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Lettre à la Commission de services policiers de Toronto et au Service de police de Toronto à propos de la consultation sur les caméras corporelles

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Octobre 28, 2020

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SOUS TOUTES RÉSERVES

Dubi Kanengisser
Conseiller principal
Commission de services policiers de Toronto
40, rue College, 7e étage
Toronto (Ontario) M5G 2J3

 

Michael Barsky
Superintendant no 4420
Commandant d’unité – 52e division
Service de police de Toronto

Messieurs,

Objet : Consultation relative aux caméras corporelles

Nous vous remercions de votre invitation à participer à la consultation de la Commission de services policiers de Toronto (CSPT) sur sa politique relative aux caméras corporelles (politique) et à commenter la procédure (procédure) du Service de police de Toronto (SPT) sur la même question. La CODP fait part de ses conseils à la CSPT et au SPT au même moment, afin d’assurer l’alignement de la politique et de la procédure.

La CODP collabore avec le SPT et la CSPT à l’élaboration de leur programme relatif aux caméras corporelles depuis plusieurs années, et est heureuse de continuer de participer à ce dossier. Nous apprécions la conversation que nous avons eue avec le personnel de la CSPT le 6 octobre, durant laquelle nous avons fait part des préoccupations de la CODP à l’égard de la mise en œuvre des caméras corporelles par la CSPT et le SPT. Cette lettre a pour but de compléter cette conversation.

La CODP est conscience des inquiétudes qu’ont exprimées les communautés noires et autrement racialisées à l’égard de l’efficacité des caméras corporelles et du financement qu’elles requièrent. Selon les commentaires soumis par les communautés noires à la CODP, ces caméras ne préviendront pas les décès de personnes noires aux mains de la police, et des mesures plus significatives s’imposent. La CODP reconnaît également les recherches menées antérieurement, selon lesquelles les caméras corporelles peuvent constituer un outil de responsabilisation des agents en matière de recours à la force, et note que ces recherches ont été remises en question par des études plus récentes[1]. Pour cette raison, le SPT et la CSPT doivent prendre en compte l’évolution des recherches sur l’efficacité des caméras corporelles, ainsi que les préoccupations de la collectivité à l’égard de ces caméras.

Pour que les caméras corporelles favorisent la responsabilisation des agents en cas d’inconduite, des procédures robustes doivent être adoptées relativement à leur utilisation. Entre autres, ces procédures doivent explicitement prévoir le visionnement proactif des enregistrements par les superviseurs du personnel les portant, afin de vérifier que ces agents créent un environnement de services libre de discrimination raciale. Nous reconnaissons que la CSPT s’est engagée à mettre à jour sa politique à la suite de notre consultation du 6 octobre, en y ajoutant ce qui suit :

« Établir un cadre de visionnement des enregistrements par les superviseurs à intervalles réguliers pour assurer le respect des procédures et déterminer s’il est nécessaire d’offrir une formation ou de prendre des mesures additionnelles. »

Bien que nous soyons heureux de constater que les superviseurs seront dorénavant tenus de passer régulièrement en revue les enregistrements, cette mesure ne va pas assez loin. Le visionnement des enregistrements doit avoir explicitement pour objectif de repérer, de combattre et d’éliminer le profilage racial et la discrimination raciale. De plus, la fréquence à laquelle les enregistrements sont visionnés devrait être précisée, et les enregistrements de tous les agents de première ligne devraient être visionnés tous les deux ans, au moins.

Il est également nécessaire d’adopter des politiques et procédures de surveillance robustes pour veiller à ce que les caméras ne servent pas à soumettre de façon disproportionnée certains quartiers, ou certains groupes racialisés, à une attention et à une surveillance accrues. 

 

Lacunes importantes sur le plan de la responsabilisation et du suivi

Selon les services de police, les caméras corporelles devraient servir d’outil de suivi des activités policières fondées sur du profilage racial ou de la discrimination raciale, et de responsabilisation des agents. Or, cela exige que les superviseurs visionnent à intervalles réguliers les enregistrements des caméras, et donnent suite à toute conduite potentiellement discriminatoire observée, au moyen de mesures correctives et disciplinaires visant les agents en cause. Sous leur forme actuelle, la politique et la procédure n’exigent pas le visionnement systématique des enregistrements des caméras corporelles afin de repérer et d’éliminer les cas de maintien de l’ordre biaisé sur le plan racial et d’usage de force excessive, et n’assurent donc pas que les caméras seront utilisées d’une façon qui favorise le suivi et la responsabilisation.

Au moins tous les trimestres, les superviseurs devraient mener des vérifications systématiques et aléatoires des enregistrements des caméras corporelles et caméras d’auto-patrouille des agents sous leur commandement, afin de déterminer si ces agents créent un environnement de services libre de discrimination raciale. Ces examens devraient assurer la vérification des enregistrements de tous les agents de première ligne au moins tous les deux ans. 

Immédiatement après tous les incidents d’usage de force, les superviseurs devraient passer attentivement en revue les données des rapports d’usage de force et rapports de blessures, les notes des agents en cause et agents témoins, les autres rapports pertinents et les enregistrements de caméras corporelles ou caméras d’auto-patrouille, afin de déterminer si des motifs crédibles et non discriminatoires justifiaient l’usage de force. Cela est assujetti à l’autorité de l’Unité des enquêtes spéciales (UES). Les examens devraient être documentés. S’ils n’établissent pas de motif crédible, non discriminatoire, justifiant la force exercée par un agent, les superviseurs devraient noter la conduite de l’agent et leurs propres préoccupations dans le dossier de l’agent, et renvoyer le cas au bureau des normes professionnelles à des fins d’enquête exhaustive.

La politique et la procédure devraient également énoncer les mesures correctives et disciplinaires auxquelles les agents individuels pourraient faire face si les enregistrements des caméras corporelles montraient qu’ils avaient fait preuve de conduite discriminatoire.

Le SPT et la CSPT devraient faire rapport de la quantité et de la qualité des vérifications effectuées chaque année par les superviseurs, en indiquant le nombre de cas de partis pris racistes relevés, le nombre de plaintes internes d’inconduite déposées des suites de l’examen d’enregistrements de caméra corporelle et la nature de toute mesure corrective ou disciplinaire prise à l’endroit d’agents en cause.

Le SPT et la CSPT devraient aussi consulter le grand public tous les ans à propos de l’usage des caméras corporelles, afin de déterminer si les caméras servent aux fins prévues.

La politique devrait explicitement indiquer que l’un des buts de l’usage de caméras corporelles est de servir d’outil de responsabilisation en cas de prestation de services discriminatoires sur le plan racial, compte tenu des preuves de racisme systémique, y compris de racisme anti-Noirs, recueillies dans le secteur du maintien de l’ordre. La politique devrait aussi affirmer que les caméras corporelles doivent être utilisées conformément au Code des droits de la personne de l’Ontario. Nous avons été heureux d’apprendre de la CSPT que la disposition suivante a été ajoutée à la section générale de la politique à la suite de notre consultation du 6 octobre : « en tout temps veiller à ce que les caméras corporelles soient utilisées et les enregistrements effectués conformément au Code des droits de la personne de l’Ontario ».

Sans ces éléments importants, les caméras corporelles représenteront un investissement coûteux et potentiellement inutile, effectué à un moment où les collectivités appellent au définancement de la police et à la réduction draconienne de ses budgets.

 

Utilisation des enregistrements de caméra corporelle à des fins de surveillance

Vu les conclusions tirées par la CODP sur la surveillance et l’inculpation excessives de personnes noires par le SPT, une situation dont fait abondamment état Un impact disparate[2], nous nous préoccupons grandement de l’utilisation d’enregistrements de caméras corporelles en combinaison avec la base de données de photos signalétiques du SPT. Nous craignons que cet emploi des enregistrements exacerbe les disparités raciales qui existent déjà au sein du système de justice pénale. Par conséquent, nous exhortons la CSPT et le SPT à interdire ce type d’utilisation des caméras corporelles. Si la CSPT et le SPT choisissent de permettre l’utilisation d’enregistrements de caméra corporelle en combinaison avec la base de données de photos signalétiques, nous appuyons la recommandation de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) de mener une consultation complète sur le sujet, ainsi que des évaluations des conséquences d’une telle utilisation sur la vie privée et les droits de la personne. 

 

Pratiques exemplaires générales relatives à l’utilisation des caméras corporelles

La CODP a identifié les pratiques exemplaires suivantes relatives aux politiques et procédures d’affectation de caméras corporelles aux agents de première ligne, conjointement avec les pratiques exemplaires cernées dans les principes de droits civils relatifs aux caméras corporelles et le Body-Worn camera Scorecard, des projets menés par le Leadership Conference on Civil & Human Rights et Upturn[3].

La CODP a demandé à la CSPT et au SPT de veiller à inclure ces pratiques exemplaires dans ses politiques et procédures, tout en reconnaissant que bon nombre de ces questions ont déjà été prises en compte. La CODP fait remarquer que la politique et la procédure ne respectent pas actuellement les dispositions (c), (i), (j) et (k), en caractères gras ci-après, et somme la CSPT et le SPT de rectifier immédiatement la situation. La CODP aimerait obtenir la divulgation obligatoire de tous les incidents d’usage de force invoquant le mandat de l’UES dans les cinq jours suivant l’incident, mais comprend les restrictions imposées à cet égard dans le cadre réglementaire régissant le travail de l’UES[4]

Les politiques et procédures régissant les caméras corporelles devraient inclure ce qui suit :

  1. Critères clairs de détermination des contextes dans lesquels les agents doivent allumer leur caméra, accompagnés de l’exigence de fournir des justifications concrètes, contemporaines et filmées du défaut d’enregistrer des événements visés par la politique. Par exemple, les agents devraient allumer dès qu’ils le peuvent leur caméra avant d’établir tout contact avec un membre du public, si ce contact est établi à des fins d’enquête ou de maintien de l’ordre, que le membre du public soit ou non dans le champ de vision de la caméra, à moins d’application d’une exception[5]. L’enregistrement des événements suivants devrait être obligatoire : 
    1. appels de service;
    2. tous les incidents susceptibles de mener à l’usage de force, ou menant à l’usage de force;
    3. interpellations à des fins enquête;
    4. contrôles routiers et contrôles de piétons;
    5. contrôles de la circulation;
    6. poursuites à pied et en voiture;
    7. situations de conduite d’urgence;
    8. interventions de véhicules de secours en cas d’événements en cours ou venant de survenir, quand la caméra pourrait saisir des suspects ou véhicules quittant la scène du crime;
    9. situations à haut risque, y compris l’exécution de mandats de perquisition;
    10. situations pouvant accroître la probabilité de poursuites fondées sur la preuve; 
    11. situations que l’agent, en raison de sa formation et de son expérience, juge servir un intérêt policier réel, par exemple l’enregistrement de l’arrestation d’une personne non coopérative;
    12. tout contact avec des membres du public qui devient antagoniste;
    13. toute autre situation d’application de la loi.
    14. Durant l’enregistrement d’un incident, les agents ne devraient pas éteindre leur caméra avant la fin complète de l’incident. En cas d’arrestation, l’incident prend fin lorsque le suspect est transporté au poste de district.

 

  1. Critères clairs de détermination des contextes dans lesquels les caméras devraient être éteintes, mais l’enregistrement audio devrait se poursuivre, comme en cas de fouilles corporelles de niveau 3 et 4, ou d’examens des cavités corporelles, et dans les établissements de soins de santé, à moins d’application d’une exception.
     
  2. Critères clairs de détermination des contextes dans lesquels les agents doivent éteindre leur caméra, comme des manifestations, à moins qu’ils interviennent directement auprès de manifestants[6].
     
  3. Critères clairs de détermination du moment de cesser de filmer.  
     
  4. Mesures d’atténuation des préoccupations relatives à la vie privée, comme veiller à ce que certaines catégories de personnes vulnérables (p. ex. victimes de violence sexuelle, personnes hospitalisées) ne soient pas filmées sans leur consentement éclairé. Des lignes directrices relatives à la vie privée devraient être élaborées en consultation avec le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.
     
  5. Obligation pour les agents de transmettre un rapport écrit initial ou une déclaration avant le visionnement d’enregistrements relatifs à tout incident survenu.
     
  6. Obligation pour les services de police de supprimer tout enregistrement de façon sécuritaire dans les deux ou trois ans suivants, à l’exception des enregistrements jugés pertinents dans le cadre d’enquêtes ou de poursuites au criminel ou au civil, y compris celles qui traitent de l’imposition de mesures disciplinaires à des agents.   
     
  7. Interdiction formelle de visionner des enregistrements sans autorisation ou de modifier des enregistrements, et consignation aux dossiers de toute instance de visionnement d’enregistrements.
     
  8. Permission formelle donnée à toutes les personnes déposant une plainte pour inconduite policière de visionner tous les enregistrements pertinents de façon rapide et commode.
     
  9. Interdiction d’utiliser des technologies biométriques (p. ex. reconnaissance faciale, y compris les bases de données de photos signalétiques) pour identifier des personnes filmées.
     
  10. Critères relatifs à l’accessibilité des enregistrements de caméra corporelle, y compris :

(a) moment auquel les personnes filmées et le grand public auront accès aux enregistrements;

(b) divulgation obligatoire des enregistrements le plus tôt possible dans le cas d’incidents de recours à la force invoquant le mandat de l’UES (conduite d’un agent ayant entraîné un décès ou des blessures graves) ou d’incidents ayant un intérêt public incontestable, si la personne enregistrée ou un proche parent y consent.  Ce consentement doit être obtenu le plus rapidement possible. Cette exigence relative à la divulgation d’enregistrements s’appliquera aux enregistrements de tous les agents présents durant l’incident.
 

  1. Formation en vue de faire en sorte que tous les agents de première ligne comprennent et suivent ces dispositions de la façon appropriée.  
     
  2. Installation des caméras corporelles sur l’uniforme des agents, à la vue de tous. 
     
  3. Surveillance, par le SPT, du degré d’utilisation des caméras corporelles dans chaque division, et collecte de statistiques désagrégées relatives à la race sur chaque interaction filmée au moyen d’une caméra corporelle. Cette information devrait être recueillie, analysée et rendue publique dans le cadre de la stratégie de collecte de données relatives à la race du SPT.
     

Les questions relatives à la vie privée devraient être examinées en consultation avec le commissaire à l’information et à la vie privée. Les questions de liberté d’expression et les effets d’intimidation potentielle en lien avec l’enregistrement de manifestations devraient être examinés en consultation avec L’ACLC.

La CODP encourage fortement la CSPT et le SPT à veiller à ce que les politiques et procédures régissant l’utilisation de caméras corporelles soient élaborées et appliquées d’une manière conforme au Code des droits de la personne de l’Ontario et de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L’intégration des recommandations incluses à cette lettre et des commentaires formulés par la CODP durant notre consultation du 6 octobre 2020 est un aspect vital de ce processus.

 

Salutations distinguées. La commissaire en chef,

Ena Chadha, LL.B., LL.M.
Commissaire en chef