Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale

ISBN : 0-7794-8400-2
Version approuvée par la Commission : le 9 juin 2005

(Veuillez prendre note que des révisions mineures ont été apportées en décembre 2009 pour tenir compte des modifications législatives résultant de la Loi de 2006 modifiant le Code des droits de la personne, qui est entrée en vigueur le 30 juin 2008.)

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0-7794-8400-2
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Objet des politiques de la CODP

L'article 30 du Code des droits de la personne de l'Ontario (le « Code ») autorise la Commission ontarienne des droits de la personne de l'Ontario (CODP) à préparer, approuver et publier des politiques sur les droits de la personne pour fournir des directives quant à l’application des dispositions du Code. [∗] Les politiques et lignes directrices de la CODP établissent des normes décrivant comment les particuliers, les employeurs, les fournisseurs de services et les décisionnaires doivent agir pour se conformer au Code. Elles sont importantes parce qu'elles représentent l'interprétation, par la CODP, du Code au moment de sa publication.[∗∗] De plus, elles expliquent les droits énoncés dans le Code.

L'article 45.5 du Code stipule que le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario (le Tribunal) peut tenir compte des politiques approuvées par la Commission dans une instance devant lui. Lorsqu'une partie ou un intervenant à une instance en fait la demande, le Tribunal doit tenir compte de la politique de la CODP citée. Lorsqu'une politique de la Commission est pertinente pour l'objet de la requête devant le Tribunal, les parties et les intervenants sont encouragés à porter la politique à l'attention du Tribunal pour qu'il en tienne compte.

L'article 45.6 du Code prévoit que si le Tribunal rend une décision ou une ordonnance définitive dans le cadre d’une instance dans laquelle la Commission était une partie ou un intervenant, la Commission peut présenter une requête au Tribunal afin que celui-ci soumette un exposé de cause à la Cour divisionnaire.

Les politiques de la Commission sont assujetties aux décisions des cours supérieures qui interprètent le Code. Les politiques de la Commission sont prises très au sérieux par les tribunaux judiciaires et le Tribunal[∗∗∗], appliquées aux faits de la cause devant le tribunal judiciaire ou le Trbunal et citées dans les décisions de ces tribunaux[∗∗∗∗].


[∗] Le pouvoir de la CODP en vertu de l'article 30 du Code d'élaborer des politiques s'inscrit dans le cadre de sa responsabilité générale, prévue à l'article 29, de promouvoir et de faire progresser le respect des droits de la personne en Ontario, de protéger ces droits en Ontario et d'éliminer les pratiques discriminatoires.
[∗∗] La jurisprudence, les modifications législatives et les changements de position de la CODP sur ses propres politiques qui ont eu lieu après la date de publication du présent document ne seront pas reflétés dans le document. Pour plus d'information, communiquez avec la Commission ontarienne des droits de la personne.
[∗∗∗] Dans l'arrêt Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 au par. 53 (Ont. Bd. Inq.), le tribunal a appliqué la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (4th Cir. 1971), pour conclure que les énoncés de politique de la CODP devraient bénéficier d'une « grande déférence », si elles sont compatibles avec les valeurs du Code et si leur élaboration est compatible avec l'historique législatif du Code lui-même. Cette dernière exigence a été interprétée comme signifiant qu'un processus de consultation publique doit faire partie intégrante du processus d'élaboration des politiques.
[∗∗∗∗] Récemment la Cour de justice supérieure de l'Ontario a cité in extenso des extraits des travaux publiés de la CODP dans le domaine de la retraite obligatoire et déclaré que les efforts de la CODP avaient apporté « d'énormes changements » dans l'attitude face à la retraite obligatoire en Ontario, les travaux de la CODP sur la retraite obligatoire ont sensibilisé le public à cette question et ont, en partie, abouti à la décision du gouvernement de l'Ontario d'adopter une loi modifiant le Code pour interdit la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi après l'âge de 65 ans, sous réserve de certaines exceptions. Cette modification, qui est entrée en vigueur en décembre 2006, a rendu illégales les politiques sur la retraite obligatoire pour la plupart des employeurs en Ontario : Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General) (2008), 92 O.R. (3d) 16, par. 45. Voir aussi la décision Eagleson Co-Operative Homes, Inc. v. Théberge, [2006] O.J. No. 4584 (Sup.Ct. (Div.Ct.)) dans laquelle la cour a appliqué les Politiques et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement, à : http://www.ohrc.on.ca/fr/resources/policies/DisabilityPolicyFRENCH.

Partie 1 – Contexte : pour comprendre les notions de race, de racisme et de discrimination raciale

1. Introduction

1.1. Dans le contexte du Code

Selon le Code, l’Ontario a pour principe de reconnaître la dignité inhérente et la valeur de toute personne et d’assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination. Les dispositions du Code visent à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne, de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à y apporter sa contribution.

En Ontario, toute personne a droit à un traitement égal, sans harcèlement ni discrimination fondés sur la race, dans les domaines de la vie en société que sont l’emploi, les services, les biens et les installations, le logement, les contrats, ainsi que l’appartenance à un syndicat ou à une association professionnelle.

Le Code trouve en partie ses origines dans la Racial Discrimination Act, adoptée par l’Ontario en 1944. Cependant, malgré l’existence depuis plus de 60 ans de lois visant à éliminer la discrimination raciale, celle-ci et sa racine, le racisme, persistent dans la province. Le CODP recevait un nombre considérable de plaintes au motif du harcèlement et de la discrimination fondés sur la race lorsqu'elle recevait encore des plaintes En moyennem de 30 % à 40 % des plaintes déposées auprès de la CODP étaient au motif de la race et d’autres en rapport. La race est toujours un motif souvent cité dans les requêtes au Tribunal des droits de la personne de l'Ontario (le Tribunal). Maints cas de discrimination raciale ne sont jamais portés à la connaissance du Tribunalet nombre de manifestations de racisme dépassent sa compétence, ainsi les actes haineux perpétrés par des particuliers[1].

La réalité de la discrimination raciale au Canada est attestée par plusieurs autres indicateurs. Les personnes racialisées comptent pour une part démesurée dans les statistiques sur la pauvreté et la population carcérale, et elles sont sous-représentées dans les strates moyennes et supérieures des institutions politiques, administratives, économiques et médiatiques; plus que les autres, elles se heurtent à des obstacles en matière d’emploi, de logement et de soins de santé, pour ne nommer que ceux-là[2]. Les tribunaux ont d’ailleurs amplement reconnu l’existence du racisme au Canada[3].

Pour ceux[4] qui n’en font pas l’expérience, il n’est que trop facile de nier la réalité du racisme. Or, ce déni improductif est néfaste pour le tissu social. Le racisme et la discrimination raciale doivent dès le départ être reconnus comme réalité omniprésente et permanente si l’on veut préciser de quelle façon le Code s’applique à leurs manifestations et quels sont les moyens à prendre pour y réagir.

Les lois de la province excluent toute acceptation du racisme et de la discrimination raciale; pourtant, ces attitudes sont largement répandues et même acceptables en société pour bien des gens. Aux termes du Code, la CODP est donc tenue de relever ce défi et de mobiliser tant les autorités que la population en vue d’instaurer une culture des droits à caractère inconditionnel. Il faut désormais viser à ce que le racisme et la discrimination, qui sont actuellement des dimensions tolérées du présent et de l’avenir de l’Ontario, deviennent enfin choses du passé.

1.2. Objet et portée d’une politique des droits de la personne

La présente politique se fonde sur des recherches et une consultation approfondies. En 2003, la Commission a mené une enquête provinciale sur les effets du profilage racial et en a publié le rapport, intitulé Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial. En mars 2004, la CODP a amorcé un processus de consultation spécifiquement axé sur l’élaboration de la présente politique et organisé de nombreux groupes de discussion, formés d’intervenants représentatifs de toute une gamme d’intérêts et d’horizons. En octobre 2004, en partenariat avec l’Association d’études canadiennes[5], la CODP a tenu un colloque de trois jours sur les politiques, auquel ont participé des spécialistes et des intervenants, dans le but de dégager les tendances et les questions de l’heure pertinentes et d’élaborer une politique sur le racisme et la discrimination raciale.

En décembre 2004, les communications présentées par les conférenciers lors du colloque ont été publiées dans un numéro spécial de Diversité canadienne, puis affichées sur le site Web de la CODP en janvier 2005. La population a été invitée à commenter les idées et enjeux exposés dans les communications. En outre, on a demandé à des intervenants sensibilisés aux points de vue des répondants de s’exprimer sur certains sujets traités dans le cadre de la politique.

La présente politique définit la position de la CODP sur le racisme, le harcèlement et la discrimination fondés sur la race telle qu’elle était au moment d’aller sous presse. Cette politique remplace le document de la CODP paru en 1996 sous le titre Politique concernant le harcèlement racial par des insultes, des mauvaises plaisanteries et autres. Elle porte principalement sur des questions qui relèvent de la compétence de la Commission et peuvent donner lieu à une requête au Tribunal. La politique est donc délimitée par les dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario et le cadre juridique canadien en ce qui concerne l’analyse de la discrimination. Parallèlement, la politique interprète la protection conférée par le Code de manière à la fois fonctionnelle et spécifique. Cette façon de procéder concorde avec le principe que, vu sa qualité quasi constitutionnelle, le Code appelle une interprétation libérale, qui est la plus propice à la réalisation de ses objectifs de lutte contre la discrimination.

Dans la politique, on analyse le harcèlement et la discrimination fondés sur la race à la lumière de l’influence pernicieuse qu’exerce la réalité sociale plus globale du racisme. Afin d’instaurer un contexte approprié, la politique dégage quelques-uns des enjeux plus larges du racisme. Cependant, sa portée ne permet pas la discussion détaillée de toutes les manifestations du racisme dans la société canadienne. En fait, de nombreux documents et rapports d’envergure sont consacrés à des aspects particuliers du racisme, dont les suivants : Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario[6], Unequal Access: A Canadian Profile of Racial Differences in Education, Employment and Income[7], le rapport de la CODP Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial[8] et le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones[9].

Les recherches et la consultation effectuées par la CODP ont fait ressortir plusieurs grands thèmes, qui forment la base de la présente politique :

  • Le racisme et la discrimination raciale continuent à exister et à influer sur la vie non seulement des personnes racialisées, mais de tous les Canadiens. La réalité du racisme et de la discrimination raciale doit d’abord être reconnue, si l’on veut prendre des mesures de lutte efficaces.
  • La race est un construit social à partir duquel on juge et on catégorise les gens, établissant ainsi des différences entre eux. Bien que, « biologiquement parlant », les races n’aient pas d’existence, ce construit social est une force puissante, qui a des conséquences réelles pour les personnes.
  • Le racisme agit à plusieurs niveaux : individuel, systémique ou institutionnel et sociétal.
  • La discrimination raciale peut accuser les effets de motifs connexes figurant au Code, tels que couleur, origine ethnique, lieu d’origine, ascendance et croyance. De plus, la race peut être en intersection avec d’autres motifs, tels que sexe, handicap, orientation sexuelle, âge et état familial, pour aboutir à des situations de discrimination uniques et cumulatives.
  • Il peut y avoir discrimination raciale par préjugé et stéréotypage manifestes, ou de façon inconsciente, plus subtile et subversive.
  • La discrimination raciale peut en grande partie s’exercer au niveau systémique ou institutionnel. Les politiques, pratiques, processus décisionnels et cultures des organisations peuvent créer ou perpétuer une position de désavantage relatif pour les personnes racialisées.
  • Les organisations sont tenues de prendre des mesures proactives pour veiller à ne pas exercer, tolérer ou permettre d’actes et d’attitudes de harcèlement ou de discrimination fondés sur la race. À cet égard, diverses obligations s’imposent, entre autres : réunir des données numériques en certaines circonstances, remédier aux désavantages hérités du passé, réviser les politiques, pratiques et processus décisionnels pour en éliminer les impacts négatifs et mettre à exécution des politiques et des programmes éducatifs de lutte contre le harcèlement et la discrimination.

La présente politique embrasse tous les domaines de la vie en société énumérés dans le Code, en mettant l’accent sur l’emploi. Cette insistance découle du fait qu'un grand nombre de requêtes au Tribunal se rattachent à ce domaine. Rappelons que l’emploi fait partie intégrante du bien-être socioéconomique, car il influe nécessairement sur la santé, l’accès à l’instruction et l’accès aux services de façon plus générale. Il y a donc interaction entre discrimination dans l’emploi et discrimination dans d’autres domaines de la vie en société visés par le Code.

Outre cet énoncé de politique et en guise de complément, la CODP prend et continuera de prendre des initiatives de promotion et d’avancement des droits de la personne face à différents problèmes d’envergure liés au racisme et à la discrimination raciale.

Les énoncés de politique de la CODP contribuent à créer une culture des droits de la personne en Ontario. Ils font mieux connaître ces droits au sein de la population et fixent des normes de comportement à l’intention des particuliers, des employeurs, des fournisseurs de services et des décideurs, en vue de la conformité aux dispositions du Code. C’est dans le contexte plus large des engagements du Canada au plan mondial qu’il faut comprendre les énoncés de politique de la Commission.

1.3. Obligations de plan international

En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait un document qui a fait époque, la Déclaration universelle des droits de l’homme, fondement du droit international en la matière. Ce document établissait une norme internationale prohibant toute discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue, l’origine nationale et un certain nombre d’autres motifs. Les principes de la Déclaration universelle ont été adjoints de divers instruments d’application[10], dont la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[11] (la CEDR). Le Canada a ratifié la CEDR en 1970, s’engageant ainsi à respecter et à défendre les droits visés par ce document.

Nombre d’autres documents de l’ONU s’attachent à divers aspects du racisme et de la discrimination raciale[12]. En 2003, le Canada a accueilli le Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance, qui a préparé un compte rendu de sa visite[13].

Les fins qui ressortent des divers documents et instruments de l’ONU sont les suivantes :

  • confirmer que la race est un construit social lié à des facteurs géographiques, historiques, politiques, économiques, sociaux et culturels, sans aucune justification des notions de supériorité de race et de préjugé racial;
  • promouvoir la reconnaissance publique de la persistance du racisme et de l’impact continu de son poids historique – p. ex. l’effet du colonialisme et de l’esclavage, notamment du commerce transatlantique des esclaves – sur les personnes d’origine autochtone, africaine ou asiatique;
  • imposer aux États l’obligation positive de réviser leurs lois, règlements et politiques qui instaurent ou perpétuent la discrimination raciale, de promulguer des lois interdisant la discrimination raciale par toute personne, tout groupe et toute organisation et de rendre compte du respect des droits et de leur application;
  • faire valoir l’importance qu’il y a à supprimer les barrières et à mettre en place des mesures correctives, afin d’atteindre à l’égalité de participation dans tous les domaines de la vie en société;
  • reconnaître l’interrelation entre situation économique, marginalisation, exclusion sociale et racisme, ainsi que la nature intersectionnelle de la discrimination raciale;
  • promouvoir la collecte, la compilation et l’analyse de données statistiques fiables, en conformité avec les lois sur la protection de la vie privée et les droits de la personne, afin de surveiller la situation des groupes racialisés et relever tout impact négatif des lois, politiques, pratiques et autres mesures sur les groupes racialisés;
  • mettre l’accent sur la marginalisation extrême qui est le lot des peuples autochtones et sur les problèmes uniques que soulèvent la Loi sur les Indiens, les traités et les revendications territoriales.

La Cour suprême du Canada a décrété que les valeurs et principes consacrés par le droit international font partie intégrante du contexte juridique dans lequel les lois sont interprétées et appliquées[14]. En outre, on a reconnu que les commissions des droits de la personne sont des organismes clés pour la mise en œuvre et la défense des normes internationales en matière de droits de la personne. La CODP intègre donc les normes internationales applicables à l’élaboration de ses politiques et s’en inspire pour éclairer son interprétation et son application du Code. Toutefois, ainsi que le montre l’histoire, même si le Canada a ratifié divers instruments internationaux de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, une foule de gens continuent d’y tolérer ces phénomènes.

1.4. Contexte historique : L’héritage du racisme au Canada

Comme point de départ d’une politique sur le racisme et la discrimination raciale, on peut esquisser le contexte historique de ces phénomènes au Canada. Il faut connaître la chaîne des événements du passé si l’on veut s’attaquer judicieusement à leurs manifestations contemporaines. Un survol de l’histoire du racisme révèle que le Canada progresse à cet égard. Ainsi, des lois telles que la Déclaration canadienne des droits, le Code des droits de la personne de l’Ontario et la Charte canadienne des droits et libertés ont été promulguées comme protection contre le racisme et la discrimination raciale[15], mais beaucoup reste à faire.

Au Canada, ce n’est pas par hasard que les communautés qui ont été victimes de discrimination raciale par le passé continuent à occuper les plus bas niveaux de l’échelle sociale, économique, politique et culturelle. L’héritage du racisme a profondément et durablement imprégné nos systèmes et nos structures[16]. Cet héritage doit être reconnu dans tout énoncé de politique, particulièrement lorsqu’on se penche sur des questions telles que la discrimination institutionnelle ou systémique, la conception d’aménagements à caractère inclusif, la suppression des barrières et les méthodes appropriées pour faire échec au racisme. Nous donnons ci-après un aperçu qui, tout schématique qu’il soit, aide à se faire une idée du contexte du racisme et de la discrimination raciale au Canada[17]. Bon nombre des événements décrits sembleront remonter à un passé lointain, mais on notera les très nombreux exemples contemporains du phénomène[18].

Historiquement, les politiques et pratiques adoptées à l’égard des Autochtones[19] se fondaient sur la présupposition qu’on avait affaire à des êtres inférieurs, incapables de se gouverner eux-mêmes. D’autres schèmes d’interaction se caractérisaient par un désir d’assimilation, de déplacement ou de ségrégation des personnes autochtones, ou encore d’élimination des cultures autochtones[20]. Il y a certes eu des progrès dans le rétablissement des droits des Autochtones au Canada au cours des dernières décennies, mais la tâche est loin d’être achevée – à témoin l’importance des questions en suspens touchant les revendications territoriales, les indemnisations relatives aux pensionnats, l’autonomie gouvernementale et tant d’autres qu’ont relevées le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et le Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones.

La Loi sur les Indiens, promulguée en 1876, conférait au gouvernement fédéral le contrôle des structures politiques, des systèmes de propriété foncière, du développement de l’économie et des ressources et de la quasi-totalité des aspects importants de la vie des peuples autochtones. Parmi les édits de la Loi, il y avait – pour ne mentionner que ceux-là – l’interdiction de posséder des terres, des règles sur l’élection des chefs, la suppression du droit de vote, l’interdiction de quitter les réserves sans laissez-passer, l’interdiction de tenir des manifestations et fêtes cérémoniales et la détermination de la qualité d’« Indien ».

Les enfants autochtones étaient séparés de force de leur famille et de leur collectivité et placés dans des pensionnats dirigés par des sociétés missionnaires, où on les empêchait de parler leur langue, de suivre leurs coutumes et traditions et d’apprendre leur histoire. L’instruction y était souvent de piètre qualité et le sort d’un grand nombre était la malnutrition, la surpopulation, la maladie, une discipline impitoyable et la maltraitance sexuelle. Beaucoup de ces écoles ont été fermées au cours des années 1960, et la dernière, en 1988.

La traite des esclaves africains, de même que la ségrégation et la discrimination raciales font aussi partie de l’histoire du Canada. En effet, la traite des Noirs a été activement pratiquée au Canada. De 1628 au début des années 1800, environ 3 000 personnes d’origine africaine sont arrivées au Canada, la plupart comme esclaves. En 1793, le Parlement du Haut-Canada (aujourd’hui l’Ontario), sous le mandat du lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe, adoptait une loi pour empêcher l’arrivée sur son territoire d’autres esclaves et pour limiter la durée des contrats de servitude dans la province (An Act to prevent the further introduction of Slaves, and to limit the term of contracts for Servitude within this Province), première loi à imposer des restrictions à l’esclavage dans l’Empire britannique [21]. L’Ontario est alors devenu un refuge pour ceux qui voulaient échapper à l’esclavage aux États-Unis en empruntant le fameux « chemin de fer clandestin[22] ». En 1833, la loi sur l’émancipation (Emancipation Act) adoptée par le Parlement britannique abolissait l’esclavage dans toutes les parties de l’Empire, l’Ontario compris, mais un lourd héritage devait subsister[23]. Les préjugés et la discrimination allaient continuer à barrer les horizons de la plupart des Canadiens d’origine africaine.

Les Afro-Canadiens étaient exclus des écoles, églises, restaurants, hôpitaux et transports en commun. Ils étaient cantonnés dans les besognes pénibles et les métiers inférieurs, mal payés[24]. Une foule d’Afro-Canadiens vivaient dans des collectivités ségrégées, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et en Ontario. De plus, la ségrégation domiciliaire se perpétuait par l’adjonction, aux actes de propriété et aux baux, de conventions restrictives du point de vue racial[25]. L’Assemblée législative avait institué des écoles ségrégées, et toute contestation en justice à cet égard était vouée à l’échec[26]. Cette loi devait exister jusqu’en 1964[27].

Antérieurement à l’avènement des droits de la personne, les actions en justice pour discrimination raciale n’avaient généralement pas abouti. En 1939, la Cour suprême du Canada rejetait une poursuite pour cause d’humiliation intentée par Fred Christie, un Noir qu’on avait refusé de servir dans une taverne de Montréal. La Cour, se refusant à tout commentaire sur ce cas patent de discrimination raciale, avait jugé que la liberté de commerce autorisait les marchands à traiter avec le public comme bon leur semblait[28].

L’histoire des Canadiens d’origine chinoise est également marquée par le racisme. Au cours des années 1880, on avait recruté des manœuvres en Chine pour réaliser les périlleux travaux de construction ferroviaire dans les régions montagneuses. Une fois les travaux terminés et après avoir peiné dans des conditions déplorables, ces ouvriers d’une race « hostile » ont été considérés comme une menace pour la société et soumis à d’intenses mesures de discrimination raciale[29].

Des lois ont été adoptées pour restreindre l’immigration chinoise : la Chinese Immigration Act de 1885 imposait un impôt de 50 $, la « capitation », à l’entrée au Canada de toute personne venant de Chine. En 1903, cet impôt atteignait la somme prohibitive de 500 $[30]. En 1872, les Canadiens chinois de Colombie-Britannique se voyaient soustraire le droit de voter aux élections municipales et provinciales (les Canadiens japonais et les Canadiens d’origine sud-asiatique allaient aussi être privés du droit de vote en 1895 et 1907, respectivement)[31]. Les Canadiens chinois étaient en outre assujettis à des lois et politiques discriminatoires touchant le droit d’être propriétaire, d’exploiter un commerce, de servir le public et d’avoir accès à certaines professions. Dans « le soi-disant intérêt de la moralité des femmes et des filles[32] », des lois empêchaient les Chinois d’employer des Blanches[33].

Beaucoup d’entre nous avons entendu parler de l’expérience des Canadiens d’origine japonaise au moment de la Seconde Guerre mondiale et par la suite. Vingt-trois mille Canadiens japonais vivant sur la côte ouest de la Colombie-Britannique ont alors été envoyés dans des camps d’internement et de travail situés dans des régions isolées de l’intérieur de la Colombie-Britannique, du sud de l’Alberta, du Manitoba et du nord de l’Ontario. Outre bien d’autres violations et privations, les Canadiens japonais ont été dépouillés de leurs biens, de leurs entreprises et de leurs économies. Vers la fin de la guerre, les Canadiens japonais ont été menacés d’autres formes d’expulsion. On les a mis en demeure de se « disperser » dans des villes sises à l’est des Rocheuses, sous peine d’être « rapatriés » au Japon (en 1947, 4 000 Canadiens japonais, dont la moitié étaient nés au Canada, ont ainsi été forcés de partir). Le gouvernement canadien ne devait autoriser la libération des prisonniers qu’en 1947, et il a fallu deux autres années avant qu’ils puissent se réinstaller sur la côte ouest. En 1988, on offrait aux 12 000 survivants de la communauté canado-japonaise la somme de 20 000 $ chacun en guise d’indemnisation, et des excuses officielles leur ont été adressées par le Parlement[34].

Au fil de l’histoire du Canada, d’autres groupes ont été en butte au racisme. Par exemple, les Canadiens d’origine sud-asiatique[35] ont fait l’objet d’une hostilité, d’un ressentiment et de préjugés raciaux analogues à ceux qui visaient d’autres groupes racialisés, et ils ont été soumis à des lois discriminatoires analogues, qui limitaient leur mobilité économique et sociale et les privaient du droit de vote[36]. Comme tant d’autres, ils ont subi l’impact néfaste des lois sur l’immigration, qui favorisaient les émigrants des pays d’Europe du Nord et de l’Ouest. En 1914, un navire ayant à son bord 400 candidats à l’immigration en provenance des Indes s’est vu interdire l’entrée au port de Vancouver. Ces personnes ont été détenues à bord du bateau pendant près de trois mois avant d’être refoulées vers leur pays[37].

L’islamophobie

On a donné le nom d’« islamophobie » à une nouvelle forme de racisme qui sévit au Canada. Il s’agit d’un ensemble de préjugés, stéréotypes et actes d’hostilité à l’endroit des personnes musulmanes ou des adeptes de l’Islam en général. En plus de motiver des actes d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie mène à considérer, aux niveaux institutionnel, systémique et sociétal, que les Musulmans constituent une menace accrue pour la sécurité.

Les Canadiens juifs ont été soumis à une discrimination et à des mesures antisémites sanctionnées par la loi. « Zéro, c’est encore trop », avait rétorqué un haut fonctionnaire du gouvernement canadien à qui on demandait combien d’immigrants juifs le pays pourrait accepter à l’époque de la persécution nazie [38]. Des pancartes le long des plages de Toronto affichaient « No Dogs or Jews Allowed » (Interdit aux chiens et aux Juifs). De nombreux hôtels et centres de villégiature s’étaient donné des politiques d’interdiction à l’égard des clients juifs[39]. Ces citoyens se voyaient imposer des restrictions quant aux lieux où ils pouvaient résider et à l’achat des biens. En 1951, un homme de confession juive avait contesté l’une de ces conventions restrictives interdisant la vente d’un bien à toute personne « de race, de couleur ou de sang juif, hébreu, sémite, africain ou de couleur ». La Cour suprême du Canada avait décrété l’annulation de la convention du fait que les termes en étaient trop généraux[40].

Jusqu’à très récemment, les politiques et pratiques d’immigration canadiennes demeuraient imprégnées de racisme et contribuaient à le renforcer. Mais la discussion de l’immigration dépasse la portée de la présente politique[41]; notons simplement que, à diverses périodes, les politiques et pratiques d’immigration du Canada ont, directement ou indirectement, favorisé la venue de certains groupes d’émigrants (ceux d’Europe du Nord et de l’Ouest, par exemple), tout en rendant l’accès plus difficile aux membres des groupes racialisés.

Ce passé raciste a eu des prolongements durables sur les communautés racialisées. Ainsi, les politiques et pratiques paternalistes et assimilationnistes envers les Autochtones ont eu un impact dévastateur. Aujourd’hui, un très grand nombre d’Autochtones se sentent profondément défavorisés dans toutes les sphères de l’existence, notamment la santé, l’éducation, le logement et l’emploi. Les communautés autochtones continuent à lutter pour la revendication de leurs droits et territoires en vertu des traités. Au Canada, les groupes racialisés peuvent tous retracer la source de leur marginalisation à ce fardeau persistant, l’héritage du racisme au Canada.

2. « Race »,  racisme et discrimination raciale

2.1. Le construit social de « race »

La race est un motif de discrimination interdit par le Code, qui n’en donne pas de définition spécifique. Comme ce terme est d’utilisation courante dans le contexte des droits de la personne et de la société en général, il est important de clarifier sa signification.

Dans le passé, on a défini la race comme étant un sous-ensemble biologique ou naturel de l’espèce humaine, en fonction de distinctions physiques, notamment la couleur de la peau et d’autres caractéristiques corporelles. Cette notion de race a vu le jour dans le cadre de la domination impériale par l’Europe de pays et de peuples « non blancs » et a servi de base à une nomenclature des peuples[42]. Certaines des pires atrocités de l’histoire de l’humanité sont associées à des notions de supériorité raciale.

La classification selon la race n’a aucun fondement scientifique légitime. La génétique nous apprend que les caractéristiques physiques et les profils génétiques sont en plus forte corrélation entre les « races » qu’entre les membres de chacune[43]. On reconnaît aujourd’hui que les notions de race sont principalement fonction de processus sociaux qui cherchent à établir des différences entre les groupes, avec le résultat d’en marginaliser certains par rapport à la société.

Alors que les notions biologiques de la race sont tombées en discrédit, ce construit social demeure un levier puissant dans la société. Le processus de construction sociale de la race est dit « racialisation ». Dans le Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, on définit la racialisation comme un processus par lequel les sociétés assoient la notion que les races sont bien réelles, différentes et inégales, de façons qui importent pour la vie sociale, économique et politique[44]. Même des groupes et personnes présentant des différences physiques négligeables par rapport aux Européens de l’Ouest ont été racialisés ici. Par exemple, les émigrants d’Europe du Sud ou de l’Est ont été considérés comme appartenant à des « races » de moindre valeur à leur arrivée au Canada.

La racialisation s’étend non seulement aux membres d’un groupe en général, mais aussi à des traits et attributs spécifiques ayant un rapport quelconque avec les personnes racialisées et qui sont jugés « anormaux », marques d’une valeur moindre. Chez certains, les préjugés se rattachent à des caractéristiques racialisées. Outre les traits physiques, les caractéristiques habituellement racialisées comprennent les suivantes :

  • l’accent ou la façon de parler
  • le nom
  • les vêtements et l’apparence
  • le régime alimentaire
  • les croyances et pratiques
  • les préférences en matière de loisirs
  • le lieu d’origine
  • la citoyenneté

Même si nous savons que les « races » n’existent pas, le construit social de race reste à l’oeuvre dans notre société, avec des conséquences réelles pour un grand nombre de personnes[45]. Le motif de la « race » du Code continue donc d’être important lors de toute discussion sur le racisme et la discrimination raciale.

2.1.1. Choix des termes 

Cerner la meilleure façon de décrire les personnes comporte des défis inhérents. La terminologie est fluide, et ce que nous considérons comme approprié maintenant évoluera tout probablement avec le temps. De plus, les membres d’un groupe peuvent ne pas s’accorder sur une définition et vouloir se décrire autrement. Cependant, la CODP estime utile de fournir des directives d’ordre général sur la terminologie qu’elle considère comme la plus inclusive à l’heure actuelle.

Lorsqu’il est nécessaire de donner une description collective de certaines gens, les termes « personnes racialisées » ou « groupes racialisés » sont préférables à ceux de « minorités raciales », « minorités visibles[46] », « personnes de couleur[47] » ou « non-Blancs », puisqu’ils dénotent l’aspect construit social de la race plutôt que les traits biologiques perçus. En outre, ces autres termes renvoient à celui de « Blanc » pris comme norme de comparaison et ont tendance à regrouper toutes les personnes racialisées sous une catégorie unique, comme si elles étaient toutes pareilles.

Lorsque l’identification des personnes est nécessaire, il est toujours préférable de permettre à ces personnes de le faire elles-mêmes. Si cela n’est pas possible, les termes choisis devraient avoir un rapport avec la raison pour laquelle l’identification est requise. Par exemple, si l’on veut comparer la représentation d’un groupe au sein d’une organisation et dans la population générale, il serait logique de se servir des termes du recensement canadien. En général, il vaut mieux éviter un terme d’acception large (p. ex. Asiatique) si l’on dispose d’un terme plus spécifique, tel que celui qui renvoie à l’origine nationale (p. ex. Canadien chinois). Il faut éviter les termes qui sont clairement considérés inappropriés, et, si une personne s’oppose à l’utilisation d’un terme, on ne doit pas l’employer.

Les termes « Noir » et « Blanc[48] » sont d’utilisation courante pour décrire les personnes et peuvent même être ceux que les gens préfèrent pour se décrire eux-mêmes. Même si, aujourd’hui, ces termes ne sont pas considérés comme inconvenants par la plupart, il faut tout de même se souvenir qu’ils renvoient à des caractéristiques racialisées.

2.2. Comprendre le racisme

Le racisme est un phénomène plus large que la discrimination raciale. Le Code cherche à combattre le racisme par des mesures d’éducation populaire et de défense/promotion des droits de la personne, mais ce ne sont pas toutes les manifestations de racisme qu’il est possible d’éradiquer en recourant au processus et mécanisme courants d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Ce ne sont que les actes discriminatoires au motif de la race et dans certains domaines sociaux particuliers qui sont interdits par le Code (voir la section 2.3. Le Code et la discrimination raciale). Il demeure que le racisme joue un rôle majeur dans les processus sociaux qui donnent lieu à la discrimination raciale et la consolident. Il est donc crucial pour une politique en la matière de reconnaître et de comprendre le racisme en tant que réalité à la fois historique et toujours agissante dans la société canadienne.

Il existe de nombreuses définitions du racisme, qui diffèrent sur les plans de la complexité et du point de vue, et qui peuvent souvent être très difficiles à saisir. Nous donnons ci-dessous un exposé des principaux éléments nécessaires pour comprendre cette notion.

Toutes les définitions du racisme concordent sur un point : cette idéologie repose sur le postulat, explicite ou implicite, de la supériorité inhérente d’un groupe racialisé par rapport aux autres. L’idéologie raciste se manifeste parfois ouvertement, par des insultes, des plaisanteries malicieuses ou des actes haineux. Il reste que, bien souvent, elle est profondément enracinée dans des valeurs, croyances et attitudes stéréotypées. Dans certains cas, ces croyances sont inconscientes et font partie intégrante et fondamentale de systèmes et institutions qui ont évolué avec le temps.

Matière à réflexion 

En discutant du racisme, il faut tenir compte des privilèges qui vont de soi – avantages, accès et opportunités inhérents aux membres du groupe dominant de la société ou à un contexte donné. C’est ce que signifie l’expression « apanage des Blancs ».
Pour certains, cette notion reste controversée, mais réfléchissons aux énoncés suivants, qui sont utiles pour comprendre comment les expériences peuvent différer en fonction du privilège.

  1. Si je veux ou dois déménager, je peux être assez certain de ne pas me faire dire qu’un appartement est déjà loué quand le propriétaire m’aperçoit.
  2. Si je parle à « la personne responsable », ce sera probablement quelqu’un de ma « race ».
  3. Je peux aller faire des achats seul sans me faire suivre. Je n’ai pas à me préoccuper de ma tenue vestimentaire avant d’entrer dans un magasin haut de gamme.
  4. Quand je paie par chèque ou carte de crédit, ma couleur de peau ne me desservira pas quant à l’apparence de solvabilité.

Si je désire discuter ouvertement de mes croyances religieuses ou les afficher, je n’ai pas à craindre que les gens me disent de « retourner là d’où je viens ».
(Adaptation de P. McIntosh, « White Privilege: Unpacking the Invisible Knapsack »; en ligne : www.case.edu/president/aaction/UnpackingTheKnapsack.pdf)

Le racisme se distingue du simple préjugé du fait qu’il est aussi associé au pouvoir – institutionnel, politique, économique et social – détenu par le groupe dominant de la société. En Ontario et au Canada, les institutions qui ont le plus grand degré d’influence et de pouvoir, soit les gouvernements, le système d’éducation, la banque, le commerce et le système judiciaire, ne sont pas à l’heure actuelle pleinement représentatives des groupes racialisés, particulièrement à l’échelon supérieur.

Le racisme se manifeste souvent par des présupposés, croyances et actes négatifs. Mais il n’est pas perpétué simplement par les personnes. Il peut être présent de façon évidente dans les structures et programmes organisationnels ou institutionnels aussi bien que dans les attitudes et comportements individuels. Le racisme opprime et subordonne certaines personnes au nom de caractéristiques racialisées. Il a des effets marqués sur la vie économique, politique, sociale et culturelle.

2.2.1. Comment se manifeste le racisme

On a vu dans ce qui précède que le racisme existe effectivement, à un certain nombre de niveaux[49], notamment : 1) individuel; 2) institutionnel ou systémique; 3) sociétal (c’est-à-dire idéologique ou culturel).

Au niveau individuel, le racisme peut s’exprimer par des propos, mais aussi dans la vie courante, plusieurs incidents survenant au fil des interactions. C’est le sens de l’expression « racisme ordinaire », souvent de nature assez subtile. Bien qu’évident pour la personne qui en éprouve les effets, le racisme ordinaire peut être diffus, au point de difficilement pouvoir faire l’objet de plaintes. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un domaine social visé par le Code, il peut y avoir des circonstances où le racisme ordinaire, dans le cadre d’un contexte plus large, suffit à justifier un constat de discrimination raciale (voir la section 3.3. Discrimination raciale subtile, pour un exposé de ces situations). Dans un cas comme dans l’autre, l’effet cumulatif de ces brimades quotidiennes est grave.

Le Canada est un pays fondé sur la colonisation et l’immigration. Sa population est l’une des plus diversifiées au monde. Cette mosaïque de personnes et de cultures présente des défis uniques et en mutation constante au plan des relations humaines. Certaines requêtes en matière de droits de la personne sont déposées au motif d’un racisme exercé par des groupes racialisés, d’un groupe vis-à-vis d’un autre ou à l’intérieur d’un de ces groupes. Les conséquences de ces situations, la perte d’un emploi par exemple, sont tout aussi graves que celles du racisme perpétué par les Blancs, et les requêtes s’y rapportant devraient être traitées avec le même sérieux.

Au niveau institutionnel ou systémique, le racisme est évident dans certaines politiques, pratiques et procédures gouvernementales ou organisationnelles, ainsi que dans des « façons normales de faire » qui peuvent, directement ou indirectement, consciemment ou non, promouvoir, appuyer ou asseoir un privilège à impact différentiel pour certaines personnes et des désavantages pour d’autres.

L’expérience du racisme au jour le jour

Voici des exemples de racisme au quotidien :
Paroles : Un vendeur adopte un ton empreint de froideur, cassant ou sarcastique, lorsqu’il s’adresse à des clients afro-canadiens.
Regards : Après les événements du 9 septembre, une famille de Canadiens musulmans se fait regarder avec mépris.
Actes : Lorsqu’un Canadien chinois s’assoit dans l’autobus, les passagers voisins changent de place.

Au niveau sociétal, le racisme est manifeste dans les expressions culturelles et idéologiques qui sous-tendent et soutiennent certaines valeurs et croyances dominantes. Il ressort dans un vaste éventail de concepts, d’idées, d’images et d’institutions qui fournissent le cadre de signification et d’interprétation de la pensée racialisée dans la société. Le racisme est diffusé et reproduit par des organes de socialisation et de transmission culturelle, tels que les médias de masse (qui représentent les personnes racialisées comme étant différentes de la norme ou comme des sources de problèmes), les écoles et universités, les doctrines et pratiques religieuses, l’art, la musique et la littérature. Le phénomène se reflète dans la langue de tous les jours, ainsi : les concepts « blanc, blancheur » sont très nettement associés à des connotations positives, tandis que « noir, noirceur » ont des connotations négatives[50]. Ces formes de racisme sont étayées par la socialisation, puisque les enfants commencent à absorber ces valeurs et croyances dès l’âge le plus tendre[51].

Comme nous l’avons déjà dit, pour réagir efficacement au racisme en Ontario, il faut clairement reconnaître son existence persistante. Or, comme une stigmatisation considérable s’attache aux allégations de racisme, on a tendance à nier son existence, en général ou dans une situation donnée.

Soulignons que, sous ses formes les plus courantes, le racisme s’exprime souvent de manière inconsciente et que son mécanisme est souvent ignoré, même par ceux qui l’exercent. En outre, comme nous le relevons plus tôt dans la politique, même si le Canada a beaucoup progressé pour le mieux, le racisme y demeure une réalité. Mais il ne faudrait pas y voir un comportement aberrant ou un ensemble d’attitudes déviantes émanant de « personnes anormales », qui seraient en quelque sorte les « brebis galeuses » de la société. Le défaut de reconnaître la nature complexe, subtile et systémique du racisme entrave toute mesure efficace à son encontre.

Enfin, la CODP est d’avis que, sauf dans les circonstances les plus patentes – par exemple, lorsque l’intention de poser des actes racistes est explicite –, il est préférable de qualifier de racistes des actes plutôt que des personnes.

Le saviez-vous?

Le Rapport sur le racisme au Canada du Rapporteur spécial de l’ONU formule la recommandation suivante :

[traduction]
Le gouvernement canadien ajouterait grandement à sa crédibilité, à sa fiabilité et à la reconnaissance de son engagement politique certain vis-à-vis de la lutte contre le racisme, la discrimination et la xénophobie en admettant, au niveau le plus élevé, la persistance de cette plaie sociale, malgré tous les efforts accomplis.

(Rapport du Rapporteur spécial sur le racisme, 24)

2.3. Le Code et la discrimination raciale

2.3.1. Définition de la discrimination raciale 

L’objet de lois contre la discrimination telles que le Code est de prévenir la violation de la dignité humaine et des droits et libertés de la personne en faisant subir aux membres de certains groupes des préjugés et un stéréotypage d’ordre social ou politique. Le racisme est bien un phénomène de société, mais ce sont les actes de discrimination raciale qui sont interdits par la Loi[52].
Il n’y a pas de définition standard du terme, et la notion qu’ont les gens de ce qui constitue de la discrimination raciale continuera d’évoluer avec le temps. La discrimination raciale a donné lieu à plusieurs descriptions, qui peuvent être utiles pour comprendre ce concept et l’expliquer.

Par exemple, dans le contexte international des droits de la personne, la notion a été décrite comme recouvrant toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race qui oblitère ou infirme les droits de la personne ou les libertés fondamentales dont jouissent les citoyens[53]. La jurisprudence canadienne propose de voir dans ce concept toute distinction, conduite ou acte, intentionnel ou non mais fondé sur la race, qui a pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe des fardeaux particuliers et qui entrave ou restreint l’accès à des avantages dont peuvent se prévaloir les autres membres de la société[54]. De plus, la jurisprudence atteste explicitement que la race peut même ne figurer qu’à titre de facteur pour qu’il y ait constat de discrimination raciale.

Le Code offre à tous les Ontariens des mesures de protection contre la discrimination raciale, plus particulièrement dans les domaines de l’emploi, des services, du logement, des contrats et de l’appartenance à une association professionnelle.

2.3.2. Discrimination raciale et motifs connexes figurant au Code 

Outre la race, plusieurs motifs connexes sont interdits par le Code, soit principalement l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté et la croyance (religion).

Selon les circonstances, la discrimination fondée sur la race peut s’attacher à la race uniquement ou à un ou plusieurs motifs connexes. Cependant, à titre de construit social, le motif de la race peut recouper tous les motifs connexes, de même que toute autre caractéristique racialisée et utilisée à cette fin de discrimination.

Dans beaucoup de cas de discrimination raciale, la notion précise de la race qui motive l’acte revêt une signification spécifique de par les motifs associés. Dans ces situations, il serait approprié de citer ces autres motifs, outre la race même. Par exemple, lorsqu’un candidat qui s’appelle Mohammed est écarté d’un concours de recrutement à cause de son nom, il est approprié de citer comme motifs de discrimination la race, l’origine ethnique, l’ascendance, le lieu d’origine et la croyance, car le nom en cause est racialisé – précisément parce qu’il est associé par stéréotype à une origine et à une croyance spécifiques.

Dans d’autres situations, les indicateurs figurant dans les motifs illicites au sein du Code sont employés à titre d’euphémismes ou de substituts de la notion de race[55]. La plupart des gens ayant appris qu’ils ne peuvent explicitement différencier et juger des personnes à cause de leur race, la discrimination raciale se dissimule sous d’autres notions et termes moins stigmatisés. Même les victimes de ces actes sont souvent réticentes à employer des notions et des termes tenant explicitement à la race. Par exemple, dans des cas de discrimination raciale, on pourra parler de l’accent ou du lieu d’origine d’une personne plutôt que de sa race. Il convient de citer avec la race certains motifs connexes figurant dans le Code dans les cas où la discrimination emprunte ces descripteurs à titre d’euphémismes ou de substituts pour la race.

En pratique, on a souvent du mal à préciser ce qui sous-tend la discrimination raciale. Un membre des Premières nations pourra subir de la discrimination en raison de la couleur de sa peau ou de stéréotypes associés à son ascendance ou à son origine ethnique, d’une certaine répugnance pour les pratiques de sa croyance, ou encore dû à une combinaison de ces facteurs. Ce sont toutes là des possibilités parfois difficiles à différencier. Dans ces situations, le construit social de race peut embrasser des motifs connexes du point de vue de la signification, mais, en pratique, il est préférable d’énumérer tous les motifs pouvant avoir compté comme facteurs dans l’expérience subie par la victime.

2.3.3. Intersection et chevauchement des motifs

Plusieurs des motifs d’interdiction stipulés par le Code ont un rapport relativement moins étroit avec celui de la race, notamment le sexe, un handicap, l’âge, l’état familial et l’orientation sexuelle. Il n’en reste pas moins que l’expérience de la discrimination peut être colorée par ces autres motifs.

Certaines personnes sont victimes de discrimination en raison de facteurs d’identification en intersection ou en chevauchement[56]. À cause d’une combinaison d’identités qui leur est propre, elles peuvent être exposées à des formes particulières de discrimination et subir à leur façon un préjudice social et des souffrances analogues à celles qui accompagnent les actes de discrimination.

Parallèlement, des situations de discrimination raciale peuvent survenir à cause d’une intersection avec d’autres motifs cités dans le Code et aboutir à des combinaisons inédites, lourdes de conséquences. Par exemple, un jeune homme noir peut être perçu à la fois comme « Noir », comme « jeune » et comme « homme ». Ces trois facteurs d’identité se chevauchent, mais sont aussi en intersection d’une manière socialement significative. Cette personne peut être exposée à la discrimination en raison de l’un ou l’autre des motifs de race et/ou de couleur, d’âge et de sexe indépendamment, même si en l’occurrence ces facteurs ne sont pas en cause de manière significative. Ce type de personne peut aussi être exposée à une forme de discrimination intersectionnelle, fondée sur son identité de « jeune homme noir », en fonction des divers présupposés et/ou stéréotypes associés univoquement à cette intersection socialement significative.

Dans l’application du Code, la Commission tente de relever toutes les ramifications possibles d’intersection et de chevauchement d’identités, et elle exige que la diversité de la société soit reconnue et respectée. Il est donc important de considérer les intersections possibles et, lorsque des allégations de discrimination raciale ont lieu et que les circonstances s’y prêtent, de citer la race au même titre que les autres motifs pertinents si l’intersection est manifeste.

2.4. Racisme et discrimination raciale – « mythes » courants

Les écrits sur le racisme et la discrimination raciale mentionnent souvent des modes de réactions différents de ceux que soulèvent d’autres situations problématiques en matière de droits de la personne. En fait, il existe un ensemble de « mythes » courants, qui entrent fréquemment en jeu quand il est question de racisme et de discrimination raciale. Ces mythes ont pour but de museler ceux qui s’élèvent contre le racisme et la discrimination raciale; de plus, ils entravent les efforts de lutte contre ces deux fléaux et peuvent même miner la capacité des décideurs à traiter les plaintes avec objectivité[57].

Au nombre des mythes et idées fausses sur le racisme et la discrimination raciale, il y a les suivants :

  • on exagère l’ampleur du racisme et, exception faite du cas ou des actes de quelques « brebis galeuses », le racisme n’existe pas au Canada;
  • les Canadiens sont « daltoniens » quand il s’agit de couleur de peau et ne font pas de distinction entre les races;
  • le simple fait de mentionner l’existence du racisme ou de la discrimination raciale ou de prendre des mesures proactives de lutte contre ces fléaux revient à exercer un racisme à rebours à l’égard des Blancs;
  • les personnes racialisées sont moins crédibles et leurs affirmations doivent être examinées plus attentivement, ou encore corroborées;
  • les personnes racialisées jouent la « carte de la race » pour mieux manipuler individus et systèmes et obtenir ce qu’elles veulent;
  • les personnes racialisées sont trop susceptibles; elles ont tendance à réagir de manière excessive ou aigrie;
  • ce sont les personnes racialisées elles-mêmes – et non le racisme ou la discrimination – qui sont responsables de leur situation défavorisée ou « d’exception », ce qui revient à « blâmer la victime »;
  • l’immigration est au détriment des Canadiens, car les immigrants s’emparent des emplois, commettent davantage de délits, siphonnent le système et ne s’adaptent pas à notre société;
  • si une personne racialisée a été traitée de façon acceptable dans le passé, il est impossible qu’elle subisse un traitement discriminatoire par la suite[58].

Ces réactions établissent un climat qui entrave tout genre de réaction efficace contre l’inégalité raciale[59].


[1] On continue d’enregistrer, en Ontario et au Canada, des délits haineux qui ont, sur la victime, sur sa communauté et sur la société en général, des répercussions démesurées, plus durables que celles de la plupart des autres délits. Malgré le fait que, selon la police, les délits haineux signalés ne représentent que de 10 % à 15 % des dossiers, les services policiers de Toronto ont dénombré en 2004 un total de 163 de ces délits, commis à l’encontre des groupes les plus divers; voir Toronto Police Service Hate Crime Unit, 2004 Annual Hate/Bias Crime Statistical Report, en ligne : < www.torontopolice.on.ca/publications/files/reports/2004hatecrimereport.pdf>. La Ligue des droits de la personne de B’nai Brith note que l’antisémitisme continue sa montée et que 2004 s'est caractérisée par une recrudescence, pour la quatrième année consécutive, des incidents d’antisémitisme signalés; voir Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, Rapport des incidents d’antisémitisme – Préjugés et intolérance au Canada (Toronto, Ligue des droits de la personne, 2005); en ligne : < /www.bnaibrith.ca>.
[2] Voir les divers rapports sur l’inégalité entre les races, notamment celui du Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance, de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, E/CN.4/2004/18/Add.2 (1er mars 2004) [ci-après Rapport du Rapporteur spécial sur le racisme].
[3] Par exemple, dans l’affaire R. c. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324, par. 342, la Cour d’appel de l’Ontario déclarait :

[Traduction]
Le racisme, en particulier le racisme à l’endroit des Noirs, fait partie de la mentalité de notre collectivité. Un segment non négligeable de notre collectivité défend ouvertement des points de vue racistes. Un autre segment, encore plus important, agit subconsciemment sur la base de stéréotypes raciaux négatifs. De plus, nos institutions, dont le système de justice pénale, reflètent et perpétuent ces stéréotypes négatifs. Pris ensemble, tous ces éléments propagent le fléau du racisme dans notre société.

Voir également l’affaire R. c. Williams [1998] 1 R.C.S. 1128 et R. c. Hamilton [2004] O.J. No. 3252 (C.A.). Pour consulter des affaires relatives au profilage racial, voir infra note 66.
[4] Pour faciliter la lecture, le masculin est utilisé pour désigner les deux sexes.
[5] L’Association d’études canadienne est un organisme à but non lucratif et à caractère bénévole. Elle a pour mission de diffuser une meilleure connaissance du Canada, par l’enseignement, la recherche et la publication.
[6] Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario (Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 1995) (coprésidents : D. Cole et M. Gittens).
[7]Unequal Access: A Canadian Profile of Racial Differences in Education, Employment and Income, rapport préparé pour la Fondation canadienne des relations raciales par le Conseil canadien de développement social (Toronto, Fondation canadienne des relations raciales, 2000).
[8] Commission ontarienne des droits de la personne, Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial (Toronto, Imprimeur de la reine, 2003).
[9] Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (Ottawa, Groupe Communication Canada – 1996) (coprésidents : R. Dussault et G. Erasmus).
[10] Par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 U.N.T.S. 171 (entré en vigueur le 23 mars 1976 et ratifié par le Canada le 19 mai 1976) [ci-après le PIDCP] et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 U.N.T.S. 3 (entré en vigueur le 3 janvier 1976 et ratifié par le Canada le 19 août 1976) [ci-après le PIDESC].
[11] 21 décembre 1965, 660 U.N.T.S. 195 (entrée en vigueur le 4 janvier 1969 et ratifiée par le Canada le 14 octobre 1970) [ci-après la CEDR].
[12] Aux fins de la présente politique, les plus pertinents sont la Déclaration et programme d’action de Vienne, document adopté par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, UN Doc. A/CONF. 157/23 (1993) et ratifié par l’AG Res. 48/121, UN Doc. A/RES/48/121 (1993), la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, document adopté et promulgué par la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) le 27 novembre 1978, E/CN.4/Sub.2/1982/2/Add.1, annex V, 1982, ainsi que, plus récemment, la Déclaration et programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, 25 janvier 2002, A/CONF.189/12.
[13] Rapport du Rapporteur spécial sur le racisme, supra, note 3.
[14] Voir l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson [1989] 1 R.C.S. 1038 et l’affaire Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, par. 70-71.
[15] En 1960, le Canada a proclamé un énoncé déclaratoire des droits de la personne, sous le titre Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44. Cette déclaration, bien que formulée à la manière d’un document constitutionnel, était une loi qui pouvait être annulée par des autres lois, et ne s’appliquait pas aux lois provinciales. Les cours avaient tendance à lui donner une interprétation stricte et la déclaration était source de déception pour ceux qui aspiraient à l’avènement d’une véritable Déclaration des droits à caractère constitutionnel; voir McLachlin, infra, note 22, par. 37-38. En 1962, la Commission ontarienne des droits de la personne, la première à voir le jour au Canada, était instituée aux fins de l’application du Code des droits de la personne de l’Ontario, qui a été promulgué en 1962 également. La Charte canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur en avril 1982; les dispositions de l’article 15 sur les droits à l’égalité ne devaient toutefois être adoptées que trois ans après le corps de la Charte. Il s’agit d’un document constitutionnel, auquel les lois tant provinciales que fédérales et les actes de gouvernement doivent se conformer. La Charte est fondée sur la primauté du droit et enchâsse dans la Constitution du Canada les droits et libertés, y compris les droits à l’égalité que les Canadiens croient nécessaires dans une société libre et démocratique.
[16] Rapport du Rapporteur spécial sur le racisme, supra, note 3, par. 68-99.
[17] Nous traçons ici les grandes lignes du racisme dans l’histoire du Canada, en faisant ressortir les traits communs à certaines de ses manifestations les plus significatives. Ce résumé ne prétend pas présenter un examen détaillé ou exhaustif de l’expérience de chaque communauté racialisée et ne doit pas servir de base de comparaison quant au degré de racisme subi par les diverses communautés.
[18] Voir les statistiques sur les délits haineux, supra, note 2. Selon un sondage récent d’Ipsos-Reid commandé par l’Institut du Dominion, un Canadien adulte sur six déclarait avoir personnellement été victime de racisme. De plus, un Canadian adulte sur dix environ serait mécontent d’avoir pour voisins des gens d’une autre race; voir Ipsos-Reid, "March 21st, International Day for the Elimination of Racial Discrimination;
[19] Ce bref historique du racisme subi par les Autochtones se fonde sur des exposés plus poussés, dans : F. Henry, C. Tator, W. Mattis et T. Rees, The Colour of Democracy: Racism in Canadian Society, 2e éd. (Toronto, Nelson, a division of Thompson Canada Ltd., 1998), 119-142; M. Jacko, "The Experience of Aboriginal Peoples in Canada", document rédigé pour l’International Council on Human Rights Policy (2001).
[20] Pour un exposé détaillé des événements qui ont laissé une marque si profonde sur la culture autochtone qu’on les a parfois collectivement qualifiés de « génocide culturel », voir le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, supra, note  9, partie I, chapitre 6, stade 3, où l’on traite du déplacement et de l’assimilation.
[21] Voir Archives publiques de l’Ontario, à www.archives.gov.on.ca/french/exhibits/humnrits/slavery.htm, et Fondation du patrimoine ontarien, à < www.heritagefdn.on.ca/userfiles/HTML/nts_1_2724_1.html>.
[22] Voir Archives publiques de l’Ontario, ibid.
[23] Voir Très honorable Beverly McLachlin, "Racism and the Law: The Canadian Experience" (2002), 1 J.L. & Equality, 7-24, par. 18; en ligne : QL (JOUR).
[24] Ibid.
[25] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 71-72.
[26] Stewart and School Trustees of Sandwich (1864), 23 U.C.Q.B., 634, 638 (lorsqu’il n’existait pas d’école distincte, on ne pouvait interdire la fréquentation de l’école commune); Hutchinson and School Trustees of St. Catharines (1871), 31 U.C.Q.B, 274, 277-279 (une demande visant à forcer les commissaires à admettre les élèves noirs à l’école publique avait été rejetée parce que les élèves étaient en surnombre, mais la Cour avait déclaré non justifié le refus d’admettre un élève noir en raison de sa couleur); Re Hill c. School of Trustees of Camden and Zone (1874), 11 U.C.Q.B., 573, 578-579 (une demande voulant forcer les commissaires à admettre les élèves noirs avait été rejetée parce que l’établissement d’une école distincte pour les élèves de couleur aurait empêché leurs parents de choisir l’école publique); Dunn c. Board of Education of Windsor (1884), 6.O.R., 125, 127-128 (Ch. Div.) (une demande visant à forcer les commissaires à admettre un élève noir à l’école publique avait été rejetée parce qu’on n’avait pas au préalable présenté la demande à l’inspecteur d’école et que les élèves y étaient en surnombre).
[27] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 72, et C. Smith, « L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 35-38, 36.
[28] McLachlin, supra, note 22, par. 21.
[29] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 72-73.
[30] Un recours collectif intenté contre le gouvernement canadien en vue d’obtenir une indemnisation des effets de la capitation avait essuyé un échec; Mack c. Canada (Attorney General) (2001), 55 O.R. (3d) 113 (Cour sup.), conf. (2002), 60 O.R. (3d) 737 (C.A.), requête en autorisation d’en appeler rejetée [2002], S.C.C.A. No. 476.
[31] McLachlin, supra, note 22, par. 13.
[32] Quong Wing c. The King (1914), 49 R.C.S., 440, par. 444, Sir Charles Fitzpatrick C.J.C.
[33] McLachlin, supra, note 22, par. 14.
[34] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 76-77. Voir également Fondation canadienne des relations raciales, "From Racism to Redress: The Japanese Canadian Experience"; en ligne : www.crr.ca/EN/MediaCentre/FactSheets/eMedCen_FacShtFromRacismToRedress.pdf>.
[35] Ce terme englobe les personnes originaires de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka, du Bhoutan, du Népal et du Bangladesh; Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 76.
[36] Ibid., 76-77.
[37] Ibid., 79.
[38] Pour un exposé détaillé, voir I. Abella et H. Troper, None Is Too Many: Canada and the Jews of Europe, 1933 to 1948 (Toronto, Lester & Orpen Dennys, 1982).
[39] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 80.
[40] Noble c. Alley [1951], R.C.S., 64.
[41] Les politiques fédérales de l’immigration relèvent du Parlement canadien et ne tombent donc pas sous le coup des codes provinciaux des droits de la personne.
[42] F. Henry, « Les concepts de race et de racisme et leurs implications pour la Commission ontarienne des droits de la personne » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 4.
[43] Robert Miles et Rudy Torres, "Does “Race” Matter? Transatlantic Perspectives on Racism after Race Relations", dans V. Amit-Talai et C. Knowles (dir.), Re-Situating Identities: The Politics of Race, Ethnicity and Culture (Peterborough, Broadview Press, 1995), 24-46 :
[traduction]
... Les sciences biologiques et génétiques ont, plus tôt dans notre siècle, établi de façon concluante et à la lumière de preuves empiriques, que toute tentative de prouver scientifiquement l’existence de différents types ou « races » d’êtres humains avait échoué. [25]
[44] Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, supra, note 6, 40-41.
[45] M. Castagna et G. J. S. Dei, "An Historical Overview of the Application of the Race Concept in Social Practice", dans A. Calliste et G. J. S. Dei (dir.), Anti-Racist Feminism (Halifax, Fernwood Publishing, 2000) 19-37, 35.
[46] Les expressions qui décrivent les personnes racialisées comme étant une « minorité » présupposent que les Blancs sont le groupe de population prédominant, ce qui donne une fausse image de la plupart des pays du monde et, de plus en plus, de nombreuses régions du Canada.
[47] Terme qui désigne toutes les personnes perçues comme n’étant pas des Blancs par le groupe dominant, généralement utilisé par les groupes racialisés comme solution de rechange à l’expression de minorité visible. Ce terme insiste sur la couleur de la peau comme étant un facteur clé dans la vie « de tous les jours »; Fondation canadienne des relations raciales, Glossary of Terms (avril 2005). Cependant, le terme est imprécis et ce ne sont pas toutes les personnes racialisées qui seraient disposées à se décrire de cette façon.
[48] La CODP a décidé d’utiliser la majuscule pour les termes « Noirs » et « Blancs », avec la réserve qu’il s’agit là d’un point discutable.
[49] Pour plus de détails, voir F. Henry, « Les concepts de race et de racisme et leurs implications pour la Commission ontarienne des droits de la personne », supra, note 41.
[50] Un survol des définitions de dictionnaires et d’autres répertoires l’atteste. Par exemple, il suffit de songer aux connotations positives des termes « blanc comme neige » et « chevalier blanc » en regard des connotations négatives de « liste noire », « marché noir », « bête noire », « idées noires » et nombre d’autres qui renferment le mot « noir ».
[51] Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 56-57
[52] Cette distinction a été reconnue de façon succincte par la commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse, dans l’affaire Johnson c. Halifax (Regional Municipality) Police Service (2003), 48 C.H.R.R. D/307 (commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse).
[53] Adaptation de la définition donnée par la CEDR, supra, note 11, article 1 :

[traduction]
toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine ethnique ou nationale ayant pour but ou pour effet d’infirmer ou d’interdire la reconnaissance, l’exercice ou la jouissance, sur un pied d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et autre de la vie en société.

[54] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, par. 174.
[55] Pour plus de détails, voir J. A. Rummens, « Opérationnaliser la race et ses fondements connexes dans la politique ontarienne des droits de la personne » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 7.
[56] La CODP a maintes fois reconnu l’importance d’appliquer une optique intersectionnelle à la discrimination fondée sur des motifs multiples, de même que la pertinence toute spéciale de cette optique lors des plaintes pour discrimination raciale. Voir Commission ontarienne des droits de la personne, Approche intersectionnelle de la discrimination pour traiter les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur des motifs multiples (octobre 2001); en ligne : < www.ohrc.on.ca>.
[57] Pour l’exposé des cinq présuppositions qui ont joué dans l’analyse qu’ont faite les tribunaux des droits de la personne des affaires liées à la race, voir R. Dhir, "Common Myths and Misconceptions about Racial Discrimination: A Case Study" (2nd Annual Human Rights Symposium: Focus on Racial Discrimination, mai 2003).
[58] Voir en particulier l’affaire Smith c. Mardana, infra, note 79. Le Tribunal a suivi le raisonnement suivant : Pourquoi des personnes qui l’avaient embauché, chez qui il avait fait bonne impression, qui l’avaient promu et qui avaient modifié ses heures de travail pour lui permettre de suivre des cours auraient-elles soudainement pris une décision à son détriment à cause de sa race? (par. 23). Cependant, la Cour divisionnaire a reconnu dans cet argument un mythe courant, qui se concentre indûment sur les motifs des intimés et ne fait pas vraiment partie de l’analyse visant à déterminer si un incident de discrimination raciale s’est ou non produit.
[59] Voir également Henry, Tator, Mattis et Rees, supra, note 18, 384-385.

Discrimination Type: 

Partie 2 – Cadre de la politique

3. Types de discrimination raciale

Il n’est pas possible de catégoriser clairement les expériences très diverses que font les gens de la discrimination raciale. Les manifestations de discrimination se chevauchent en bonne partie, estompant leurs distinctions. Cependant, aux fins de cette politique, il nous faut décrire les différentes façons dont la discrimination raciale peut survenir. Nous ferons donc ci-dessous l’exposé des principales manières dont peut se produire la discrimination raciale, ce qui sera utile pour comprendre cette expérience et prendre des mesures à cet égard.

3.1. Stéréotypage et préjugé

S’il est vrai que la discrimination raciale est devenue plus subtile et se déguise parfois, le préjugé, le parti pris et le stéréotypage demeurent une réalité dans tous les secteurs, y compris et sans s’y limiter : lieux de travail, logement, magasins, centres commerciaux, restaurants, hôpitaux, écoles et système judiciaire.

L’un des mécanismes les plus frappants de la discrimination raciale est le stéréotypage, soit l’utilisation des catégories sociales, telles que la race, la couleur, l’origine ethnique, le lieu d’origine, la religion, pour l’acquisition, le traitement, la mémorisation et le rappel d’information au sujet d’autrui[60]. Le stéréotypage comporte généralement l’attribution des mêmes caractéristiques à tous les membres d’un groupe, en gommant leurs traits individuels. Ce procédé se fonde souvent sur des idées erronées, une information incomplète et/ou de fausses généralisations. Et tant la psychologie que l’expérience pratique confirment que tous peuvent recourir à des stéréotypes, même les personnes bien intentionnées, apparemment dénuées de partis pris. Il est en quelque sorte naturel pour l’être humain de recourir au stéréotypage racial, mais le procédé est néanmoins inacceptable en société.

Dans la plupart des cas, le stéréotype attribue des caractéristiques à un groupe. Il est impossible de décrire toutes les généralisations auxquelles on peut arriver au sujet d’autrui. Relevons toutefois la tendance à retenir des présupposés voulant que les personnes racialisées, dans leur ensemble ou chez certains groupes, sont peu intelligentes, paresseuses, non fiables, déficientes au plan de l’hygiène et de la civilisation, de moeurs faciles, serviles, portées aux abus de drogues et d’alcool, de moralité douteuse, susceptibles de se livrer à des activités criminelles et réfractaires à l’intégration (c.-à-d. incapables de s’adapter à la société canadienne).

Dans certains cas, les stéréotypes sont « positifs », p. ex. les généralisations voulant que les membres d’un groupe donné soient des as en maths, des super-athlètes ou des employés modèles. Mais il importe de ne pas minimiser les effets préjudiciables de ces « stéréotypes positifs », qui peuvent tout comme leurs contraires aboutir à l’inégalité de traitement. Par exemple, un éducateur peut encourager ses étudiants afro-canadiens à privilégier les sports au détriment de leur scolarité, suivant la croyance qu’ils réussiront dans le système scolaire uniquement grâce à leurs performances athlétiques, et manquer à appuyer suffisamment leurs aspirations et intérêts du côté des études proprement dites. Les élèves peuvent en venir à adopter ces stéréotypes, donner priorité à leurs activités sportives, négliger leur rendement et compromettre leur réussite scolaire[61].

Les stéréotypes sont insidieux : ils peuvent donner lieu à des actes qui aboutissent à une inégalité de traitement et aussi être intériorisés par leurs sujets, lesquels en viennent à y ajouter foi ou à les accepter.

Nombre de plaintes pour discrimination raciale allèguent que l’intimé se fondait, habituellement de façon indirecte, sur des stéréotypes.

Exemple : Un propriétaire avait refusé de louer un appartement à une Noire, en partie à cause du stéréotype voulant que les Noirs soient des indigents et généralement bruyants. Un tribunal[62] a jugé que si le stéréotypage racial constitue un facteur dans le refus de louer une unité résidentielle, il y a infraction au Code[63].

Exemple : Une Autochtone avait été expulsée d’un hôtel où l’on avait refusé de la servir au bar. Le tribunal a estimé particulièrement insultant que l’hôtelier, face à une femme autochtone se trouvant seule dans un hôtel, en ait conclu qu’il s’agissait d’une prostituée[64].

La discrimination raciale peut en outre découler de préjugés ouverts ou d’une antipathie ou de sentiments négatifs de la part d’une personne au sujet d’une autre ou d’un groupe.

Exemple : Un employeur avait rejeté la candidature à un emploi d’une Noire après l’avoir rencontrée. Visiblement outré, il avait carrément rejeté la postulante, sans même s’informer de ses titres de compétences. Lorsqu’on l’avait interrogé sur ce qui faisait défaut, il avait vaguement mentionné le maintien de l’image de l’entreprise[65].

Exemple : Deux femmes d’origine autochtone cherchaient une maison à louer. Apprenant qu’elles étaient autochtones, l’épouse du propriétaire avait déclaré qu’elle ne louait pas aux « Indiens », et avait fait d’autres commentaires désobligeants. Elle avait ensuite demandé ce que les femmes faisaient comme travail, et, lorsque l’une d’elles s’était déclarée bénéficiaire de l’aide sociale, avait rétorqué « C’est d’autant pire »[66].

Les préjugés et le stéréotypage racial peuvent aussi mener au harcèlement racial (ce dont nous traitons ci-dessous).

3.2. Profilage racial

La définition que donne la CODP du profilage racial est la suivante : toute action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public qui repose sur des stéréotypes fondés sur la race, la couleur, l’ethnie, la religion ou le lieu d’origine plutôt que sur un soupçon raisonnable, dans le but d’isoler une personne à des fins d’examen ou de traitement particulier. Cette pratique n’est pas restreinte à un groupe ou à une institution en particulier.

La CODP a déclaré que le profilage racial consiste essentiellement à assimiler une personne à un stéréotype, en fonction d’idées préconçues sur son caractère. Puisque les droits de la personne exigent que les décisions relatives à une personne soient prises de façon individualisée et ne constituent pas des jugements à partir de caractéristiques présumées, le profilage racial est une forme de discrimination raciale et, à ce titre, peut justifier le dépôt de requêtes auprès du Tribunal.

La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu le problème inhérent à la preuve nécessaire pour constituer un dossier de plainte pour profilage racial. La Cour a noté que ces incidents peuvent rarement s’appuyer sur des preuves directes et que, par conséquent, l’existence du profilage racial dépend d’inférences à partir de preuves circonstancielles[67]. Il suffit de compter la race parmi les facteurs d’une conduite qu’on présume constituer un cas de profilage. Il n’est pas nécessaire que ce motif représente la cause majeure ou principale du traitement négatif; l’existence du profilage racial peut être établie, même si la race n’est qu’un des facteurs[68].

Si l’on veut prouver une allégation de profilage, il faut démontrer que la personne dite responsable de l’acte a eu l’occasion de constater ou de supposer quelle était la race du plaignant[69]. Une fois cet élément démontré, il faut encore déterminer si la connaissance de ce fait a mené la personne dite responsable à agir de manière discriminatoire. Les considérations suivantes sont pertinentes pour déterminer si le profilage racial a figuré comme facteur dans une situation donnée :

  • Des déclarations qui indiquent l’existence de stéréotypes ou de préjugés : insultes d’ordre racial, énoncés suggérant qu’une personne est considérée comme « étrangère », p. ex. « Dans notre pays, on ne... », « Parlez-vous français/anglais? », des commentaires soupçonneux, indices de stéréotypes, p. ex. « Qu’est-ce que vous faites dans le quartier? »[70], « Il faut payer d’avance pour le trajet en taxi. »
  • Des actes qui concordent avec le phénomène du profilage racial[71].
  • On donne une explication contradictoire, incertaine ou non existante du fait que la personne a été soumise à un examen plus serré ou à un traitement différent, ou bien l’explication proposée contredit le sens commun[72].
  • L’incident se serait déroulé différemment si la personne avait été blanche[73].
  • Il y a eu des écarts par rapport à ce qui se passe normalement[74].
  • On s’est conduit de manière non professionnelle ou encore on a manqué de courtoisie envers la personne[75].

Exemple : Deux hommes noirs qui prenaient place dans une Ford Mustang noire arborant des plaques du Texas ont été pris en chasse et arrêtés par un agent de police de Halifax. L’agent ayant demandé une preuve d’assurance et les papiers d’immatriculation du véhicule, il n’a pas voulu reconnaître la validité des documents présentés ni des explications données. Il a émis une contravention au chauffeur et fait remorquer la voiture. En réalité, les documents étaient valides en vertu des lois du Texas. La saisie était erronée et la voiture a été remise à son propriétaire le lendemain. En concluant à la discrimination raciale, la commission d’enquête a jugé que les actes de l’agent portaient la marque du stéréotypage racial, car il avait spontanément attribué des tendances criminelles à des Noirs. La commission a ordonné des recours institutionnels outre une somme de 15 000 $ en dépens et dommages-intérêts. Les services policiers de la région de Halifax ont dû faire appel à des spécialistes pour évaluer l’efficacité de leurs politiques de formation en matière de diversité et de lutte contre le racisme, publier leur rapport et annoncer publiquement les mesures prises et devant être prises à la lumière de ce rapport[76].

Enfin, il est important de souligner que, pour les personnes ayant des raisons de croire qu’elles font l’objet d’un profilage racial, l’expérience est vraisemblablement troublante et susceptible de provoquer chez elles de la colère et l’adoption d’un ton agressif. Tout citoyen honnêtement et raisonnablement persuadé d’avoir été traité injustement a le droit de protester vigoureusement, tant qu’il n’a pas aussi recours à des gestes menaçants. Un tribunal a déjà estimé que, dans les circonstances, il faut user d’un certain degré de tact et de tolérance et que l’utilisation d’une certaine violence verbale ne saurait à son tour justifier la poursuite d’un traitement différent[77].

3.3. Discrimination raciale subtile

Il arrive que la discrimination raciale s’affiche ouvertement, mais il est reconnu que, dans maintes circonstances, elle revêt des formes discrètes et plus subtiles. Les tribunaux ont souvent relevé ce fait : « La discrimination n’est pas une pratique qu’on s’attend à voir se manifester ouvertement[78] »; elle est « souvent subtile et insidieuse[79] ». Au Canada, il est depuis longtemps établi en droit qu’une intention ou un motif de discrimination n’est pas un élément nécessaire au constat d’un acte à caractère discriminatoire. Il suffit que la conduite ait un effet discriminatoire[80], et que la discrimination raciale compte au nombre des motifs de la décision ou du traitement subi[81].

L’examen de toutes les circonstances est souvent nécessaire pour dépister certaines formes subtiles de discrimination[82]. Divers actes peuvent en eux-mêmes être ambigus ou expliqués autrement, mais, dans un contexte plus global et moyennant une juste compréhension des rouages du phénomène, mener à l’inférence que la discrimination raciale a compté comme facteur dans le traitement subi par l’intéressé.

Les affaires où des formes subtiles de discrimination sont alléguées requièrent donc une enquête et une analyse du contexte global du comportement, du commentaire ou de la conduite en cause, compte tenu de la présence ou de l’absence de preuve permettant de comparer ce traitement avec celui d’autres personnes dans une situation analogue ou de preuve de l’existence habituelle de ce comportement.

On peut donner de multiples exemples des formes subtiles que peut prendre la discrimination raciale. Il peut être particulièrement difficile de déterminer si ce processus a compté comme facteur dans les situations de recrutement. Si une personne racialisée est qualifiée et qu’une autre sans qualification supérieure est choisie, l’organisation devra fournir une explication non discriminatoire de sa décision[83]. L’existence de discrimination dans le processus d’embauchage peut être établie même si le plaignant n’aurait pas été le candidat retenu en l’absence de discrimination[84].

Les types de traitement suivants peuvent être indicateurs de discrimination raciale en cours d’emploi :

  • exclusion des réseaux formels ou informels;
  • refus de mentorat ou d’opportunités de perfectionnement professionnel offertes à d’autres, telles que détachement et formation d’appoint;
  • pratiques de gestion à impact différentiel envers les personnes racialisées, par exemple surcharge de documents, surveillance excessive, écarts des politiques écrites ou des pratiques standard;
  • blâme démesuré lors d’un incident[85];
  • affectation à des postes ou à des tâches peu désirables[86];
  • considération de divergences d’opinion normales exprimées par des personnes racialisées comme des marques d’insubordination ou d’insolence;
  • caractérisation du mode normal de communication chez certaines personnes racialisées comme grossier ou agressif[87];
  • pénalisation d’une personne racialisée pour défaut de bien s’entendre avec une autre (p. ex. collègue ou gestionnaire), alors qu’une des raisons de la mésentente réside dans les attitudes ou les comportements discriminatoires de l’autre personne[88].

Dans certains cas, un motif non discriminatoire peut justifier ce genre de traitement. Toutefois, les explications subjectives, telles que « mauvaise attitude » ou « rendement médiocre » sans preuves à l’appui, doivent être traitées avec prudence. Il est donc dans l’intérêt d’une organisation d’adopter de bonnes pratiques en matière de ressources humaines, par exemple une gestion du rendement progressive et documentée à l’égard de tous les employés. On a aussi établi que le comportement d’une personne peut en soi constituer une réaction à l’expérience de la discrimination ou à l’existence d’une atmosphère empoisonnée[89].

En matière de logement, on refuse parfois l’égalité d’accès à des postulants racialisés en faisant appel à des modes de sélection subtils :

  • On informe les personnes racialisées qu’un appartement est déjà loué, alors qu’un ami blanc, se renseignant sur la disponibilité du logement, apprend qu’il est toujours disponible.
  • Des locataires peuvent ne pas obtenir un accès égal à des services liés au logement en raison de la race et de motifs connexes. Ce traitement peut prendre la forme de conditions de logement inférieures à la norme ou du défaut d’effectuer les réparations nécessaires[90].
  • Il peut y avoir discrimination si l’on s’objecte aux pratiques culturelles de certains locataires ou si l’on fait des remarques désobligeantes à ce propos[91].

Exemple : Un homme de race noire ayant répondu à une annonce d’appartement à louer, avait été invité à le voir. Après s’être présenté et avoir visité l’appartement, il s’était fait dire qu’une autre personne avait demandé à voir le logis et qu’il serait informé de son éventuelle disponibilité. Lorsqu’il avait téléphoné au propriétaire par la suite, ce dernier lui avait répondu que l’appartement était déjà pris. Or, lorsque la sœur de son amie avait téléphoné, on lui avait dit que l’appartement était toujours libre. Le tribunal a rejeté la preuve de la propriétaire voulant que les manières de l’intéressé la mettaient mal à l’aise, de même que la preuve d’une autre locataire, d’origine chinoise, voulant que la propriétaire n’ait pas exercé de discrimination raciale vis-à-vis du Noir, puisqu’elle lui avait loué un appartement à elle[92].

Dans le contexte des services éducatifs, des formes de discrimination subtiles peuvent se manifester de toutes sortes de façons, notamment[93] :

  • la manière dont les éducateurs traitent les élèves racialisés;
  • lorsque des élèves racialisés sont encouragés à se diriger dans une voie technique et non à faire des études plus poussées;
  • des attentes plus faibles chez les enseignants à l’égard des élèves racialisés;
  • des mesures disciplinaires différentes à l’égard des élèves racialisés;
  • le fait de s’écarter des politiques écrites ou des pratiques standard lorsqu’on a affaire à des élèves racialisés;
  • le défaut de prendre au sérieux les incidents d’ordre racial ou les actes d’intimidation entre enfants ou le fait de minimiser la gravité de ce genre de conduite;
  • le fait de traiter les réactions d’élèves racialisés à des incidents ou à des actes d’intimidation d’ordre racial comme s’il s’agissait de problèmes disciplinaires, sans porter attention aux incidents déclencheurs, ou encore le fait de considérer ces incidents sous-jacents comme des facteurs atténuants.

Ces problèmes peuvent également survenir dans d’autres secteurs de service :

Exemple : Un Autochtone qui avait fait une réservation dans une auberge s’était vu attribuer une chambre en mauvais état, de catégorie inférieure. Des statistiques tirées des registres de l’hôtel attestaient que certaines chambres étaient plus fréquemment affectées à des clients autochtones, tandis que les chambres de meilleure catégorie étaient plus souvent affectées à des clients non autochtones. En outre, on avait demandé à un agent de police local qui avait téléphoné à l’hôtel au nom de certaines personnes qui cherchaient des chambres si ces personnes étaient des Autochtones, « parce que toutes les chambres pour Autochtones étaient occupées »[94].

Il n’est pas nécessaire que, lors des interactions entre les parties, des paroles ou des commentaires liés à la race soient énoncés pour démontrer qu’il y a bel et bien eu discrimination raciale. Cependant, lorsque des commentaires de cette nature ont été faits, ils constituent des preuves que la race a joué dans le traitement de la personne en cause. De même, des commentaires négatifs à propos de quelqu’un qui se porte à la défense des droits de la personne ou de pratiques équitables viendront appuyer l’inférence que la race a joué comme facteur dans l’interaction d’un particulier ou d’une organisation avec l’intéressé[95].

Exemple : Le directeur adjoint d’une école, de race noire, avait essayé à plusieurs reprises d’obtenir une promotion au poste de directeur. En examinant la preuve dans son ensemble, le Tribunal a découvert certains faits à l’appui de l’inférence que des considérations d’ordre racial influaient sur les décisions en matière de mutation et de promotion. En effet, il y avait eu des mentions dénuées de pertinence de la race du plaignant et d’un enseignant noir de la part du personnel de direction au cours d’entrevues et/ou de discussions portant sur les opportunités de mutation, de même que des exhortations adressées aux enseignants noirs qui prônaient l’adoption de pratiques équitables de « ne pas s’attendre à ce que les choses changent du jour au lendemain »[96].

Le « racisme ordinaire » peut faire partie du contexte quand on cherche à savoir si des formes subtiles de discrimination raciale ont joué, lors d’allégations d’actes de discrimination raciale pour des motifs interdits par le Code. Ce genre d’affaire exige normalement un élément de récurrence ou de répétition[97], de même que l’examen du traitement réservé à d’autres personnes dans des situations comparables[98].

Exemple : Pendant les réunions du personnel, un gestionnaire lève les yeux au ciel lorsqu’un employé racialisé prend la parole ou il l’interrompt, même si celui-ci n’a rien dit d’inconvenant. Le gestionnaire ne se comporte pas de la sorte avec d’autres employés. Lorsque les relations entre les employés et le gestionnaire deviennent par trop tendues, la personne racialisée est congédiée. L’explication de cet état de fait est généralement que l’employé est incapable de s’entendre avec son gestionnaire.

Des preuves factuelles analogues servent, le cas échéant, à appuyer les allégations de discrimination raciale[99]. De plus, reconnaissant que la plupart des personnes racialisées sont susceptibles de discerner des manifestations de discrimination qui demeurent invisibles pour d’autres, la CODP est d’avis que la perception de ces manifestations par des tiers peut avoir une certaine pertinence lors d’une requête[100].

La preuve qu’une personne ayant les mêmes caractéristiques racialisées que le plaignant n’a pas fait l’objet d’actes de discrimination peut ou non être pertinente, selon la nature des allégations. Des affirmations de nature générale de la part d’une personne racialisée, alléguant un défaut de promotion des membres de « minorités », peuvent justifier qu’on cherche à savoir si une organisation a déjà promu des membres d’autres « minorités ». Cependant, s’il s’agit d’une allégation précise touchant par exemple le traitement des Afro-Canadiens, des preuves relatives au traitement des Canadiens chinois peuvent n’être que peu ou pas utiles. En effet, la discrimination raciale peut se manifester très différemment, selon les caractéristiques de chaque personne racialisée. Cela semble particulièrement vrai si l’on compare un groupe racialisé à un autre, mais ce peut aussi être le cas au sein d’un même groupe. Par exemple, une personne qui parle avec un accent sud-asiatique et porte des vêtements traditionnellement sud-asiatiques peut témoigner d’une expérience très différente de celle de personnes qui semblent davantage « assimilées »; l’expérience d’une personne qui a le teint clair peut être différente de celle d’une autre à peau plus foncée, et une personne peut être soumise à un traitement particulièrement cruel alors que d’autres ne le sont pas parce que cette personne refuse de se conformer à un stéréotype ou qu’elle exige le respect de ses droits.

Puisque quiconque peut se livrer à des actes de discrimination ou y participer, déclarer qu’il n’a pu s’agir de discrimination parce que la personne mise en cause est elle-même racialisée n’est pas nécessairement un argument valable.

3.4. Harcèlement racial

3.4.1. Protection conférée par le Code à l’égard du harcèlement

Aux termes du paragraphe 5 (2) du Code, tout employé a le droit d’être à l’abri de tout harcèlement au travail par son employeur ou le mandataire de celui-ci ou un autre employé pour des raisons fondées entre autres sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique et la croyance. Ce droit vaut pour le lieu de travail mais s’étend également au « lieu de travail élargi », soit les situations se déroulant à l’extérieur du lieu de travail physique ou en dehors des heures normales de travail, mais qui ont un rapport avec le travail, telles que les voyages d’affaires et les réceptions ou réunions mondaines liées à l’emploi.

Selon le paragraphe 2 (2) du Code, l’occupant d’un logement a le droit d’y vivre sans être harcelé par le propriétaire ou son mandataire ou un occupant du même immeuble pour des raisons fondées entre autres sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté et la croyance.

Le Code ne renferme aucune disposition explicite sur le harcèlement dans les domaines des services, des biens ou des installations (article 1), des contrats (article 3) et de l’appartenance à un syndicat ou à une association commerciale ou professionnelle (article 6). Cependant, la Commission a pour principe que le harcèlement racial en pareilles situations constitue une infraction aux articles 1, 3 et 6 du Code, qui énoncent que toute personne a droit à un traitement égal et sans discrimination en matière de services, de biens ou d’installations, de contrats et d’appartenance à un syndicat ou à une association commerciale ou professionnelle, respectivement.

3.4.2. Définition de « harcèlement » 

Au paragraphe 10 (1), le Code définit le harcèlement comme étant « le fait pour une personne de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns ».

La mention de remarques ou de gestes que la personne « sait ou devrait raisonnablement savoir qu’ils sont importuns » établit un critère à la fois objectif et subjectif pour l’existence du harcèlement. Du côté subjectif, on considère la connaissance qu’a le harceleur de la réaction provoquée par son comportement. Du côté objectif, soit le point de vue d’une tierce partie « raisonnable », on considère le type de réaction généralement provoquée par le comportement. La détermination du point de vue de la tierce partie « raisonnable » doit prendre en compte la perspective de la personne qui subit le harcèlement[101].

Les tribunaux reconnaissent nommément l’impact des épithètes de nature raciale sur les personnes racialisées. Lorsque des Blancs en position de pouvoir insultent des Noirs ou d’autres personnes racialisées en se servant de termes méprisants, leurs propos reflètent des jugements de société quant à la supériorité des Blancs et à l’infériorité des autres. Les propos racistes ont cet effet, que celui-ci soit ou non intentionnel, puisque ces jugements sont inhérents au sens des mots[102].

Il devrait être évident dans maintes situations que les remarques ou les gestes à teneur raciale seront insultants ou, à tout le moins, importuns. Les types de comportements suivants sont généralement considérés comme « des types de remarques ou de gestes dont on devrait raisonnablement savoir qu’ils sont importuns » :

  • épithètes, insultes ou mauvaises plaisanteries de nature raciale;
  • surnoms ou interpellations insultantes à caractère racial[103];
  • graffitis ou caricatures à teneur raciale;
  • commentaires ridiculisant des personnes en raison de caractéristiques liées à la race, à des vêtements rituels, etc. ;
  • moqueries et plaisanteries adressées à une personne et se rapportant à la race, à l’ascendance, au lieu d’origine ou à l’ethnie;
  • mentions inappropriées d’organisations racistes, telles que le Ku Klux Klan;
  • images, caricatures ou plaisanteries injurieuses diffusées par courriel; affichage d’un écran de veille à thème racial offensant.

Il est important de noter que les remarques et les gestes liés à la race d’une personne peuvent au premier abord sembler inoffensifs. Ils peuvent toutefois être « importuns » du point de vue de l’intéressé. Si la personne s’y oppose et si un comportement analogue se reproduit, il peut y avoir infraction au Code.

De plus, les remarques ou les gestes n’ont pas besoin d’être explicites pour constituer du harcèlement racial :

Exemple : Dans un certain lieu de travail, seuls les employés hispaniques sont visés par des moqueries et des farces à caractère humiliant. Les circonstances propres à la situation portent à conclure que ce traitement constitue du harcèlement racial, même si les moqueries et les farces ne renferment aucune allusion à la race.

Si la personne visée s’oppose au comportement, cela porte fortement à conclure que son auteur le savait ou aurait raisonnablement dû le savoir importun. Il est tout de même important de rappeler que les personnes soumises au harcèlement racial peuvent ne pas s’y opposer et peuvent même sembler consentir ou participer aux remarques ou gestes inconvenants.

Pour les tribunaux, ce type de réaction est compréhensible et n’interdit pas le dépôt d’une plainte pour harcèlement. Certaines personnes visées par cette forme de harcèlement ne s’y opposent pas parce qu’elles sont dans une situation vulnérable, craignent les conséquences qu’il y aurait à le faire et refoulent le stress par une acceptation muette. D’autres réagiront en s’emportant, par la colère, par le recours à des propos tranchants, en rétorquant même par des remarques de nature raciale ou des manifestations d’émotivité[104].

Nul ne peut, par contrat, renoncer aux droits que lui reconnaît le Code. Par ailleurs, les employeurs, propriétaires et fournisseurs de services ont l’obligation de maintenir un environnement exempt de discrimination et de harcèlement, peu importe la présence ou l’absence d’objections. Par conséquent, on ne peut invoquer comme décharge qu’une personne racialisée ait accepté ou toléré la situation ou y ait participé.

3.4.3. Harcèlement fondé sur des motifs multiples

Comme dans les cas de discrimination raciale, il arrive que le harcèlement racial prenne des formes complexes, en raison de l’intersection de motifs multiples. Par exemple, l’expérience du harcèlement racial telle que vécue par les femmes est souvent différente de celle que rapportent les hommes. En effet, ces personnes sont soumises à des formes distinctes de stéréotypage, en fonction d’une combinaison des motifs de race et de sexe. Également, des facteurs tels que l’orientation sexuelle, un handicap, l’âge, la langue[105] et la religion peuvent donner lieu à des situations complexes et uniques de harcèlement racial.

Les stéréotypes raciaux quant à la sexualité des femmes sont en cause dans un bon nombre de plaintes pour harcèlement sexuel. Les femmes sont parfois visées en raison de la croyance que, vu certaines caractéristiques raciales, elles sont de mœurs légères, plus susceptibles de se soumettre au pouvoir masculin, plus vulnérables, etc.

Exemple : Une femme d’ascendance métisse et noire avait été en butte à toute une série de remarques d’ordre sexuel de la part de son employeur, qui avait à plusieurs reprises exprimé sa préférence pour les femmes noires et les caractéristiques physiques des femmes noires et africaines. Elle avait également été forcée de regarder des images pornographiques et de subir des attouchements. Le tribunal avait jugé que son employeur s’était rendu coupable de harcèlement racial et sexuel à son égard, parce qu’elle était une jeune femme noire à l’endroit de laquelle, à titre d’employeur, il pouvait exercer un pouvoir et une domination économique. Il avait humilié son employée à maintes reprises par des présupposés racistes sur la sexualité des Noires. Cette situation a donné lieu à des dommages-intérêts monétaires distincts pour chacun des chefs de harcèlement, racial et sexuel. Le tribunal a aussi conclu que le caractère intersectionnel de la discrimination et du harcèlement avait exacerbé les souffrances mentales de la victime[106].

Selon la CODP, là où l’intersection de motifs multiples engendre une expérience de discrimination ou de harcèlement unique, ce fait doit être reconnu afin d’évaluer équitablement le plein impact du phénomène sur la personne en cause. Si la preuve indique qu’il y a eu harcèlement en raison de motifs multiples, la CODP estime que le Tribunal devrait appliquer la notion d’intersectionnalité à la détermination de la responsabilité et des réparations à adjuger.

3.5. Atmosphère empoisonnée

La définition que donne le Code du harcèlement renvoie à plus d’une remarque, d’un incident ou d’un comportement isolé. Cependant, une seule remarque ou un seul incident, s’il est suffisamment grave ou substantiel, peut avoir un impact préjudiciable pour une personne racialisée en instaurant une atmosphère empoisonnée[107]. En retombée d’une atmosphère empoisonnée, certaines personnes sont soumises à des conditions d’emploi, de location, de services, etc., très différentes de celles du reste de la population, ce qui peut porter atteinte à leur droit à l’égalité aux termes du Code.

Dans le contexte de l’emploi, les tribunaux ont confirmé que l’atmosphère du lieu de travail est une condition d’emploi au même titre que l’horaire et le taux de salaire. Les « conditions d’emploi » comprennent les facteurs affectifs et psychologiques liés au lieu de travail[108]. Le personnel de direction qui est ou devrait être conscient de l’existence d’une atmosphère empoisonnée et qui la tolère exerce de la discrimination à l’égard des employés touchés, même s’il ne participe pas personnellement à son instauration[109].

La notion d’atmosphère empoisonnée se présente surtout dans un contexte d’emploi, mais elle est également pertinente lorsqu’elle se traduit par des modalités et conditions d’occupation d’un logement, de fourniture de services, de contrats ou d’appartenance à un syndicat ou à une association professionnelle.

On peut retrouver une atmosphère empoisonnée notamment dans le contexte spécifique des services d’éducation. Or, les écoles ont l’obligation de maintenir un milieu d’apprentissage positif, non discriminatoire[110]. En milieu scolaire, les élèves ont le droit d’être à l’abri d’une atmosphère empoisonnée, que celle-ci résulte du comportement inapproprié d’un éducateur ou d’autres élèves. Les éducateurs sont tenus d’intervenir immédiatement dans les situations pouvant donner lieu à des moqueries ou à des actes d’intimidation et de harcèlement d’ordre racial.

Le constat d’une atmosphère empoisonnée se fonde sur la nature des remarques ou des gestes et sur l’impact qu’ils ont sur une personne, plutôt que sur le nombre de fois où le comportement se reproduit. Comme nous l’avons déjà mentionné, un incident unique suffit à créer une atmosphère empoisonnée[111].

Cette ambiance peut résulter des remarques ou des actes de toute personne, peu importe son degré de pouvoir ou sa fonction dans le milieu. Par conséquent, un collègue, un superviseur, un colocataire, un membre du conseil d’administration ou un fournisseur de services peuvent tous se comporter d’une manière qui empoisonne les conditions de travail d’une personne racialisée.

Il n’est pas nécessaire que le comportement vise une personne précise pour gâcher l’ambiance. De plus, une personne peut devoir subir ce climat, même si elle n’est pas membre du groupe racialisé qui est visé.

Exemple : Une Canadienne d’origine chinoise travaillait à la cuisine d’une boulangerie-pâtisserie, où elle entendait à longueur de journée des insultes raciales et des propos stéréotypés. Bien que ces remarques ne se soient pas adressées directement à elle mais plutôt à ses collègues de race noire, la commission d’enquête a conclu qu’elle aussi avait été soumise à une atmosphère empoisonnée dans son lieu de travail[112].

Voyons ci-dessous des exemples de situations qui pourraient être considérées comme des infractions au Code, du fait qu’elles comportent l’instauration d’une atmosphère empoisonnée :

  • Un superviseur ou un propriétaire qui interpelle un employé ou un locataire : « Je me demande pourquoi, tous vous autres, vous ne retournez pas d’où vous venez, parce que, chose sûre et certaine, vous n’avez rien à faire ici. »
  • Des commentaires, écriteaux, caricatures ou bandes dessinées affichés dans un milieu de services, tel qu’un magasin ou un restaurant, ou dans une situation de travail ou de location qui représentent des personnes racialisées de façon humiliante.
  • Des graffitis d’ordre racial tolérés par un employeur, un propriétaire ou un fournisseur de services qui ne prend pas aussitôt des mesures pour les faire disparaître.
  • Des remarques, plaisanteries ou insinuations de nature raciale en présence d’un employé, d’un client ou d’un locataire. De plus, ces remarques, plaisanteries ou insinuations s’adressant à d’autres personnes ou groupes racialisés peuvent faire supposer à la personne – employé, client ou locataire – que les membres de sa race sont aussi la cible de propos analogues.

Lorsqu’un employé victime d’une atmosphère empoisonnée est licencié, il faut examiner le contexte du milieu de travail pour déterminer si le licenciement constitue une mesure discriminatoire[113].

Les remarques et les gestes inconvenants empoisonnent l’atmosphère, et ce non uniquement pour les personnes racialisées : ils nuisent à tout le monde et perturbent le milieu. Il incombe à chaque employeur, propriétaire et fournisseur de services de veiller à ce que l’environnement soit exempt de ce genre de comportement, même si personne ne s’y oppose.

3.6. Discrimination liée à la langue

Le Code ne mentionne pas la « langue » au nombre des motifs de discrimination interdits, mais cet élément peut donner lieu à une plainte fondée sur les motifs d’ascendance, d’origine ethnique, de lieu d’origine et de race. Comme le relève la CODP dans sa Politique concernant la discrimination et la langue, l’accent d’une personne est solidaire de son ascendance, de son origine ethnique ou de son lieu d’origine, et, ainsi que nous en avons déjà traité dans la présente politique, les accents ou façons de parler peuvent être des caractéristiques racialisées.

Dans certaines situations, l’exigence de parler la langue couramment ou l’accent d’une personne peut servir à camoufler une discrimination fondée sur la race.

Exemple : Une Afro-Canadienne en cause dans un désaccord avec un collègue au téléphone s’était fait dire par le gestionnaire que son accent pouvait être perçu comme « brusque et grossier ». L’intéressée avait été insultée par cette représentation de son accent et le fait qu’on tienne celui-ci pour cause du désaccord. Lorsqu’elle avait insisté pour que le gestionnaire s’excuse, la direction l’avait trouvée « susceptible », « difficile » et « agressive », et on l’avait aussitôt placée en tête de liste des évaluations de rendement.

Exemple : Des travailleurs originaires de l’Équateur et d’autres pays d’Amérique centrale et du Sud, nouveaux venus au Canada, étaient ridiculisés et se faisaient traiter différemment des autres parce qu’ils utilisaient l’espagnol entre eux et parlaient mal anglais[114].

Exemple : Un fournisseur de logements subventionnés n’avait pas inscrit le nom d’une postulante à la liste d’attente, sous prétexte qu’elle ne parlait pas couramment anglais et qu’il serait difficile de communiquer avec elle.

Parallèlement, il est admis que, dans certaines circonstances, une bonne connaissance d’une langue donnée peut constituer une exigence raisonnable et de bonne foi[115].

Exemple : Une agence d’établissement des immigrants desservant des personnes provenant de pays d’Asie du Sud avait besoin d’employés de soutien. Or, la plus grande partie de sa clientèle était constituée de nouveaux arrivants au Canada. La capacité de parler couramment une ou plusieurs langues sud-asiatiques outre le français (ou l’anglais) aurait vraisemblablement été considérée comme une exigence de bonne foi pour obtenir ces postes.

3.7. Association

Le Code assure la protection des personnes qui subissent de la discrimination ou du harcèlement en raison de leurs rapports, d’une association ou d’échanges avec une personne ou un groupe de personnes racialisées[116]. Cette forme de discrimination se retrouve souvent dans le contexte des relations interraciales et peut se manifester de plusieurs façons :

  • on soumet une personne à du harcèlement ou à une atmosphère empoisonnée au travail à cause de ses rapports avec une personne racialisée, p. ex. remarques inconvenantes d’ordre sexuel adressées à une femme dont l’ami est un homme racialisé[117];
  • on offre des conseils non sollicités à une femme et on la prévient que son ami racialisé lui infligera des mauvais traitements, vu des présupposés stéréotypiques selon lesquels « les hommes originaires de cette partie du monde sont tous des machos »;
  • on fait subir à une personne un traitement différent en matière de services, p. ex. la police arrête la voiture d’une femme accompagnée d’un homme racialisé, en raison de la présupposition qu’une femme qui fréquente un homme racialisé ne peut être qu’une prostituée[118];
  • une locataire fait l’objet de harcèlement ou de mesures discriminatoires au chapitre du logement lorsque son propriétaire lui interdit les visites d’un ami racialisé.

De même, il s’agit de discrimination raciale fondée sur l’association dans le domaine du logement lorsque les propriétaires interdisent à leurs locataires de sous-louer à des personnes racialisées.

Exemple : Un propriétaire est trouvé coupable d’avoir exercé de la discrimination à l’encontre d’un locataire, en empêchant celui-ci de sous-louer son appartement à un couple d’origine autochtone[119]. Dans le cadre d’une autre affaire, la commission d’enquête trouve un propriétaire coupable de discrimination parce qu’il a refusé une cession de bail à des personnes d’origine pakistanaise ou indienne[120].

Les poursuites intentées à des personnes qui s’opposent aux commentaires d’ordre racial visant un autre groupe ont été jugées discriminatoires pour motif d’association.

Exemple : Une femme qui était membre d’un club s’était opposée aux commentaires racistes d’autres membres au sujet des « nègres » et des « Indiens ». Le Tribunal a conclu que, ayant ouvertement pris position contre le racisme, l’intéressée s’était clairement associée aux Premières nations et à des personnes racialisées, et les sanctions prises par le club en raison de son opposition à des commentaires racistes équivalaient à une violation du Code[121].

3.8. Groupements sélectifs

Dans certaines circonstances, le Code autorise certains types d’organismes à restreindre l’admissibilité ou la participation à ses activités pour des motifs énumérés par le Code, notamment la race et des motifs connexes :

  1. Ne constitue pas une atteinte aux droits, reconnus dans la partie I, à un traitement égal en matière de services et d'installations, avec ou sans logement, le fait qu'un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par un motif illicite de discrimination, n'accepte que des personnes ainsi identifiées comme membres ou participants.

Exemple : Une clinique d’aide juridique dont la raison d’être est principalement de desservir les membres d’une certaine communauté racialisée n’accepte comme clients que des membres de cette communauté.

De façon analogue, un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par la race ou des caractéristiques connexes peut n’employer que des personnes ainsi identifiées ou leur accorder la préférence si cette qualité requise est exigée de façon raisonnable et de bonne foi, compte tenu de la nature de l’emploi. (alinéa 24 (1) a))

L’organisme qui souhaite invoquer cet argument doit démontrer qu’il répond à toutes les exigences de la disposition pertinente.

4. Dimensions systémiques ou institutionnelles

La discrimination raciale marque des comportements individuels, mais elle peut également être systémique ou institutionnalisée. Ce dernier type de discrimination se caractérise par des manifestations particulièrement complexes. Les organismes et institutions ont l’obligation positive de veiller à ne pas exercer de discrimination raciale au plan systémique ou institutionnel.

La discrimination systémique ou institutionnelle découle de politiques, pratiques et comportements qui font partie des structures sociales et administratives de l’organisation et dont l’ensemble crée ou perpétue une situation désavantageuse pour les personnes racialisées[122]. Ces schèmes peuvent sembler neutres en apparence, mais ils n’en ont pas moins un effet d’exclusion pour les intéressés. Notons toutefois que la discrimination systémique peut chevaucher d’autres types de discrimination. Par exemple, une politique discriminatoire peut être aggravée par l’attitude vexatoire de la personne qui l’applique.

La discrimination systémique ou institutionnelle est une barrière majeure pour les groupes racialisés, particulièrement dans le contexte de l’emploi et dans les systèmes d’éducation et de justice pénale.

L’expérience des impacts de la discrimination systémique peut être vécue différemment s’il y a intersection avec d’autres motifs, entre autres le sexe, un handicap et le lieu d’origine. Par exemple, dans un milieu de travail où la formation de réseaux informels – qui, à leur tour, mènent à des promotions – repose surtout sur certaines activités sportives propres à une culture et à un sexe, une femme racialisée ayant un handicap affronte un triple désavantage. Un nouveau venu africain pourra se heurter à des barrières analogues au plan du réseautage et donc de l’avancement au sein de cette même organisation. Par conséquent, pour s’attaquer à la discrimination systémique, il faut être sensible aux effets cumulatifs et interactifs de la discrimination pour motifs multiples.

Comme nous l’avons dit à la section 1.4. Contexte historique : L’héritage du racisme au Canada, les antécédents du racisme au Canada continuent d’avoir des effets marqués sur les milieux touchés. Dans beaucoup de ces collectivités, le désavantage se trouve cumulé, en raison de la discrimination passée et présente. Ainsi, on peut retracer la source du désavantage économique qui est aujourd’hui manifeste chez les Premières nations et dans les communautés afro-canadiennes aux pratiques discriminatoires du passé, qui ont radicalement restreint les opportunités économiques des membres de ces collectivités.

L’impact cumulatif des désavantages passés et présents se reflète dans les statistiques sur le chômage, le sous-emploi, les emplois mal payés, le faible degré d’instruction, la pauvreté et l’absence de logement adéquat. Par exemple, selon les données du recensement de 2001, le revenu médian des Canadiens âgés de 15 ans et plus se chiffrait à 22 120 $ en comparaison de 17 610 $ chez les membres des « minorités visibles ». En ce qui concerne les familles pauvres, l’incidence du faible revenu était de 12,9 % pour la population générale, en regard de 26,0 % pour l’ensemble des « minorités visibles »[123]. La situation est encore plus sombre chez les Autochtones[124]. Par exemple, les données du recensement de 1996 montraient que les Autochtones des régions urbaines étaient deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les non-Autochtones, et les données du recensement de 2001 indiquaient que le revenu médian des personnes se disant Autochtones était de 13 526 $, soit 61 % du revenu médian des Canadiens moyens[125].

Dans certaines situations, l’existence de désavantages historiques est un facteur qui engendre la discrimination systémique ou y contribue. Il est donc nécessaire de considérer la position déjà défavorisée d’une personne ou d’un groupe dans la société canadienne comme partie intégrante de toute analyse cherchant à déterminer l’existence d’une discrimination systémique ou institutionnelle. Par exemple, l’accès restreint aux services de santé pour les personnes à faible revenu ou vivant dans une région défavorisée peut devenir une barrière systémique pour les personnes racialisées qui, étant donné des désavantages historiques, sont déjà plus susceptibles d’être pauvres.

4.1. Identification de la discrimination systémique

Les trois éléments suivants peuvent servir à cerner les situations de discrimination systémique et à prendre des mesures pour y remédier[126] :

  1. Données numériques
  2. Politiques, pratiques et processus décisionnels
  3. Culture organisationnelle

La CODP demande aux organisations et institutions de se servir de ces trois éléments comme base d’une surveillance proactive et, le cas échéant, de prendre des mesures de lutte contre la discrimination systémique à l’interne, soit en ce qui concerne les ressources humaines et l’emploi, ou à l’extérieur, par exemple en ce qui touche la prestation de leurs services. En outre, si une affaire est portée à l’attention du Tribunal, la CODP est d'avis que ces éléments devraient le guider dans son processus d’enquête sur l’existence effective de la discrimination systémique au sein de l’organisation ou de l’institution.

1. Données numériques
Des données numériques démontrant que les membres de groupes racialisés sont présents en nombre démesuré peuvent constituer un indicateur de racisme systémique ou institutionnel. Les données numériques peuvent refléter les conséquences d’un système discriminatoire, des façons suivantes :

  • Dans une organisation, la sous-représentation par rapport à la disponibilité de personnes compétentes dans la population ou chez les postulants suggère la présence d’une discrimination systémique dans les pratiques de recrutement ou d’une discrimination dans l’emploi, se traduisant par le défaut de conserver les éléments racialisés.
  • La répartition inégale des personnes racialisées au sein d’une organisation, par exemple une forte concentration aux niveaux inférieurs et une faible représentation au niveau de la direction, peut témoigner de pratiques inéquitables de formation et de promotion.
  • La surreprésentation des personnes racialisées aux chapitres des interpellations policières, de l’incarcération et d’autres secteurs du système judiciaire peut être symptomatique d’une pratique du profilage racial ou d’autres formes de discrimination raciale. De même, dans les écoles, le nombre disproportionné d’enfants et de jeunes racialisés qui sont punis, suspendus ou expulsés en vertu de mesures de sécurité à « tolérance zéro » atteste les effets discriminatoires de ces politiques.

Sauf dans les circonstances les plus patentes, par exemple si les données numériques reflètent de grossières disparités de traitement qui ne sont vraisemblablement pas le résultat d’une sélection aléatoire, ces chiffres ne prouvent pas à eux seuls l’existence d’une discrimination systémique[127]. Ils constituent néanmoins une preuve circonstancielle de l’existence de pratiques inéquitables. L’organisation en cause peut contester les statistiques et leur validité, ou alors produire un motif non discriminatoire expliquant cette représentation disproportionnée.

Soulignons que les données numériques peuvent attester l’existence tant d’une discrimination systémique que de formes plus explicites de discrimination. Ainsi, les données numériques sur la sous-représentation des personnes racialisées compétentes au niveau de la direction peuvent attester que les systèmes d’embauchage ont des effets discriminatoires et/ou que les décideurs entretiennent un parti pris manifeste en faveur de la promotion de candidats blancs à des rôles de supervision.

Comme nous l’exposerons en détail à la section 6. Collecte et analyse des données numériques, la Commission préconise la collecte et l’analyse de données si l’on a des raisons de croire que la discrimination, des barrières systémiques ou la perpétuation de désavantages historiques pourraient exister dans une organisation ou une institution. De plus, qu’une collecte de données soit entreprise ou non, l’organisation ou l’institution doit être consciente de ces problèmes de représentation et elle ne peut décider de passer sous silence les disparités correspondantes.

2. Politiques, pratiques et processus décisionnels
Outre les données numériques, les politiques, pratiques et processus décisionnels peuvent présenter des manifestations, formelles ou informelles, de discrimination systémique.

La Cour suprême du Canada a été explicite : les divers systèmes doivent être conçus de façon inclusive à l’égard de toute personne[128]. Il n’est plus acceptable de structurer les systèmes comme si tout un chacun était membre du groupe dominant, puis d’essayer de les adapter aux autres le cas échéant. La diversité raciale qui existe en Ontario devrait se refléter à tous les stades de conception des programmes, de façon à éviter d’y introduire des barrières.

En corollaire à une conception inclusive dès le départ, les barrières existantes dans les systèmes et structures devraient être systématiquement identifiées et supprimées.

On voit donc qu’il incombe aux organisations de veiller à ce que leurs pratiques soient inclusives, et de ne pas seulement compter sur des exceptions pour permettre à certaines personnes de s’intégrer à un système existant. C’est au stade de la planification qu’il faudrait prévenir les barrières et, si les systèmes existent déjà, les organisations devraient prendre conscience qu’ils peuvent comporter des barrières systémiques, et chercher activement à identifier et à supprimer ces barrières.

Exemple : L’examen des systèmes de recrutement en vue d’identifier les barrières à l’embauchage, au maintien en poste et à l’avancement est une exigence fondamentale des lois fédérales sur l’équité d’emploi. Ce genre d’examen porte sur les politiques écrites et les pratiques informelles relatives aux employés : recrutement, sélection et embauchage, formation et perfectionnement professionnel, promotion, maintien en poste et licenciement. Le processus selon lequel un employeur autosurveille ses propres pratiques et supprime les barrières identifiées constitue une pratique exemplaire pour toute organisation, qu’elle soit ou non régie par des lois sur l’équité d’emploi outre les lois sur les droits de la personne.

Exemple : Dans les tests standardisés, la formulation et le contenu des questions reflètent la culture des Blancs, soit du plus grand nombre, et ont pour effet d’éliminer les personnes racialisées et les immigrants récents. Lorsqu’une organisation prend conscience du phénomène, elle doit modifier les tests, de façon à atténuer le préjugé racial, ou encore adopter d’autres moyens d’évaluation.

Plusieurs grands types de barrières mènent à désavantager les personnes racialisées. Au premier rang, on retrouve l’utilisation de processus de décision informels ou fortement discrétionnaires. Moins le processus est formel, plus il donne prise aux considérations subjectives ou à des normes variables, et plus il y a d’occasions de laisser les préjugés jouer, consciemment ou inconsciemment[129]. Dans certaines situations, il existe des politiques formelles, mais elles ne sont pas toujours appliquées ou elles le sont de manière irrégulière, ce qui dresse des barrières pour certains. Autre faille : le défaut de tenir compte des différences dans la formulation des procédures standardisées; on effectue donc les évaluations d’après les normes de la culture dominante. Par exemple, des tests ou modes d’évaluation qui ignorent les différences culturelles peuvent constituer une entrave de taille pour les personnes racialisées ou immigrantes. Les désavantages historiques constituent des obstacles majeurs dans nombre de contextes.

Pour en savoir plus long sur les politiques, pratiques et processus décisionnels qui peuvent mener à la discrimination systémique au travail, voir l’annexe.

Les barrières en éducation

Nombre d’études et de rapports sur les services éducatifs relèvent la présence de barrières systémiques à l’égard des enfants racialisés, notamment afro-canadiens et autochtones. Notons entre autres le groupement par aptitudes, le biais des tests et des évaluations, un curriculum monoculturel qui tend à l’exclusion, des mesures disciplinaires injustes et anormales, des attentes faibles, le défaut de mettre fin aux incidents et à l’intimidation d’ordre racial, l’absence de modèles de rôles, des attitudes négatives et stéréotypées et le manque de programmes qui répondent aux besoins et préoccupations des élèves racialisés.

Voir Racism in our Schools: What to Know About It; How to Fight It, préparé à l’intention de la Fondation canadienne des relations raciales (juin 2000).

3. Culture organisationnelle
On peut définir la culture organisationnelle comme un ensemble commun de schèmes de comportement social informel, tels que la communication, la prise de décisions et les relations interpersonnelles, qui attestent l’existence de valeurs, présupposés et normes de comportement profondément ancrés et en grande mesure inconscients. Une culture organisationnelle qui n’est pas inclusive peut marginaliser et exclure les personnes racialisées.

Certains aspects d’une culture organisationnelle sont généralement des construits sociaux reflétant les valeurs des groupes dominants, ainsi les styles de communication, les habiletés interpersonnelles et les aptitudes au leadership. Ce sont là des secteurs fortement subjectifs qui portent la marque des différences culturelles, tout comme le processus de racialisation. À ce titre, les personnes racialisées peuvent se heurter à des difficultés lorsqu’elles sont évaluées à l’aide de ces normes dominantes.

Exemple : Le style de communication franc et ouvert d’une Blanche est apprécié par ses collègues, à qui plaît sa « manière directe ». Une Afro-Canadienne faisant montre du même style pourrait être qualifiée de « brusque ».

Exemple : On n’avait pas retenu la candidature d’un Canadien pakistanais à un poste d’enseignant pour lequel il était le candidat le plus qualifié, parce qu’une concurrente blanche était perçue comme plus enthousiaste, avec un plus grand potentiel pour motiver les élèves. En fait, le Canadian pakistanais possédait un vif enthousiasme pour sa profession de même qu’une remarquable capacité à motiver les élèves, mais il exprimait ces qualités différemment. Le Tribunal a conclu à l’existence de discrimination en raison du défaut de l’employeur de tenir compte des différences culturelles[130].

Exemple : Un cadre supérieur relevait, dans une note de service, que les différences culturelles étaient minimisées au niveau des postes techniques, mais que les compétences « interpersonnelles », telles qu’elles jouent dans la communication, l’exercice d’influences et la négociation, sont davantage soumises aux différences culturelles. Le Tribunal a jugé que la haute direction considérait les membres de « minorités visibles », culturellement différents, comme n’étant pas aptes aux postes de direction[131].

Une question connexe est celle de la tendance en milieu organisationnel à sous-évaluer les points forts et la contribution des employés racialisés.

Exemple : Un enseignant canadien-chinois avait été placé sur la liste des employés surnuméraires, parce que le directeur de l’école adoptait une vue plutôt étroite des types d’activités « extrascolaires ». Pour le directeur, le terme recouvrait des activités auxquelles, pour des raisons culturelles, des immigrants chinois seraient peu susceptibles de se livrer, tandis que d’autres activités possibles auxquelles ils seraient davantage susceptibles de s’adonner étaient exclues[132].

Les relations sociales et le réseautage forment une partie importante de la culture organisationnelle. Ces réseaux permettent à certains de se familiariser avec les conditions nécessaires pour réussir dans l’organisation, tandis que les autres sont exclus de cette connaissance vitale. En outre, les relations sociales donnent lieu à cette perception : la personne sera considérée comme pouvant « convenir » à une organisation ou au contraire comme peu apte à en faire partie.

Exemple : Aux yeux d’une certaine entreprise, les activités sociales tenues à l’extérieur du lieu de travail sont importantes pour l’esprit d’équipe. Les employés racialisés qui n’y participent pas pour des raisons religieuses ou culturelles sont considérés comme ne faisant pas vraiment partie de l’équipe, ce qui les prive d’excellentes occasions de réseautage[133].

4.1.1. Lien entre le système et la personne 

L’un des défis que présente la lutte contre la discrimination systémique est la quasi-absence de preuves de discrimination à l’égard d’une personne. En d’autres termes, un tel système peut sembler complètement neutre, alors qu’il confère des privilèges à certains groupes et exerce un impact négatif sur d’autres. Il peut n’y avoir eu aucun fait ou incident suggérant que la personne ait été en butte à un traitement hostile. En fait, on pourrait croire que la personne a été traitée de manière équitable et a échoué à cause de lacunes personnelles[134].

Exemple : Une personne racialisée n’obtient pas la promotion anticipée, en raison d’un mauvais rendement en entrevue. Rien de ce qui a été dit ou fait ne suggère que la race ait compté dans l’évaluation. Cependant, un examen plus attentif révèle qu’une composante significative du processus d’entrevue consiste à évaluer la « présence » et la « confiance en soi » des intéressés. De plus, la candidate retenue avait été conseillée sur le contenu possible de l’entrevue par un gestionnaire soucieux de la voir obtenir le poste, préparation à laquelle la personne racialisée n’avait pas eu accès.

Il peut être difficile pour une personne de démontrer l’effet négatif d’un système discriminatoire à son égard, d’autant plus qu’elle n’est vraisemblablement pas en position d’avoir accès à l’information relative au fonctionnement du système.

Exemple : Une école indépendante dont la clientèle est surtout de race blanche sélectionne ses élèves en partie sur la base d’une « journée d’essai », où l’enfant participe à une journée scolaire, pour voir s’il « peut s’adapter ». Aux parents d’un enfant racialisé dont la candidature n’est pas retenue, on se contente de dire que la liste d’attente est longue et que les élèves sélectionnés sont ceux qui « conviennent le mieux ». Les parents n’ont aucun moyen de savoir pourquoi leur enfant « ne convient pas ».

Par conséquent, la CODP est d’avis que si l’existence d’une discrimination systémique est attestée, l’organisation ou l’entité responsable du système est tenue par la Commission de produire l’information nécessaire pour démontrer que son système n’a pas contribué à la situation de discrimination où s’est trouvée la personne.

4.2. Exigences établies de façon raisonnable et de bonne foi

Il peut y avoir des situations où une politique, une pratique ou un processus décisionnel est apparemment neutre, mais mène à la discrimination systémique contre des personnes ou des groupes racialisés. L’organisation peut néanmoins chercher à justifier ou à maintenir la politique, la pratique ou le processus en démontrant son caractère raisonnable et de bonne foi dans les circonstances.

Dans le contexte des plaintes pour discrimination raciale, la CODP estime rare qu’une politique, une pratique ou un processus de ce type soit de bonne foi. Jusqu’ici, cet argument a été soulevé principalement dans trois situations : 1) exigences de revenu pour ce qui est du logement; 2) exigences linguistiques (voir la section 3.6. Discrimination liée à la langue); 3) accès à certains métiers et professions.

En ce qui touche les exigences de revenu, plusieurs décisions ont été rendues en Ontario, au premier chef celle de l’affaire qui a fait étape Kearney v. Bramalea Ltd. (No. 2)[135], laquelle a confirmé que l’exigence d’un revenu minimum et de ratios loyer/revenu donne lieu à des actes de discrimination fondée sur un certain nombre de motifs énumérés par le Code, notamment de la race.

Des statistiques établissent que l’utilisation de ce genre de critères par des propriétaires a des impacts différents sur les personnes, selon leur sexe, race, état matrimonial, état familial, citoyenneté, lieu d’origine, âge et le fait d’être bénéficiaire de l’aide sociale. Les propriétaires n’ont pu trouver de défense valable, étant incapables de démontrer que l’utilisation de ces critères était raisonnable et de bonne foi et qu’ils ne pouvaient cesser de les utiliser sans subir eux-mêmes un préjudice injustifié[136].

Dans l’optique de la discrimination raciale, la valeur de ces décisions réside principalement dans le fait qu’elles reconnaissent le lien entre la race et la situation socioéconomique. En effet, ces décisions contestent avec succès une politique préjudiciable pour les personnes à faible revenu, étant donné le rapport entre la pauvreté et les désavantages historiques qui ont été le lot des groupes racialisés.

L’accès aux métiers et professions est une préoccupation de taille pour les personnes formées à l’étranger qui tentent d’exercer leur métier ou profession après leur arrivée en Ontario[137]. Le motif principalement en cause est le « lieu d’origine », mais le problème a aussi une portée intersectionnelle pour les personnes racialisées. L’intersection du « lieu d’origine » et de la race, de la couleur ou de l’origine ethnique semble hausser les barrières à l’intégration dans l’emploi et intensifier la vulnérabilité économique et sociale chez les personnes formées à l’étranger[138].

4.2.1. Le critère à trois volets 

La Cour suprême du Canada a mis au point un critère à trois volets pour établir si une norme, un facteur, une exigence ou une règle a une justification réelle et raisonnable. L’organisation doit prouver, selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu’elle a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées;
  2. qu’elle a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but ou objectif, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire à la demande sans se voir imposer un préjudice injustifié[139].

Il s’agit fondamentalement de déterminer si la personne qui veut justifier la norme, le facteur, l’exigence ou la règle discriminatoire a montré que la personne responsable d’apporter des mesures d’adaptation a satisfait à cette exigence jusqu’au point où cela pouvait lui causer un préjudice injustifié.

Dans le cadre de cette analyse, la procédure adoptée pour étudier et réaliser l’adaptation est aussi importante que la teneur même de l’adaptation. Voici une liste non exhaustive des facteurs à considérer :

  • La personne responsable de l’adaptation a-t-elle cherché à trouver des méthodes de rechange qui n’aient pas d’effet discriminatoire?
  • Pourquoi des solutions de rechange acceptables n’ont-elles pas été mises en œuvre?
  • Est-il possible d’établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?
  • Y a-t-il une manière moins discriminatoire d’effectuer le travail tout en réalisant l’objet légitime de la personne responsable de l’adaptation?
  • La norme est-elle bien conçue pour que le niveau de compétence requis soit atteint sans qu’un fardeau excessif ne soit imposé à ceux qui sont visés par la norme?
  • Les autres parties qui sont tenues de participer à la recherche de mesures d’accommodement possibles ont-elle joué leur rôle[140]?

5. Responsabilité de l’organisation

En fin de compte, la responsabilité du maintien d’un environnement sain et inclusif revient aux employeurs, aux propriétaires, aux syndicats, aux fournisseurs de services ainsi qu’aux autres types d’organisations et d’institutions visées par le Code. Il incombe à ces entités de veiller à ce que le milieu soit exempt de harcèlement et de discrimination.

Comme nous l’avons dit plus tôt dans la présente politique, les organisations et institutions sont tenues de chercher à savoir si leurs politiques, pratiques et programmes ont ou non un impact négatif ou s’ils ne se traduiraient pas par une discrimination systémique vis-à-vis des personnes ou groupes racialisés. Dans l’optique des droits de la personne, il n’est pas acceptable qu’on prétende ignorer l’existence possible de harcèlement ou de discrimination, qu’on passe sous silence les éventuels problèmes de droits de la personne ou qu’on manque à agir pour les régler, peu importe qu’une plainte ait ou non été déposée.

Une organisation viole le Code si, directement ou indirectement, intentionnellement ou non, elle enfreint l’une ou l’autre de ses dispositions ou si, sans qu’il y ait directement infraction au Code, elle autorise, tolère, adopte ou sanctionne un comportement contraire au Code.

De plus, l’organisation a l’obligation de ne pas tolérer un acte discriminatoire qui a déjà eu lieu ni de permettre qu’il se poursuivre, car elle prolongerait ainsi ses effets ou en étendrait la portée. Cette obligation est aussi faite aux personnes qui sont parties à une situation comportant un acte discriminatoire et qui, même si elles n’y jouent pas un rôle de premier plan, y sont impliquées par le biais de relations contractuelles ou autres[141].

Exemple : Une entreprise pharmaceutique avait refusé d’engager une Noire pour tenir son kiosque d’exposition lors d’un congrès international d’ophtalmologie. L’intéressée avait aussitôt communiqué ce refus à la société organisatrice du congrès, qui l’avait pressentie au départ. Or, cette société entretenait un lien d’emploi avec la candidate. À ce titre, la société était tenue d’enquêter sur le refus d’engager l’intéressée et d’arriver à une conclusion raisonnable – bien que non nécessairement correcte – quant à la présence de discrimination. Le Tribunal avait jugé que l’enquête avait été « sommaire » et que sa conclusion, soit qu’il y avait eu « malentendu », n’avait pas été raisonnable. Dans cette affaire, l’aide prêtée par la société à l’entreprise pharmaceutique pour la recherche d’autres candidats à ce travail en kiosque équivalait à tolérer ou à prolonger les effets de l’acte discriminatoire[142].

Il incombe aux syndicats et aux associations professionnelles de veiller à ne pas exercer de discrimination ni de harcèlement à l’endroit de leurs membres. Ces organisations sont également tenues de veiller à ne pas causer d’actes discriminatoires dans le lieu de travail et à ne pas y contribuer. Comme tout employeur, un syndicat peut être tenu responsable des politiques ou des actes discriminatoires. Ce principe s’applique à la négociation d’une disposition qui, dans le cadre d’une convention collective, entraîne de la discrimination raciale de même qu’au défaut de prendre des mesures raisonnables pour remédier à une situation de harcèlement ou d’atmosphère empoisonnée au travail[143].

Le défaut de veiller à ne pas exercer ni tolérer de discrimination ou de harcèlement a de graves répercussions pour une organisation. Nombre de décisions aboutissent à des condamnations et à des dommages-intérêts pour les organisations qui ont manqué à prendre les mesures appropriées à l’égard du harcèlement et de la discrimination[144]. En voici quelques exemples :

  • Une entreprise avait été trouvée coupable de discrimination contre un Canadien d’origine indienne après avoir toléré l’instauration et la persistance d’une atmosphère empoisonnée du point de vue racial dans son lieu de travail, ainsi qu’en prenant des sanctions contre l’intéressé avant de le licencier, sans tenir compte de l’hostilité raciale qui régnait dans le milieu. L’entreprise aurait dû déployer des efforts systémiques pour formuler et faire respecter des politiques d’interdiction des propos racistes, pour écarter les fauteurs de trouble et pour mettre en œuvre des mesures de dissuasion sérieuses et efficaces[145].
  • Le propriétaire d’une entreprise avait menacé un employé afro-canadien de congédiement, en raison de relations tendues avec son gestionnaire. L’événement déclencheur de cette menace avait été le rapport que le gestionnaire avait présenté au propriétaire sur la réaction de l’employé, lorsqu’on l’avait traité de « Kunta Kinte » (synonyme d’esclave). La Cour n’avait pas accepté l’argumentation de l’entreprise, voulant que le propriétaire ait tout ignoré de l’atmosphère empoisonnée du lieu de travail. L’entreprise, par l’intermédiaire de son esprit directeur, avait fait preuve à tout le moins de négligence en n’agissant pas. Étant donné l’atmosphère empoisonnée du milieu, la race a été reconnue comme facteur dans le congédiement de l’employé afro-canadien[146].
  • Une organisation ayant pénalisé un employé pour avoir protesté lors d’une manifestation de harcèlement racial de la part d’un client, a été trouvée coupable en raison de sa réaction à l’acte discriminatoire du client. L’employeur n’avait aucun contrôle sur la conduite du client, mais en imposant des sanctions à l’employé en pareille circonstance, il avait toléré la conduite discriminatoire et avait permis à ce genre de comportement de se produire impunément dans le lieu de travail[147].

Les facteurs suivants peuvent servir à déterminer si une organisation satisfait à son obligation de prendre des mesures en réponse à une requête pour atteinte aux droits de la personne :

  • les procédures qui étaient en place à l’époque concernant le harcèlement et la discrimination;
  • la promptitude des mesures institutionnelles prises en réponse à la requête;
  • le sérieux qu’on a apporté au traitement de la requête;
  • les ressources dégagées pour réagir à la requête;
  • si l’organisation a assaini l’atmosphère du lieu de travail à la suite de la requête;
  • le degré auquel les mesures prises ont été communiquées au requérant[148].

Un environnement de travail positif concourt à la productivité de l’entreprise et avoir les éléments qui préviennent les atteintes aux droits de la personne témoigne d’une bonne gestion de celle-ci.

On a tout intérêt à mettre en place des politiques et des procédures internes qui permettent de régler promptement et efficacement les plaintes pour atteinte aux droits de la personne. En informant l’ensemble du personnel sur les règles de conduite à respecter et les comportements jugés inacceptables, les employeurs s’épargnent de pénibles et coûteuses instances devant les tribunaux. À l’extérieur de l’organisation, dans la population en général et chez les éventuels clients, par exemple, on appréciera également l’engagement de l’organisation quant au respect de l’équité.

5.1. Responsabilité du fait d’autrui

Le paragraphe 46.3. (1) du Code définit une responsabilité « du fait d’autrui » lors d’infractions aux dispositions relatives à la discrimination. En effet, lorsqu’un dirigeant, un employé ou un mandataire d’une personne morale, d’un syndicat, d’une association professionnelle, d’une association non dotée de la personnalité morale ou d’une organisation patronale fait ou omet de faire quoi que ce soit dans l’exercice de son emploi, cette action ou cette omission est réputée commise par l’organisme en question. Cette règle s’applique non seulement aux atteintes aux droits de la personne au travail mais aussi dans les domaines du logement, des biens, des services et installations, des contrats et de l’appartenance à des syndicats et associations professionnelles.

En termes plus simples, la CODP est d’avis que cette notion de responsabilité du fait d’autrui impute d’office la responsabilité d’une situation de discrimination à l’organisation pour les actes de ses employés ou mandataires dans l’exercice de leur emploi, peu importe qu’elle ait ou non été au courant de ces actes, qu’elle y ait ou non participé ou qu’elle en ait ou non eu le contrôle.

La responsabilité du fait d’autrui ne s’applique pas aux infractions des articles du Code portant sur le harcèlement. Cependant, dans ces cas, la « théorie organique de la responsabilité des personnes morales » peut s’appliquer. En outre, puisque l’existence d’une atmosphère empoisonnée constitue une forme de discrimination, la CODP est d’avis que, dans les situations où le harcèlement équivaut à une atmosphère empoisonnée ou y aboutit, il y a responsabilité du fait d’autrui en vertu du paragraphe 45 (1) du Code.

5.2. La « théorie organique » de la responsabilité des sociétés

Le paragraphe 45 (1) du Code met une organisation à l’abri de toute responsabilité à l’égard du harcèlement, mais les cours et tribunaux ont reconnu l’existence d’autres circonstances dans lesquelles une organisation est tenue responsable des actes ou des omissions de ses employés. Les actes ou omissions d’un employé qui fait partie de l’« esprit directeur » d’une organisation engagent la responsabilité de l’organisation, si :

  • l’employé qui fait partie de l’« esprit directeur » se rend coupable de harcèlement ou d’un comportement inapproprié, contrairement au Code;
  • l’employé qui fait partie de l’« esprit directeur » ne prend pas de mesures adéquates face au harcèlement ou au comportement inapproprié dont il est au courant ou devrait raisonnablement être au courant.

De façon générale, l’employé qui assume des fonction de direction fait partie de l’« esprit directeur » de l’organisation. Les personnes qui assument simplement des fonctions de supervision peuvent être considérées comme faisant partie de « l’esprit directeur » de l’organisation si elles agissent ou sont perçues comme agissant au nom de celle-ci. Même les personnes qui n’ont pas à proprement parler le titre de superviseur peuvent être considérées comme faisant partie de « l’esprit directeur » si elles ont, en fait, un pouvoir de supervision ou si elles dirigent dans une forte mesure les activités des employés. Par exemple, le chef d’équipe d’une unité de négociation peut être considéré comme faisant partie de « l’esprit directeur » de l’organisation.

Enfin, les hauts dirigeants d’une organisation, par exemple les membres du conseil d’administration, peuvent être considérés comme faisant partie de son « esprit directeur ».

5.3. Réparation des désavantages historiques

Nous sommes tous tenus de réparer les désavantages historiques. Par conséquent, la CODP est d’avis que toutes les organisations et paliers de gouvernement devraient prendre des mesures en ce sens. Cette responsabilité est plus grande encore pour les organismes publics, qui sont susceptibles d’avoir contribué aux causes de ces désavantages[149] et du fait également que c’est au gouvernement que revient au premier chef l’obligation de veiller à ce que tous bénéficient également de ses services. À ce propos, la Cour suprême du Canada s’est exprimée dans le cadre d’une affaire relative au handicap et aux mesures d’adaptation :

[Traduction]
... afin de promouvoir l’objectif d’une plus grande égalité dans la société, le paragraphe 15 (1) vient interdire à l’exécutif d’adopter certaines dispositions sans prendre en compte leur éventuel impact sur des classes de personnes déjà désavantagées[150].

Lorsqu’il s’agit de remédier aux désavantages historiques, plusieurs approches peuvent être mises en œuvre, isolément ou en combinaison. Nous traitons de ces approches à la Section 7. Prévention et prise de mesures à l’égard du racisme et de la discrimination raciale.

Discrimination « à rebours »

On qualifie parfois les mesures de redressement des désavantages historiques, telles que les programmes spéciaux mis en œuvre en vertu de l’article 14 du Code, de « discrimination à rebours » ou de « gestes purement symboliques ». Les personnes qui font l’objet de ces mesures se voient ainsi stigmatisées, dénier tout mérite, ou encore comme bénéficiant d’un traitement de faveur.

Notons que l’objectif de ces mesures n’est pas d’avantager les personnes racialisées, mais de les placer sur le même pied que celles qui n’ont pas subi de désavantages historiques. Grâce à ces mesures, les personnes racialisées ont accès à des domaines qui leur seraient autrement fermés – instruction, emploi, logement, commerces et entreprises. Et, tout en remédiant à des actes de discrimination passés, ces mesures contribuent à la prévention d’actes de discrimination futurs, par exemple par la promotion de la diversité, ce qui à son tour favorise le changement organisationnel. Par conséquent, la société dans son ensemble a tout intérêt à éliminer les barrières qui entravent le plein épanouissement de chacun de ses membres.

Comme c’est le cas pour les mesures d’adaptation liées aux droits de la personne, les organisations et institutions qui mettent en œuvre des mesures de redressement des désavantages historiques devraient favoriser l’instauration d’un milieu positif et parer aux éventuelles réactions négatives.

5.4. Mesures de réparation d’intérêt public

Outre le pouvoir d’adjuger des indemnisations pécuniaires, les tribunaux des droits de la personne ont un pouvoir de redressement général les habilitant à ordonner à une partie reconnue responsable de discrimination de prendre les mesures qui, à leurs yeux, s’imposent pour se conformer au Code des droits de la personne, tant en ce qui concerne la plainte qu’en ce qui concerne les pratiques ultérieures (paragraphe 45.2(1) 3 du Code). Les recours d’intérêt public ordonnés par les tribunaux ont une large portée et ont déjà compris, par exemple, d’exiger d’une organisation de cesser ou de modifier les pratiques qui avaient abouti à des actes de discrimination, d’instaurer une surveillance interne ou par tierce partie, de mettre en œuvre un programme complet de lutte contre le harcèlement et la discrimination et d’offrir une formation générale au personnel et à la direction.

En outre, divers tribunaux des droits de la personne ont exigé, en vertu de leur pouvoir de redressement et par le biais de plusieurs décisions, la prise de mesures de réparation à l’égard de certains désavantages historiques. Dans ces cas, le décideur a ordonné des mesures correctives, destinées à supprimer les barrières à une pleine participation et à pallier les effets de la discrimination passée.

Une affaire de discrimination fondée sur le sexe a donné lieu à l’un des programmes de réparation les plus marquants jamais ordonnés par un tribunal. Une grande société canadienne, reconnue coupable de discrimination systémique au motif du sexe, s’est vu ordonner d’embaucher des femmes de façon à combler au minimum le quart des postes non traditionnels et non qualifiés au niveau des cols bleus, afin que le nombre de ses employées rejoigne le pourcentage national des travailleuses détenant des postes équivalents[151].

Récemment, une affaire de discrimination raciale a également donné lieu à ce type d’initiative. Le tribunal a imposé la mise sur pied d’un « programme spécial de mesures correctives », afin de prévenir toute discrimination systémique future et d’éliminer les barrières existantes créées par les pratiques discriminatoires du passé. Le programme comportait sept (7) mesures correctives permanentes, visant à modifier certains aspects de la culture et des systèmes organisationnels qui dressaient des barrières aux personnes racialisées. Également, on a défini 18 mesures correctives temporaires, y compris l’embauchage de membres des « minorités visibles » à divers paliers de l’organisation selon un taux donné (p. ex. 18 % par an) pendant un certain nombre d’années, des mesures de diffusion externe, des programmes de mentorat et, dans le cadre des programmes de formation, la prévision d’un certain pourcentage de places destinées aux membres des « minorités visibles »[152].

Par le passé, le tribunal a ordonné à l’organisation de fournir à la CODP suffisamment de renseignements et de statistiques pour permettre à celle-ci de surveiller les pratiques de recrutement et d’emploi de l’organisation sur une certaine période de temps[153]. En vertu de l'article 29 du Code modifié, la CODP ne remplit plus ce rôle, mais d'autres formes de surveillance peuvent être ordonnées par le Tribunal, conformément à ses pouvoirs énoncés au paragraphe 45.2. (1) 3.

Les organisations et institutions devraient adopter des mesures proactives pour remédier aux désavantages constatés. Cependant, à défaut de ces mesures et dans les cas appropriés, le requérant peut demander des réparations d’intérêt public, afin de pallier la discrimination systémique et les désavantages historiques au moyen de décisions et de règlements devant les tribunaux.


[60]  Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, supra, note 8, 6.
[61]  C. James, « Les stéréotypes et leurs conséquences sur les jeunes issus de minorités raciales » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 44-46.
[62]  Richards c. Waisglass (1994), 24 C.H.R.R. D/51 (commission d’enquête de l’Ontario).
[63]  Voir aussi l’affaire Fuller c. Daoud (2001), 40 C.H.R.R. D/306 (commission d’enquête de l’Ontario), où le Tribunal a jugé que l’intimée, une Blanche, avait faussement accusé son locataire, un homme noir, de l’avoir menacée de viol. La Commission a soutenu que cette allégation avait des conséquences particulièrement graves pour le plaignant, parce qu’elle « cristallisait une longue histoire de vues racistes sur la menace que représentent les hommes noirs pour la femme blanche » (par. 78).
[64]  Frank c. A.J.R. Enterprises Ltd. (1993), 23 C.H.R.R. D/228 (B.C.C.H.R).
[65]  Dans l’affaire Payne c. Otsuka Pharmaceutical Co. (No. 3) (2002), 44 C.H.R.R. D/203 (commission d’enquête de l’Ontario), après avoir rencontré la plaignante, une entreprise pharmaceutique ne l’avait pas acceptée comme réceptionniste à son kiosque d’exposition, lors d’une conférence d’ophtalmologistes canadiens. Le Tribunal a conclu que la candidature de la plaignante avait été rejetée parce qu’elle était noire et reconnu l’entreprise coupable de discrimination. Le Tribunal a également tenu responsables les organisateurs de la conférence, qui avaient aidé l’entreprise pharmaceutique à trouver d’autres candidats à l’emploi de réceptionniste sans avoir enquêté de façon appropriée sur les allégations de discrimination raciale de Mme Payne.
[66]  DesRosiers c. Kaur (2000), 37 C.H.R.R. D/204 (B.C.H.R.T.).
[67]  R. c. Brown (2003), 64 O.R. (3d) 161 (C.A.). Voir également R. c. Richards (1999), 120 O.A.C. 344 (C.A.), Peart c. Peel (Regional Municipality) Police Services Board, [2003] O.J. No. 2669 (Cour sup.) et R. c. Khan (2004), 244 D.L.R. (4th) 443 (Cour sup. de l’Ont.).
[68]  Johnson c. Halifax (Regional Municipality) Police Service, supra, note 51, par. 8.
[69]  Ibid., par. 10.
[70]  Pour un exposé des stéréotypes qui motivent une surveillance plus serrée à l’égard des hommes noirs, voir D. M. Tanovich, "Racing Racial Profiling" (2004) 41 Alta. L. Rec. 905-933.
[71] R. c. Brown, supra, note 66, 174 (C. A.).
[72] Dans l’affaire R. c. Khan, supra, note 66, l’explication des agents de police qui avaient interpellé M. Khan et fouillé sa voiture ne concordait pas avec la preuve documentaire ni avec le sens commun. La Cour a donc estimé raisonnable de conclure qu’il s’agissait de profilage racial, M. Khan étant un jeune homme noir, au volant d’une Mercedes coûteuse.
[73] [traduction] « Pour déterminer s’il y a eu traitement différent, la commission doit nécessairement faire une hypothèse sur la façon dont les choses se seraient passées si le chauffeur et son passager avaient été blancs plutôt que noirs… Je trouve difficile d’imaginer que ces événements se seraient déroulés de la même façon si un automobiliste blanc du Texas avait été en cause ici. » Johnson c. Halifax (Regional Municipality) Police Service, supra, note 51, par. 51 et 57.

Voir également l’affaire Hum c. Royal Canadian Mounted Police (1986), 8 C.H.R.R. D/3748 (C.H.R.T.) : [traduction] « Bien qu’on ait demandé, tout à fait légalement, à M. Hum de s’arrêter et de produire son permis et ses certificats d’immatriculation et d’assurance, on n’était aucunement justifié de lui poser des questions sur sa citoyenneté et son lieu de naissance dans des circonstances où un Blanc faisant montre de la même conduite, s’exprimant et étant vêtu de la même façon, n’aurait pas été traité de la sorte. » [par. 29697].

[74] Dans l’affaire Johnson c. Halifax Regional Police Service, ibid., par. 57, la commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse a estimé que, pour déterminer l’existence prima facie d’un traitement à impact différent, une commission d’enquête doit essayer d’établir de quelle façon les événements se déroulent normalement dans une situation analogue. Les écarts de la pratique normale et les marques d’intransigeance ou d’impolitesse permettent de conclure à un traitement différent.
[75] Ibid. La commission d’enquête a jugé que la manière non professionnelle dont le plaignant avait été traité lors d’un incident de la circulation était due à sa race et qu’il serait difficile d’imaginer qu’on traite un automobiliste blanc de la même façon.
[76]  Ibid.
[77] Voir l’affaire Johnson c. Halifax (Regional Municipality) Police Service, ibid., par. 41 et 60. Également, dans l’affaire Hum, supra, note 72, par. 29696-29697, le Tribunal a reconnu le contexte social et historique plus large qui justifiait les sentiments d’inquiétude, de ressentiment et de vexation lorsqu’on a interpellé l’intéressé et qu’on lui a posé des questions sur sa citoyenneté et son lieu de naissance.
[78] Voir l’affaire Basi c. Canadian National Railway Co. (No. 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (C.H.R.T.), par. 38481.
[79] Raheja c. Newfoundland (Commission des droits de la personne) (1997), 155 Nfld. & P.E.I.R. 38, par. 32.
[80]  Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S., 536. Cette conclusion a de nouveau été confirmée dans l’affaire Smith c. Mardana Ltd. (2005), CHRR Doc. 05-094 (Cour div. de l’Ont.), en partie inf. (2002), 44 C.H.R.R. D/142 (commission d’enquête de l’Ontario).
[81]  Gray c. A & W Food Service of Canada Ltd. (1994), CHRR Doc. 94-146 (commission d’enquête de l’Ontario), Dominion Management c. Velenosi (1997), 148 D.L.R. (4th) 575, par. 576 (C. A. de l’Ont.), Smith c. Mardana Ltd. (Cour div.), ibid., par. 22.
[82] Dans l’affaire Grover c. National Research Council of Canada (No. 1) (1992), 18 C.H.R.R. D/1 (C.H.R.T.), le Tribunal a reconnu que, lors de l’examen de la preuve, il faut souvent tenir compte de la preuve circonstancielle pour pouvoir détecter « la trace subtile de la discrimination » [par. 158].
[83] Ce critère est exposé dans l’affaire Lasani c. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (No.2) (1993), 21 C.H.R.R. D/415 (commission d’enquête de l’Ontario), par. 50. Le Tribunal a aussi déclaré :
[traduction]
Je suis entièrement d’accord avec le point de vue de la Commission : lorsque le préjugé ethnique est une réalité, même secrète et non admise, la commission d’enquête doit examiner attentivement les explications qu’on donne du défaut d’embaucher ou d’octroyer une promotion à des membres de communautés ethniques qui sont autrement qualifiés pour un poste, mais ne sont ni engagés ni promus [par. 54].
[84] Abdolalipour c. Allied Chemical Canada Ltd. (1996), C.H.R.R. Doc. 96-153, par. 188 (commission d’enquête de l’Ontario).
[85] Voir l’affaire Smith c. Mardana Ltd. (Cour div.), supra, note 79, par. 15-16. Également, dans l’affaire McKinnon c. Ontario (Ministry of Correctional Services) (No. 3) (1998), 32 C.H.R.R. D/1 (commission d’enquête de l’Ontario), où le plaignant avait été rétrogradé à la suite d’une erreur tout à fait courante. Personne d’autre n’avait été réaffecté après avoir commis le même type d’erreur.
[86] Dans l’affaire Nelson c. Durham Board of Education (No. 3) (1998), 33 C.H.R.R. D/504 (commission d’enquête de l’Ontario), le Tribunal avait jugé que le fait d’avoir privé le plaignant de ses « périodes libres », soit des périodes sans enseignement qui permettent aux administrateurs d’accomplir leurs tâches administratives et de vaquer à leurs activités autres au sein du conseil scolaire, constituait un acte de discrimination directe :
[traduction]
Les utilisations malicieusement proposées pour les périodes libres semblent avoir bien servi les fins de ceux qui voulaient étouffer les aspirations d’un enseignant compétent et dévoué qui, en raison de sa race, n’était pas le bienvenu dans les échelons supérieurs du conseil scolaire de Durham [par. 136].
[87] Dans l’affaire Nelson, ibid., par. 131, le Tribunal a conclu que la conduite du dirigeant pendant l’entrevue avait été d’une mauvaise foi « flagrante » et avait instauré un climat d’hostilité raciale, qui avait été toléré par d’autres représentants du conseil de Durham ». Au cours de l’entrevue, l’intervieweur avait tourné le dos au plaignant, sauf quand il a voulu lui reprocher d’avoir été « agressif » en réaction au fait que l’intervieweur ne tenait pas compte de son diplôme de maîtrise.
[88] Dans l’affaire Smith c. Mardana Ltd., supra, note 79, le propriétaire de l’entreprise avait menacé de renvoyer le plaignant à cause de ses relations tendues avec un gestionnaire intérimaire. Or, le caractère hostile de ces relations était dû à l’attitude raciste du gestionnaire.
[89] Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (No. 4) (1996), 27 C.H.R.R. D/230 (No. 4) (commission d’enquête de l’Ontario), conf. (1999), 34 C.H.R.R. D/405 (Cour de l’Ontario) (Div. gén.)). L’ordre de la commission d’enquête avait été confirmé, sauf en ce qui concernait la réintégration (2001), 41 C.H.R.R. D/349 (C. A. de l’Ont.), autorisation d’en appeler refusée [2002] S.C.C.A. No. 69.
[90] Un propriétaire peut exercer de la discrimination en omettant d’effectuer les réparations nécessaires pour un locataire en particulier ou d’effectuer les réparations nécessaires dans un immeuble dont les locataires appartiennent majoritairement à un groupe racialisé :
[traduction]
À mon avis, les propos et la conduite de M. Elieff tels que les rapporte M. Van Moorsel dans le London Free Press avaient instauré une atmosphère empoisonnée. En sous-entendant que les Cambodgiens ne méritaient pas de vivre dans des conditions convenables, il a porté atteinte aux droits des Cambodgiens aux termes du paragraphe 2 (1) du Code… au motif de la race ou du lieu d’origine, même si tous les autres locataires non cambodgiens étaient soumis aux mêmes conditions déplorables. [Ontario (Commission des droits de la personne) c. Elieff (1996), 37 C.H.R.R. D/248, par. 16 (Div. gén. de l’Ont.)].
[91] Par exemple, les odeurs de cuisine ont fait l’objet de deux décisions du Tribunal. Dans l’un des cas, le Tribunal a déterminé que des locataires sud-asiatiques s’étaient vu refuser un appartement en raison de stéréotypes à propos des odeurs de cuisine; Fancy c. J & M Apartments Ltd. (1991), 14 C.H.R.R. D/389 (B.C.C.H.R.). Dans une autre affaire, on avait constaté que la plaignante préparait chez elle des aliments traditionnels pour son groupe ethnique et son ascendance, qui dégageaient des odeurs. Elle avait subi un traitement différent, car on lui avait ordonné de mettre fin à cette situation, sous peine d’expulsion. Le droit d’exprimer son appartenance ethnique et son héritage culturel et d’en avoir la jouissance a été jugé vital pour la dignité de la personne. De plus, la Cour a déterminé que la conduite du propriétaire n’avait pas de justification raisonnable ou de bonne foi; voir l’affaire Chauhan c. Norkam Seniors Housing Cooperative Association, 2004 B.C.H.R.T. 262.
[92]  Wattley c. Quail (1988), 9 C.H.R.R. D/5386 (B.C.C.H.R.); voir également l’affaire Grant c. Wilcock (1990), 13 C.H.R.R. D/22 (commission d’enquête de l’Ontario). Dans cette affaire, Mme Grant, une Blanche, était allée visiter un chalet qui les intéressait, elle-même et son mari. Lorsque M. Grant, un Noir, s’était rendu sur place pour visiter le chalet, l’intimé avait dit qu’il allait probablement vendre le chalet à son frère et qu’il rendrait réponse aux Grant. Mme Grant avait téléphoné plusieurs fois mais n’avait jamais reçu de réponse satisfaisante touchant le chalet. Sa mère avait téléphoné et on lui avait répondu que le chalet était toujours à vendre. L’intimé avait dit à la mère qu’un homme avait voulu l’acheter, mais que, comme c’était un Noir, l’intimé n’avait pas donné suite.
[93] Pour un exposé du racisme en éducation, voir Racism in our Schools: What to Know About It; How to Fight It, rapport préparé pour la Fondation canadienne des relations raciales (juin 2000); en ligne : < www.crr.ca/en/Publications/ePubHome.htm>. Également, au sujet des problèmes des élèves autochtones en milieu scolaire, voir le Rapport du Rapporteur spécial sur les populations autochtones, supra, note 17.
[94] Angeconeb c. 517152 Ontario Ltd. (1993), 19 C.H.R.R. D/452 (commission d’enquête de l’Ontario).
[95] Refuser d’embaucher quelqu’un perçu comme un « fauteur de troubles » parce qu’il a déjà déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre l’intimé ou d’autres organisations a également été reconnu discriminatoire; voir l’affaire Abouchar c. Toronto (Metro) School Board (No. 3) (1998), 31 C.H.R.R. D/411 (commission d’enquête de l’Ontario). Cet acte pourrait également constituer des représailles en vertu de l’article 8 du Code.
[96] Nelson, supra, note 85.
[97] Voir P. Essed, "Everyday Racism: A New Approach to the Study of Racism", dans P. Essed et D. T. Goldberg (dir.), Race Critical Theories (Malden: Blackwell Publishers Ltd., 2002), 176, 177 et 190. www.aaa.com
[traduction]
Le fait qu’il s’agisse de pratiques à répétition indique que le racisme « ordinaire » consiste en des pratiques qui peuvent se généraliser. (177) www.aaa.com
[99] Des preuves factuelles analogues ont été invoquées dans un certain nombre d’affaires raciales. Par exemple, dans Nelson, supra, note 85, des preuves factuelles analogues concernant le traitement d’un enseignant noir ont été considérées comme appuyant la déposition du témoin du plaignant, car les expériences relatées reflétaient celles du plaignant. Dans l’affaire Dhillon c. F.W. Woolworth Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/743 (commission d’enquête de l’Ontario), un plaignant d’ascendance indienne alléguait être en butte à des injures de la part de certains collègues blancs et de discrimination raciale dans l’attribution des vacances, la répartition du travail et les taux de mises à pied. Il avait été autorisé à produire la preuve de collègues d’origine indienne qui s’étaient également fait injurier, et d’un autre employé de même ascendance au sujet de sa rétrogradation.
[100] En estimant que la perception de racisme chez un collègue constituait une certaine preuve de discrimination, un tribunal relevait que :
[traduction]
Il est largement admis que la discrimination n’a pas de visage. Ceux qui exercent de la discrimination sont généralement incapables de la reconnaître. Cela ne signifie pas qu’elle est invisible pour d’autres… Ce serait une erreur de réduire le processus de décision à une compétition entre les perceptions de l’une et de l’autre parties. Néanmoins, je crois que les impressions, même si elles restent subjectives, peuvent comporter une certaine valeur probante. [Brooks c. Canada (Dept. of Fisheries and Oceans) (No. 2) (2004), CHRR Doc. 04-384, 2004 TCDP 36, par. 109-111.]
[101] Dhanjal c. Air Canada (1996), 28 C.H.R.R. D/367 (C.H.R.T.).
[102] Fuller c. Daoud (2001), 40 C.H.R.R. D/306, par. 84 (commission d’enquête de l’Ontario).
[103] McKinnon c. Ontario (Ministry of Correctional Services), supra, note 84; Naraine, c. Ford Motor Company, supra, note 88; Smith c. Mardana, supra, note 79.
[104] Naraine c. Ford Motor Company (1996), ibid.
[105] Etienne c. Westinghouse of Canada Ltd. (1997), 34 C.H.R.R. D/45 (commission d’enquête de l’Ontario). La Commission a jugé que le plaignant avait à plusieurs reprises fait l’objet de harcèlement de la part de ses collègues, parce qu’il est un Noir, d’origine haïtienne, et un Francophone.
[106] Baylis-Flannery c. Walter DeWilde c.o.b as Tri Community Physiotherapy (No. 2) (2003), C.H.R.R. Doc. 03-296 (H.R.T.O.).
[107] Dhanjal c. Air Canada (1996), supra, note 100.
[108] Dhillon c. F.W. Woolworth (1982), supra, note 98; Naraine c. Ford Motor Company of Canada (commission d’enquête de l’Ontario), supra, note 88, par. 50 et 54.
[109] Ghosh c. Domglas Inc. (No.2) (1992), 17 C.H.R.R. D/216, par. 76 (commission d’enquête de l’Ontario).
[110] Voir Ross c. New Brunswick School District No. 15, [1996] 1 R.C.S. 825, 25 C.H.R.R. D/175; Québec (Comm. des droits de la personne) c. Deux-Montagnes, Comm. scolaire, (1993), 19 C.H.R.R. D/1 (TDPQ); Jubran c. North Vancouver School District No. 44, (2002), 42 C.H.R.R. D/273, 2002, BCHRT 10. Dans l’affaire Jubran, le Tribunal soutenait que le conseil scolaire i) avait l’obligation d’assurer un milieu éducatif n’exposant pas les élèves à un harcèlement discriminatoire; ii) savait que les élèves exerçaient du harcèlement à l’égard d’un autre élève; iii) était coupable d’avoir manqué à prendre des mesures adéquates pour faire cesser le harcèlement. La Cour suprême de la Colombie-Britannique avait cassé la décision du Tribunal, invoquant que le harcèlement n’était pas fondé sur un motif protégé par la loi, puisque le plaignant ne s’identifiait pas comme gai et que ses harceleurs ne le percevaient pas comme l’étant. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait alors renversé la décision de la Cour divisionnaire, concluant que le plaignant était protégé par la loi sur les droits de la personne de la province, qu’il ait ou non été gai et que ses harceleurs l’aient ou non perçu comme tel. La Cour avait déclaré que l’enquête aurait dû porter sur l’effet du harcèlement plutôt que sur l’intention des harceleurs. La Cour d’appel avait également jugé que le conseil scolaire était responsable de la conduite discriminatoire des élèves et qu’il avait manqué à son obligation de leur assurer un milieu éducatif à l’abri de la discrimination : voir l’affaire North Vancouver School District No. 44 c. Jubran, [2005] B.C.J. No. 733 (C.A.).
[111] Dans l’affaire Dhanjal c. Air Canada, supra, note 100, par. 209, le Tribunal signalait que plus la conduite est grave, moins il est nécessaire de prouver qu’elle a été répétée, et, inversement, moins elle est grave, plus il est nécessaire de démontrer sa persistance.
[112] Lee c. T.J. Applebee’s Food Conglomeration (1987), 9 C.H.R.R. D/4781 (commission d’enquête de l’Ontario).
[113] Smith c. Mardana Ltd. (Cour div. de l’Ont.), supra, note 79, par. 24, et Naraine c. Ford Motor Company of Canada (commission d’enquête de l’Ontario), supra, note 88, par. 98-99.
[114] Voir Espinoza c. Coldmatic Refrigeration of Canada Inc. (1995), 29 C.H.R.R. D/35 (commission d’enquête de l’Ontario).
[115] Pour un exposé plus détaillé, voir le document de la Commission intitulé Politique concernant la discrimination et la langue (juin 1996); en ligne : < www.ohrc.on.ca>.
[116] Aux termes de l’article 12 du Code : 
Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la partie I le fait d’exercer une discrimination fondée sur des rapports, une association ou des activités avec une personne ou un groupe de personnes identifiées par un motif illicite de discrimination.
[117]  Le motif du sexe est parfois inextricablement mêlé à celui du racisme. Les points de vue et stéréotypes racistes au sujet de la sexualité des personnes peuvent se fonder sur leur identité ethnoraciale. Voir l’affaire Baylis-Flannery c. DeWilde, supra, note 105. Comme nous l’avons mentionné à la section qui porte sur l’histoire du racisme au Canada, cette forme de discrimination a été favorisée par les lois qui interdisaient aux Chinois et aux Japonais d’embaucher des Blanches. Pour un exposé détaillé, voir C. Backhouse, Colour-Coded: A Legal History of Racism in Canada, 1900-1950 (Toronto, University of Toronto Press, 1999), 132-172.
[118]  Cet incident a été porté à la connaissance de la Commission pendant l’enquête sur le profilage racial.
[119]  Québec (Comm. des droits de la personne) c. Thibodeau (1993), 19 C.H.R.R. D/225 (TDPQ).
[120]  Tabar, Lee and Lee c. Scott and West End Construction Ltd. (1984), 6 C.H.R.R. D/2471 (commission d’enquête de l’Ontario).
[121]  Barclay c. Royal Canadian Legion, Branch 12 (1997), 31 C.H.R.R. D/486 (commission d’enquête de l’Ontario).
[122]  Adaptation de C. Agocs, « Racisme émergeant en milieu de travail : Preuves qualitatives et quantitatives d’une discrimination systémique », (2004) 3:3, Diversité canadienne, 27. D’autres définitions ont été proposées, par exemple :
[traduction]

… des pratiques ou des attitudes qui ont, que ce soit par intention ou par impact, l’effet de limiter le droit d’une personne ou d’un groupe de personnes de profiter d’opportunités généralement disponibles à cause de caractéristiques attribuées plutôt que réelles…. [Extrait, Action Travail des Femmes c. Canadien National (1984), 5 C.H.R.R. D/2327 (C.H.R.T.), conf. (1987), 8 C.H.R.R. D/4210 (CSC) [ci-après Action Travail, par. 33248].

[traduction]
… la discrimination systémique… découle des conséquences non intentionnelles de systèmes et de pratiques d’emploi établis. Leur effet est d’interdire aux membres de certains groupes l’accès à certaines opportunités et à certains avantages. Comme la discrimination n’est pas motivée par un acte délibéré, elle est plus difficile à détecter, et il est donc nécessaire de la chercher dans les conséquences ou les résultats d’un système particulier de recrutement et d’’emploi. [Extrait de Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Santé et Bien-être Canada (1997), 28 C.H.R.R. D/179 (C.H.R.T.) [ci-après ACNRI], par. 164].
[123] Voir Statistique Canada, Certaines caractéristiques du revenu; en ligne : < www.statcan.ca>.
[124] Voir également le Rapport du Rapporteur spécial sur les populations autochtones, supra, note 17, pour un exposé plus détaillé des nombreux indicateurs relatifs aux désavantages historiques et contemporains subis par les peuples autochtones du Canada :
[traduction]
Les indicateurs économiques, sociaux et humains du bien-être, de la qualité de vie et du développement sont régulièrement plus bas chez les Autochtones que chez les autres Canadiens. … Depuis les débuts de la colonisation, les peuples autochtones du Canada ont été progressivement dépossédés de leurs territoires, de leurs ressources et de leur culture, processus qui les a menés au dénuement, à la déchéance et à la dépendance… [2].
[125] Voir Statistique Canada, Certaines caractéristiques du revenu, supra, note 122, et Conseil canadien de développement social, Aboriginal Children in Poverty in Urban Communities: Social exclusion and the growing racialization of poverty in Canada (juin 2003); en ligne : < www.ccsd.ca/pr/2003/aboriginal.htm>.
[126] Adaptation, C. Agocs, supra, note 121. Pour consulter une décision qui prend en compte des données numériques, les pratiques de recrutement et d’emploi et la culture organisationnelle dans la détermination de la discrimination systémique, voir ACNRI, supra, note 121.
[127] Blake c. Mimico Correctional Institute (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (commission d’enquête de l’Ontario), par. 20100. Le Tribunal a poursuivi en déclarant que, pour établir le bien-fondé prima facie de l’affaire et si on ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants, il faut pouvoir constater un écart statistique assez probant (par. 20129-20130). Pour un résumé très utile des propositions générales mises de l’avant par l’affaire Blake, voir l’affaire Angeconeb, supra, note 93, par. 28-29.
[128] Voir British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3, 38 (dans le contexte du sexe), et British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) c. British Columbia (Council of Human Rights) [1999], 3 R.C.S., 868, par. 880 (dans le contexte du handicap).
[129] ACNRI, supra, note 121, par. 142.
[130] Quereshi c. Central High School of Commerce (No. 3) (1989), 12 C.H.R.R. D/394 (commission d’enquête de l’Ontario).
[131] ACNRI, supra, note 121, par. 153-158 et 162.
[132] Wong c. Ottawa Board of Education (No. 3) (1994), 23 C.H.R.R. D/37 (commission d’enquête de l’Ontario).
[133] Voir, par exemple, Wong c. Ottawa Board of Education, ibid., par. 103-104.
[134] Dans l’arrêt Action Travail, supra, note 121, la Cour suprême du Canada a signalé que la discrimination systémique engendre la croyance que l’exclusion est le résultat de « forces naturelles », par exemple que les femmes « sont simplement incapables de faire ce type de travail » (par. 33249).
[135] Kearney c. Bramalea Ltd. (No. 2) (1998), 34 C.H.R.R. D/1 (commission d’enquête de l’Ontario); Shelter Corp. c. Ontario (Human Rights Comm.) (2001), 39 C.H.R.R. D/111 (Cour sup. de l’Ont.).
[136] Après la décision initiale rendue dans l’affaire Kearney, ibid., le gouvernement de l’Ontario avait ajouté au Code le paragraphe 21 (3) et le Règlement 290/98 au Code, ce qui permet d’utiliser des données sur le revenu dans certaines circonstances. Dans des décisions ultérieures, les tribunaux ont dû compter avec l’effet de ces dispositions. Il est permis d’utiliser des données sur le revenu, de même que les antécédents de crédit et de location, mais le Règlement n’autorise pas l’utilisation du ratio loyer-revenu comme seule base pour refuser un logement à quelqu’un; voir les affaires Vander Schaaf c. M & R Property Management Ltd. (2000), 38 C.H.R.R. D/251 (commission d’enquête de l’Ontario) et Sinclair c. Morris A. Hunter Investments Ltd. (2001), 41 C.H.R.R. D/98 (commission d’enquête de l’Ontario).
[137] Il y a eu des contestations judiciaires des règles de qualification imposées aux médecins formés à l’étranger. Dans l’affaire Jamorski c. Ontario (Attorney General) (1988), 64 O.R. (2d) 161 (C.A.), il a été décidé que le fait d’imposer des conditions d’internat différentes aux diplômés d’écoles de médecine non accréditées ne constituait pas une infraction à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, dans l’affaire Bitonti c. British Columbia (Ministry of Health) (No. 3) (1999), 36 C.H.R.R. D/263 (B.C.C.H.R.), un Tribunal a déterminé que les médecins formés à l’étranger faisaient l’objet de discrimination au motif du lieu d’origine, l’Ordre des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique imposant aux diplômés une année de formation supplémentaire avant d’être admissibles à l’inscription au tableau professionnel.
[138] Un rapport de la Fondation canadienne des relations raciales indique que les barrières sont particulièrement persistantes pour les membres de communautés racialisées qui sont nés à l’étranger. Au Canada, ces personnes sont en butte à des inégalités considérables aux plans du revenu, de l’emploi et de l’éducation. Voir Jean Lock Kuntz, Conseil canadien de développement social, Unequal Access: A Canadian Profile of Racial Differences in Education, Employment and Income, Toronto, Fondation canadienne des relations raciales, 2000, 13, 17, 19, 22, 24-26.
[139] British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, supra, note 127.
[140] Ibid.
[141] Payne c. Otsuka Pharmaceutical Co. (No. 3) (2002), 44 C.H.R.R. D/203 (commission d’enquête de l’Ontario). Le stade où un tiers ou une autre partie intervient dans la chaîne de la discrimination dépend des faits. Cependant, des principes généraux peuvent être établis. Le facteur clé est le contrôle ou le pouvoir que l’intimé incident ou indirect avait à l’égard du plaignant et de l’intimé principal. Plus le contrôle ou le pouvoir est grand sur la situation et sur les parties, plus impérative est l’obligation légale de ne pas tolérer ou appuyer l’acte discriminatoire. Le contrôle ou le pouvoir est important car il sous-entend la capacité de rectifier la situation ou à tout le moins de faire quelque chose pour améliorer ces conditions; voir par. 63.
[142] Ibid.
[143] Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970, Mayo c. Iron Ore Co. of Canada (2002), 43 C.H.R.R. D/65 (commission d’enquête de Terre-Neuve).
[144] Les tribunaux ont également sanctionné le défaut de mettre en œuvre des ordonnances correctives à l’égard de plaintes antérieures pour atteinte aux droits de la personne. Dans l’affaire Ontario (Ministry of Correctional Services) c. Ontario (Human Rights Comm.) (No. 7) (2002), 45 C.H.R.R. D/61 (commission d’enquête de l’Ontario), le Tribunal avait déterminé que l’atmosphère empoisonnée persistait, alors qu’il avait rendu dans sa décision antérieure des ordonnances visant à y remédier. L’intimé, au niveau de la haute direction, avait manqué à mettre fin au harcèlement dont était victime Michael McKinnon à titre d’Autochtone, tant avant qu’après la décision antérieure. Lorsque l’intéressé s’était plaint de la poursuite du harcèlement, on lui avait opposé des refus, des retards, des attitudes préjugées et des fautes injustifiées. La commission d’enquête avait estimé que l’entier du traitement de ses plaintes avait en soi constitué des représailles et une infraction de plus aux droits du plaignant en vertu du Code. La Commission avait rendu des ordonnances, nouvelles ou considérablement remaniées, qui comprenaient notamment des mesures de redressement systémiques.
[145] Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (commission d’enquête de l’Ontario), supra, note 88.
[146] Smith c. Mardana Ltd.(Cour div. de l’Ont.), supra, note 79.
[147] Mohammed c. Mariposa Stores Ltd. (1990), 14 C.H.R.R. D/215 (B.C.C.H.R.). Voir également certaines décisions arbitrales en matière de travail concluant qu’un employeur doit mettre en place à l’intention de ses employés des procédures de règlement des plaintes pour harcèlement racial de la part des clients. Ces procédures doivent indiquer de quelle façon les employés doivent réagir aux actes de harcèlement et comment porter les problèmes graves et/ou continus à l’attention de la direction, afin que celle-ci applique les méthodes appropriées pour évaluer la situation et prendre des mesures de réparation; C.U.P.E., Local 79 c. Toronto (City) (1995), 1995 Carswell Ont 1840 (Comm. d’arb. de l’Ont.); Clarendon Foundation c. O.P.S.E.U., Local 593, [2000] L.V.I. 3104-6, 2000 Carswell Ont 1906, 91 L.A.C. (4th) 105 (Comm. d’arb. de l’Ont.).
[148] Wall c. University of Waterloo (1995), 27 C.H.R.R. D/44 (commission d’enquête de l’Ontario). Ces facteurs aident à déterminer si les mesures appliquées par une organisation à l’égard du harcèlement sont raisonnables. L’existence de mesures raisonnables n’atténue en rien la responsabilité de l’organisation, mais est prise en compte lors de la détermination des réparations appropriées. En d’autres termes, un employeur qui a pris des mesures raisonnables pour remédier au harcèlement n’est pas dégagé de toute responsabilité, mais peut se voir accorder une réduction des dommages-intérêts pénalisant le harcèlement.
[149] Par exemple, reconnaissant les désavantages importants qui ont découlé des mesures prises pendant la guerre à l’égard des Canadiens japonais, l’Entente de redressement à l’égard des Canadiens japonais a été signée le 22 septembre 1988. Le premier ministre Brian Mulroney a reconnu en Chambre les torts infligés par le gouvernement, pris l’engagement solennel de veiller à ce que ce type d’événement ne se reproduise jamais et rendu hommage à la loyauté des Canadiens japonais envers le Canada. En réparation symbolique de ces injustices, le gouvernement a offert une indemnisation monétaire individuelle et communautaire aux Canadiens japonais. Il s’est aussi engagé à mettre sur pied une organisation à l’échelle nationale pour favoriser l’harmonie entre les races et l’élimination du racisme, soit la Fondation canadienne des relations raciales. Il faut toutefois noter que maintes campagnes entreprises par d’autres communautés pour obtenir du gouvernement la réparation des torts entraînés par des lois et des politiques publiques à la racine des désavantages historiques n’ont pas abouti; voir Mack c. Canada (Attorney General), supra, note 29.
[150] Eldridge c. British Columbia (Attorney General) [1997] 3 R.C.S., 624, par. 64.
[151] Action Travail, supra, note 121.
[152] ACNRI, supra, note 121.
[153] Voir par exemple les décisions en matière de recours rendues dans les affaires McKinnon c. Ontario (Ministry of Correctional Services (No. 3) (1998), 32 C.H.R.R. D/1 (commission d’enquête de l’Ontario) et Ontario (Ministry of Correctional Services) c. Ontario (Human Rights Comm.) (No. 7) (2002), 45 C.H.R.R. D/61 (commission d’enquête de l’Ontario), ACNRI, supra, note 121, et Hendry c. Ontario (Liquor Control Board) (1980), 1 C.H.R.R. D/160 (commission d’enquête de l’Ontario).

Organizational responsibility: 

Partie 3 – Directives de mise en œuvre : surveillance et lutte contre le racisme et la discrimination raciale

6. Collecte et analyse de données numériques

Il est erroné de croire, comme c’est chose courante, que le Code interdit la collecte et l’analyse de données identifiant des personnes selon la race et d’autres motifs qui y sont énumérés. Une foule de personnes, d’organisations et d’institutions croient à tort que ce type de mesure est en soi contraire aux droits de la personne.

En fait, ainsi que la CODP l’a déclaré, non seulement le Code permet la collecte et l’analyse de données identificatoires selon les divers motifs énumérés à des fins reconnues par le Code, mais aussi cette collecte est nécessaire pour surveiller efficacement la situation de la discrimination, identifier les barrières systémiques et les éliminer, remédier aux désavantages historiques et promouvoir une égalité réelle[154]. C’est plutôt la collecte et l’utilisation de données à des fins abusives qui contribuent à accentuer la discrimination ou le stéréotypage et qui sont préjudiciables pour les droits de la personne.

En Ontario, toutes les personnes, organisations et institutions sont responsables de la défense des droits de la personne dans leurs milieux respectifs. Les personnes, organisations et institutions peuvent être tenues responsables d’actes qui constituent de la discrimination ou du harcèlement, de même que du défaut de prendre les mesures appropriées pour rectifier les atteintes aux droits de la personne dont elles sont ou devraient être au courant. En d’autres termes, conformément à l’objectif de prévention et de réparation du Code, il existe une obligation positive de prendre des mesures de réparation, pour veiller à prévenir, dans le présent et dans l’avenir, les infractions aux dispositions du Code. Parallèlement à l’obligation faite aux organisations et institutions d’enquêter une fois mises au courant d’une allégation de harcèlement racial, le fait de connaître l’existence de situations de discrimination raciale peut exiger une enquête comportant une collecte de données.

Le saviez-vous?

Depuis 1989, le Barreau du Haut-Canada effectue et révise périodiquement des études sur l’inégalité au sein de la profession juridique. Entre autres initiatives, le Barreau a en 2001 chargé Michael Ornstein, directeur de l’institut de recherche sociale de l’Université York, de préparer une étude démographique portant sur la profession d’avocat en Ontario. Sur la base du recensement de 1996, le rapport a montré que 7,3 % des avocats ontariens sont des « non-Blancs », groupe qui représente pourtant 17,5 % de la population. Le rapport note également que, en moyenne, les gains des avocats « non blancs » sont généralement beaucoup plus bas que ceux des avocats blancs.

À la lumière de cette étude et d’autres, le Barreau a mis en œuvre certaines initiatives pour promouvoir l’égalité au sein de la profession.

Voir Barreau du Haut-Canada, à
<www.lsuc.on.ca/about/b/equity/promoting-equity-and-diversity/>.

Dans le contexte de la discrimination raciale, la collecte de données est un outil nécessaire et parfois essentiel pour déterminer s’il y a ou pourrait avoir atteinte à des droits en vertu de la partie I du Code ou pour prendre des mesures correctives. La CODP est donc d’avis qu’une organisation ou une institution devrait procéder à la collecte et à l’analyse de données lorsqu’elle a ou devrait avoir des raisons de croire qu’il pourrait exister chez elle des barrières systémiques ou des situations de discrimination et de perpétuation des désavantages historiques.

Le fait qu’une organisation ou une institution a ou devrait avoir des raisons de croire qu’une collecte de données est nécessaire est évalué sur une base à la fois objective et subjective. Tout d’abord, on examine la connaissance réelle du problème que peut avoir l’organisation ou l’institution. En deuxième lieu et du point de vue d’une tierce partie raisonnable, on détermine si l’organisation ou l’institution aurait dû être au courant du problème exigeant la collecte de données. La notion de tierce partie raisonnable prend en compte la perspective tant de l’organisation ou de l’institution que des communautés racialisées.

Au nombre des situations dans lesquelles on peut avoir une base raisonnable pour croire qu’il y a ou qu’il pourrait y avoir atteinte à certains droits en vertu de la partie I du Code et que le meilleur moyen de s’en assurer passe par une collecte et une analyse de données, il y a les suivantes :

  • Allégations ou plaintes persistantes de discrimination ou de barrières systémiques; par exemple, une organisation reçoit une foule de plaintes dans le cadre d’une politique interne sur les droits de la personne ou par le biais de requêtes au Tribunal ou d’un autre processus, tel que l’arbitrage dans le domaine du travail.
  • La perception largement répandue dans la population de l’existence de discrimination ou de barrières systémiques, par exemple en ce qui concerne le phénomène du profilage racial.
  • Une répartition inégale des personnes racialisées, par exemple un net écart entre le nombre de personnes racialisées qui sont confinées à des postes de niveau inférieur et le nombre de celles qui occupent des postes cadres.
  • Des données objectives ou des rapports de recherche démontrant l’existence de la discrimination ou de barrières systémiques, par exemple des études attestant la hausse des taux de décrochage scolaire.
  • Des preuves provenant d’autres organisations ou territoires de compétence, selon lesquelles une politique, un programme ou une pratique substantiellement analogues ont eu un effet démesuré sur les personnes racialisées, par exemple des preuves que la politique scolaire des mesures disciplinaires à « tolérance zéro » ont eu un effet négatif sur les élèves racialisés aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Il existe d’autres situations où une organisation ou une institution peut ne pas avoir de raisons de croire qu’il y a problème dans son propre secteur de responsabilité mais peut néanmoins, de son propre chef, procéder à une collecte de données, afin de faire progresser les objectifs du Code.

  • Les données de recensement démontrant la sous-représentation des personnes autochtones dans une profession peuvent servir de base à un programme spécial visant à inciter les Autochtones à embrasser cette profession.
  • Un sondage auprès de sa clientèle permet à une organisation de s’assurer que les besoins de celle-ci sont satisfaits, par exemple la publication de brochures en plusieurs langues, l’offre d’une formation interculturelle au personnel, l’adaptation de ses services de façon à reconnaître la diversité des besoins au sein de sa clientèle.
  • Une organisation qui institue une nouvelle politique ou un nouveau programme, ou qui amorce un changement organisationnel important doit surveiller l’impact de cette initiative sur les personnes racialisées, afin de s’assurer qu’elle ne donne pas lieu à des effets négatifs.

6.1. Conséquences du défaut de collecte et d’analyse de données

Le défaut de procéder à une collecte et à une analyse de données ne constitue pas en soi un motif de requête auprès ddu Tribunal. On devrait plutôt voir dans cette collecte et cette analyse de données une composante de l’obligation de prendre des mesures pour prévenir la violation du Code. Par conséquent, pour donner suite à une plainte de discrimination prima facie, le décisionnaire tient compte du défaut de procéder à une collecte et à une analyse de données lorsqu’il cherche à déterminer si l’intimé s’est acquitté de son obligation de veiller à ne pas enfreindre les dispositions du Code.

Exemple : Les politiques scolaires en matière de discipline semblent avoir un impact démesuré sur les élèves racialisés et les élèves ayant un handicap, et exacerber encore davantage leur position déjà défavorisée dans la société. Des recherches empiriques menées aux États-Unis et au Royaume-Uni démontrent que les élèves racialisés et les élèves handicapés subissent de façon disproportionnée l’impact des suspensions et des expulsions. Le défaut des autorités responsables de tenir compte de ces facteurs et de prendre des mesures pour surveiller la situation et prévenir ces effets démesurés forme, en partie du moins, la base d’une requête au titre des droits de la personne.

De plus, dans les cas où une collecte de données était clairement justifiée, le défaut de réunir des données exactes et fiables peut interdire à un intimé toute déclaration crédible de non-discrimination. Par ailleurs, lorsqu’il y a allégation de discrimination systémique et que l’organisation ou l’institution n’a pas fait de collecte de données, le Tribunal peut devoir se reposer sur la preuve qualitative d’une représentation disproportionnée pour déterminer s’il y a effectivement désavantage pour les groupes racialisés. Enfin, s'il y a lieu, la CODP demande, et le Tribunal peut ordonner, la collecte et à l’analyse de données comme moyen de réparation d’intérêt public dans les cas de litiges et à des fins de règlement.

Inversement, si une organisation ou une institution procède à une collecte et à une analyse de données, elle peut le cas échéant démontrer qu’il n’existe pas de discrimination ni de barrières systémiques chez elle. Également, des efforts de surveillance au plan de la discrimination ou des barrières systémiques aident une organisation ou une institution à attester qu’elle s’acquitte de son obligation à l’égard de la protection et de la promotion des droits de la personne.

Exemple : Un programme est perçu comme donnant lieu à des effets démesurés sur les personnes racialisées. Cependant, les données recueillies révèlent que ces effets touchent les personnes racialisées dans la même mesure que les autres.

Exemple : La direction d’une organisation craint que sa main-d’œuvre ne soit pas représentative de la population qu’elle dessert. Elle procède à une collecte de données pour déterminer si ses politiques ne pourraient pas avoir un effet discriminatoire de même qu’à un examen de ses systèmes de recrutement et d’embauchage, afin d’en éliminer toute barrière le cas échéant.

6.2. Méthode de collecte et d’analyse des données

Afin d’atteindre son objectif, la collecte de données doit être effectuée de bonne foi, dans le but de produire des données exactes et de qualité, et non dans celui d’arriver à des résultats prédéfinis. On doit s’efforcer de réunir des données qui éclaireront véritablement les enjeux, par des techniques de données reconnues.

La manière dont la collecte et l’analyse de données devraient être effectuées dépend du contexte, notamment de la question qui requiert surveillance, de l’objet de la collecte, ainsi que de la nature et de la taille de l’organisation. Dans des situations complexes et pour être efficaces, la collecte et l’analyse de données exigent généralement l’adoption de méthodes consacrées de recherche et de conception de même que la formation des personnes qui y procéderont. À moins qu’une organisation ne possède l’expertise interne requise, elle s’adressera probablement à un spécialiste, des sciences sociales par exemple.

Exemple : Un service de police s’inquiète d’une perception de profilage racial et amorce un projet de collecte de données sur les interpellations policières. On consulte un spécialiste expert en méthodes de recherche et d’analyse de données, et on élabore un programme. On demande alors aux agents de consigner sur une formule standard toutes les interpellations effectuées, le motif de chacune, son issue et l’identité ethnoraciale perçue de la personne interpellée. Une copie de la formule est remise à la personne interpellée, à qui l’agent demande de vérifier les renseignements consignés.

À l’inverse, une petite organisation qui présente des besoins de base en matière de collecte pourra confier la tâche à des ressources existantes.

Exemple : Une entreprise de compétence non fédérale discerne un problème au plan de son personnel et décide de faire appel à des ressources existantes en équité de l’emploi pour la mise en œuvre d’un programme de collecte et d’analyse de données[155].

Il est important de relever que certaines études spéciales, pour lesquelles on ne recueille de données que sur une période de temps limitée, peuvent renseigner de façon moins exacte. Tout d’abord, les données peuvent ne fournir qu’un « instantané » d’une situation, et ne pas permettre d’évaluer les changements survenus dans le temps. De plus, les études à court terme peuvent être faussées par la tendance normale chez l’être humain à modifier son comportement quant il se sait observé. Les données réunies par une étude portant sur une période de temps limitée doivent donc être interprétées avec certaines réserves.

Comme nous l’avons déjà mentionné, les données recueillies ne devraient servir qu’à des fins considérées comme légitimes en vertu du Code et n’être en aucun cas utilisées pour perpétuer la discrimination ou le stéréotypage à l’endroit d’un groupe. Avant de publier les données, il faut réfléchir et veiller à ce qu’il n’en résulte pas de conséquences nuisibles.

Les personnes visées par une collecte de données doivent être informées de son motif et de l’utilisation qu’on compte faire des renseignements recueillis. On donnera des explications sur le motif de la collecte de même que sur la manière dont la collecte et l’utilisation des données aideront à atténuer la discrimination ou les désavantages et à réaliser l’égalité des chances. Tout cela contribuera à apaiser les inquiétudes possibles face à la demande d’auto-identification. Le respect de la vie privée des personnes doit être assuré et il faut contrôler avec soin le stockage des données, leur accès et leur divulgation.

Ainsi que nous le disions ci-dessus, les données numériques peuvent constituer un excellent indicateur à l’égard des pratiques inéquitables. Si ces données révèlent l’existence d’un problème, l’organisation ou l’institution doit donc être disposée à réagir.

Pour de plus amples renseignements sur les méthodes de collecte et d’analyse de données, veuillez consulter la publication de la CODP intitulée Directives concernant la collecte de données sur les motifs énumérés en vertu du Code.

7. Prévention et prise de mesures à l’égard du racisme et de la discrimination raciale

Les organisations et institutions ontariennes sont tenues de se donner des moyens de prévention et d’action à l’égard des infractions au Code. Elles ont l’obligation de prendre des mesures pour instaurer un milieu respectueux des droits de la personne, ce qui requiert un engagement et des efforts. Mais tout cela fait partie des coûts de fonctionnement, dans un territoire de compétence qui embrasse l’objectif de l’égalité à titre de politique publique formulée par le Code.

Mention est faite, tout au long de notre politique, des mesures de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Pour résumer, les composantes d’un bon programme organisationnel de lutte contre le racisme[156] sont les suivantes :

  1. un énoncé d’objectifs et une politique globale de lutte contre le racisme;
  2. une surveillance proactive continue;
  3. des stratégies de mise en œuvre;
  4. une évaluation.

7.1. Énoncé d’objectifs et politique de lutte contre le racisme

L’adoption et la mise en œuvre d’un énoncé d’objectifs et d’une politique efficace de lutte contre le racisme, outre qu’elles répondent à des obligations en vertu du Code des droits de la personne, peuvent limiter les préjudices et donc la portée de l’obligation de réparation. Elles contribuent aussi à promouvoir les objectifs d’équité et de diversité des organisations et institutions et contribuent à leur bonne marche.

Pour réussir, il est donc primordial qu’un programme de lutte contre le racisme se donne un énoncé d’objectifs ainsi qu’une politique claire, concrète et globale. Les publications de la CODP intitulées Directives concernant l'élaboration de politiques et de procédures en matière de droits de la personne et Les droits de la personne au travail exposent la teneur d’une politique générale de lutte contre le harcèlement et la discrimination qui recouvre tous les motifs énumérés par le Code. Cependant, il existe d’autres mesures qui sont importantes pour tenir compte des dimensions complexes du racisme et de la discrimination raciale.


Un modèle antiraciste de changement social

Une organisation, une institution ou un système antiraciste n’est pas nécessairement dénué de racisme, mais on y adopte une position proactive contre le racisme sous toutes ses formes. Dans les organisations de lutte contre le racisme, l’engagement se fonde d’abord sur la reconnaissance de l’existence du racisme; sur le fait qu’il se manifeste sous des formes diverses, aux niveaux individuel, institutionnel et systémique; sur le fait qu’il est partie intégrante de la culture de masse du groupe dominant. Dans une perspective antiraciste, on commence par reconnaître que les perceptions et l’expérience des personnes racialisées sont réelles et qu’un seul incident unique peut cristalliser des réalités multiples.

La lutte contre le racisme met l’accent sur une approche globale de l’élaboration d’idéologies, d’objectifs, de politiques et de pratiques antiracistes. Elle requiert la formation de nouvelles structures organisationnelles; l’introduction de nouvelles normes culturelles et de nouveaux systèmes de valeurs; des changements à la dynamique du pouvoir; la mise en œuvre de nouveaux systèmes de recrutement et d’embauchage; des changements de fond dans la prestation des services; le soutien de nouveaux rôles et modes de relations à tous les paliers de l’organisation; de nouveaux schèmes et des styles plus inclusifs de leadership et de prise de décisions; enfin, la réaffectation des ressources.

Adaptation de C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne », dans (2004) 3:3, Diversité canadienne, 31-34.

Il est essentiel que tous les groupes intéressés d’une organisation participent à l’élaboration d’un énoncé d’objectifs et d’une politique très ferme de lutte contre le racisme. De plus, pour réussir, il faut se rallier l’appui inconditionnel des dirigeants clés, tels que cadres supérieurs et chefs syndicaux. Les membres de l’équipe responsable de l’élaboration de la politique devraient être représentatifs de la diversité du milieu. Idéalement, on devrait consulter l’ensemble des membres d’une organisation, au moyen par exemple d’un sondage auprès des employés, de la tenue de groupes de discussion ou de la diffusion d’une ébauche de politique au sein du personnel, afin de recueillir des commentaires.

Une bonne politique de lutte contre le racisme devrait se doter d’un énoncé d’objectifs explicite. À défaut d’un tel énoncé, reflétant principes et objectifs, on peut aboutir à un cadre de programme inadéquat. L’énoncé d’objectifs doit être clair, viser spécifiquement le racisme et démontrer le leadership et l’engagement de l’organisation à cet égard.

Modèle d’énoncé d’objectifs

Nous souscrivons aux principes suivants de lutte contre le racisme :

  1. Nous reconnaissons que le racisme existe dans la société canadienne et dans ses institutions, et que, par conséquent, il affecte ____________.
  2. Nous reconnaissons notre rôle, qui est de combattre le racisme au sein de ___________.
  3. Nous proclamons notre engagement à mettre en œuvre des mesures spécifiques pour combattre le racisme et à agir en vue de l’éliminer.
  4. Nous reconnaissons et honorons la diversité raciale de l’Ontario et de notre lieu de travail.
  5. Nous nous efforçons d’atteindre à l’égalité dans nos pratiques de recrutement et d’emploi et dans la prestation de nos services.
  6. Nous reconnaissons et respectons l’identité propre des peuples autochtones et la nécessité d’une approche distincte des mesures de lutte contre le racisme en ce qui concerne ces groupes.

Par conséquent, nous entendons :

  1. Dépister activement tout acte individuel ou systémique de discrimination raciale dans notre lieu de travail et dans la prestation de nos services et nous y opposer fermement.
  2. Veiller à ce que la direction et les employés soient tenus de s’opposer à toute manifestation de discrimination raciale dans notre lieu de travail et dans la prestation de nos services.
  3. Donner au personnel de direction et à tous les employés les connaissances et les compétences nécessaires pour reconnaître toute manifestation de discrimination raciale dans notre lieu de travail et dans la prestation de nos services et pour s’y opposer fermement.
  4. Favoriser le respect au quotidien entre les membres de la direction et du personnel.
  5. Veiller à ce que tout rapport présenté par un employé ou un client pour signaler un traitement discriminatoire fasse l’objet d’une enquête et que cet employé ou client soit à l’abri des représailles.
  6. Veiller à ce que le personnel de direction, à titre d’« esprit directeur », comprenne qu’il est tenu par la loi de prendre des mesures immédiates dans les situations de harcèlement ou de discrimination potentiels.
  7. Surveiller et évaluer de façon continue les progrès accomplis dans la lutte contre la discrimination raciale dans notre lieu de travail et dans la prestation de nos services.

En complément d’une liste des motifs de discrimination interdits en vertu du Code, une explication sur la nature du racisme et de la discrimination raciale aidera tous les membres d’une organisation à comprendre ces phénomènes, leurs rouages et leurs manifestations. On diffusera aussi la définition du harcèlement et d’une atmosphère empoisonnée.

Des exemples du harcèlement et de la discrimination fondés sur la race ainsi que d’une atmosphère empoisonnée qui sont pertinents dans le contexte particulier de l’organisation aideront à illustrer les types de comportements qui ne seront pas tolérés. On indiquera clairement les conséquences qu’il y aurait à se livrer à un comportement de harcèlement ou de discrimination, notamment la possibilité de se voir licencié.

La politique devrait renfermer une bonne procédure interne de règlement des plaintes. Elle devrait aussi renseigner sur la procédure de traitement interne des plaintes, en donnant les détails suivants :

  • à qui adresser la plainte;
  • la confidentialité et la protection prévue contre les représailles;
  • l’aide dont peuvent se prévaloir les parties à une plainte;
  • la disponibilité d’un règlement extrajudiciaire de la plainte, p. ex. la médiation;
  • comment se déroulera l’enquête;
  • quelle sera la durée du processus;
  • les mesures disciplinaires appliquées si le bien-fondé de la plainte est établi;
  • les recours à la disposition du plaignant;
  • le droit de déposer une requête auprès du Tribunal , de même qu’une explication du délai d'un an stipulé par le Code.

En pratique, il est très important que toutes les requêtes en matière de droits de la personne soient prises au sérieux, que le mécanisme mis en place soit appliqué et que les plaignants ne soient pas soumis à des mesures disciplinaires ou à des représailles pour avoir soulevé le problème[157]. Les personnes qui déposent une requête, pour discrimination raciale en particulier, se font souvent dire que l’allégation est déplacée et dénuée de fondement, sans même qu’il y ait enquête. En raison de la gravité de telles allégations, on veut parfois en protéger certaines personnes plutôt que comprendre le point de vue des personnes qui déposent une requête[158]. Les personnes qui formulent ce genre d’allégations peuvent même être accusées de « discrimination à rebours ».

Exemple : Un groupe d’employés racialisés s’étaient donné un porte-parole afin de signaler le fait qu’un certain gestionnaire les traitait de manière discriminatoire. Lorsque cette personne s’est adressée au chef des ressources humaines, elle s’est fait recommander de ne pas « s’engager dans cette voie », que la question qu’elle soulevait serait par trop « préjudiciable pour la réputation d’un honnête homme ».

7.2. Surveillance proactive continue

Une précaution est importante dans les situations de discrimination : il faut faire le tour de tous les éléments en cause et exercer une surveillance continue. Il n’arrive que trop souvent que des politiques et programmes soient mis en place sans qu’on n’ait vraiment réfléchi à leurs effets possibles sur les personnes racialisées. Même lorsqu’on porte à l’attention des responsables des renseignements suggérant que le programme perpétue les désavantages ou cause de la discrimination, l’organisation peut décider de ne pas agir et adopter plutôt la « politique de l’autruche ».

Cette approche n’est ni productive ni acceptable du point de vue des droits de la personne. La CODP préconise que, si des préoccupations sont exprimées concernant l’effet discriminatoire des politiques ou des pratiques sur les personnes ou groupes racialisés, l’organisation ou l’institution responsable doit faire le nécessaire pour vérifier si c’est bien le cas.

La surveillance comporte souvent une collecte de données et la production de statistiques. Mais elle comprend aussi d’autres aspects importants, tels que la consultation des communautés touchées, de même que la recherche et l’examen des systèmes, notamment l’analyse des résultats de recherche disponibles dans d’autres territoires de compétence. La surveillance prendra en compte les effets du passé, c.-à-d. les désavantages historiques, l’effet des systèmes en place et l’impact potentiel des nouvelles initiatives.

Bien entendu, la surveillance ne suffit pas à elle seule; il faut également modifier les politiques et pratiques qui perpétuent les désavantages historiques. Par conséquent, si un problème, révélé par la surveillance ou d’autres moyens, est porté à l’attention d’une organisation ou d’une institution, des mesures doivent être prises pour éliminer les barrières systémiques, pallier les désavantages et promouvoir une égalité réelle.

Exemple : Un conseil scolaire avait reconnu que ses politiques en matière de discipline avaient un impact négatif sur les élèves racialisés. Il a donc révisé ses politiques, de façon à donner davantage d’importance à l’évaluation de la situation individuelle des élèves. En outre, il a désigné des personnes-ressources pouvant prêter de l’aide aux jeunes racialisés à risque, a établi des programmes mettant l’accent sur le règlement des conflits et la médiation par les pairs et a pris des mesures pour s’assurer que, en l’absence de solutions autres que la suspension, l’élève ne soit pas privé de tout enseignement.

7.3. Stratégies de mise en oeuvre

La lutte contre le racisme exige d’apporter des changements fondamentaux aux structures et systèmes des organisations. Pour qu’une politique et un programme de lutte contre le racisme soient efficaces, il faut y accorder suffisamment d’attention et une importance prioritaire, et affecter des ressources aux stratégies de mise en œuvre[159]. Il faut parfois recourir à tout un éventail de mesures, par exemple :

  • des initiatives de changement organisationnel, telles que la formation de nouvelles structures organisationnelles, l’introduction de nouvelles normes culturelles, la mise en œuvre de nouveaux systèmes, l’élimination des politiques ou des pratiques qui ont donné lieu à des préoccupations au chapitre des droits de la personne, l’utilisation de processus formels, moins discrétionnaires, l’insistance sur des styles plus inclusifs de leadership et de prise de décisions;
  • des programmes spéciaux, des mesures correctives et des initiatives communautaires de redressement des inégalités ou des désavantages;
  • des sondages menés à l’interne et à l’externe, afin de recueillir des commentaires sur les questions de racisme et de discrimination, par exemple des entrevues et des questionnaires qui aident à déterminer si le harcèlement ou la discrimination raciale ont compté dans la décision de partir d’une personne, des sondages auprès des employés ou sur la satisfaction des clients qui peuvent aider à savoir si les employés ou les clients croient bénéficier d’une égalité de traitement;
  • la responsabilisation des personnes racialisées au sein d’une organisation, d’une institution et à l’extérieur, par exemple par le biais d’accords formels de mentorat, de comités internes sur les questions d’égalité et de la consultation communautaire;
  • l’anticipation de la résistance au changement et l’élaboration de stratégies pour surmonter les objections éventuelles;
  • l’établissement de partenariats, notamment avec d’autres institutions de même nature, afin de formuler des pratiques exemplaires;
  • des initiatives d’éducation, de formation et de perfectionnement à caractère obligatoire, y compris la formation de tous les membres du personnel en vue d’appliquer la politique et de réaliser les objectifs de la lutte contre le racisme. Cela inclut également le perfectionnement des connaissances et compétences particulières des personnes qui ont des responsabilités en matière de droits de la personne, notamment de celles qui font partie intégrante de « l’esprit directeur » de l’organisation, des ressources humaines et des conseillers en matière de droits de la personne. Un supplément de formation devrait également être offert aux membres de l’organisation qui sont chargés de la surveillance proactive continue ou de la mise en œuvre du changement organisationnel;
  • la diffusion d’information sur la politique et l’énoncé d’objectifs de la lutte contre le racisme, sur les décisions ayant trait aux droits de la personne et sur les nouvelles publications de la CODP auprès des employés anciens et nouveaux;
  • les services de spécialistes de l’extérieur comme aide à la mise en œuvre des mesures énumérées ci-dessus.

Il est important de fixer des délais et d’affecter à un membre de l’organisation la responsabilité de chaque mesure aussi bien que de l’ensemble des objectifs de l’organisation pour ce qui est de la lutte contre le racisme. Cette personne devrait avoir pleins pouvoirs et disposer de l’appui et des ressources nécessaires à l’exécution des mesures proposées. La progression de la mise en œuvre doit faire l’objet d’un suivi et de rapports à la haute direction.

« Mesures symboliques »
Par ce terme, on entend la pratique qui consiste à embaucher un petit nombre de membres de groupes racialisés et à les affecter à des postes relativement anodins, afin de donner à l’organisation une apparence d’inclusivité et d’équité. En réalité, ces personnes, qui ont peu de pouvoir, sont considérées comme représentatives du groupe dont elles sont issues; par conséquent, leurs idées, croyances et actes sont susceptibles d’être perçus comme typiques de l’ensemble de ce groupe. Il faut savoir que, en ce qui touche la promotion de la diversité organisationnelle, les mesures symboliques ne sont pas efficaces : elles ne font que circonvenir les changements de fond.

7.3.1. À propos de la formation

On voit souvent la formation comme une panacée à tous les problèmes relatifs aux droits de la personne. Or, à elle seule, il est peu probable qu’une formation réussisse à instaurer un environnement dénué de discrimination. De même, une formation inadéquate n’est pas susceptible d’amener un changement d’attitudes ou de comportements. Par ailleurs, une formation qui met l’accent sur la « sensibilité culturelle », la « conscientisation raciale » ou la « tolérance », ou encore qui cherche à résoudre les problèmes uniquement par la promotion de la valeur du « multiculturalisme », par exemple au moyen de repas-partage à la fortune du pot, ne saurait opérer de véritables changements, puisqu’elle ne vise pas la dynamique du racisme et réduit la discrimination raciale à de simples malentendus d’ordre culturel.

Dans le cadre d’une formation efficace, on ne devrait pas éviter d’employer la terminologie propre à la lutte contre le racisme. Une formation à la lutte contre le racisme a pour objectif la compréhension de la nature du phénomène et des manières dont on peut s’y opposer. Ce type de formation a pour but non seulement de modifier les attitudes individuelles, mais également de transformer les pratiques, tant collectives qu’individuelles.

Il est donc important de veiller à ce que la formation soit efficace, appropriée et opportune. Il sera utile de s’adjoindre des experts, de faire des recherches sur les techniques de formation les plus efficaces, de fixer des objectifs à cette formation, puis d’évaluer les apprentissages par rapport aux objectifs. Un programme de formation qui veut s’attaquer au phénomène du profilage racial pourrait, par exemple, inclure les objectifs spécifiques suivants :

  • que les communautés racialisées locales participent à la conception et à la prestation de la formation;
  • que la direction de la formation soit confiée à des formateurs ayant une expertise suffisante du domaine;
  • que la formation mène à bien comprendre que de bonnes relations communautaires sont essentielles au mandat de l’organisation;
  • que la formation mène à bien comprendre la nature du racisme et les manières de s’y opposer;
  • que la formation mène à bien comprendre la nature du profilage racial, du harcèlement et de la discrimination d’ordre racial de même que de toute autre infraction au Code des droits de la personne de l’Ontario;
  • que la formation mène à bien comprendre que le profilage racial, le harcèlement et la discrimination raciale de même que toute autre infraction au Code des droits de la personne de l’Ontario sont inacceptables et donneront lieu à des sanctions sévères de la part de l’organisation;
  • que la formation mène à bien comprendre que le respect des droits de la personne n’est pas contraire aux objectifs de l’organisation mais y concourt;
  • que les réactions négatives à des perceptions de profilage racial chez des personnes racialisées soient contextualisées, de sorte que les employés comprennent le pourquoi de ces réactions négatives et comment y répondre d’une manière qui soit professionnelle et non contraire au Code des droits de la personne.

Idéalement, l’organisation met également en place une surveillance régulière et autonome, pour s’assurer que le programme de formation est adéquat, efficace, approprié et opportun par rapport à la réalisation des objectifs ci-dessus décrits. Cette surveillance peut comprendre la consultation des communautés racialisées locales de même qu’un sondage auprès des employés bénéficiant de la formation, afin de déterminer si celle-ci a réussi à améliorer la compréhension du profilage, du harcèlement et de la discrimination raciale et à modifier les attitudes à cet égard.

7.3.2. Programmes spéciaux

Le Code reconnaît toute l’importance que revêt la réparation des désavantages et des injustices préexistantes (voir les dispositions relatives aux programmes spéciaux). L’article 14 du Code autorise la mise en œuvre de programmes destinés à alléger un préjudice ou un désavantage économique ou à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales[160].

La CODP est donc d’avis que les organisations et les institutions doivent s’efforcer de mettre sur pied des programmes spéciaux partout où il existe un préjudice ou des désavantages. Pour rendre plus explicite l’application de l’article 14 du Code, la CODP a formulé des Directives concernant les programmes spéciaux.

Les programmes spéciaux qui visent à alléger les désavantages historiques subis par les personnes racialisées portent notamment sur les secteurs suivants :

  • embauchage – des programmes qui se proposent de remédier à la sous-représentation des personnes racialisées au sein d’une organisation, d’une profession ou d’une catégorie professionnelle;
  • logement – des programmes qui aident les membres de communautés qui ont par le passé éprouvé de la difficulté à se loger, telles que les Autochtones et les immigrants récents;
  • santé – des stratégies d’amélioration des résultats en santé mentale chez les communautés autochtones et racialisées[161];
  • éducation – des initiatives à l’intention des personnes racialisées de soutien en milieu scolaire ou d’aide à l’admission à certains programmes dont elles ont historiquement été exclues[162];
  • contrats – des plans d’aide aux entreprises et aux organisations communautaires dirigées par des personnes racialisées, visant à leur faciliter l’accès aux opportunités d’affaires, aux contrats et aux procédures d’approvisionnement des gouvernements.

7.4. Évaluation

L’évaluation continue du programme de lutte contre le racisme d’une organisation ou d’une institution est importante pour assurer son efficacité. De même que pour tout autre volet d’un programme de lutte contre le racisme, il est important de consacrer des ressources suffisantes à l’évaluation continue. On peut former un comité d’examen interne pour mener cette évaluation continue. Cependant, le recours à des conseillers indépendants ou à des spécialistes de l’extérieur peut être particulièrement précieux pour l’exécution de ce type d’examen et la présentation des rapports correspondants à la haute direction.

On devrait procéder à l’examen, à l’évaluation et à la révision de la politique et de l’énoncé d’objectifs d’une organisation ou d’une institution sur une base périodique, en tenant compte des commentaires recueillis auprès des personnes touchées. Il est aussi sage de prévoir le réexamen des situations ayant donné lieu à des plaintes en vertu de la politique, ainsi que de la manière dont elles ont été traitées et des points à améliorer.


[154] Voir Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, supra, note 8, 82-83, Commission ontarienne des droits de la personne, Directives concernant l’éducation accessible (septembre 2004), 36, et Commission ontarienne des droits de la personne, Directives concernant la collecte de données sur les motifs énumérés en vertu du Code (septembre 2003); en ligne : < //www.ohrc.on.ca>.
[155] Par exemple, Développement des ressources humaines Canada cite de nombreuses ressources sur l’équité au travail; en direct : Développement des ressources humaines Canada, < www.rhdc.gc.ca/fr/passerelles/topiques/wzp-gxr.shtml>.
[156] « Cette lutte constitue une approche pragmatique permettant d’identifier et de contrebalancer l’apparition et la propagation de toute forme de racisme. Elle concerne les questions entourant le racisme et les systèmes interpénétrés d’oppression sociale. La lutte contre le racisme implique un effort pour définir et comprendre la nature du racisme et les moyens d’y mettre fin. », C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 31-34.
[157] L’article 8 du Code interdit tout mode de représailles à la suite d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne :

8. Toute personne a le droit de revendiquer et de faire respecter les droits que lui reconnaît la présente loi, d’introduire des instances aux termes de la présente loi et d’y participer, et de refuser de porter atteinte à un droit reconnu à une autre personne par la présente loi, sans représailles ni menaces de représailles.

[158] Il est même arrivé que, lors d’une décision en matière de discrimination, des décideurs aient insisté davantage sur le tort à la réputation de l’intimé que sur l’effet du racisme pour la personne en cause. Voir Gaba c. Lincoln County Human Society (1991), 15 C.H.R.R. D/311, par. 37 (commission d’enquête de l’Ontario), Smith c. Mardana Ltd. (commission d’enquête de l’Ontario), supra, note 79, par. 39, et R. c. Brown; en cette dernière affaire, le juge de première instance d’une cause criminelle où le profilage racial avait été invoqué comme défense a déclaré que cet argument avançait « de graves allégations », qui lui semblaient « quelque peu troublantes ». La Cour d’appel relevait que l’allégation de profilage racial était certes grave, mais que l’était également l’impact du profilage racial pour la personne accusée, le cas échéant. Il aurait fallu que le tribunal adopte une attitude de détachement plutôt que de se préoccuper uniquement de l’impact pour le policier des allégations de la défense; R. c. Brown (C. A. de l’Ont.), supra, note 66, par. 60.
[159] Pour l’exposé de certaines des initiatives de suppression des barrières qui entravent la lutte contre le racisme, voir C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne », supra, note 155.
[160] Pour un exposé des objectifs de l’article 14 du Code, voir Ontario (Human Rights Comm.) c. Ontario (Ministry of Health), 21 C.H.R.R. D/259 (C. A. de l’Ont.). À la majorité des voix, la Cour a reconnu que le paragraphe 14 (1) a un double but. Le premier est de mettre les programmes d’action positive à l’abri des contestations invoquant la violation des dispositions sur l’égalité formelle de la partie I du Code. Le second est de promouvoir une égalité concrète et réelle. Les programmes d’action positive visent à réaliser une véritable égalité, en aidant les personnes défavorisées à soutenir à chances égales la concurrence avec les personnes non défavorisées. Le paragraphe 14 (1) constitue également une aide à l’interprétation, qui élucide toute la portée du sens de l’égalité de droits par la promotion d’une réelle égalité.
[161] Voir K. Kafele, « La discrimination raciale et la santé mentale : Les communautés racialisées et autochtones » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 47.
[162] Voir par exemple C.C. Smith, « L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 32.

Annexe – La discrimination systémique et les politiques, pratiques et processus décisionnels en milieu de travail

Une foule d’outils ont été mis au point pour aider les employeurs à faire l’examen de leur système de recrutement et d’emploi et à y relever, le cas échéant, l’existence de barrières systémiques à l’endroit des personnes racialisées et d’autres obstacles identifiés par les motifs énumérés par le Code, tels que le sexe et un handicap.

Nous donnons ci-dessous un résumé non exhaustif des politiques, pratiques et processus décisionnels qui peuvent mener à la discrimination systémique en milieu de travail[163] :


Recrutement, sélection et embauchage

Idéalement, il faudrait embaucher les personnes racialisées à un taux qui reflète leur représentation au sein de la main-d’œuvre qualifiée à l’extérieur de l’organisation. Or, dans maintes situations, c’est loin d’être le cas. Les employeurs dont la main-d’œuvre n’est pas représentative peuvent donner comme prétexte le défaut de candidatures de personnes racialisées ou le fait qu’on a embauché les candidats les plus qualifiés, qui se trouvaient ne pas être des personnes racialisées. Dans certains cas, ces explications sont véridiques. Dans bien d’autres, toutefois, c’est le processus même de recrutement, de sélection et d’embauchage qui barre l’accès aux opportunités d’emploi. Les méthodes de recrutement influent fortement sur le bassin de candidats qui est à la disposition de l’employeur. De plus, certaines politiques et pratiques ont tendance à écarter les personnes racialisées de façon inappropriée, en les faisant paraître non qualifiées au regard des emplois en cause. Voici une liste de barrières courantes pouvant donner lieu à une discrimination systémique ainsi que des pratiques exemplaires permettant d’éviter ce type de discrimination raciale.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Le recours, à des fins de recrutement, à des réseaux personnels (p. ex. l’équipe de hockey de l’agent recruteur), aux relations sociales (p. ex. les amis) et au bouche à oreille. Ces types de processus informels ont tendance à exclure les personnes qui ne partagent pas les caractéristiques ethnoraciales de l’agent recruteur.

Des affichages formels, qui décrivent clairement le poste et les exigences et ont une large diffusion, p. ex. par le biais d’annonces de journaux, de sites Internet et d’agences de placement, font que les personnes racialisées peuvent facilement en prendre connaissance.

 

Certains employeurs qui cherchent activement à accroître la diversité dans leur organisation ont soin d’annoncer dans les journaux des groupes ethnoraciaux. D’autres mettent sur pied des initiatives de diffusion et se rendent dans les milieux à forte représentation de personnes racialisées afin d’inciter ces dernières à poser leur candidature.

Les décisions en dotation de personnel qui sont fondées sur des processus informels sont beaucoup plus susceptibles de mener à la prise de décisions inconsciemment empreintes de préjugés. Par exemple, une entrevue où l’on bavarde avec le postulant pour voir s’il manifeste des intérêts analogues et saura « s’intégrer » à la culture de l’organisation peut présenter une barrière pour les personnes qui s’écartent ou semblent s’écarter de la norme dominante du milieu.

Des entrevues formelles, menées par des comités composés de plusieurs personnes, qui posent des questions préétablies et notent les réponses obtenues selon un guide prédéterminé, constituent un processus équitable, axé sur la capacité d’accomplir les tâches essentielles du poste. Idéalement, le comité d’entrevue devrait refléter la diversité présente au sein de l’organisation. Les questions posées devraient être conçues selon les exigences objectives du poste et non sur des considérations subjectives, ainsi à savoir si la personne manifeste de « l’assurance » ou si elle est « convenable ». L’employeur devrait être disposé à expliquer pourquoi tel ou tel candidat a été choisi. Des notes écrites sur l’entrevue et l’ensemble du concours pour le poste devraient être conservées, au moins pendant six mois si l’on ne reçoit aucune plainte au sujet du processus, et plus longtemps s’il y a plainte (jusqu’au règlement final).

Des exigences trop élevées (p. ex. une maîtrise alors qu’un baccalauréat est en réalité tout ce que demande le poste), des années d’expérience « canadienne » et certains traits de personnalité (p. ex. « la compétitivité ») peuvent avoir pour effet d’écarter les personnes racialisées ou les dissuader de postuler.

Les qualifications requises devraient être raisonnables et de bonne foi (voir l’exposé des exigences de bonne foi). Tous les types d’expérience antérieure devraient être pris en compte, peu importe le lieu où cette expérience a été acquise. Il faut rechercher des compétences neutres au plan culturel, p. ex. la capacité de planifier un projet et de l’exécuter dans les délais fixés.

Les tests et simulations devraient être raisonnables et de bonne foi, de façon à constituer des indicateurs fiables du rendement professionnel. Or, les tests psychologiques et psychométriques peuvent favoriser les membres de la culture dominante. L’administration d’un test écrit pour l’obtention d’un poste qui n’exige aucune compétence au plan de l’écrit peut avoir pour effet d’écarter les personnes pour lesquelles le français ou l’anglais est une langue seconde.

On ne devrait administrer de tests qu’après avoir présenté une offre d’emploi conditionnelle. On ne devrait faire appel à ce procédé que si l’employeur peut démontrer qu’un certain test constitue une méthode raisonnable et de bonne foi d’évaluer la capacité du postulant à s’acquitter des tâches en cause. Il faudrait éviter complètement les tests fondés sur les valeurs, attitudes et intérêts personnels; ou encore, s’ils sont véritablement nécessaires pour évaluer la capacité du candidat à s’acquitter d’une fonction, il faudrait les administrer avec grand soin, afin de ne pas favoriser certaines cultures.


Formation et perfectionnement

La formation et le perfectionnement font partie intégrante du rendement d’un employé en poste et contribuent à qualifier l’employé à l’égard d’opportunités futures. La possibilité de prendre part à un apprentissage continu est aussi un facteur important pour le moral de l’employé.


Certaines pratiques de formation et de perfectionnement peuvent exclure les employés racialisés, ayant ainsi un impact direct sur leur carrière, particulièrement sur leur mobilité au sein de l’organisation. Les organisations veilleront à ce que les personnes racialisées participent aux opportunités de formation et de perfectionnement à un taux équivalant à celui des autres employés et, le cas échéant, auront soin de remédier aux écarts.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Des opportunités de formation restreintes aux employés de niveau supérieur peuvent exclure les personnes racialisées, qui occupent généralement des postes subalternes. Dans d’autres cas, la formation destinée aux titulaires des postes de niveau inférieur peut être concentrée sur des compétences liées à la tâche courante, alors que la formation destinée aux employés de niveau supérieur prépare à des promotions.

Les organisations devraient offrir une formation appropriée à tous les employés. La formation devrait améliorer les compétences liées à la tâche courante, mais aussi préparer les employés à occuper des postes différents ou de niveau supérieur.

Le fait de renseigner les employés sur les opportunités de formation de manière informelle, par le bouche à oreille ou en laissant le choix des employés admissibles à la discrétion des superviseurs peut aboutir à la discrimination[164].

L’information sur les possibilités de formation doit être largement diffusée à l’aide de moyens formels, tels que courriels, notes de service et affichages, de façon à mettre tout le personnel au courant. Au lieu de faire une sélection d’emblée, les employeurs devraient permettre aux employés de s’inscrire eux-mêmes à la formation et encourager tous les employés à y poser leur candidature. Il faudrait adopter des critères objectifs, équitables et clairement articulés d’admissibilité à la formation avant de choisir ceux qui pourront en bénéficier.

On a noté le manque d’un mentorat approprié comme étant une barrière majeure à la formation et au perfectionnement professionnel en cours d’emploi. Un mentorat informel, où les gestionnaires sélectionnent certains employés et les « prennent sous leur aile », peut avoir pour effet d’écarter les personnes racialisées.

Les programmes formels de mentorat sont un bon moyen de s’assurer que tous les employés bénéficient de cet avantage. En outre, la participation aux programmes de mentorat de personnes racialisées qui sont cadres devrait être encouragée, afin que ces personnes puissent servir de modèles de rôle.

Lorsque l’organisation n’offre pas de formation sur la lutte contre le racisme et les droits de la personne, les gestionnaires peuvent ignorer ce qui constitue du harcèlement ou de la discrimination et comment les barrières agissent de façon à exclure certaines personnes.

Une formation continue sur la lutte contre le racisme et les droits de la personne devrait faire partie intégrante de la formation de tous les employés, particulièrement de ceux qui ont des fonctions de supervision. Il faudrait faire savoir clairement que les droits de la personne font partie de la culture et des objectifs de l’organisation, et que la formation n’est pas là simplement pour « jeter de la poudre aux yeux » et se conformer aux lois sur les droits de la personne.



Promotion et avancement

Des études sur l’équité d’emploi démontrent régulièrement que les personnes racialisées sont encore concentrées aux échelons inférieurs des organisations et que la mobilité continue de leur poser problème. Ce fait se reflète dans le nombre de plaintes qui se rapportent à la promotion et à l’avancement.


Il est donc important pour les organisations de savoir comment les systèmes de promotion et d’avancement peuvent entraver le cheminement professionnel. Certaines des barrières et des pratiques exemplaires en matière d’embauchage, par exemple le processus d’entrevue, valent aussi en matière de promotion. Comme pour toute autre prise de décisions, l’utilisation de directives informelles plutôt que de politiques écrites ou diffusées est susceptible de soulever des inquiétudes, et d’autant plus si ces approches informelles sont utilisées de façon irrégulière[165].

Barrières

Pratiques exemplaires 

Les affectations intérimaires, qui servent de « tremplin » vers la promotion, peuvent dresser des barrières importantes si le processus de nomination à ces affectations est informel, comme c’est souvent le cas. Même lorsqu’il existe un processus formel pour l’octroi des affectations intérimaires, l’employeur doit veiller à ce que tous les employés soient également au courant de ces possibilités[166].

Les affectations intérimaires sont octroyées par le biais d’un processus formel, qui comprend la diffusion de l’information sur le sujet auprès de tous les employés admissibles, et d’une procédure de sélection clairement définie, fondée sur des critères objectifs tels qu’un test écrit, une entrevue formelle et des évaluations écrites du rendement.

Certaines organisations courent le risque de recevoir des plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Ce sont celles où l’on se fie à la direction pour sélectionner les personnes « aptes à la promotion », où l’on incite certains employés à postuler à un niveau supérieur et où l’on aide des employés « bien vus » à se préparer au processus de sélection.

Il faudrait annoncer publiquement les possibilités de promotion au sein de l’organisation et faire savoir clairement quelles sont les conditions d’admissibilité et comment se déroule le processus de sélection. De plus, comme les employés sont attentifs aux marques d’approbation et aux signes de la part de la direction leur indiquant que s’ils postulent à un niveau supérieur, leur candidature sera équitablement étudiée, il est prudent de ne pas réserver les encouragements à un petit nombre de favoris. Bien entendu, toute aide préparant au processus, par exemple des simulations d’entrevue, des lectures de fond, etc., devrait être offerte également à tous les candidats.

Les évaluations et la gestion progressive du rendement constituent un outil important, qui permet d’éviter les problèmes de discrimination. Cependant, les organisations doivent savoir que, dans certains cas, cet outil peut constituer une barrière. Par exemple, certains systèmes d’évaluation du rendement demandent à l’employé de s’autoévaluer, puis d’en discuter avec le gestionnaire. Cette façon de faire peut desservir certaines personnes racialisées, qui ont subi de la discrimination par le passé ou qui, désavantagées par des différences culturelles, hésitent à se faire valoir. Également, certaines évaluations peuvent involontairement désavantager un employé dans son cheminement ultérieur. Ainsi, insister sur « la capacité de suivre les directives » d’un employé peut l’empêcher d’obtenir une promotion exigeant « la capacité de prendre des initiatives ».

Tous les employés devraient être jaugés d’après les mêmes critères. Les gestionnaires devraient être conscients qu’une méthode d’évaluation du rendement ou qu’une évaluation donnée pourrait avoir un impact involontairement nuisible.

Le regroupement ou la concentration des personnes racialisées dans certains emplois ou catégories d’emploi, tels que des postes techniques, peut aboutir à l’impasse en matière d’avancement, particulièrement en gestion. Ce fait peut être aggravé si l’on met l’accent sur des critères subjectifs, tels que les « compétences en communication », dans l’évaluation des aptitudes d’un candidat à une promotion.

Les personnes dotées de compétences techniques supérieures devraient avoir des possibilités égales de démontrer leurs qualifications pour d’autres types d’emploi. Si nécessaire, il faudrait offrir une formation d’appoint comme passerelle entre les postes techniques et d’autres. L’organisation devrait reconnaître qu’il y a plusieurs façons de bien s’acquitter d’une fonction et que certaines exigences, dont les « compétences en communication », peuvent représenter l’application de critères non neutres au plan culturel.


Conservation de l’effectif et licenciement

En milieu de travail, l’absence de barrières contribue à réduire le taux de rotation des employés racialisés. De plus, des procédures appropriées abaissent le nombre des plaintes pour atteinte aux droits de la personne qui découlent des mises à pied, des mesures disciplinaires et du licenciement.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Les employés racialisés peuvent quitter leur poste pour des motifs liés au harcèlement, à la discrimination ou à la perception d’injustices.

Les organisations devraient mettre en place des politiques de lutte contre le harcèlement et la discrimination, y compris un mécanisme de règlement des plaintes. Les entrevues de fin d’emploi peuvent aider à déterminer si des considérations liées aux droits de la personne ont contribué au départ des intéressés.

Des politiques incertaines en matière de mesures disciplinaires ou l’application irrégulière de ces mêmes mesures constituent un motif courant de plainte pour atteinte aux droits de la personne. De même, les décisions de mises à pied ou de licenciements qui ne sont pas fondées sur des critères objectifs, liés au poste et clairement définis, sont sources de problèmes.

Une organisation dotée d’un processus de gestion progressive du rendement bien documenté et qui applique ce processus uniformément à tous les employés adopte de bonnes pratiques en matière de ressources humaines tout en évitant les problèmes relatifs aux droits de la personne. Si un licenciement s’impose, cette organisation est mieux placée pour démontrer que la décision a été prise sur une base légitime.


[163] Voir également la publication de la Commission intitulée Les droits de la personne au travail, où sont exposés les types de questions qui sont ou non permises à divers stades du processus de recrutement, Human Resources Professionals of Ontario et Commission ontarienne des droits de la personne, Les droits de la personne au travail (Toronto, Gouvernement de l’Ontario, 2004), 44-56.
[164] Dans ACNRI, supra, note 121, un questionnaire administré en milieu de travail révélait que les membres de minorités raciales bénéficiaient moins souvent que les Blancs de possibilités de formation et de perfectionnement professionnel. On constatait également une différence quant aux façons dont les employés avaient appris l’existence de ces possibilités. Les Blancs étaient souvent renseignés sur ces possibilités par des gestionnaires, alors que les membres de minorités devaient généralement à leurs propres démarches d’apprendre leur existence [par. 55-56]. Dans Nelson, supra, note 85, le Tribunal a estimé que les fonctionnaires du conseil de l’éducation avaient subjectivement choisi l’enseignant qui serait autorisé à suivre les cours du directeur. Le plaignant avait dû demander l’autorisation de suivre ces cours, et le conseil la lui avait refusée, sous prétexte que l’approbation était réservée à ceux susceptibles de réussir. Il y avait donc eu discrimination à son endroit.
[165] Dans ACNRI, ibid., le Tribunal expliquait :

[traduction]
Les décisions en matière de dotation de personnel qui sont fondées sur un processus informel peuvent présenter une barrière à la promotion parce que, selon D. Weiner, moins le processus est formel, moins il est probable que les qualifications exigées pour le poste aient été fixées à l’avance, qu’elles seront évaluées de manière uniforme pour tous les candidats et qu’on pourra les reconnaître chez les candidats qui sont d’une manière ou d’une autre différents de ceux qui s’acquittent généralement de la fonction [par. 142].

[166] Certaines décisions rendues au chapitre des droits de la personne ont relevé les pratiques informelles d’octroi des affectations intérimaires comme constituant une barrière à l’égard des employés racialisés, qui sont ainsi moins susceptibles d’être pressentis quant à ces possibilités. Voir, par exemple, ACNRI, ibid.

[traduction]
Ce caractère informel peut susciter des barrières, puisqu’on n’aura pas nécessairement mis au courant tous les employés qualifiés qui auraient pu postuler. De plus, l’affectation intérimaire est l’occasion d’une expérience de gestion précieuse et elle impartit à la personne qui en fait l’objet l’apparence tout au moins de « convenir » à ces types de fonctions [par. 147].

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Pour plus d’information

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Sans frais : 1 866 598-0322
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Site Web : www.hrto.ca

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