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Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne à l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario relativement aux ébauches de politiques sur l’établissement et l’interruption de la relation médecin-patient

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[∗]Le 14 février 2008

La Commission ontarienne des droits de la personne (la « Commission ») présente ce mémoire en réponse au dépôt des ébauches de politique : Establishing a Physician-Patient Relationship (établissement d’une relation médecin-patient) et Ending the Physician-Patient Relationship (interruption de la relation médecin-patient). La Commission félicite l’Ordre d’avoir pris des mesures en vue de donner suite aux préoccupations soulevées à l’égard d’une variété de pratiques des médecins.

La Commission est consciente des difficultés auxquelles se heurtent les médecins qui tentent de concilier pratique médicale et vie privée à une époque où d’énormes pressions sont exercées sur l’ensemble du réseau de soins de santé.

Comme le sait l’Ordre, l’article 1 du Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code ») stipule ce qui suit :

« Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d’installations, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap. »[1]

Ces garanties et les autres mesures de protection prévues dans le Code sont fondées sur des principes généraux de droit de la personne qui visent à créer un climat propice à la reconnaissance de la dignité et de la valeur de chaque personne et à sa pleine participation à la vie en société.

Tout manquement à l’obligation de respecter la dignité d’une personne ou d’assurer son accès égal à des services de santé relativement à l’un ou l’autre des motifs énoncés constitue une violation du Code et peut faire l’objet d’une plainte liée aux droits de la personne. Cela inclut toute décision relative à l’établissement d’une relation médecin-patient, toute interaction, toute décision relative aux soins prodigués et toute décision relative à la communication d’information ou à l’aiguillage.

Par le passé, la Commission a été avisée des préoccupations et reçu les plaintes de la collectivité concernant une variété de pratiques relatives à la sélection et au traitement de patients, comme le recours à des questionnaires et entrevues, le refus de prendre pour patient ou d’offrir certains services sur la base de convictions personnelles à l’égard de patients individuels ou de groupes de patients et l’interruption de la relation médecin-patient. Un bon nombre des situations rapportées ont trait à des motifs interdits par le Code et supposent l’existence de pratiques discriminatoires. Par conséquent, la Commission est heureuse de pouvoir commenter les ébauches de politiques de l’Ordre.

La Commission est d’accord avec l’Ordre que les organisations doivent élaborer des politiques rigoureuses, basées sur le Code. Ces politiques devraient sensibiliser la population aux obligations prévues par le Code et y faire référence. Elles devraient aussi favoriser le respect du Code et aborder toutes les situations de discrimination et de harcèlement présentes au sein de l'organisation et de son secteur d’activités. La Commission est donc heureuse de constater que les ébauches de politique mentionnent le Code et dressent la liste des motifs de discrimination interdits dans le contexte de la prestation de services. Vu la discrimination considérable et continue à laquelle font face les personnes transgenres et les personnes perçues comme ayant une identité de genre différente de leur sexe anatomique,[2] nous suggérons à l’Ordre de préciser que les protections relatives au sexe prévues dans le Code englobent également l’identité et l’expression sexuelles.

En ce qui a trait à l’ébauche de politique sur l’interruption de la relation médecin-patient, la Commission apprécie le renvoi au Code figurant aux lignes 46 et 109, et l’énumération des motifs du Code dans la note en bas de page liée à la première de ces deux sections. La Commission n’a aucune autre observation importante à faire. En revanche, l’ébauche de politique sur l’établissement de la relation médecin-patient soulève de l’avis de la Commission des préoccupations considérables. Nous aimerions donc profiter de l’occasion pour exposer en détail les effets potentiellement discriminatoires de certaines composantes de l’ébauche de politique et recommander des modifications à apporter pour résoudre ces questions.

Observations relatives à l’ébauche de politique sur l’établissement de la relation médecin-patient

La Commission est ravie de la priorité accordée, dans l’ébauche de politique, aux motifs prévus dans le Code et au concept de discrimination. Il s’agit de composantes importantes de la politique qui pourraient être mieux intégrées à l’ensemble du document afin de prévenir l’adoption consciente ou inconsciente de comportements contraires au Code par les médecins.

Comme l’Ordre l’a indiqué aux lignes 35 à 41 de l’ébauche de politique, le fait de ne pas fournir un accès égal à des services de santé constitue une violation du Code et peut faire l’objet d’une plainte liée aux droits de la personne. Cela inclut toute décision relative à l’établissement d’une relation médecin-patient, toute interaction, toute décision relative aux soins prodigués et toute décision relative à la communication d’information ou à l’aiguillage.

Les préoccupations de la Commission portent sur le traitement réservé dans l’ébauche de politique aux décisions discrétionnaires des médecins relativement à la prise en charge de patients et à la prestation de soins. Dans sa forme actuelle, l’ébauche de politique pourrait donner l’impression d’avaliser certaines pratiques que la Commission juge discriminatoires et ainsi créer de la confusion et mener au dépôt de plaintes liées aux droits de la personne. Parmi les sources de préoccupation figurent en particulier :

  • la décision de déclarer une pratique « ouverte » ou « fermée »
  • la prise en charge de patients malgré que la pratique soit « fermée »
  • les notions de « sélection des patients » et de « portée », d’« équilibre » ou d’« orientation » de la pratique
  • la prise en charge de patients sur la base de considérations de temps
  • la notion de « compétences cliniques » nécessaires pour prodiguer des soins
  • le refus de prodiguer généralement des services ou de fournir des renseignements particuliers sur la santé sur la base de convictions religieuses ou morales personnelles.

L’établissement d’un pouvoir discrétionnaire est problématique en ce que les options entourant l’usage de discrétion ouvrent la porte à des approches discriminatoires. L’approche du « premier arrivé, premier servi », telle que l’Ordre la présente aux lignes 66 et 67, constitue le seul moyen d’éviter complètement les risques de discrimination. Si l’Ordre obligeait clairement les médecins à utiliser cette approche, nous éviterions de nombreuses pratiques discriminatoires.

Les observations qui suivent précisent comment les pratiques discrétionnaires peuvent s’avérer discriminatoires. Elles examinent également plus en détail comment l’Ordre, à défaut d’éliminer totalement le pouvoir discrétionnaire des médecins, pourrait le définir plus adéquatement afin d’éviter de tolérer des pratiques discriminatoires.

Pratique « ouverte » ou « fermée »

Si un ou une médecin de famille a une pratique ouverte (telle que le décrivent les lignes 21 à 27), cette pratique devrait être ouverte à tous et toutes. Cependant, l’ébauche de politique permet un degré considérable de « discrétion » selon la « portée » et l’« équilibre » de la pratique, et le temps dont dispose le ou la médecin pour prodiguer des soins. La version finale de la politique de l’Ordre doit fournir des indications claires à cet égard afin de limiter le pouvoir discrétionnaire et de prévenir les risques de discrimination au sens de la Loi.

Considérations de temps

Si un ou une médecin ne dispose pas du temps nécessaire pour prodiguer des soins à un patient ou à une patiente quelconque, la version finale de la politique devrait clairement indiquer que la pratique de ce ou cette médecin devrait, en fait, être déclarée « fermée », c’est-à-dire qu’il ou elle ne devrait pas accepter de nouveaux patients. Sinon, le fait de permettre à un ou une médecin de déclarer sa pratique « ouverte » et de sélectionner ses patients éventuels en tenant compte du temps requis pour leur prodiguer des soins mènera vraisemblablement à des cas de discrimination basée sur la nature du handicap et la complexité des soins requis. Par exemple :

Une mère et son fils adulte, qui est à sa charge en raison d’un handicap, se présentent chez une médecin pour passer l’entrevue requise afin d’être acceptés à titre de nouveaux patients. La dame demande à la médecin si elle fait des visites à domicile. La médecin indique qu’elle n’en fait pas et refuse d’accepter l’homme à titre de patient, et ce, même si la dame affirme que son fils a accès à des soins à domicile substituts au besoin et qu’elle ou une autre soignante peut l’accompagner à ses consultations médicales. Lorsque la médecin persiste à refuser de prendre le fils en charge, la dame se fâche. La médecin décide que sa réaction est excessive et la refuse également à titre de patiente.

Comme l’illustre cet exemple, la discrimination fondée sur le handicap touche également, par association, les personnes qui prodiguent des soins à des enfants et des adultes handicapés refusés à titre de patients en raison de considérations de temps. En outre, il est raisonnable de croire qu’une personne convoquée à une rencontre avec un ou une médecin s’attendra à ce qu’il s’agisse du début de la relation de soins. Les entrevues de sélection peuvent également supposer des risques de discrimination fondée sur d’autres motifs visibles énoncés dans le Code, dont la race, la religion et la couleur. Enfin, cet exemple montre aussi que la discrimination peut bouleverser les personnes qui en sont victimes, et que leur réactions doivent être interprétées dans ce contexte.

Outre le fait qu’il est discriminatoire de sélectionner ses patients sur la base de la durée réelle ou perçue des soins à prodiguer, chez les personnes âgées par exemple, il faut noter qu’il est très difficile de prédire le temps requis pour soigner une personne tout au long de sa vie. Par exemple, une patiente en santé qui demande peu de soins peut, un jour, devenir enceinte, être victime d’une collision ou développer une maladie invalidante. Par conséquent, l’estimation de la charge de cas future n’est pas utile pour limiter les contraintes de temps dont fait l’objet une pratique.

La Commission est d’accord avec le point de vue de l’Ordre, énoncé aux lignes 66 à 68 de l’ébauche de politique, selon lequel les patients qui désirent se joindre à une pratique ouverte devraient être acceptés sur la base du « premier arrivé premier servi ». S’il advenait qu’un patient ou qu’une patiente ayant des besoins importants en matière de soins se joigne à une pratique, le ou la médecin pourrait alors gérer les exigences en matière de temps imposées sur sa pratique en déclarant celle-ci « fermée ». En résumé, la Commission recommande à l’Ordre d’éliminer de l’ébauche de politique toute référence au fait qu’un ou une médecin ayant une pratique « ouverte » puisse refuser d’accepter un nouveau patient ou une nouvelle patiente sur la base du temps requis pour soigner cette personne.

Pouvoir discrétionnaire d’accepter un nouveau patient ou une nouvelle patiente malgré que la pratique soit déclarée fermée

L’ébauche de politique permet aux médecins d’accepter à leur discrétion un nouveau patient ou une nouvelle patiente malgré que leur pratique soit déclarée « fermée ». Ce pouvoir discrétionnaire devrait être clairement défini et délimité afin de prévenir l’utilisation continue de la désignation « fermée » pour augmenter le pouvoir discrétionnaire lié à la sélection des patients et peut-être faire preuve de discrimination.

Par exemple, le pouvoir discrétionnaire des médecins à ce chapitre pourrait se limiter à la prise en charge de nouveaux patients :

  • qui font partie de la famille immédiate du ou de la médecin ou des autres médecins ou membres du personnel de la pratique, ou qui font partie de la famille du ou de la médecin ou des autres médecins ou membres du personnel de la pratique et ont avec cette personne une relation de dépendance ou de soins;
  • qui font partie de la famille immédiate d’un ou d’une patiente actuel de la pratique et ont avec cette personne une relation de dépendance ou de soins;
  • qui ont un besoin urgent de soins et n’ont pas accès à une pratique « ouverte ».

Ce genre de circonscription du pouvoir discrétionnaire à certains critères spécifiques est en fait le type de clarification de la version finale de la politique susceptible d’offrir des indications plus claires aux médecins, d’assurer une meilleure transparence sur le plan de la prise de décisions discrétionnaires et de prévenir l’adoption de pratiques informelles de type « bouche-à-oreille » qui se sont avérées sources de discrimination dans d’autres contextes (comme l’emploi).[3]

« Sélection des patients » et « portée », « équilibre » ou « orientation » de la pratique

Dans l’ébauche de politique, les termes « portée », « équilibre » et « orientation » de la pratique sont intimement liés, et représentent tous des facteurs de « sélection des patients ». L’objectif visant à assurer l’« équilibre » entre le travail et la vie privée est compréhensible compte tenu des pressions exercées sur les médecins dans le contexte actuel. Cependant, dans sa discussion des notions de « portée », d’« équilibre » et d’« orientation » de la pratique, l’ébauche de politique ne définit pas clairement ce qui constitue des pratiques acceptables et non acceptables. Il est essentiel que l’Ordre examine sa façon d’aborder ces notions dans la version finale de la politique.

De l’avis de la Commission, la notion de « sélection des patients » est, en soi, très problématique puisqu’elle est fondée sur une notion de « choix » et est définie ainsi (aux lignes 29 à 31). Cela donne la fausse impression qu’il est acceptable pour les médecins de fonder leurs décisions sur une grande variété de préférences.

L’ébauche de politique ne définit pas les termes « portée » et « équilibre ». Dans le contexte de la « sélection des patients », ces termes permettent l’utilisation d’un pouvoir discrétionnaire et l’application de préférences potentiellement très discriminatoires relativement aux motifs du Code. Le degré de chevauchement ou de démarcation entre ces notions et la notion d’« orientation » n’est pas clairement établi.

Par exemple, les considérations d’« équilibre » décrites dans l’ébauche de politique semblent permettre aux médecins de refuser un patient ou une patiente éventuel sur la base d’une estimation du temps requis pour lui prodiguer les soins nécessaires. Or, ce facteur de sélection correspond bien évidemment au fait de choisir ses patients selon le degré ou la nature de leur handicap physique ou mental.

De l’avis de la Commission, ces termes invitent pratiquement à l’introduction de facteurs discriminatoires ou arbitraires au processus de sélection des patients. La Commission recommande donc à l’Ordre de retirer complètement les notions de « portée » et d’« équilibre » de la politique.

Lorsque la pratique d’un ou d’une médecin de famille a une certaine « orientation », par exemple la prestation de soins à une communauté sous-desservie ou la prestation de soins liés à un champ de connaissances spécialisées, l’ébauche de politique devrait stipuler que la nature et les motifs de cette « orientation » doivent être transparents, justifiables et clairement communiqués aux patients éventuels. L’ébauche devrait aussi faire une distinction claire entre « orientation » et « spécialisation médicale », et préciser les critères sur lesquels se fonde l’Ordre pour déterminer qu’il existe suffisamment de connaissances spécialisées pour justifier une « orientation ». Autrement dit, quel type de formation, d’accréditation ou d’expérience justifierait aux yeux de l’Ordre les pratiques sélectives d’un ou d’une médecin?

À cet égard, le Code (par. 14(1)) prévoit la mise en œuvre de programmes spéciaux destinés à alléger un préjudice ou à aider des groupes défavorisés à jouir de chances égales. Les médecins qui délimiteraient l’« orientation » de leur pratique d’une manière qui exclurait des personnes pour des motifs prévus dans le Code, sans pouvoir justifier l’« orientation » de leur pratique sur la base des besoins d’un groupe désigné ou de critères clairement établis et liés à des connaissances spéciales, pourraient agir en violation du Code.

Par exemple, un médecin dont la pratique est axée sur le traitement et le soutien des patients ayant un diagnostic de séropositivité pourrait bien avoir une « orientation » constituant également un programme spécial aux termes du paragraphe 14(1) du Code. Une telle personne se spécialise dans le traitement de personnes désignées sur la base d’un motif prévu dans le Code. Ce genre d’« orientation » est acceptable.

En revanche, un ou une médecin qui aurait une pratique axée sur le « mieux-être » et n’accepterait que des patients actuellement en santé ou des athlètes de haut niveau ne fournirait pas de « programme spécial ». Ce type d’orientation exclut les personnes ayant un handicap physique ou mental.

La politique devrait clairement stipuler que si l’orientation de la pratique ne vise pas à améliorer l’état d’un groupe désigné sur la base d’un motif prévu dans le Code, cette orientation n’est pas un motif acceptable de refus d’un patient ou d’une patiente.

« Compétences cliniques » liées à la prestation de soins

La Commission ne voudrait qu’un ou une médecin assume la responsabilité de prodiguer des soins lorsqu’il ou elle n’a pas les compétences cliniques nécessaires pour le faire. Cependant, l’ébauche de politique doit délimiter clairement la notion de « compétences cliniques ». La position de la Commission à cet égard est essentiellement que toute personne possédant une formation de médecin de famille devrait être en mesure de prodiguer des soins de base à n’importe quel patient ou n’importe quelle patiente. Le ou la médecin de famille peut ne pas avoir les compétences cliniques nécessaires pour satisfaire tous les besoins de ses patients ayant des pathologies complexes ou multiples. À titre de fournisseur de services de première ligne, il ou elle doit cependant offrir des soins de base et aiguiller le patient ou la patiente vers un ou plusieurs spécialistes. À moins que le permis d’exercer du ou de la médecin ne soit assorti de conditions l’empêchant de soigner des personnes spécifiques, la Commission ne voit presque aucune justification possible au recours aux « compétences cliniques » pour expliquer le refus d’accepter de prendre en charge un patient ou une patiente donné.

Des personnes ont fait part à la Commission de leurs préoccupations envers le fait que le refus de médecins d’accepter certains patients, bien que justifié par le manque de compétences cliniques, soit en fait fondé sur un préjugé à l’égard de la personne ou un refus d’accepter un cas perçu comme étant « difficile » ou « exigeant » sur le plan du temps en raison de la nature des besoins médicaux réels ou imaginés. Par exemple :

Une femme transgenre se présente chez un médecin pour obtenir un service de base que le médecin offre habituellement. Le médecin lui répond : « je ne traite pas les gens comme vous », et lui refuse ses services. Il évoque la nécessité d’effectuer une évaluation psychiatrique, dont n’a en fait pas besoin la patiente.

Il doit exister un lien réel et démontrable entre, d’une part, le service de santé demandé ou les besoins en matière de soins rapportés au ou à la médecin et, de l’autre, le refus du ou de la médecin de fournir des services sur la base des « compétences cliniques », et ce lien doit tenir compte de la capacité du ou de la médecin d’aiguiller, au besoin, la personne vers des spécialistes. Si un ou une médecin de famille peut aiguiller une personne vers les spécialistes requis, les « compétences cliniques » ne doivent pas faire partie des motifs de refus de patients prévus dans la politique.

Il est important ici de considérer le critère qui a été élaboré par la Cour suprême du Canada et que doit satisfaire quiconque souhaite justifier le bien-fondé d’une règle, d’une politique ou d’une procédure discriminatoire. Dans Meiorin,[4] la Cour a déterminé qu’il doit être démontré qu’une telle règle :

  • a été adoptée dans un but rationnellement relié à l’exécution des fonctions;
  • a été adoptée honnêtement et de bonne foi, selon la conviction qu’elle est nécessaire pour atteindre le but relié à l’exécution des fonctions;
  • est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but relié à l’exécution des fonctions, en ce sens qu’il serait impossible de répondre aux besoins de la personne sans imposer une contrainte excessive.

Ce critère place la barre haute au regard de la satisfaction des besoins et expose l’objectif, les motifs et la justification de la règle ou de l’exclusion à un examen rigoureux.

Refus de fournir des services pour des motifs religieux ou moraux

La Commission a aussi été avisée de préoccupations et reçu des plaintes concernant le refus de fournir des services en général, de communiquer des renseignements particuliers sur la santé ou de prodiguer des soins spécifiques pour des motifs religieux ou moraux. La section de l’ébauche de politique intitulée Practice Limitations Based on the Physician’s Religious or Moral Beliefs (restriction de la pratique pour des motifs religieux ou moraux) soulève par conséquent de nombreuses questions. Cette section préoccupe la Commission, qui a reçu beaucoup de plaintes et de demandes d’information indiquant que les convictions religieuses et morales des fournisseurs de soins de santé peuvent avoir des effets discriminatoires sur les droits prévus dans le Code, dont les droits liés au sexe, à l’identité et l’orientation sexuelles, à l’état matrimonial et au handicap.

Nous ne devons pas oublier que la protection d’un droit ne peut se faire au mépris d’un second. Cette section de l’ébauche de politique met l’accent sur le droit du ou de la médecin au détriment de celui du patient ou de la patiente, limitant ce dernier au seul droit de choisir d’obtenir ailleurs les services requis. Cela ne reflète pas les principes et interprétations du Code, et équivaut à un refus d’offrir des services. Même si la liberté de religion doit jouir d’une interprétation large, il en va de même pour les droits à la non-discrimination, et les services habituellement prodigués au public doivent être offerts de façon non discriminatoire.

Si l’expression des convictions religieuses est essentielle aux autorités religieuses dans l’exercice de leurs fonctions, les fournisseurs de services laïques ne peuvent prétendre que l’exercice de leurs fonctions professionnelles relève de l’expression de leur convictions religieuses profondes.[5] Dans l’arrêté Trinity Western, la Cour suprême du Canada reconnaît aux fournisseurs de services publics l’obligation de faire abstraction de leurs opinions personnelles dans la prestation de leurs services. Par exemple, dans Hall c. Powers, un conseil scolaire catholique a dû permettre à un élève d’assister au bal de finissant accompagné de son petit ami. La Cour a jugé que le conseil avait le droit d’avoir une opinion défavorable de l’homosexualité, mais n’avait pas le droit d’exprimer cette opinion en posant un geste discriminatoire. Les quelques exceptions à cette règle, comme le droit du clergé de refuser de célébrer un mariage, sont précisés dans le Code.

La sanction du refus de prodiguer des soins de santé sur la base de convictions religieuses personnelles violerait le droit à l’égalité des personnes nécessitant ce service essentiel. Par exemple, le refus d’offrir des renseignements sur la contraception ou l’avortement ou des services liés à la contraception ou à l’avortement constituerait un cas de discrimination fondée sur le sexe, puisque les femmes sont les seules à pouvoir devenir enceintes. À ce propos, le paragraphe 10(2) du Code stipule que : « Le droit à un traitement égal sans discrimination fondée sur le sexe inclut le droit à un traitement égal sans discrimination fondée sur le fait qu’une femme est enceinte ou peut le devenir. »

Le Code prévoit des accommodements en vue de protéger les convictions religieuses. Par exemple, les organismes qui emploient des médecins doivent prévoir des mesures d’accommodement de leurs convictions religieuses. Il peut s’agir dans certains cas de faire en sorte qu’un ou une autre médecin de l’établissement puisse fournir le service requis par la personne en temps opportun et d’une façon qui respecte sa dignité. Cependant, l’intérêt du ou de la médecin à l’égard de l’obtention d’un accommodement doit être évalué à la lumière des répercussions sur le ou la patiente. Il peut s’avérer nécessaire de restreindre la portée de l’accommodement offert pour respecter les convictions religieuses du ou de la médecin s’il n’est pas possible d’offrir cet accommodement sans poser un geste discriminatoire envers le patient ou la patiente, comme retarder ou interrompre la prestation des services demandés ou créer autour de la personne un climat lourd de jugements ou autrement empoisonné.

En conclusion, le nombre de personnes susceptibles de nécessiter des soins médicaux complexes est appelé à croître à mesure que la population vieillit et que les progrès médicaux permettent aux personnes aux prises avec des handicaps multiples et complexes de mener des vies plus longues et productives. Ces personnes ne doivent pas se voir refuser des soins sur la base de la complexité de leur situation. De plus, dans notre société qui va en se diversifiant, toutes les Ontariennes et tous les Ontariens doivent pouvoir distinguer leur convictions et opinions personnelles, qu’elles soient religieuses ou non, de leur obligation d’agir de façon non discriminatoire. Les soins de santé font partie des services essentiels offerts aux Ontariennes et Ontariennes et, pourtant, les membres du public se retrouvent souvent en situation de manque d’accès aux services ou d’options à leur disposition. C’est pourquoi les médecins ont une responsabilité particulièrement grande de veiller à ce que tous les aspects de leur pratique soient libres de discrimination.

La Commission remercie l’Ordre de lui avoir donné cette occasion de commenter ce processus si important d’élaboration de politiques. Ce mémoire sera rendu public, conformément à l’engagement de la Commission envers la reddition de comptes au public et à ses obligations envers les Ontariennes et Ontariens.


[∗] Dans ce texte, lorsqu’il désigne des personnes, le masculin est utilisé au sens neutre.
[1] Il est à noter que le motif de « handicap » englobe les handicaps perçus et que le motif de « sexe » englobe l’expression et l’identité sexuelles ainsi que la grossesse et l’allaitement. Pour obtenir des renseignements supplémentaires, consulter les documents Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement (version révisée de 2000), Politique concernant la discrimination liée à la grossesse et à l’allaitement maternel (version révisée de 2001) et Politique sur la discrimination et le harcèlement en raison de l'identité sexuelle (2000). Vous trouverez toutes les politiques de la Commission à l’adresse électronique www.ohrc.on.ca.
[2] « Gender variant » en anglais. Consulter les documents de la Commission intitulés Politique sur la discrimination et le harcèlement en raison de l'identité sexuelle (2000) et Vers une politique de la Commission sur l’identité sexuelle (1999), tous deux offerts sur Internet à l’adresse www.ohrc.on.ca.
[3] « Politiques, pratiques et processus décisionnels », dans «  Dimensions systémiques ou institutionnelles », Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, 2005, Partie II, section 4; et la discussion relative aux réseaux personnels et à l’aiguillage de type bouche-à-oreille, à la première page de « Recrutement, sélection et embauchage », Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, 2005, annexe. Vous pouvez consulter la politique sur le site Web de la Commission, au www.ohrc.on.ca.
[4] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
[5] Des tribunaux ont conclu que le droit à la liberté de religion englobe le droit de croire, le droit de parler ouvertement de ses convictions et le droit d’exprimer ses convictions par l’entremise du culte, de la pratique et de l’enseignement religieux, et ce, sans coercition ni contrainte, dans les limites du respect des droits et libertés d’autrui (R c. Big M). D’un point de vue pragmatique, la liberté de posséder des convictions est plus vaste que celle d’agir selon ses convictions lorsque l’expression de ces convictions a des effets négatifs sur les droits à l’égalité d’autrui, particulièrement dans un contexte de prestation de services (Trinity Western).