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Pourquoi les programmes spéciaux sont-ils protégés?

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Dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Ontario (Roberts), la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que l’article 14 du Code a deux objets, à savoir :

  1. protéger les programmes d’action positive de façon qu’ils ne puissent être contestés par des personnes n’éprouvant pas de désavantage
  2. promouvoir l’égalité réelle pour éliminer les désavantages et la discrimination sous toutes ses formes.

Protection de l’action positive

À une époque, le terme « égalité » signifiait que tout le monde devait recevoir le même traitement ou un traitement similaire. C’est ce que l’on appelle souvent « l’égalité formelle ». Toutefois, cette forme d’égalité pose problème car elle fait fi des obstacles historiques et des obstacles permanents auxquels se heurtent certains groupes. En outre, elle ne tient pas compte des besoins particuliers et peut même perpétuer des inégalités.

Le principal objet de l’article 14 est de s’assurer que les programmes spéciaux, conçus pour aider un groupe défavorisé, ne puissent être contestés par des personnes qui ne connaissent pas le même désavantage[4]. En termes juridiques, l’article 14 protège les programmes spéciaux des contestations fondées sur les principes de l’« égalité formelle ».

Exemple : Une société par actions crée un fonds de bourses d’études pour aider financièrement les personnes handicapées qui entament des études postsecondaires. La société s’appuie sur le fait que les personnes handicapées sont traditionnellement sous-représentées dans l’enseignement supérieur et se heurtent à des obstacles financiers plus importants que d’autres groupes en raison des coûts liés à leur handicap. Ce programme fait donc une distinction fondée sur le handicap, laquelle semblerait illicite en vertu de l’article 1 du Code. Toutefois, ce programme constituerait un programme spécial aux termes de l’article 14 dudit Code, dont l’objet est de protéger les programmes « d’action positive » en empêchant les personnes non handicapées de faire valoir que leur exclusion du groupe défavorisé au profit duquel le fonds de bourses d’études a été créé constitue une atteinte aux droits de la personne les concernant.

Exemple : En s’appuyant sur des études et des statistiques démontrant que les femmes sont plus susceptibles d’être victimes d’agression sexuelle que les hommes, un centre communautaire d’aide aux victimes d’agression sexuelle réserve ses services aux femmes et aux femmes transgenres (personnes qui ont changé d’identité sexuelle, d’homme à femme).

Dans ces deux exemples, les organismes pourraient invoquer l’article 14 à titre de défense si leur programme était contesté[5].

Promotion de l’égalité réelle

Le second objet de l’article 14 du Code est de promouvoir l’égalité réelle.

On entend par « égalité réelle » le fait de comprendre les besoins de personnes ou de groupes défavorisés et d’y répondre en s’appuyant sur le contexte historique, juridique et social. L’égalité réelle tient compte des obstacles discriminatoires dans leurs maintes formes, toutes n’étant pas évidentes ou voulues. Par exemple, la discrimination peut s’inscrire dans le comportement, les pratiques et les politiques d’un organisme, ce qui peut entraîner pour certaines personnes un désavantage réel fondé sur un motif du Code. C’est ce que l’on appelle la discrimination systémique ou institutionnelle. Les organismes et les institutions ont l’obligation d’avoir connaissance de ces formes de discrimination. Lorsqu’une situation de discrimination systémique est constatée au sein d’un organisme, ce dernier doit modifier ses pratiques.

Pour éliminer toute discrimination systémique et promouvoir l’égalité réelle, les organismes peuvent également élaborer et mettre en place des programmes spéciaux.

Dans l’affaire Roberts[6], la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré : « […] l’égalité réelle exige une action positive pour améliorer la situation des groupes profondément défavorisés. » [Traduction libre]

Exemple : Un service policier admet qu’il ne correspond pas à la collectivité ethniquement diverse qu’il dessert. La plupart de ses hauts gradés sont issus de groupes non racialisés. Si des personnes appartenant à des groupes racialisés (communautés se heurtant au racisme) sont enrôlées dans ce service policier, elles sont moins susceptibles de monter en grade et ont davantage tendance à démissionner précocement. Le service compte sur les recrues pour trouver des policiers plus expérimentés qui les conseilleront et les aideront ainsi à gravir les échelons. Toutefois, les recrues appartenant à des groupes racialisés peinent à trouver des mentors. Le service crée alors un programme spécial pour aider les policiers issus de groupes racialisés à profiter d’occasions de mentorat officielles.

Dans cet exemple, le programme de mentorat est expressément conçu dans le but d’éliminer une discrimination systémique au sein du service policier et vise à promouvoir l’égalité réelle. En vertu du Code, un programme de ce type n’exerce pas de discrimination dans la mesure où il a pour objet d’alléger un désavantage subi par les groupes racialisés. L’article 14 pourrait être invoqué à titre de défense si ce programme était contesté.

Toutefois, dans l’affaire Roberts, la Cour avertit également que :

« Les programmes spéciaux visant à aider une personne ou un groupe défavorisé(e) doivent être conçus de façon que les restrictions inhérentes au programme aient un lien rationnel avec ce dernier. À défaut, le prestataire du programme encouragera la persistance de l’inégalité et de l’injustice qu’il cherche à atténuer. » [Traduction libre]

L’affaire Roberts portait sur un programme gouvernemental octroyant une aide financière aux personnes ayant une déficience visuelle afin qu’elles puissent acheter le matériel qui les aidera. Toutefois, seules les personnes âgées de moins de 30 ans pouvaient présenter une demande. Cette exclusion a été contestée. Le gouvernement a dû justifier la pertinence de cette limite d’âge.

Dans Ball c. Ontario (Services sociaux et communautaires), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a élargi la portée de la défense établie dans l’affaire Roberts, jugeant que les programmes spéciaux ne peuvent pas exercer une discrimination interne contre les personnes qu’ils sont censés servir. Les programmes spéciaux doivent satisfaire à la même norme de non-discrimination que les autres services qui ne constituent pas des programmes spéciaux.

Si une personne présente un désavantage pour l’élimination duquel un programme a été conçu, mais qu’elle en est exclue, ledit programme pourrait donc être jugé discriminatoire[7].


[4] Voir Carter c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (2011) HRTO 1604, par. 24 (CanLII).

[5] Voir Young c. Lynwood Charlton Centre (2012) HRTO 1133, par. 17-23 (CanLII). Dans cette affaire, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a statué que le programme concerné s’inscrivait dans le champ d’application de l’article 14(1) du Code et n’exerçait pas de discrimination dans la mesure où l’objet ou la raison d’être de ce dernier était d’alléger un désavantage; il apparaissait donc rationnel de conclure que le programme parviendrait à cette fin et que les besoins du demandeur ne correspondaient pas à l’objet en question.

[6] Roberts c. Ontario (ministère de la Santé) (n° 1) (1989), 10 C.H.R.R. D/6353 (Commission d’enquête de l’Ontario), confirmé dans 14 C.H.R.R. D/1 (C. div. Ont.), révisé dans (1994), 21 C.H.R.R. D/259 (C.A.).

[7] Voir XY c. Ontario (Services gouvernementaux et Services aux consommateurs) (2012) HRTO 726, par. 264-266 (CanLII). Dans cette affaire, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a jugé que l’intimé n’était pas en mesure d’établir un fondement logique ou rationnel à l’appui d’une restriction discriminatoire réservant la modification du sexe figurant sur leur extrait de naissance aux personnes ayant subi une « inversion sexuelle chirurgicale ». Le Tribunal a donc statué que le ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs ne pouvait pas invoquer l’article 14 pour écarter la plainte pour discrimination du requérant. Le Tribunal a jugé que les exigences législatives stipulant que la modification du sexe figurant sur l’extrait de naissance était uniquement possible pour les personnes ayant subi une « inversion sexuelle chirurgicale » étaient discriminatoires. Aux termes de cette décision, le ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs de l’Ontario a été tenu d’annuler les dispositions en ce sens. Voir également A.T. et V.T. c. Directeur général de l’Assurance-santé de l’Ontario, (2010) ONSC 2398 (CanLII).

 

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