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Lettre de la CODP à la ville de Kingston concernant les campements

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Le 1er mai 2024

 

Monsieur le Maire Bryan Paterson
Membres du conseil municipal
Cité de Kingston
216, rue Ontario
Kingston (Ontario)  K7L 2Z3

 

Monsieur le Maire et Mesdames et Messieurs les membres du conseil municipal

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a appris que la cité de Kingston a annoncé son intention d’exiger que les personnes en situation d’itinérance sans abri à Belle Park démantèlent leurs abris et débarrassent l’endroit de leurs effets personnels pendant la journée. Je vous écris afin d’implorer la cité de Kingston de privilégier une approche axée sur les droits de la personne comme solution au problème des campements.

La réalité de l’expansion des campements et de l'itinérance sans abri soulève des questions d'importance publique qui relèvent directement du mandat de la CODP. La CODP surveille la réponse des municipalités de l'Ontario à la crise de l'itinérance sans abri. La CODP reconnaît la difficulté, pour les municipalités, de répondre au défi de trouver des solutions concrètes à des besoins qui recoupent les domaines du logement et de l’itinérance, de la santé mentale et des troubles liés aux dépendances, et de la pauvreté. Tous les paliers de gouvernement partagent cette responsabilité, mais les municipalités sont souvent aux premières lignes de l’intervention face à ces problèmes sociaux d’ordre systémique.

Il y a près de 1 400 campements dans la province et les municipalités ne suivent pas une approche uniforme à l’égard de ce problème qui prend de l’ampleur. Certaines municipalités cherchent à mettre en œuvre une approche respectueuse et compatissante fondée sur les droits de la personne, alors que d’autres ont choisi la voie de l’application de la loi, ce qui peut signifier le recours à l’intervention de représentants municipaux ou de la police pour retirer les gens et saisir ou détruire leurs affaires.

Certaines municipalités, dont Kingston, ont demandé aux tribunaux des ordonnances les autorisant à exécuter les règlements municipaux interdisant les campements. Il y a lieu de souligner que dans les cas où une municipalité a saisi les tribunaux, ces derniers ont jugé qu’en l’absence d’un nombre suffisant de places accessibles dans un refuge, l’état ne peut pas empêcher des personnes sans abri de se construire leur propre abri sur des terres publiques sans violer leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Les tribunaux ont déclaré que les refuges ne sont pas vraiment accessibles s'ils ne peuvent pas accueillir des couples, fournir les services nécessaires et tenir compte des handicaps mentaux et physiques, ou s'ils imposent des règles qui ne peuvent pas être suivies en raison des handicaps liés à la toxicomanie.

La CODP craint que l'exécution de l'interdiction des campements pendant la journée n'entraîne des infractions au Code des droits de la personne de l'Ontario et à la Charte. L'égalité réelle signifie que les municipalités doivent veiller à ce que leurs actes ne créent pas ou n'exacerbent pas des désavantages fondés sur un ou plusieurs motifs illicites.

Démontrer qu'il n'y a pas suffisamment de places dans les refuges de jour n'est pas la seule façon d'établir la discrimination. Des effets néfastes fondés sur le handicap ou le sexe, entre autres, peuvent découler de l’obligation de démanteler des abris, de ramasser ses effets, de les entreposer quelque part ou de se déplacer avec eux toute la journée, jusqu’au moment où il est autorisé de reconstruire un abri pour se protéger adéquatement contre les éléments le soir. Les personnes qui vivent dans un campement, dont la plupart souffrent de handicaps physiques ou mentaux ou de problèmes liés à des dépendances, traversent souvent des difficultés extrêmes et courent un risque accru de blessures physiques et psychologiques. Si elles sont dans l’impossibilité de se conformer aux exigences légales, elles risquent de faire l’objet d’avis en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation, d’amendes et d’arrestations.

Je tiens à souligner que si l’interdiction d’érection de campements pendant la journée est exécutée, les personnes qui vivent dans un campement risquent de ne pas pouvoir utiliser le campement du tout, ce qui se traduirait concrètement par des expulsions forcées. Le déplacement de personnes qui se retrouveront dans des conditions de vie les rendant plus vulnérables aux éléments ou aux dangers, parce qu’ils n’ont pas accès à des soins de santé ou à des services sociaux ou de réduction des risques, soulève des préoccupations liées aux droits de la personne. Les femmes et les personnes de genres divers ont beaucoup de difficultés à trouver des endroits accessibles et sûrs. Par ailleurs elles courent plus de risques d’être victimes de harcèlement et de violence fondés sur le genre, si on les sort des communautés qu’elles ont choisies et où elles se sentent le plus en sécurité.

Les municipalités doivent prendre des mesures supplémentaires pour veiller à ce que leur solution à l’itinérance tienne compte de leur devoir de respecter et de protéger les droits distincts des Autochtones, et de leur engagement envers la réconciliation. Les Autochtones ont des droits en vertu de traités, de la Constitution et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Tous les campements de l'Ontario sont situés sur des territoires traditionnels des peuples autochtones, ce qui leur donne des droits distincts à l’égard du territoire et de leur autonomie. En outre, les peuples autochtones sont surreprésentés parmi la population en situation d’itinérance et ont plus de risques de faire partie des groupes vivant à l’extérieur ou sans abri. Les personnes autochtones qui vivent dans des campements et les organismes autochtones locaux, y compris ceux qui fournissent des services à ces personnes et à d’autres habitants sans abri de Kingston, doivent avoir droit à la parole à l’égard de toute mesure concernant les campements. Des décisions qui aboutissent au déplacement forcé de personnes autochtones sans obtenir au préalable leur consentement volontaire et informé enfreignent la DNUDPA.

En gérant les parcs municipaux et en appliquant les règlements, les municipalités fournissent un service au public. Ce public comprend les personnes itinérantes sans abri, comme l’a reconnu la décision de Kingston (en anglais seulement). Tout problème de santé et de sécurité dans les campements doit être fondé sur des preuves objectives et non sur des stéréotypes. Les mesures visant à répondre à des préoccupations légitimes en matière de santé et de sécurité devraient être sensibles et adaptées aux circonstances, de manière à réduire au minimum l’atteinte aux droits des personnes qui vivent dans des campements.

La CODP encourage tous les paliers de gouvernement à travailler entre eux et avec les acteurs concernés, y compris les résidents des campements, les organismes communautaires et les organismes autochtones, pour trouver des solutions au besoin urgent de logements et de services de refuges d’urgence, tout en tenant compte de considérations légitimes de santé et sécurité. Cette approche aidera les municipalités à remplir leurs obligations légales.

La CODP a créé un outil, l’approche fondée sur les droits de la personne pour l’élaboration de programmes et de politiques (le cadre AFDP), pour aider ceux qui conçoivent des politiques et programmes à atteindre ces normes. Des renseignements relatifs à l’application d’une approche fondée sur les droits de la personne dans le contexte des campements ont aussi été fournis par la défenseure fédérale du logement et le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable (en anglais seulement). Le gouvernement fédéral a récemment publié le Plan du Canada sur le logement et annoncé un financement affecté aux plans d’action communautaire fondés sur les droits de la personne, qui prônent une approche de l’élimination des campements donnant la priorité au logement, et qui prévoient des services de soutien et de logement transitoire, des services de logement et des programmes d’aide au loyer destinés aux personnes vivant dans des campements ou en situation d’itinérance.

Il est évident que Kingston et les municipalités de la province veulent tous que leurs résidents aient un logement abordable, accessible et digne. Néanmoins, le fait d'obliger les résidents d’un campement à démanteler leur abri et à prendre avec eux leurs effets pendant la journée exacerbe leur marginalisation et rend plus difficile l'atteinte de cet objectif essentiel. C’est pourquoi la CODP se joint à de nombreux autres citoyens et organismes concernés pour appeler la cité de Kingston à adopter une approche fondée sur les droits de la personne, qui se focalise sur les besoins des résidents des campements et les aide à sortir de façon permanente de leur situation d’itinérance.

La CODP espère que cette lettre aidera la cité de Kingston à prendre une décision face à ce problème sociétal difficile et complexe. La CODP se tient à votre entière disposition pour discuter plus en détail de cette question et fournir de plus amples renseignements sur le cadre AFDP et son application aux besoins de la population itinérante et sans abri de Kingston. 

Veuillez agréer, Monsieur le Maire et Mesdames et Messieurs les membres du conseil municipal, mes salutations les plus cordiales.

 

La commissaire en chef,
Patricia DeGuire
Commission ontarienne des droits de la personne

 

c. c.    Président, Association des municipalités de l'Ontario