouveaux arrivants qui n’ont pas encore travaillé au Canada et à qui l’on ne donne pas la possibilité de prouver leurs compétences, bien qu’ils soient qualifiés pour obtenir un poste ou une accréditation professionnelle. Beaucoup de nouveaux arrivants ont l’impression que l’approche adoptée par de nombreux employeurs canadiens « est arbitraire et les pénalise souvent inutilement à cause de leur manque d’expérience et de diplômes canadiens[21] ». Dans certains cas, le fait d’exiger que les candidats aient une expérience canadienne peut constituer une discrimination déguisée et un moyen de procéder à une sélection préliminaire, en excluant les nouveaux arrivants du processus de recrutement[22]. Voici les propos d’un répondant à l’enquête de la CODP :

J’ai travaillé un peu partout en Europe et je sais que l’« expérience européenne » ne pose aucun problème. Je pense que l’expérience canadienne est un obstacle créé de toutes pièces pour empêcher les immigrants hautement qualifiés d’occuper des postes de prestige et de toucher de fortes rémunérations.

Certains employeurs considèrent à tort que le seul moyen pour un demandeur d’emploi de prouver qu’il a « les capacités » d’être efficace ou de « s’intégrer » dans un milieu de travail canadien est de démontrer qu’il a déjà travaillé au Canada[23]. Ces employeurs s’imaginent que l’exigence d’expérience canadienne peut être utilisée comme raccourci, ou comme moyen de substitution, pour mesurer la compétence et les aptitudes d’une personne[24]. De même, certains organismes de réglementation estiment que le seul moyen pour un candidat de maîtriser les normes canadiennes relatives à son métier ou à sa profession spécifique consiste à acquérir une expérience professionnelle dans un environnement canadien ou à travailler sous la supervision d’une personne titulaire d’un permis d’exercer ladite profession au Canada.

Même lorsque les employeurs et les organismes de réglementation agissent de bonne foi, l’expérience canadienne d’un candidat, ou l’absence d’une telle expérience, ne constitue pas un moyen fiable d’évaluer les compétences ou les capacités d’une personne. En outre, le fait d’imposer des exigences de ce type est susceptible de contrevenir au Code. Les employeurs et les organismes de réglementation doivent indiquer clairement les qualifications particulières qu’ils recherchent, au lieu d’utiliser des expressions « générales » comme « expérience canadienne ». À titre d’exemple, si la capacité de communiquer efficacement est une qualité requise, ils doivent le préciser de façon claire et donner aux candidats la possibilité de prouver qu’ils maîtrisent cette compétence.

Une exigence d’expérience canadienne, même si elle est mise en œuvre de bonne foi, peut constituer un obstacle au recrutement, à la sélection, à l’embauche ou à l’accréditation et entraîner une discrimination. Aux termes du Code des droits de la personne, si l’existence d’une discrimination est attestée, l’organisme ou l’institution visé(e) par la plainte peut s’en défendre en démontrant que la politique, la règle ou l’exigence ayant entraîné un traitement inégal est légitime ou établie de bonne foi. Dans l’arrêt Meiorin[25], la Cour suprême du Canada a élaboré une méthode en trois étapes pour déterminer si une norme entraînant une discrimination peut se justifier en tant qu’exigence établie de façon raisonnable et de bonne foi.

Pour ce faire, il incombe à l’organisme ou à l’institution de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la norme, le critère, l’exigence ou la règle :

  1. a été adopté(e) dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées
  2. a été adopté(e) de bonne foi, en croyant qu’elle ou il était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif; et
  3. est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif, car il est impossible de composer avec les besoins du demandeur sans subir un préjudice injustifié.

Conformément à cette méthode, la règle ou la norme elle-même doit tenir compte des différences individuelles, dans la mesure du possible, au lieu de maintenir des normes discriminatoires incluant des mesures d’adaptation pour les personnes qui ne peuvent pas y satisfaire. Malgré tout, il peut s’avérer nécessaire de causer un préjudice injustifié pour tenir compte des différences individuelles. Ceci permet de s’assurer « que chaque personne est évaluée selon ses propres capacités personnelles plutôt qu’en fonction de présumées caractéristiques de groupe[26] ».

Afin qu’une exigence en matière d’emploi ou d’accréditation, par exemple une exigence d’expérience canadienne, soit considérée comme légitime ou « de bonne foi », l’organisme doit démontrer que ladite exigence est aussi inclusive que possible et que des mesures ont été prises pour tenir compte des besoins des candidats couverts par le Code. Ceci nécessite d’évaluer les candidats de façon individuelle, mais aussi de tenir compte de l’expérience non canadienne et des autres qualifications.

La procédure adoptée pour évaluer et réaliser l’adaptation est aussi importante que la teneur réelle de l’adaptation. Voici quelques-unes des questions à prendre en compte :

  • La personne responsable de l’adaptation a-t-elle cherché des solutions de remplacement qui n’ont pas d’effet discriminatoire?
  • Pourquoi des solutions de remplacement viables n’ont-elles pas été mises en œuvre?
  • Est-il possible d’établir des normes distinctes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?
  • Les objectifs légitimes de l’organisme peuvent-ils être atteints d’une manière moins discriminatoire?
  • La norme est-elle conçue pour s’assurer que le niveau de compétence requis est atteint sans qu’un fardeau injustifié soit imposé aux personnes visées?
  • Toutes les personnes qui sont tenues de participer à la recherche de mesures d’adaptation ont-elles joué leur rôle[27]?

Les décisions en matière de recrutement, de sélection, d’embauche et d’accréditation ne doivent pas se fonder sur des stéréotypes[28] visant les candidats ou sur des idées préconçues quant à la qualité de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger. Il ne faut pas que les employeurs et les organismes de réglementation considèrent que l’absence d’expérience de travail au Canada équivaut, par exemple, à une expérience professionnelle négative ou à un avis négatif de la part d’un employeur. La tendance des employeurs à dévaluer l’expérience professionnelle acquise à l’étranger est un point essentiel qui se retrouve dans de nombreuses réponses à l’enquête de la CODP. Voici les propos d’un répondant :

On commence par me demander si j’ai une expérience canadienne ou, dans le pire des cas, si j’ai une expérience en Ontario. Aucun de mes autres antécédents professionnels ne compte… D’une certaine façon, on me force à tout recommencer à zéro et c’est ici que je dois acquérir toute mon expérience…

Si un candidat n’a pas d’expérience canadienne pour des raisons liées à un motif prévu au Code, il faut que les employeurs et les organismes de réglementation examinent les autres renseignements disponibles afin d’effectuer une évaluation raisonnable et équitable[29].

Les candidats doivent être évalués de façon individuelle, au lieu d’être exclus à l’issue d’une présélection fondée sur des règles générales. Les tribunaux qui se sont penchés sur l’accréditation des professionnels étrangers ont appliqué la méthode décrite dans l’arrêt Meiorin et ont conclu que les normes d’évaluation sont établies de bonne foi, quand elles se fondent sur des évaluations individuelles tenant compte de la formation effectivement reçue plutôt que sur des idées préconçues relatives à la supériorité de la formation au Canada[30].

Toute l’expérience professionnelle antérieure doit être évaluée, quel que soit le lieu où elle a été acquise. Il faut que les employeurs recherchent des qualifications liées à l’emploi (par exemple la capacité de planifier un projet et de le mener à bien dans les délais impartis ou celle de maîtriser les lois et les normes industrielles canadiennes). Les candidats doivent avoir la possibilité de prouver qu’ils possèdent une expérience et des compétences pertinentes de différentes façons. La question essentielle est de savoir si le candidat est qualifié pour occuper le poste proposé.

Exemple : Au lieu d’imposer une exigence générale d’expérience canadienne aux candidats ou d’exiger qu’ils aient tissé des liens d’affaires au plan local avant leur recrutement, une agence de publicité leur donne la possibilité de démontrer qu’ils sont capables de réaliser des affaires.

Exemple : Au lieu d’exiger que tous les candidats formés à l’étranger effectuent un stage pratique d’une durée de deux ans pour obtenir une désignation professionnelle, un organisme de réglementation donne aux candidats la possibilité de prouver leurs compétences et connaissances techniques en passant un test pratique axé sur les compétences.

Cette approche est conforme à la jurisprudence en matière d’évaluation des titres de compétences des professionnels formés à l’étranger. Dans la Décision Bitonti c. British Columbia (Ministry of Health), qui a été rendue dans une affaire portant sur les qualifications des diplômés internationaux en médecine, le tribunal a reconnu qu’il est important de mettre en place un mécanisme permettant aux diplômés de faire « évaluer leurs compétences en fonction du mérite et non d’idées préconçues, ainsi que de participer à un processus de sélection équitable » [traduction libre], et ce, au même
titre que les diplômés des écoles de médecine canadiennes[31]. Le tribunal a jugé problématique que les candidats n’aient pas « la capacité de démontrer l’équivalence de leurs qualifications[32] » [traduction libre].

Les processus décisionnels relatifs au recrutement ou à l’accréditation doivent être aussi transparents que possible. À titre d’exemple, il faut indiquer clairement dans les annonces d’emploi quelle expérience professionnelle et quelles compétences spécifiques sont exigées pour chacune des fonctions du poste, et les qualifications requises doivent avoir un lien avec le poste. Les candidats à l’emploi doivent avoir la possibilité de prouver leurs capacités lors d’une entrevue, voire dans le cadre d’une simulation de travail.

Les employeurs refusant régulièrement de recruter des personnes désignées par des motifs spécifiques prévus au Code peuvent être motivés par des attitudes négatives, des préjugés et/ou des stéréotypes. Dans le domaine de l’emploi, les agissements fondés sur des stéréotypes discriminatoires contreviennent au Code. Les employeurs doivent appuyer le processus de sélection des candidats sur des critères objectifs et normalisés afin d’éviter le plus possible que la discrimination entre en jeu. À titre d’exemple, les évaluations visant à déterminer si une personne est en mesure de « s’intégrer » à la culture d’une société ou d’un organisme ouvrent la porte à des préjugés et à des stéréotypes culturels qui sont susceptibles d’influer sur les décisions et d’exclure des personnes protégées par le Code. Un employeur qui reçoit plusieurs candidatures doit être en mesure d’expliquer son mode de sélection[33].

Il incombe à l’employeur ou à l’organisme de réglementation d’apporter la preuve qu’une exigence d’expérience de travail au Canada est établie de bonne foi et de façon raisonnable. Pour ce faire, il est indispensable de démontrer que l’on a adopté une approche souple pour évaluer les autres types d’expérience du candidat et en estimer la pertinence vis-à-vis des autres exigences.


[21] Jean Lock Kunz, et coll., « Inégalité d’accès : profil des différences entre les groupes ethnoculturels canadiens dans les domaines de l’emploi, du revenu et de l’éducation », p. 32, disponible en ligne à : www.crrf-fcrr.ca/images/stories/pdf/unequal/Frefin.pdf (date de consultation : 7 juin 2012).

[22]Dans une étude récente visant à déterminer pourquoi les immigrants admis au Canada en raison de leur compétence continuent d’éprouver des difficultés sur le marché du travail, des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique ont constaté que les personnes dont le curriculum vitæ comporte un nom à consonance anglophone obtiennent plus souvent des demandes d’entrevue que les candidats ayant un nom chinois, indien ou pakistanais (dans une proportion s’élevant à 40 p. 100). L’auteur de l’étude tire la conclusion suivante : « Dans l’ensemble, les résultats donnent à penser que les employeurs font preuve d’une discrimination considérable à l’égard des candidats ayant un nom à consonance ethnique ou une expérience acquise dans des sociétés étrangères »[traduction libre]. Voir Oreopoulos, plus haut à la note 11, p. 6.

[23] Izumi Sakamoto, et coll., « “Canadian Experience,” Employment Challenges, and Skilled Immigrants: A Close Look Through “Tacit Knowledge” », 2010; disponible en ligne à : www.beyondcanadianexperience.com/sites/default/files/csw-sakamoto.pdf (date de consultation : 
19 mars 2013).

[24]À une époque marquée par le perfectionnement des communications internationales, la technologie moderne offre de multiples possibilités aux employeurs et aux autres intervenants pour consulter ou vérifier rapidement et facilement les diplômes ou les titres de compétences que les candidats ont acquis à l’étranger.

[25]Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU [ci-après l’« arrêt Meiorin »], [1999] 3 R.C.S. 3.

[26]Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [ci-après l’« arrêt Grismer »], [1999] 3 R.C.S. 868, paragr. 19.

[27]Idem.

[28]Le stéréotypage peut être décrit comme un processus dans le cadre duquel des catégories sociales telles que la race, la couleur, l’origine ethnique, le lieu d’origine, etc. sont utilisées pour obtenir, traiter et mémoriser des renseignements sur d’autres personnes. Le stéréotypage consiste habituellement à attribuer les mêmes caractéristiques à tous les membres d’un groupe, sans tenir compte de leurs différences individuelles. Ce procédé se fonde souvent sur des idées fausses, une information incomplète et/ou des généralisations erronées.

[29]Cette stratégie est conforme à l’approche adoptée dans la Décision Ahmed c. 177061 Canada Ltd. (2002), 43 C.H.R.R. D/379 (Commission d’enquête de l’Ontario), qui stipule, dans le domaine du logement locatif, que le fait de prendre en compte l’absence d’antécédents de location de façon équivalente à des antécédents négatifs constitue une discrimination, dans la mesure où l’absence d’antécédents de location est liée à un motif prévu au Code, comme c’est le cas pour les nouveaux arrivants, les réfugiés et d’autres personnes.

[30]White c. National Committee on Accreditation, 2010 HRTO 1888 (CanLII).

[31]Bitonti c. British Columbia (Ministry of Health) (No. 3) (1999), 36 C.H.R.R. D/263, paragr. 381.

[32]Idem,paragr. 235.

[33]Voir les conclusions du tribunal dans la Décision Lasani c. Ontario (ministère des Services sociaux et communautaires)(No. 2) (1993), 21 C.H.R.R. D/415 (Commission d’enquête de l’Ontario), au paragraphe 54 : « Je suis entièrement d’accord avec le point de vue de la Commission : lorsque le préjugé ethnique est une réalité, même secrète et non admise, la commission d’enquête doit examiner attentivement les explications qu’on donne du défaut d’embaucher ou d’octroyer une promotion à des membres de communautés ethniques qui sont autrement qualifiés pour un poste, mais ne sont ni engagés ni promus » [traduction libre].

 

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