La croyance, la liberté de religion et les droits de la personne

Preface  (sur la croyance)

Commissaire en chef Barbara Hall, Commission ontarienne des droits de la personne

L’an dernier nous avons marqué le 50e anniversaire de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) et cette année nous célébrons le 50e anniversaire du Code des droits de la personne de l’Ontario. Depuis le tout début, la croyance est inscrite dans le Code – mais un bon nombre des questions se posaient de façon bien différente en 1962. Un trop grand nombre d’Ontariennes et d’Ontariens étaient victimes d’une discrimination éhontée dans bien des aspects de leur vie parce qu’ils étaient juifs, adventistes du septième jour ou témoins de Jéhovah, ou que leurs croyances étaient différentes de celles du christianisme dominant.
 
L’Ontario, tout comme le Canada, a bien changé depuis. Les gens viennent au Canada de partout dans le monde. Ils apportent avec eux différents systèmes de croyances et des manières différentes de célébrer leur foi. Ils sont souvent attirés ici par la réputation dont jouit le Canada en tant que lieu où des gens de toutes les origines et de toutes les croyances sont les bienvenus.
 
Mais être à la hauteur de cette réputation comporte des défis. À mesure que la population canadienne continue à se diversifier, on constate des possibilités de tension alors que les questions liées à la croyance se manifestent de plus en plus souvent dans la sphère publique. Les organisations religieuses devraient-elles avoir droit de regard dans la vie sexuelle et les choix de vie de leurs employés ? Est-ce que le végétalisme, l’humanisme éthique ou le pacifisme constitue une croyance ? Est-ce que la direction d’une école a le droit de dire à un élève qu’il ne peut venir accompagné de son partenaire de même sexe au bal des finissants?
 
Récemment, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a entendu la cause d’une femme religieuse qui s’est fait dire par son patron qu’elle n’était pas autorisée à prier parce que c’était gênant, celle d’un juif qui a été maltraité par des pompiers parce qu’il faisait brûler des bougies cérémoniales et celle d’un mennonite qui a été soupçonné d’appartenir au monde de la drogue parce qu’il portait les cheveux longs.
 
Nous avons également vu des causes dans lesquelles les droits et libertés de religion d’un groupe semblaient s’opposer aux droits d’un autre groupe. À titre d’exemples, mentionnons le cas d’un commissaire aux mariages qui refusait de célébrer une cérémonie de mariage entre partenaires de même sexe et celui d’un chauffeur de taxi refusant un client aveugle accompagné d’un chien d’assistance à cause de sa religion.
 
Les principes sur lesquels sont fondés les droits de la personne nous aident à nous éloigner des attitudes de rivalité et à comprendre que tous les droits sont impor-tants. Un aspect de notre mission à la CODP est de répondre aux changements sociaux en mettant constamment à jour nos politiques en matière de droits de la personne afin d’aider à prévenir les conflits ou à les résoudre avant qu’ils ne s’intensifient.
 
Nous avons récemment lancé une toute nouvelle Politique sur les droits de la personne contradictoires, qui est un guide clair et convivial pouvant aider les organisations, les responsables des politiques, les parties à un litige, les arbitres et autres à évaluer, à traiter et à résoudre les revendications contradictoires de droits de la personne. Nous avons également commencé à réviser notre politique sur la croyance pour la première fois depuis 15 ans. Ce projet comprendra de vastes consultations avec les représentants des groupes confessionnels, des membres des diverses communautés et des universitaires ainsi que des avocats et des intervenants dans le domaine des droits de la personne. Nous offrirons également la chance aux membres du public en général de partager leurs points de vue avec nous par des sondages en ligne, des entrevues, des groupes de discussion et d’autres types de rencontres.
 
Il faudra de deux à trois ans en tout pour achever ce projet de révision, et nous espérons qu’il apportera des réponses à certaines des questions pressantes liées à la croyance, notamment :
  • Quelles sont les obligations des employeurs à l’égard des fêtes religieuses de leurs employés non chrétiens? Doivent-ils leur donner des congés payés ou leur demander d’utiliser leurs jours de vacances?
  • Quelles sont les obligations des hôpitaux à l’égard des exigences alimentaires des patients fondées sur leur religion?
  • Dans quelle mesure des travailleurs peuvent-ils parler de leur foi à leurs collègues avant que cela ne porte atteinte aux droits d’autrui?
  • Comment une personne peut-elle savoir si ses propos au sujet de la religion en milieu de travail ou lorsqu’elle fournit un service sont allés trop loin et constituent du harcèlement ?
  • Est-ce que l’on peut dire des prières dans les écoles publiques durant les heures de classe?
  • Où commence et où finit le devoir d’adaptation relatif aux croyances et aux pratiques fondées sur la foi dans un espace public?
     
Une autre importante question que nous espérons explorer est la définition même de la croyance. Nous voyons une foule de nouvelles idées et de nouveaux concepts associés à la croyance. Comment devrait-on réviser notre définition? Il ne sera pas facile de répondre à ces questions. Mais ce sont des questions qu’il est important de poser si nous voulons faire en sorte que chaque personne soit traitée avec dignité et respect.
 
En janvier 2012, la CODP a commencé sa quête de réponses en invitant divers experts des milieux universitaires, juridiques et communautaires à soumettre de brèves communications à discuter à une séance de dialogue sur les politiques en partenariat avec une initiative intitulée Religion in the Public Sphere et la faculté de droit de l’Université de Toronto. Les participants ont également été invités à soumettre des versions plus élaborées de leurs communications afin de leur permettre d’élaborer sur les points essentiels qu’ils souhaitaient faire valoir dans le débat sur la croyance.
 
Les articles présentés dans ce numéro sont le fruit de ce travail. Ils offrent de nombreux points de vue sur les droits de la personne, la croyance, la liberté de religion et le droit, et ils proposent toute une gamme de positions diverses fondées sur différentes perspectives. Ces articles servent de point de départ dans notre démarche pour élaborer une nouvelle politique sur la croyance qui tient compte de l’évolution des besoins et des réalités de l’Ontario d’aujourd’hui.
 
Barbara Hall, B.A, LL.B, Ph.D (hon.)
Commissaire en chef
Commission ontarienne des droits de la personne

 

Code Grounds: 
Activity Type: 

Les Commissions des droits de la personne - Défis et réponses

Remi Warner, Analyste des politiques, Commission ontarienne des droits de la personne
Shaheen Azmi, Directeur, politiques, éducation, sensibilisation et surveillance, Commission ontarienne des droits de la personne

 
Depuis la publication en 1996 de la « Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses » par la Commission ontarienne des droits de la personne, plusieurs développements sociaux et légaux importants se sont effectués, au Canada ainsi qu’internationalement. Ces développements ont changé la manière dont les croyances et les religions sont comprises et comment ces dernières ont formé les expériences des individus et des communautés identifiés comme croyants. Il y a eu beaucoup de débats publics sur les limites appropriées et la protection des droits reliés aux religions et aux croyances.
 
La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a commencé une révision de sa politique de 1996. La mise à jour vise à clarifier l’interprétation de la Commission sur la base des croyances sous le Code, et, plus généralement, de faire avancer la compréhension des droits de la personne et des bonnes pratiques dans ce champ. La mise à jour de la politique demandera une recherche ainsi qu’une consultation extensive et prendra deux à trois ans à compléter (le travail a débuté en 2011).
 
En janvier 2012, la CODP a rassemblé des partenaires communautaires, des universitaires, des professionnels du droit, des praticiens en droits de la personne et en diversité provenant de plusieurs domaines pour un « Dialogue politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses ». Cet événement était organisé en partenariat avec la Religion in the Public Sphere Initiative de l’Université de Toronto et l’école de droit de l’Université de Toronto et se déroulait au Multi-Faith Centre de l’Université Toronto.
 
La « Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses » a fourni une opportunité d’écouter des parties prenantes intéressées et concernées sur des éléments clés tel que :
  • La définition, l’interprétation et la portée des croyances et la liberté de la religion dans le droit ;
  • Les contextes sociaux et historiques formant les questions sur les droits de la personne basés sur la croyance et la liberté de religion ainsi que les expériences sur le terrain ;
  • Les divers types de discrimination et d’harcèlement vécus par plusieurs communautés en Ontario sur la base de leur croyance ou religion ;
  • Des tendances, des lacunes, des défis et les meilleures pratiques significatives liés à l’accommodement et à la conception inclusive des convictions religieuses/croyances et pratiques dans la société ontarienne et ses institutions ;
  • Les intersections des droits de la personne sur la croyance et d’autres droits de la personne tels que le genre, l’orientation sexuelle, l’invalidité, la race et l’ethnicité.
 
Les textes dans cette édition spéciale de « Diversité canadienne » ont été initialement sélectionnés par l’entremise d’un appel à communication. Ils ont été présentés dans le dialogue politique de janvier 2012. Parmi les collaborateurs, nous pouvons inclure des universitaires émergents du Canada ainsi que des professionnels du droit travaillant dans ce champ des droits de la personne, sans oublier une gamme d’experts et de communautés.
 
Les textes varient en ordre et contenu des fonds conceptuel, historique et légal jusqu’à des expériences concrètes et spécifiques de l’histoire et de la société canadiennes. La revue s’ouvre avec un texte par David Seljak qui souligne les contextes sociaux et historiques et les tendances qui forment les enjeux des droits de la personne fondés sur les croyances ainsi que les efforts contemporains visant à protéger la liberté de religion. Seljak soutient que le Canada est devenu à la fois plus séculaire et plus religieusement diversifié, ce qui représente un défi de taille pour l’héritage du « christianisme résiduel » ainsi que l’effort du Canada à devenir institutionnellement multiculturel.
 
Les textes suivants par Janet Buckingham, Lori Beaman, Iain Benson ainsi que Benjamin Berger, présentent les normes et les suppositions qui sous-tendent la loi et les débats sur les politiques contemporaines relatives aux droits religieux. Le texte de Janet Buckingham examine les interprétations diverses du terme « séculaire » telles que reflétées dans la jurisprudence canadienne et dans les conflits très médiatisés entre la religion et l’état séculaire. Mettant l’accent sur les contributions sociales positives de la religion, Buckingham argumente pour une compréhension inclusive de « séculaire », citant l’appui des décisions juridiques canadiennes. Le texte de Lori Beaman explore divers cadres de pensée sur la diversité religieuse et l’inclusion. Elle souligne les hiérarchies implicites d’appartenance qu’un discours de « tolérance » et d’« accommodement » peut créer (où la majorité confère des avantages aux minorités). Elle met de l’avant une approche de « profonde égalité » et offre un langage alternatif cohérent avec les engagements multiculturels du Canada. Beaman demande aux décideurs politiques et juridiques d’inclure et d’apprendre non seulement des scénarios de conflits mais aussi des récits quotidiens de négociations réussies relatives aux différences religieuses dans la société canadienne.
 
Critiquant la réduction ( ou la « lecture vers le bas ») de la religion comme privée et individuelle, le texte de Iain Benson argumente que les « croyances » et les religions devraient être comprises comme ce qui informe l’apport au public d’une personne, incluant nécessairement des convictions qui influencent souvent « la morale et l’éthique » et même « la politique ». Benson souligne l’importance d’une réinterprétation de « l’exemption spéciale de l’employeur », dans la section 24 du Code, telle qu’appliquée aux employeurs religieux, qu’il critique de se concentrer trop étroitement sur les « types de tâches » exécutées par des employés plutôt que par les « projets ou associations religieuses » impliqués.
 
Le texte de Benjamin Berger examine comment les lois constitutionnelles gouvernant la religion reflètent à la fois les normes et idéaux culturels libéraux dominants et forment la façon dont les adeptes d’une religion se présentent et se comprennent devant la loi. Il souligne que cela contredit l’auto-représentation de la loi comme étant neutre et comme étant au-dessus de la mêlée culturelle. Berger soulève des préoccupations particulières avec la façon dont la loi peut encourager des adeptes d'une religion, à travers diverses incitations juridiques, à adopter des positions de plus en plus statiques et rigides.
 
Les textes par Howard Kislowicz, Gail McCabe, et Richard Landau traitent de la définition de la religion et de la croyance de perspectives différentes. Le texte par Howard Kislowicz examine des critiques opposées de la définition légale de la religion, en premier lieu telle que définie par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Syndicat Northcrest v. Amselem (“Amselem”)1, considérée par certains critiques comme trop étroite ou trop large pour être significative ou utile. Kislowicz met en garde contre les efforts visant à définir globalement la « religion » dans les politiques ou les lois, prônant pour une approche « analogique » plus flexible, adaptable et évolutive (si ça ressemble à un canard...), qui, selon lui, a été l’approche dominante prise par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.
 
Produit en collaboration avec le comité d’action éthique de la « Ontario Humanist Society » (OHS), les textes de Gail McCabe, Mary Beaty et Peter Moller argumentent pour une définition de la « croyance » étendue et plus inclusive dansa politique de la CODP. L’exclusion des croyances morales, éthiques et politiques de nature séculaire dans la définition actuelle, argumentent McCabe et compagnie, a mené à un échec du Code en ce qui a trait à la protection complète de l’individu et des droits collectifs des Humanistes et autres communautés éthiques de choix.
 
En tant que télédiffuseur faisant face à des choix difficiles au jour le jour concernant le contenu acceptable d’émissions religieuses, d’une perspective à la fois morale et légale, Richard Landeau argumente contre une définition et une interprétation de la religion et de la croyance trop ouverte et indéfinie. Il suggère des critères variés pouvant permettre une distinction entre les communautés religieuses légitimes (religions « authentiques ») et celles promouvant des objectifs illégaux ou vexatoires ou qui simplement ne méritent pas la même protection légale que des traditions religieuses centenaires.
 
Les textes de Richard Moon, Andre Schutten, Cara Zwibel et Heather Shipley considèrent les frontières et les limites des droits de la personne fondés sur les croyances et la liberté de religion, en interaction avec différentes revendications légales concurrentes.
 
Engageant le raisonnement légal du juge en chef McLachlin dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Alberta v. Hutterian Brethren of Wilson Colony2, le texte de Richard Moon argumente que même si l’« accommodement raisonnable » puisse être un cadre analytique approprié pour imposer des restrictions sur la liberté d’un individu sous le Code des droits de la personne, ce n’est pas une analyse appropriée pour des cas de liberté de religion par la Charte, dans lesquels les restrictions sur la liberté religieuse sont imposées par statut. Cependant, Moon critique l’approche alternative du juge en chef McLachlin –l’équilibre des intérêts sous la s.1 de la Charte- comme étant « inappropriée ou impraticable ».
 
Le texte par Andre Schutten se place en opposition avec ce qu’il dit être des interprétations trop étroites, telles qu’appliquées sur des employeurs religieux, de l’exemption de l’interdiction de discrimination à l’emploi mentionnée dans la section 24(1)(a) du Code ontarien des droits de la personne. Schutten trace l’historique de lectures étroites de la section 24 du Code dans les cas d’invalidité, qui selon lui ont (pour des raisons de non-comparabilité) défini de façon injustifiée les normes d’analyse de la section 24 dans les contextes d’emploi religieux. Il demande une modification de la législation du Code sous la s.24 afin de pleinement protéger les droits des citoyens de librement s’associer à d’autres communautés religieuses, conforme à la jurisprudence de la Charte de la Cour suprême.
 
Le texte de Cara Zwibel examine deux dimensions principales de la liberté de religion : la liberté de manifester ses croyances et ses pratiques, en public ou en privé, sans coercition et sans contrainte par l'autorité de l’état, d’un côté, et le droit d’être libre de l’imposition de religion, de l’autre. Zwibel regarde comment ces deux aspects inséparables de la liberté religieuse interagissent dans le contexte des enjeux liés à l’accommodement religieux dans les écoles publiques. Elle suggère divers facteurs clés à considérer pour cette question nécessairement délicate d’équilibre pour assurer que les accommodements religieux à l’école ne tombent pas dans la sanction par l’état de la religion.
 
Le texte de Heather Shipley complète la section sur les droits concurrents et les limites de la liberté religieuse en mettant en garde contre des constructions trop étroites et rigides dans les lois et les politiques qui opposent les droits des croyants religieux aux droits des minorités sexuelles. Ces constructions, argumente-t-elle, caricature les croyants religieux et les minorités sexuelles dans le processus, donnant inéluctablement lieu à une relation conflictuelle qui ne prend pas en compte, ne permet pas, ou ne cultive pas de véritables ou possibles intérêts et identités entre ces deux solitudes apparentes.
 
Les cinq textes restant par Alice Donand, Anita Bromberg, Uzma Jamil, Barry Bussey et Matthew King offrent une vision de la façon dont plusieurs communautés, passées et présentes, ont été aux prises avec des enjeux sur le terrain liés aux droits de la personne fondés sur les croyances.
 
Présentant des résultats sélectionnés de recherches commissionnées en 2011 par la « Equality and Human Rights Commission » de la Grande-Bretagne, le texte d’Alice Donand donne une vision de l’Angleterre et du Pays de Galles de la loi et de sa relation à l’égalité, aux droits de la personne et « la religion ou la croyance » (puisque la loi britannique protège à la fois la religion et la croyance sous la loi sur les droits de la personne). Donand examine certains cas juridiques importants qui ont fait des vagues au Royaume-Uni et elle identifie les zones où la loi est particulièremet peu claire et contestée.
 
Le texte d’Anita Bromberg examine les efforts des Juifs à s’intégrer au Canada, tout en conservant leur identité et leurs pratiques religieuses intactes. Bromberg souligne certaines des contraintes les plus récentes sur les efforts contemporains déployés par les Juifs dans leur revendication d’accommodements religieux dans le contexte de la diversité religieuse croissante, les contre-coups « multi-culturels » et les malentendus généraux d'accommodement comme synonyme de « privilège » non mérité.
 
Se fondant sur une analyse préliminaire des données provenant d'une étude de recherche communautaire, le texte d’Uzma Jamil se penche sur les expériences quotidiennes des musulmans dans la grande région de Toronto, après le 11 septembre, avec l'islamophobie - un concept qu'elle explore et définit. Alors que la plupart des répondants ayant participé à cette étude ont exprimé des opinions positives sur leurs droits et libertés de pratiquer leurs croyances religieuses au Canada, beaucoup ont estimé qu'il y avait des attitudes sociales négatives de stéréotypage par rapport aux perceptions de l'Islam et des musulmans dans la société canadienne qui, pour beaucoup, ont créé le sentiment de non appartenance, indépendamment du lieu de naissance ou de la durée de résidence au Canada.
 
Le texte de Matthew King traite de la façon dont deux segments diversifiés au sein de la communauté canadienne bouddhiste – des convertis occidentaux et des immigrants asiatiques – négocient par divers moyens les besoins et pratiques religieux dans deux sphères institutionnelles du Canada : les soins palliatifs et le système pénal. En effet, King démontre comment les interprétations dominantes libérales-individualistes juridiques de la croyance et de la religion privilégient de manière disproportionnée et protègent les pratiques religieuses des convertis occidentaux, tout en marginalisant la compréhension et la pratique du bouddhisme de la majorité des immigrants.
 
Clôturant la revue est un texte par Barry Bussey, qui se penche sur l'histoire des conscrits adventistes du septième jour canadiens qui ont demandé le statut d'objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre mondiale devant une commission de mobilisation inflexible. Le refus de nombreux jeunes hommes adventistes du septième jour de porter les armes dans les forces régulières a mené à de graves conséquences. Certains ont été contraints de servir dans l'armée. D’autres ont fait face au ridicule, à l'emprisonnement et / ou aux travaux forcés dans des camps de travail alternatifs.
 
Nous espérons que cette publication représente l'une des plusieurs possibilités à élargir la conversation sur les politiques liée aux croyances pour inclure ceux qui n’étaient pas en mesure de participer au dialogue de janvier 2012.
 
Nous tenons à souligner la contribution exceptionnelle de nos partenaires de l'Université de Toronto, dont Richard Chambers, directeur du Multi-Faith Centre et Pamela Klassen, professeur au Département de sciences des religions et directrice du Religion in the Public Sphere Initiative. Nous notons également l'aide précieuse et les commentaires fournis par les membres de la Faculté de droit de l’Université de Toronto, y compris Professeur Anver Emmon et Jenna Preston, ainsi que Nadir Shirazi au Multi-Faith Centre, et les professeurs Bruce Ryder et Benjamin Berger au Osgoode hall Law School de l’Université de York, qui ont tous apporté une contribution essentielle à des moments-clés tout au long du développement du dialogue politique.
 
Enfin, nous tenons à remercier tous les présentateurs, les participants et les contributeurs qui ont si généreusement offert leur temps, leurs pensées et leur énergie pour organiser le dialogue politique, ainsi que pour produire cette publication, engageante et perspicace. Nous espérons que vos efforts, et la présente publication, contribueront à préparer le terrain pour un débat public sain, équilibré et raisonnable sur les droits de la personne, les croyances et la liberté de religion dans les mois et années à venir.

 

Protéger la liberté religieuse dans un Canada multiculturel

David Seljak est un professeur agrégé et titulaire d'une chaire au département des études religieuses à l’université St-Jerome à Waterloo, en Ontario. De 1998 à 2005, il a été directeur du Center for Catholic Experience de St-Jérome. En collaboration avec Paul Bramadat de l’université Victoria en Colombie-Britannique, il a coédité Religion and Ethnicity in Canada (2005) et Christianity and Ethnicity in Canada (2008). Il est également rédacteur en chef d’une revue théologique, The Ecumenist: A Journal of Theology, Culture and Society, publié par Novalis. Il a récemment participé à la rédaction de rapports de recherche sur la religion et le multiculturalisme au Canada pour le ministère du Patrimoine canadien.

Résumé

Cet article vise à offrir un contexte social et historique aux efforts déployés par la Commission ontarienne des droits de la personne dans sa tentative de réévaluer sa politique sur la discrimination basée sur la croyance et sur la protection de droits liés à la liberté de religion. Une majorité de Canadiens ont tendance à croire que puisque la société canadienne est une société laïque et multiculturelle, les problèmes liés à l’intolérance religieuse et à la discrimination ont disparu. Par conséquent, une certaine confusion émerge lorsque des conflits d’intérêt publique tel que celui entourant les accommodements raisonnables au Québec ou celui autour des tribunaux basés sur la charia en Ontario font surface. Une part de cette confusion est attribuable au fait que, depuis les années 1970, le Canada est devenu une société laïque au même moment qu’il devient une société beaucoup plus diversifiée sur le plan religieux. Des Canadiens d’origine sikhe, musulmane, hindoue, chinoise et juive – ainsi que les individus d’origines autochtones – ont de la difficultés à s’intégrer dans des structures sociales qui ont été d’abord définies par le christianisme et puis par une laïcité définie par la société canadienne. Simultanément, de nouvelles formes d’intolérance religieuse et de discrimination ont fait surface, créant ainsi de nouveaux obstacles dans la volonté du Canada de devenir une société multiculturelle.

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Beaucoup de Canadiens sont confus par la réémergence de questions sur la diversité et la liberté religieuses dans les débats publics sur les droits de la personne. Certains pensaient que la religion avait cessé d'être un élément important de l'identité et de la dynamique sociale. D'autres ont supposé que la « séparation de l'Église et de l'État » - ainsi que les garanties juridiques de liberté de la discrimination religieuse (la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, par exemple) - avaient réglé la question. Pourtant, nous sommes en 2012 et la religion est au centre d’une variété de débats sur les politiques publiques dans des domaines aussi divers que la citoyenneté, la sécurité, l'emploi, le zonage municipal, l’éducation, la santé, la justice et les droits de la personne. La nouvelle présence publique de la religion a inspiré la Commission ontarienne des droits de la personne - qui a déjà une politique assez progressive sur la liberté religieuse et la protection contre la discrimination fondée sur « la croyance » (Commission ontarienne des droits de la personne, 1996) - à revoir la question.

Par conséquent, beaucoup sont perplexes et troublés par le retour de la religion dans la sphère publique. En fait, il n'y a rien de nouveau. Depuis sa fondation, la société de colons européens a eu du mal à identifier la meilleure façon de gouverner la diversité religieuse. En termes généraux, trois solutions ont été tentées : une seule église chrétienne soutenue par l'État avec peu de liberté religieuse (1608-1841), un « Canada chrétien », sans aucune église officielle, mais avec une culture décidément chrétienne et la coopération étatique avec un nombre limité d’églises chrétiennes « respectables » (1841-1960), et une société laïque avec une plus grande « séparation de l'Église et de l'État » et une approche multiculturelle de la religion (1960-aujourd’hui) (Bramadat et Seljak 2008). Après cinquante ans passés dans cette troisième phase, de nombreux Canadiens pensaient que tous les problèmes qui faisaient partie des phases précédentes (c.-à-d. une reconnaissance juridique insuffisante des religions et une protection insuffisante contre la discrimination) ont été résolus.

Paul Bramadat et moi-même (2012) avons fait valoir que ces questions ont émergé dans une période unique dans l'histoire canadienne, un interrègne entre le Canada laïque et post-laïque, c'est à dire, une société dans laquelle les communautés religieuses sont libres d’observer leur religion et de contribuer librement et justement à la vie publique, dans laquelle les communautés religieuses s’acceptent et se reconnaissent les unes les autres ainsi qu’une société prônant la neutralité de l'État (Casanova, 2008, p.113). Mon objectif dans ce bref texte est d'illustrer où nous en sommes maintenant (dans un Canada supposément laïque), quels sont les nouveaux développements sociaux qui ont surgi pour contester cet arrangement, et ce qui nous pousse vers une société post-laïque. De cette manière, j'espère contextualiser historiquement et socialement les efforts actuels de la Commission ontarienne des droits de la personne de mettre à jour ses politiques sur la liberté et la diversité religieuse.

Protéger la liberté religieuse dans une société changeante

Parce que de nombreux Canadiens ont cessé de penser à la religion, ils ne reconnaissent pas la persistance de l'intolérance religieuse (les attitudes, les valeurs et les croyances) et la discrimination (actions, pratiques et structures) - ni leurs effets pervers. Cependant, l'intolérance religieuse et la discrimination continuent de présenter d'importants obstacles aux objectifs de toute société qui se considère démocratique, égalitaire, participative et multiculturelle. L'intolérance religieuse et la discrimination prennent trois formes principales :

  1. Malgré de grands progrès sur certains fronts, de nombreux Canadiens n'ont pas surmonté les préjugés traditionnels religieux enracinés dans le lien historique entre le christianisme et l'identité nationale canadienne.
  2. En outre, de nouvelles formes d'intolérance religieuse et de discrimination ont été soulevées dans lesquelles les tensions entre les deux groupes – disons, entre les hindous et les sikhs ou les musulmans et les juifs - ne sont pas fondées sur l'histoire canadienne ou dans les relations entre les communautés locales au Canada, mais dans les récents conflits internationaux (par exemple, entre les communautés hindoues et sikhs en Inde après 1947 et entre juifs et musulmans au Moyen-Orient après 1948).
  3. Plus important encore, l'hypothèse que le Canada est une société laïque qui a essentiellement résolu le problème de l'intolérance religieuse et de la discrimination empêche les Canadiens de voir la « discrimination structurelle » ou le « désavantage religieux » soufferts par de nombreux groupes (Seljak, Benham Rennick, Schmidt, Da Silva & Bramadat 2007). Certains groupes religieux peuvent se trouver dans une situation désavantageuse simplement parce que le Canada laïque est structuré de façon à accueillir de grandes religions chrétiennes. Par exemple, le dimanche comme jour de repos commun permet à la plupart des chrétiens d'assister à des services religieux, tandis que les membres des petites communautés, comme les bouddhistes ou les hindous, ont souvent à déplacer leurs célébrations saintes le plus près possible d’un dimanche.

Les problèmes d’intolérance et de discrimination religieuses dans l’histoire canadienne

Les politiques actuelles de la Commission ontarienne des droits de la personne - ainsi que d'autres garanties juridiques de la liberté de religion - sont enracinées dans la tentative de corriger les injustices de l'histoire canadienne, plus précisément durant l’époque du Canada chrétien (environ 1841-1960). En fait, le Canada chrétien - essentiellement un compromis entre les bâtisseurs de la nation protestants et catholiques romains - n'a pas été aussi accueillant envers tous les types de christianisme. Les églises protestantes (anglicane, presbytérienne et unie) ont bénéficié du respect, de l'accès et du soutien spécial du gouvernement. L'Église catholique romaine a partagé ce statut spécial - d'une manière plus limitée. D’autres dénominations traditionnelles (les luthériens, les baptistes, etc.) ont également été incluses dans le cercle de la respectabilité. Toutefois, les groupes chrétiens plus marginaux comme les mennonites, les Témoins de Jéhovah, les Huttérites, les orthodoxes de l’Est et les évangéliques conservateurs ont été exclus (Seljak, Benham Rennick, & Shrubsole 2011). Bien qu'il n'y avait pas d’église étatique officielle ou d’« établissement » durant le premier siècle au Canada après la Confédération, les grandes églises ont formé ce que les sociologues appellent un « établissement d'ombre. » En termes généraux, pour être un (bon) Canadien, il fallait être un (bon) chrétien - de la même manière que l'on devait être blanc ou un homme. En effet, tout au long de l'histoire du Canada, le chauvinisme religieux et les préjugés ont le plus souvent convergé avec le racisme et le sexisme (ainsi que l’hétéro-sexisme et les préjugés de classe).

Les conséquences de cette hypothèse largement répandue (qu'être Canadien était d'être chrétien) ont été lamentables. C’était la base pour le licenciement de la spiritualité et du mode de vie autochtone, ainsi que pour les efforts visant à convertir et « civiliser » les peuples autochtones. Le point faible de cette triste histoire est certainement le système scolaire de jour et résidentiel administré par les églises chrétiennes (Miller, 1996). Cette hypothèse a également légitimé la discrimination contre les nouveau Canadiens non chrétiens, comme les Sikhs, les Hindous, les bouddhistes, les musulmans et les juifs. Ce qu'on oublie souvent, cependant, c'est que les groupes minoritaires chrétiens (comme les Doukhobors, les Mennonites, etc.) ont également été victimes de ce préjugé. En effet tous les non-conformistes ont vécu sous un nuage de discrédit, ce qui explique pourquoi les nouveaux mouvements religieux - comme ceux qui se sont propagés dans les années 1970 - ont été accueillis avec hostilité et suspicion généralisées, même si le Canada devenait une société plus laïque à l'époque. Enfin, il faut mentionner l'anticatholicisme que l'on trouve presque partout dans le Canada protestant d’avant les années 1960. Souvent lié à des préjugés contre les Canadiens français, qui étaient en grande majorité catholiques, l'anticatholicisme du premier siècle d'existence du Canada a également été lié au sentiment anti-immigrant qui visait les Irlandais, les Italiens, les Allemands, et d'autres nouveaux arrivants de l’Europe de l’Est et du Sud (Seljak, Benham Rennick, Schmidt, Da Silva & Bramadat 2007).

Protections juridiques de la liberté religieuse et sécularisation

Après la Seconde Guerre mondiale, et surtout pendant les années soixante, les attitudes envers la tolérance et la liberté religieuses au Canada ont commencé à changer. Afin d’aborder l'intolérance et la discrimination religieuses généralisées encore évidentes dans cette période, différents niveaux de gouvernement ont adopté des protections juridiques contre la discrimination fondée sur la « croyance ». Nos protections actuelles sont le produit de ces initiatives. Ainsi, la Charte canadienne des droits et libertés (1982), par exemple, garantit la liberté de religion et de conscience dans la section 2. La liberté contre la discrimination religieuse est également garantie dans la Loi sur le multiculturalisme canadien (1988), la Loi canadienne sur les droits de la personne (1985) ainsi que dans divers codes provinciaux des droits de la personne, la Loi sur l'équité en matière d’emploi (1995), et le Code canadien du travail (LR, 1985, c. L-2). Parallèlement à la garantie de protection contre la discrimination fondée sur la religion, ces lois - et en particulier la Charte – ont réduit le privilège chrétien dans la vie publique canadienne, ayant pour effet net la création d'une plus grande séparation de l'Église et de l'État.

La séparation de l'Église et de l'État et l'ensemble de la sécularisation de la société canadienne représentaient aussi, en partie, une tentative de résoudre le problème du privilège et de la discrimination religieuse contre des personnes de tradition religieuse minoritaire ou non-religieuse. La sécularisation a été adoptée dans la culture publique canadienne dans le cadre d’une stratégie visant à saper le privilège chrétien et la construction d'un État qui a démontré « un accès égal, une distance égale, un respect égal, ou un soutien égal à toutes les religions au sein de son territoire » (Casanova, 2008, p. 113). Il s'agit d'un projet toujours en cours, puisque les vestiges du Canada chrétien (le financement public des écoles catholiques dans un certain nombre de provinces, par exemple) demeurent.

Pourtant, après les années soixante, le christianisme a été de plus en plus exclu des décisions relatives à l'éducation,

aux soins de santé, aux services sociaux, et dans d'autres domaines de politique publique. De plus en plus, il a perdu son pouvoir de définir la moralité publique. Ainsi, par exemple, les tribunaux et le gouvernement ont changé les lois sur le divorce, le contrôle des naissances, l'avortement, le magasinage du dimanche, et même les unions de même sexe, et dans chaque cas se sont éloignés de l'application de l'éthique chrétienne sur la population canadienne.

L'effet net de ce « désétablissement social » du christianisme a été la privatisation de la religion. La religion a été de plus en plus définie comme appartenant à la sphère privée de l'intériorité personnelle, les relations familiales, les associations locales (qui est en fait la manière dont les communautés religieuses ont été redéfinies), et les groupes ethniques. C’était en grande partie cette forme privatisée de la religion, que Winnifred Fallers Sullivan (2008) identifie comme « privée, volontaire, individuelle, textuelle et crûe » (p.8), qui a reçu une protection en vertu du nouveau régime.

Nouveau défis

Depuis les années soixante, plusieurs tendances sociales ont remis en question la sécularisation et la privatisation de la religion, présentant de nouveaux défis à ceux qui souhaitent protéger la liberté religieuse et promouvoir la diversité religieuse. Par exemple, la libéralisation des lois sur l'immigration après 1968 a transformé le Canada en une société de plus en plus diversifiée, prenant en compte la croissance de communautés religieuses non-chrétiennes. De 1991 à 2001, le nombre de Canadiens se considérant eux-mêmes musulmans, hindous, sikhs ou bouddhistes dans le recensement canadien a augmenté de façon spectaculaire (Statistique Canada, s.d.). Même parmi les chrétiens, on peut constater une diversité croissante, avec des Canadiens de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique du Sud, et des Caraïbes qui remplissent désormais les bancs des églises. Ce nouveau cosmopolitisme religieux a poussé plusieurs à exprimer des sentiments anti-immigration sur les questions religieuses, telles que le port du hijab ou le kirpan. Les mouvements anti-immigration et racistes mettent maintenant en évidence la différence religieuse dans leur dénigrement de groupes de minorités ethniques et raciales. Cette nouvelle diversité a également conduit à de nouvelles formes d'intolérance et de discrimination dans laquelle les conflits transnationaux ethniques, politiques et religieux (et ethno-politico-religieux) se jouent maintenant sur le sol canadien.

Enfin, cette nouvelle diversité a contesté la forme « fermée » du modèle canadien de laïcité basée sur un modèle rigide de la privatisation de la religion. Comme la commission Bouchard/Taylor au Québec l’a observé, la laïcité « fermée » - avec l’hypothèse selon laquelle toutes les religions sont essentiellement non éclairées, tribales, anti-égalitaires et potentiellement violentes - fait partie du problème (Bouchard & Taylor, 2008). Pour de nombreux Canadiens, la formule « pour être un bon Canadien on doit être chrétien » a été remplacée par une nouvelle mouture : pour être un bon Canadien (égalitaire, démocratique, rationnel et multiculturel), il faut être laïque – ou il faut être, du moins, le bon type de personne religieuse, c’est-à-dire celle qui confine la religion à sa vie privée.

Ce dernier défi pose la question de savoir si la laïcité canadienne est effectivement « ouverte », c'est-à-dire égalitaire, démocratique, rationnelle et multiculturelle. Par exemple, l'État canadien démontre-t-il maintenant « l’accès égal, la distance égale, le respect égal ou un soutien égal à toutes les religions au sein de son territoire ? » Certains font valoir que, en fait, la laïcité canadienne est résiduellement chrétienne, c’est-à-dire qu’elle porte encore l'empreinte de son passé chrétien et, par conséquent, qu’elle n'a pas abordé suffisamment le privilège chrétien. Par exemple, nos grandes institutions sociales dans le domaine de l'éducation, de la santé et des services sociaux sont en grande partie structurées sur leurs prédécesseurs chrétiens - même si chacune a été soigneusement sécularisée. La culture canadienne publique est encore marquée par les valeurs chrétiennes sur ce qui est permis, raisonnable, souhaitable ou extrême. Par conséquent, le Canada laïque est plus ouvert aux communautés religieuses qui se sont adaptées aux normes libérales protestantes. Les controverses que nous voyons autour de la religion au Canada aujourd'hui se produisent lorsque les membres des diverses communautés religieuses refusent de vivre selon ces normes. Par exemple lorsqu’ils vont à l'encontre des normes généralement acceptées de l'égalité des sexes en portant un hijab sur un terrain de football, ou lorsqu’ils s'attendent à ce que la religion puisse jouer un rôle dans la vie publique, par exemple, en demandant un financement public pour les écoles juives.

Conclusion

De nombreuses institutions publiques, y compris la Commission ontarienne des droits de la personne - doivent repenser la protection de la liberté religieuse et la promotion de la diversité religieuse. Elles devront faire face aux formes traditionnelles de l'intolérance et de la discrimination, être sensibles aux formes émergentes de l'intolérance enracinées dans les conflits transnationaux, demeurer attentives à la confluence émergente du racisme et de l'intolérance religieuse et développer une sensibilité à la persistance du privilège chrétien. Enfin, ils auront besoin de travailler sur une définition plus large de la religion comprenant la diversité des croyances et pratiques religieuses que nous trouvons aujourd'hui au Canada. Car, en fin de compte, nous ne pouvons pas protéger ce que nous ne pouvons pas voir et la façon dont nous définissons la religion va déterminer ce que nous voyons - et ne voyons pas – comme étant digne de protection et de promotion. Le fait de porter attention à la nouvelle diversité religieuse au Canada nous donne les capacités de voir, pour la première fois, les contours, les qualités et les limites du régime laïque canadien des droits de la personne, et des protections pour la liberté et la diversité religieuses qui s’y trouvent. Un tel projet nous guidera dans notre transition vers une nouvelle définition de la laïcité, de la liberté religieuse, et de la diversité religieuse.


Références

Bouchard, G. & C. Taylor. (2008). Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation Rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles. Gouvernement du Québec (ISBN 978-2-550-53401-3 [PDF]). Accédé via le lien : http://www.accommodements.qc.ca/documen tation/rapports/rapport-final-integral-en.pdf.

Bramadat, P. & D. Seljak. (2012). Between Secularism and Post-Secularism : A Canadian Interregnum. Dans André Laliberté, Bruce Berman, & Rajeev Bhargava (Éds.), The Secular State and Religious Diversity : Secularism, Tolerance, and Accommodation. Vancouver : University of British Columbia Press, à venir.

Bramadat, P. & D. Seljak. (2008). Charting the New Terrain : Christianity and Ethnicity in Canada. Dans Paul Bramadat & David Seljak (Éds), Christianity and Ethnicity in Canada : 3-48. Toronto : University of Toronto Press.

Casanova, J. (2008). Public Religions Revisited. Dans Hent de Vries (Éd.), Religion : Beyond a Concept : 101-19. New York : Fordham University Press.

Miller, J.R. (1996). Shingwauk’s Vision : a History of Native Residential Schools. Toronto : University of Toronto Press.

Commission ontarienne des droits de la personne. (1996). Policy on Creed and the Accommodation of Religious Observances. Accédée via le lien : http://www.ohrc.on.ca/en/resources/PoliciesPolicyCreed AccomodEN/pdf.

Seljak, D., J. Benham Rennick & N. Shrubsole. (2011). Christianity and Citizenship. Dans P. Bramadat (Éd.), Religion and Citizenship in Canada : Issues, Challenges, and Opportunities : 14-54. Rapport préparé pour Citoyenneté et Immigration Canada par le Centre des études sur la religion et la société, Université de Victoria.

Seljak, D., J. Benham Rennick, A. Schmidt, K. Da Silva & P. Bramadat. 2007. Religion and Multiculturalism in Canada : The Challenge of Religious Intolerance and Discrimination. Report for the Strategic Policy, Research and Planning Directorate, Multiculturalism and Human Rights Program, Patrimoine canadien, Ottawa.

Sullivan, W.F. (2005). The Impossibility of Religious Freedom. Princeton, N.J. : Princeton University Press.

Statistique Canada. (s.d.) Overview : Canada still predominantly Roman Catholic and Protestant. Accédé via le lien : http://www12.statcan.ca/english/census01/Products/Analytic/companion/rel...

La relation entre les religions et la société laïque

Janet Epp Buckingham est professeure agrégée à l’Université Trinity Western et assume les fonctions de directrice du Centre de leadership Laurentien, un programme d’éducation permanente axé sur les politiques publiques avec hébergement incorporé établi à Ottawa. Auparavant, elle était directrice, droit et politiques publiques auprès de l’Alliance évangélique du Canada. Elle est avocate spécialiste de la liberté religieuse et des droits de la personne. Mme Buckingham a obtenu son baccalauréat en droit de l’Université Dalhousie. Elle a été admise au barreau et a exercé le droit en Nouvelle‑Écosse et en Ontario. Elle a obtenu son doctorat en droit à l’Université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, et sa thèse comparait la liberté religieuse au Canada et en Afrique du Sud.

Résumé

La première étape de l’élaboration d’une interface entre une société laïque et la religion consiste à définir le rôle de l’état « laïque ». Cet article cerne quatre interprétations du sens de « laïque » et présente des causes judiciaires qui utilisent différentes interprétations. En outre, il présente des raisons impérieuses en faveur de la protection des droits religieux. Après avoir examiné certains conflits frappants entre la religion et l’état laïque, l’auteure préconise l’inclusion totale des adeptes religieux dans la société canadienne.

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Chaque société a une culture dominante dont les racines sont généralement religieuses. Le Canada avait un éthos judéo-chrétien jusqu’à la montée de la laïcité dans les années 60. L’avènement de la Charte en 1982 a accéléré la laïcisation de la société canadienne. La laïcisation signalait que l’on abandonnait la religion comme source dominante des mœurs dans le monde occidental. Elle est également caractérisée par la montée de l’individualisme qui donne à l’individu plus d’importance qu’à la communauté. L’appartenance religieuse n’a plus d’importance pour la société canadienne, elle a plutôt tendance à éveiller des soupçons. Comment peut‑on alors justifier l’accommodement des adeptes des religions?

La religion est un élément fondamental de la dignité humaine. Pour de nombreux adeptes, elle est beaucoup plus qu’un choix de mode de vie, elle est leur essence propre. Enfreindre la liberté religieuse d’une personne ou l’obliger à désobéir à ses croyances religieuses, c’est attaquer son essence même[1]. Des études sociologiques ont démontré l’apport positif de l’appartenance religieuse pour le rendement scolaire, la vie de famille, le bien‑être et la contribution à la vie communautaire[2]. Les religions sont également le cadre des rites de passage marquant la naissance, le mariage et la mort.

Les religions encouragent généralement leurs adeptes à avoir un comportement éthique et à respecter les lois. Les adeptes religieux s’efforcent d’obéir aux lois et de respecter l’autorité de l’État. La religion favorise par conséquent une responsabilité morale[3]. Kelsay et Twiss avancent que « La coopération, le partage et l’altruisme peuvent être reliés au sentiment d’identité découlant des traditions religieuses »[4]. Les institutions religieuses sont une importante source d’activités humanitaires au Canada et à l’échelle internationale. Les adeptes religieux fournissent une grande partie du financement et la majorité du personnel bénévole pour ces institutions[5]. Cependant, « ces traditions se perdent lorsqu’elles sont éliminées du domaine de la vie publique »[6]. Il semble donc que, si l’appartenance religieuse est appréciée et accommodée, la société en bénéficie, car elle compte des citoyens qui se comportent bien et qui contribuent à son bien‑être. Par contre, si l’appartenance religieuse est dénigrée, si elle est marginalisée, si elle est exclue de la vie publique, la société non seulement perd les bienfaits que lui prodiguent les adeptes religieux, mais elle s’expose à une réaction défavorable de leur part.

Les opposants à la religion aiment focaliser les effets fractionnels de la religion, les conflits et les guerres qui ont des implications religieuses. Mais dans d’autres conflits, la religion a été un facteur positif pour la paix et la création d’États. Ainsi, en Pologne et en Allemagne de l’Est la société civile a débuté dans les sous‑sols des églises[7]. En Afrique du Sud, une journée nationale de prière a contribué à la paix relative qui a entouré l’élection générale de 1994[8]. Francis Fukuyama avance que la religion fait partie de l’« art de l’association » nécessaire au fonctionnement de la démocratie libérale[9]. L’attachement à une communauté religieuse favorise donc la participation aux institutions démocratiques et un sentiment de fierté envers celles‑ci.

La liberté religieuse est une des pierres angulaires d’une société libre. Le juge en chef Dickson a articulé très clairement le droit à la liberté religieuse dans le premier jugement de la Cour suprême du Canada sur l’article 2 a) de la Charte :

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l’égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j’affirme cela sans m'appuyer sur l’art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l’être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation[10].

Ces paroles sont inspirantes, mais en réalité les pratiques et enseignements religieux se heurtent souvent à la société laïque prédominante. Iain Benson a contribué à l’élaboration d’une typologie dans un article publié en 2000 intitulé « Notes Towards a (Re)Definition of the ‘Secular’ »[11] cernant les différents modes d’interaction entre un État laïque et la religion à l’intérieur de ses frontières :

  1. laïque neutre : l’État est expressément non religieux et ne doit appuyer la religion en aucune façon;
  2. laïque positif : l’État ne soutient pas les croyances religieuses d’une religion particulière, mais peut créer des conditions favorables aux religions en général;
  3. laïque négatif : l’État n’a aucune compétence en matière de religion, mais il ne peut agir de manière à entraver les manifestations religieuses qui ne menacent pas le bien commun;
  4. laïque inclusif : l’État ne doit pas être dirigé par une religion particulière, mais doit agir de manière à inclure la participation entière de différents groupes confessionnels, y compris de groupes non religieux.

Le terme « laïque » a donc plus d’un sens en ce qui a trait aux responsabilités de l’État à l’égard de la religion.

La cause Chamberlain c. Surrey School District no. 36[12] se distingue, car elle a défini le terme « strictement laïque » dans l’article 76 de la School Act de la Colombie‑Britannique[13]. Dans cette cause, on demandait à un conseil scolaire d’approuver trois manuels illustrant des parents homosexuels comme étant des « ressources documentaires éducatives ». Deux enseignants, tous deux membres de  Gay and Lesbian Educators (GALE), ont présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation d’utiliser les manuels dans les classes de maternelle et de première année. Lorsque le conseil scolaire de Surrey a tenu des audiences publiques sur l’approbation, il y eut beaucoup d’opposition de la part de dirigeants et d’adeptes religieux, mais également de personnes sans religion déclarée. La majorité des opposants convenaient que le contenu des manuels était controversé et que ces questions devaient être traitées dans des classes plus avancées. Le conseil scolaire a voté contre l’approbation des manuels. Les deux enseignants et d’autres ont réclamé un recours en révision, avançant que le conseil scolaire avait fondé sa décision sur des considérations religieuses.

La cause a généré cinq différentes opinions sur le sens de « strictement laïque ». La juge Saunders de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a déclaré : « Dans le milieu de l’enseignement, le terme laïque exclut la religion ou la croyance religieuse »[14]. En outre, elle a précisé : « Je conclus que les termes ‘dirigées selon des principes… strictement laïques’ préviennent une décision fortement influencée par des considérations religieuses. »[15] Elle a ensuite examiné les affidavits déposés par les dirigeants religieux[16] et les témoignages des administrateurs affirmant qu’ils étaient influencés par ces considérations et a conclu : « En donnant beaucoup d’importance aux préoccupations personnelles ou parentales selon lesquelles les manuels entreraient en conflit avec les convictions religieuses, le conseil a pris une décision fortement influencée par des considérations religieuses contrairement à l’exigence énoncée au paragraphe 76(1), à savoir que les écoles doivent être ‘dirigées selon des principes… strictement laïques’ »[17]. Ce raisonnement est assez clairement « laïque neutre ». La juge Saunders croit que l’État ne doit pas appuyer la religion même en autorisant l’examen d’arguments religieux par un organisme d’État.

La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a annulé la décision de la juge Saunders[18]. Le juge  Mackenzie, écrivant au  nom d’une cour unanime, a déclaré : « Interpréter le laïcisme comme étant l’imposition de la ‘non‑croyance établie’ plutôt qu’une simple opposition à la ‘croyance établie’ aurait pour effet d’interdire la religion du domaine public. »[19] Il a ajouté : « Aucune société ne peut être dite vraiment libre si seules les personnes dont la moralité est influencée par la religion peuvent participer aux délibérations liées aux questions morales d’éducation dans les écoles publiques. »[20] Le juge Mackenzie a confirmé la décision du conseil, car elle était fondée sur des préoccupations parentales. Cette décision permettait de débattre tous les arguments en public et laissait le processus démocratique trancher la question. C’est clairement « laïque inclusif ».

La cause a ensuite été portée en appel devant la Cour suprême du Canada. Trois juges ont rédigé des jugements. La juge en chef MacLachlin, écrivant au nom de la majorité a affirmé : « L’exigence de laïcité implique que, même si le conseil scolaire est libre de tenir compte des préoccupations religieuses des parents, il doit le faire de manière à accorder une même reconnaissance et un même respect aux autres membres de la collectivité. » Dans cette cause, par conséquent, les préoccupations de parents religieux ne pouvaient justifier l’exclusion d’un groupe minoritaire protégé, les familles ayant des parents homosexuels. Le raisonnement de la juge en chef MacLachlin semble correspondre au type « laïque négatif ». Elle paraît également suggérer que l’État était menacé d’être dirigé par une religion particulière, ce qui pourrait faire correspondre l’argument à la  définition « laïque inclusif ».

Le juge LeBel a rédigé un jugement concordant minoritaire voulant que la décision du conseil ait enfreint l’exigence que les écoles soient dirigées selon des principes « strictement laïques ». Il affirme ce qui suit : « La principale préoccupation qui a motivé la décision du conseil scolaire est de tenir compte des croyances religieuses et morales de certains parents – l’homosexualité est répréhensible – qui les amènent à refuser que leurs enfants soient exposés à des livres d’histoires illustrant des familles homoparentales. »[21] Cependant, il affirme que la juge Saunders a exagéré en disant que les convictions religieuses n’ont pas leur place dans le domaine public[22]. Au lieu de cela, seules les convictions religieuses intolérantes envers les autres ne peuvent être approuvées par le conseil et elles ne peuvent certainement pas constituer le fondement d’une décision de politique. Le raisonnement du juge Lebel démentit le motif « laïque négatif ».

Le juge Gonthier était en désaccord et a suivi l’approche du juge Mackenzie, affirmant qu’il incombe au conseil scolaire de prendre des décisions concernant les ressources et qu’il a le droit, est tenu certes, de prendre en considération l’opinion des parents de la collectivité. Le juge Gonthier ne semble pas préoccupé par l’existence d’une désapprobation morale de modes de vie. En outre, il refuse explicitement de reléguer la religion au domaine privé,  dans un « placard » religieux ou église[23], selon ses termes. Le juge Gonthier croit clairement que la société canadienne ne requiert pas un conformisme des philosophies de la vie. « Des personnes peuvent être en désaccord sur des questions importantes et un tel désaccord, lorsqu’il ne met pas en péril la vie en société, doit pouvoir être accommodé au cœur du pluralisme moderne. »[24] Comme c’est le cas pour le raisonnement du juge Mackenzie, l’argument du juge Gonthier concorde avec le paradigme « laïque inclusif ».

Lorsqu’il s’agit d’accommoder les pratiques religieuses individuelles, qui comprendraient la majorité des plaintes au motif des droits de la personne, le droit canadien semble appuyer l’allégation voulant que la société canadienne s’inscrive dans la quatrième catégorie, « laïque inclusif ». La Charte des droits et libertés prévoit une vaste protection pour la liberté de conscience et de religion en vertu du paragraphe 2 a) et une protection égale devant la loi indépendamment de toute discrimination, notamment de la discrimination fondée sur la religion en vertu du paragraphe 15 1). Les décisions de la Cour suprême du Canada appuient également cette interprétation de la place de la liberté religieuse dans la société canadienne. Dans la décision sur le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, la cour a déclaré sans ambages que la protection de la liberté de religion « a une portée étendue et est défendue jalousement. »[25] Cela a certainement été confirmé dans des causes comme Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys[26] qui a confirmé le droit d’un jeune sikh de porter le kirpan à l’école et Amselem c. SyndicatNorthcrest[27]qui a appuyé les droits des juifs orthodoxes d’observer la Souccoth en érigeant des structures sur leurs balcons malgré l’opposition du syndicat de propriétaires.

Ces modèles d’interprétation de la « laïcité » dans les droits de la personne en Ontario sont devenus très importants pour le traitement de questions complexes concernant l’interface entre les groupes religieux et la société. Un exemple controversé actuel est celui de l’établissement Valley Park Middle School à North York qui offre aux élèves musulmans un endroit où faire leurs prières du vendredi sous la direction d’un imam. L’école a accommodé les besoins religieux d’un nombre important d’élèves dans l’école. Cependant, les parents et des dirigeants religieux se sont demandé si cette décision n’était pas discriminatoire en elle‑même puisqu’elle assurait un « traitement spécial » à un certain groupe et donnait l’impression que l’école favorisait une religion particulière. D’autres ont exprimé des préoccupations concernant le traitement discriminatoire des filles, un droit de la personne concurrent. L’approche des juges Gonthier et Mackenzie ferait en sorte que la négociation autorise l’inclusion la plus vaste possible de la religion et des pratiques religieuses. L’approche de la juge MacLachlin autoriserait les prières musulmanes, pourvu que personne d’autre ne soit exclu. Les juges LeBel et Saunders auraient probablement exclu la pratique religieuse à l’école au motif que les écoles publiques ne sont pas un endroit approprié à la pratique religieuse. Il est évident que l’interprétation de l’interface entre la religion et la société laïque peut déterminer l’issue d’une plainte au motif d’une discrimination fondée sur la « croyance ».

Les réponses simplistes ne suffisent pas lorsque l’on traite la place de la pratique religieuse et de l’accommodement religieux dans une société multireligieuse et, pourtant, laïque. Je ferais valoir que l’approche laïque inclusive devrait servir de point de départ et favoriserais l’inclusion et l’accommodement maximums de la pratique religieuse. La religion est très importante pour les adeptes et l’on devrait la respecter dans la mesure du possible.


Notes

[1] Charles Taylor défend la reconnaissance des « caractéristiques qui nous définissent fondamentalement comme êtres humains » dans l’article « The Politics of Recognition » publié initialement dans Multiculturalism, Amy Gutman (éd.), (Princeton: 1992); publié de nouveau dans Philosophical Arguments, Charles Taylor, (Cambridge, Mass.: 1995).

[2] E.H. Schludermann, S. Schludermann et C. Huynh, « Religiosity, Prosocial Values, and Adjustment among Students in Catholic High Schools in Canada » (2000), 21 Journal of Beliefs & Values 99; Kurt Bowen, Religion, Participation, and Charitable Giving:  a report, (Toronto: 1999); Warren Clark, « Pratique religieuse, mariage et famille », (automne 1998) Tendances sociales canadiennes, Statistique Canada; B.G.F. Perry, « The Relationship between Faith and Well-Being » (1998), 37 Journal of Religion and Health 125; M. Baetz, R. Bowen, G. Jones et T. Koru-Sengul, « How spiritual values and worship attendance relate to psychiatric disorders in the Canadian population », (2006), 51 Canadian Journal of Psychiatry 654.

[3]Winnifred Fallers Sullivan, Paying the Words Extra: Religious Discourse in the Supreme Court of the United States, (Cambridge: 1994), p. 163.

[4] John Kelsay et Sumner Twiss, (éd.), Religion and Human Rights, (Waco: 1994), p. 3.

[5] Statistique Canada, Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation (Ottawa : 2004).

[6]Idem, p. xi.

[7] Douglas Johnston et Cynthia Sampson, (éd.) Religion, The Missing Dimension of Statecraft, (New York: 1994).

[8] Michael Cassidy, A Witness Forever – The Dawning of Democracy in South Africa; Stories behind the Story, (London: 1995).

[9]Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, (New York: 1992), p. xix.

[10]R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295. La cour a annulé la Loi sur le dimanche pour le motif qu’elle enfreignait la liberté religieuse, car elle avait un objectif religieux, à savoir faire observer le sabbat chrétien. 

[11] Iain Benson, « Notes Towards a (Re)Definition of the ‘Secular’ », (2000), 33 U.B.C.L.R. 519.

[12](1998), 60 B.C.L.R. (3d) 311 (S.C.); (2000), 80 B.C.L.R. (3d) 191 (C.A.); [2002] 2 R.C.S. 710.

[13] R.S.B.C. 1996, c. 412.

[14]Supra note 12, 60 B.C.L.R., au par. 78.

[15]Idem.

[16]Des dirigeants chrétiens, hindous, musulmans et sikhs ont déposé des affidavits.

[17]Supra note 12, 60 B.C.L.R., para. 95.

[18]Supra note 12, 80 B.C.L.R.

[19]Idem para. 30.

[20]Idem para. 34.

[21]Supra note 12, R.C.S., para. 189.

[22]Idem para. 209.

[23]Idem para. 135.

[24]Idem para. 137.

[25][2004] 3 R.C.S. 698, para. 53.

[26][2006] 1 R.C.S. 256.

[27][2004] 2 R.C.S. 551.

 

La chaînon manquant : Tolérance, accommodement et... égalité

Lori G. Beaman, Ph.D. est Chaire de recherche du Canada sur la conceptualisation de la religion dans le contexte multiculturel canadien et Professeur au Département des études classiques et religieuses à l’Université d’Ottawa. Ses publications comprennent : Defining Harm : Religious Freedom and the Limits of the Law (UBC Press, 2008) ; “Is Religious Freedom Impossible in Canada ?” dans Law, Culture, and the Humanities (2010) ; et “‘It was all slightly unreal’ : What’s Wrong with Tolerance and Accommodation in the Adjudication of Religious Freedom ?” dans Canadian Journal of Women and Law (2011). Elle est co-éditrice, avec Peter Beyer, de Religion and Diversity in Canada (Leiden : Brill Academic Press, 2008). Elle est chercheur principal d’une équipe de recherche internationale comptant 36 membres et qui étudie la religion et la diversité (religionanddiversity.ca).

Résumé

Ce texte encourage à repenser les idées de tolérance et d'accommodement, et suggère que ces concepts peuvent être inappropriés dans un pays qui a une histoire de diversité, de multiculturalisme et d'égalité. Le texte examine les contextes dans lesquels le langage de la tolérance et de l’accommodement est situé. Il fait valoir que la tolérance et l’accommodement créent des hiérarchies, dans lesquelles des majorités confèrent des avantages aux minorités. Bien que l'égalité soit le cadre privilégié, une flexibilité conceptuelle suffisante permettant l'inclusion de notions comme le « respect » est nécessaire pour assurer la protection la plus robuste possible de la croyance. Enfin, le texte suggère qu'il existe un obstacle majeur à l'identification des meilleures pratiques, à la fois pour les négociations au jour le jour de la différence religieuse, pour les décideurs politiques et juridiques, et pour les fournisseurs de services. Bien qu'il existe des récits négatifs qui persistent, il n'y a pas de récits positifs semblables persistants qui récupèrent des récits de négociations réussies. Ce n'est qu'à partir de ces récits, ou du savoir ascendant, que les meilleures pratiques et des politiques réussies peuvent être développées.

Introduction

L’accroissement de l'immigration, un nouveau débat public sur la place de la religion dans la société, et l'engagement du Canada et de l'Ontario en matière de multiculturalisme exigent un artisanat minutieux des politiques et des lois relatives à la liberté religieuse. Le langage utilisé dans la protection, les politiques et les processus de droits de la personne, ainsi que les cadres conceptuels dans lesquels les conflits sont résolus, à la fois en droit et dans la vie de tous les jours, circulent des messages importants sur la valeur relative des croyances et des pratiques des citoyens pour la société.

Le présent texte examine l’accommodement de la croyance et de la pratique religieuse dans des contextes divers. Plus précisément, il encouragera une remise à plat des idées de tolérance et d'accommodement, et suggère que ces concepts sont peut-être inappropriés dans un pays qui a une histoire de diversité, de multiculturalisme et d'égalité. Le texte examine les contextes dans lesquels le langage de la tolérance et de l’accommodement est situé (dans les lois, le dialogue interreligieux et le discours public). Il propose une exploration critique des hiérarchies créées par les concepts de tolérance et d'accommodement, et propose un rajeunissement de l'idée d'égalité en tant que cadre directeur pour la négociation de la différence religieuse, tout en laissant ouverte la possibilité qu'il existe une marge conceptuelle pour l’accommodement et le respect en tant que principes importants dans les conversations au sujet de la diversité. Enfin, je soutiens qu'une protection robuste de la croyance ne peut être accomplie qu’en puisant dans les récits positifs glanés de ceux qui travaillent sur les différences sur une base quotidienne. Ce n'est qu'à partir de ces récits, ou du savoir ascendant, que les meilleures pratiques et des politiques réussies peuvent être développées. Bien que la loi puisse fixer les normes de règlement des différends, le respect des autres et leur engagement à trouver des moyens créatifs pour réaliser l'égalité repose, en fin de compte, dans les mains de ceux qui rencontrent la différence, l’uniformité, et la similitude dans leur vie quotidienne.

Le Code des droits de la personne de l’Ontario et la Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses

Le Code ontarien des droits de la personne s’ouvre par un préambule qui nous rappelle les droits égaux et inaliénables de tous les membres de la famille humaine mettant l'accent sur la dignité, la valeur et la création d'un climat de « compréhension et de respect mutuel » afin que « chaque personne se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement au développement et au bien-être de la collectivité et la province ». Le Code poursuit en visant à interdire la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs, y compris la croyance, dans un certain nombre de domaines, y compris l'emploi, le logement, les contrats et les organisations professionnelles. Le Code utilise le langage de l'égalité pour établir ces droits, dans chaque section commençant par « 1. Toute personne a droit à un traitement égal en matière de [...] »

La croyance ici est lue comme la religion, bien que sa signification exacte ne soit pas définie dans le Code. La Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses de la Commission ontarienne des droits de la personne tente une clarification qui suit un peu les discussions sur la religion basées sur la Charte, y compris une approche subjective de l'interpré-tation de ce qui est englobé dans le cadre des protections et des considérations du Code, tant que les croyances, les pratiques et les observances soient, dans les mots de la politique, sincères. Bien que la croyance ne comprenne pas les croyances morales laïques, les croyances éthiques ou les convictions politiques, conformément à la Politique, la protection des personnes contre le fait d’être forcé d’accepter ou de se conformer à une autre croyance ou pratique religieuse implique une protection de ces croyances aussi. L’introduction de la Politique est également intéressante pour l'idée des « besoins du groupe », qui est une reconnaissance explicite du rôle du groupe religieux dans ce domaine. Enfin, la politique fait remarquer que la liberté de religion est le « principe de base » qui informe le droit à un traitement égal pour ce qui est de la croyance, et que cela comprend à la fois la facilitation des obser- vances religieuses aussi bien que le fait que personne ne puisse forcer quiconque à se conformer à une croyance ou pratique religieuse.

Malgré l'accent du Code en matière d'égalité et de dignité, la politique implique le langage de l’accommodement dans ses éclaircissements. Par exemple, dans la section « Besoins du groupe », nous voyons « Les besoins des groupes doivent être évalués pour tenir compte de l'individu », ce qui semble être en tension et en contradiction avec l'approche subjective. La section souligne également l'objectif d'établir la pratique religieuse comme étant d’« accueillir » l'individu plutôt que de comprendre comment instaurer des politiques, des pratiques et des approches qui peuvent créer une situation « amoindrie » dans laquelle les gens se sentent méprisés et non, en fait, égaux. Bien que le Code mentionne l'obligation d'accommodement que par rapport à la discrimination indirecte (art. 11), la politique présente un accommodement de façon plus générale, lorsque « les croyances religieuses d’une personne entrent en conflit avec une exigence, une qualification, une pratique » et en outre que l’« accommodement peut modifier un règlement ou faire une exception à tout ou une partie de celui-ci pour la personne qui demande un accommodement. » (7)

L'obligation d'accommodement se trouvait dans le domaine de l'emploi et du handicap jusqu'à relativement récemment, et bien qu'elle ait été critiquée dans ce domaine aussi, il peut y avoir de bonnes raisons de continuer à l'utiliser pour trier les négociations sur les besoins religieux entre employeurs et employés. Toutefois, dans des cas comme l'appartenance à des associations communautaires, par exemple, l'égalité plutôt qu'un cadre d’accommodement peut être un meilleur choix.

Le glissement entre égalité et accommodement : quel est le Problème avec l’accommodement ?

La Politique sur la croyance de la Commission ontarienne des droits de la personne est en bonne compagnie. Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont eu du mal à élaborer une formule pour la gestion de la diversité religieuse.

L'accommodement raisonnable s'est infiltré non seulement dans la politique légale et publique, mais la conversation publique et le discours sur la diversité religieuse aussi. Parce que des régimes de droits comme celui de l'Ontario sont en grande partie plus accessibles au grand public que sont les mécanismes complexes et coûteux de droit constitutionnel et de la Charte, ils représentent des frontières perméables entre le droit et la société.

Bien que de nombreuses personnes conviennent que le langage de la tolérance et dans une certaine mesure d’accommodement peut être problématique, elles insistent aussi que l’accommodement peut impliquer ou faire partie de l'égalité. Mon inquiétude est que ces termes nous fixent en place d'une manière qui ne se rend jamais tout à fait à l'égalité. Ils ne nous forcent pas à repenser les inégalités structurelles d'une manière qui pose à nu la différence et qu’une obligation de réaliser l'égalité réelle peut faciliter. Le langage de la tolérance et, plus récemment, les accommodements raisonnables, est venu à dominer le discours populaire et juridique lié à la gestion ou à la réponse à la diversité religieuse. Bien que la tolérance ait été un peu moins « tolérée » récemment, l'accommodement raisonnable a acquis un statut comme mode de cadrage pour toute discussion sur la négociation de la diversité religieuse de tous les jours. Quel est le problème avec le fait de « tolérer » les autres comme base pour le dialogue ? Pourquoi le fait d’accommoder quelqu'un est-il problématique ?

Dans sa « Lettre sur la tolérance » de 1689, John Locke a plaidé en faveur de la tolérance, à l'exception des athées et des catholiques romains. Cette exemption illustre le problème fondamental de fonder la négociation de la différence religieuse sur la tolérance ou l’accommodement : les deux cadres créent un positionnement hiérarchique du « nous » et « eux » qui est conceptuellement inévitable. Il y a eu quelques questionnements importants sur l'utilisation de la tolérance pour négocier la différence, par des universitaires tels que Wendy Brown (2006, 2010), Janet Jakobsen et Ann Pellegrini (2004). Cette dernière affirme : « comment se sent-on à l'extrémité de la réception de cette tolérance ? Le sentiment est-il vraiment différent du mépris ou de l'exclusion ? »(14). Alan Wong (2011) a demandé « raisonnable selon qui ? » Day et Brodsky (1996) ont écrit une critique perspicace de l'utilisation juridique de l'accommodement raisonnable il y a presque 20 ans. Depuis, l’utilisation des accommodements raisonnables s’est élargie plutôt que contractée dans le contexte de la loi (et ailleurs). Les critiques sont aussi venues de l'extérieur de la communauté universitaire alors que certains chefs religieux ont remis en question l'utilisation de la tolérance comme point de départ pour le dialogue interreligieux2. L'espace ne permet pas une discussion plus détaillée de ces concepts ici, sur lesquels j'ai écrit plus en détail ailleurs (Beaman 2012).

Alors que les critiques théoriques de l’accommodement sont intéressantes pour les universitaires, ceux qui travaillent sur le terrain, comme la Commission ontarienne des droits de la personne, le Tribunal et les personnes qui comparaissent devant eux ou leur demande leur avis sont peut-être plus intéressés par des politiques concrètes qui peuvent aider à négocier la différence sur une base quotidienne et par des lignes directrices claires pour aider à prendre des décisions justes et équitables qui garantissent que la déclaration d'ouverture du Code des droits de la personne, qui met l'accent sur la dignité, l'égalité, le respect et l'appartenance à la communauté, puisse être respectée. Il y a un large éventail de cas qui se présentent devant la Commission et le Tribunal, et l'on peut trouver une grande variété d'outils utilisés pour interpréter les croyances et leur protection, y compris l’accommodement, la tolérance, les approches à l’égalité formelles et de fond, ainsi que le respect.

Bien que l'égalité dans un sens matériel ou profond plutôt qu’en point de vue formel soit idéale, elle peut aussi avoir besoin d'être soutenue par d'autres outils conceptuels afin de s'assurer qu'elle demeure suffisamment souple pour assurer une protection robuste de la croyance. L'affaire Modi c Paradise Fine Foods Ltd illustre ce point. Le plaignant s’est engagé dans une discussion dans un comptoir de viandes halal qu’il fréquentait souvent. La discussion a dégénéré en une altercation lorsqu’il a donné suite aux commentaires du boucher que l'Afrique serait bientôt entièrement musulmane en répondant que ce serait aux Africains de décider. La preuve suggère que le boucher se serait mit en colère, aurait jeté un poulet congelé au plaignant et à un autre client, puis le propriétaire s’est joint au boucher et a jeté des canettes de bière au plaignant. Le tribunal a jugé en faveur des plaignants, ordonnant le paiement de dommages et que le boucher assiste à un programme de formation à ses propres frais. Ni la notion d'accommodement ou d'égalité ne fonctionne particu-lièrement bien dans ce cas, laissant ainsi ouverte la question de savoir comment mettre en oeuvre une politique publique qui intègre la notion de respect. Un défi semblable se pose dans Yousufi c Toronto Police Services Board, un cas du service de police de Toronto dans lequel un agent a fait une « blague » à un collègue musulman, appelant pour signaler qu'il avait été impliqué dans les attaques du 11 septembre. Il est difficile d’utiliser un cadre d’accommodement ou d’égalité dans une situation comme celle-ci, et c'est le respect qui semble un idéal plus approprié.

La gamme de situations qui se présentent devant le Tribunal signifie que les approches et les politiques doivent être à la fois claires dans leur protection des parties ainsi que de contenir la souplesse nécessaire pour guider les employeurs, les associations, et les entreprises par rapport à la croyance.

Les défis d’atteindre un modèle d’égalité

Bien que j'aie soulevé quelques-uns des problèmes d’accommodement et aie plaidé pour un langage et un cadre conceptuel d'égalité, je ne donne certes pas de détail sur les spécificités. À mon avis il y a une pierre d'achoppement majeure pour identifier les meilleures pratiques à la fois pour les négociations de la différence religieuse de tous les jours, pour les décideurs politiques et juridiques, et pour les fournisseurs de services. Plus précisément, il n'y a eu aucune étude systématique ou sociale sur la façon dont les différences religieuses est négociée avec succès sur une base quotidienne. Bien qu'il existe des récits négatifs persistants, rendus publics par la Commission Bouchard-Taylor, il n'y a pas de récits positifs persistants semblables qui récupèrent des récits de négociation réussie. En outre, ce n'est qu'à partir de ces récits, ou du savoir ascendant, que les meilleures pratiques et des politiques réussies peuvent être développées. Que peuvent nous dire les petits détails des pratiques de tous les jours pour la négociation de la différence religieuse?

Une analyse systématique pourrait nous dire comment le dialogue s’ouvre, comment il est rendu possible, quelles sont les conditions dans lesquelles il est habilité. Elle peut révéler les moyens par lesquels la religion est dé-essentialisée. Comment les personnes sont-elles considérées, non seulement comme individus, mais en tant que membres de groupes religieux qui sont eux-mêmes des acteurs sociaux en plus d'être le contexte dans lequel les individus encadrent parfois leurs identités ? Bien qu'il soit facile de parler de « trop d’accommodements », mais « trop d'égalité » est moins compréhensible dans nos contextes constitutionnels et sociaux actuels. C'est ici, en traçant les succès de l'interaction humaine que nous allons trouver une meilleure description et compréhension de l'égalité profonde.

Avec ces limites et défis à l'esprit, quelles seraient certaines suggestions utiles à la réflexion sur les politiques liées à la discrimination sur la base de la religion ou de la croyance ? Dans une certaine mesure le Code et la politique ont déjà identifié quelques-uns des aspects clés pour une approche qui favorise l'équité, la justice et l'égalité :

Tout d'abord, le devoir d'informer. L'obligation actuelle de ceux qui ont des besoins liés à leurs croyances religieuses à informer les personnes autour d'eux est une approche raisonnable à adopter. Bien qu'elle puisse être critiquée parce qu’elle place la charge sur les praticiens religieux plutôt que sur ceux qui les entourent, et ceci à son tour pouvant entraîner une privatisation de la religion, la recherche dans laquelle j'ai été impliquée suggérerait que c'est la meilleure approche. Il y a au moins deux raisons pour cela : i. la religion est la seule source d'identité et pour certaines personnes elle n'est pas celle qu'ils souhaitent mettre en évidence, ou sur laquelle ils souhaitent conserver le contrôle au moment où elle est mise en évidence. ii. si nous voyons la religion comme un phénomène subjectif, ou « vécu », il est clair que tout le monde ne la pratique pas de la même manière. Cela conduit au deuxième aspect.

Deuxièmement, éviter d’assumer l'orthodoxie. Il y a une tendance, lorsqu'il s'agit de groupes religieux qui ne nous sont pas familiers, de les essentialiser, souvent de manière orthodoxe. Ainsi, tous les musulmans ne nécessitent pas un espace de prière, ce ne sont pas tous les Sikhs qui portent le kirpan, et ainsi de suite. Les groupes religieux et les individus eux-mêmes se plaignent que l'essentialisation les pousse vers une orthodoxie de pratique qui est inappropriée. Ainsi la différence au sein du groupe et entre les groupes de la même foi questionne l’approche unique. À l'autre extrémité du spectre se trouve l'hypothèse que, parce que certains membres d'un groupe ne se livrent pas à une pratique spécifique alors aucun membre du groupe ne devrait le faire ; ce type de généralisation devrait également être évité.

Troisièmement, développer une approche à plusieurs niveaux. Il se peut que les « accommodements raisonnables » puissent être l'approche la plus sensible dans le contexte de l'emploi. Toutefois, étant donné l'accent mis sur l'égalité dans le Code des droits de la personne et la Charte, il semble impératif de se demander si l'égalité peut être mieux réalisée dans d'autres types de situations avec une approche alternative qui évite le langage hiérarchique et favorise un sentiment profond de l'égalité et du respect de la différence.


Notes

  1. Cette recherche est financée par le Conseil sur la recherche en sciences humaines, soutien pour lequel je suis très reconnaissante. Remerciements à Morgan Hunter pour son aide éditoriale ainsi qu’à Heather Shipley pour ses commentaires sur une première ébauche.
  2. Lois Wilson, par exemple, ancienne modératrice de l'Église Unie du Canada, a contesté l'utilisation de la tolérance dans son allocution lors du congrès Sacred and Secular in Global Canada qui s'est tenu au Collège universitaire Huron.

Références

Beaman, Lori G. 2012. “Deep Equality : moving beyond tolerance and accommodation.” Impetus Magazine. Winter. http://www.chicago manualofstyle.org/tools_citationguide.html.

Brown, Wendy. 2006. Regulating Aversion : Tolerance in the Age of Identity and Empire. Princeton, NJ : Princeton University Press.

Brown, Wendy. 2010. Walled States, Waning Sovereignty. Cambridge, MA : MIT Press.

Day, Shelagh, and Gwen Brodsky. 1996. “The Duty to Accommodate : Who Will Benefit ?” Canadian Bar Review 75 : 433-73.

Jakobsen, Janet R. and Ann Pellegrini. 2004. Love the Sin : Sexual Regulation and the Limits of Religious Tolerance. New York : Beacon Press.

Locke, John. 1689. “A Letter Concerning Toleration.” Constitution Society. http://www.constitution.org/jl/tolerati.htm.

Commission ontarienne des droits de la personne. 1996. Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses. http://www.ohrc.on.ca/en/resources/Policies/PolicyCreed AccomodEN/pdf.

Wilson, Lois. 2008. Présentation au congrès Sacred and Secular in Global Canada, Huron University, London ON, 9-12 May.

Wong, Alan. 2011. “The Disquieting Revolution : A Genealogy of Reason and Racism in the Quebec Press.” Global Media Journal : Canadian Edition 4(1) : 145-162.

Liste d’arrêts

Modi c. Paradise Fine Foods Ltd., 2007 HRTO 12.

Yousufi c. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 351.

Lois

Code des droits de la personne, R.S.O. 1990, CHAPTER H.19.

 

Deux erreurs en relation avec le respect des droits religieux : Dresser un mur entre la religion et l'éthique/la morale et traiter tous les types d'employeurs

Avocat associé principal, au cabinet Miller Thomson, LLP, Iain T. Benson* exerce dans les domaines suivants : administration, examen juridique (travail et droits de la personne), droit constitutionnel et sujets juridiques et médicaux. Il se spécialise dans la prestation de conseils dans le domaine des droits et libertés et s’intéresse particulièrement au droit constitutionnel et à la Charte canadienne des droits et libertés. Il est chargé de recherches au Chester Ronning Centre for the Study of Religion and Public Life de l’Université de l’Alberta et siège au conseil fondateur (de 12) et au comité directeur (de 4) du Global Centre for Pluralism, un projet conjoint du gouvernement du canada et de l’Aga Khan Development Network, établi à Ottawa, qu’il sert en compagnie, entre autres, de Son Honneur l’Aga Khan (président), Kofi Annan et Son Excellence, la très honorable Adrienne Clarkson (ancienne Gouverneure générale du Canada). Il a également été nommé professeur extraordinaire, département de droit constitutionnel et de philosophie du droit, faculté de droit, Université de l’État libre, Bloemfontein, Afrique du Sud.

Résumé

Cet article propose que la « croyance » et la religion doivent être interprétées comme étant quelque chose qui étaye ce qu’une personne rend public et que cela inclut nécessairement des croyances qui peuvent influencer (et le font souvent) la « moralité et l’éthique » et même la « politique ». Deuxièmement, la religion peut être diminuée, car au regard des employeurs religieux, on n’a pas suffisamment prêté attention au type de projet religieux qui est en cause lorsqu’un employé conteste les règles religieuses de l’employeur. L’accent a, dans quelques cas, été mis sur la nature des fonctions du poste plutôt que sur la nature de l’association religieuse ou du projet lui‑même. 

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Cet article examine deux questions importantes concernant la façon dont nous considérons la définition de la « croyance » ou de la « religion » et la façon dont nous traitons un organisme qui souhaite masquer son comportement discriminatoire en ayant recours à l’exemption pour emploi particulier prévue à l’article 24 du Code.  

La religion peut recevoir (et a reçu) une interprétation atténuée de sorte qu’elle est restreinte de manières inappropriées à la nature du droit public (et non simplement privé) et associatif (et non simplement individuel). Cet article propose premièrement que la « croyance » et la religion doivent être interprétées comme étant quelque chose qui étaye ce qu’une personne rend public et que cela inclut nécessairement des croyances qui peuvent influencer (et le font souvent) la « moralité et l’éthique » et même la « politique ».   

Deuxièmement, la religion peut être diminuée, car au regard des employeurs religieux, on n’a pas suffisamment prêté attention au type de projet religieux qui est en cause lorsqu’un employé conteste les règles religieuses de l’employeur. L’accent a, dans quelques cas, été mis sur la nature des fonctions du poste plutôt que sur la nature de l’association religieuse ou du projet lui‑même. Il y a différents types d’employeurs religieux et c’est une erreur de les traiter de la même façon lorsqu’on examine si les fonctions du poste sont considérées comme étant « essentielles » ou « incidentes » au projet religieux lui‑même. On devrait focaliser non pas le type de travail accompli par le projet religieux, mais plutôt le type de projet religieux concerné.  

Atténuer l’interprétation de la croyance en excluant les convictions éthiques, morales ou politiques fondées sur la religion

Le document sur la croyance de la Commission ontarienne des droits de la personne[1] renferme une définition positive et une qualification négative. 

Du côté positif, le document énonce ce qui suit :

 « On entend par croyance une « croyance religieuse » ou une « religion », ce qui est défini par un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte. » Le terme « croyance » est défini de façon subjective. Le Code protège les convictions, pratiques et observances religieuses personnelles, même si elles ne sont pas un élément essentiel de la croyance, pourvu qu’elles soient entretenues de façon sincère (en italique dans l’original).

Du côté négatif, le document affirme que :

« Le terme croyance ne comprend pas les convictions profanes, morales ou éthiques ni les convictions politiques. »

La raison d’être de la protection est la suivante :

… chaque personne a le droit de vivre à l'abri de la discrimination ou du harcèlement fondé sur sa religion ou sur le fait qu'elle ne partage pas la religion de la personne qui la harcèle. Ce principe s'applique également lorsque les personnes visées par le comportement discriminatoire n'ont aucune conviction religieuse, y compris les personnes athées ou agnostiques, qui elles aussi bénéficient de la protection définie dans le Code.

Le document sur la croyance est antérieur aux décisions de la Cour suprême du Canada dans le domaine de l’adaptation et de la religion comme Chamberlain[2], Amselem[3] et Multani[4]. Il devra être mis à jour et révisé en profondeur lorsque ces décisions seront considérées d’une manière plus large pour accorder plus de respect à la nature de la croyance religieuse et des projets religieux dans la société.  

On se souviendra que la Charte canadienne des droits et libertés (1982) renferme un principe interprétatif obligatoire énonçant ce qui suit : 

Article 27 : Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens[5].

La diversité est un principe qui a été reconnu comme étant important pour la société canadienne et elle est souvent reconnue en vertu du principe d’acceptation qui fait partie « des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique ». La phrase « une société libre et démocratique » est un des concepts fondamentaux selon lesquels toutes les restrictions de la Charte des droits et libertés sont mesurées dans l’article 1 de la Charte. Ce lien entre l’adaptation et la diversité est mis en valeur dans le passage suivant de la décision de la Cour suprême du Canada R. c. Oakes où le juge en chef Dickson a discuté de la « norme fondamentale » de l’article 1 comme suit :

L’inclusion de ces mots [société libre et démocratique] à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l’objet même de l'enchâssement de la Charte dans la Constitution: la société canadienne doit être libre et démocratique. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous‑jacents d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu’une restriction d’un droit ou d’une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer[6].

On constate d’après ce qui précède que l’acceptation « d’une grande diversité de croyances » et le respect de « chaque culture et de chaque groupe », évoquant tous deux une reconnaissance solide de la place des associations (y compris des associations religieuses) et de la diversité, a été au cœur de l’interprétation canadienne de notre société libre et démocratique.

L’utilisation particulière du terme « profane » dans le document sur la croyance et l’exclusion des convictions éthiques et morales de la religion, rejetée par la Cour suprême du Canada dans la cause Chamberlain, contredisent directement la politique actuelle sur la croyance.

 Dans la cause Trinity Western University, on a déclaré ce qui suit au nom de la majorité de huit juges :

La diversité de la société canadienne se reflète en partie dans les multiples organisations religieuses qui caractérisent le paysage social et il y a lieu de respecter cette diversité d’opinions[7].

Dans un passage célèbre et souvent cité, le juge en chef Dickson a déclaré dans la première décision de la Cour suprême du Canada traitant de la liberté de conscience et de religion dans le paragraphe 2 a) de la Charte :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation[8].

Ainsi, le droit de mettre en pratique ses croyances religieuses, de les enseigner et de les propager est reconnu comme un aspect important de la liberté de religion. La manifestation des croyances et des pratiques religieuses inclut nécessairement la mise en pratique de convictions éthiques et morales fondées sur la religion, sinon la religion est pratiquement dépourvue de pertinence puisque ce sont l’éthique et la morale qui sont le résultat pratique de nombreuses croyances religieuses (par exemple, le pacifisme, la promotion de l’avancement social ou l’opposition à des pratiques comme la peine de mort ou l’avortement). Dans le document sur la croyance, la religion reçoit une interprétation atténuée injustifiée selon laquelle certains considèrent certaines pratiques éthiquement ou moralement moins pertinentes que les pratiques éthiques et morales découlant des croyances religieuses.

La religion et les enseignements religieux jouent un rôle culturel important dans la formation de positions éthiques et morales; toute réflexion sur la montée des mouvements pour la défense des droits civiques ou sur les arguments (au Canada) en faveur d’un système de santé national, tous grandement favorisés par des figures et des mouvements religieux (le pasteur Martin Luther King Jr. ou le pasteur Tommy Douglas et le N.P.D. au Canada), devrait suffire à faire ressortir ce point sans élaborer davantage.

Il est étonnant de constater que la jurisprudence canadienne n’a pas reconnu à ce jour l’importance du rôle des religions dans la formation des croyances éthiques et morales comme on l’a fait ailleurs[9]. Voici un extrait d’un arrêt‑clé de la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud :

La relation avec Dieu ou la création est au cœur des activités de nombreux croyants. Elle concerne leur capacité à se situer par rapport à leur sentiment de soi, à leur communauté et à leur univers. À des millions de personnes dans toutes les couches de la société, la religion offre un soutien et une consolation ainsi qu’un cadre de stabilité individuelle et sociale et de croissance. La croyance religieuse a la capacité de donner naissance aux concepts de confiance en soi et de dignité humaine qui sont les pierres angulaires des droits de la personne. Elle influence l’opinion du croyant sur la société et constitue le fondement de la distinction entre le bien et le mal[10].

La distinction entre le bien et le mal est l’essence même de l’éthique et de la moralité. Il faut éviter soigneusement la tendance à « savoir ce qui convient » en regardant de l’extérieur une communauté qui respecte des mœurs et des règles différentes. Une erreur similaire, évidente d’après un récent arrêt de la Cour suprême du Canada concernant la religion, consiste à analyser insuffisamment les principes d’accommodement – en l’occurrence si l’État pourrait utiliser d’autres pièces d’identité[11]. Le maintien d’une ligne de démarcation entre la religion et ses structures extérieures, la « moralité » et l’« éthique », est erroné et devrait être éliminé du document sur la croyance.

Causes relatives à l’emploi et l’employeur religieux :

La jurisprudence évite souvent de traiter les différents types de projets soulevés dans les affaires relatives à l’« employeur religieux ». Dans certains cas, un accent sur les fonctions du poste de la catégorie de l’« emploi ordinaire » peut être approprié lorsqu’il n’existe aucune coutume (ou pratique) religieuse générale requise de la part de tous les employés. Dans les cas, cependant, où les employés partagent une pratique religieuse globale (prières, études bibliques, etc.), il est approprié de reconnaître que ces lieux de travail sont imprégnés d’une coutume religieuse globale importante dont le maintien est essentiel à une compréhension plus vaste de la nature de la religion partagée.    

Dans le lieu de travail caractérisé par une coutume partagée ou globale il serait inapproprié d’analyser les fonctions du poste pour séparer à des fins de protection seulement les emplois qu’un examen externe a déterminés « suffisamment associés à la religion ». Pour un projet axé sur une coutume partagée, toutes les fonctions du poste (du jardinier au chef de la direction) font partie de la mission et de la pratique religieuse de l’employeur religieux de manière à ce qu’elles ne se trouvent pas là où il n’y a pas de telle pratique religieuse partagée. L’application d’un test sur une coutume non généralisée (comme l’a fait dans la cause Heintz  l’analyse des emplois focalisée sur l’éducation) pour considérer seulement ceux qui enseignent ou convertissent comme étant « religieux » évite de reconnaître et de protéger adéquatement les projets de pratique partagée.  

La jurisprudence en relation avec cela émerge et les principes d’un endroit à l’autre sont plutôt contradictoires. Ainsi, la décision en appel de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la cause Heintz v. Christian Horizons,[12]  bien qu’elle prétendait confirmer la très importante décision dans l’affaire  Caldwell c. Stuart (où la Cour suprême du Canada a autorisé une école catholique à refuser de réembaucher une enseignante qui avait épousé un homme divorcé dans une cérémonie civile en contravention des enseignements de l’Église), l’a fait d’une façon qui n’a pas traité les principes plus profonds qui étayaient la décision Caldwell elle‑même. Bref, la cause Heintz ne portait pas sur l’éducation, mais Caldwell le faisait et il était incorrect d’appliquer des tests éducationnels dans le contexte de la cause Heintz.  

Les principales parties ont décidé ne pas interjeter appel et, par conséquent, le point n’a pas été mis à l’essai par un tribunal supérieur à celui qui avait limité la décision du tribunal. Si les parties avaient interjeté appel, on aurait pu argumenter que la cour d’appel s’était posé la mauvaise question.  

Dans d’autres décisions, la coutume globale de l’institution religieuse a permis à une discrimination fondée sur la religion d’être confirmée[13]. En pratique, cela signifie que la nature de la coutume religieuse de l’employeur pourrait être pertinente si elle était soulevée au moment de l’embauche, constamment renforcée, notamment dans les contrats d’emploi et l’application des règles de travail, et appliquée régulièrement aux procédures disciplinaires portant sur une présumée enfreinte. Lorsque, d’un autre côté, un employeur ne peut satisfaire aux critères d’avis et d’application et démontrer que la coutume religieuse fait vraiment partie du lieu de travail, le recours à une justification de la coutume échouerait.  

 


[1] Voir : « Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses » ISBN – 0-7778-6518-1. Approuvé par la Commission le 20 octobre 1996 (tel que révisé): http://www.ohrc.on.ca/fr/resources/Policies/PolicyCreedAccomodEN?page=religious-Creed_.html#Heading36. Les notes en fin d’article qui accompagnent ce document ont été omises ici.

[2] Chamberlain c. Surrey School Board No. 36 [2002] 4 R.C.S. 710

[3] Syndicat Northcrest c. Amselem [2004] 2 R.C.S. 551,

[4] Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys [2006] 1 R.C.S. 256

[5] Le multiculturalisme au Canada a été adopté à la suite de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, un organisme gouvernemental établi en réponse aux griefs de la minorité francophone du Canada (concentrée au Québec). Le principe, reconnu par l’article 27 de la Charte, a été reconnu dans le contexte de la liberté de religion par la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Big M Drug Mart Ltd. [1985] 1 R.C.S. 295.  Dans la décision précoce de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Videoflicks Ltd. et al. c. R. (1984) le tribunal a décrété que si une loi porte atteinte à la liberté de religion, elle ne sert certainement pas à promouvoir le multiculturalisme, car elle affecte « la partie de la culture d'une personne qui est fondée sur la religion. » Le rôle clé de la religion dans la culture (le terme culture n’est pas protégé en soi dans la Charte en tant que droit énuméré, contrairement aux constitutions de certains autres pays) est reconnu par la cour constitutionnelle d’Afrique du Sud dans la cause M.E.C. v. Pillay 2008  (1) SA 474 (CC). 

[6] R. c. Oakes (1986) 1 R.C.S. 103 par le juge en chef Dickson. C’est nous qui soulignons.

[7] Trinity Western University c. College of Teachers [2002] 1 R.C.S. 772 à 812.

[8] R.c. Big M Drug Mart Ltd. [1985] 1 R.C.S. 295 à 336 (c’est nous qui soulignons).

[9]  John McLaren fait un commentaire semblable concernant la réticence des tribunaux canadiens à effectuer une analyse plus positive du rôle et de la nature de la religion, affirmant ce qui suit : « … la religion peut être une expérience enrichissante intellectuellement, une source d’éducation spirituelle, une inspiration pour les questions de justice sociale et un jalon de l’humanisme. »  McLaren invite les tribunaux à «…reconnaître l’importance de la religion dans la vie des individus et des communautés… » Voir : « Protecting Confessions of Faith and Securing Equality of Treatment for Religious Minorities in Education » dans Avigail Eisenberg, éd., Diversity and Equality: The Changing Framework of Freedom in Canada (Vancouver, UBC Press, 2006) 153-177 à 169 et 173. Voir également un recueil d’articles très utiles, particulièrement ceux de Richard Moon « Introduction » et de David Schneiderman « Associational Rights, Religion and the Charter » dans Richard Moon, éd., Law and Religious Pluralism in Canada (Vancouver, UBC Press, 2008) à 1-20 et 65-86 respectivement.

[10] Christian Education South Africa v. Minister of Education 2000 (4) SA 757 (CC), paragraphe 36; mentionné dans l’arrêt au Canada dans la cause Bruker c. Marcovitz 2007 R.C.S. 54.

[11] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, (« Hutterian Brethern »), un récent arrêt de la Cour suprême du Canada axé sur la religion, a décrété que les huttérites qui ne croient pas, pour des motifs d’ordre religieux, que leurs photos doivent servir à des fins d’identification, doivent néanmoins respecter une loi provinciale pour des motifs reliés à l’importance pour l’intérêt public de confirmer l’identité sur les permis de conduire. L’arrêt a été très critiqué, car il ne considère pas suffisamment que d’autres méthodes (notamment les empreintes digitales) auraient pu être utilisées aux fins souhaitées par l’État sans ignorer les préoccupations de la communauté religieuse. L’arrêt a été rendu par une faible majorité, trois juges sur sept étant dissidents.

[12] La cause Heintz v Christian Horizons (2008) 65 CCEL (3d) 218 (Tribunal des droits de la personne de l’Ontario) infirmée en partie par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la cause Ontario Human Rights Commission et al. v. Christian Horizons (2010) 102 O.R. (3e) 267 – 298 (Cour divisionnaire de l’Ontario) (mai 2010) (la décision a infirmé en partie une décision du Tribunal des droits de la personne et décrété que la disposition relative à l’exemption religieuse du Code des droits de la personne devrait s’appliquer aux religions qui ne restreignent pas leur travail à leurs adhérents). (Je déclare un intérêt, car j’ai représenté l’Assembly of Catholic Bishops of Ontario qui est intervenue dans cette cause).

[13] Voir, par exemple, Schroen v. Steinbach Bible College (1999), 35 C.H.R.R. D/1 (Man. Bd. Adj. [D.R. Knight, Q.C.] une cause dans laquelle la nature généralement mennonite du collège biblique a écarté la possibilité d’une revendication réussie par une employée mormone qui a perdu son poste. Un accent sur les fonctions du poste, minimisant la culture globale, aurait pu mener à une conclusion différente. Voir également Alvin Esau qui a contribué à expliquer la nature des règles « internes » et « externes » dans « Living by Different Law: Legal Pluralism, Freedom of Religion, and Illiberal Religious Groups » dans Richard Moon, éd., Law and Religious Pluralism in Canada (Vancouver, UBC Press, 2008) 110-139.

 

Encourager le fondamentalisme : Le droit en tant que force culturelle dans le domaine de la religion

Benjamin L. Berger est professeur agrégé à l’Osgoode Hall Law School. Il a obtenu une maîtrise et un doctorat en droit à l’Université Yale où il a été titulaire d'une bourse d'études Fulbright. Son enseignement et sa recherche portent sur la loi et la religion, la théorie et le droit constitutionnel et criminel et le droit de la preuve. Il a publié de nombreux articles sur ces sujets dans des revues canadiennes et internationales et des collections publiées sous la direction d’un éditeur. Le professeur Berger siège au comité éditorial du Canadian Journal of Law and Society et de Studies in Religion/Sciences religieuses et il est rédacteur en chef adjoint de la série Constitutional Systems of the World de Hart Publishing.

Résumé:

Cet article examine la possibilité que la façon dont la primauté du droit constitutionnel approche et analyse la religion influence la façon que les groupes religieux évoquent et, ultimement peut-être même, perçoivent leurs propres croyances, pratiques et traditions. En particulier, certains aspects de l’approche légale actuelle envers les demandes en matière de liberté de religion et d’égalité renforcent un certain absolutisme et un ‘durcissement positionnel’ dans le traitement de ces demandes qui diminuent la complexité et le dynamisme des traditions religieuses. En agissant ainsi, la loi risque d’encourager un certain fondamentalisme qui est incompatible avec les valeurs d’ouverture et de respect mutuel nécessaire dans une société hautement diversifiée.

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Religious fundamentalisms pose daunting problems for contemporary law and public policy.  In a society with an extraordinary range of ways of being and visions of a just society we depend more than we recognize on the assumption that perspectives and practices contain a capacity for malleability.  This tacit dependence on a degree of pliancy in commitments is particularly strong in the domain of religious and cultural difference.  When we speak publicly of the need for tolerance and accommodation if we are to meet the challenges of deep diversity, we are addressing not only state agencies and public authorities but also – and importantly – the communities that comprise the realm of culture that we imagine the law is responsible for overseeing.  In this call for tolerance and accommodation we can hear a plea for openness, a request that we all think of our ways and perspectives as including a principle of provisionality.  This openness involves a commitment to the idea that part of what we hold dear about our cultural commitments is their capacity for change in light of the world in which we find ourselves, and the neighbours with whom we find ourselves living.  If these are the tacit assumptions that govern our public sphere and our human rights practices, religious fundamentalism, understood as a rigid or absolutist fidelity to a particular interpretation of a tradition, poses obvious and obviously deep challenges. 

This much should be relatively contentious.  What is too often missing from this picture is the cultural nature of the rule of law itself.  Public stories about multiculturalism and religious difference tend to imagine law in managerial or curatorial role above the realm of culture, guiding discourse and smoothing out tensions from the comfortable heights of rational objectivity.  As I have argued in detail elsewhere, this framing of the problem is seductive because it hides one of the greatest difficulties in thinking about the interaction of law and religion, namely that the law is itself a cultural actor and, as such, the interaction of law and religion is itself a cross-cultural encounter.[1]  Resort to law is not a retreat into a neutral space in which the messiness of culture can be more sterilely assessed.  Turning to the law is, instead, moving into a rich cultural framework in its own right.  This is to say more than that public law in Canada pursues certain values that have a cultural and historical provenance, though that is both true and important.  To confront law’s cultural nature is to recognize that the very way that it sees and defines issues, the symbols and metaphors that it uses to frame problems, the assumptions it makes about what is of value and relevance, are themselves but one way of making sense of experience.

My principal purpose for this brief essay is to gesture towards how the cultural nature of law might contribute to the problem of religious fundamentalisms with which I began this piece.  In turning back to religion and asking what law’s particular understanding of religion might mean for how religious individuals and groups interpret and present their own traditions, I want to raise the prospect that in unreflectively exerting its cultural force, law has the capacity to induce the very fundamentalisms that it then finds so challenging to address. 

Law Imagining Religion

Religion never simply appears before the law.  With the first look of a legal gaze, religion is rendered into a form that is most readily digestible within the cultural commitments of the contemporary rule of law.  This is a point to be neither applauded nor lamented.  The fact that the law exerts its own categories of value and of relevance on the matters that appear before it is not a glitch in current legal analysis or a doctrinal error that stands in need of correction.  If one takes seriously the proposition that the law is a rich way of imagining the world, of interpreting events and problems in a particular way that gives rise to particular imagined solutions, one must cede any ambition to make law more neutral, arid, or a-cultural.  Indeed, it is the conceit of the cultural aridity of law that has allowed us to proceed under the more comfortable but less edifying story that, with time, law will get progressively better at accommodating and tolerating religious difference.

Understanding the interaction of law and religion as a cross-cultural encounter offers a better appreciation of how law sees religion.  As I have argued elsewhere at length, a careful review of the Charter jurisprudence shows that when the courts assess religion, there are three classificatory dimensions that take on a prominent role.[2]  First, law is overwhelmingly viewed as an individual, rather than a group, phenomenon.  The priority that the contemporary constitutional rule of law places on the liberty and rights of the individual, rather than the group, has been widely recognized in areas such as equality, association, and expression.  This strong priority for the individual – this atomism – is an outgrowth of enlightenment rationality and the individualism that is the mark of liberal modernity.[3]  That it finds one of its principal expressions in the law should come as no surprise to us.  Nor should it be surprising that this element of law’s cultural imagination imprints on the way that law perceives and analyses religion.  As a result, law is able to see claims of religious inequality and limits on liberty that touch upon the individual much more clearly than those that affect a group.

Second, the law casts religion as a fundamentally private, rather than public, phenomenon.  Liberal political theory has imagined that the key boundary over which the law would serve as sentry would be the public/private.  From matters of search and seizure to questions of expression, the private has been the realm that the law has imagined being the quintessential domain of interest and preference – it is the arena in which the logic of the law has the least purchase.  By contrast, the public sphere is the realm of reason, stripped to the extent possible of idiosyncratic worldviews and comprehensive doctrines.  The corollary is that the law has an intrinsic scepticism when private interest erupts into the public sphere.  This is very much true of law’s treatment of religion.  The law imagines religion as a quintessentially private matter.  Belief is more digestible than conduct – this legal axiom is one potent expression of law’s commitment to religion as a private matter.

The final dimension of law’s understanding of religion is arguably the most potent and certainly the most significant for this paper.  Religion is viewed by the law as, at core, a matter of autonomy and choice.  The overwhelming focus on religious freedom rather than religious equality is an artefact of this powerful aspect of law’s way of seeing religion.  For the law, religion seems to take its core value as an expression of the autonomous will of the individual agent.  Any dignity or privilege accorded religion flows from the fundamental place that it holds in the individual’s set of choices around living a good life.  It is for this reason that one sees the caselaw so fiercely protecting autonomous decision-making (or the future capacity for such decision-making).[4]  Of course, for many religious individuals, religion is more linked with identity than choice and the religious dimension of one’s life is simply part of how one finds oneself in the world. 

Those who come to the law may understand the stakes of their religious claim dominantly in terms of group identity, and as much about public conduct as private belief.  However, law will render the religious claim in terms of its cultural filters for value and relevance, naturally testing the religious issue against a picture framed by individual autonomy and the public/private divide.  Seeing this possibility for interpretive divergence is an important part of understanding the interaction of law and religion as a cross-cultural encounter.  But the insight and implications go further, affecting our understanding of how legal tolerance and practices of accommodation really shape up.  Briefly put, the more that a religious claim comports with the way that the law imagines religion – as an individual and private expression of autonomy – the more it is fit for legal tolerance.[5]  The guarantee of religious freedom and equality will be readily enforced to protect religion that already comports with law’s cultural commitments; when religion grates on one of these dimensions of law’s imagination it begins to feel intolerable.  It is at this point that we begin to speak in terms of the limits of religious freedom.  In this way, the limits of legal tolerance and practices of accommodation also turn out to be fundamentally cultural, tracing their way back to a particularly legal way of valuing human experience and imagining the world. 

Religion Imagining Itself

Having argued that law’s particular way of seeing religion impacts on the manner in which it treats issues of religious freedom, equality, tolerance and accommodation, I want to refract the question.  I want to gesture to the possibility that law’s rendering of religion, law’s ways and assumptions, affect how religious groups and individuals in contemporary Canadian society imagine and present themselves to the law.  My suggestion is that the particular way in which law values and analyses religion has powerful “back stream effects,” becoming highly influential and even potentially authoritative within religious culture.

Some such back stream effects are readily identifiable.  The subjective sincerity test that has been adopted as the means of defining what “counts” as religion for the purposes of Canadian rights jurisprudence[6] has the capacity to intervene in the internal dynamics of religious groups.  Rather than adopting an objective test of what is “religious”, one that might be based on tradition or authoritative interpreters, and instead asking simply whether a claimant sincerely believes that the practice or belief in question has a nexus with religion, the law empowers the idiosyncratic religious believer within a tradition.  Of course there is no way to avoid such influence.  The alternative – to recognize history, orthodox interpretation, or some objective reference as the standard for the “religious” – would be to undergird existing authorities within a community by lending them the definitional support of the state.

What is of most interest to me, however, is the ways in which the definitions, values, and analyses of the law can produce what might be called “positional hardening” among religious groups.  Perhaps the only safely generalizable statement within religious studies is that religious traditions are in a constant state of change and adaptation in response to their surrounding social conditions.  Religions are constantly in flux, redefining their practices and beliefs in dialogue with their local, historical, and social milieus.  Whole libraries can be filled with religious studies texts showing the dynamic genius of religious belief.  Missing this fluidity is the mistake into which fundamentalisms tend to fall.  They are moment-in-history interpretations of a moving and dynamic tradition.

Aspects of the approach to religion in the constitutional rule of law have the potential to incentivize and reward religious fundamentalisms of various sorts.  Consider, for example, the test currently being offered by the Supreme Court of Canada as the central metric for testing the strength of a rights claim based on religion: does this interference deprive the individual of his or her meaningful choice to practice the religion?[7]  This test encourages religious claimants to think of each and every aspect of their religious traditions as definitive of the whole.  In this way, the law encourages a kind of practice of synecdoche in which each part of the religion must be capable of standing in for the whole.  If the practice is merely one mutable, though perhaps treasured, component of a vast constellation of interlocking symbolic expressions of a tradition (as it almost always is), the claim will simply not fare as well in a rights analysis as if the claimant presents the practice as definitional, core, and immutable. 

Consider also the emphasis on weighing and proportionality in the law’s treatment of religious freedom and conflicting rights.  The Supreme Court of Canada has recently stated that, rather than focussing on minimal impairment (the Charter analogue to reasonable accommodation), most claims of religious freedom and equality should be determined at an overall weighing of the harms suffered by the religious claimant over against the benefits derived from the legislative policy or practice in question.[8]  As I have elsewhere explained, the benefit of emphasizing concepts like minimal impairment is that it focuses attention on the reasonableness and respectfulness of the government’s measures – the extent to which those responsible for policy wrestled seriously with and attempted to be responsive to differing cultural communities.[9]  Stressing, instead, a general balancing of harms and benefits encourages communities to respond to any and every interference with their religious belief and practices as a devastating blow to the religion, deemphasizing the tradition’s capacity for adaptation, adjustment, and change. 

Think, finally, about the focus on the public/private divide in law’s understanding of religion.  As I have explained, to the extent that religious claimants are able to explain their religion in purely private, internal terms, they will more readily fit law’s understanding of religion and more readily attract its protective practices.  One risks losing law’s regard by admitting to historical engagement with external social forces and, as the Wilson Colony case showed, community interconnectedness.  Adaptation to the modern market and involvement with modern technologies is precisely what led the majority of the Court in Wilson Colony to question whether the autonomous nature of this Hutterite colony was really all that central to the religion.  Had the Wilson Colony been more insular, more private, it seems it would have fared better in Court. 

Even in this brief sampling of certain aspects of law’s understanding of and approach to religion shows ways in which one cross-cultural effect of the encounter of the modern constitutional rule of law and religion might be to distort the very way in which religion is presented in public policy debates.  Through the force of its cultural understandings, law may encourage religious claimants to think of their traditions as less complicated, more fragile, and more insular than might otherwise be.  In short, the law might induce a kind of religious fundamentalism.  It can invite distortions of religion that make legal and policy solutions more difficult to solve.  If unreflective about its cultural force, in the very effort to attend to religious freedom and equality, law has the capacity to make its engagement with religion more fraught and to make compromises more difficult to identify. 

Conclusion: Privileging Dynamism and Regard

The story of religion is, in substantial part, the story of adaptation and response to changing social worlds and, for centuries, the law has been one important figure in this dynamic history.  Law has not just struggled with questions of religious freedom but has challenged religion to test the resiliency, complexity, and resources of its own traditions.  An important challenge for contemporary human rights law is to ensure that it continues to encourage this dynamism rather than serving as a freezing agent. 

How might this be done?  Allow me to venture just two preliminary ideas, hoping to suggest areas for further thought and exploration.  First, awareness of the issues explored in this paper should make one wary of adopting tests in the law that encourage individuals or communities to identify an unchanging “core” in their tradition.  Second, perhaps we should be skeptical of general balancing tests, weighing costs and benefits, which encourage claimants to catastrophize interferences with religious beliefs or practices.  The gravamen of most rights claims is some failure of regard.  The focus is, thus, more productively placed on the extent to which the authority or government actor took genuine and sensitive regard of the religious community in forming policy.

Respect for religious tolerance and equality imposes obligations on public law to think critically about its assumptions, commitments, and demands.  The law must look for ways to adjust and adapt in order to give genuine regard to differing conceptions of the good life, while remaining faithful to key public values such as equality and inclusion.  Yet the exigencies of living in a deeply diverse society mean that individuals and cultural groups also bear an obligation to explore their own resources for the adjustment and adaptation.  When the law induces fundamentalisms it frustrates this shared obligation for dynamism and regard on the part of state, individual, and religious groups alike, which is the ethical heart of a tolerant and pluralistic society.


[1] Benjamin L. Berger, "The Cultural Limits of Legal Tolerance" (2008) 21:2 Can. J. L. & Jur. 245.

[2] Benjamin L. Berger, "Law's Religion: Rendering Culture" (2007) 45:2 Osgoode Hall L.J. 277.

[3] See, e.g., Charles Taylor, Modern Social Imaginaries (Durham and London: Duke University Press, 2004).

[4] One sees this commitment to autonomous decision-making particularly clearly in cases involving children or youth whose capacity for such rational authorship is an open question.  See, e.g., cases involving blood transfusions for Jehovah’s Witness children.  For a recent case involving a mature minor, see A.C. v. Manitoba (Director of Child and Family Services), [2009] 2 S.C.R. 181.

[5] See “The Cultural Limits of Legal Tolerance”, supra note 1; Wendy Brown, Regulating Aversion: Tolerance in the Age of Identity and Empire (Princeton and Oxford: Princeton University Press, 2006).

[6] Syndicat Northcrest v. Amselem, [2004] 2 S.C.R. 551.

[7] See Alberta v. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 S.C.R. 567 [Wilson Colony].

[8] Wilson Colony, supra note 7.

[9] Benjamin L. Berger, "Section 1, Constitutional Reasoning, and Cultural Difference: Assessing the Impacts of Alberta v. Hutterian Brethren of Wilson Colony" (2010) 51 Supreme Court Law Review (2d) 25.

 

Tenter de verser un océan dans un gobelet en carton : Un argument pour la « dé-définition de la religion »

Howard Kislowicz*, B.A., B.C.L./LL.B., LL.M., est un candidat au doctorat à la Faculté de droit de l’Université de Toronto et chargé de cours en droit constitutionnel dans le programme préparatoire NCA de Osgoode Hall. Son travail examine la liberté religieuse et le multiculturalisme au Canada et est paru dans le UBC Law Review et le Alberta Law Review. Il détient actuellement une bourse Joseph-Armand Bombardier du CRSH. Il était précédemment clerc pour le Juge Gilles Létourneau à la Cour d’appel fédérale. Il est le récipiendaire de plusieurs prix, y compris la médaille Alan Marks pour meilleure thèse du programme de droit de deuxième cycle de l’Université de Toronto.

Résumé

Les critiques de la définition légale canadienne de la religion vont dans des directions opposées. Certains font valoir que la définition est trop large et n’a pas d’aspect objectif, d'autres prétendent que la définition est trop étroite et ne parvient pas à saisir les aspects culturels de la religion. L'auteur suggère que la religion peut ne pas être susceptible à avoir une définition complète, et fait valoir qu'une approche qui s'appuie sur des analogies serait plus appropriée. Une telle méthodologie est familière au raisonnement de la common law, et conduirait à une compréhension plus souple et ample de la religion. En effet, les décisions du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario ont employé avec succès cette technique.

Introduction

La Cour suprême du Canada a adopté une définition très individualiste et subjective de la religion. Cette définition a été critiquée dans deux directions opposées, des juges et des commentateurs faisant valoir qu'elle est encore soit trop large ou trop étroite. Ceux qui prétendent que la définition est trop large font valoir qu'il devrait y avoir un aspect objectif, sinon la crainte que l'État ne soit pas en mesure de « filtrer les personnes ayant des réclamations ‘fictives’ ou ‘capricieuses’. » (Charney, 2010, p.50). Ceux qui prétendent que la définition est trop étroite font valoir que la définition très individualiste peut sensiblement appauvrir la compréhension de la religion (Berger, 2007), en négligeant ses aspects collectifs, communaux et culturels.

Ce document suggère que les définitions juridiques de la religion ont été prises en défaut parce que les expériences religieuses vécues des individus et des communautés sont tellement diverses qu'une définition unique les englobant toutes est impossible. Ce document examine s'il est possible d'avoir une loi cohérente sur la liberté religieuse qui n'adopte pas une définition a priori de la religion.

Ce texte débute par un examen approfondi des définitions existantes de la religion dans la jurisprudence canadienne et le savoir juridique. Puis, sur la base du savoir sur la liberté religieuse et le multiculturalisme, il fait valoir de façon plus détaillée que la religion ne se porte pas à une définition exhaustive. Dans la section finale, en s'appuyant sur les récentes décisions du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario et la politique de la Commission ontarienne des droits de la personne sur la croyance et l’accommodement des observances religieuses, cet article démontre qu'il est possible pour les institutions de la justice de fonctionner sans insister sur une manière exhaustive de définir la religion.

Les définitions de la religion

La définition de la religion dans la loi canadienne provient en premier lieu de la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem (2004). Dans ce cas, la majorité a soutenu que :

Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et complet de dogmes et de pratiques […] Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont  intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle. (par. 39)

Bien que cette définition soit délibérément large, elle est tout de même remarquable pour son traitement individualiste de la religion. Elle s'appuie sur les concepts de convictions affichées « librement » (ce qui implique un choix individuel), de l’auto-définition individuelle, et des connexions individuelles à des royaumes divins ou spirituels (voir Berger, 2007).

Remarquablement absente de cette définition est toute notion de communauté. Il s'agissait d'un point de division pour la Cour. Dans une opinion dissidente, le juge Bastarache a conclu que « la religion est un système de croyances et de pratiques basées sur certains préceptes religieux » (Syndicat Northcrest c Amselem, 2004, par. 135). Ces préceptes ont deux fonctions principales pour le juge Bastarache : d'abord, ils sont objectivement identifiables, ce qui rend les limites des protections de la liberté religieuse plus prévisibles. Par ailleurs, en connectant les pratiques à ces préceptes religieux, « un individu fait savoir qu'il ou elle partage un certain nombre de préceptes avec d'autres adeptes de la religion. » En d'autres termes, le partage de ses croyances et pratiques avec une communauté est, pour le juge Bastarache, un élément essentiel de la religion. Ces définitions de la religion divergent fortement, et conduisent à des conséquences juridiques différentes. La définition du juge Iacobucci rend la religion tout à fait subjective, la sincérité de la croyance d'un individu devenant la pierre de touche pour l'analyse. L’approche du juge Bastarache aurait exigé des demandeurs de prouver l'existence objective d'un précepte religieux, afin de bénéficier de la protection de leur liberté religieuse.

Notamment, ces deux définitions divergentes adoptent une définition générale de la religion avant de résoudre le différend à l’étude. C'est une pratique courante en droit, en particulier dans le raisonnement constitutionnel. Alors que, aux fins d'une discipline particulière de l'enquête, il peut être judicieux d'adopter une définition spécifique de la religion (Modak-Truran, 2004, p. 721)1, il y a plus en jeu lorsqu’une cour ou un tribunal, portant le pouvoir coercitif et symbolique de l'État, prend des décisions portant sur la liberté religieuse ou la discrimination.

Bien qu'il soit tentant d'affiner les définitions juridiques existantes de la religion, l'absence de consensus sur cette définition peut inspirer un mouvement dans une direction différente. En effet, une réponse plus appropriée peut être de refuser d'adopter une approche globale, une définition a priori de toute religion. Dans la section suivante, je soutiens que les tentatives de définir la religion dans le but de protéger la liberté religieuse en vertu de la loi finissent par étouffer la liberté religieuse, ce qui renforce l'affirmation selon laquelle la religion ne se plie tout simplement pas à une définition exhaustive.

La religion est-elle impossible à définir?

Winnifred Fallers Sullivan affirme que « d’englober légalement les façons religieuses des personnes dans une société intensément pluraliste est le plus probablement impossible » (2005, p.138).2 Elle fonde cet argument en partie sur son expérience en tant que témoin expert dans un procès en Floride, où un différend a surgi lors d'installation de monuments funéraires d’individus dans un cimetière public (Warner v. Boca Raton, 1999). Alors que les témoins ont tenté de formuler leurs actions afin qu’elles concordent à la conception de la religion du procureur, elle a observé : « leur vie religieuse ne pouvait être contenue dans le langage juridique ou dans les espaces juridiques qui leur sont assignés dans le cimetière » (p. 45).

Ce problème de définition de la religion pourrait faire partie d'un phénomène plus large. S'appuyant sur les écrits de Ludwig Wittgenstein, James Tully explique que les mots sont « trop multiformes pour être représentés dans une théorie ou une règle globale qui stipule les conditions essentielles pour l'application correcte des mots dans tous les cas » (1995, p.104). Plutôt,

la compréhension d'un concept général consiste à être en mesure de donner les raisons pour lesquelles le concept devrait ou ne devrait pas être utilisé dans un cas particulier en décrivant des exemples d'aspects similaires ou connexes, en établissant des analogies ou des contradictions de toutes sortes, de trouver des précédents et d’attirer l'attention sur des cas intermédiaires (p. 108).

Dans cette perspective, des termes linguistiques généraux sont assimilés à des familles. Les instanciations plus spécifiques de ces termes sont les membres de la famille, et, comme membres d'une famille humaine, partagent des ressemblances familiales. Tenter de faire abstraction d'une définition globale et générale de la famille en la réduisant à ses traits essentiels entrave l'analyse ; la meilleure façon de faire est de travailler au cas par cas par la comparaison constante (p. 112-114).

Alors que Tully (qui est en accord avec Wittgenstein) établit avec force que tous les concepts généraux fonctionnent de cette façon, je souhaite arguer avec un peu moins de force (tout comme Sullivan) qu’au moins le terme « religion » fonctionne effectivement de cette façon.

Lorsque la Cour suprême a tenté de définir la religion dans l'arrêt Amselem, elle a peut-être préjugé que certaines activités étaient « religieuses », excluant du terme des pratiques qui devraient être incluses. Par exemple, avec la définition individualiste de la religion par la Cour, il est plus difficile de voir la portée religieuse des activités collectives, mises en lumière dans les pratiques vécues des huttérites (voir Esau, 2004). La foi huttérite exige de ses adhérents qu’ils adoptent un mode de vie collectif et qu’ils soient aussi isolés et autosuffisants que les nécessités pratiques le permettent. Mais dans l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony (2009), la majorité de la Cour suprême du Canada a refusé d'examiner les pratiques communautaires religieuses des huttérites en vertu de la garantie constitutionnelle de la liberté de religion, compte tenu de l'impact sur la communauté huttérite dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure législative contestée.3 Dans un raisonnement de la sorte, la majorité a minimisé l'importation spécifiquement religieuse de la pratique huttérite du communalisme. Cependant, il est difficile de concevoir l'engagement huttérite envers la vie communautaire comme quoi que ce soit, sinon religieux : il découle d'une interprétation particulière des textes bibliques, il est transmis d'une génération à l'autre, le fait de s’écarter de ce principe a des conséquences dans cette vie et dans celle de l’au-delà, etc. Prendre une plus approche au cas par cas et tenir compte plus sérieusement du point de vue des huttérites aurait peut-être permis à la Cour suprême de traiter la religion comme un concept plus vaste et, à mon avis, plus précis. Dans la section suivante, je soutiens que la Commission ontarienne des droits de la personne et le Tribunal ont fait exactement cela.

Le bourdon vole de toute façon : travailler sans une définition

Bien que le Code des droits de la personne de l’Ontario ne définisse pas le terme ‘croyance’, la Commission a adopté une politique qui fournit une définition (Commission des droits de la personne, 1996, p. 4-5). Bien que cette définition fasse écho à l'arrêt Amselem, en adoptant une politique de subjectivité, elle ne cherche pas à définir la religion par référence au rôle qu'elle sert dans la vie des gens, comme la définition Amselem le fait. Au lieu de cela, la définition s'appuie sur des exemples pour expliquer ce qui sera et ne sera pas considéré comme la religion. La politique établit, par exemple, que la religion inclut « les organes de la foi non-déistes, comme les religions et pratiques spirituelles des cultures autochtones » (p.4). Cependant, la politique fait également remarquer que la religion exclut « les croyances séculaires, morales ou éthiques ou les convictions politiques » (p. 5). Il est frappant de constater que, comme dans l'approche de ressemblance de la famille de Wittgenstein, lorsque la politique vise à définir la croyance et la religion, elle ne tente pas de définir un certain nombre de critères qu’une pratique doit remplir pour être considérée comme religieuse. Au lieu de cela, on raisonne par analogie.

Peut-être en partie à cause de cette politique, lorsque le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario devait décider si une organisation pouvait être qualifiée d’« organisation religieuse » dans Heintz c. Christian Horizons, (2008), le Tribunal était en mesure de parvenir à une conclusion sans citer de définition particulière de la religion. En revanche, le Tribunal a pu identifier suffisamment d’indices dans les pratiques de l'organisation pour atteindre, sans « aucune difficulté », la conclusion que Christian Horizons était une organisation religieuse, même face à un argument à l'effet contraire. Le Tribunal a adopté une approche similaire pour déterminer si Falun Gong était une religion dans Huang c. 1233065 Ontario Inc (no. 3) (2010), en raisonnant que « Falun Gong se compose d'un système de croyances, de rites et de culte » (par. 36) ; cette déclaration implique une analogie à d'autres religions. Cela montre que, dans la tradition de la common law, il est possible de traiter les cas un à la fois, sans tenter de définir « une fois pour toutes » la religion. Il s'agit d'une approche particulièrement prudente puisque la compréhension de la religion varie selon les cultures et dans le temps.

Ma recherche n’a pas soulevé de cas où le Tribunal a rejeté une allégation selon laquelle une croyance ou une pratique particulière était d'ordre religieux.5 Il est tentant de citer des exemples de visions du monde dont la nature religieuse est controversée dans le but de mettre la théorie de la définition par analogie (par opposition à l’exhaustivité) à l'épreuve. Cependant, en accord avec l'approche de la common law de traiter les cas qui se présentent, je crois qu'il vaut mieux laisser la porte ouverte de sorte que le caractère religieux ou non religieux d'une pratique particulière ou d’un ensemble de croyances puisse être traité dans un contexte factuel spécifique.

Conclusion

J'ai suggéré que les critiques de la définition de la religion par la Cour suprême vont dans des directions opposées, faisant valoir qu'elle est à la fois trop large et trop étroite. Ces courants contradictoires proviennent du problème plus fondamental que la religion ne se soumet pas à une approche globale, à une définition a priori. Au lieu de cela, j'ai plaidé en faveur d'une approche qui raisonne par analogie, en prenant un cas à la fois, dans le style de la common law et de l'analyse wittgensteinienne. En effet, la Commission ontarienne et le Tribunal des droits de la personne ont démontré à travers leurs politiques et décisions que cette approche peut fonctionner en pratique, permettant ainsi que justice soit faite sans s'appuyer sur une définition de la religion dans son ensemble.


Notes

* Je suis reconnaissant pour le soutien du Conseil de recherche en sciences humaines. Merci au Dr. Naomi Lear et à Nicole Baerg pour leurs précieux commentaires.

  1. Modak-Truran, par exemple, adopte la définition de Schubert Ogden : « la forme primaire de la culture aux termes de laquelle nous les êtres humains explicitement posons et répondons à la question existentielle du sens de la réalité ultime pour nous. » Cette définition, sans doute, est appropriée pour l'analyse de Modak-Truran sur la mesure dans laquelle les perspectives religieuses des juges informent leur raisonnement juridique. Toutefois, selon Modak-Truran, la définition « ne comprend pas seulement les religions du monde reconnues telles le christianisme, le judaïsme, l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme, mais elle comprend aussi l'humanisme, le capitalisme (lorsqu’ils sont proposés en tant que théorie normative plutôt que positive) , le communisme, et d'autres réponses soi-disant laïques à la question existentielle. » : 725-726.
  2. Avec des préoccupations visant plus spécifiquement le droit constitutionnel américain, elle note également : « Une lecture du Premier amendement serait de dire que lorsque le gouvernement interfère dans la définition de la religion, il interfère aussi dans l’établissement de la religion. Le résultat est nécessairement discriminatoire. Définir, c’est aussi exclure, et exclure c’est discriminer. » : 100-101.
  1. Notamment, les juges dissidents et les juges des juridictions inférieures n’en ont pas tenu compte.
     
  2. Une discussion de la pertinence de l'endroit où la politique tire sa ligne est au-delà de la portée de ce texte.
     
  3. Dans Obdeyn c. Walbar Machine Products of Canada Ltd., (1982. au paragraphe 6358), une commission d'enquête ontarienne a assumé, dans le but de l'argumentation, que le communisme tombait sous le sens de « croyance ». Dans Sauvé c. Ontario (Training, Colleges and Universities) (2009), le Tribunal a refusé de décider si la croyance en des cartes de Tarot était une croyance religieuse en l'absence de preuves. Dans Young c. Petres (2011), le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a rejeté une allégation selon laquelle les croyances de l'une des parties étaient religieuses, mais ce fut un cas inhabituel. Dans ce cas, deux employés ont affirmé que leur employeur leur imposait ses croyances religieuses, qu'ils ont appelé « un mélange de Reiki, de taoïsme, et de shintoïsme » (par. 13). L'employeur a nié que ses convictions étaient religieuses, et le Tribunal a statué que les employés n'avaient apporté aucun élément de preuve pour réfuter cette allégation.

Références

Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 SCC 37, [2009] 2 SCR 567.

Berger, Benjamin L. (2007). Law's Religion : Rendering Culture. Osgoode Hall Law Journal, 45(2) : 277-314.

Charney, Robert E (2010). How Can There Be Any Sin in Sincere ? State Inquiries into Sincerity of Religious Belief Supreme Court Law Review (2d), 51 : 47-72.

Esau, Alvin J. (2004). The Courts and the Colonies : The Litigation of Hutterite Church Disputes. Vancouver : UBC Press.

Heintz c. Christian Horizons, 2008 HRTO 22, varié 2010 ONSC 2105.

Huang c. 1233065 Ontario Inc. (No. 3) 2011 HRTO 825.

Modak-Truran, Mark C (2004). Reenchanting the Law : The Religious Dimension of Judicial Decision Making. Catholic University Law Review, 53, 709-816.

Obdeyn c. Walbar Machine Products of Canada Ltd., (1982), 3 C.H.R.R. D/712 (Commission d’enquête de l’Ontario).

Commission des droits de la personne (1996). Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses, accédé via le lien http://www.ohrc.on.ca/en/resources/Policies/PolicyCreedAccomodEN.

Sauvé c. Ontario (Training, Colleges and Universities), 2009 HRTO 296.

Sullivan, Winnifred Fallers (2005). The Impossibility of Religious Freedom, Princeton : Princeton University Press.

Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 SCR 551.

Tully, James (1995). Strange Multiplicity : Constitutionalism in an age of diversity. Cambridge : Cambridge University Press, 1995.

Warner v. Boca Raton (City of), 64 F. Supp. 2d 1272 (Dist. Court, SD Florida 1999).

Young c. Petres, 2011 BCHRT 38.

 

Vers une interprétation inclusive de la 'croyance'

Gail McCabe, PhD RSSW est présidente de l’organisme Ontario Humanist Society, sociologue et travailleuse sociale. Célébrante humaniste de l’OHS, elle était la première aumônière humaniste à l’Université de Toronto.

Mary Beaty, MLS, une célébrante humaniste de l’OHS et présidente des programmes de cérémonies de l’OHS, a établi l’aumônerie humaniste de l’Université de Toronto de concert avec la Secular Students Alliance.

Peter Moller, P Eng., est un ingénieur retraité. Célébrant de l’OHS, il en est aussi le trésorier ; le président du Comité des règlements et un membre du Comité des cérémonies. En tant que membre fondateur de l’OHS, Peter est le co-auteur des règlements internes de la Société et de son Code d’éthique.

Résumé

L’organisme Ontario Humanist Society (OHS) est représentatif des communautés éthiques humanistes, présentant une histoire institutionnelle soutenant de profondes croyances et principes éthiques comme croyance ‘de vie’. Ces communautés sont actuellement exclues de la définition du concept de ‘croyance’ tel qu’il est défini par la CODP. Ainsi, les droits collectifs des humanistes et autres communautés éthiques de choix ne sont pas reconnus sous le Code des droits de la personne de l’Ontario. Pour cette raison, nous plaidons ici pour une interprétation plus inclusive du terme ‘croyance’, un travail collaboratif effectué par le Comité d’action éthique de l’OHS.

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C’est la position de l’Ontario Humanist Society (OHS) que la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) devrait se diriger vers une interprétation plus inclusive du terme ‘croyance’. Le mot ‘croyance’ est dérivé du Latin “credo,” qui veut dire “je crois.” Le dictionnaire du Cambridge University Press définit le terme croyance comme étant “un ensemble de croyances qui expriment une opinion particulière et qui influence la manière dont vous vivez.” C’est une définition qui ne fait aucune référence à la religion, et en même temps réfère à un ‘ensemble de croyances’ ce qui suggère un système de croyances substantiel s’apparentant aux croyances ou aux principes d’une religion.

Nous voyons cette définition comme point de départ pour la reconsidération de l’interprétation de croyance telle qu’elle est exprimée dans la “Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses” (site Web de la CODP) :

1. La croyance ne comprend pas les croyances séculaires, morales ou éthiques ou les convictions politiques. [4] Cette politique ne s'applique pas aux religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d'autres individus ou groupes, [5] ou à des pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux mais qui contreviennent aux normes internationales relatives aux droits de la personne ou au droit pénal.[6]

L’Ontario Humanist Society représente les sociétés et communautés humanistes de l’Ontario. Nous sommes affiliés à Humanist Canada au niveau national et avec la International Humanist and Ethical Union (IHEU) qui représente plus de 100 associations humanistes et éthiques dans plus de 40 pays. L’IHEU a le statut de membre du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC), ce qui reflète l’engagement humaniste envers “un monde dans lequel les droits de la personne sont respectés et chacun peut vivre une vie de dignité” (site Web de l’IHEU).

En tant qu’humanistes, nous nous définissons comme une « communauté de choix »,2 constituée sur la base de convictions philosophiques, morales et éthiques profondes que nous épousons comme notre credo. En tant que communauté, nous avons vécu des conséquences importantes lorsque nos droits ont été abrogés sur la base de l'interprétation que la CODP est compatible uniquement avec les communautés qui se définissent comme une religion et qui opèrent selon un système « reconnu et une confession de foi, y compris les croyances et les observances ou la dévotion » (Politique sur la croyance de la CODP).

Une définition plus inclusive de la croyance qui inclurait les communautés de choix comme la nôtre élargirait la portée du terme afin de donner à ces communautés les mêmes protections que les groupes religieux. Une telle définition conserverait l'exigence selon laquelle un aspect nécessaire de la croyance est que les croyances morales et philosophiques de la communauté soient « sincères et/ou observées » par des pratiques communautaires éthiques (ibid.). Avec cette interprétation de la CODP, « croyance » serait « définie subjectivement », protégeant ainsi les observances personnelles, philosophiques, morales ou éthiques « même si elles ne sont pas des éléments essentiels de la foi à condition qu’elles soient sincères » et une bonne adéquation avec la croyance de la communauté (ibid).

Afin de bien clarifier notre position, nous avons fourni quelques commentaires au sujet de trois aspects importants de notre proposition pour une interprétation plus inclusive de la ‘croyance’ :

  1. conceptualiser la croyance humaniste ;
  2. plaidoyer pour la révision de l’interprétation de la croyance ;
  3. l’abrogation des droits en pratiques comme résultat d’exceptions dans l’interprétation de la croyance de la CODP.

1. Conceptualiser la ‘croyance’ Humaniste

A. communautés éthiques de choix

La philosophe féministe, Hilda Lindemann Nelson conceptualise le processus d'auto-définition morale comme évoluant potentiellement des communautés de choix structurées par une éthique de responsabilité et d'interdépendance (Nelson 1995, 1999). L’autonomisation à la fois personnelle et communautaire provient de ces communautés par opposition à la domination et à la subordination qui structurent de nombreuses associations modernes, y compris certaines religions (McCabe, 2004, p.9, 72-76).

Les sociétés humanistes en général peuvent être comprises comme étant des communautés éthiques de choix constituées sur la base de valeurs et d’idéaux partagés où la différence individuelle dans l'expérience est considérée comme une source de sagesse, de perspicacité et d'expertise. L'autonomisation qui émerge d'une telle communauté tonifie les capacités innées de l'homme à penser de façon critique, à ressentir de la compassion et à agir de façon éthique.

B. Croyances Humanistes modernes, Principes directeurs et Pratiques

Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)

Une croyance fondamentale des humanistes qui guident nos croyances, nos actions, et notre compréhension de notre responsabilité envers les autres comme des humanistes, est la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), un instrument des Nations Unies ratifié en 1948, qui est devenu une norme universelle pour la défense et la promotion des droits de la personne. La présente déclaration repose sur la croyance « dans la dignité et la valeur de la personne humaine. » Elle exige que tous les États, les groupes et les particuliers célèbrent et promeuvent le respect des droits et libertés. Nous notons que la déclaration, laquelle Eleanor Roosevelt considère la « Magna Carta de l'humanité » et le pape Jean-Paul II comme « la conscience de l'humanité », a d'abord été rédigée par l’humaniste canadien, John Peters Humphrey. Ses contributions reflètent les valeurs, la tolérance universelle et les aspirations d'une longue tradition de pratiques humanistes dans la société canadienne.

La DUDH et les instruments et traités de droits de la personne ultérieurs qu’elle a généré consacrent les valeurs de tolérance, de réciprocité, d'égalité et de dignité humaine - tous des principes fermes de l'humanisme tels qu’ils sont déclaré dans un environnement explicitement non-religieux, qui protègent encore la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction.

La déclaration d’Amsterdam, 2002 (1952)

Les humanistes comptent également sur la déclaration de l’International Humanist and Ethical Union (IHEU) sur les principes fondamentaux de l'humanisme moderne, adoptée lors de la première Conférence humaniste mondiale en 1952 (mise à jour en 2002) (site web de l’IHEU). Les humanistes soutiennent et utilisent ces documents comme une croyance « de vie ». Tous les membres de l'IHEU doivent accepter ces déclarations. L'Ontario Humanist Society est un membre inscrit de l'IHEU. Nous acceptons et se référons à ceux-ci ainsi qu’aux instruments sur les droits de la personne en découlant, pour définir, affiner, et soutenir nos principes tels que les Dix principes et énoncés de position de l’OHS, les droits LGBT, par exemple (site de l’OHS).

Les principes en pratique

Quant à savoir comment les humanistes vivent leur foi en pratique, les exemples abondent. Nous prisons l’éthique, la raison et la pensée critique, et le soutien des droits universels de la personne, dont nous faisons la promotion par le biais de l'action éducative. Nous reconnaissons également que les êtres humains, par leur nature même, sont des êtres sociaux empreints de compassion pour notre espèce ainsi que le monde naturel. Ce sont ces aspects de la vie quotidienne que nous considérons avec notre action éducative, nos programmes d’aumônerie et de célébrations.

sensibilisation educative

Une pratique courante des groupes humanistes est l'éducation du public sur un éventail de thématiques et d'importantes considérations sociales, environnementales et scientifiques. Par exemple, notre société affiliée, l'Association humaniste de Toronto (THA) a récemment organisé une conférence publique sur l'approche humaniste aux initiatives internationales de maintien de canadiens livrés par , Matthew Bin, un membre de l’OHS et vétéran.

Dr Gail McCabe et Mary Beaty, les membres du conseil de l’OHS, ont présenté la DUDH comme croyance fondamentale de la philosophie humaniste dans le cours sur les religions du monde au Collège Durham. Mme Beaty, qui a également agi à titre de représentante nationale de l'American Humanist Association (AHA) pour le ministère de l'Information publique de l'Organisation des Nations Unies, a présenté la DUDH comme croyance fondamentale de la croyance humaniste dans Being Human, une série de Vision TV produite par Humaniste Canada (HC).

services d’aumônerie

Les humanistes ont établi des aumôneries humanistes dans les universités au Canada, aux États-Unis et en Europe pour renforcer les communautés éthiques enracinées dans la foi humaniste. Les aumôniers assurent le leadership, le soutien social et des services de soins de compassion pour les étudiants, le personnel et les professeurs humanistes.

En 2008, le Dr McCabe a été nominée par le Campus Chaplains Association (CCA) en tant que premier aumônier humaniste à l'Université de Toronto. Elle a été rejointe par Mary Beaty en 2010. Leur but est d'élargir la portée du service de la CCA et du Centre multiconfessionnel afin d’inclure l'éthique ainsi que la spiritualité. Cette initiative a créé un changement d'orientation au Centre multi-confessionnel puisque certains documents et événements reconnaissent désormais à la fois « la foi et l'éthique » comme valeurs significatives de la vie du campus.

cérémonies Humanistes

Les célébrants humanistes se réfèrent systémati-quement à la DUDH et à la Convention sur les droits des droits de l'enfant (CRC) dans le cadre de leur travail en tant que membres du clergé. Par exemple, nous avons intégré l'article 16 de la DUDH dans le cadre de la cérémonie du mariage :

(1) Les hommes et les femmes de l'âge nubile, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont droit à l'égalité des droits au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

(2) Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux.

Et nous utilisons l'article 7 de la CRC dans notre célébration assignant le nom :

  1. L'enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir le droit dès la naissance à un nom, au droit d'acquérir une nationalité et, autant que possible, le droit de connaître et d'être élevé par ses parents.

Nos officiants et aumôniers sont également impliqués dans la sensibilisation et dans les soins aux communautés dans le spectre des cycles de vie des personnes, de services à la famille à l’accueil de nouveaux enfants, aux mariages, funérailles, et le développement des soins de compassion pour les personnes isolées et les personnes âgées, entre autres initiatives communautaires.

2. Arguments pour la revision de l’interprétation de ‘croyance’

A. exceptions et exclusion

À notre avis il y a une erreur de logique dans la déclaration que « la croyance ne comprend pas les croyances séculaires, morales ou éthiques. » Et puisque l'interprétation de la CODP du terme « croyance » est réputée signifier « croyance religieuse » ou « religion », cette dernière est donc une exclusion sur la base de la religion

Cette déclaration va à l'encontre des objectifs du Code des droits de la personne de l'Ontario. Bien qu'il y ait peut-être un argument à faire pour exclure le terme « laïque », on peut difficilement rendre compte de l'exclusion des croyances morales ou éthiques, puisque la religion n'est que l'un des arbitres de la morale et l'éthique. Les droits de la personne tels qu'ils sont consacrés dans les lois civiles, les traités et autres instruments sont des exemples de principes moraux et éthiques.

B. L’écart dans les accommodements pour les communautés éthiques de choix

L'erreur logique peut être expliquée comme une erreur typographique par l'inclusion d'une virgule entre les termes « profane » et « morale ». Peut-être, la CODP a voulu dire « les croyances laïques, morales ou éthiques. » Et il est clair à partir d'un paragraphe plus tard que la CODP estime que les athées et les agnostiques sont inclus dans le Code des droits de la personne.

C’est la position de la CODP que toute personne a le droit d'être libre de comportement discriminatoire ou de harcèlement fondé sur la religion ou qui se pose parce que la personne qui est la cible du comportement ne partage pas la même foi. Ce principe s'étend à des situations où la personne qui est la cible d'un tel comportement n'a pas de croyance religieuse, y compris les athées et les agnostiques qui peuvent, dans ces circonstances, bénéficier de la protection prévue dans le Code.[3]

Nous n'avons trouvé aucune réparation pour les communautés de choix comme la nôtre dans l'interprétation de la croyance en dépit de notre expérience vécue avec la croyance humaniste décrite dans la section 1 du présent document. Sur ce compte, nous demandons instamment à la CODP de réinterpréter le terme « croyance » pour inclure les communautés humanistes et éthiques de choix qu’elles soient des sociétés, des collectivités ou des associations.

3. L’abrogation des droits dans la pratique : Un résultat d’exclusion

Les membres des associations humanistes ont connu l'abrogation de nos droits de la personne collectifs, que nous avons vécue sous la forme d’opportunités réduites dans certains cas et d'exclusion de possibilités dans d’autres cas. Cela reflète la reconnaissance différentielle des confessions religieuses en tant qu'institutions sociales nécessitant une protection en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, tandis que les associations humanistes comme communautés éthiques de choix ne sont pas admissibles à la protection.

Nous considérons cette reconnaissance différentielle discriminatoire et injuste - en contradiction avec les objectifs déclarés de la CODP. Ces pratiques limitent notre capacité à atteindre notre plein potentiel en tant qu'humanistes à cause de notre croyance, ainsi que de notre droit à l'autodéfinition comme humanistes.

Ici, nous listons ces circonstances limitantes :

  1. Demander la reconnaissance par la Province de l’Ontario des unions humanistes. En demandant le pouvoir de célébrer des mariages, les associations humanistes doivent satisfaire aux exigences d'une religion. La demande a été formulée comme si nous étions une quasi-religion, résultant en un processus long, fragile et difficile étant donné que nos valeurs et nos principes diffèrent en nature d'une religion.            
  2.  Reconnaissance de nos communautés et associations by the charitable directorate. En demandant le statut d'organisme de bienfaisance, nos applications ont généralement réussi uniquement sur la base des objets éducatifs. Contrairement aux groupes religieux, on a refusé aux communautés humanistes le statut sur la base de service pour le bien de nos communautés.
  3.  Les communautés humanistes ne sont pas accordées le statut de franchise d'impôt sur les biens détenus par la communauté que les autres groupes religieux possèdent
  4. Les célébrants Humanistes de l’OHS ne bénéficient pas des avantages fiscaux du clergé religieux, ce qui limite leur capacité à servir notre communauté.
  5. Des nominations comme aumôniers des prisons, de l'armée et des hôpitaux exigeant la reconnaissance par le Conseil multiconfessionel de l'Ontario n’ont pas été effectuées.

Les efforts visant à assurer ces accommodements ont eu un succès limité. À Toronto, la HAT a réussi à obtenir le statut devant les tribunaux sur la base de servir au bien de la communauté. D'autres n'ont pas eu un tel succès ce qui suggère que le statut est accordé comme un privilège au cas par cas plutôt que comme une pratique courante sur la base de la croyance.

Conclusion : vers une interPrétation inclusive de la ‘croyance’

La CODP a fait une interprétation étroite du terme « croyance » de telle sorte que l'Ontario Humanist Society et d'autres communautés humanistes et éthiques sont exclues. Mais pourquoi est-ce ainsi ? L'exclusion des groupes organisés avec une histoire institutionnelle établie de soutien à de profondes croyances et principes éthiques est en contradiction avec la raison d'être de la CODP, ainsi que les intentions du Code des droits de la personne.

Cette exclusion, une fonction de la discrimination dans l'interprétation du terme « croyance », a causé la détresse affective et instrumentale au sein de notre communauté humaniste. Cela a été bien formulé par Peter Moller, trésorier de l’OHS, qui a noté, en ce qui concerne la déclaration sur les athées et les agnostiques, que « les droits des non-religieux ne doivent pas être relégués à une note de bas de page ».

M. Moller a offert une définition alternative du passage de la CODP avec lequel ce texte a ouvert :

La croyance comprend toutes les croyances établies, qui exposent des normes morales ou éthiques. Elle ne comprend pas les convictions politiques. Cette politique ne s'étend pas non plus à des religions ou des groupes qui incitent à la haine ou la violence contre d'autres individus ou groupes,[5] ou à des pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux mais qui contreviennent aux normes internationales relatives aux droits de la personne ou au droit pénal.

Nous appuyons cette définition, car elle semble aborder nos questions. L'absence de protection des droits collectifs pour les communautés humanistes ainsi que d'autres groupes éthiques qui se définissent au sein d'une croyance éthique qui n'est pas de nature religieuse est d'une grande importance à l’Ontario Humanist Society.


Notes

  1. Ce texte reflète les perspectives de l’Ontario Humanist Society et ses membres, ainsi que les membres des groupes locaux d’humanistes de l’Ontario et la communauté humaniste internationale. La rédaction de ce texte était un effort collaboratif de trois membres du Comité d’action éthique de l’Ontario Humanist Society.
  2. Voir les explications sur les ‘communautés éthiques de choix’ à la section 1, page 2.

Références

International Humanist and Ethical Union. The Amsterdam Declaration. Accédé le 6 décembre 2011, de http://www.iheu.org/adamdecl.htm.

McCabe, Gail. (2004) Morphing the Crone : An Ethnography of Crone Culture, Consciousness and Communities, a feminist participatory action research project [Doctoral dissertation] (9, 72-76) Accédé le 6 décembre 2011, de http://www.gailmccabe.com/crone/.

Nelson, Hilda Lindemann. (1995) “Resistance and Insubordination” dans Hypatia, vol. 10, no. 2, Printemps (23-40)

Nelson, Hilda Lindemann. (1999) “Stories of My Old Age” in Mother Time. Lanham, Maryland : Rowman & Littlefield Publishers Inc. (75-95).

OHS Ethical Action Committee. Position Papers. Accédé le 2 décembre 2011, de http://ontarioHumanists.ca/ethical-action/position-papers.

OHRC. Politique sur la croyances et les mesures d’adaptation relatives à l’observance religieuse. Accédé le 4 novembre 2011, de http://www.ohrc.on.ca/en/resources/Policies/PolicyCreedAccomodEN/view.

Les Nations unies. La declaration universelle des droits de l’homme Accédé le 6 décembre 2011, de http://www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml.

Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights. UNICEF Convention on the Rights of the Child. Accédé le 18 février 2012, de http://www2.ohchr.org/english/law/crc.htm.

 

Vers une définition des religions légitimes

Richard M. Landau est responsable de décisions arbitrales et de l’exécution d’un code d’éthique dans un milieu de radiodiffusion confessionnelle depuis 1992. Il est diplômé de l’Université Carleton et de l’Université d’Ottawa. Dirigeant d’un dialogue multicon-fessionnel, M. Landau a été consultant auprès du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni et du Bureau de la Maison Blanche des initiatives communautaires et confessionnelles. Il travaille étroitement avec les dirigeants des principales religions du monde. Il est l’auteur de l’ouvrage intitulé What the World Needs to Know about Interfaith Dialogue.

Résumé

Cet article examine la façon dont les particuliers, les organismes et les institutions de la société civile identifient les groupes confes-sionnels légitimes et les distinguent de ceux qui utilisent la langue et les symboles empruntés de la religion pour atteindre des objectifs illégitimes et non axés sur une croyance. Il fournit un fondement pour l’octroi aux organismes religieux et à leurs adhérents de droits et d’une reconnaissance sans octroyer une autorisation concomitante aux organismes qui font la promotion d’activités haineuses, illicites ou d’objectifs vexatoires.

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Qu'entend-on par religion ? Une soi-disant « nouvelle église » qui fait la promotion d’une philosophie aryenne de race pure doit-elle avoir les mêmes droits, libertés et protections qu’une institution comme l’Église catholique romaine ? Si un Canadien fonde un système de croyances religieuses en 2011 et revendique le droit pour lui-même et ses adhérents de ne pas travailler le jeudi, est-ce une expression légitime d’une croyance et la société est-elle tenue de l’accommoder ? Comment une société sépare- t-elle le soi-disant « crime d’honneur » de la revendication d’une forme d’immunité religieuse de l’auteur du crime?

Que pouvons-nous faire lorsque nous sommes confrontés à la croissance de groupes qui recherchent la légitimité empruntée de la langue et de la terminologie de la foi et de la croyance à des fins particulières, illégitimes et, peut-être, illicites mêmes?

De nombreuses organisations de la société civile ne sont pas du tout disposées à intervenir dans ce domaine. C’est en grande partie parce qu’on ignore quels critères utiliser pour identifier et distinguer la « religion » et les revendications religieuses sérieuses. Cependant, à défaut d’appliquer une définition pratique de ce qui constitue une expression de foi ou de croyance, les tribunaux canadiens risquent d’accorder par inadvertance les protections et les droits de la Charte à des pratiques répugnantes qui contredisent les lois et à des manifestations religieuses anormales qui pourraient avoir pour conséquence involontaire d’enfreindre les véritables droits, libertés et intentions des protections énoncées à l’article 2 de la Charte.

En utilisant des critères clairement établis, chacun d’eux s’appuyant sur une raison d’être, on peut définir la religion rationnellement sans présenter de motifs pour une accusation d’arbitraire ni de favoritisme. En l’absence de critères, on pourrait être incité à recourir à des décisions arbitraires ou, vice versa, à accepter que des groupes éventuellement racistes et extrémistes ont le même droit aux protections et aux libertés.

Qu’est-ce qu’une religion?

Lorsqu’un groupe estimé de dirigeants religieux appartenant à de nombreuses traditions religieuses du globe se sont réunis en 1984 pour former l’Interfaith Network du Canada, premier poste de télévision multiconfessionnel, ils se sont attaqués à cette question et ont adopté des critères qui se sont avérés raisonnables1. Ils ont affirmé le statut des religions établies tout en reconnaissant que de nombreuses personnes ne respectent pas les soi-disant religions établies. Les critères qu’ils ont énoncés sont toujours les plus fiables pour déterminer ce qui constitue une foi : la longévité, l’universalité, le statut d’organisme de bienfaisance et le droit de célébrer les unions. À ces quatre critères, cet article propose d’ajouter un cinquième critère : la légitimité.

Longévité

Les tendances de la foi et de la croyance vont et viennent, mais les religions et les systèmes religieux se perpétuent pendant des générations. Les groupes confessionnels authentiques perdurent ; mais les cultes de la personnalité meurent peu après le décès de leurs fondateurs et les groupes quasi religieux évoluent ou disparaissent. Souvent, ce sont les années d’existence qui séparent les cultes et nouvelles tendances des groupes confessionnels qui ont une influence globale considérable et à long terme. Le groupe de 1984 calcula qu’étant donné qu’un humain en bonne santé a une durée de vie moyenne de 75 ans, une religion souhaitant être considérée comme étant « établie » devrait démontrer qu’elle existe à titre de personne morale depuis au moins 75 ans.

Légitimité

Il est évident que les églises et synagogues individuelles et autres congrégations qui existent depuis moins de 75 ans ne peuvent indépendamment respecter le seuil de longévité. Dans de tels cas, un organisme peut démontrer sa longévité à l’aide d’une lettre d’attestation ou d’autorisation de légitimité d’un organisme parrain ou d’un organisme ombrelle établi et reconnu. Par conséquent, avant de pouvoir obtenir une lettre d’attestation du Conseil canadien des Églises, de l’Alliance évangélique du Canada ou d’un autre organisme de certification, l’Église « aryenne » ne peut être considérée comme étant une église ou une secte chrétienne légitime. Elle n’est pas chrétienne. Il en est de même pour la Nation de l’Islam. Si aucun conseil d’imams ni groupe reconnu comme la Société islamique n’atteste qu’elle s’inscrit authentiquement dans la tradition islamique, elle ne peut prétendre avoir les mêmes racines que l’Islam qui remonte à plus de 1 300 ans. Ces groupes seraient tenus de calculer leurs origines légitimes à partir de la date de leur constitution en personne morale.

Examinons le test de légitimité de plus près. Ces dernières années, partout dans le monde occidental, des groupes de soi-disant « juifs messianiques » ont émergé. Ils se prétendent juifs et, pourtant, ils acceptent Jésus (qu’ils appellent « Yeshua ») comme étant le Messie promis. Cela contredit la définition juive traditionnelle de l’identité juive. En 1999, j’ai statué sur une telle question. Ma décision repose sur un test de légitimité ; la question de la légitimité dans sa forme la plus pure devient : « Sur quoi repose votre revendication d’être une branche de la religion (nom) ? » En d’autres termes, le simple fait de revendiquer un nom ou de prétendre représenter une croyance donnée – en l’occurrence le judaïsme – ne signifie pas nécessairement et immédiatement que cette revendication est légitime.

Il s’agit d’une importante distinction, car les cultes et les organismes marginaux s’approprient parfois le langage de la religion pour « fabriquer une légitimité ». Les groupes marginaux qui recherchent une légitimité utilisent régulièrement le terme « église » dans leur nom et appellent leurs dirigeants des pasteurs ou ministres. Les titres sont une façade et n’ont aucun fondement à moins que nous ne puissions déterminer quelles études théologiques reconnues et acceptées ces dirigeants ordonnés ont faites. La légitimité doit être méritée.

Universalité

Sans avoir démontré qu’elle a un certain nombre d’adhérents, l’« église » autoproclamée d’une personne obtient la même autorité et les mêmes droits et protections qu’un groupe confessionnel établi qui compte des millions d’adhérents – ce qui pose un problème.

En Ontario, il y a une petite bande d’acolytes qui appartiennent à une soi-disant « église » qui s’abstient de porter des vêtements et invoque la consommation de drogues illicites comme étant un sacrement2. Sans un test numérique quelconque d’universalité, ce petit groupe aurait les mêmes droits et la même autorité que les centaines de milliers de catholiques romains dans la collectivité et, par extension, que le milliard de catholiques romains dans le monde entier.

Un test numérique d’universalité empêche les groupes quasi religieux locaux, petits mais actifs, de modifier le visage de la société pour accommoder des pratiques anormales. Cependant, le test numérique n’est pas un critère indépendant suffisant. Autrement, on pourrait ne pas reconnaître des pratiques et des croyances qui sont universelles et reconnues internationalement, mais qui ont peu d’adhérents dans une collectivité donnée, comme le zoroastrianisme ou le bahaïsme dans des collectivités canadiennes.

Statut d’oeuvre de bienfaisance enregistrée et statuts constitutifs

Un des tests généralement acceptés des organismes religieux consiste à déterminer s’ils ont le statut d’oeuvre de bienfaisance. Bien que le pouvoir ultime d’autoriser, de certifier et de reconnaître les religions légitimes ne puisse être conféré à l’Agence du revenu du Canada ou au service national fiscal et du revenu d’un autre pays, il est vrai que les départements fiscaux des gouvernements des pays développés effectuent un éventail de tests rigoureux avant d’accorder ce statut spécial.

Les groupes qui maintiennent un statut d’oeuvre de bienfaisance doivent démontrer que les fonds qu’ils recueillent de leur effectif servent aux fins clairement définies dans leurs statuts constitutifs, à savoir à des activités religieuses. Le statut d’oeuvre de bienfaisance signifie généralement que les activités de l’organisme sont effectuées dans l’intérêt commun et n’ont pas pour objet de tirer un gain personnel, de satisfaire une ambition démesurée ou d’enrichir un petit groupe de membres privilégiés. L’octroi du statut d’oeuvre de bienfaisance signifie également que les objectifs du groupe ne contreviennent pas aux lois du pays3.

Célébration du mariage

Le droit de célébrer le mariage conféré par les autorités civiles aux groupes confessionnels est un autre test utile de ce qui constitue un organisme religieux légitime. Encore une fois, on ne peut arbitrairement soumettre le bon jugement et le droit final d’acceptation aux autorités civiles. Néanmoins, les gouvernements appliquent généralement des tests avant de conférer à un groupe confessionnel quelconque le droit de célébrer des mariages officiellement reconnus.

Ce droit exprime plus que le simple droit de célébrer un mariage reconnu par la loi. Il dénote un groupe confessionnel « organisé » régi par des rites de passage, un ensemble de lois et un cadre d’Écritures saintes révélées et des doctrines. Ces éléments sont au coeur de la façon dont on a défini la religion à travers l’histoire. Un organisme sans Écritures saintes, sans textes sacrés et sans lois régissant la conduite personnelle et les relations n’est pas une religion. Après tout, lorsque nous examinons la définition traditionnelle de la religion, nous constatons qu’elle s’entend « d’un engagement ou d’une dévotion à une croyance ou à des observances religieuses ; d’un ensemble personnel ou d’un système institutionnalisé d’attitudes, de croyances et de pratiques » qui incitent les individus à poursuivre une rectitude morale dans leur vie4. Les codes de lois peuvent être aussi précis que les 613 lois dans la Torah ou aussi universels que le Dhammapada du bouddhisme : ils énoncent des règles et des lois régissant la bonne conduite.

Autres critères

Outre les cinq critères susmentionnés, une communauté religieuse en règle avalise, perpétue et respecte ce qui suit :

  1. Les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme concernant l’égalité de toute personne sans distinction aucune de race, de croyance, de religion, de sexe, de fortune, etc.5
  2. Les lois de la nation hôte et des autres compétences.

Le premier de ces autres critères est une mesure de protection contre les suprématistes qui se cachent sous la légitimité dérobée de la foi. De plus, le second critère élimine les groupes qui revendiquent les substances illicites comme sacrements et les organismes marginaux qui accumulent les armes, kidnappent des gens ou leur nuisent ou cherchent ouvertement à renverser le gouvernement au nom de la religion. Il y a des gens et des organismes qui cachent leurs objectifs infâmes et antisociaux dans une terminologie religieuse et les manifestations extérieures des rites et de la foi comme le firent les Branch Davidians et le Temple du Peuple de Jonestown.

Lorsque des critères appropriés sont en place, ces extrémistes n’ont pas la possibilité de solliciter des protections religieuses en vertu de la loi ni de réussir et de prendre la place de la religion et de la croyance religieuse légitime dans notre société.

Organismes et mouvements quasi-religieux et parareligieux

Par leur nature, certaines des soi-disant « nouvelles religions » et certains mouvements philosophiques figurent parmi les plus spontanés. La plupart cherchent activement à grandir et à trouver de nouveaux membres. Certains manifestent l’enthousiasme associé à une nouvelle croyance. D’autres s’intéressent à la légitimité empruntée de la participation aux mêmes forums que les religions du monde qui respectent les critères énumérés au début de l’article. D’autres encore sont des branches et ramifications nouvelles de religions établies et ils présument, sans autorisation, parler au nom du corps de la tradition religieuse dont ils prétendent être issus.

Il y a beaucoup de quasi-religions et de quasi-mouvements. Chacun constitue un cas distinct. Chacun aura ses propres problèmes en ce qui a trait aux cinq critères énumérés au début de l’article. Clairement, les décisions dans ces cas devront être prises au cas par cas. Certains mouvements ne sont pas vus d’un bon oeil ni embrassés par les croyances respectives auxquelles ils s’identifient, mais sont quand même reconnus. Cependant, le contraire est également vrai : les organismes comme la Nation de l’Islam ou le judaïsme messianique sont rejetés par les organismes ombrelles des religions auxquelles ils prétendent appartenir.

Conclusion

L’application d’une définition ad hoc d’une expression d’une religion ou d’une croyance permettra aux tribunaux canadiens d’éviter par inadvertance d’élargir les protections et les droits de la Charte à des pratiques anormales qui prétendent être des observances religieuses, ce qui pourrait avoir l’effet final de diluer l’intention des protections énoncées à l’article 2 de la Charte.


Notes

  1. Vision TV, Code of Ethics, Section D. Mosaic Programming. http://www.visiontv.ca/about-vision/code-on-ethics/.
  1. Church of the Universe, http://en.wikipedia.org/wiki/Church_of_the_Universe.
  1. Charitable Purpose, Advocacy and the Income Tax Act. Andrew Kitching. Bibliothèque du Parlement. Le 28 février 2006. http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/researchpublications/prb0590-f.htm.
  1. « Religion ». Merriam-Webster Dictionary. http://www.merriam-webster.com/dictionary/religion.
  1. Déclaration universelle des droits de l’homme. http://www.un.org/fr/documents/udhr/.

 

Accommodement et compromis : Pourquoi les questions de liberté de religion ne peuvent être résolues par la conciliation

Richard Moon est Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Windsor. Il est l’auteur de The Constitutional Protection of Freedom of Expression (University of Toronto Press, 2000), éditeur de Law and Religious Pluralism in Canada (UBC Press, 2008) et un contributeur à Canadian Constitutional Law (4e éd) (Emond Montgomery Press, 2010). Sa recherche porte sur la liberté de religion et est financée par une bourse du Conseil de recherche sur les sciences humaines.

Résumé

Le juge en chef McLachlin a affirmé que bien que les “accommodements raisonnables” soient “l’analyse” appropriée dans les cas de liberté de religion/discrimination religieuse du secteur privé, ils ne sont pas appropriés pour les cas relatifs à la Charte dans lesquels la restriction sur la liberté religieuse est imposée par la loi. Je crois que le juge en chef a raison de dire qu’il existe d’importantes différences entre ces deux genres de restrictions sur les pratiques religieuses – secteur privé/Code des droits de la personne et législatif/Charte. J’affirmerai, toutefois, que son approche alternative, l’équilibre des intérêts sous la section 1 de la Charte, est soit inappropriée soit impraticable.

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Dans le cas Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony,[2] , le juge en chef McLachlin a déclaré que même si l’« accommodement raisonnable » peut s’avérer, le cas échéant, l’« analyse » appropriée dans les cas de liberté de religion/discrimination religieuse en vertu de codes de droits de la personne, son utilisation n’est pas appropriée dans les cas de liberté de religion sous la Charte[3], ou à tout le moins dans les cas de la Charte dans lesquels la restriction sur la liberté religieuse est imposée par la loi. Son rejet de « l'analyse d’accommodement raisonnable » dans les cas de la Charte a surpris beaucoup de gens. Je pense que le juge en chef a raison, cependant, il existe des différences importantes entre ces deux types de restrictions sur les pratiques religieuses - secteur privé/Code des droits de la personne et législatif/Charte.

Elle peut également avoir raison de dire que les « accommodements raisonnables » ne sont pas la meilleure façon de décrire l'approche des tribunaux à la justification de limites statutaires sur les pratiques religieuses, même si je suis enclin à penser que le terme est suffisamment ouvert qu'il peut encore être approprié dans ces cas. Je soutiendrai, cependant, que son approche alternative, c’est-à-dire l'équilibre des intérêts en vertu de l'article 1 de la Charte, est inappropriée ou impraticable.

La question des « accommodements religieux » (à savoir si l'État devrait être tenu de modifier la loi pour faire de la place aux pratiques religieuses) est compliquée pour des raisons qui se rapportent à la fois à la fonction du droit et à la nature de la religion. Les lois visent à promouvoir les intérêts publics - les droits et le bien-être des membres de la communauté - et sont rédigées en termes généraux. Et tandis que la religion est souvent concernée par ce qui pourrait être décrit comme des questions personnelles/spirituelles, elle aborde parfois des sujets de préoccupation civique. Les croyances religieuses ont parfois quelque chose à dire sur les droits et les intérêts d'autrui et sur la façon dont la société devrait être organisée.

Le conflit entre la religion et le droit peut être décrite comme indirecte (ou accessoire), lorsque la pratique religieuse entre en conflit avec les moyens choisis pour faire progresser la politique publique (la manière dont une politique est avancée) et non pas avec la politique elle-même.[4] Par exemple, le gouvernement peut avoir décidé d’un itinéraire particulier pour une nouvelle autoroute, seulement pour découvrir que l’itinéraire préconisé traverse une zone qui est sacrée pour un groupe autochtone.

Dans un tel cas, il peut être possible pour l’État de faire avancer son objectif d'une manière différente, par des moyens différents, de sorte qu'il n'interfère pas (du moins au même degré) avec la pratique ou l’espace religieux. Les législateurs auraient dû prendre en compte les intérêts et les circonstances des différents groupes religieux (et autres) de la communauté et conçu la loi de manière à éviter tout conflit inutile. En effet, on peut raisonnablement se questionner dans un tel cas, si l'état aurait adopté la même loi (adopté les mêmes moyens) si les pratiques religieuses d'un groupe politiquement plus influent auraient été touchées. Il est important de reconnaître, cependant, que même dans le cas de ce qui pourrait être décrit comme un conflit indirect entre la loi et la religion, l'adoption de différents moyens nuit souvent dans une certaine mesure à la capacité de la loi de faire avancer une politique particulière. Dans l'exemple donné, un itinéraire alternatif peut ajouter aux coûts de construction ou nuire à des conditions routières idéales.

Dans le cas d'un conflit indirect ou accessoire entre la loi et la pratique religieuse, les « accommodements raisonnables » sont une réponse appropriée (ou une façon appropriée de décrire la réponse), même si dans la pratique l'État peut être invité à faire très peu d’accommodements. L’analyse des« accommodements raisonnables » demande si la loi (la manière dont elle avance sa politique) peut être appliquée de sorte qu'elle n'interfère pas (dans la même mesure) avec la pratique religieuse, sans pour autant compromettre les fins publiques de la loi de manière significative. Lors de l'application de ce test, et de la détermination de l’accommodement ou non d’une pratique religieuse, il peut y avoir désaccord sur la mesure dans laquelle la politique du gouvernement devrait être compromise. Et je tiens à souligner ici simplement que les tribunaux n'ont pas été disposés à exiger de l'État de compromettre ses politiques de manière sérieuse.[5]

Parfois, cependant, le conflit entre les pratiques religieuses et les politiques publiques est plus direct, en ce sens que la loi est la poursuite d'une politique (d'une valeur publique) qui est directement en contradiction avec la pratique religieuse. Dans un tel cas, le conflit entre la loi et la pratique religieuse ne peut être évité ou réduit par l'État simplement en ajustant les moyens qu'il a choisis pour faire avancer son objectif public. Si les législateurs ont décidé, par exemple, que les châtiments corporels des enfants sont erronés et doivent être interdits ou que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est erronée et doit être interdite, comment un tribunal doit-il décider si une exception à ces normes ou exigences doit être accordée à une personne religieuse qui croit que les châtiments corporels sont mandatés par Dieu ou que les relations de même sexe sont un péché et ne doivent pas être acceptées ? La question pour la cour dans le premier exemple n'est pas de savoir si la discipline physique est efficace ou si la valeur  ou l'utilité de la discipline physique l'emporte sur le mal physique et émotionnel des enfants. N'est pas non plus la question de savoir si les parents devraient avoir le droit de porter des jugements sur le bien-être de leurs enfants sans ingérence de l'État, qui, si résolue en faveur de l'autonomie parentale, se traduirait par l'annulation de l'interdiction, et non seulement la création d'une exception pour certains parents. En d'autres termes, le tribunal ne remet pas en cause la norme publique et ne détermine pas si la discipline physique est en fait parfois juste ou justifiée. Au lieu de cela, la question est de savoir si certains parents - les parents religieux - devraient être exemptés de l'interdiction autrement justifiée sur la discipline physique, parce qu'ils croient que Dieu les a mandatés pour discipliner leurs enfants d'une manière que la loi interdit. Le tribunal doit décider si l'espace devrait être accordé à une vision normative différente – un point de vue que le législateur a rejeté.

Dans un tel cas, alors, la tâche des tribunaux n'est pas de décider le bon équilibre ou la conciliation entre des intérêts ou des valeurs concurrents (en conformité avec le processus de justification ordinaire en vertu de l'article 1 de la Charte). Leur tâche consiste plutôt à déterminer si un individu ou un groupe religieux devraient être exemptés de la loi. Mais si, en tant que communauté démocratique, nous avons décidé qu'une activité particulière devrait être restreinte parce que qu’elle est considérée nuisible ou qu’une politique particulière devrait être prise en charge dans l'intérêt public, pourquoi la question doit-elle être réexaminée pour un individu ou un groupe qui est titulaire d'un point de vue différent pour des motifs religieux?

Du point de vue laïc/public une pratique religieuse particulière n'a aucune valeur intrinsèque, en effet, il est dit que le tribunal ne devrait pas prendre position sur sa vérité. La pratique est significative parce qu'elle est importante pour l'individu - parce qu'il/elle croit qu'elle est exigée par Dieu ou que ceci le/la rapprochera du divin. Toutefois, l'importance de la pratique religieuse de l'individu peut ne pas être suffisante pour justifier la création d'une dérogation à une norme démocratiquement mandatée. La volonté d'exempter une pratique religieuse peut également être fondée sur une prise de conscience des limites pratiques du pouvoir d'État. Plus particulièrement, l’accommodement peut être fondé sur une reconnaissance du fait que les décideurs politiques sont faillibles et qu’un certain respect devrait être accordé aux réponses traditionnelles ou évolutives des différentes communautés religieuses à des questions fondamentales morales. Il peut également reposer sur une préoccupation que si les adeptes religieux sont tenus d'agir d'une manière qui est contraire à ce qu'ils croient être juste ou nécessaire, ils deviendront aliénés de l'ordre politique et pourraient même recourir à la désobéissance civile. L’accommodement peut donc être destiné à prévenir la marginalisation des groupes religieux minoritaires et la possibilité d'un conflit social – des préoccupations que nous associons à l'égalité des droits.

La volonté d'un tribunal, dans un cas particulier, d'exempter une personne ou un groupe religieux d'une norme publique - pour traiter la pratique d’une individu/groupe en tant que partie de la sphère « privée » - peut dépendre de deux considérations connexes. La première est de savoir si la pratique a un impact sur les droits ou intérêts des autres dans la communauté, ou si elle est tout simplement personnelle à l’individu ou interne au groupe religieux. Il y a beaucoup de place pour le débat et le désaccord sur le caractère public/privé d'une pratique religieuse. Par exemple, tandis que l'éducation des enfants peut être considérée comme essentiellement la préoccupation des parents, il y a aussi un intérêt public dans la façon dont les enfants sont éduqués. En outre, la communauté peut avoir une certaine responsabilité envers les enfants afin de s'assurer qu'ils soient bien éduqués. Un autre exemple concerne la performance d'une cérémonie de mariage par une autorité religieuse, qui est généralement considérée comme une affaire privée, même si elle a des conséquences civiques ou morales. Le point ici est simplement qu'il n'y a pas de ligne claire entre les activités publiques/civiques et privées/personnelles.

La seconde considération (tout de même en lien avec la première) est de savoir si l'appartenance au groupe religieux est considérée comme volontaire. Les opérations internes d'un groupe seront exemptées de normes publiques (par exemple de règles anti-discrimination) que si les membres du groupe ont un droit réel ou la possibilité de quitter le groupe et ne sont pas considérés comme nécessitant une protection contre l’oppression intra-groupe. Dans ce court texte je ne peux faire plus que de reconnaître que le « caractère volontaire » de l'appartenance au groupe est une question complexe. L'identité d'un individu peut être liée d'une manière profonde à son groupe religieux, et ainsi quitter le groupe peut être difficile, même lorsqu’il y a peu de barrières matérielles. La sortie de l'individu de sa communauté religieuse peut être difficile pour la même raison que l'autonomie des collectivités est importante. La sortie est difficile précisément parce que la communauté religieuse joue un rôle central dans la vie du membre individuel et de son identité - car elle est la source de sens et de signification pour elle/lui.

La difficulté de déterminer le moment où une exemption devrait être accordée est joliment illustrée par le cas superficiellement simple d'une demande d'exemption d'une loi paternaliste. Une exemption religieuse peut être appropriée dans le cas des lois qui empêchent les individus paternalistes de s'engager dans des activités « à risque » qui sont requis par leur foi : par exemple, une exemption pour les hommes sikhs d'une loi qui exige que tout le monde porte un casque quand on conduit une motocyclette ou une bicyclette. Les lois paternalistes sont destinées à protéger les individus contre leurs propres mauvaises décisions. Un engagement à la liberté religieuse peut au moins limiter le pouvoir de l'État de traiter les pratiques religieuses « concernant les individus » comme imprudentes, - quelque chose contre quoi les individuels ont besoin d'être protégés. Pourtant, même dans le cas des lois apparemment paternalistes, les tribunaux ont hésité à reconnaître des exceptions - pour traiter la pratique comme une affaire privée.[6] La réticence à reconnaître une exception religieuse dans de tels cas, semble être fondée sur une prise de conscience qu'aucune loi n’est tout simplement paternaliste (une affaire privée) et que chaque fois qu'un individu est blessé, il y aura un impact sur les autres, y compris les amis et membres de la famille, les employeurs, les collègues de travail, et bien sûr la communauté en général, qui doit couvrir les frais médicaux de la personne lésée.

La question dans ces cas « d’accommodement religieux » est donc la ligne de démarcation entre la sphère politique (de l'action gouvernementale) et la sphère privée (de la pratique religieuse). Les tribunaux peuvent parfois tirer la ligne d'une manière qui exclut une pratique religieuse de l'application d'une loi autrement justifiée. De cette façon, ils peuvent créer un certaine espace « privé » pour la pratique religieuse, sans remettre directement en cause l'autorité de l'État à gouverner dans l'intérêt public et à établir des normes publiques. Ceci, bien sûr, dépendra de savoir si les tribunaux sont prêts à voir la pratique comme suffisamment privée - sans impact sur les droits et les intérêts d'autrui de réelle manière. L’accommodement, cependant, ne sera pas étendu à des croyances et des pratiques qui portent expressément sur les questions civiques (les droits ou le bien-être des autres dans la communauté) et sont directement en contradiction avec les politiques publiques démocratiquement adoptées. Quand les croyances religieuses abordent les questions civiques, elles seront considérées comme des jugements politiques qui peuvent être rejetés (et peut-être acceptés) dans le processus politique.

Bien que les tribunaux ne se livrent pas du tout à ce qui pourrait être décrit comme la « conciliation » d’intérêts concurrents publics et religieux (dans le cadre desquels les objectifs de l'État peuvent parfois être subordonnés à des revendications d'une communauté religieuse), ils ont parfois cherché à créer un espace pour les pratiques religieuses en marge de la loi. Tout d'abord, un accommodement peut parfois être accordé dans le cas d'une pratique religieuse qui entre en conflit indirect avec la loi. Dans un tel cas, le tribunal peut exiger de l'État qu’il fasse des compromis, de façon mineure, dans sa poursuite d'un objectif particulier pour faire place à la pratique religieuse. Deuxièmement, dans le cas d'un conflit plus direct entre une pratique religieuse et une norme publique, le tribunal demandera à l'état d'exempter (accommoder) un individu ou un groupe religieux de la loi seulement si cela n'aura pas d'impact réel sur les autres dans la communauté. Dans un tel cas, la pratique sera considérée comme privée et isolée de l'application de la loi.

Il n'y a pas de façon raisonnée pour les tribunaux de déterminer l’« équilibre » approprié entre des valeurs ou objectifs publics démocratiquement choisies et les croyances et pratiques spirituelles d'un individu ou de la communauté religieuse (un système normatif alternatif). Un jugement sur l'opportunité de créer un espace pour une pratique religieuse en marge de la loi doit être à la fois pragmatique et contingent. L'ambivalence des tribunaux sur les accommodements religieux découle, à mon avis, de la croyance dictant que lorsqu’ils examinent des revendications de droits, les tribunaux devraient tenter l’équilibre entre les valeurs. Une réponse pragmatique aux revendications de la politique juridique et la pratique religieuse ne cadre pas bien avec l'engagement de la cour de résoudre les problèmes d'une manière raisonnée, un engagement qui sous-tend la légitimité du contrôle judiciaire.


Notes

[1] Faculté de droit, Université de Windsor. Ce texte est une version modifiée d’une présentation donnée au Multi-Faith Centre, à l’Université de Toronto, janv. 2012.

[2] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 SCC 37. L'adoption d'une approche commune à des restrictions privées et publiques sur la liberté religieuse pourrait sembler suivre les liens conceptuels entre les Codes des droits de la personne et la Charte. L'interprétation initiale des droits à l'égalité garantis par la Charte (article 15) par les tribunaux s’est lourdement inspirée de jurisprudence sur la lutte contre la discrimination développée par les commissions et tribunaux des droits de la personne. Et la Cour suprême du Canada dans ses cas antérieurs de liberté de religion en vertu de la Charte a interprété la liberté non pas simplement comme une liberté de pratiquer sa religion, mais comme une forme de droit à l'égalité.

[3] Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle, 1982.

[4] Dans la discussion qui suit, j'ai établi une distinction entre les restrictions directes et indirectes sur la pratique religieuse. Je reconnais cependant que ces deux « catégories » sont parfois difficiles à distinguer et pourraient être plus précisément considérées comme faisant partie d'un continuum.

[5] Voir par exemple Multani c. Commission Scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 SCR 256, Amselem, note 2 et Wilson Colony, note 2.

[6] R. c. Badesha, 2008 ONCJ 94 ; 2011 ONCA 601.

 

La nécessité de protéger davantage les droits d'association religieuse en matière d'emploi

André Schutten a obtenu son diplôme de droit à l'Université d'Ottawa. Son projet de recherche majeur plaidait pour une meilleure protection des droits d'association dans l'emploi à but non-lucratif. Son diplôme de premier cycle en sciences des religions a contribué à façonner son appréciation pour et sa reconnaissance du rôle très important que joue la religion dans la société multiculturelle du Canada. Il a complété un internat au Centre for Faith and Public Life et a fait son stage avec l'Alliance évangélique du Canada. André est actuellement conseiller juridique pour l’organisme Association for Reformed Political Action Canada, où il surveille la liberté de religion. Il est également inscrit en tant que candidat au LL.M. (droit constitutionnel) à Osgoode Hall.

Résumé

L'exemption de l'interdiction sur la discrimination dans l'emploi (article 24 (1) (a) du Code des droits de la personne) est une préoccupation pour les communautés religieuses ; son interprétation étroite porte indûment atteinte au droit de s'associer librement avec d'autres dans une communauté religieuse. Je soutiens que, à la lumière de la jurisprudence sur la Charte de la Cour Suprême, l'article 24 devrait se traduire par une protection robuste des droits d'association, y compris le droit de limiter l'emploi à d'autres membres de l'association. Je propose ensuite une modification de la loi qui permettrait une plus grande clarté législative et une plus grande protection pour les communautés s’identifiant selon leur croyance, sans pour autant abandonner l'objectif et l'intention du Code.

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Le Code des droits de la personne de l’Ontario[1] permet certaines dérogations à l'interdiction générale de discrimination dans l'emploi. Le Code interdit la discrimination dans l’emploi dans la section 5(1), mais permet une exemption à l'article 24 (1), la Section sur l'emploi particulier (ci-après, la SEP).[2]

La Cour Suprême du Canada a expliqué que le but de la SEP est de “conférer et protéger les droits” ; une section qui est en fait “une protection du droit d’association.”[3] Le Juge Beetz a renforcé cette approche téléologique :

[la section est désignée afin de] permettre à certaines institutions sans but lucratif de faire des distinctions ou des exclusions ou de manifester des préférences qui, par ailleurs, violeraient la Charte. Il faut toutefois que ces distinctions, ces exclusions ou ces préférences soient justifiées par le caractère… religieux… de l'institution dont il s'agit. Dans ce sens, [la SEP] confère des droits à certains groupes. [Elle cherche] à promouvoir le droit fondamental des individus de s'associer librement afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières...afin d'établir la primauté des droits du groupe sur les droits de l'individu dans des circonstances précises.[4]

En dépit de cette directive claire de la Cour suprême, il existe encore des préoccupations au sein des communautés identifiées par la croyance en ce qui concerne l'application et l'interprétation de l'exemption du Code. Celle-ci a été appliquée de manière stricte, de telle sorte qu’on porte indûment atteinte à la liberté de s'associer avec d'autres membres d'un groupe religieux ; une tendance inquiétante pour les communautés identifiées par la croyance.[5]

Libertés religieuse et associative

Il est utile d'examiner d'abord les principes juridiques qui entourent les libertés fondamentales de religion et d'association protégées par l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés.[6] Ceux-ci sont particulièrement pertinents à la discussion de la discrimination dans l'emploi dans le contexte des organisations religieuses.[7]

Dans la cause Hutterian Brethren, la Cour suprême a insisté sur l'importance de reconnaître la communauté et l'aspect collectif des droits religieux. Le juge LeBel écrit : « [La liberté de religion, c’est] d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune [...] La religion a trait aux croyances religieuses, mais aussi des rapports religieux [...] [cette cause] soulève des questions sur […] le maintien des communautés organisées autour d’une même foi. »[8] Cette reconnaissance d'un droit collectif à l'exercice libre de la religion est importante pour les personnes religieuses qui souhaitent exprimer collectivement leur identité ou qui souhaitent s'engager dans une entreprise ensemble, à l'exclusion des autres. La déclaration du juge LeBel reconnaît que la liberté de religion comprend le droit « d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune »[9] sur la vie ou sur la moralité ou sur la pratique religieuse, que ces valeurs soient obligatoires ou non.

De plus, le but de l’alinéa 2(a) de la Charte est que « la société ne s'ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu'on a de soi, de l'humanité, de la nature et, dans certains cas, d'un être supérieur ou différent. »[10] La Cour a affirmé ceci avec force dans l’arrêt Amselem :

L’État n’est pas en mesure d’agir comme arbitre des dogmes religieux […] En conséquence, les tribunaux devraient donc éviter d'interpréter et de déterminer, que ce soit explicitement ou implicitement, le contenu d'une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel. Des décisions judiciaires séculières de différends théologiques ou religieux, ou de questions litigieuses touchant la doctrine religieuse, enchevêtrent la cour dans les affaires de la religion.[11]

Le droit protège l'exercice collectif des droits constitutionnels des individus [...] la liberté de religion ne fait pas perdre la protection constitutionnelle lorsqu'elle est exercée en commun avec les autres.[12] Les droits collectifs religieux de chacun des membres d'organisations religieuses sont également protégés par leur liberté d'association. La Cour suprême a expliqué que de ne pas permettre cela est contradictoire et va à l’encontre du but des libertés élaborées dans l'art. 2 (d) :

[…] la liberté d'association doit garantir l'exercice collectif de droits constitutionnels. Les droits individuels garantis par la Constitution ne sauraient perdre cette protection lorsqu'ils sont exercés collectivement. On doit pouvoir être libre d'exercer collectivement les activités dont la Constitution garantit l'exercice à chaque individu.[13]

Cela devrait inclure la liberté de limiter l'adhésion à la communauté religieuse selon « la compréhension subjective de quelque exigence religieuse », ce qui inclut nécessairement de limiter les employés à ceux s’identifiant à la même croyance.[14]

La cour suprême sur l’emploi particulier et l’EPN

L’étape finale, la plus complexe et la plus insaisissable que les organisations religieuses doivent passer afin de bénéficier de l'exception de l'emploi particulier, c'est que celles-ci doivent démontrer, sur la prépondérance des probabilités, que leurs qualifications professionnelles sont raisonnables et de bonne foi compte tenu de la nature de l'emploi. Pour le déterminer, la Cour suprême a mis au point un critère qui comporte un élément subjectif et objectif.[15]

La Cour suprême a traité des exemptions d'emploi à plusieurs reprises, mais le critère d’exigence professionnelle normale (EPN) qu’elle utilise (et, par nécessité, que tous les tribunaux inférieurs utilisent aussi) est d'une époque antérieure à la Charte[16] et repose sur un scénario de faits qui est fondamentalement différent de celui des causes impliquant des droits fondés sur les croyances. Il y a une différence majeure entre Etobicoke et des causes de ce genre et la cause Christian Horizons et d'autres cas semblables.

Dans l'arrêt Etobicoke[17] et dans l'arrêt Meiorin[18], la question sur la « nature de l'emploi » dans le différend concernait le travail physique réel, à savoir si des ouvriers ou des ouvrières âgés de plus de 60 ans étaient physiquement capables de faire le travail d'un pompier et si l'imposition de telles limites était raisonnable et de bonne foi. Ici, l'EPN est une exigence qui peut être objectivement mesurée par des études scientifiques : les hommes de plus de 60 ans peuvent-ils encore travailler de façon satisfaisante en tant que pompiers ? Dans ce type de cas, l'objectif initial de la SEP (la protection des droits d'association) ne joue pas un rôle dans l'analyse. En outre, les organisations fondées sur la croyance ont besoin d'un critère différent, parce que leurs critères d'embauche ne sont pas empiriquement mesurables et ne peuvent pas être évalués objectivement, et les tribunaux et les cours ne devraient pas tenter de le faire non plus.[19]

Un cas plus utile est l’arrêt Caldwell,[20] dans lequel une enseignante catholique n'a pas été réembauchée parce qu'elle a épousé un homme divorcé, un geste contraire au dogme de l’Église catholique. Les habiletés de la plaignante n’étaient en aucun cas problématiques ; elle était qualifiée pour enseigner.[21] Donc dans ce cas, l'EPN va au-delà des résultats mesurables et des conditions objectives et considère les qualifications qui sont particulières à l'organisme qui emploie. La Cour suprême a statué en faveur de la commission scolaire et a reformulé l'élément objectif du test de l’EPN pour s'adapter à l'institution religieuse et d'enseignement en question :

[…] le critère demeure essentiellement applicable et peut se formuler ainsi : « Considérée objectivement, l’exigence que les professeurs catholiques se conforment à la religion est-elle raisonnablement nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs que poursuit l’Église en maintenant une école catholique de caractère distinct dans le but de fournir une éducation catholique à ses élèves ? »[22]

Le critère objectif indiqué de cette manière représente une amélioration de l'approche adoptée dans l'arrêt Etobicoke. Cependant, des problèmes demeurent dans l’utilisation du critère « objectif » : d’une part, il n'y a pas d’accommodement pour les droits d'association, qui sans doute n'ont pas besoin de justification pour leurs limites[23] et, d'autre part, techniquement et actuellement, la plupart des (sinon tous les) emplois au sein de n'importe quelle institution religieuse ne peuvent être occupés indépendamment de l'appartenance religieuse lorsqu'ils ont été évalués « objectivement ». Alors où les cours et tribunaux doivent-ils fixer les limites ?

Est-ce qu'un athée peut effectuer le travail d'un organiste d'église ? Est-ce qu’un Hindou peut remplir les fonctions de secrétaire dans une synagogue ? Est-ce qu'un homme homosexuel peut exercer les fonctions d'un servant d’autel catholique ?[24] Est-ce qu’une femme dans une union de fait peut enseigner l'école du dimanche aux enfants ?[25] La réponse « objective » à ces questions est oui. Mais le résultat est absurde pour de nombreux groupes religieux. Les points de vue subjectifs religieux de la communauté religieuse particulière doivent primer dans toute analyse. Une évaluation objective prive les membres religieux de la légitimité de leurs propres préceptes religieux et de leur liberté de s'associer et de se dissocier de qui ils veulent. Au lieu d’examiner l'emploi dans les organisations religieuses d'une manière instrumentale ou parcellaire, nous devons plutôt examiner l’emploi dans les organisations religieuses d'une manière holistique - chaque employé d'une organisation religieuse doit être considéré comme un membre fonctionnant de cette communauté religieuse.

Une meilleure loi, un meilleur critère

Un meilleur critère dans ces situations particulières est celui qui reconnaît et peut accommoder simplement les droits d'association religieuse. Un ajustement à la loi peut apporter plus de clarté sur cette question et une meilleure orientation pour les tribunaux à l'avenir. Cela permettra d'assurer que les libertés individuelles de religion et d'association soient correctement équilibrées avec le droit d'être libre de discrimination dans l'emploi.

L’exception dans le Code permet actuellement la discrimination « si la qualification est exigée de façon raisonnable et de bonne foi compte tenu de la nature de l'emploi. »[26] À tout le moins, cette déclaration devrait avoir une phrase supplémentaire ajoutée ensuite qui préciserait « [...] en raison de la nature de l'emploi, de l'institution ou de l'organisme ». L'ajout de ces cinq mots encouragerait nos tribunaux à utiliser l'approche de la Cour suprême dans l'affaire Caldwell, où la Cour suprême a souligné que l'élément objectif dans l’analyse du critère d'EPN doit prendre en considération la nature de l'organisation religieuse même et non pas simplement la description du poste.

Une autre amélioration serait de supprimer le terme objectif « raisonnable » de l'équation. Les groupes religieux ne devraient pas avoir à démontrer à l'État le caractère objectivement raisonnable de leur association avec des gens possédant les mêmes idées et croyances. Une simple exigence professionnelle justifiée, qui s'en remet aux politiques de bonne foi de l'organisme, à sa « compréhension subjective des exigences religieuses »,[27] devrait être suffisante. Les groupes religieux doivent être autorisés à embaucher des gens qui s'identifient complètement avec toutes les parties de cette communauté en autant que la qualification soit toujours appliquée par l'organisme et en autant que les restrictions de l'emploi soient fondées sur des raisons associatives.

Le Code des droits de la personne exige actuellement que le tribunal détermine si certaines exigences religieuses de l'emploi sont objectivement raisonnables ou non. Cela oblige le tribunal à prendre une voie qu’il ne devrait pas prendre (voir l'arrêt Amselem), en pataugeant dans le dogme religieux et en arbitrant les questions litigieuses touchant la doctrine religieuse. Avec les modifications proposées, le législateur éliminera ce fardeau des tribunaux et des cours.

L'approche actuelle utilisée pour la discrimination religieuse dans l'emploi est inutile en raison d'une mauvaise application de la SEP dans le Code des droits de la personne, un critère archaïque datant d'une époque antérieure à la Charte, et une section dont le langage est trop restrictif.

Une bonne compréhension des libertés fondamentales énoncées dans la Charte est fondamentale à une bonne application de l'exception de l'emploi particulier. Les cours et les tribunaux ne doivent pas lire la SEP comme une exemption d'être lié par les politiques antidiscriminatoires du Code. Plutôt, la SEP doit être lue comme une protection supplémentaire incorporée dans le Code. La liberté pour une organisation religieuse de n'embaucher que des coreligionnaires est l'octroi d'un droit, pas un déni des droits.[28] En protégeant les droits d'association, nous nous assurons de la diversité continue par le biais de la viabilité des groupes distincts et uniques, les contributeurs à notre tissu pluraliste canadien.



Notes

[1] Code des droits de la personne, R.S.O. 1990, c.H.19 [Code].

[2] Ibid., à s.24.(1)(a) : « Ne constitue pas une atteinte au droit, reconnu à l’article 5, à un traitement égal en matière d’emploi le fait :(a) qu’un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la croyance, le sexe, l’âge, l’état matrimonial ou un handicap n’emploie que des personnes ainsi identifiées ou leur accorde la préférence si cette qualité requise est exigée de façon raisonnable et de bonne foi compte tenu de la nature de l’emploi. »

[3] Caldwell v. Saint Thomas Aquinas High School, [1984] 2 S.C.R. 603 à 626 [Caldwell].

[4] Brossard (Town) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 S.C.R. 279 par.100 [Brossard] [italiques ajoutés].

[5] L’arrêt Christian Horizons est un exemple dans lequel les droits religieux associatifs du groupe ont été ignorés en faveur de l'individu ; le Tribunal et la Cour divisionnaire en appel n'ont pas prêté suffisamment attention à la question des droits d'association et le vrai but de la SEP. Voir Heintz c. Christian Horizons, [2008] O.H.R.T.D. No. 21 et Ontario Human Rights Commission c. Christian Horizons, 2010 ONSC 2105.

[6] Charte des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), 1982, c.11.

[7] En plus des libertés fondamentales dans la section 2, nous pouvons considérer l'article 15 et la façon dont cette clause s'applique également aux membres individuels d'une organisation religieuse. Voir Iain T. Benson, “The Freedom of Conscience and Religion in Canada : Challenges and Opportunities” (2007) 21 Emory Int’l L. Rev. 111 à 148.

[8] Ibid. par. 180-182 [italiques ajoutés].

[9] Voir Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 S.C.R.551 [Amselem]. La Cour suprême a rejeté l'argument selon lequel l’observance religieuse non-obligatoire n'est pas protégée par la liberté de religion ; les « expressions volontaires de la foi » sont également protégées (par. 47).

[10] R. c. Edward Books, [1986] 2 S.C.R. 713 à 759.

[11] Amselem, supra note 10, par.50 [italiques ajoutés].

[12] P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, student ed. (Toronto : Thomson-Carswell, 2007), 1009.

[13] Reference Re Public Service Employee Relations Act (Alberta), [1987] 1 S.C.R. 313 par. 172. Je crois qu’à l'exception des syndicats dans le droit du travail, les droits d'association ont par ailleurs été sous-évalués. Je suis d'accord avec David Schneiderman, qui plaide en faveur d'une plus grande protection des droits religieux d'association dans “Associational Rights, Religion, and the Charter” dans Richard Moon, éd., Law and Religious Pluralism in Canada (Vancouver : UBC Press, 2008) 65 à 80].

[14] Voir Amselem, supra note 10, par. 50.

[15] Ontario (Commission des droits de la personne) c. Etobicoke (Borough), [1982] 1 S.C.R. 202 [Etobicoke].

[16] Ibid. Cet arrêt est antérieur à la Charte, par contre son critère demeure la norme utilisée dans les causes de discrimination dans l’emploi. Il a été appliqué dans Caldwell, supra note 3 et dans Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] S.C.J. No. 74, affirmé à nouveau dans Bhinder c. Canadian National Railway Co., [1985] 2 S.C.R. 561, détaillé dans Brossard, supra note 4 et raffiné dans British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.) (Meiorin Grievance), [1999] 3 S.C.R. 3 (SCC) [Meiorin].

[17] Etobicoke, supra note 16.

[18] Meiorin, supra note 17.

[19] Voir les arguments concernant l'interprétation et la mise en oeuvre de l’arrêt Amselem, supra note 12, et pourquoi les tribunaux et les juges doivent s'abstenir de fouiller dans l'objectivité des différentes exigences religieuses.

[20] Caldwell, supra note 3.

[21] Ibid. par.28.

[22] Ibid. par.33.

[23] Il y a une grande différence entre discrimination et association. Les deux impliquent la sélection par préférence. Cependant, c’est une chose d’embaucher toutes sortes de gens différents, sauf un groupe cible. C'est de la discrimination. C'en est une autre de ne pas embaucher n'importe quel type de personnes, à l’exception d’un groupe cible spécifiquement défini. C'est l'association.

[24] Voir Corcoran c. Roman Catholic Episcopal Corporation of the Diocese of Peterborough, 2009 HRTO 1600.

[25] Voir Hoekstra c. First Hamilton Christian Reformed Church, 2010 HRTO 245.

[26] Code, supra note 1, s.24(1)(a).

[27] Amselem, supra note 10, par. 50.

[28] Caldwell, supra note 3 626.

 

La foi dans le système scolaire public : Principes pour la réconciliation

Cara Faith Zwibel est directrice du Programme des libertés fondamentales de l’Association canadienne des libertés civiles. Dans ce rôle, Cara a mis l'accent sur les questions liées à la liberté de religion et aux accommodements religieux. Elle détient un diplôme en sciences politiques de l'Université McGill, un baccalauréat en droit de l'école de droit Osgoode Hall et une maîtrise en droit de l’Université de New York. Cara a fait un stage à la Cour suprême du Canada en tant que clerc de l'honorable Juge Ian Binnie et a été appelée au barreau de l’Ontario en 2005. Elle est co-auteure d'articles sur la primauté du droit à la Cour suprême du Canada et sur l’activisme lié à la Charte.

Résumé

La liberté de religion inclut à la fois le droit à ses croyances et pratiques manifestes et le droit d'être libre de coercition de l'État ou de contrainte en matière de religion. Ce texte se penche sur la portée et l'interaction de ces deux aspects de la liberté de religion dans le contexte des questions d’accommodement religieux dans les écoles publiques. Il considère les facteurs qui peuvent être pertinents dans la considération des demandes d'accommodement dans les écoles et la façon d’aborder la difficulté de veiller à ce que des pratiques d’accommodement ne deviennent pas et ne soient pas perçues comme un endossement ou une sanction de la religion par l'état.

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Introduction

Bien avant la ratification de la Charte canadienne des droits et libertés,[1] la liberté de religion était un élément important de la société canadienne. La Cour suprême du Canada a reconnu très tôt que la liberté de religion comportait deux volets principaux. Tout d'abord, elle englobe le droit de manifester ses croyances et pratiques, et est donc aussi étroitement liée à la liberté d'opinion et de croyance. Cela signifie que la liberté de religion exige que les croyances et pratiques religieuses soient respectées et prises en compte. Deuxièmement, la liberté de religion inclut le droit d'être libre de coercition de l'État ou de contrainte en matière de religion. Ainsi, la liberté de religion inclut aussi la liberté de la religion.

Ce texte explore la portée de ces deux aspects de la liberté de religion, et leur intersection et interaction. Il deviendra clair qu'il est presque impossible de parler de liberté de religion sans tenir compte des préoccupations au sujet de l'égalité et de la discrimination. Bien que ces questions se posent dans de nombreux contextes dans notre société moderne, ce texte les examinera à travers le prisme du système scolaire et envisagera comment concilier les préoccupations souvent contradictoires dans ce forum très chargé.

Cadre juridique

La section 2(a) de la Charte dicte que : « Chacun a les libertés fondamentales suivantes : (a) liberté de conscience et de religion. » Tel que mentionné ci-dessus, la Cour suprême a reconnu les éléments clés de la liberté de religion très tôt. Dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd.,[2] la majorité de la Cour a jugé que :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essen-tiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'état ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui.[3]

La Cour reconnaît, par conséquent, le double aspect de la liberté de religion. En outre, l'article 15 de la Charte offre une protection contre la discrimination sur la base de la religion (entre autres). Comme c'est le cas de tous les droits garantis par la Charte, ni la liberté de religion, ni le droit à l'égalité, sont absolus. Au contraire, ces droits sont soumis à des limites raisonnables. Dans de nombreux cas la véritable difficulté ou le débat se trouve dans la considération de ce qui constitue une limite raisonnable à un droit et, inversement, lorsque les droits sont limités de façon déraisonnable.

En plus de la Charte, les Canadiens bénéficient également de lois sur les droits de la personne qui les protègent contre la discrimination sur la base de la religion. Alors que la Charte limite l'action du gouvernement, les codes des droits de la personne protègent les individus contre la discrimination qui peut être perpétrée par d'autres acteurs aussi, souvent dans les domaines du logement ou de l'hébergement, des biens ou des services.

Dans un contexte scolaire public, la Charte et des lois sur les droits de la personne sont pertinents dans l'élaboration de principes qui devraient guider les accommodements religieux et le respect de la liberté religieuse. Les conseils scolaires sont des créatures de la loi avec des pouvoirs délégués par le gouvernement. Puisqu’une législature ne peut pas adopter une loi qui viole la Charte, de façon similaire elle ne peut pas violer la Charte en déléguant un pouvoir à un décideur administratif.[4] En même temps, les écoles offrent un service accessible au public et sont donc également soumises à des codes des droits de la personne mis en place à travers le Canada. Enfin, chaque province et territoire dispose d'une législation qui traite du système éducatif en général. Il y a souvent des règlements détaillés passés en matière d'éducation ainsi qu'un nombre important de politiques, procédures et directives en place au niveau des conseils scolaires locaux et même dans les écoles individuelles. Lorsqu'une question de liberté de religion ou de logement est soulevée, ces divers instruments devront être considérés.[5]

Une question de principe

Il peut parfois sembler que les questions de religion dans les écoles sont omniprésentes, avec des difficultés et des défis sans cesse renouvelés. En effet, bien que nous puissions souvent lire et entendre les préoccupations relatives à la religion dans les médias, il y a peu de cas juridiques qui se sont rendus à des tribunaux des droits de la personne ou des tribunaux traitant spécifiquement des accommodements religieux en milieu scolaire. Le cas sans doute le plus connu est celui qui demandait à la Cour suprême du Canada d'examiner si un élève sikh pourrait porter son kirpan (poignard cérémonial) à l'école, malgré la politique de tolérance zéro de l'école quant au port d’armes.

Cette cause, Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys,[6] démontre trois idées importantes qui doivent être prises en compte dans tous les cas liés aux accommodements religieux en milieu scolaire. D'abord, on y reconnaît que la liberté de religion n'est pas ce que les chefs ou textes religieux demandent des adhérents ; c’est plutôt la sincérité de la croyance individuelle qui est le critère approprié.[7]

Deuxièmement, bien que le concept d'« accommodement raisonnable » soit généralement associé à des plaintes pour discrimination en vertu de lois sur les droits de la personne, la Cour dans l’arrêt Multani reconnaît le rôle que ce concept peut jouer en cas de violation de la liberté de religion garantie par la Charte. La majorité a jugé que les accommodements raisonnables fournissent une analogie utile pour déterminer si une limite posée à la liberté de religion porte atteinte à cette liberté aussi minimalement que possible.[8] Ainsi, si un accommodement peut être identifié qui respecte la liberté de religion et réalise tout de même les objectifs que l'école ou le conseil tentent de réaliser, la limite sur la liberté de religion pourrait ne pas être raisonnable.

Il est à noter que la Cour suprême a rejeté l'approche d’accommodement raisonnable dans une affaire ultérieure, Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony. Dans ce cas, la majorité a conclu qu'une distinction nette doit être maintenue entre l'approche d’accommodement raisonnable en vertu de lois sur les droits de la personne et d'une analyse de l’article 1 de la Charte. Cette évolution est préoccupante car elle suggère qu'il n'y a aucune obligation pour les décideurs de s'engager dans un dialogue avec les groupes minoritaires, ce qui est crucial dans la négociation des questions de religion dans un cadre scolaire. Le côté positif est peut être la reconnaissance de la Cour que, du moins lorsque l'action du gouvernement ou une pratique administrative sont invoquées comme violant la liberté de religion, l’analyse de l'obligation d'accommodement peut être encore pertinente pour examiner si les moyens choisis pour atteindre un objectif particulier représentent une atteinte minimale à la liberté de la religion.[9] On peut dire alors que ce concept doit encore être considéré lorsque l’accommodement d’une personne ou d’un groupe est demandé dans un cadre scolaire.

Enfin, la Cour dans l’arrêt Multani reconnaît que les écoles sont un lieu spécial et peuvent présenter des occasions uniques pour des leçons d'enseignement sur la tolérance et le respect. Les revendications de la liberté religieuse et les demandes d'accommodement peuvent aider à ouvrir un dialogue important sur ces questions. Comme la majorité a conclu :

La tolérance religieuse constitue une valeur très importante au sein de la société canadienne. Si des élèves considèrent injuste que Gurbaj Singh puisse porter son kirpan à l’école alors qu’on leur interdit d’avoir des couteaux en leur possession, il incombe aux écoles de remplir leur obligation d’inculquer à leurs élèves cette valeur qui est à la base même de notre démocratie.[10]

D’autres causes d'accommodement religieux ont examiné si une école privée pouvait empêcher un élève sikh d'assister aux cours à cause d'une politique uniforme qui interdit le port d'un turban,[11] et si une garderie a le devoir de fournir des repas qui adhèrent à un régime halal.[12] En général, cependant, le corps de la loi dans ce domaine est limité et peu développé.[13] Néanmoins, un certain nombre de principes généraux émergent des cas liés à la discrimination et à la religion, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du contexte scolaire. Ces principes aident au développement de facteurs à prendre en considération lorsque les décideurs sont confrontés à une revendication de la liberté de religion et/ou une requête d'accommodement.

Accommodement : Les facteurs pertinents

Tout d'abord, en règle générale, les institutions publiques doivent être neutres à l'égard de la religion et ne doivent pas sanctionner ou approuver (ni être considérées comme sanctionnant ou endossant) une religion plus qu’une autre. L'endoctrinement religieux en milieu scolaire n'est pas acceptable. Bien que les écoles puissent enseigner la religion en général, et utiliser des programmes conçus afin de promouvoir des valeurs morales, le fait de préférer une religion plus qu’une autre et tenter d’endoctriner les élèves dépasse les limites.[14] Dans les cas où une requête d’accommodement est faite, les décideurs doivent se demander si l'octroi de l’accommodement peut se traduire en l’acceptation d’une croyance ou pratique religieuse particulière. Bien que ce ne soit pas souvent un problème, l’accommodement pour un grand groupe d'étudiants peut conduire à cette préoccupation et devrait donc être entrepris avec un soin particulier.

Deuxièmement, les lois sur les droits de la personne et, dans certains cas, la Charte, obligent les accommodements raisonnables pour les pratiques religieuses. À certains égards, l'obligation d'accommodement peut être vue comme allant à l'encontre de l'exigence de neutralité, de sorte que ces idées doivent être conciliées. Dans la réalisation de cette réconciliation, les écoles doivent considérer à la fois le but et les effets d'une pratique ou d’un exercice particuliers. Si les élèves ont le sentiment que l’accommodement semble être la sanction d'une pratique ou d’une croyance particulière, ces préoccupations ne seront pas atténuées par le fait que les personnes peuvent choisir de ne pas participer, sans pénalité. Dans le milieu scolaire, les préoccupations au sujet de la coercition indirecte peuvent être particulièrement aigües, mais aussi subtiles et parfois difficiles à détecter.[15] La manière dont un accommodement est demandé ou mis en oeuvre peut contribuer à atténuer certaines de ces préoccupations. Par exemple, les accommodements sont-ils considérés seulement pour ceux qui les demandent, ou sont-ils offerts à la population plus large des élèves ? Les accommodements sont-ils également accessible à tous, afin qu'il n'y ait pas de préférence (ou de préférence perçue) donnée à un groupe ? La question de l’accommodement est-elle gérée de manière à ce que les parents et les élèves ne soient pas tenus de parler de leurs croyances, sauf si c’est leur choix ? La façon dont un accommodement ou une pratique particulière sont mis en oeuvre peut avoir un impact significatif sur sa situation telle qu’elle est perçue sur le spectre entre l’accommodement et l'approbation.

Troisièmement, nous devons reconnaître le rôle important que jouent les écoles dans notre société. Les écoles publiques sont destinées à être des institutions qui favorisent la tolérance et le respect de la diversité.[16] En conséquence, les opinions personnelles des individus (étudiants, administrateurs, etc), qu’elles soient animées par la religion ou autre, ne doivent pas être utilisées pour porter atteinte à ces objectifs. La Cour suprême a reconnu ce rôle particulier dans un certain nombre de cas traitant de la liberté de religion dans un contexte scolaire, y compris dans l’arrêt Multani et d’autres.[17]

Enfin, dans tous les cas où un accommodement est demandé ou une revendication de liberté de religion est effectuée, nous devons reconnaître et écouter les parties prenantes concernées. Pour les jeunes enfants, les demandes d’accommodements seront probablement faites par les parents ou les tuteurs, mais nous devons encore trouver des occasions pour discerner ce que les élèves eux-mêmes veulent ou ont besoin. Les droits de l'enfant doivent se situer au centre de toute question sur la revendication d’accommodement ou de liberté religieuse, et les écoles doivent veiller à ce que les croyances religieuses et les droits parentaux n’aillent pas à l’encontre des droits de l'enfant.[18]

Même si nous sommes prêts à accepter que les parents puissent imposer leurs vues sur leurs enfants à la maison (ou dans leurs lieux de culte), nous devons nous assurer que les écoles, les institutions publiques, ne soient pas complices. Ceci nécessitera bien évidemment de marcher sur une ligne fine dans de nombreux cas, mais telle est l'obligation d'une institution au coeur de notre société comme l'école.[19]

Conclusion

Les questions de religion sont toujours difficiles car elles impliquent des croyances profondes. L'enjeu comprend donc de multiples intérêts et valeurs, le respect des rôles parentaux, le respect croissant pour les droits des enfants, l'égalité raciale et des sexes, la protection du multiculturalisme, et le rôle central que joue l'éducation dans notre société. Sans entreprendre un examen approfondi de tous les aspects de cette question, ce texte s'est efforcé de poser quelques questions importantes sur la façon d'aborder la liberté de religion et la discrimination et les questions d'égalité dans les écoles publiques.

Certains facteurs pertinents qui doivent être pris en considération lorsque ces questions émergent sont notamment :

  1. La nécessité de se prémunir contre l'endoctrinement religieux /la coercition ;
  2. La nécessité de s'adapter aux pratiques et croyances religieuses, sans en endosser ou sanctionner une en particulier ou en favoriser certaines au détriment d'autres ;
  3. Le rôle des écoles comme institutions favorisant une grande variété d'objectifs sociétaux, y compris la tolérance et le respect, la promotion de l'égalité (y compris l'égalité des sexes), et la prévention de la discrimination à l'égard des groupes marginalisés ;
  4. Les possibilités d’enseignement qui émergent dans des contextes d’accommodements différents ; et
  5. Le respect des droits de l'enfant et des droits que possèdent les élèves à participer à leur propre éducation.

Bien que la liste ne soit pas exhaustive, il est probable que dans l'application de ces facteurs à une variété de situations uniques, un cadre plus complet émergera.


Notes

[1] Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle, 1982, Annexe B à l’Acte du Canada 1982 (U.K.), 1982, c. 11 (la “Charte”).

[2] [1985] 1 S.C.R. 295.

[3] Ibid. : 336-337.

[4] Voir Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 SCC 6 par. 22.

[5] Voir p.ex. Education Act, R.S.O 1990, c. E.2. Certains règlements de cette loi seront pertinents dans l'examen des demandes d'accommodements religieux, y compris, par exemple, le règlement lié à l'ouverture ou la clôture des exercices, Règl. 435/00. Les conseils scolaires individuels au sein de la province peuvent aussi avoir des politiques ou règlements applicables.

[6] Supra note 5. Voir aussi Pandori c. Peel (County) Board of Education (1991), 80 D.L.R. (4th) 475 (Ont. Div. Ct.).

[7] Ibid, par. 35.

[8] Ibid., par. 52-55.

[9] Ibid., par. 65-71. Dans Hutterian Brethren une loi d’application générale a été mise au défi.

[10] Ibid., par. 76.

[11] Sehdev c. Bayview Glen Junior Schools Ltd. (1988), 9 CHRR D/4881, 1998 Carswell Ontario 3315 (Commission d’enquête de l’Ontario).

[12] Québec (Commission des droits de la personne & droits de la jeunesse) c. Centre à la petite enfance Gros Bec, [2008] R.J.Q. 1469.

[13] Pour une discussion des cas à l’extérieur du Canada, voir Wendy J. Harris, Q.C. et Audrey Ackah, “Freedom of religion and Accommodating Religious Dress in Schools” (2011) 20 Educ. & L. J. 211.

[14] Voir p.ex. Zylberberg c. Sudbury Board of Education (Director) (1988), 65 O.R. (2d) 641 (Ont. C.A.) et Canadian Civil Liberties Assn. c. Ontario (Minister of Education) (1990), 71 O.R. (2d) 341 (Ont. C.A.).

[15] Ibid. Voir aussi R. (on the application of Begum) c. Headteacher and Governors of Denbigh High School, [2006] 2 All E.R. 487 (U.K. H.L.) et en particulier l’opinion de Lady Hale.

[16] Le rôle particulier des écoles et la participation des enfants rendent les quelques cas d'accommodement religieux trouvés dans d'autres contextes (par exemple l'emploi) difficiles à appliquer.

[17] Voir p.ex. Ross c. New Brunswick School District No. 15 [1996] 1 S.C.R. 825 par. 42. Voir aussi Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 SCC 86 par. 66.

[18] Voir Cheryl Milne, “Religious Freedom : At What Age ?” (2009) 25 Nat’l J. Const. L. 71. Voir aussi R. Brian Howe, “Schools and the Participation Rights of the Child” (2000) 10 Educ. & L.J. 107.

[19] Voir Paul Clarke, “Parental Rights, the Charter and Education in Canada : The Evolving Story” (2010) 19 Educ. & L. J. 203.

 

Égalité, droits de la personne et religion : entre les politiques et l'identité

Alice Donald est chargée de recherches à l’institut de recherche sur les droits de la personne et la justice sociale de la London Metropolitan University. Elle a été co-chercheure et rédactrice d’un récent rapport Equality, human rights and religion or belief in England and Wales pour l’Equality and Human Rights Commission de la Grande-Bretagne. Elle a de nombreuses publications à son actif sur la mise en oeuvre des droits de la personne dans les services publics et sur l’évolution future des lois sur les droits de la personne au Royaume-Uni.

Résumé

Cet article présente quelques-unes des constatations d’une recherche commandée en 2011 par l’Equality and Human Rights Commission (EHRC) et effectuée par la London Metropolitan University. La recherche examine la loi en relation avec l’égalité, les droits de la personne et la religion ou les convictions et son application au lieu de travail, dans les services publics et dans la collectivité. L’article examine des causes judiciaires importantes et cerne les domaines où la loi est diffuse ou contestée. Elle se concentre sur les situations où des revendications fondées sur « la religion ou les convictions » et d’autres « caractéristiques protégées » sont en conflit.

1. Introduction

Cet article présente quelques‑unes des constations d’une recherche commandée en 2011 par l’Equality and Human Rights Commission (EHRC)[1] et effectuée par la London Metropolitan University. La recherche examine la loi en relation avec l’égalité, les droits de la personne et la religion ou les convictions et comment elle est comprise et appliquée au lieu de travail, dans les services publics et dans la collectivité. Elle se concentre sur les situations où « la religion ou les convictions » et d’autres caractéristiques protégées entrent en conflit (ou passent pour entrer en conflit)[2]. Les chercheurs ont utilisé diverses méthodes pour dialoguer avec les organismes religieux ou de croyances et autres groupes intéressés, y compris 67 entrevues semi‑structurées.    

La deuxième section présente des renseignements sur la religion ou les convictions en Angleterre et au pays de Galles. La troisième section explique la loi sur la religion ou les convictions et présente des causes judiciaires importantes. La quatrième section cerne des domaines où la loi est diffuse ou contestée. La cinquième section examine le débat public sur la religion ou les convictions.   

2.  La religion ou la conviction en Angleterre et au pays de Galles

Les preuves relatives à la religion ou à la conviction en Angleterre et au pays de Galles sont contradictoires; des sondages différemment rédigés ont produit des résultats très variés. Cependant, certaines tendances sont claires : un déclin de l’affiliation aux églises traditionnelles; une augmentation du nombre de personnes affirmant qu’elles n’ont pas de religion; et (particulièrement en Angleterre) une augmentation des religions associées à l’immigration d’après‑guerre, particulièrement à l’Islam. D’autres tendances sont apparentes : par exemple, la plus grande importance accordée à leur religion par les communautés religieuses minoritaires comparativement à celles qui signalent une affiliation chrétienne.

En ce qui concerne la discrimination au motif de la religion ou des convictions, il y a une tendance dominante : la discrimination plus prévalente et grave à l’égard des musulmans par rapport aux autres groupes définis par leur religion. Ces dernières années, il y a eu une augmentation des préoccupations et réclamations relatives à une discrimination perçue contre les chrétiens; cependant, aucune preuve n’a été fournie pour justifier ces réclamations à un niveau structurel.  

Les préoccupations concernant l’extrémisme islamique et la ségrégation perçue des communautés ayant des valeurs sociales distinctes ont embrouillé le débat sur le multiculturalisme en Grande-Bretagne. On dit qu’une réponse à ces préoccupations est un libéralisme « musculaire » selon lequel les minorités sont tenues de vivre selon les présumées normes sociales communes de la majorité indigène[3]. Par contraste, les notions « progressives » de multiculturalisme cherchent à régler le sentiment d’impuissance des groupes minoritaires en relation avec l’État centralisé et des individus au sein de ces groupes dont les intérêts sont en conflit avec les membres dominants du groupe. Une telle approche reconnaît et respecte l’adhésion des individus à une communauté culturelle ou religieuse, tout en reconnaissant la diversité interne de la majorité de ces communautés et en veillant à ce que tous leurs membres putatifs puissent être des citoyens à part entière d’une communauté politique libérale et être égaux devant la loi.

3. La loi en matière de religion ou de convictions

Au cours de la dernière décennie au Royaume-Uni, la quantité de lois et la portée des lois concernant la religion ou les convictions ont augmenté alors que l’État a cherché à faciliter et à réglementer les activités et les pratiques des organismes religieux dans un contexte d’une société multiconfessionnelle. Il y a eu une quantité énorme de litiges et la plupart ont été controversés.

Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion

La Human Rights Act (HRA) 1998 est entrée en vigueur au Royaume-Uni en octobre 2000[4]. Auparavant, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion n’était pas expressément protégé en vertu de la loi. La HRA a introduit ce droit dans le droit national par le truchement de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et a sauvegardé l’égalité par le truchement de l’article 14 de la Convention qui exige que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention soit assurée, sans distinction aucune. En vertu de l’article 9(1), le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est absolu; il ne peut jamais être brimé. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions individuellement ou collectivement, en privé ou en privé, « par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites » est nuancée; on peut la brimer dans certaines circonstances[5].

Discrimination aux motifs de la religion ou des convictions

Les lois interdisant la discrimination aux motifs de la religion ou des convictions sont également récentes. En 2003, le règlement Employment Equality (Religion or Belief) Regulations 2003 a imposé aux employeurs le devoir d’éviter de faire de la discrimination, de victimiser ou de tolérer le harcèlement aux motifs de la religion ou des convictions, conformément au droit de l’Union européenne. Dans le cadre d’une vaste réforme, l’Equality Act 2010 a remplacé ces règlements et plusieurs lois antidiscrimination. La Loi interdit la discrimination directe et indirecte, le harcèlement et la victimisation dans les domaines comme les biens et services, l’emploi et l’éducation. Pour la première fois, elle regroupe toutes les « caractéristiques protégées »[6].

L’Equality Act introduit également un nouveau devoir d’égalité dans le secteur public qui s’applique (contrairement aux devoirs d’égalité précédents) à la religion ou aux convictions. Le devoir oblige les autorités publiques à respecter strictement la nécessité d’éliminer la discrimination, le harcèlement et la victimisation aux motifs de la religion et des convictions; et à renforcer l’égalité des chances et à favoriser de bonnes relations entre les personnes qui ont des religions ou des convictions différentes et aucune.

Causes dans les tribunaux internes

Les causes qui ont particulièrement retenu l’attention sont celles ayant porté sur des individus ou des organismes qui ont tenté de s’abstenir pour un motif de conscience religieuse d’offrir des biens ou des services à d’autres à cause de leur orientation sexuelle. Dans une cause célèbre, une fonctionnaire de l’état civil (chrétien) a refusé de célébrer des unions civiles, ce qui a mené à des mesures disciplinaires et à des menaces de renvoi[7]. La Cour d’appel a jugé que la politique de son employeur qui désignait tous les fonctionnaires comme des fonctionnaires d’unions civiles avait un but légitime, à savoir lutter contre la discrimination. De plus, la requérante exerçait une fonction publique; elle était tenue d’accomplir une « tâche purement laïque » dans le cadre de son emploi et son refus d’accomplir cette tâche constituait de la discrimination contre les personnes homosexuelles. En date de mars 2012, cette cause est en suspens à la Cour européenne des droits de l’homme avec celle d’un autre requérant qui souhaite s’abstenir de fournir des services de consultation à des couples homosexuels[8]. Les requérants prétendent que leur droit à la liberté de religion est insuffisamment protégé par la loi au Royaume-Uni. La Cour est intervenue dans ces causes pour faire valoir que les conclusions des cours internes étaient correctes.

Des causes concernent les codes vestimentaires religieux. Dans une d’entre elles, une employée chrétienne de British Airways a contesté le refus de son employeur de l’autoriser à porter une croix visible parce qu’elle enfreignait son code relatif à l’uniforme[9]; dans une autre cause, une infirmière travaillant dans un hôpital a contesté l’interdiction du port d’un crucifix autour du cou pour des motifs de santé et de sécurité[10]. Ces requérantes ont échoué en partie parce que la loi sur la discrimination indirecte les obligeait à démontrer que les actions de leurs employeurs créaient un désavantage particulier pour les chrétiens en tant que groupe; il ne suffisait pas de montrer qu’elles avaient individuellement été désavantagées à cause de leur religion. On a en outre jugé que la croix ou le crucifix n’étaient pas prescrits par la religion ou les convictions des requérantes. En mars 2012, ces causes sont en suspens à la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière est intervenue pour faire valoir que les cours internes n’ont peut‑être pas accordé suffisamment de poids au droit des requérantes de manifester leur religion ou leurs convictions.  

4. Domaines de préoccupation concernant la loi

Cette section souligne les domaines où notre recherche indique que la loi sur la religion ou les convictions est perçue comme étant diffuse, soumise à des pressions ou contestable. 

 

  • On s’inquiète du fait que les cours et les tribunaux du Royaume-Uni rejettent trop facilement les réclamations fondées sur la religion ou les convictions, invoquant comme motif que le droit n’a pas été brimé au lieu d’examiner en profondeur l’argument invoqué à l’appui de l’atteinte au droit. Cette tendance n’est pas évidente à la Cour européenne des droits de l’homme où l’établissement d’une ingérence est généralement une formalité. Globalement, certains experts juridiques et groupes religieux (particulièrement les groupes chrétiens) croient que l’article 9 n’atteint pas le but désiré et que l’Equality Act 2010 pose des fondements plus solides pour la poursuite de réclamations liées à la religion ou aux convictions[11].
     
  • Une préoccupation connexe concerne la nécessité d’évaluer le motif des restrictions à la manifestation de la religion ou des convictions à l’aide d’arguments sociologiques enracinés dans le contexte de la cause, plutôt qu’à l’aide d’arguments visant à déterminer si des convictions ou pratiques particulières sont prescrites par une religion ou des convictions. Cela ne prévient pas un examen de la nature des convictions et des pratiques, mais reconnaît l’enjeu inhérent auquel les tribunaux laïques font face lorsqu’ils se prononcent sur des questions doctrinales.
     
  • Les concepts juridiques ont été inconfortablement éludés par l’inclusion dans l’Equality Act 2010 de motifs d’égalité qui sont qualitativement différents les uns des autres et parfois contradictoires. Un effet a été d’amplifier les conflits – particulièrement entre les domaines de la religion et de l’orientation sexuelle – qui autrement ne seraient pas devenus aussi visibles ou tendus.
     
  • Des interprétations contestées de la nature de « la religion ou des convictions » en tant que caractéristiques protégées sous‑tendent la discussion des causes judiciaires litigieuses. Le manque de consensus est particulièrement évident lorsqu’il s’agit de déterminer si la « religion » ou les « convictions » sont une caractéristique choisie ou immuable. L’observation que le contenu intellectuel et le fait d’interdire ou de prescrire certains comportements ayant un effet sur les adhérents de la religion ou des convictions et, indirectement, sur d’autres distinguent « la religion ou les convictions » des autres caractéristiques est moins contestable. Par conséquent, certains commentateurs suggèrent que l’on doit accorder une forme atténuée de protection à la religion ou aux convictions. D’après ces dires, une hiérarchie entre les caractéristiques est inévitable – et souhaitable si elle prévient un nivellement par le bas de la protection pour d’autres motifs; par exemple, si les besoins d’une entreprise peuvent servir à justifier une discrimination indirecte aux motifs de la religion ou des convictions, la même justification pourrait en théorie être introduite pour justifier une discrimination fondée sur le sexe ou la race. Pour d’autres, l’idée de prioriser certaines caractéristiques aux dépens des autres est un anathème : la forme légale de protection peut varier, mais l’objectif est de fournir une protection équivalente.           
     
  • Les tensions entre la religion et l’orientation sexuelle ont incité certains chrétiens à élargir le droit à l’objection de conscience à des situations nouvelles et diversifiées. D’après cela, la conscience (particulièrement lorsqu’elle est inspirée par la religion) mérite une protection spéciale et peut, dans la plupart des cas, être accommodée sans nuire aux autres. D’autres voix (religieuses et non religieuses) contestent l’élargissement de la protection de l’objection de conscience lorsqu’elle permet à quelqu’un, en raison de sa religion ou de ses convictions, d’exercer une discrimination fondée sur un autre motif d’égalité à l’égard des autres. Un principe clé établi dans la jurisprudence veut que les employés ou les organismes qui assument des fonctions publiques (et surtout symboliques) ne puissent choisir les personnes qu’ils servent en fonction de leurs convictions. Ce principe a été appuyé par un vaste éventail de personnes que nous avons interviewées, notamment par certains membres du domaine religieux qui considéraient que l’éthos, la réputation et la fiabilité des services publics étaient en jeu.
     
  • Quelques décisions du tribunal de l’emploi ont créé un manque de clarté pour les employeurs en ce qui concerne la définition de « convictions »; par exemple, on a constaté que les sentiments d’opposition à la chasse au renard[12] et une croyance envers les impératifs moraux découlant des changements climatiques dus à l’homme[13] ont été jugés visés par la définition. Il y a donc une incertitude : quelles convictions méritent une protection légale et quelles convictions ne la requièrent pas?
     
  • On craint que l’élargissement du devoir d’égalité dans le secteur public à la religion ou aux convictions ne soit, s’il est incorrectement mis en œuvre, fractionnel. Les préoccupations concernent, d’une part, la possibilité que des groupes religieux ou de croyants bruyants n’intimident les autorités publiques et, d’autre part, l’identification difficile des représentants authentiques des communautés définies par la religion ou les convictions. Cependant, le nouveau devoir unique pourrait régler le désavantage persistant associé à la religion et aux convictions et les effets d’exclusion de certaines politiques et pratiques. Les participants ont suggéré que, pour réaliser ce potentiel, les autorités publiques doivent faire savoir que l’égalité est un moyen de favoriser l’inclusion sociale et de promouvoir la participation des groupes marginalisés définis par leur religion ou leurs convictions.

 

5. Débat public sur la religion ou la conviction

Un thème persistant de notre recherche est la nature acrimonieuse du débat public sur l’égalité, les droits de la personne et la religion ou la conviction. Certaines causes judiciaires semblent constituer des catalyseurs pour un plus grand écart entre le « religieux » et le « laïque ». Certains participants du domaine de la « religion » critiquaient fortement ce qu’ils percevaient comme étant un programme « laïque » combatif visant à limiter l’importance de la religion dans la vie publique. Dans ce sens, il y a une tension évidente entre les domaines de la « religion » et de la « conviction ».

Cependant, notre recherche suggère que les arguments ne sont pas toujours clairement définis. Par exemple, les membres de groupes religieux ou de croyants (y compris les membres d’une même religion) ont débattu le pour et le contre de l’élargissement de la protection de l’objection de conscience pour des motifs religieux. Les causes judiciaires reflètent souvent les disputes idéologiques et théologiques en cours au sein des organismes religieux. Il importe également de garder à l’esprit que les droits des croyantes lesbiennes et des croyants homosexuels, bisexuels ou transgenres sont au cœur de ce débat – une perspective dont ne tiennent pas compte les débats conçus de manière à opposer le « religieux » et le « laïque ».

En général, les participants ont parlé de la nécessité de diminuer l’émotivité de la discussion publique sur la religion ou la conviction étant donné que les demandes « analogues » de reconnaissance et de protection légales (entre différentes religions ou convictions ou différents domaines d’égalité) entravaient le débat[14].

Domaines de consensus

Malgré la nature polarisée du débat, notre recherche a découvert plusieurs domaines de consensus généralisé entre les groupes appartenant aux domaines de la « religion » et de la « conviction » (ainsi qu’à autres domaines d’égalité). La majorité des personnes interviewées a déclaré que les groupes axés sur la religion ou la conviction sont des groupes d’intérêt légitimes, mais qu’ils ne devraient pas jouer un rôle privilégié dans l’établissement des lois et des politiques. En particulier, la plupart des personnes interviewées – y compris une majorité de celles du domaine de la « religion » – ont suggéré qu’il n’y a pas de place pour les « revendications de vérité » fondées sur une religion ou une conviction particulière. Cela suggère qu’il y a un désir généralisé de maintenir un équilibre approprié entre la religion ou la conviction et le débat démocratique.

Nous avons constaté un fort consensus sur l’utilité d’une adaptation raisonnable à la religion ou à la conviction au lieu de travail, particulièrement en ce qui concerne les codes vestimentaires et les formes de travail – ce qui est à l’opposé du débat qui a lieu ailleurs en Europe[15]. Nous avons également constaté une entente générale à propos du type de critère qui pourrait raisonnablement restreindre la manifestation de la religion ou de la conviction dans certaines circonstances.  Ces critères sont, notamment : des préoccupations sur le plan de la santé ou de la sécurité; l’effet adverse sur les collègues (infraction pure exclue); l’efficacité de l’entreprise; les exigences d’uniformité; et la capacité de communiquer[16]. Pratiquement toutes les personnes interviewées ont convenu que les gens qui accordent beaucoup d’importance à leur religion ou à leur conviction doivent parfois faire des sacrifices personnels pour éviter les conflits avec la loi ou les exigences professionnelles. 

Un autre domaine de consensus était l’inutilité des litiges sauf en tant que « dernier recours ». Les litiges sont parfois nécessaires pour contester une injustice individuelle ou clarifier la loi. Cependant, la plupart des personnes interviewées ont affirmé que, dans la mesure du possible, on devrait avancer les revendications fondées sur la religion ou la conviction au  moyen de démarches comme la médiation, la négociation et l’argument public. Outre les préoccupations concernant les litiges excessifs dans ce domaine, l’on croit que la loi n’est pas vraiment en mesure de traiter des questions complexes de multiculturalisme et d’identité sociale dans la Grande-Bretagne moderne.

6. Conclusion

Globalement, notre recherche suggère que le niveau d’engagement le plus productif pour ceux qui souhaitent faire avancer le débat, la pratique et la compréhension associés à la religion ou à la conviction appartient aux personnes qui sont aux « premières lignes » du processus décisionnel, notamment les décideurs, les praticiens et les gestionnaires des lieux de travail. Cela met l’accent sur l’utilisation de l’égalité et des droits de la personne comme cadres décisionnels quotidiens – sur la mise en œuvre plutôt que sur le litige. Lorsque les principes établis dans les causes judiciaires sont contestés, il importe que le débat public soit mené de bonne foi et avec respect pour l’intégrité des différentes perspectives, aussi irréconciliables qu’elles puissent paraître.


[1]    L’Equality and Human Rights Commission, entrée en activité en 2007, couvre l’Angleterre, le pays de Galles et l’Écosse (la Scottish Human Rights Commission couvre les domaines de politique dévolus). Un organisme distinct couvre l’Irlande du Nord. L’EHRC combine et prolonge le travail de trois anciennes commissions sur l’égalité (qui couvraient la race, le handicap et l’égalité des sexes). Elle assume également la responsabilité d’autres aspects de l’égalité et a le mandat de promouvoir la compréhension de la Human Rights Act (HRA) 1998. Le rapport de recherche, Religion or belief, equality and human rights in England and Wales, a été publié par l’EHRC au printemps 2012.

[2]   « La religion ou la conviction » est une « caractéristique protégée » en vertu de l’Equality Act 2010, la « religion » signifiant n’importe quelle religion et la « conviction » n’importe quelle conviction religieuse ou philosophique; l’absence de religion et de conviction est également abordée. Les autres sont l’âge, le handicap, le réassignement sexuel, le mariage et le partenariat civil, la grossesse et la maternité, la race, le sexe et l’orientation sexuelle. Elles sont parfois appelées « domaines » d’égalité.

[3]    Voir David Cameron, discours prononcé à la Munich Security Conference le 5 février 2011; consultable à http://www.number10.gov.uk/news/pms-speech-at-munich-security-conference/.

[4]     La HRA a pour but de donner effet dans les lois du R.-U. à la majorité des droits et libertés fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme. La Loi met à la disposition des tribunaux nationaux un recours en cas de violation d’un droit de la Convention, sans qu’il soit nécessaire d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

[5]    En vertu de l’article 9(2), les restrictions doivent être « prévues par la loi » et constituer « des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

[6]    La Loi renferme des exceptions autorisant la discrimination dans certaines circonstances restreintes et précisées.  Certaines d’entre elles concernent la religion ou les convictions et se sont avérées hautement controversées. 

[7]    Ladele v London Borough of Islington [2009] EWCA Civ 1357.

[8]    McFarlane v Relate Avon Ltd [2010] EWCA Civ 880.

[9]   Eweida v British Airways [2010] EWCA Civ 80.

[10]   Chaplin v Royal Devon and Exeter NHS Foundation Trust ET Case No. 1702886/2009, 6 avril 2010.

[11]   Dans la cause R (Watkins-Singh) v The Governing Body of Abedare Girls’ High School [2008] EWHC Admin 1865, une élève sikhe a obtenu gain de cause et a été autorisée à porter un bracelet kara à l’école. Son équipe juridique a compté sur la race et la religion plutôt que sur l’article 9. Cette distinction a permis au tribunal de distinguer la réclamation de la jurisprudence de l’article 9. Le jugement est resté évasif quant à la question de savoir si le port du kara était obligatoire pour la requérante; un désavantage surviendrait également si l’on interdisait à un élève de porter un article qui était particulièrement important pour sa religion, même s’il n’était pas obligatoire.

[12]  Hashman v Milton Park, Dorset Ltd (t/a Orchard Park) ET Case No. 3105555, 4 mars 2011.

[13]  Grainger Plc v Nicholson EAT Case No. 0219/09/ZT, 3 novembre 2009.

[14]   Un exemple de conduite susceptible d’accentuer le conflit est celui d’un chroniqueur travaillant pour un journal anglican indépendant qui a décrit la direction des organismes de défense des droits des homosexuels comme étant la « Gaystapo ». Voir « Anglican newspaper defends “Gaystapo” article », The Guardian, 8 novembre 2011. Consultable à : http://www.guardian.co.uk/world/2011/nov/08/anglican-newspaper-defends-gaystapo-article.

[15]   Ces dernières années, il y a eu un débat public acharné en Europe à propos du port de l’hidjab (voile qui cache les cheveux et le cou), du niqab (un voile couvrant le visage) ou de la burqa (vêtement couvrant le corps sauf les yeux) en public.  La France a interdit la dissimulation du visage et plusieurs autres États ont déposé des projets de loi.

[16]  Ce critère a été suggéré par des répondants appartenant aux domaines de la « religion » et de la « conviction » et à d’autres domaines d’égalité, y compris un participant musulman. Ils ont suggéré qu’il serait souvent raisonnable de restreindre le port d’un voile couvrant le visage dans le cas des personnes qui sont en contact avec le public dans le cadre de leurs fonctions. Dans la cause Azmi v Kirklees Metropolitan Borough Council, UKEAT/0009/07/MAA, 30 mars 2007, le tribunal de l’emploi a jugé qu’il était proportionnel pour une école de suspendre une adjointe à l’enseignement qui souhaitait porter le voile couvrant le visage lorsqu’elle enseignait à de jeunes enfants.

 

Sur l’adaptation et la discrimination religieuses vécues par les communautés juives en Ontario

Anita Bromberg est directrice nationale des affaires juridiques de B’nai Brith Canada. Elle est également coordonnatrice des droits de la personne pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada. Diplômée de l’Université du Manitoba en sciences politiques et en études judaïques, elle est venue à Toronto pour obtenir un diplôme en droit de l’Université de Toronto. Pendant ses études de droit et sa carrière en droit, elle s’est vouée à la cause des droits de la personne. Durant ses études de droit, elle a travaillé comme directrice pour les jeunes de la Children’s Law Clinic for Justice for Children. Après avoir terminé son stage d’avocate au cabinet Minden, Gross, elle a travaillé au cabinet juridique spécialisé en droits de la personne, Iler, Campbell, puis a formé son propre cabinet de recherche juridique. Elle donne des cours sur les droits de la personne depuis de nombreuses années. Elle s’est jointe à B’nai Brith Canada en 2002. À titre de coordonnatrice des droits de la personne pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, elle est chargée de coordonner les activités de la Ligue, ainsi que ses publications et ses activités éducatives. En particulier, elle a assumé l’exploitation de sa ligne  Anti-Hate Hotline et a répondu à des incidents d’antisémitisme au Canada. Elle est coauteure de la vérification annuelle des incidents d’antisémitisme de la Ligne. En qualité de directrice des affaires juridiques, Mme Bromberg a effectué de nombreuses interventions traitant de droits constitutionnels, de questions de diversité, d’adaptation et de racisme.

Résumé

Les juifs sont venus au Canada dès le 19e siècle pour échapper à la persécution religieuse dans leurs pays d’origine et sont devenus une minorité petite, mais bien établie, au Canada et, en particulier, en Ontario. En dépit de l’antisémitisme que les immigrants juifs ont subi et leur statut d’étranger au sein d’une société principalement chrétienne, ils considéraient le Canada comme un paradis de tolérance. Ils ont réclamé et obtenu une adaptation religieuse tout en demandant peu de changements à la communauté principalement chrétienne pendant qu’ils s’efforçaient de renforcer la loi sur les droits de la personne et d’obtenir une adaptation. L’article explore les nouveaux enjeux pour l’adaptation traditionnellement réclamée par la communauté juive à la lumière de la diversité religieuse et des droits contradictoires croissants. Les adaptations astreignantes sont devenues l’objet d’un débat à mesure que les exigences du multiculturalisme se sont généralisées et ont été remises en question. Le problème inhérent au débat sera examiné à la lumière des malentendus sur ce que l’adaptation postule et des nouveaux messages dissuadant les groupes religieux de demander un traitement spécial perçu.

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Les juifs sont présents au Canada depuis le début. Selon Statistique Canada, environ 348 605 juifs vivent actuellement au Canada[1]. Ce dernier abrite en fait la quatrième population de juifs la plus importante du monde après les États‑Unis, Israël et la France. Et pourtant, ils représentent seulement un pour cent de la population totale du pays. 

Dès le début, les juifs ont dû réclamer des mesures d’adaptation. Étant donné que les Français avaient décrété que seuls les catholiques romains pouvaient se rendre dans la colonie, il n’y a aucun juif n’est officiellement inscrit dans les dossiers au XVIIIe siècle. Après 1760, les dossiers britanniques documentent la présence active de juifs dans l’armée britannique. Ezekiel Hart, fils d’un général britannique à la retraite, est le premier juif qui a été élu membre de l’Assemblée législative du Bas-Canada en 1807. Cependant, lorsqu’il prononça le serment officiel sur la bible hébraïque, la population catholique a été tellement outrée que M. Hart fut expulsé. En dépit du soutien du lieutenant gouverneur du Bas‑Canada et de sa réélection subséquente, il ne fut pas autorisé à entrer en fonction. La situation changerait deux décennies plus tard. En effet, en 1829, la loi rendant obligatoire le serment « sur ma foi en tant que chrétien » fut modifiée pour permettre aux juifs de ne pas prononcer le serment. En 1831, une loi conférant des droits politiques équivalents aux juifs fut adoptée, une première pour l’Empire britannique.

À mesure que le nombre de juifs au Canada continua d’augmenter, leur présence même commença à poser les fondements de l’approche multiculturelle du Canada. À leur arrivée, les juifs trouvèrent une société chrétienne qui n’était prête à accepter la présence d’un groupe non chrétien. Cependant, leur présence obligea la politie à ouvrir les portes de l’adaptation. Les juifs étaient également confrontés aux tensions entre les francophones et les anglophones qui reconnaissaient d’une part dans leur dualité que le Canada pouvait être composé de groupes différents. D’autre part, les juifs deviendraient de temps à autre les souffre-douleurs des tensions inhérentes à cette dualité[2]

Selon Harold Troper[3], les juifs sont venus au Canada pour de nombreuses raisons, notamment une quête désespérée de refuge.

Les juifs sont également venus au Canada pour trouver un refuge. Au fil des ans, il y a eu ceux qui fuyaient les pogroms perpétrés en Europe de l’Est au tournant du siècle, ceux qui échappèrent aux massacres des nazis dans les années 30 et 40 et, plus tard, ceux qui voulaient se protéger contre les politiques antijuives et antisionistes des régimes soviétiques et arabes. Fuyant l’oppression de l’Ancien Monde, ils espéraient que le Canada fournirait un pays qui, s’il n’était pas exempt d’antisémitisme (ce serait trop espérer), serait suffisamment exempt d’antisémitisme pour que leurs enfants n’aient pas à craindre pour leur sécurité personnelle. Les Canadiens, qui ne comprenaient pas toujours l’horreur dont les opprimés s’échappaient et fermaient trop souvent les yeux et tournaient le dos aux victimes, fournissaient quand même un sanctuaire à ceux qui avaient réussi à traverser leurs frontières.

En 1850, il n’y avait toujours que 450 juifs vivant au Canada, principalement à Montréal. La population commencerait à augmenter considérablement à partir de 1880 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, par suite de l’intensification des pogroms en Europe de l’Est. Entre 1880 et 1930, la population juive du Canada a augmenté pour s’établir à plus de 155 000. Des politiques d’immigration restrictives dans les années précédant et suivant immédiatement la Deuxième Guerre mondiale, qui incluaient les juifs dans les catégories d’immigrants non privilégiés au moment même où ils étaient menacés de génocide, limitèrent la croissance de la communauté juive au Canada durant ces années là[4].

Dès les années 1900, on a pu constater la présence d’institutions communautaires juives dans la majorité des grandes villes canadiennes. Exclus des organismes à vocation chrétienne, les juifs s’occupèrent d’établir des structures institutionnelles qui fourniraient des services sociaux et autres. Lorsque l’adaptation n’était pas possible, les juifs qui souhaitaient éviter une confrontation ou étaient incapables de faire un changement établissaient des organismes parallèles. C’est ainsi que des hôpitaux ont été établis pour permettre aux étudiants en médecine juifs bloqués par les quotas ou la discrimination d’obtenir des postes de stagiaires.

À mesure que les immigrants juifs commençaient leur nouvelle vie au Canada, les juifs tentaient d’obtenir des changements qui accorderaient à toutes les communautés le droit légal au respect et à la tolérance. Ils sollicitaient des mesures d’adaptation religieuse au travail, à l’école et dans leurs logements. Les pratiques religieuses juives éprouvèrent la volonté de compromis de la majorité chrétienne dominante dans un contexte d’attitudes antisémitiques continues. L’observation d’un Shabbath qui commençait le vendredi, des journées religieuses différentes, des vêtements religieux différents (la kippa) – tous ces éléments soulevèrent des questions liées aux droits de la personne aux lieux de travail que reflètent maintenant les politiques sur les croyances de la Commission et autres institutions. Les élèves juifs qui ne respectaient pas les pratiques des systèmes scolaires catholique ou protestant (p. ex., la prière à l’école) soulevèrent de nouveaux enjeux. Les étudiants universitaires pratiquants devaient avoir le droit de passer leurs examens durant les jours qui n’entraient pas en conflit avec leurs pratiques religieuses.

Des questions soulevées de temps à autre exigent une réparation ou une clarification de la part des commissions des droits de la personne et des tribunaux. Par exemple, une variation inhérente aux pratiques et aux croyances religieuses a incité la Cour suprême du Canada à reconnaître qu’une croyance religieuse personnelle professée avec sincérité devait être accommodée[5]. Les causes comme celle du « kirpan » dans laquelle la Ligue est intervenue a établi le droit d’exprimer ses croyances religieuses en portant des habits religieux en public, sous réserve bien entendu de préoccupations valides en matière de sécurité[6]. Ce raisonnement a été appliqué depuis lors dans une grande variété de causes. Dans une cause moins connue, mais plus récente, une employée du gouvernement canadien a été harcelée (même menacée de mort) par un collègue anonyme après avoir demandé une adaptation pour obtenir un changement à la politique sur l’observation des pratiques religieuses. Elle a également été l’objet de commentaires malvenus concernant sa façon de s’habiller et son refus d’assister à des rencontres sociales tenues dans des restaurants cachers. On a jugé que l’employeur était tenu d’enquêter sur de telles circonstances même si une plainte détaillée n’avait pas été déposée[7].

En dépit de lois et de politiques cohérentes, des questions concernant les demandes d’adaptation continuent de surgir. La Ligue des droits de la personne continue d’offrir un soutien aux personnes qui tentent d’obtenir une adaptation légale. Parmi les causes récentes, mentionnons : l’étudiant en pharmacie pratiquant dont l’examen annuel d’agrément a lieu le jour d’une fête religieuse juive; la propriétaire d’une copropriété apprend soudainement qu’elle ne peut accrocher un mezuzah, une pratique religieuse communément observée, sur la porte extérieure de son appartement. Ces causes reflètent l’évolution continue du débat. 

Il y a certes du travail à faire dans ce domaine. Un récent reportage sur les questions d’adaptation dans le système scolaire de Hamilton mentionne la nécessité d’élaborer des politiques d’adaptation cohérentes concernant les pratiques religieuses. Telle fut l’expérience de la Ligue lorsqu’elle est venue en aide à des familles juives en Colombie‑Britannique. 

Cependant, à mesure que la diversité religieuse du Canada augmente et que les exigences se multiplient, il est de plus en plus difficile d’avoir un débat civilisé[8]

Des malentendus à propos du concept d’adaptation raisonnable ont alimenté ce débat, créant un climat d’animosité et de méfiance à l’égard des nouveaux immigrants et des communautés culturelles ou religieuses actuelles. Par exemple, en 2007, un YMCA à Montréal a accepté de dépolir ses fenêtres à la demande d’un établissement religieux voisin qui craignait que ses membres ne puissent éviter de voir des femmes habillées en vêtements d’exercice révélateurs, ce qui est contraire aux convictions religieuses du groupe. C’était en l’occurrence un compromis conclu volontairement entre voisins et non pas une adaptation raisonnable imposée par la loi, étant donné qu’aucune discrimination en vertu de la Charte n’était en cause. Néanmoins, il a suscité des commentaires publics racistes et l’annulation du compromis conclu entre les voisins. 

Comme la Ligne l’a alors fait remarquer, pour que la discussion reste dans la bonne voie il faut bien comprendre ce que le concept d’adaptation raisonnable exige et n’exige pas, dans le contexte du droit au respect conféré par la loi à toutes les minorités. L’adaptation raisonnable est un compromis exigé par la loi pour garantir l’égalité de chaque personne. Elle vise à corriger les effets discriminatoires involontaires des normes, pratiques ou politiques qui semblent neutres de prime abord. L’objectif est d’éviter la violation des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et/ou les lois provinciales en matière de droits de la personne. L’adaptation raisonnable ne consiste pas dans le fait d’imposer des besoins individuels à la société en général; elle est plutôt une mesure justifiable fondée sur les droits et libertés dans une société libre et démocratique. Elle requiert la coopération de toutes les parties concernées.

Les réactions aux demandes croissantes de changements qui remettent en question les coutumes établies reflètent certaines tensions. À certains moments, les réactions incohérentes aux nouvelles demandes qui semblent menacer les coutumes ou les normes établies entraînent un repli de droits publiquement acceptés dont la communauté juive et d’autres groupes ont joui. D’un côté, l’expérience juive sert certainement de modèle à d’autres communautés d’immigrants plus récentes qui cherchent à se créer une place dans la société canadienne. D’un autre côté, les dirigeants utilisent l’expérience juive pour envoyer un message, à savoir que les groupes minoritaires peuvent et doivent restreindre leurs demandes[9].   

Par exemple, le récent débat en Ontario concernant les prières dans les écoles a suscité des commentaires publics suggérant qu’il fallait cesser de louer des locaux aux groupes juifs pour des activités religieuses après l’école. Ces commentaires semblent avoir pour but de dissuader les groupes religieux de demander ce que le public considère comme un traitement spécial plutôt que l’exercice de leur droit à l’adaptation légale comme il devrait être envisagé.

Les solutions consistent clairement à intensifier les efforts des provinces en vue de promouvoir la tolérance et la compréhension interculturelle tout en encourageant dans tous les segments de la société l’adoption de pratiques exemplaires qui célèbrent la diversité et la mise en œuvre des politiques actuelles relatives aux croyances et à la religion.



[1] Statistique Canada 2001. Voir également  The Jewish Population of the World. Jewishvirtuallibrary.org.

[2] Pour une autre discussion sur ce sujet, voir Michael Brown Not Written in Stone, Presses de l’Université d’Ottawa, 2003.

[3] Ruth Klein éd., From Immigration To Integration, B’nai Brith Canada, Toronto, Canada 2000, chapitre premier.

[4] Voir la discussion de Troper sur ce sujet. Voir également St. Louis 2009 Conference animée par la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada http://www.stlouis2009conference.ca/pages/English/Sessions/Audio_Recordings et sa publication Welcome to Canada, Toronto, 2010.

[5] Syndicat Northcrest c. Amselem [2004] 2 R.C.S. 551 http://www.canlii.org/en/ca/scc/doc/2004/2004scc47/2004scc47.pdf.

[6] Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6 http://www.lexisnexis.ca/documents/2006SCC006.pdf.

[7] Labrance c. Conseil du Trésor,  2010 http://pslrb-crtfp.gc.ca/decisions/summaries/2010-65_f.asp.

[9] Voir Julian Bauer,  « Jews as Symbols and Reality in Multicultural Canada », 2011 www.jcpa.org.

 

La discrimination subie par les Musulmans en Ontario

Dr. Uzma Jamil détient un doctorat en sociologie et est actuellement postdoctorante à l’Université de Toronto au Département d’études de sociologie et d’équité en enseignement. Sa recherche porte sur l’impact du contexte de la guerre au terrorisme sur les communautés asiatiques de l’Est et musulmanes de Toronto et de Montréal, se concentrant sur les thèmes des relations sociales et de la négociation de l’identité comme faisant partie du contexte de la société d’accueil au Canada. Elle est aussi membre de l’équipe de recherche et d’intervention transculturelle à l’Université McGill.

Résumé

Bien que les musulmans aient vécu pendant des décennies au Canada, ils sont devenus très visibles aux yeux du public après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Au cours de la dernière décennie, ils ont subi un contrôle accru, des stéréotypes négatifs et la discrimination en raison de perceptions préexistantes des musulmans comme étant « différents » du reste de la société canadienne, ainsi que les associations négatives de leurs communautés avec la violence et le terrorisme. Basé sur l'analyse préliminaire des données d'une étude de recherche communautaire, ce texte traite de l'islamophobie dans la société de l'Ontario, dans le cadre de l'expérience quotidienne des musulmans vivant à Toronto et la GRT.

Introduction

Les musulmans sont devenus très visibles aux yeux du public depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001. La crainte évoquée par les attaques ont vu s’enflammer à nouveau les perceptions existantes des musulmans comme étant « différents » et ont renforcé le lien perçu entre eux et la violence et le terrorisme (Razack, 2008). Au lieu de s’éteindre au cours de la dernière décennie, la remise en cause de leur appartenance et de leur position en tant que membres de la société et en tant que citoyens a continué, renforcée par des préoccupations à propos du « terrorisme intérieur » issu du cas des 18 de Toronto. Ceci est illustré par une surveillance accrue, des stéréotypes négatifs et les expériences de discrimination rapportées par de nombreux Canadiens musulmans et arabes. Ces expériences sont socialement situées et contextualisées. Bien qu'elles puissent ne pas être la base d'une action juridique, elles représentent un élément important du contexte social dans lequel nous vivons et de la façon dont nous pensons à l'égalité des droits de de la personne pour tous les Canadiens. Ce texte vise à apporter une contribution par une réflexion critique sur la discrimination subie par les musulmans en Ontario dans le cadre d'une discussion sur les droits de la personne et l'avenir de la société canadienne.

Qui sont les musulmans au Canada?

Selon les données de 2010, on compte 940 000 musul-mans au Canada, ce qui représente 2,8 % de la population totale (Pew, 2011). La population musulmane au Canada a augmenté de façon exponentielle au cours des 20 dernières années, principalement grâce à l'immigration. On prévoit une augmentation à 2,7 millions en 2030, ou une projection de 6,6 % de la population totale (Pew, 2011). Selon un sondage Environics sur les musulmans canadiens en 2006, environ 60 % de tous les musulmans au Canada vivent en Ontario (Adams, 2007). Bien que les données du recensement de Statistique Canada soient basées sur le recensement de 2001, elles nous donnent une idée des caractéristiques générales de la population musulmane canadienne et des changements au fil du temps. En 2001, la population musulmane canadienne était de 579 645. La plupart (352 525 d’entre eux) était concentrée en Ontario et près de la moitié (254 110) vivait à Toronto (Statistique Canada, 2003). Environ 85 % de la population musulmane en 2001 se considérait comme une minorité visible (Selby).

Étude de recherche communautaire

Le présent texte s'appuie sur des entretiens menés dans le cadre d’une étude qualitative de recherche communautaire avec des musulmans. L'étude se concentre sur des adultes musulmans de diverses origines raciales, ethniques et économiques et vivant actuellement dans les différents quartiers à Toronto et dans la GRT. Parmi les participants figuraient des personnes qui sont nées et ont grandi au Canada, ainsi que des immigrants qui sont venus au Canada en tant que conjoints ou pour travailler ou étudier. Cette étude se penche sur leurs expériences en tant que musulmans vivant dans le monde de l'après 11 septembre, un contexte socio-politique de guerre contre le terrorisme, mais localement en tant que membres de leurs collectivités et des quartiers de Toronto/GRT, en Ontario et au Canada. Ce texte est issu d’une analyse préliminaire des données. Compte tenu de la diversité des musulmans qui vivent en Ontario, les vues de ces participants à l'étude ne devraient pas être généralisées à toute la population.

L’islamophobie

Dans son usage contemporain, le terme « islamophobie » remonte aux années 1990. Le rapport britannique Runnymede de 1997, intitulé Islamophobia : A Challenge for Us All, définit l'islamophobie comme « la crainte, la haine, l'hostilité envers l'islam et les musulmans perpétrées par une série de vues fermées qui impliquent et attribuent des stéréotypes et croyances négatifs et désobligeants aux musulmans » (Kalin, 2011, p. 8). Après le 11 septembre, le terme a été utilisé dans un rapport de 2002 publié par l'Observatoire européen sur le racisme et la xéno- phobie (EUMC) documentant les incidents de violence et de discrimination contre les musulmans en Europe (Cesari, 2011, p. 21). Bien que contesté, le terme en est venu à désigner à la fois les sentiments antimusulmans (contre le groupe de personnes) et anti-Islam (contre la religion). Ceux-ci peuvent se chevaucher avec le racisme, la xénophobie, l'anti-religion et l’anti-immigration (Cesari, 2011, p. 24). L'islamophobie ne découle pas seulement des événements du 11 septembre, mais fait partie des manières préexistantes dont les musulmans sont perçus comme étant « différents » de la société dans son ensemble.

L’islamophobie au Canada

Les enquêtes communautaires, les groupes de discussion et les sondages indiquent que de nombreux musulmans estiment qu'il y a discrimination à leur égard au Canada depuis le 11 septembre (Helly, 2004 ; CAIR-CAN, 2002 ; Adams, 2007). Dans la population générale, un récent sondage effectué par Ipsos Reid a révélé que 60 % des personnes interrogées ont estimé que la discrimination contre les musulmans a augmenté par rapport à il y a dix ans (Chung, 2011). Dans une autre étude menée par l'Association d'études canadiennes en 2011, moins de la moitié, soit 43 pour cent des 2 345 personnes interrogées, ont exprimé des perceptions « très positives » ou « plutôt positives » des musulmans (Boswell, 2011). Des incidents tels que le cas Kadri, où une femme musulmane portant le niqab a été attaquée dans un centre d’achat de Mississauga (CBC News, 2011) ne font que souligner l'hostilité envers les musulmans dans la société canadienne. Alors que les médias couvrent souvent les cas les plus éminents, l'islamophobie peut prendre des formes beaucoup plus subtiles qui s’expriment dans les façons dont les gens se comportent avec les musulmans dans leurs lieux de travail et dans la société. Sans minimiser la gravité des cas qui sont dans les médias, ce texte met l'accent sur les formes subtiles comme moyen d'élargir et de contextualiser la façon dont l'islamophobie est présente dans la société ontarienne.

Résultats

Comme musulmans canadiens vivant en Ontario, la plupart des répondants ont exprimé des opinions positives sur leurs droits et libertés de pratiquer leurs croyances religieuses. Ils considéraient ceci comme un élément important de l'identité canadienne. Alors que certains ont mentionné en particulier les dispositions de la Charte canadienne ou du Code ontarien des droits de la personne qui protègent leurs droits religieux, la plupart des gens parlaient de ce sujet de façon générale. Quant aux politiques scolaires sur les accommodements religieux pour les étudiants musulmans impliquant les fêtes religieuses, le jeûne et les prières, les gens ont aussi une opinion positive au sujet des dispositions actuelles. Certains des répondants étaient des gens ayant oeuvré, depuis les 10 ou 15 dernières années, au sein du Toronto District School Board (TDSB) comme enseignants, éducateurs ou administrateurs et qui avaient travaillé à la création et à la mise en oeuvre de ces politiques.

En dépit de ces points de vue positifs sur l'application des lois et des politiques, les répondants estimaient qu'il y avait beaucoup d’attitudes sociales et de perceptions négatives au sujet de l'islam et des musulmans dans la société canadienne. Beaucoup ont parlé de la prédominance des perceptions négatives des musulmans et de leur association avec la violence et le terrorisme. Ils croient que l'ignorance des gens et ces opinions négatives ont alimenté la perception que la communauté musulmane, dans son ensemble, était la même. « Malheureusement, ce qui tend à être, tout le monde est mis dans le même sac, comme le dit le vieil adage. N’est-ce pas ? », a déclaré une femme musulmane âgée dans la soixantaine qui vit à Toronto. En outre, les musulmans estiment qu'ils sont considérés comme collectivement responsables d’expliquer ou de justifier les différences entre eux et les terroristes/la violence s’ils veulent contester ces hypothèses. Il s'agit d'un acte de conciliation, comme une femme musulmane dans la trentaine, de Mississauga, l’a déclaré : « Donc, de devoir expliquer leurs comportements ou leurs choix est - je ne dirai pas que ce n'est pas juste, mais c’est ce que c’est. Mais [...] vous avez presque à expliquer aux gens que vous êtes différent. »

Le fait d’être « différent » a été vécu de façon plus concrète par les femmes musulmanes qui portent le hijab. Bien que la plupart des femmes portant le hijab n’aient pas vécu d’expériences négatives, quelques-unes ont été des cibles de commentaires négatifs dans les espaces publics. Dans un exemple, une jeune femme musulmane dans la trentaine a demandé des renseignements dans le train à des compagnons de voyage, un homme et une femme blancs d’âge moyen. La femme a commencé à crier et à faire des commentaires négatifs sur les musulmans. Bien que son mari semblait s'excuser, il ne dit rien pour l'arrêter. Dans un autre cas, une femme blanche âgée dans un centre commercial a dit à une femme musulmane (dans la quarantaine) à « retourner d'où tu viens ».

Les répondants se sont également sentis « différents » par le fait de vivre avec un sentiment de contrôle collectif qui a engendré un sentiment de conscience de soi. Les participants à l'étude étaient conscients de la façon dont leurs actions et leurs paroles comme individus seraient perçues par d'autres qui ont déjà des opinions négatives au sujet de leurs communautés. Cela peut avoir un effet troublant pouvant mener au silence. Une femme musulmane dans la trentaine travaillant dans une école secondaire publique à Mississauga a donné l’exemple d'être dans une réunion du personnel, où certains de ses collègues plaisantaient au sujet d'un étudiant musulman dans leur classe, en disant : « Je me demande si c'est un terroriste. » Elle voulait dire quelque chose, mais elle était mal à l'aise de les confronter. « C'était comme cette épée à double tranchant où je veux parler, parce que je veux leur dire qu'ils ont tort. Mais c'est en fait assez difficile de modifier leurs perceptions. » Elle avait également peur que si elle parlait, ils l’auraient associée avec le terrorisme elle aussi. « Je me sens mal à l'aise parce que, est-ce que cela veut dire que vous supportez, si vous défendez ? Supportez-vous le terrorisme, vous savez ? » Un autre répondant, un homme musulman d'origine pakistanaise qui travaille pour le gouvernement provincial en fait état de manière beaucoup plus succincte. « Une personne de race blanche peut dire une chose. Mais si une personne de couleur brune ou un musulman dit la même chose, ce sera pris dans un contexte différent. »

Son commentaire souligne un autre thème qui a émergé des entretiens avec les participants. Les sentiments antimusulmans étaient parfois mélangés avec les préjugés anti-immigrants et/ou à base raciale et ethnique. Un répondant, une institutrice musulmane de Toronto, a porté un shalwar kameez à l'école un jour dans le cadre d'un projet de classe sur l'Inde. Un autre professeur a fait un commentaire négatif, la comparant aux femmes immigrantes de l’Asie du Sud. « Euh ! Vous avez l'air tout comme eux ! Comme un beau costume et des baskets de merde [souliers de course]. Voilà comment ils vont faire du shopping, vous savez. » En racontant l'incident à l'intervieweur, la participante a dit, « Je pense qu'elle [l'enseignante] voulait dire quiconque portant un shalwar kameez. Et des souliers de course. Ainsi, elle aurait pu cibler les musulmans, mais je pense que c'était probablement les immigrants. Et je lui ai dit, bien, je suis musulmane. Et je porte souvent un shalwar kameez. » En fait, la répondante était une femme blanche musulmane mariée à un homme d’Asie du Sud. Le commentaire de l'enseignante illustre le chevauchement des catégories de la religion, la race, le sexe et l'origine ethnique dans la perception singulière négative d'un musulman.

L'une des conséquences d'être considéré comme « différent » était un sentiment de non appartenance. Bien que certains participants à l'étude qui étaient des immigrants au Canada ont estimé qu'ils seraient toujours perçus comme n’appartenant pas tout à fait à la société canadienne, d'autres participants qui sont nés et ont grandi ici ressentent la même chose, sur la base des perceptions de la société à leur sujet. « C’est malheureux que les gens ne nous voient pas comme des Canadiens. Parce que nous sommes une minorité visible », a déclaré une femme de 32 ans, une musulmane d'origine sud-asiatique vivant à Mississauga. Un autre participant à l'étude, une jeune femme musulmane dans la vingtaine, qui est née et a grandi au Canada et vit actuellement à Markham, s’inquiète à propos du fait que sa jeune fille aura à faire face aux commentaires et critiques sur les musulmans dans la société lorsqu’elle sera plus âgée. Elle craint que sa fille sera toujours perçue négativement comme « n’appartenant pas », en dépit d'être une Canadienne musulmane de deuxième génération. Sa préoccupation soulève des questions sur les effets intergénérationnels du contexte social actuel pour les musulmans.

En réponse à l'islamophobie dans la société canadienne, beaucoup de gens parlaient de l'importance de se présenter en tant qu’individus et communautés, et en tant que Canadiens et musulmans, de manière positive dans leurs interactions sociales quotidiennes. Ils ont souligné être impliqués et engagés avec d'autres groupes et communautés, prenant l’occasion de parler et de dissiper les stéréotypes à travers leurs actions en tant qu'individus. La plupart d'entre eux sont très impliqués dans leurs communautés locales actuellement, certains dans le travail interreligieux, certains avec des groupes locaux de bénévoles, et d'autres à travers leurs rôles professionnels comme éducateurs. Comme une femme musulmane l'a affirmé, « C'est pourquoi vous devez sortir et vous devez prendre la parole et vous devez parler. Et ces gens qui peuvent écrire doivent écrire. Et dire, seulement le fait d’être musulman ne fait pas de moi un terroriste. Tout simplement parce que je suis une femme, cela ne veut pas dire que je suis une musulmane qui ne peut pas parler.

Implications et conclusion

Les résultats préliminaires de cette étude communautaire montrent que les attitudes sociales et perceptions islamophobes sont présentes dans la société ontarienne à bien des égards, et ne sont pas toujours sur la scène médiatique. Les implications sociales de ces résultats sont inquiétantes, car elles peuvent contribuer au silence, à la marginalisation ou à l'exclusion des musulmans canadiens, s’ils sont considérés comme n’appartenant pas tout à fait ou s’ils ont toujours à se justifier et à s’expliquer d'une manière que les autres Canadiens n’ont pas à faire. En outre, bien que la confusion de la catégorie musulman avec minorité raciale et/ou immigré puisse refléter des changements sociodémographiques dans la société canadienne, elle reflète également la manière dont les différents types de discrimination peuvent se chevaucher. Cela renforce une vision négative des musulmans canadiens, ce qui conduit à des divisions sociales qui sont préjudiciables à la cohésion sociale.

Sur la base de ces résultats préliminaires, plusieurs suggestions pour la lutte contre la discrimination antimusulmane dans la société ontarienne peuvent être mises de l’avant. Premièrement, le gouvernement devrait continuer à soutenir la protection des droits et des libertés religieuses des musulmans canadiens en vertu de la loi. Deuxièmement, dans le domaine de l'éducation, il est important pour les écoles et pour le gouvernement de l'Ontario de continuer à soutenir l’éducation à la diversité et à l'équité, y compris l'embauche d'enseignants et d’éducateurs musulmans qui reflètent le nombre croissant d’écoliers canadiens musulmans. Cela peut aussi aider à contrer les effets négatifs sur les générations futures. Enfin, afin de contrer les perceptions négatives des musulmans canadiens comme groupe minoritaire distinct, il est important de soutenir les initiatives intercommunautaires qui favorisent de meilleures relations sociales entre tous les Canadiens et qui bâtissent la cohésion sociale.


Références

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Helly, D. 2004. Are Muslims discriminated against in Canada since September 2001 ? Journal of Canadian Studies 36(1) : 24-47.

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Statistique Canada. 2003. Religions au Canada, Tableaux, Recensement de 2001. Selected Religions by Immigrant Status and Period of Immigration, 2001 Counts, for Census Metropolitan Areas(1) and Census Agglomerations - 20 % Sample Data. Catalogue No. 97F0024XIE2001015.

 

Droits de la personne, sexualité et religion : Entre les politiques et l'identité

Heather Shipley détient un doctorat en études religieuses (2009), une maîtrise en études religieuses (2006), et un baccalauréat en études religieuses et psychologie (2004). Elle est gestionnaire de projet pour The Religion and Diversity Project, une initiative de recherche collaborative majeure du CRSH et enseigne à temps partiel à l’Université d’Ottawa et à l’Université de Carleton. Ses publications comprennent : 2012. “Fairies, Mermaids, Mothers and Princesses : Sexual Difference and Gender Roles dans Peter Pan, Studies in Gender and Sexuality, 13(2), sous presse ; 2008. Examining Sexual Diversity : Sexual Orientation and Marriage in Canadian Legal Discourse. Journal of Religion and Culture 20 : 95-116 ; One of these things is not like the other : Regulating Sexual Difference, Reasonable Accommodation : Managing Religious Diversity, édité par L. Beaman, Vancouver : UBC Press, sous presse.

Résumé

Alors que les changements de politique importants sont discutés et ouverts à la réaction du public, l'urgence d'une réflexion plus critique sur les constructions identitaires étroites et essentialisées dans la politique est mise en évidence. Bien qu’il y aura toujours des conflits dans l'espace public sur la religion et la sexualité, initiés par ceux qui s'identifient uniquement selon un des aspects et condamnent ou critiquent l'autre, nos politiques doivent refléter et inclure plus que ces hypothèses étroites ; si nos politiques et leur application peuvent devenir plus adaptatives en réponse à ces défis, peut-être que le conflit supposément inhérent pourrait être géré avec des stratégies alternatives plus productives.

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Ce texte examine les implications et les conséquences lorsque la religion et la sexualité sont supposées être en conflit, un argument qui se concentre sur les discours qui essentialisent les identités religieuses et sexuelles. En discutant de deux exemples précis, j'explore le cadrage de la religion et notamment les identités sexuelles (c.-à-d., LGBTQ) ; les cadres qui sont ensuite utilisés pour réglementer et gérer l'identité fondée sur des traits inhérents assumés. Je conclurai par quelques réflexions, des suggestions et des recommandations concernant l'inclusivité dans la politique et le droit, ainsi que les lacunes qui sont à combler, selon moi, entre la politique et l'application.

De plus en plus la couverture médiatique au Canada, et ailleurs, a été centrée sur le sujet de l'accommodement raisonnable des minorités religieuses, en soulignant de nombreuses controverses concernant le rôle de la religion et des pratiques religieuses au Canada, souvent contre-positionné par rapport aux principes « laïques » assumés de la société canadienne. Lorsque les controverses portent sur le sexe et la sexualité, souvent les voix religieuses les plus fortes se faisant entendre dans l'arène publique sont des voix faisant valoir que l'égalité des droits sexuels conteste les croyances religieuses. En outre, certains cadres de la « religion » sont régulièrement présentés comme intrinsèquement oppressifs, souvent envers les femmes et les enfants. De plus en plus, il est clair que tous les groupes religieux sont unis dans leur approche sur le thème de l'égalité des droits fondée sur le sexe, la sexualité ou l'orientation sexuelle. Les voix de ceux qui sont à la fois religieux et sexuellement « autres » ou religieux et à l'appui de la diversité sexuelle se font elles aussi de plus en plus bruyamment entendre, bien que l'hypothèse soit souvent que pour être religieux, il faut se tenir sur un seul côté de cette dichotomie.

Il est amplement prouvé que la relation entre la religion et la sexualité n'est pas en soi en conflit, mais elle est souvent construite en tant que telle dans le discours public/médiatique, et renforcée encore par les politiques. Ce qui est souvent dépeint dans les controverses et débats publics, c'est que la « religion » et la « religiosité » s’opposent nécessairement à la diversité sexuelle, ce qui perpétue l'hypothèse que certains groupes et individus doivent se libérer de l’imposition religieuse. Alors que des changements de politique importants sont en cours d'élaboration, l'urgence d'une réflexion plus critique sur les constructions identitaires étroites et essentialisées dans la politique est d'une importance critique. Il continuera à y avoir des conflits dans l'espace public sur la religion et la sexualité, initiés par ceux qui s'identifient par seulement un de ces aspects et qui condamnent ou critiquent l'autre, cependant, si nos politiques et leur application peuvent devenir plus adaptatives en réponse à ces défis, peut-être que ce conflit supposément inhérent pourra être géré avec des stratégies alternatives plus productives.

Je propose que nous commencions à penser non seulement à la façon dont les droits fondés sur la croyance ou l'identification religieuse remettent en question ceux qui sont considérés comme « non-religieux », mais je souhaite aussi suggérer qu'il est temps de penser à la façon dont les politiques d'inclusion peuvent être formulées de telle sorte que la religion ne soit pas nécessairement posée comme étant en conflit avec la diversité sexuelle, ou avec l'égalité en matière de sexualité.

En lien direct avec les politiques de non-discrimination telles que la Charte, il est important de réfléchir sur la façon dont ces politiques sont destinées à être adoptées dans les milieux institutionnels. Les récents changements proposés à la politique de l'Ontario sur l’éducation sexuelle ont suscité suffisamment de controverse pour mettre au rencart 2 ans de développement de curriculum à la suite de controverses sur la « concurrence » des droits. Il y a un écart évident entre l'existence de politiques de non-discrimination, des politiques qui reconnaissent les intersections et l'expérience, et l'application de la politique dans un contexte vécu. Bien que les écoles publiques soient tenues de s'engager envers la Charte et les politiques provinciales, il peut être démontré qu'il existe un écart entre l'exigence et la réalité du milieu de l'éducation. Ceci s’aligne avec le défi de l'application de la politique, ou ce que j'appelle la transmission de la politique vers l'expérience.

Dans Heintz c. Christian Horizons, Connie Heintz a fait valoir que la cessation de son emploi comme travailleuse de soutien en raison de son orientation sexuelle a violé le Code ontarien des droits de la personne. Au cours de son emploi à la résidence exploitée par Christian Horizons, l'identité de Heintz comme lesbienne est entrée en conflit avec la déclaration sur le mode de vie et la morale de Christian Horizons, qui interdit les relations homosexuelles. Christian Horizons a fait valoir que cette déclaration relevait de l'article 24 (1) (a) du Code, qui permet des préférences restrictives d'embauche ou de recrutement pour certains organismes sur la base de l'un des motifs interdits du Code, dans ce cas la croyance.

Compte tenu de ces droits, le Tribunal déclare : « En même temps, il a été dit qu'aucun droit n'est absolu. Les droits peuvent entrer en conflit, et les cours et tribunaux peuvent être appelés à concilier les intérêts divergents et concilier les droits contradictoires » (par. 9). Arguant que la Commission des droits de la personne est une agence ayant pour mandat de promouvoir les droits de la personne, le Tribunal a estimé que :

la question dans ce cas est de savoir si une organisation qui est effectivement financée par l'État à 100 pour cent, qui fournit des services sociaux au nom du gouvernement à l'ensemble de la communauté, et qui offre ces services à des personnes sans égard à leur race, leur croyance ou leur origine culturelle, peut discriminer dans ses politiques d'embauche sur la base de l'un des motifs interdits par le Code (au par. 12).

Christian Horizons est un établissement public, et il a donc été soutenu par le Tribunal qu'ils étaient tenus de s'engager aux politiques de non-discrimination énoncées dans le Code. Le Tribunal n'a pas prétendu que l'orga-nisation n'était pas religieuse simplement parce qu'elle a reçu un financement public (par. 116), notant que « Il y a peut-être de légitimes débats sur les politiques publiques et des débats à savoir si une organisation qui a des restrictions quant à ses membres ou ses politiques d'emploi devrait recevoir des fonds publics » (par. 116), mais a déclaré que la clientèle de Christian Horizons et la structure organisationnelle étaient telles que l’organisme ne pouvait pas être considéré, en vertu du Code, pour l’exemption, à des fins d'emploi et d'embauche, fondée sur des croyances religieuses.

Dans la décision, le Tribunal a fait valoir que le Code a été violé parce Christian Horizons a suggéré que Heintz consulte à des fins de « restauration » ; ils ont créé/permis un environnement de travail empoisonné (et aucune mesure n'a été prise pour remédier aux effets néfastes), et ils ont agi sur des opinions discriminatoires (par. 205). Heintz a reçu des dommages et intérêts, et Christian Horizons a été condamnée à modifier ses politiques et à prendre des mesures afin que ses employés suivent une formation sur la non-discrimination.

Un fait intéressant à noter est que Heintz elle-même a déclaré qu'elle a découvert son orientation sexuelle changeante au cours de son emploi à Christian Horizons, et qu'en tant que femme de foi chrétienne, ceci a nécessité un processus de compréhension de sa part. Ce processus pour Heintz n'a pas été soutenu par l'environnement dans lequel elle a travaillé après avoir appris qu'elle était lesbienne et après avoir été impliquée dans une relation de même sexe. Heintz affirme toutefois qu'elle n'aurait pas déposé une réclamation contre Christian Horizons s'ils n'avaient pas été bénéficiaires du financement public. Il y a un lien pour Heintz et le Tribunal entre les politiques de non- discrimination et les principes d'égalité de traitement et le rôle des institutions publiques dans la sauvegarde de ces principes.[1]

Bien que je reconnaisse que les politiques exigent des révisions afin de répondre à la politique contemporaine sur l'identité, j'ai aussi mentionné l'écart entre la politique et l'expérience de la politique. En plus de cette lacune, il y a bien sûr la problématique de l'application des politiques dans un tribunal ou dans un cas judiciaire, une application qui repose sur l'interprétation et le jugement par ces politiques applicables. Les notions de catégories iden-titaires et de la relation des aspects de l'identité tels que la religion et la sexualité vont directement vers une controverse politique spécifique en matière de genre et de sexualité sur laquelle je me concentre ici ; le programme d'éducation sexuelle.

Récemment l’Ontario a connu un débat public bref mais intense concernant le programme d'éducation sexuelle, culminant par une déclaration du Premier ministre de l'Ontario faisant valoir que les changements ont été mis en attente afin d’examiner les besoins multiculturels et la diversité religieuse de la province.

En avril 2010, lors de la première demande de commentaires sur les modifications proposées au curriculum d'éducation sexuelle de l'Ontario, Dalton McGuinty, a répondu en défendant les changements (CBC 2010d). Dans la foulée, cependant, le premier ministre a reculé sur la question des changements dans le programme, qui ont depuis été mis en attente. Notamment, la chronologie des événements est incroyablement brève : McGuinty a d'abord été interrogé sur les changements le 21 avril, et il avait renversé son opinion concernant les modifications proposées le 23 avril.

Les révisions qui semblaient évoquer le plus d'inquiétude étaient les suivantes : 1ère année : identifier les parties génitales à l'aide des mots corrects, comme le pénis, le vagin et le testicule, 3ème année : l'apprentissage des différences invisibles, tels que l'identité de genre, l'orientation sexuelle, et les allergies ; 6ème année : la masturbation et la pollution nocturne ; 7ème année : le sexe oral et anal : comment prévenir les grossesses non désirées et les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH.

Ces changements ont été suggérés comme étant nécessaires afin de s'adapter aux normes contemporaines d’éducation sexuelle et pour accroître la compréhension de l'identité sexuelle ; les nouveaux sujets devaient être présentés aux élèves à l'âge et au stade de développement appropriés dans leur éducation. Le programme existant est beaucoup plus général, les modifications comprennent les parties du corps spécifiques, les activités et donne le nom des sujets qui devraient être abordés à un niveau donné.

Deux ans de développement ont été dévoués aux modifications proposées, à compter de 2007, y compris une année de recherche et de consultation avec les conseils scolaires publics et catholiques, les facultés d'éducation des universités, des groupes de santé et des groupes de parents. Le premier projet de proposition a été envoyé pour commentaires du public, distribué à 5,000 parents en Ontario (dont beaucoup étaient favorables à ces changements), résultant en 3,000 réponses qui ont par la suite impliqué une révision et vérification des faits avant de finaliser les modifications proposées en 2009 (The Star ; 2010 ; Globe and Mail a-b).

La controverse au cours de ces deux jours a inclus des déclarations de l'Institute for Canadian Values, le Canada Christian College et le réseau de parents catholiques du Grand Toronto. Ce qui a été répété dans la couverture des changements proposés et de la controverse au sujet des changements a mis l'accent sur l'argument continu que l'opposition aux changements était représentative des idéologies religieuses. Cet accent répété réaffirme l'idée que non seulement est-il acceptable pour les « religieux » de s'opposer à l’enseignement de la sexualité, on devrait en fait s'attendre à ce que les groupes ou les individus religieux se sentent de cette façon.

En réponse à la controverse sur le programme, le premier ministre McGuinty a renoncé à des changements de politique, citant la nécessité de considérer la diversité multiculturelle et religieuse de la province et les préoccupations des parents (CBC2010a-c). Les parents qui ont été interrogés au sujet du programme ont exprimé à la fois un soutien et une opposition aux changements, il n'y avait pas une même représentation unilatérale de l’opinion des parents. McGuinty a introduit depuis la « Loi pour des écoles tolérantes » qui a suscité une tempête de nouveaux débats.

La recherche actuelle qui remet en cause les oppositions binaires concernant la religion et la sexualité comprend une étude récemment achevée en Grande-Bretagne et dans le Pays de Galles sur les identités religieuses et sexuelles des jeunes (Yip et al. 2011). Parmi les résultats du projet, les répondants qui ont articulé une identité à la fois religieuse et sexuellement diverse (c.-à-d. gais, lesbiennes, etc.) ont déclaré sentir le besoin de minimiser leur identité religieuse au sein de certaines communautés LGBTQ. Les répondants qui se sont identifiés comme à la fois religieux et lesbienne/gai/bisexuel, etc., n'ont toutefois pas rapporté de lutte interne au sujet de ces aspects de leur identité, mais que ce sont plutôt les communautés externes et les forces sociales qui ont nécessité la marginalisation d’au moins une partie de leur identité dans la société britannique contemporaine. Les femmes religieuses lesbiennes interrogées dans la région de Los Angeles ont démontré que les communautés religieuses accueillaient à bras ouverts la communauté LGB dans la région de Los Angeles depuis plus de 50 ans, et les participantes elles-mêmes n'ont pas rapporté de conflit d'identité personnelle lorsque considérant à la fois les aspects religieux et sexuel de leur identité. Plutôt, la consternation venait d'hypothèses et d’impositions externes (Wilcox 2011).

Il est important de noter que l'identité religieuse est également complexe, nuancée, fluide et résistante à l'essentialisation. Bien qu'il existe des voix claires d’individus qui affirment que la diversité sexuelle et les relations homosexuelles remettent en question leurs croyances religieuses, nous avons aussi la preuve que l'identité religieuse est aussi multiforme et nuancée que l'identité sexuelle. Il y a un vaste corpus de littérature sur les différences entre l'enseignement religieux et la religion vécue, ou entre ce que la religion est supposée être et comment les gens pratiquent leur foi en contextualisant la doctrine selon leurs propres besoins, leurs expériences et leurs influences culturelles (McGuire 2008). Alors que divers groupes religieux continuent à cohabiter dans une plus grande proximité les uns aux autres, il devient de plus en plus évident qu'il n'existe pas de compréhension unique de ce que signifie être religieux (voir Beyer 2008).

En outre, les chercheurs débattent de la prétendue neutralité du « laïque » au sein des pays occidentaux. Janet Ann Jakobsen et Pellegrini (2008), entre autres, contestent l'utilisation de « la laïcité » comme étant rationnelle, objective et sans idéologies imbriquées, y compris les idéologies religieuses. Au contraire, ces deux auteurs, ainsi que Lori Beaman (2010), soutiennent que le virage vers la laïcité comme dialogue universel, neutre en fait, perpétue des constructions idéologiques sur la religion, le sexe et la sexualité.

Réflexions et recommandations

Comment pouvons-nous changer la politique afin qu’elle soit réflective et pourtant aussi efficace?

Comment pouvons-nous veiller à ce que l'application de la politique soit en corrélation avec le contexte expérientiel de la société contemporaine?

Comment pouvons-nous combler le fossé entre les politiques qui sont élaborées pour promouvoir l'inclusion/réglementer la discrimination et les expériences des individus sur une base quotidienne concernant la négociation d'identité et de l'égalité ?

À la lumière de ceci, voici les nouveaux défis en matière de politique concernant les droits religieux et l'identité LGBT :

  1. Intersections : une considération des intersections de la religion, l'identité de genre et l'orientation sexuelle, la notion préconçue qu'ils seront néces-sairement en concurrence ne tient pas compte des difficultés rencontrées par les personnes qui pourraient être discriminées en raison de multiples aspects de leur identité.
  2. Transmission : Il fait partie du processus que les individus viennent devant les cours ou les tribunaux à cause de la politique identitaire ; lorsqu’on continue à perpétrer l'idée que la religion et la diversité sexuelle sont intrinsèquement en conflit, on finit par transmettre le message que l'un est privilégié par rapport à l'autre, et nous empêchons de ce fait la transmission entre la politique et l'application fondée sur des expériences authentiques d’individus pour qui la politique n'est pas seulement en noir ou blanc.


Notes

[1] Il est important de noter que le Code prend en considération des motifs d'intersection dans les politiques de non-discrimination et de protection. La section 2.2 du Code sur le harcèlement sexuel affirme que « Une personne peut être particulièrement vulnérable quand elle est identifiée par plus d'un motif prévu au Code. » Citant plusieurs exemples possibles de la vulnérabilité fondée sur des motifs multiples, tels que la race, le handicap, l'orientation sexuelle, on dit : « Lorsque des motifs multiples s’entrecoupent pour produire une expérience unique de discrimination ou de harcèlement, nous devons prendre pleinement compte de l'impact sur la personne qui l'a vécu. »

Références

Beaman, Lori. 2010. “Is Religious Freedom Impossible in Canada ?” Law, Culture and the Humanities 6(3) : 1-19.

Beyer, Peter. 2008. From Far and Wide : Canadian Religious and Cultural Diversity in Global/Local Context.” Dans Religion and Diversity in Canada, éd. L.G. Beaman and P. Beyer, 9-39. Leiden : Brill Academic Press.

Charte canadienne des droits et libertés, http://laws.justice.gc.ca/en/charter/, accédé le 3 décembre 2007.

CBC News. 2010a. “Sex ed opponents claim victory in Ontario.” 23 avril, http://www.cbc.ca/canada/toronto/story/2010/04/23/ontario-education.html..., accédé le 29 avril 2010.

2010b. “Sex-ed change needs ‘rethink’ : Ont. Premier.” 22 avril, http://www.cbc.ca/canada/toronto/story/2010/04/22/sex-ed.html, accédé le 23 avril 2010.

2010c. “McGuinty supports new sex ed curriculum.” 21 avril, http://www.cbc.ca/canada/toronto/story/2010/04/20/ontario-sexed.html, accédé le 21 avril 2010.

Globe and Mail. 2010a. “Ontario salvages reworked curriculum, minus the sex part,” 28 avril, http://www.theglobeandmail.com/news/national/ontario/ontario-to-bring-in... ?cmpid=rss1, accédé le 15 février 2011.

2010b. “Muslims, Christians challenge Ontario’s more explicit sex ed,” 22 avril, http://www.theglobeandmail.com/news/politics/muslims-christians-challeng..., accédé le 15 février 2011.

Gouvernement de l’Ontario. 1998. Santé et éducation physique (Le Curriculum d’Ontario, 1ère- 8ème années). Ministère de l’éducation et de la formation.

Hall (Litigation guardian of) c. Powers, [2002] O.J. No. 1803.

Heintz c. Christian Horizons 2008 HRTO 22.

Jakobsen, Janet R. and Ann Pellegrini, eds. 2008. Secularisms (Social Text Books). Durham : Duke University Press.

McGuire, Meredith. 2008. Lived Religion : Faith and Practice in Everyday Life. Oxford : Oxford University Press.

The Star. 2010. Analysis : Dalton McGuinty’s sex-ed surrender motivated by politics.” 23 avril, http://www.thestar.com/news/ontario/article/800039, accédé le 15 février 2011.

Wilcox, Melissa. 2010. Queer Women and Religious Individualism. Bloomington, IN : Indiana University Press.

Yip, Andrew Kam-Tuck, et al. 2011. Religion, Youth and Sexuality : Selected Key Findings from a Multi-faith Exploration. University of Nottingham.

 

Sur l'engagement des Bouddhistes Canadiens à l'égard du discours sur les droits de la personne et le droit

Matthew King est aspirant au doctorat en études bouddhistes à l’Université de Toronto. Sa recherche doctorale porte sur l’historiographie bouddhiste mongolienne du début du XXe siècle dans le contexte de la dissolution de l’empire Qing et des mouvements socialistes naissants. Il est administrateur et travaille bénévolement pour divers organismes bouddhistes canadiens et internationaux depuis 15 ans.

Résumé

La population bouddhiste canadienne contemporaine se compose de convertis et d’immigrants et cette composition non seulement complique l’accommodement de la diversité des droits religieux bouddhistes canadiens, mais remet en question la définition de la « croyance » énoncée dans le Code des droits de la personne de l’Ontario. Cet article souligne ces dynamiques relativement à deux milieux institutionnels : le système pénal et le système de santé. Il conclut en incitant la Commission ontarienne des droits de la personne à considérer les besoins uniques des traditions religieuses dont les adeptes sont des convertis ou des immigrants, comme le bouddhisme, afin d’éviter de privilégier les droits des populations converties minoritaires aux dépens des populations immigrantes originaires majoritaires.

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Pour aborder le sujet des affrontements et des négociations des bouddhistes relativement au discours canadien sur les droits religieux et au droit dans un contexte comparatif, même dans le peu temps qui nous est accordé ici, il semble nécessaire de préciser nos termes. À tout le moins, il paraît utile de les altérer quelque peu pour qu’ils perdent leurs références humaines naturalisées, universelles et commencent à prendre l’allure de concepts profondément locaux, peut être étrangers pour certains, et qui se propagent de plus en plus au-delà du territoire où ils ont été créés. Cela nous permet également d’apprécier l’action qui découlera naturellement de toute définition légale de la religion : de telles définitions non seulement protègeront la croyance, la pratique et l’identité religieuse, mais ce qui est important, créeront et délimiteront ces mêmes croyances, pratiques et identités qu’elles sont chargées de protéger et dont elles limitent les paramètres. Comme d’autres articles inclus ici l’auront sans doute mentionné, une réflexivité créative est essentielle même quand le but est d’instancier et non de démanteler les cadres juridiques. De telles réflexions sont particulièrement pertinentes, je crois, en relation à toute religion au Canada qui est reliée à des populations immigrantes et adoptée à grande échelle par des populations non immigrantes converties. À la lumière de cela, nous devons nous demander quel groupe bouddhiste est reconnu et protégé par le droit provincial et national et lequel ne l’est pas.

Selon Statistique Canada, en 2001 le Canada comptait plus de 300 000 bouddhistes, ce qui représente une croissance de 83 % de leur nombre depuis 1991[1]. Cette augmentation était associée à une immigration accrue en provenance de pays bouddhistes d’Asie et à une communauté canadienne de convertis dynamique (bien que comparativement petite). Statistique Canada prévoit que d’ici à l’an 2031, la population bouddhiste du Canada atteindra 607 000 personnes[2]. En 2001, près de la moitié de la population totale de bouddhistes au pays vivait en Ontario et une distribution semblable devrait être prévue pour les années à venir. Dans cet article, j’examinerai brièvement le visage contemporain de la population bouddhiste diversifiée du Canada en relation avec deux types d’engagement institutionnel – les soins au terme de la vie et le système pénal. J’aborderai ensuite des questions plus vastes concernant l’engagement des bouddhistes à l’égard de la croyance et leurs représentations selon la croyance dans la conclusion de cet article.

Soins au terme de la vie

Le bouddhisme, peut-être plus que d’autres traditions théistes dans ce pays, est une religion très focalisée sur la mort et le processus de la mort. Mourir d’une certaine façon, dans un environnement particulier et avec des soutiens et une préparation spécifiques est une des plus importantes expériences religieuses de la vie et celle ci constitue effectivement une pratique religieuse centrale pour les laïcs et le clergé. Il importe de mentionner que la construction bouddhiste du processus de la mort va bien au delà de la mort biologique définie par nos sciences médicales. Pour les bouddhistes, il est essentiel de ne pas déranger ni même toucher un cadavre pour quelque temps, idéalement aussi longtemps qu’un jour ou deux, pour assurer une transition positive à la prochaine vie. Il en est ainsi, car dans leur perspective une personne n’est pas encore morte lorsque son coeur cesse de battre et qu’elle prend sa dernière respiration. Le conflit devrait être évident – il n’est pas pratique et contraire aux procédures opérationnelles de laisser un cadavre sans y toucher et dans un endroit privé dans nos grands hôpitaux pendant trop longtemps. Les cadavres doivent être touchés, manipulés, transportés et rangés. Ce désaccord cause aux bouddhistes confrontés à la cessation de la vie humaine au Canada énormément de difficultés et de stress. La réponse semblerait être un réseau de soutien à l’extérieur des institutions, notamment un hospice bouddhiste, qui pourrait exister parallèlement ou même au sein du système de santé pour accommoder le droit de mourir selon les croyances religieuses. Cependant, en 2007 un groupe de recherche du département d’étude de la religion de l’Université de Toronto a découvert que, tandis que dans les autres régions du monde, il y a des groupes spécialisés dans le traitement axé sur le bouddhisme de personnes atteintes de maladies chroniques et graves, en Ontario un tel organisme est absent et très nécessaire[3].

En cela nous voyons une tendance plus vaste en ce qui a trait à l’interface entre les populations bouddhistes et les milieux institutionnels au Canada et dans d’autres nations traditionnellement non bouddhistes ; bien qu’il existe des cadres juridiques visant à accommoder les bouddhistes au sein, par exemple, de notre système de soins de santé, en pratique les besoins particuliers de cette population sont généralement satisfaits uniquement par des organismes non gouvernementaux, s’ils sont satisfaits. En Californie et en Nouvelle Zélande, par exemple, on constate une coopération de longue date entre les systèmes de santé régionaux et les réseaux d’hospices afin de respecter le droit des patients bouddhistes gravement malades de mourir selon la tradition. Dans de nombreux cas, ils sont financés en partie par le gouvernement pour accomplir leur travail. Le fait qu’ils le font même lorsque le nombre de bouddhistes par tête est inférieur à celui du Canada porte à réfléchir.

Prisons

En théorie les institutions canadiennes accommodent les droits religieux des populations bouddhistes, mais en pratique la nécessité d’obtenir un soutien non gouvernemental et communautaire (largement absent) pour respecter ces droits est une tendance que l’on retrouve également dans le système pénal canadien. Cette situation est également courante dans d’autres pays comme l’Amérique[4], le Royaume-Uni et l’Australie (mon article plus long renferme le détail), mais dans ces pays les organismes non gouvernementaux et l’État collaborent beaucoup plus étroitement pour assurer le respect des libertés religieuses minimales des bouddhistes emprisonnés. Au Canada, il n’existe aucun organisme d’aumônerie bouddhiste central qui fournit un soutien et des ressources aux bouddhistes incarcérés[5] (qui sont au nombre de 1 000, bien que de nombreux prisonniers non bouddhistes utilisent régulièrement les services d’aumônerie bouddhiste)[6]. Ces services incluent l’aumônerie, la formation en méditation de groupe, les rites du cycle de vie et du calendrier ainsi que la thérapie confessionnelle. Cela en dépit du fait que la loi affirme que de telles ressources doivent être à la disposition des détenus qui les réclament pourvu qu’ils ne posent aucun danger sur le plan de la sécurité[7]

L’aumônerie bouddhiste est généralement impartie à des particuliers[8] qui, de concert avec un corps de bénévoles, répondent aux besoins religieux de base des détenus bouddhistes. En juin 2011, le programme sur le bouddhisme contemporain de l’Université de la Colombie-Britannique a animé un atelier sur l’état actuel des droits religieux bouddhistes dans les prisons canadiennes. Les participants, notamment des aumôniers, des bénévoles travaillant dans des prisons et des chercheurs, ont conclu que le système est à court d’aumôniers bouddhistes à l’heure actuelle et que les prisons canadiennes ont très rarement des locaux multiconfessionnels ou des ressources appropriées pour accommoder l’aumônerie bouddhiste (même lorsqu’un aumônier bouddhiste est disponible occasionnellement). Ils ont également mentionné le manque de soutien gouvernemental soutenu non seulement à la dotation en aumôniers, mais également à un éventail de ressources multiconfessionnelles qui pourrait fortement contribuer à la réadaptation des prisonniers – par exemple, des consultations confessionnelles pour toxicomanes[9]. L’interprétation des statistiques de P. McIvor concernant la population carcérale canadienne actuelle nous rappelle l’importance de tels services :

Somme toute, le détenu typique qui pourrait être servi par un programme d’approche bouddhiste en prison est susceptible d’être un jeune homme qui a peu de soutien à l’extérieur de la prison, un réseau social composé de pairs criminels, un faible niveau de scolarité et éventuellement un trouble mental. En plus de composer avec sa peine, il pourrait être aux prises avec un abus d’alcool et d’autres drogues et d’autres pressions[10].

À la lumière de la croissance prévue de la population bouddhiste canadienne et d’une nouvelle loi[11] qui promet d’accroître considérablement le nombre de détenus et d’établissements correctionnels au Canada, nous devons nous attendre à ce que ces chiffres augmen-tent dans un avenir rapproché. Confrontées à des pressions institutionnelles croissantes, combien de temps les prisons canadiennes pourront elles respecter les droits religieux des populations religieuses minoritaires comme les bouddhistes ?

Conclusion

À la suite de ces commentaires sur l’engagement institutionnel des bouddhistes canadiens, j’aimerais conclure par un commentaire lié à notre définition de la « croyance » à la lumière de la composition de la population bouddhiste canadienne. La Charte actuelle définit ainsi la religion ou la croyance : « un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte »[12] qui ne comprend pas « de convictions profanes, morales ou éthiques ni de convictions politiques »[13]. Et pourtant, quelle est la place du bouddhisme en tant que pilier organisationnel central pour les communautés de la diaspora ? Leurs identités en tant que minorités à inclination bouddhiste se limitent elles au « profane » ? Il est clair que pour les groupes d’immigrants récents le bouddhisme s’apparente plus souvent au dialecte ou au costume qu’à une forme quelconque de religion privatisée dont la pratique (dans le sens de communion privée) doit être légalement respectée sur le lit de mort, dans la cellule de la prison ou au lieu de travail. Les universitaires suggèrent qu’une telle définition de la religion est souvent étrangère doctrinalement et sociologiquement à l’extérieur de la tradition judéo chrétienne normative, comme le professeur Seljak nous l’a rappelé hier soir. Cela revêt une certaine importance en ce qui a trait à la population bouddhiste canadienne qui, on se souviendra, se compose d’une petite communauté vocale de convertis aux antécédents judéo chrétiens et d’une majorité d’immigrants bouddhistes « ethniques » ou « originaires » ou de première génération.

Le point est simplement que la définition actuelle de la « religion » et de la « croyance » de la Commission ontarienne des droits de la personne privilégie en fait ce que les universitaires et les bouddhistes critiquent depuis longtemps comme étant un bouddhisme « blanc, privilégié, de classe moyenne » (une tradition individualisée, fondée sur la religion qui s’inspire fortement du protestantisme libéral) et masque considérablement l’expérience plus sociale, extériorisée et communautaire de centaines de bouddhistes « ethniques » au Canada et ailleurs. Pour cette population bouddhiste canadienne majoritaire, l’affiliation et l’identité relèvent peut-être moins de la croyance et de la pratique ainsi définies que de la création d’un milieu social familier au sein d’une société canadienne étrangère. Il s’agit, selon moi, de savoir si et comment la Charte devrait accommoder des « droits religieux » aucunement ou faiblement associés à la croyance ou la pratique, mais qui sont le principal élément de la dynamique troublante des inégalités fondées sur la classe sociale dans la société canadienne contemporaine. En tant que principale tradition religieuse migratoire au Canada composée de convertis locaux et d’immigrants ou de Canadiens de première génération, le bouddhisme nous fournit une lentille intéressante sous laquelle examiner quels types de religion nos définitions requièrent et quels types elles excluent.

 


Notes

[1] Le nombre exact en 2001 était de 300 345 (1 % de la population totale). « Dénominations religieuses principales, Canada, 1991 et 2001 » (http://www12.statcan.ca/french/census01/Products/Analytic/companion/rel/tables/canada/cdamajor.cfm).

[2] Statistique Canada – No au catalogue 91-551-XWF. « Projections de la diversité de la population du Canada, 2006-2031 ». (www.statcan.gc.ca/pub/91-551-x/91-551-x2010001-fre.pdf)

[3] Pour la recherche effectuée à ce jour par ce groupe, et des ressources intellectuelles pertinentes, voir http://homes.chass.utoronto.ca/~fgarrett/hospice/ and http://buddhisthospicecareproject.blog spot.com/.

[4] La Buddhist Relief Mission, un des plus anciens et plus importants organismes voués à la défense des prisonniers bouddhistes en Amérique, a démontré l’hostilité des prisons américaines à l’égard des bouddhistes et des adhérents à d’autres religions non chrétiennes incarcérés, et ce, en dépit des lois qui garantissent leur droit à la pratique religieuse. Cela découle, en grande partie, de chrétiens conservateurs qui occupent souvent des postes d’autorité dans les organismes d’aumônerie et sont reconnus pour leur refus d’accommoder les programmes religieux non chrétiens. Cela en dépit des campagnes réussies d’organismes comme la Buddhist Relief Mission et le Prison Liberation Project pour obtenir que les institutions fédérales et étatiques garantissent les besoins essentiels des bouddhistes dans leurs établissements. À l’échelle internationale, Angulimala est un organisme d’aumônerie carcérale britannique établi en 1977 qui possède des chapitres et des affiliés dans des endroits aussi différents que le Népal et la Russie. Dans chacun de ses pays affiliés, Angulimala travaille étroitement avec le système correctionnel pour obtenir un soutien systématique convenable pour les détenus bouddhistes et intervenir en faveur d’une sensibilité religieuse accrue dans les prisons.

[5] Koppedrayer, Kay et Mavis L. Fenn (2006). « Buddhist Diversity in Ontario », dans Matthews, B. éd. (2006). Buddhism in Canada. London, Routledge : 68-9.

[6] C’est l’estimation de McIvor de la population de détenus bouddhistes en 2011, projetée à partir des données du recensement de 2006. Voir McIvor (2001) : 71.

[7] Par exemple, « Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, tout détenu doit avoir la possibilité de pratiquer librement sa religion et d’exprimer sa spiritualité. » (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, chap. 20, article 75).

[8] Il semble que « Awake in Action », un organisme d’aumônerie bouddhiste américain, fournisse actuellement un soutien et des ressources aux aumôniers contractuels au Canada. Cependant, l’organisme canadien Interfaith Committee on Chaplaincy semble être le réseau de soutien le plus courant pour les aumôniers bouddhistes.

[9] « Workshop Report : Buddhists working in Prison, Corrections, and Rehabilitation : Volunteers, Chaplains and Teachers ». http://ubcbuddhism.wordpress.com/2011/06/22/1581/. Consulté le 8 janvier 2011

[10] McIvor, Paul. (2001). Outsider Buddhism : A Study of Buddhism and Buddhist Education in the U.S. Prison System. Thèse de maîtrise : Université d’Afrique du Sud : 71-72.

[11] Notamment le projet de loi C-26, Loi sur l’adéquation de la peine et du crime, déposé en 2009.

[12] Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses, Commission ontarienne des droits de la personne, 20 octobre 1996 : 2.

[13] Idem.

 

Tromperie! Les objecteurs de conscience Adventistes du septième jour devant le conseil de mobilisation durant la deuxième guerre mondiale

Barry W. Bussey, est originaire de Terre-Neuve, Canada. Il a deux diplômes de premier cycle (baccalauréat en théologie et en droit), deux maîtrises (maîtrise en sciences politiques et maîtrise en droit constitutionnel), et étudie actuellement pour obtenir son doctorat en droit à Osgoode Hall Law School à l'Université York (Toronto). Il était avocat à l’interne pour les Églises Adventistes du Septième Jour au Canada de 1996 à 2008. De 2009 à 2011, il était directeur associé des Affaires publiques et de la liberté religieuse à la Conférence générale des Adventistes du Septième Jour à Washington, New York et Genève. En juillet 2011, il a commencé à travailler avec le Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes en tant que VP aux affaires juridiques.

Résumé

Ce texte raconte l'histoire d’Adventistes du Septième Jour canadiens, conscrits dans la Seconde Guerre mondiale et qui ont comparu devant la commission de mobilisation afin de présenter leur cas comme objecteurs de conscience (OC). Le Conseil a agi en tant que gardien. Au début de la guerre, être classé comme OC signifiait que les jeunes hommes étaient envoyés à un camp de travail de service alternatif. Bien que la perte de liberté personnelle ait été regrettable, leur sort était beaucoup plus agréable que celui de ceux dont le statut d’OC était rejeté. Un homme religieux à qui on refusait le statut d’OC devait faire face au ridicule, à l'emprisonnement, et au travail forcé à cause de son refus d’utiliser un fusil dans les forces régulières. Le refus du Conseil d'exempter ces hommes était dû, en grande partie, à la nature capricieuse de son président.

Introduction

« Il y a cependant beaucoup de tromperie mise de l’avant par certains de ces hommes qui se revendiquent de l'objection de conscience », a déclaré le juge A.M. Manson. « Cet homme a notamment dit qu'il est un Adventiste du Septième Jour et donc un non-combattant. » Il a continué,

Il n'y a rien dans les principes des Adventistes du Septième Jour, pour autant que je sache, qui interdise à un membre de cette organisation de porter les armes, et bien que leur dimanche ne soit pas comme notre dimanche, néanmoins ils prétendre être des disciples du Christ et le Christ a clairement indiqué dans ses enseignements que le Sabbat a été conçu pour l'homme, non l'homme pour le sabbat. Dans l'urgence de la guerre il n'y a aucune raison pourquoi l’adventiste du septième jour ne devrait pas continuer d’occuper ses fonctions dans l'armée le dimanche, comme les Juifs qui sont dans l'armée.[1]

Ainsi Manson a refusé de reconnaître le soldat Watts Linden, né et élevé en tant qu’Adventiste du Septième Jour, comme objecteur de conscience durant la Seconde Guerre mondiale. Le traitement que Watts et d’autres conscrits adventistes ont souffert était révélateur d'une société canadienne qui avait beaucoup à apprendre sur les complexités de la liberté religieuse et la mesure dans laquelle les gens de foi étaient prêts à résister à l'action du gouvernement qui avait violé leur conscience.

L’église adventiste du septième jour

L'Église Adventiste du Septième Jour (ci-après « l'Église ») est une église chrétienne protestante officiellement organisée en 1863. Le nom « Adventiste du Septième Jour » est dérivé de deux de ses enseigne- ments distincts - observer le sabbat hebdomadaire du vendredi au coucher du soleil jusqu’au samedi au coucher du soleil, le septième jour de la semaine (le quatrième commandement), et l'enseignement du retour imminent du Christ (le second avènement).

Actuellement, l'Église compte quelque 17 millions de membres adultes à travers le monde. Elle est encore une entité relativement inconnue et est souvent confondue par le public avec les Mormons et les Témoins de Jéhovah.[2] Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'Église au Canada comptait quelque 9300 membres adultes.[3]

La position adventiste sur le fait de porter les armes

L'Église a une forte tradition d'encourager ses membres à ne pas porter les armes, tradition découlant de la guerre de Sécession. En 1864, le Comité exécutif de la conférence générale a adressé une déclaration au gouverneur du Michigan, l'informant que les adventistes ont « la Bible comme leur règle de foi et de pratique, dont les enseignements sont contraires à l'esprit et à la pratique de la guerre, ainsi, ils ont toujours été consciencieusement opposés à porter les armes. »[4]

En 1940, l'Église a publié une déclaration détaillée sur le rapport entre elle-même et le gouvernement civil.[5] Dans cette déclaration, l'Église a déclaré : « le premier et principal devoir du chrétien se trouve dans sa relation avec Dieu, qu'il doit également être soumis à des « autorités » - le gouvernement civil - et qu'il doit s'acquitter de ses obliga-tions envers le gouvernement civil, et non pas à cause de la peur, mais « par acquis de conscience. »[6] Alors que le chrétien sera fidèle au gouvernement, « les exigences de Dieu viennent en premier. Cela a été attesté à travers les siècles par les martyrs fidèles qui sont allés au bûcher plutôt que de compromettre leurs convictions de conscience. »[7] « Les non-combattants s’objectent consciencieusement à porter atteinte à la vie humaine. Ils ne condamnent cependant pas ceux qui prennent part à la guerre. »[8]

En substance, le non-combattant fera tout ce qu'il peut pour aider le gouvernement, même en temps de guerre, à l'exception du port d'armes. Ainsi, être un cuisinier pour l'armée, un infirmier sur le champs de bataille, donner des soins aux malades et aux blessés, enterrer les morts, transporter des hommes, de la nourriture et des vêtements - quoique indirectement une aide au gouvernement à la guerre - était néanmoins un non-combat. « Le non-combattant n'est pas un lâche, il s’objecte tout simplement et en toute conscience et courage à porter atteinte à la vie humaine, pour autant que sa participation est concernée. »[9]

Crise de la conscription

Le premier ministre King a remporté l'élection de mars 1940. Il était préoccupé par la conscription au Québec. King a soutenu que s’il devait y avoir conscription, les conscrits ne seraient pas obligés d'aller à l'étranger. Il avait espéré qu'il n'y aurait pas de besoin, mais le Blitzkrieg de l'Allemagne a martelé les alliés sur les côtes de Dunkerque, en France. Plus d'hommes ont été nécessaires. Ottawa, la « capitale de guerre la plus silencieuse de la chrétienté », est soudainement devenue « un chaudron d'excitation. »[10]

Le 21 juin 1940, le Parlement a passé la Loi sur la mobilisation des ressources nationales[11] (LMRN) donnant au gouvernement de vastes pouvoirs. Cette loi a mis en oeuvre le service militaire obligatoire, mais seulement les conscrits qui se sont portés volontaires allaient être déployés à l'étranger.[12]

Objection de conscience

Au cours du débat de la LMRN à la Chambre, King a fait référence aux objecteurs de conscience et a promis de respecter les droits des Mennonites et autres communautés religieuses à qui il avait été promis, lors de leur établissement au Canada, qu'ils n'auraient pas à porter les armes.[13] Un décret en conseil en 1873 a exempté les mennonites et un autre en 1898 a exempté les Doukhobors. Les règlements nationaux sur les services de guerre ont déclaré que la protection était un « report de leur formation militaire. »[14]

En décembre 1940, les règlements ont été modifiés, élargissant l'objection de conscience à ceux qui n'étaient pas membres de la communauté mennonite et des Doukhobors.[15] Les adventistes ont revendiqué leur accès à l'exemption en vertu de cette disposition devant les Conseils de mobilisation.

Les conseils de mobilisation

Le gouvernement fédéral a nommé des « Conseils de mobilisation » afin de déterminer la véracité des affirmations des conscrits selon lesquelles ils étaient objecteurs de conscience. Le gouvernement a affirmé que le Conseil « n'a pas ménagé ses efforts pour prendre les décisions les plus solides possibles », en reconnaissant que ces décisions étaient l'application d’un jugement et d’une opinion.[16] Le Conseil a eu de grands pouvoirs d'enquête, y compris l'accès au questionnaire auquel chaque candidat devait répondre, les services d'enquête de la GRC, le Service national de l'emploi. Il a également été autorisé à con-traindre un demandeur de répondre à toute question relative à sa demande.

Les Conseils ont agi en tant que gardiens - ils ont décidé du sort des jeunes hommes religieux qui se tenaient devant eux pour demander le statut d'objecteurs de conscience.[17] Un homme religieux refusant de prendre un fusil et pour lequel le Conseil avait refusé le statut d’OC, pouvait faire face à un séjour extrêmement pénible dans l'armée régulière. Ces derniers faisaient face au ridicule, à l'emprisonnement, et aux travaux forcés pour le maintien de leur refus de porter un fusil. Le refus du Conseil d'exempter ces hommes était dû, en grande partie, à la nature capricieuse de son président.

Les conseils étaient généralement présidés par un juge de cour supérieure locale. Comme ils avaient de l'expé-rience dans la détermination de la véracité des témoins, on leur accordait beaucoup de déférence. Les Conseils adoptaient le caractère de la présidence – que ce soit bon ou mauvais. Deux présidents de conseils individuels se démarquent comme incarnant l'abus flagrant vécu par les hommes adventistes dans cette étude. Ce sont les juges A.M. Manson du Conseil de Vancouver et J.F.L. Embury du Conseil de Regina.

Le juge A.M. Manson

L'hon. Juge A.M. Manson, président de la division K du Conseil mobilisation à Vancouver. Manson a été décrit comme un « vieux juge fougueux » qui n'a fait aucun effort particulier pour cacher son parti pris.[18] Le soldat Watts Linden, né et élevé dans la foi adventiste, a comparu devant Manson à l'été 1943. On lui a refusé le statut d'objecteur de conscience, bien qu'il ait déclaré qu'il était un Adventiste du Septième Jour. Manson a ordonné à Watts de suivre la formation militaire régulière.[19] Inévitablement, des problèmes s'ensuivirent puisque Watts refusa de prendre le fusil. En compagnie de deux autres adventistes et d’un mennonite, il a refusé de prendre le fusil.[20] On l’a emprisonné durant 14 jours pour avoir désobéi à un ordre d’un officier supérieur. À la fin de sa peine, on lui a à nouveau donné l'ordre de prendre le fusil. Il a refusé. Il a en outre aggravé la situation lorsqu’il a refusé d’effectuer tout travail le jour du sabbat pendant son incarcération. Il était évident pour les officiers dans le camp que Watts aurait dû être classé comme objecteur de conscience et envoyé dans un camp de travail - pas dans l'armée. Dans un tribunal martial, Watts a par la suite été reconnu coupable d'avoir désobéi à un ordre légitime et condamné à une détention de 28 jours. Le préjudice de Manson était indicatif du préjudice systémique dans toute l'armée envers l'adventisme (ainsi qu’envers d'autres minorités religieuses).

Le juge J.F.L. Embury

Le juge John Fletcher Leopold Embury était un autre président du Conseil dans la même veine que le juge Manson - opiniâtre et sûr de lui quant à sa propre vision des choses, et tout aussi gênant pour les bureaucrates d'Ottawa.[21] Un ancien combattant décoré de la Première Guerre mondiale et blessé au cours de la bataille de la Somme,[22] il s'est assuré que ceux qui ont comparu devant lui connaissaient son opinion négative des objecteurs de conscience.

Alexander Aab a été incapable d'aller au Conseil national de service de guerre à temps au cours de l'été 1941 parce qu'il avait reçu l'avis trop tard. Sa demande de rencontrer le conseil par la suite a été refusée.[23] Il a été envoyé à Regina et a dit à son sergent de peloton qu'il était un objecteur de conscience. Le sergent lui a lancé le fusil pour qu’il l’attrape, mais Aab se recula et laissa tomber le fusil sur le trottoir. « Et si jamais vous avez entendu quelqu'un qui jure, il pouvait certainement jurer, il m'a envoyé tout droit à la maison de garde. »[24] On lui a donné 28 jours de détention. Durant sa détention, Aab a de nouveau demandé un statut d'objecteur de conscience - une nouvelle audience du Conseil a eu lieu le 18 septembre 1941, devant le juge Embury. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il ferait si un Allemand attaquait sa soeur, Aab dit : « Dieu me donne la grâce de m'aider. » Le juge ajouta, « Que feriez-vous pour protéger votre soeur ? » « Eh bien, monsieur, » répondit Aab, « je ne sais pas ce que je ferais. Je ne pourrais pas la protéger si je devais tuer. » A ce moment-là le juge Embury a proclamé :« Je ne crois pas que vous êtes un chrétien si vous ne pouvez pas protéger votre soeur, et je n’admettrai pas que vous êtes un objecteur de conscience. »[25]

Après sa détention de 28 jours, il fut emmené au bureau des équipements pour qu’on lui remette sa carabine. Pour une deuxième fois, il a refusé un ordre direct. Le sergent lui demanda s'il connaissait la gravité de son refus. Il a répondu par l’affirmative. Il est demeuré ferme. Lors de la cour martiale, le sergent a noté que Aab « était calme et courtois, mais a refusé de prendre le fusil en raison de sa religion. »[26] Il a été arrêté et placé en détention jusqu'à la date de la cour martiale, plus de six semaines plus tard. La défense a fait valoir que le tribunal doit « prendre en considération non seulement la loi de l’armée, mais aussi les lois qui amènent les soldats dans l'armée, » en particulier l'article 18 de la Loi sur les Services nationaux de guerre, puisque Aab était un membre de l’Église Adventiste du Septième Jour. Malgré l'évidence, Aab a été reconnu coupable et condamné à 15 jours de détention. L'Église est entrée plusieurs fois en contact à la fois avec l'armée et la fonction publique afin de les sensibiliser aux nuances particulières de la croyance adventiste dans l'espoir que, une fois les croyances expliquées, les exemptions seraient accordées - toutefois l'Église a été constamment repoussée.[27]

Conclusion

L'expérience adventiste est unique parmi les autres églises chrétiennes de paix de la Seconde Guerre mondiale, dans ce sens que ce n'étaient pas seulement que les jeunes hommes refusaient de porter les armes, mais qu’ils avaient aussi un problème supplémentaire de conscience - à savoir, ne pas effectuer un travail non-nécessaire le jour du sabbat. Ces jeunes hommes ont été arrachés de leurs fermes et de leurs familles au cours d'une période de crise nationale. Ils détestaient le terme « lâches » et ont voulu prouver leur patriotisme en servant leur pays - même si cela signifiait aller sur les lignes de front comme médecins.

Certes, il n'y a pas d'excuses pour des juges comme Manson ou Embury dans la société d'aujourd'hui. Pourtant, il y a des cas au Canada qui nous forcent à s'interroger sur la mesure dans laquelle nos tribunaux comprennent bien la situation difficile de la conscience religieuse des minorités vis-à-vis de l'État.[28]

La question est maintenant, « Existe-t-il dans la jurisprudence canadienne un « domaine de conscience qui possède une puissance morale supérieure à l'État » et que pouvons-nous apprendre des expériences réelles de notre passé, comme ces adventistes, pour nous aider dans notre quête d’un Canada qui présente les idéaux d'une démocratie libérale ? »



Notes

[1] Lettre de l’Hon. Juge A.M. Manson au Lt. Col. F. J. Simpson, V.D., 15 novembre 1943.

[2] Malcolm Bull & Keith Lockhart, Seeking a Sanctuary (Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 2007) : 1.

[3] W.B. Ochs, “President’s Report, Second Quadrennial Session,” The Can Un Mess, March 25, 1942 : 1, le nombre exact était de 9,275.

[4] Cité par Francis McLellan Wilcox, Seventh-day Adventists in Time of War (Takoma Park, Wash., D.C. : Review and Herald, 1936) : 58.

[5] Conférence générale des Adventistes du Septième Jour, “Seventh-day Adventists and Civil Government,” 25 septembre 1940.

[6] Ibid. : 3.

[7] Ibid. : 4.

[8] Ibid. : 12.

[9] Ibid. : 12.

[10] Kaplan, p. 46 citant C.P. Stacey, Canada and the Age of Conflict II : 1921-1948 (Toronto : University of Toronto Press, 1981) : 298-9.

[11] La loi sur la mobilisation des ressources nationales, 1940, George VI, Chap. 13, Lois du Parlement du Canada, 1939-1940 (Ottawa, 1940) : 43.

[12] LMRN : 43

[13] Débats (C.C.), 1940, Vol. 1 : 904, cité dans J.A. Toews, Alternative Service in Canada During World War II (Winnipeg : Canadian Conference of the Mennonite Brethren Church, 1959) : 43.

[14] Règlements nationaux sur les services de guerre, 1940, (Recrues) consolidés en 1941 et approuvés par décret en conseil P.C. 1822 (18 mars 1941) noté par Toews : 44.

[15] Section 18(1) des Règlements nationaux sur les services de guerre, 1940 (Recrues) amendé par décret en conseil le 24 décembre 1940, PC 7215.

[16] Toews : 45.

[17] Lettre, Westman au registraire de la division, 14 juillet 1943, cité par Toews : 46.

[18] Voir le récit biographique de Thomas R. Berger qui s’est présenté en tant qu’avocat devant le Juge Manson dans One Man’s Justice (Vancouver : Douglas & McIntyre, 2002) : 39, 61.

[19] Entrevue, Linden Watts, Bobine 20, 20 :21 :20, 30 mai 2008.

[20] Entrevue, Linden Watts.

[21] Michael D. Stevenson, Canada’s Greatest Wartime Muddle, (Kingston and Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2002) : 26.

[22] Notice nécrologique pour J.F.L. Embury, 1948. Mennonite Heritage Centre vol.1159 dossier 1. http://www.alternativeservice.ca/uncertainty/judge/judgeembury.htm.

[23] Lettre J.P. McIsaac, registraire de la division, Court House, Edmonton à F.C. Wilson, registraire de la division, Services de guerre nationaux, Regina, 2 septembre 1941. Bibliothèque et Archives Canada Bobine T-15545, Dossier 55-A-99 Aab, Alexander.

[24] Entrevue, Alexander Aab, Bobine 19, 19 :07 : 22, 29 mai 2008.

[25] Conseil des services nationaux de guerre, décision – L-601862 – Aab, Alexander. Bibliothèque et Archives Canada Bobine T-15545, Dossier 55-A-99 Aab, Alexander.

[26] Actes d’un tribunal de cour martiale tenu à Regina, Saskatchewan, 7 novembre 1941. Bibliothèque et Archives Canada Bobine T-15545, Dossier 55-A-99 Aab, Alexander.

[27] Le 11 novembre 1941, A.E. Millner et C.G. Maracle ont rencontré le sous-ministre intérimaire de la Défense nationale pour demander une révision , sans succès. Bibliothèque et Archives Canada Bobine T-15545, Dossier 55-A-99 Aab, Alexander.

[28] Albert c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 SCC 37, 24 juillet 2009.