Il est erroné de croire, comme c’est chose courante, que le Code interdit la collecte et l’analyse de données identifiant des personnes selon la race et d’autres motifs qui y sont énumérés. Une foule de personnes, d’organisations et d’institutions croient à tort que ce type de mesure est en soi contraire aux droits de la personne.
En fait, ainsi que la CODP l’a déclaré, non seulement le Code permet la collecte et l’analyse de données identificatoires selon les divers motifs énumérés à des fins reconnues par le Code, mais aussi cette collecte est nécessaire pour surveiller efficacement la situation de la discrimination, identifier les barrières systémiques et les éliminer, remédier aux désavantages historiques et promouvoir une égalité réelle[154]. C’est plutôt la collecte et l’utilisation de données à des fins abusives qui contribuent à accentuer la discrimination ou le stéréotypage et qui sont préjudiciables pour les droits de la personne.
En Ontario, toutes les personnes, organisations et institutions sont responsables de la défense des droits de la personne dans leurs milieux respectifs. Les personnes, organisations et institutions peuvent être tenues responsables d’actes qui constituent de la discrimination ou du harcèlement, de même que du défaut de prendre les mesures appropriées pour rectifier les atteintes aux droits de la personne dont elles sont ou devraient être au courant. En d’autres termes, conformément à l’objectif de prévention et de réparation du Code, il existe une obligation positive de prendre des mesures de réparation, pour veiller à prévenir, dans le présent et dans l’avenir, les infractions aux dispositions du Code. Parallèlement à l’obligation faite aux organisations et institutions d’enquêter une fois mises au courant d’une allégation de harcèlement racial, le fait de connaître l’existence de situations de discrimination raciale peut exiger une enquête comportant une collecte de données.
Le saviez-vous? Depuis 1989, le Barreau du Haut-Canada effectue et révise périodiquement des études sur l’inégalité au sein de la profession juridique. Entre autres initiatives, le Barreau a en 2001 chargé Michael Ornstein, directeur de l’institut de recherche sociale de l’Université York, de préparer une étude démographique portant sur la profession d’avocat en Ontario. Sur la base du recensement de 1996, le rapport a montré que 7,3 % des avocats ontariens sont des « non-Blancs », groupe qui représente pourtant 17,5 % de la population. Le rapport note également que, en moyenne, les gains des avocats « non blancs » sont généralement beaucoup plus bas que ceux des avocats blancs. À la lumière de cette étude et d’autres, le Barreau a mis en œuvre certaines initiatives pour promouvoir l’égalité au sein de la profession. Voir Barreau du Haut-Canada, à |
Dans le contexte de la discrimination raciale, la collecte de données est un outil nécessaire et parfois essentiel pour déterminer s’il y a ou pourrait avoir atteinte à des droits en vertu de la partie I du Code ou pour prendre des mesures correctives. La CODP est donc d’avis qu’une organisation ou une institution devrait procéder à la collecte et à l’analyse de données lorsqu’elle a ou devrait avoir des raisons de croire qu’il pourrait exister chez elle des barrières systémiques ou des situations de discrimination et de perpétuation des désavantages historiques.
Le fait qu’une organisation ou une institution a ou devrait avoir des raisons de croire qu’une collecte de données est nécessaire est évalué sur une base à la fois objective et subjective. Tout d’abord, on examine la connaissance réelle du problème que peut avoir l’organisation ou l’institution. En deuxième lieu et du point de vue d’une tierce partie raisonnable, on détermine si l’organisation ou l’institution aurait dû être au courant du problème exigeant la collecte de données. La notion de tierce partie raisonnable prend en compte la perspective tant de l’organisation ou de l’institution que des communautés racialisées.
Au nombre des situations dans lesquelles on peut avoir une base raisonnable pour croire qu’il y a ou qu’il pourrait y avoir atteinte à certains droits en vertu de la partie I du Code et que le meilleur moyen de s’en assurer passe par une collecte et une analyse de données, il y a les suivantes :
Il existe d’autres situations où une organisation ou une institution peut ne pas avoir de raisons de croire qu’il y a problème dans son propre secteur de responsabilité mais peut néanmoins, de son propre chef, procéder à une collecte de données, afin de faire progresser les objectifs du Code.
Le défaut de procéder à une collecte et à une analyse de données ne constitue pas en soi un motif de requête auprès ddu Tribunal. On devrait plutôt voir dans cette collecte et cette analyse de données une composante de l’obligation de prendre des mesures pour prévenir la violation du Code. Par conséquent, pour donner suite à une plainte de discrimination prima facie, le décisionnaire tient compte du défaut de procéder à une collecte et à une analyse de données lorsqu’il cherche à déterminer si l’intimé s’est acquitté de son obligation de veiller à ne pas enfreindre les dispositions du Code.
Exemple : Les politiques scolaires en matière de discipline semblent avoir un impact démesuré sur les élèves racialisés et les élèves ayant un handicap, et exacerber encore davantage leur position déjà défavorisée dans la société. Des recherches empiriques menées aux États-Unis et au Royaume-Uni démontrent que les élèves racialisés et les élèves handicapés subissent de façon disproportionnée l’impact des suspensions et des expulsions. Le défaut des autorités responsables de tenir compte de ces facteurs et de prendre des mesures pour surveiller la situation et prévenir ces effets démesurés forme, en partie du moins, la base d’une requête au titre des droits de la personne.
De plus, dans les cas où une collecte de données était clairement justifiée, le défaut de réunir des données exactes et fiables peut interdire à un intimé toute déclaration crédible de non-discrimination. Par ailleurs, lorsqu’il y a allégation de discrimination systémique et que l’organisation ou l’institution n’a pas fait de collecte de données, le Tribunal peut devoir se reposer sur la preuve qualitative d’une représentation disproportionnée pour déterminer s’il y a effectivement désavantage pour les groupes racialisés. Enfin, s'il y a lieu, la CODP demande, et le Tribunal peut ordonner, la collecte et à l’analyse de données comme moyen de réparation d’intérêt public dans les cas de litiges et à des fins de règlement.
Inversement, si une organisation ou une institution procède à une collecte et à une analyse de données, elle peut le cas échéant démontrer qu’il n’existe pas de discrimination ni de barrières systémiques chez elle. Également, des efforts de surveillance au plan de la discrimination ou des barrières systémiques aident une organisation ou une institution à attester qu’elle s’acquitte de son obligation à l’égard de la protection et de la promotion des droits de la personne.
Exemple : Un programme est perçu comme donnant lieu à des effets démesurés sur les personnes racialisées. Cependant, les données recueillies révèlent que ces effets touchent les personnes racialisées dans la même mesure que les autres.
Exemple : La direction d’une organisation craint que sa main-d’œuvre ne soit pas représentative de la population qu’elle dessert. Elle procède à une collecte de données pour déterminer si ses politiques ne pourraient pas avoir un effet discriminatoire de même qu’à un examen de ses systèmes de recrutement et d’embauchage, afin d’en éliminer toute barrière le cas échéant.
Afin d’atteindre son objectif, la collecte de données doit être effectuée de bonne foi, dans le but de produire des données exactes et de qualité, et non dans celui d’arriver à des résultats prédéfinis. On doit s’efforcer de réunir des données qui éclaireront véritablement les enjeux, par des techniques de données reconnues.
La manière dont la collecte et l’analyse de données devraient être effectuées dépend du contexte, notamment de la question qui requiert surveillance, de l’objet de la collecte, ainsi que de la nature et de la taille de l’organisation. Dans des situations complexes et pour être efficaces, la collecte et l’analyse de données exigent généralement l’adoption de méthodes consacrées de recherche et de conception de même que la formation des personnes qui y procéderont. À moins qu’une organisation ne possède l’expertise interne requise, elle s’adressera probablement à un spécialiste, des sciences sociales par exemple.
Exemple : Un service de police s’inquiète d’une perception de profilage racial et amorce un projet de collecte de données sur les interpellations policières. On consulte un spécialiste expert en méthodes de recherche et d’analyse de données, et on élabore un programme. On demande alors aux agents de consigner sur une formule standard toutes les interpellations effectuées, le motif de chacune, son issue et l’identité ethnoraciale perçue de la personne interpellée. Une copie de la formule est remise à la personne interpellée, à qui l’agent demande de vérifier les renseignements consignés.
À l’inverse, une petite organisation qui présente des besoins de base en matière de collecte pourra confier la tâche à des ressources existantes.
Exemple : Une entreprise de compétence non fédérale discerne un problème au plan de son personnel et décide de faire appel à des ressources existantes en équité de l’emploi pour la mise en œuvre d’un programme de collecte et d’analyse de données[155].
Il est important de relever que certaines études spéciales, pour lesquelles on ne recueille de données que sur une période de temps limitée, peuvent renseigner de façon moins exacte. Tout d’abord, les données peuvent ne fournir qu’un « instantané » d’une situation, et ne pas permettre d’évaluer les changements survenus dans le temps. De plus, les études à court terme peuvent être faussées par la tendance normale chez l’être humain à modifier son comportement quant il se sait observé. Les données réunies par une étude portant sur une période de temps limitée doivent donc être interprétées avec certaines réserves.
Comme nous l’avons déjà mentionné, les données recueillies ne devraient servir qu’à des fins considérées comme légitimes en vertu du Code et n’être en aucun cas utilisées pour perpétuer la discrimination ou le stéréotypage à l’endroit d’un groupe. Avant de publier les données, il faut réfléchir et veiller à ce qu’il n’en résulte pas de conséquences nuisibles.
Les personnes visées par une collecte de données doivent être informées de son motif et de l’utilisation qu’on compte faire des renseignements recueillis. On donnera des explications sur le motif de la collecte de même que sur la manière dont la collecte et l’utilisation des données aideront à atténuer la discrimination ou les désavantages et à réaliser l’égalité des chances. Tout cela contribuera à apaiser les inquiétudes possibles face à la demande d’auto-identification. Le respect de la vie privée des personnes doit être assuré et il faut contrôler avec soin le stockage des données, leur accès et leur divulgation.
Ainsi que nous le disions ci-dessus, les données numériques peuvent constituer un excellent indicateur à l’égard des pratiques inéquitables. Si ces données révèlent l’existence d’un problème, l’organisation ou l’institution doit donc être disposée à réagir.
Pour de plus amples renseignements sur les méthodes de collecte et d’analyse de données, veuillez consulter la publication de la CODP intitulée Directives concernant la collecte de données sur les motifs énumérés en vertu du Code.
Les organisations et institutions ontariennes sont tenues de se donner des moyens de prévention et d’action à l’égard des infractions au Code. Elles ont l’obligation de prendre des mesures pour instaurer un milieu respectueux des droits de la personne, ce qui requiert un engagement et des efforts. Mais tout cela fait partie des coûts de fonctionnement, dans un territoire de compétence qui embrasse l’objectif de l’égalité à titre de politique publique formulée par le Code.
Mention est faite, tout au long de notre politique, des mesures de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Pour résumer, les composantes d’un bon programme organisationnel de lutte contre le racisme[156] sont les suivantes :
L’adoption et la mise en œuvre d’un énoncé d’objectifs et d’une politique efficace de lutte contre le racisme, outre qu’elles répondent à des obligations en vertu du Code des droits de la personne, peuvent limiter les préjudices et donc la portée de l’obligation de réparation. Elles contribuent aussi à promouvoir les objectifs d’équité et de diversité des organisations et institutions et contribuent à leur bonne marche.
Pour réussir, il est donc primordial qu’un programme de lutte contre le racisme se donne un énoncé d’objectifs ainsi qu’une politique claire, concrète et globale. Les publications de la CODP intitulées Directives concernant l'élaboration de politiques et de procédures en matière de droits de la personne et Les droits de la personne au travail exposent la teneur d’une politique générale de lutte contre le harcèlement et la discrimination qui recouvre tous les motifs énumérés par le Code. Cependant, il existe d’autres mesures qui sont importantes pour tenir compte des dimensions complexes du racisme et de la discrimination raciale.
Un modèle antiraciste de changement social Une organisation, une institution ou un système antiraciste n’est pas nécessairement dénué de racisme, mais on y adopte une position proactive contre le racisme sous toutes ses formes. Dans les organisations de lutte contre le racisme, l’engagement se fonde d’abord sur la reconnaissance de l’existence du racisme; sur le fait qu’il se manifeste sous des formes diverses, aux niveaux individuel, institutionnel et systémique; sur le fait qu’il est partie intégrante de la culture de masse du groupe dominant. Dans une perspective antiraciste, on commence par reconnaître que les perceptions et l’expérience des personnes racialisées sont réelles et qu’un seul incident unique peut cristalliser des réalités multiples. La lutte contre le racisme met l’accent sur une approche globale de l’élaboration d’idéologies, d’objectifs, de politiques et de pratiques antiracistes. Elle requiert la formation de nouvelles structures organisationnelles; l’introduction de nouvelles normes culturelles et de nouveaux systèmes de valeurs; des changements à la dynamique du pouvoir; la mise en œuvre de nouveaux systèmes de recrutement et d’embauchage; des changements de fond dans la prestation des services; le soutien de nouveaux rôles et modes de relations à tous les paliers de l’organisation; de nouveaux schèmes et des styles plus inclusifs de leadership et de prise de décisions; enfin, la réaffectation des ressources. Adaptation de C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne », dans (2004) 3:3, Diversité canadienne, 31-34. |
Il est essentiel que tous les groupes intéressés d’une organisation participent à l’élaboration d’un énoncé d’objectifs et d’une politique très ferme de lutte contre le racisme. De plus, pour réussir, il faut se rallier l’appui inconditionnel des dirigeants clés, tels que cadres supérieurs et chefs syndicaux. Les membres de l’équipe responsable de l’élaboration de la politique devraient être représentatifs de la diversité du milieu. Idéalement, on devrait consulter l’ensemble des membres d’une organisation, au moyen par exemple d’un sondage auprès des employés, de la tenue de groupes de discussion ou de la diffusion d’une ébauche de politique au sein du personnel, afin de recueillir des commentaires.
Une bonne politique de lutte contre le racisme devrait se doter d’un énoncé d’objectifs explicite. À défaut d’un tel énoncé, reflétant principes et objectifs, on peut aboutir à un cadre de programme inadéquat. L’énoncé d’objectifs doit être clair, viser spécifiquement le racisme et démontrer le leadership et l’engagement de l’organisation à cet égard.
Modèle d’énoncé d’objectifs Nous souscrivons aux principes suivants de lutte contre le racisme :
Par conséquent, nous entendons :
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En complément d’une liste des motifs de discrimination interdits en vertu du Code, une explication sur la nature du racisme et de la discrimination raciale aidera tous les membres d’une organisation à comprendre ces phénomènes, leurs rouages et leurs manifestations. On diffusera aussi la définition du harcèlement et d’une atmosphère empoisonnée.
Des exemples du harcèlement et de la discrimination fondés sur la race ainsi que d’une atmosphère empoisonnée qui sont pertinents dans le contexte particulier de l’organisation aideront à illustrer les types de comportements qui ne seront pas tolérés. On indiquera clairement les conséquences qu’il y aurait à se livrer à un comportement de harcèlement ou de discrimination, notamment la possibilité de se voir licencié.
La politique devrait renfermer une bonne procédure interne de règlement des plaintes. Elle devrait aussi renseigner sur la procédure de traitement interne des plaintes, en donnant les détails suivants :
En pratique, il est très important que toutes les requêtes en matière de droits de la personne soient prises au sérieux, que le mécanisme mis en place soit appliqué et que les plaignants ne soient pas soumis à des mesures disciplinaires ou à des représailles pour avoir soulevé le problème[157]. Les personnes qui déposent une requête, pour discrimination raciale en particulier, se font souvent dire que l’allégation est déplacée et dénuée de fondement, sans même qu’il y ait enquête. En raison de la gravité de telles allégations, on veut parfois en protéger certaines personnes plutôt que comprendre le point de vue des personnes qui déposent une requête[158]. Les personnes qui formulent ce genre d’allégations peuvent même être accusées de « discrimination à rebours ».
Exemple : Un groupe d’employés racialisés s’étaient donné un porte-parole afin de signaler le fait qu’un certain gestionnaire les traitait de manière discriminatoire. Lorsque cette personne s’est adressée au chef des ressources humaines, elle s’est fait recommander de ne pas « s’engager dans cette voie », que la question qu’elle soulevait serait par trop « préjudiciable pour la réputation d’un honnête homme ».
Une précaution est importante dans les situations de discrimination : il faut faire le tour de tous les éléments en cause et exercer une surveillance continue. Il n’arrive que trop souvent que des politiques et programmes soient mis en place sans qu’on n’ait vraiment réfléchi à leurs effets possibles sur les personnes racialisées. Même lorsqu’on porte à l’attention des responsables des renseignements suggérant que le programme perpétue les désavantages ou cause de la discrimination, l’organisation peut décider de ne pas agir et adopter plutôt la « politique de l’autruche ».
Cette approche n’est ni productive ni acceptable du point de vue des droits de la personne. La CODP préconise que, si des préoccupations sont exprimées concernant l’effet discriminatoire des politiques ou des pratiques sur les personnes ou groupes racialisés, l’organisation ou l’institution responsable doit faire le nécessaire pour vérifier si c’est bien le cas.
La surveillance comporte souvent une collecte de données et la production de statistiques. Mais elle comprend aussi d’autres aspects importants, tels que la consultation des communautés touchées, de même que la recherche et l’examen des systèmes, notamment l’analyse des résultats de recherche disponibles dans d’autres territoires de compétence. La surveillance prendra en compte les effets du passé, c.-à-d. les désavantages historiques, l’effet des systèmes en place et l’impact potentiel des nouvelles initiatives.
Bien entendu, la surveillance ne suffit pas à elle seule; il faut également modifier les politiques et pratiques qui perpétuent les désavantages historiques. Par conséquent, si un problème, révélé par la surveillance ou d’autres moyens, est porté à l’attention d’une organisation ou d’une institution, des mesures doivent être prises pour éliminer les barrières systémiques, pallier les désavantages et promouvoir une égalité réelle.
Exemple : Un conseil scolaire avait reconnu que ses politiques en matière de discipline avaient un impact négatif sur les élèves racialisés. Il a donc révisé ses politiques, de façon à donner davantage d’importance à l’évaluation de la situation individuelle des élèves. En outre, il a désigné des personnes-ressources pouvant prêter de l’aide aux jeunes racialisés à risque, a établi des programmes mettant l’accent sur le règlement des conflits et la médiation par les pairs et a pris des mesures pour s’assurer que, en l’absence de solutions autres que la suspension, l’élève ne soit pas privé de tout enseignement.
La lutte contre le racisme exige d’apporter des changements fondamentaux aux structures et systèmes des organisations. Pour qu’une politique et un programme de lutte contre le racisme soient efficaces, il faut y accorder suffisamment d’attention et une importance prioritaire, et affecter des ressources aux stratégies de mise en œuvre[159]. Il faut parfois recourir à tout un éventail de mesures, par exemple :
Il est important de fixer des délais et d’affecter à un membre de l’organisation la responsabilité de chaque mesure aussi bien que de l’ensemble des objectifs de l’organisation pour ce qui est de la lutte contre le racisme. Cette personne devrait avoir pleins pouvoirs et disposer de l’appui et des ressources nécessaires à l’exécution des mesures proposées. La progression de la mise en œuvre doit faire l’objet d’un suivi et de rapports à la haute direction.
« Mesures symboliques »
Par ce terme, on entend la pratique qui consiste à embaucher un petit nombre de membres de groupes racialisés et à les affecter à des postes relativement anodins, afin de donner à l’organisation une apparence d’inclusivité et d’équité. En réalité, ces personnes, qui ont peu de pouvoir, sont considérées comme représentatives du groupe dont elles sont issues; par conséquent, leurs idées, croyances et actes sont susceptibles d’être perçus comme typiques de l’ensemble de ce groupe. Il faut savoir que, en ce qui touche la promotion de la diversité organisationnelle, les mesures symboliques ne sont pas efficaces : elles ne font que circonvenir les changements de fond.
On voit souvent la formation comme une panacée à tous les problèmes relatifs aux droits de la personne. Or, à elle seule, il est peu probable qu’une formation réussisse à instaurer un environnement dénué de discrimination. De même, une formation inadéquate n’est pas susceptible d’amener un changement d’attitudes ou de comportements. Par ailleurs, une formation qui met l’accent sur la « sensibilité culturelle », la « conscientisation raciale » ou la « tolérance », ou encore qui cherche à résoudre les problèmes uniquement par la promotion de la valeur du « multiculturalisme », par exemple au moyen de repas-partage à la fortune du pot, ne saurait opérer de véritables changements, puisqu’elle ne vise pas la dynamique du racisme et réduit la discrimination raciale à de simples malentendus d’ordre culturel.
Dans le cadre d’une formation efficace, on ne devrait pas éviter d’employer la terminologie propre à la lutte contre le racisme. Une formation à la lutte contre le racisme a pour objectif la compréhension de la nature du phénomène et des manières dont on peut s’y opposer. Ce type de formation a pour but non seulement de modifier les attitudes individuelles, mais également de transformer les pratiques, tant collectives qu’individuelles.
Il est donc important de veiller à ce que la formation soit efficace, appropriée et opportune. Il sera utile de s’adjoindre des experts, de faire des recherches sur les techniques de formation les plus efficaces, de fixer des objectifs à cette formation, puis d’évaluer les apprentissages par rapport aux objectifs. Un programme de formation qui veut s’attaquer au phénomène du profilage racial pourrait, par exemple, inclure les objectifs spécifiques suivants :
Idéalement, l’organisation met également en place une surveillance régulière et autonome, pour s’assurer que le programme de formation est adéquat, efficace, approprié et opportun par rapport à la réalisation des objectifs ci-dessus décrits. Cette surveillance peut comprendre la consultation des communautés racialisées locales de même qu’un sondage auprès des employés bénéficiant de la formation, afin de déterminer si celle-ci a réussi à améliorer la compréhension du profilage, du harcèlement et de la discrimination raciale et à modifier les attitudes à cet égard.
Le Code reconnaît toute l’importance que revêt la réparation des désavantages et des injustices préexistantes (voir les dispositions relatives aux programmes spéciaux). L’article 14 du Code autorise la mise en œuvre de programmes destinés à alléger un préjudice ou un désavantage économique ou à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales[160].
La CODP est donc d’avis que les organisations et les institutions doivent s’efforcer de mettre sur pied des programmes spéciaux partout où il existe un préjudice ou des désavantages. Pour rendre plus explicite l’application de l’article 14 du Code, la CODP a formulé des Directives concernant les programmes spéciaux.
Les programmes spéciaux qui visent à alléger les désavantages historiques subis par les personnes racialisées portent notamment sur les secteurs suivants :
L’évaluation continue du programme de lutte contre le racisme d’une organisation ou d’une institution est importante pour assurer son efficacité. De même que pour tout autre volet d’un programme de lutte contre le racisme, il est important de consacrer des ressources suffisantes à l’évaluation continue. On peut former un comité d’examen interne pour mener cette évaluation continue. Cependant, le recours à des conseillers indépendants ou à des spécialistes de l’extérieur peut être particulièrement précieux pour l’exécution de ce type d’examen et la présentation des rapports correspondants à la haute direction.
On devrait procéder à l’examen, à l’évaluation et à la révision de la politique et de l’énoncé d’objectifs d’une organisation ou d’une institution sur une base périodique, en tenant compte des commentaires recueillis auprès des personnes touchées. Il est aussi sage de prévoir le réexamen des situations ayant donné lieu à des plaintes en vertu de la politique, ainsi que de la manière dont elles ont été traitées et des points à améliorer.
[154] Voir Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, supra, note 8, 82-83, Commission ontarienne des droits de la personne, Directives concernant l’éducation accessible (septembre 2004), 36, et Commission ontarienne des droits de la personne, Directives concernant la collecte de données sur les motifs énumérés en vertu du Code (septembre 2003); en ligne : < //www.ohrc.on.ca>.
[155] Par exemple, Développement des ressources humaines Canada cite de nombreuses ressources sur l’équité au travail; en direct : Développement des ressources humaines Canada, < www.rhdc.gc.ca/fr/passerelles/topiques/wzp-gxr.shtml>.
[156] « Cette lutte constitue une approche pragmatique permettant d’identifier et de contrebalancer l’apparition et la propagation de toute forme de racisme. Elle concerne les questions entourant le racisme et les systèmes interpénétrés d’oppression sociale. La lutte contre le racisme implique un effort pour définir et comprendre la nature du racisme et les moyens d’y mettre fin. », C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 31-34.
[157] L’article 8 du Code interdit tout mode de représailles à la suite d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne :
8. Toute personne a le droit de revendiquer et de faire respecter les droits que lui reconnaît la présente loi, d’introduire des instances aux termes de la présente loi et d’y participer, et de refuser de porter atteinte à un droit reconnu à une autre personne par la présente loi, sans représailles ni menaces de représailles.
[158] Il est même arrivé que, lors d’une décision en matière de discrimination, des décideurs aient insisté davantage sur le tort à la réputation de l’intimé que sur l’effet du racisme pour la personne en cause. Voir Gaba c. Lincoln County Human Society (1991), 15 C.H.R.R. D/311, par. 37 (commission d’enquête de l’Ontario), Smith c. Mardana Ltd. (commission d’enquête de l’Ontario), supra, note 79, par. 39, et R. c. Brown; en cette dernière affaire, le juge de première instance d’une cause criminelle où le profilage racial avait été invoqué comme défense a déclaré que cet argument avançait « de graves allégations », qui lui semblaient « quelque peu troublantes ». La Cour d’appel relevait que l’allégation de profilage racial était certes grave, mais que l’était également l’impact du profilage racial pour la personne accusée, le cas échéant. Il aurait fallu que le tribunal adopte une attitude de détachement plutôt que de se préoccuper uniquement de l’impact pour le policier des allégations de la défense; R. c. Brown (C. A. de l’Ont.), supra, note 66, par. 60.
[159] Pour l’exposé de certaines des initiatives de suppression des barrières qui entravent la lutte contre le racisme, voir C. Tator, « Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne », supra, note 155.
[160] Pour un exposé des objectifs de l’article 14 du Code, voir Ontario (Human Rights Comm.) c. Ontario (Ministry of Health), 21 C.H.R.R. D/259 (C. A. de l’Ont.). À la majorité des voix, la Cour a reconnu que le paragraphe 14 (1) a un double but. Le premier est de mettre les programmes d’action positive à l’abri des contestations invoquant la violation des dispositions sur l’égalité formelle de la partie I du Code. Le second est de promouvoir une égalité concrète et réelle. Les programmes d’action positive visent à réaliser une véritable égalité, en aidant les personnes défavorisées à soutenir à chances égales la concurrence avec les personnes non défavorisées. Le paragraphe 14 (1) constitue également une aide à l’interprétation, qui élucide toute la portée du sens de l’égalité de droits par la promotion d’une réelle égalité.
[161] Voir K. Kafele, « La discrimination raciale et la santé mentale : Les communautés racialisées et autochtones » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 47.
[162] Voir par exemple C.C. Smith, « L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada » (2004) 3:3, Diversité canadienne, 32.