Publication : Décembre 2004]
(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)
par Bill Black
Bill Black est professeur à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique et membre du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En 1994, il a écrit un ouvrage sur les droits de la personne en Colombie-Britannique. Il a été également directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Le présent article identifie certaines raisons pour lesquelles les plaintes de discrimination raciale ont un taux de réussite inférieur à celui des plaintes de discrimation fondée sur d’autres motifs. Il présente ensuite diverses stratégies qui pourraient être envisagées à différentes étapes de la procédure relative aux plaintes de discrimination raciale afin d’améliorer leur taux de réussite.
Des études menées dans de nombreuses juridictions ont indiqué que les plaintes de discrimination alléguée ayant pour fondement la race ou des facteurs connexes ont un taux de réussite inférieur à celui des plaintes fondées sur d’autres motifs.[1] Le fait que des résultats similaires soient obtenus dans d’autres juridictions suggère que les causes sont plus profondes, qu’elles vont bien au-delà de simples erreurs dans la gestion des plaintes. L’objectif du présent article est d’identifier certaines de ces causes et de présenter des stratégies susceptibles d’accroître leur taux de réussite. Mon but est d’identifier le plus grand nombre de stratégies possible, plutôt qu’une nouvelle solution miracle qui aurait échappé à tout le monde. Je souhaite simplement lancer la discussion.
Il semble qu’il n’y ait pas une seule cause qui explique le faible taux de réussite des plaintes de discrimination raciale. Anna Mohammed, qui est aujourd’hui membre du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, a préparé un rapport en 2000 qui compare un échantillonnage de plaintes fondées sur un racisme allégué (qui incluaient toutes un harcèlement racial) avec un échantillonnage similaire de plaintes de harcèlement sexuel. Elle a conclu que le faible taux de réussite des plaintes de discrimination raciale était dû à la combinaison de deux facteurs. Le premier facteur est que les plaintes de discrimination raciale sont, en moyenne, plus difficiles à étoffer. Le second facteur est que les procédures de traitement des plaintes ne sont pas toujours adaptées à la nature des plaintes de discrimination raciale. Donna Young était arrivée à des conclusions similaires dans l’étude qu’elle a menée en 1992 pour la Commission ontarienne des droits de la personne. Je suis d’accord pour dire que ces deux facteurs ont une incidence sur le taux de réussite des plaintes fondées sur la discrimination raciale.
Mohammed a découvert que les plaintes de discrimination raciale ont plus de chances d’impliquer une conduite permanente plutôt qu’un incident isolé. Elle a également constaté que la discrimination prend des formes plus subtiles dans les causes de racisme que dans les causes de harcèlement sexuel. En outre, il y a peu de chance qu’un intimé admette que la race a joué un rôle dans une décision qu’il a prise. En revanche, dans des causes de discrimination ayant d’autres fondements, comme un handicap, par exemple, un intimé pourrait reconnaître que des événements se sont produits et soutenir, du même souffle, qu’il peut présenter une défense.
Ironiquement, le fait que la discrimination raciale attire un degré plus élevé de stigmate social que d’autres types de discrimination, comme l’âge, pourrait rendre plus difficile l’établissement d’une preuve pour deux principales raisons. D’une part, les gens sont plus habiles à cacher la discrimination raciale que les autres formes de discrimination. D’autre part, il pourrait y avoir une tendance inconsciente chez les décideurs (que ce soit les agents d’information de liaison, les enquêteurs, les membres de la Commission ontarienne des droits de la personne ou les tribunaux) d’appliquer des normes plus élevées de preuves aux allégations de discrimination raciale qu’à celles des autres types de discrimination.
Un autre facteur pourrait être que les causes les plus solides ne donnent pas lieu nécessairement à des plaintes portées à l’attention de la Commission. Certaines personnes qui font l’objet d’une discrimination pourraient accepter la situation comme étant une stratégie d’adaptation.[2] De plus, si la discrimination raciale est une caractéristique permanente d’un milieu de travail, il pourrait sembler futile de porter plainte au sujet d’un incident en particulier. Il semble que ces tendances sont plus communes dans des situations de discrimination permanente sérieuse que dans des lieux où la discrimination est moins courante. Le résultat serait que le processus de plaintes tendrait à exclure un pourcentage élevé de la plupart des causes sérieuses.
Un dernier facteur pourrait être le fait que le système d’application des droits de la personne n’ait pas encore analysé pleinement les effets défavorables de la discrimination. La Cour Suprême du Canada a reconnu les effets préjudiciables de la discrimination il y a presque vingt ans.[3] Toutefois, la plupart des causes classées comme ayant des effets préjudiciables impliquent des faits relatifs à l’intention, comme le maintien de certaines heures d’ouverture, même après qu’on ait été informé qu’elles empiétaient sur les croyances religieuses de certains employés.[4]
Une analyse plus large des effets préjudiciables partirait de l’hypothèse selon laquelle, si un groupe n’est pas représenté dans un milieu de travail ou un autre établissement d’une manière à laquelle on s’attendrait sur la base de la disponibilité, cette situation serait suffisante pour créer une présomption du fait que le système de sélection intègre certains obstacles discriminatoires. Une telle analyse serait, bien évidemment, valable pour tous les types de discrimination. Mais elle s’appliquerait particulièrement aux plaintes de discrimination raciale, parce qu’elles sont plus difficiles à prouver par d’autres moyens.
Cette section énumère différentes stratégies possibles pour gérer les plaintes de discrimination. Comme il a été mentionné dans l’introduction, mon objectif est de soulever le plus grand nombre d’options possible aux fins de la discussion, plutôt que d’identifier certaines combinaisons optimales de stratégies.
Dans un système qui repose sur des plaintes, la Commission a limité le pouvoir d’exercer une influence sur les plaintes déposées. Cependant, les étapes suivantes aideraient à porter à son attention des exemples sérieux de discrimination raciale:
Parce que les plaintes de discrimination raciale impliquent souvent des sources subtiles et cachées de discrimination, il y a un risque qu’un nombre disproportionné d’entre elles soit sélectionnées avant de faire l’objet d’un examen complet. Je reconnais qu’une sélection est nécessaire, mais elle devrait tenir compte du fait qu’une enquête plus approfondie peut révéler des preuves susceptibles d’appuyer une plainte qui, autrement, paraîtrait faible.
Je n’ai aucune suggestion particulière à formuler en ce qui concerne le processus de médiation, si ce n’est que de tenter d’empêcher un déséquilibre des forces en présence dans le processus. Aussi, s’il y a des indications selon lesquelles un intimé est disposé à offrir un règlement généreux à une plaignante ou un plaignant qui a une cause solide pour éviter des changements systémiques, la Commission pourrait envisager une plainte distincte relativement aux aspects systémiques de la situation.
Il existe une certaine controverse au sujet de la médiation en tant que composante du processus des droits de la personne. Certaines personnes critiquent la compatibilité du processus avec les obligations d’intérêt public des commissions des droits de la personne.[11]D’un autre côté, la médiation peut offrir des avantages intéressants aux deux parties et atténuer le problème des retards. Elle peut aussi parfois servir les questions d’intérêt public d’une façon qui serait difficile à réaliser lors d’une audience.[12]
Je n’ai aucune stratégie particulière à suggérer quant à cette étape de la procédure relative aux plaintes de discrimination raciale. Toutefois, plusieurs éléments qui se rapportent aux enquêtes (par exemple, la tendance inconsciente à appliquer des normes plus élevées de preuves aux plaintes de discrimination raciale) pourraient aussi présenter des risques à cette étape.
Je ne peux pas aborder la question des audiences en détail ici. Mon seul commentaire est le suivant: il serait fort utile de préconiser un ensemble de droit qui tient compte de la prédominance de la discrimination raciale et des défis particuliers de prouver une telle discrimination. Une norme appropriée de preuve représente la clé. La reconnaissance de la légitimité des preuves statistiques et des preuves de faits similaires serait également d’une grande utilité.
[1] Voir Ana Mohammed, Report on the Investigation of Race Complaints at the B.C. Human Rights Commission, (2000) rapport non publié; Errol Mendes, ed. Complaint and Redress Mechanisms Relating to Racial Discrimination in Canada and Abroad (Ottawa: Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, 1994); Donna Young, The Handling of Race Discrimination Complaints at the Ontario Human Rights Commission (Toronto: étude non publiée et menée pour la Commission ontarienne des droits de la personne, 1992).
[2] Ian Mackenzie, « Racial Harassment in the Workplace: Evolving Approaches » (1995) 3 C.L.E.L.J. pp. 287-291.
[3] Ontario Human Rights Commission v. Simpsons-Sears [1985] 2 S.C.R. 536.
[4] Voir Mackenzie, (p. 297) qui cite une tendance à mettre l’accent sur l’intention ou la malice.
[5] Mohammed, voir la note 1 (p. 26).
[6] Mohammed recommande cette étape. Voir la note 1 (p. 25).
[7] Il se peut que les intimés s’objectent à une telle politique, mais je ne pense pas qu’il est injuste d’utiliser les résultats d’une plainte comme motif pour déposer une plainte plus large.
[8] Mohammed, voir la note 1 (p. 17).
[9] Communiqué de presse: « Déclaration du commissaire en chef Keith C. Norton à propos de la mise en œuvre de la procédure relative à la rédaction des plaintes par les plaignants à la Commission ontarienne des droits de la personne », 29 septembre 2004, accessible sur Internet depuis le 1er novembre 2004: http://www.ohrc.on.ca/french/news/f_pr_2004-complaint-process.shtml
[10] http://www.ohrc.on.ca/french/consultations/intersectionality-discussion-..., accessible sur Internet depuis le 1er novembre 2004.
[11] Voir Philip Bryden et William Black, « Mediation as a Tool for Resolving Human Rights Disputes: An Evaluation of the B.C. Human Rights Commission’s Early Mediation Project », (2004) 37 U.B.C. L. Rev. 73 (pp. 86-91). Les auteurs exposent les différents points de vue sur cette question.
[12] Interview avec des membres du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, le 31 août 2004, dans laquelle il a été dit que les médiateurs peuvent parfois conclure, durant la médiation, une entente sur des changements systémiques – qu’il aurait été difficile de conclure par suite d’une ordonnance d’un tribunal après une audience.
[13] Voir Frances Henry et Carol Tator, « Myths and Realities of Racism in Canada » dans Bienvenue et R. Goldstein, Ethnic Groups in Canada (Toronto: Butterworths, 1985) 321, à 328; Constance Backhouse, Colour-Coded, A Legal History of Racism in Canada 900-1950 (Toronto: Osgoode Society for Canadian Legal History, 1999), p. 15; Young, voir la note 1, pp. 6-10.
[14] Mohammed a constaté une telle tendance dans les dossiers qu’elle a étudiés, voir la note 1, p. 18. Je n’ai aucune information sur le fait que cela s’applique ou non aux enquêtes de la Commission ontarienne des droits de la personne.
[15] Mohammed, ibid. pp. 20-21, référence au « syndrome du plaignant irréprochable ».