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Commentaires de la Commission ontarienne des droits de la personne sur la proposition de règlement de zonage pour la Ville de Toronto

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25 septembre 2009

La Commission ontarienne des droits de la personne (ci-après la « Commission ») remercie la Ville de Toronto (ci-après la « Ville ») de lui avoir permis de commenter son projet de règlement municipal en matière de zonage. Ces commentaires portent essentiellement sur les articles du règlement qui touchent les droits de la personne, notamment sur les éléments qui pourraient inclure ou exclure des personnes appartenant à des groupes protégés par le Code des droits de la personne de l’Ontario (ci-après le « Code »).

Les commentaires de la Commission se fondent sur ses compétences en tant qu’institution canadienne pour les droits de la personne dotée d’un vaste mandat et de pouvoirs étendus pour protéger et promouvoir ces droits en référence aux « Principes de Paris » concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales. Ils dérivent de son interprétation de sa loi d’habilitation, à savoir le Code des droits de la personne de l’Ontario. Son rapport sur le sujet – Le droit au logement : Rapport de consultation sur les droits de la personne en matière de logements locatifs en Ontario, qui sera prochainement publié – et la jurisprudence pertinente fournissent également un cadre de référence pour cette étude. Tous les documents de la Commission, à l’exception de la politique sur le logement, peuvent être consultés sur son site à www.ohrc.on.ca. Sa politique sur les droits de la personne et le logement locatif sera publiée le 5 octobre 2009.

Le logement en tant que droit de la personne

La communauté internationale reconnaît depuis longtemps que le logement est un droit fondamental et universel qui doit être protégé par la loi. Le Canada a ratifié plusieurs actes internationaux concernant les droits de la personne, qui reconnaissent le droit au logement.[1] Ce faisant, le Canada a sanctionné l’idée que le logement constitue un droit. La difficulté est de faire de ces principes décidés en haut lieu une réalité pour les Canadiens. Les organismes de droits de la personne, les gouvernements aux différents paliers (fédéral, provincial et municipal) jouent à cet égard un rôle essentiel. Les municipalités, y compris les conseils municipaux, les décideurs, les planificateurs et les concepteurs de programmes jouent un rôle capital pour assurer le respect des droits de la personne relativement à la conception et aux services de logement ainsi qu’à la législation dans ce domaine.

La Commission a des commentaires à faire sur la proposition d’un règlement de zonage de la Ville car ce règlement risque d’affecter le droit au logement de nombreux torontois, notamment ceux qui vivent dans des logements abordables (foyers de groupe, résidences pour personnes âgées, centres d’accueil, pensions de famille, etc.). Le droit à l’absence de discrimination en matière de logement aux termes du Code pourrait s’étendre à la construction de logements abordables pour des personnes et des groupes spécifiés dans le Code. De plus, la Commission estime important de souligner la perspective progressiste de la Ville en matière de logement et de droits de la personne par le truchement de sa nouvelle Charte du logement.

La Charte du logement de Toronto

La Commission félicite Toronto d’avoir élaboré une Charte du logement. Cette déclaration politique qui précise comment respecter les droits de la personne en matière de logement préconise, en particulier, toute une gamme de logements abordables assurant la santé et le bien-être socio-économique de leurs résidents. Elle stipule que :

  • tous les résidents aient droit à un logement sûr, abordable et bien entretenu d’où ils puissent réaliser tout leur potentiel;
  • tous les résidents puissent vivre dans le quartier de leur choix sans discrimination;
  • tous les résidents aient le droit d’être traités de façon équitable en matière de logement sans discrimination, tel que cela est stipulé dans le Code et soient protégés contre toute pratique discriminatoire qui limite leurs possibilités de logement.

La Commission est heureuse de travailler avec la Ville afin d’appuyer le droit au logement des résidents et de promouvoir les principes stipulés dans la Charte du logement de Toronto. Elle appuie également le programme Housing Opportunities (Possibilités de logement) de Toronto, qui met la priorité sur le problème des sans-abri, l’amélioration de la situation des logements abordables à Toronto et la construction d’un plus grand nombre d’appartements. La Commission se réjouit également de voir que la Charte servira de référence pour les activités de planification ultérieures de la Ville. Il importe de noter que les déclarations de la Charte se basent sur des principes énoncés dans le Code relativement à la dignité, l’assistance individualisée, l’autonomie et la pleine participation et intégration à la vie de la collectivité.

La Charte du logement constitue également un fondement solide pour examiner les pratiques de zonage et voir comment elles affectent la disponibilité de logements abordables, ainsi que l’inclusion ou l’exclusion de personnes appartenant à des groupes protégés par le Code.

Droits de la personne et zonage

La Charte du logement de Toronto fournit un cadre permettant d’assurer un traitement équitable et l’existence de logements abordables dans tous les quartiers. Les personnes vivant dans ce type de logement font souvent partie de groupes protégés par le Code; il peut s’agir de familles, de jeunes, de personnes âgées ou appartenant à des communautés racialisées et autochtones, d’immigrants, de femmes et de personnes souffrant de handicaps, notamment de problèmes psychiatriques. En matière de discrimination, les personnes appartenant à ces groupes sont à bien des égards plus vulnérables, qu’il s’agisse d’obtenir un logement, de conserver une location ou de risquer l’expulsion, entre autres situations. De plus, un mouvement discriminatoire de quartier, plus connu sous le nom de « pas dans ma cour », crée un énorme obstacle à la construction de logements abordables. Attitudes négatives et stéréotypes à l’encontre des personnes qui ont l’intention d’habiter ces logements entraînent des retards, des interruptions ou des restrictions inutiles.

Dans le cadre de sa consultation, la Commission a entendu de nombreuses personnes préoccupées par la façon dont l’administration et les règlements municipaux – y compris les règlements de zonage – alimentent l’opposition à des projets de logements abordables. Elles craignent en effet que l’administration et les règlements n’entraînent des restrictions ou des exigences supplémentaires relatives aux logements des personnes appartenant à des groupes protégés par le Code, ce qui risque de les empêcher de vivre dans le quartier de leur choix. Lorsqu’une politique ou des pratiques de planification visent des personnes protégées par le Code ou ont sur elles des effets négatifs disproportionnés, elles peuvent être considérées comme violant le Code.

La Commission est d’avis que les inquiétudes relatives aux projets de logements abordables doivent s’ancrer légitimement dans les questions de planification et non sur des préjugés relatifs aux personnes pour qui l’on construit ces logements. De plus, les décisions de planification sur le logement doivent être revues afin de s’assurer qu’elles n’ont pas d’effets discriminatoires sur les personnes appartenant à des groupes protégés par le Code, notamment celles qui, de par leur statut socio-économique inférieur, doivent partager un logement.

La Commission appuie l’idée que les règlements de zonage doivent être réputés non valides si leur objectif est de réglementer l’utilisateur et non pas l’utilisation des sols. Cela correspond aux interprétations de la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Bell et de l’article 35(2) de la Loi sur l’aménagement du territoire.[2]

En appliquant ces principes à la proposition de règlement de zonage de la Ville de Toronto, la Commission a relevé les points suivants, en particulier concernant les foyers de groupe (y compris les foyers de groupe pénitentiaires), les foyers de soins résidentiels, les maisons d’accueil pour personnes âgées, les pensions de famille, les centres d’accueil municipaux et les centres détresse-secours.

Définitions

Définir les caractéristiques des personnes associées à certains types de logement abordable peut s’avérer problématique lorsque les projets de logement sont soumis à des restrictions de zonage ou à de lourdes exigences non imposées pour la construction d’autres logements et sans motif légitime sur le plan de la planification. Les règlements de zonage qui définissent l’utilisation des sols en référence à des caractéristiques personnelles ont été tenus pour non valides. Ainsi, la Cour d’appel du Manitoba a jugé qu’un règlement municipal de zonage d’une ville contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’il excluait les foyers de groupe de certaines zones et les définissait en référence aux caractéristiques des utilisateurs (personnes « âgées », « soumises à une supervision ou à un traitement en raison d’une dépendance à l’alcool ou à d’autres drogues », « convalescentes ou handicapées » ou « libérées d’un établissement pénitentiaire »).[3]

Néanmoins, l’article 14 du Code autorise effectivement l’utilisation de programmes spéciaux en matière de logement. Ceci permet des traitements ou programmes préférentiels visant uniquement les personnes visées par les motifs mentionnés au Code, si l’objectif du programme est « d’alléger un préjudice ou un désavantage économique ou d’aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir de chances égales ».

La Ville doit revoir son utilisation des définitions et s’assurer qu’elle n’impose pas de lourdes restrictions en matière de zonage ou autre, à un programme de logement visant des groupes protégés par le Code. Elle doit en particulier noter que la mention de retarded persons (« personnes retardées ») pour décrire les résidents de foyers de groupe, à la page 441 (version anglaise) de la proposition de règlement de zonage, pose problème.

Disponibilité de logements abordables dans tous les quartiers

La Commission reconnaît que la proposition de règlement de zonage permet l’implantation de foyers de groupe, de centres d’accueil municipaux et de maisons communautaires pour personnes âgées dans tous les quartiers résidentiels de la Ville. Elle appuie la même démarche pour les autres types de logements abordables où la densité du quartier justifie la densité de population de l’immeuble. La Commission encourage la Ville à examiner d’autres types de logement et de centres d’accueil susceptibles d’être exclus de certains quartiers résidentiels (centres détresse-secours, foyers de soins résidentiels, par exemple) et à s’assurer que toute décision visant à exclure ces établissements est fondée strictement sur de solides raisons de planification urbaine, et non sur des suppositions négatives concernant les personnes qui y vivent. La Ville doit prendre note, par exemple, que le zonage de certains quartiers résidentiels (avec habitations individuelles, maisons jumelées ou de ville) ne permet pas la présence de centres détresse-secours mais permet celle de centres d’accueil municipaux, bien que la définition de ces deux types d’établissement soit pratiquement semblable.

Par ailleurs, les restrictions imposées aux foyers communautaires pour personnes âgées en ce qui concerne l’âge du bâtiment (ledit bâtiment doit avoir été construit au moins cinq ans avant de devenir un tel foyer) signifient qu’il n’est pas possible de construire de foyers neufs. Dans de nombreux cas, ceci limiterait les possibilités de plan inclusif, notion essentielle lorsqu’il s’agit de répondre à des besoins particuliers en matière de logement. La nécessité de mettre aux normes au lieu d’envisager une architecture inclusive dès le départ peut aussi engendrer des dépenses inutiles qui risquent de modifier le caractère abordable de ces logements.

Nous nous rendons bien compte que les règles de zonage concernant les maisons de chambres ne sont pas encore en place, mais la Commission appuie l’existence de tels établissements dans tous les quartiers de la Ville, y compris les quartiers résidentiels. Parmi les personnes interrogées lors de notre consultation, nombreuses sont celles qui ont indiqué que ce type de logements, convenablement entretenu, peut soulager la pénurie de logements pour les personnes à faibles revenus. C’est bien ce que confirment les recherches faites par la Ville sur les maisons de chambres.[4] La Commission a ouï que ces maisons jouent un rôle très important pour répondre aux besoins de logements abordables des personnes protégées par le Code qui ne peuvent se permettre un logement classique. Elle a remarqué que les règlements municipaux restreignant les logements abordables destinés aux personnes visées par les critères du Code – tels que les maisons de chambres ou les pensions de famille – dans certains quartiers tout en y autorisant d’autres établissements de même échelle, peuvent être considérés comme discriminatoires.

Distances minimales de séparation

Le règlement de zonage de la Ville prévoit des distances minimales de séparation qui s’appliquent à certains logements abordables, tels que les foyers de groupe, les foyers de soins résidentiels et les foyers communautaires pour personnes âgées, ainsi que les centres détresse-secours et les centres d’accueil municipaux. Ainsi, la proposition de règlement de zonage précise que les foyers de groupe doivent être à au moins 300 mètres d’autres foyers de groupe ou de foyers de soins résidentiels.

Néanmoins, les distances minimales de séparation peuvent avoir un effet important sur l’établissement de logements abordables en limitant les sites disponibles et en forçant les fournisseurs de logements à refuser ce qui aurait pu être des conditions idéales de logement. Si elles ne sont pas justifiées selon une planification rationnelle et adoptées de bonne foi, les distances minimales de séparation peuvent être considérées comme imposant de lourdes restrictions aux logements destinés aux personnes appartenant à des groupes protégés par le Code, que l’on n’impose pas pour d’autres types de logement. Ceci pourrait être considéré comme discriminatoire. Ces distances ont aussi été critiquées parce qu’elles contribuent à l’isolement social des résidents de foyers de groupe, notamment les personnes ayant des problèmes psychiatriques.[5] La Commission encourage donc la Ville à réexaminer la question des distances minimales de façon à permettre un maximum de souplesse pour la construction de logements abordables.

Toutes ces suggestions de modifications devraient servir à augmenter la disponibilité de logements abordables en permettant leur construction dans davantage de quartiers de la Ville et, partant, supprimer les obstacles qui risquent de violer le Code.


[1] Can. T.S. 1976 N° 46. En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté et ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) a été adopté par les Nations Unies en 1966 et est entré en vigueur en 1976 ; le Canada l’a ratifié en 1976. Le Canada a signé également d’autres traités internationaux qui confirment le droit au logement : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant.Déclaration universelle des droits de l’homme signée le 10 décembre 1948, Résolution de l’A.G. 217A (III), U.N. Doc. Al810, 71 (1948); PIDESC, (1976) 993 U.N.T.S. 3, Can.
[2] R. c. Bell (S.C.C.), (1979), 98 D.L.R. (3rd) 255; Loi sur l’aménagement du territoire, L.R.O. 1990, c. p. 13. art. 35(2). L’autorité d’adopter un règlement municipal aux termes de l’article 34, paragraphe 38(1) ou de l’article 41 ne comprend pas l’autorité d’adopter un règlement visant à établir une distinction entre les personnes apparentées et celles qui ne le sont pas relativement à l’occupation ou à l’utilisation d’un bâtiment ou d’une structure ou d’une partie d’un bâtiment ou d’une structure, y compris l’occupation ou l’utilisation en tant qu’unité autonome d’habitation.
[3] Alcoholism Foundation of Manitoba v. Winnipeg (City of), (Man. C.A.), (1990), 69 DLR. (4th) 697.
[4] Social Housing Strategists, en association avec Richard Drdla Associates, City of Toronto, Rooming House Issues and Future Options, Final Report (Toronto, non publié 2004).
[5] Lilith Finkler, "Zoned Out: Restrictive Municipal Bylaws and Psychiatric Survivor Housing" In Psychiatric Patient Advocacy Office, Honouring the Past, Shaping the Future: 25 Years of Progress in Mental Health Advocacy and Rights Protection, (Toronto : Imprimeur de la Reine, 2009), p. 27-29.