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Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne concernant l’appel de mémoires du ministère du Solliciteur général pour la modernisation du cadre réglementaire des fouilles de personnes incarcérées aux établissements correctionnels pour adul

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31 octobre 2022

 

Introduction

Le 29 septembre 2022, le ministère du Solliciteur général de l’Ontario a annoncé sa proposition de création d’un cadre réglementaire actualisé en vertu de la Loi sur le ministère des Services correctionnels concernant la fouille à nu des personnes incarcérées aux établissements correctionnels pour adultes de l’Ontario.

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) appuie la décision de l’Ontario visant à agir afin de mieux réglementer la fouille à nu dans ses établissements correctionnels.

Depuis des décennies, des tribunaux, des autorités internationales et des experts du pays conviennent que la fouille à nu est foncièrement dégradante, humiliante et traumatisante. La fouille à nu peut causer un préjudice irréparable, en particulier pour les femmes, les personnes ayant une déficience mentale, les personnes noires et autochtones, ainsi que les membres de la communauté LGBT2SQ+.

En 2017, le conseiller indépendant pour la réforme des services correctionnels de l’Ontario a découvert que le droit de l’Ontario ne fournit pas de limites explicites envers la fouille à nu et qu’il est extrêmement vaste par rapport aux autres provinces et territoires.

La CODP se réjouit de l’occasion de présenter des mémoires sur cette question. La CODP recommande que l’Ontario :

  1. impose des limites strictes quant au moment de mener une fouille à nu;
  2. fournisse des définitions, politiques et procédures détaillées en matière de fouille à nu;
  3. détermine des mesures de protection quant à la procédure des fouilles à nu;
  4. exige de la formation pour s’assurer que le personnel correctionnel comprend la nécessité de minimiser les fouilles à nu et la manière à laquelle elles sont effectuées;
  5. accroisse l’accès aux programmes de réadaptation et à la consultation tenant compte des traumatismes;
  6. mette en place des mesures de reddition de comptes.

 

A. La Commission ontarienne des droits de la personne

La CODP est un organisme des droits de la personne créé par la loi en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) qui a la responsabilité de promouvoir et faire progresser les droits de la personne, en plus d’empêcher les pratiques discriminatoires en Ontario.

Les mémoires de la CODP sont fondés sur de nombreuses années de travail acharné à plaider que les pratiques correctionnelles de l’Ontario doivent respecter les obligations de l’État en vertu du Code, de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et du droit international. La CODP est reconnue sur le plan international en tant que spécialiste des politiques correctionnelles et a agi en tant qu’expert examinateur pour les lignes directrices « Mental Health in Prison: A short guide for prison staff » (La santré mentale en prison : un guide abrégé à l’intention du personnel des prisons) de l’organisme Penal Reform International.

 

B. Préjudices particuliers pour les groupes protégés par le Code

Bien que des tribunaux et chercheurs aient toujours reconnu les effets néfastes de la fouille à nu sur l’ensemble des gens, ces préjudices sont subis de manière disproportionnée par les groupes protégés par le Code, dont les personnes ayant une déficience mentale, les femmes, les Autochtones, les personnes noires et les personnes transgenres. La fouille à nu peut avoir une incidence négative disproportionnée en raison des antécédents de traumatisme des membres de ces groupes et du fait que la discrimination systémique entraîne plus de contacts avec la police et les agents correctionnels.

On reconnaît invariablement que les aspects du système de justice pénale qui autorisent ce pouvoir discrétionnaire ont une incidence disproportionnée sur les groupes vulnérables et marginalisés[1].

En reconnaissant la nature foncièrement humiliante et dégradante de la fouille à nu, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Golden, a déterminé le risque et la portée accrus en matière de préjudice de ces pratiques sur les femmes et les autres groupes protégés par le Code, qui « [peuvent] vivre de telles fouilles comme une expérience équivalant à une agression sexuelle ».[2] La Cour suprême reconnaît également que « [sur] le plan psychologique, les fouilles à nu peuvent être particulièrement traumatisantes pour les personnes qui ont déjà subi des agressions ».[3]

Dans le même ordre d’idées, le Bureau de l’enquêteur correctionnel fédéral reconnaît que l’expérience de traumatisme et d’abus fait en sorte que la fouille à nu de routine puisse s’avérer troublante, en plus de « déclencher des traumatismes antérieurs et d’accroître les symptômes et les comportements connexes », en particulier chez les femmes[4].

Les personnes transgenres peuvent également subir des préjudices différents et disproportionnés découlant de la fouille à nu[5].

En Ontario, le conseiller indépendant pour la réforme des services correctionnels de l’Ontario a déclaré en 2017 que les personnes incarcérées dans des établissements correctionnels provinciaux étaient soumises à des fouilles à nu de routine dans de nombreuses circonstances, y compris chaque fois qu’une personne était placée en isolement et que « bon nombre des fouilles à nu de routine prescrites en Ontario étendent cette autorisation de fouille à des situations qui dépassent largement celles ayant lieu dans le reste du Canada »[6].

 

C. Recommandations

1. Imposer des limites strictes quant au moment de mener une fouille à nu

La fouille à nu entraîne un préjudice à toutes les personnes, et un préjudice disproportionné aux membres des groupes protégés par le Code. Étant donné cette réalité, le cadre réglementaire de l’Ontario en matière de fouille à nu doit s’appuyer sur la réduction au minimum de son utilisation dans tous les cas.

Dans la plupart des cas, sinon tous les cas, la fouille à nu doit être menée uniquement lorsque fondée sur des motifs raisonnables et probables. La CODP sait que de nombreux groupes demandent l’élimination de l’ensemble des fouilles à nu « de routine » aux établissements correctionnels de l’Ontario. La CODP appuie cet objectif.

Dans la mesure où, dans des situations particulières, l’Ontario est d’avis que les préoccupations en matière de sécurité nécessitent une fouille à nu sans motif raisonnable et probable individualisé, la province doit démontrer ce besoin. Bien que des tribunaux aient reconnu les besoins uniques en matière de sécurité des établissements correctionnels, ils ont également souligné l’utilisation excessive de politiques qui nécessitent des fouilles à nu « de routine » fréquentes.[7] Étant donné les technologies de balayage corporel utilisées pour fouiller les personnes et la nécessité d’équilibrer les risques pour la sûreté et la sécurité par les droits du Code et de la Charte, il ne doit pas y avoir de démarche « universelle » lors de l’entrée aux établissements correctionnels. La fouille à nu de détenus individuels ne doit jamais être « de routine ».

Des motifs raisonnables peuvent découler d’un risque déterminé tel que des renseignements, un comportement observé ou une détection positive de contrebande après l’utilisation de technologies et dispositifs de fouille de rechange.

 

2. Fournir des définitions, politiques et procédures détaillées en matière de fouille à nu

Pour s’assurer que la fouille à nu est minimisée, la CODP recommande que l’Ontario adopte un cadre détaillé régissant l’usage et la consignation des fouilles à nu.

Dans son rapport de mars 2019, Breaking the Golden Rule, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) a examiné la pratique des fouilles à nu par le corps policier de l’Ontario et a formulé 50 recommandations visant à réduire et réglementer l’usage de ces pratiques[8]. La plupart des recommandations peuvent et doivent être adoptées au sein du système correctionnel, avec une seule petite modification.

Pour minimiser l’isolement, l’Ontario doit établir une définition claire de la fouille à nu conforme à celle de la Cour suprême du Canada dans R. c. Golden, soit :

« […] action d’enlever ou de déplacer en totalité ou en partie les vêtements d’une personne afin de permettre l’inspection visuelle de ses parties intimes, à savoir ses organes génitaux externes, ses fesses, ses seins (dans le cas d’une femme) ou ses sous‑vêtements. »[9]

Une telle définition doit établir une distinction claire entre la fouille à nu et d’autres formes de fouilles plus ou moins intrusives (telles que la fouille sommaire et l’examen des cavités corporelles).

En fonction de cette définition, l’Ontario doit s’assurer que chaque fouille à nu menée par le personnel correctionnel est consignée au complet, puis signalée par la diffusion publique des données.

Lors de la consignation des fouilles à nu, les règles et règlements doivent garantir que les circonstances de la fouille à nu sont consignées au complet, y compris la race et le genre de la personne fouillée, ainsi que sa croyance et sa déficience physique ou mentale, le cas échéant.

L’Ontario doit utiliser ces renseignements pour garder des statistiques précises quant au nombre de personnes fouillées à nu, la manière à laquelle elles sont fouillées et la justification de ces fouilles.[10]

Ces statistiques doivent être déclarées publiquement tous les ans, en comprenant les données ventilées sur la race, le genre, la croyance et la déficience physique ou mentale des personnes fouillées à nu.[11]

 

3. Déterminer des mesures de protection quant à la procédure des fouilles à nu

Dans le but de protéger les droits des détenus et d’assurer la conformité au Code, la CODP recommande que la procédure des fouilles à nu soit réglementée et consignée avec rigueur.

Encore une fois, la CODP estime que bon nombre des recommandations déterminées par le BDIEP dans son rapport de 2019 peuvent et doivent être adoptées au sein du système correctionnel.

En particulier, la CODP recommande que la fouille à nu aux établissements correctionnels soit réalisée d’une manière qui limite autant que possible sa nature dégradante, ce qui comprend des politiques, procédures et lignes directrices claires pour s’assurer que :

  1. la fouille à nu est menée dans un lieu déterminé privé au sein de l’établissement correctionnel[12];
  2. la fouille sommaire ou avec lecteur optique manuel est utilisée chaque fois que c’est possible pour éviter la nécessité d’une fouille à nu[13]:
  3. la fouille à nu est préautorisée par écrit par le directeur[14];
  4. la fouille à nu est menée par un membre du personnel du même genre que la personne fouillée, à moins de circonstances particulières associées à l’auto‑identification vis-à-vis de son genre nécessitant une démarche différente, comme le potentiel que des agents de genres différents fouillent des parties différentes de son corps[15];
  5. la fouille à nu est menée par au plus deux agents, à moins de préoccupations extraordinaires quant à la sécurité nécessitant la présence d’autres personnes dans les environs[16];
  6. la fouille à nu est menée, lorsque c’est possible, par des agents qui n’ont pas réalisé la détermination initiale qu’il existe des motifs raisonnables et probables de la réaliser[17];
  7. la personne fouillée à nu décide si elle retire elle-même ses vêtements et sa décision est consignée[18];
  8. le retrait des vêtements lors d’une fouille se fait par étapes et la personne fouillée n’est jamais complètement nue (et cette information est consignée)[19];
  9. la fouille à nu est menée de manière visuelle au lieu de comprendre un contact physique et tout contact physique est documenté avec exactitude[20];
  10. la fouille à nu s’adapte à la croyance de la personne[21];
  11. la fouille à nu s’adapte aux besoins des personnes en situation de handicap[22];
  12. en présence de motifs raisonnables de croire à une ingestion de drogue/médicament, on considère des options moins intrusives que la fouille à nu.

 

4. Exiger de la formation pour s’assurer que le personnel correctionnel comprend la nécessité de minimiser les fouilles à nu et la manière à laquelle elles sont effectuées

Dans le but d’atteindre l’objectif de réduction au minimum de la fouille à nu et pour veiller à ce que les fouilles nécessaires soient menées d’une manière qui respecte la dignité et les droits de la personne fouillée, l’Ontario doit veiller à ce que le personnel reçoive une formation complète.

La formation doit être conçue pour s’assurer que le personnel correctionnel connaît et peut mettre en œuvre :

  1. les règles, les critères et la jurisprudence qui limitent les fouilles à nu;
  2. les règles et les critères pour réaliser une fouille à nu;
  3. les règles et les critères pour la consignation intégrale d’une fouille à nu;

De plus, il faut prendre les dispositions nécessaires pour veiller à ce qu’on puisse associer la formation conçue et fournie au personnel correctionnel à des constatations mesurables.

 

5. Accroître l’accès aux programmes de réadaptation et à la consultation tenant compte des traumatismes

Si l’Ontario souhaite justifier la fouille à nu par la nécessité d’empêcher l’importation de contrebande dans les établissements, en particulier les stupéfiants, la CODP recommande que l’Ontario agisse pour aborder les causes qui contribuent à la hausse de la consommation de stupéfiants. L’Ontario doit saisir cette occasion pour mettre en œuvre et accroître son soutien envers les programmes de santé mentale et de dépendance, et ce, dans le but de réduire la dépendance aux drogues et médicaments, de même que le comportement autodestructeur.

De plus, en raison des risques de la fouille à nu pour les groupes protégés par le Code, la CODP recommande que l’Ontario fournisse les ressources et mesures de soutien nécessaires pour veiller à ce que des programmes de réadaptation adaptés au genre et fondés sur des données probantes soient planifiés de façon périodique et accessibles en tout temps dans chaque établissement, en fonction des évaluations individualisées des besoins et des risques.

 

6. Mettre en place des mesures de reddition de comptes

Au bout du compte, pour que l’Ontario atteigne son objectif de rendre ses pratiques conformes sur le plan constitutionnel et aborde les préjudices causés par la fouille à nu dans ses établissements correctionnels, la province doit adopter une certaine forme de surveillance indépendante du système correctionnel dans son ensemble.

Cette surveillance est nécessaire pour assurer le respect des restrictions en matière de fouille à nu et veiller à ce qu’il y ait quelqu’un en mesure de surveiller avec efficacité les conditions sur place, ainsi que de recueillir et d’évaluer les données, et ce, pour que l’État et la population puissent savoir si les politiques correctionnelles sont mises en œuvre de manière efficace.

Dans le même ordre d’idées, le rapport final de l’examinateur indépendant dans le règlement de l’affaire Jahn souligne qu’une surveillance externe doit aborder les préoccupations dans l’ensemble du système, dont le traitement des détenus ayant une déficience mentale, de même que la collecte et l’analyse des données sur les droits de la personne.

Il est essentiel d’établir un organisme de surveillance indépendant afin de protéger les droits des détenus en vertu du Code et de la Charte et de rassurer la population que l’Ontario fait tout en son pouvoir pour administrer le système correctionnel d’une manière juste, bienveillante et efficace.

Bien que l’Ontario puisse être d’avis qu’établir un organisme de surveillance correctionnelle indépendant se trouve au-delà de son pouvoir de réglementation, l’expérience démontre qu’en milieu correctionnel, on ne peut pas s’attendre à ce que les changements réglementaires soient réellement efficaces sans une telle surveillance. En conséquence, l’Ontario doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre un système de surveillance indépendant, qu’il soit réglementaire ou législatif.

 

 

[1] Voir par exemple United States v Leonard, 2012 ONCA 622 au paragraphe 86.

[2] R. c. Golden, 2001 CSC 83 au paragraphe 90.

[3] Golden, précité au paragraphe 90.

[4] Bureau de l’enquêteur correctionnel (Canada), Rapport annuel 2018-2019.

[5] Forrester v Peel (Regional Municipality) Police Services Board et al., 2006 HRTO 13.

[6] Examen indépendant des Services correctionnels de l’Ontario, Services correctionnels de l’Ontario : Axes de réforme (2017), p. 26.

[7] Golden, précité au paragraphe 96; R v Clarke, 2003 CanLII 64244 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) au paragraphe 110; R v AB, 2003 CanLII 35574 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) aux paragraphes 30 et 31; R v Madray, 2013 ONSC 5364 aux paragraphes 73 à 80.

[8] Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police, Breaking the Golden Rule (mars 2019).

[9] Golden, précité au paragraphe 47. Voir également Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 15.

[10] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 2.

[11] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 4.

[12] Voir Breaking the Golden Rule, précité aux recommandations 22 et 32.

[13] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 24.

[14] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 25.

[15] Voir Breaking the Golden Rule, précité aux recommandations 26 et 27.

[16] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 28.

[17] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 28.

[18] Voir Breaking the Golden Rule, précité aux recommandations 29 et 30.

[19] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 34.

[20] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 36.

[21] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 44.

[22] Voir Breaking the Golden Rule, précité à la recommandation 46.