4. Surmonter les obstacles

La décision de récolter des données fondées sur des motifs reconnus par le Code, comme la race, le handicap ou l'orientation sexuelle, se heurte à certains obstacles potentiels. Voici des exemples des questions et préoccupations auxquelles les organisations pourraient être appelées à répondre dans le contexte de l'emploi ou de la prestation des services :

« Les données causeront-elles une ’discrimination renversée‘ et réduiront-elles le nombre de personnes qualifiées qui sont engagées et promues? »

Au sein des organisations qui emploient habituellement du personnel des groupes dominants, il est courant de se heurter à une résistance face à des initiatives d'amélioration de l'équité et à des critiques de « discrimination renversée » – il est souvent ressenti que les programmes et politiques en matière d'équité causent de la discrimination contre les blancs[16]. Les programmes d'amélioration de l'équité sont considérés, en vertu du paragraphe 15 (2) de la Charte, comme un moyen efficace d'instaurer une égalité substantielle pour les personnes et groupes désavantagés. En outre, des mesures intelligentes et judicieusement mises en œuvre d'amélioration de l'équité ont le potentiel d'améliorer l'efficacité et la productivité des organismes et de la société dans son ensemble, en diversifiant les groupes de travailleurs et d'aptitudes, entre autres avantages.

Afin de proactivement réduire et éliminer les perceptions de « discrimination renversée », les organismes devraient clairement communiquer l'objet, les objectifs et la méthodologie de la collecte de données, expliquer en quoi le processus de recrutement, d'embauchage et de promotion sera transparent, juste et fondé sur le mérite, et préciser comment la collecte de données sera bénéfique pour le personnel et l'organisme dans son ensemble. Il est recommandé d'inviter les principaux intervenants internes et externes à poser des questions et communiquer leurs commentaires en vue de rallier un soutien étendu et une vaste participation au projet de collecte de données. Une formation pourrait aussi être mise au point à l'attention du personnel, en particulier les travailleurs qui sont chargés du recrutement, de l'embauchage et des promotions, afin de les aider à comprendre l'importance des programmes d'amélioration de l'équité pour favoriser une culture inclusive et respectueuse, conforme aux lois en matière des droits de la personne[17].

« La collecte de données délicates risque de susciter des sentiments d'angoisse et de méfiance, et de soulever des craintes d'atteinte à la protection de la vie privée et à la confidentialité. »

Les organisations peuvent surmonter ces sentiments d'angoisse, de méfiance et de crainte, en prenant les mesures suivantes :

  • communiquer clairement le motif, la méthode et les avantages de la collecte de données;
  • expliquer qui a accès à l'information et pourquoi;
  • décrire comment les données recueillies seront traitées et stockées en toute confidentialité, en conformité avec les lois en matière de protection de la vie privée et des droits de la personne, et d'autres lois applicables;
  • faire un sondage auprès de tous les employés ou utilisateurs des services, et non pas seulement du personnel ou utilisateurs des services représentant ou perçu comme représentant les groupes ciblés;
  • consulter les communautés touchées et les autres particuliers ou organismes concernés.

Lorsque les craintes de discrimination sont profondément ancrées ou que des initiatives antérieures de collecte de données ont renforcé la discrimination ou les stigmas, il pourrait être nécessaire de faire intervenir la communauté. Consulter des représentants de la communauté ou d'autres particuliers ou organismes appropriés permet de nouer un dialogue et de faire comprendre les objectifs des initiatives de collecte des données, et d'obtenir l'appui souhaité à ces initiatives.

Par ailleurs, à titre de bonne pratique, il est recommandé aux organismes de consulter tous les employés ou utilisateurs des services plutôt que de se limiter au personnel ou utilisateurs des services représentant ou perçu comme représentant les groupes ciblés, afin de répondre proactivement aux sentiments éventuels de stigma ou d'isolement. Selon les ressources de l'organisme et d'autres facteurs, il est aussi possible de recourir aux services d'un consultant externe pour collecter, stocker et analyser des données et faire état des résultats obtenus.

« La collecte de données est un processus très technique, complexe et coûteux. » 

C'est vrai, la collecte de données peut être un processus technique, complexe et coûteux, mais ce n'est pas nécessairement le cas, selon la taille de l'organisme, ses ressources et ses besoins, ainsi que les raisons du projet de collecte de données. Par exemple, pour les organismes qui comptent moins de 40 employés, qui disposent de moins de ressources et qui rencontrent peu de problèmes complexes (comme le besoin de prendre des mesures d'adaptation pour répondre aux besoins d'employés qui prennent soin d'une personne à charge âgée ou handicapée), la collecte et l'analyse de données pourront être effectuées par une seule personne qui sera chargée de récolter l'information et de l'interpréter. Pour les organismes plus grands, qui sont confrontés à des problèmes complexes (comme la création de services et installations ciblés pour les jeunes sans abri appartenant au groupe des GLBT[18] ), il faudra mettre sur pied une équipe de travailleurs qualifiés ou recourir à un chercheur externe.

En dépit des difficultés potentielles, la collecte de données à des fins conformes au Code peut constituer un outil très utile et souvent indispensable pour atteindre des objectifs stratégiques visant à améliorer la protection des droits de la personne, l'équité et la diversité au sein d'un organisme.

Le cas du Keewatin-Patricia District School Board 

Le Keewatin-Patricia District School Board (KPDSB) couvre une superficie de 70 950 km2 de terres dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Il dessert plus de 5 400 élèves, dont 38 % s'identifient comme des Autochtones. Répondre aux besoins de ce groupe croissant d'élèves comptait parmi les facteurs clés qui ont motivé le KPDSB à élaborer une politique pour une auto-identification volontaire et confidentielle des élèves issus des Premières nations, des Métis et des Inuit (Voluntary and Confidential Self-identification for First Nations, Métis and Inuit Students Policy) (la politique), en partenariat avec le Kenora Catholic District School Board. L'un des principaux obstacles auxquels ils ont été confrontés a été de gagner la confiance et l'appui des familles autochtones et de leurs communautés, qui avaient eu de mauvaises expériences par le passé avec la collecte de données. Conjuguant de vastes consultations communautaires à des stratégies de communication ciblées, les résultats encourageants des données recueillies à ce jour ont aidé le KPDSB à atteindre les résultats suivants :

  • confirmer qu'un écart de rendement existe entre les élèves autochtones et les élèves non autochtones;
  • concevoir et mettre en œuvre des programmes et soutiens ciblés pour les élèves autochtones, leurs familles et leurs communautés;
  • démontrer que les élèves autochtones sont parfaitement capables d'atteindre le même niveau de rendement que les élèves non autochtones;
  • encourager l'établissement de relations de travail efficaces et respectueuses avec les principaux intervenants autochtones et la collectivité.

[16] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale (2005), en ligne : www.ohrc.on.ca
[17] METRAC, « Final report of the METRAC Consultants: Section 1 draft for feedback purposes only » (2009) [non publié], p. 46.
[18] Le terme « orientation sexuelle » n’est pas défini dans le Code. La Commission reconnaît toutefois que l’orientation sexuelle est bien une caractéristique individuelle immuable ancrée au coeur même de l’identité d’une personne. L’orientation sexuelle est un concept qui recouvre tous les aspects de la sexualité humaine et qui s’applique aux orientations gaie, lesbienne, bisexuelle et hétérosexuelle. L'orientation sexuelle est différente de l'identité sexuelle, qui est protégée par le motif du « sexe ». La CODP reconnaît que la terminologie est une réalité fluctuante, et ce qui est considéré comme approprié aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain. De plus, les personnes appartenant à un même groupe peuvent préférer des termes différents pour se décrire. Il est toutefois utile de trouver les termes qui sont considérés les plus appropriés afin d’éviter d’aggraver le sentiment de préjugé, de harcèlement ou de discrimination que peut ressentir une personne. Il est généralement préférable d’utiliser les termes que les personnes intéressées utilisent pour s’identifier elles-mêmes, comme « bisexuel/bisexuelle », « gai », « lesbienne » et « à deux esprits ». Selon l’usage contemporain, le terme « gai » s’applique habituellement aux hommes, bien qu’il soit parfois utilisé comme terme général au lieu de « homosexuel/homosexuelle ». Certaines femmes peuvent s’identifier comme « gaies » de manière générale, tout en préférant le terme « lesbiennes », qui s’applique spécifiquement aux femmes. Les lesbiennes, gais et personnes bisexuelles autochtones peuvent se décrire comme « personnes à deux esprits » ou « personnes bispirituelles Certaines personnes utilisent d’autres termes pour décrire leur orientation sexuelle, cependant les termes « gai », « lesbienne » et « bisexuel/bisexuelle » sont habituellement acceptés comme des termes neutres et généraux. Le terme « homosexuel/homosexuelle », qui a été popularisé par l’usage médical, a souvent été utilisé pour dénigrer et étiqueter les gais et les lesbiennes, ainsi que l’éventail des comportements et pratiques qui leur sont attribués. Il est parfois utilisé comme terme général, notamment dans les documents juridiques et médicaux, et certaines personnes s’identifient comme « homosexuelles ». Cependant, nombre de lesbiennes et de gais considèrent ce terme comme « médicalisé » et offensant, et les personnes bisexuelles peuvent se sentir exclues. Il vaut donc mieux éviter le terme « homosexuel/homosexuelle », surtout pour parler d’une personne, et utiliser à la place les termes par lesquels les personnes s’identifient elles-mêmes, comme « bisexuel/bisexuelle », « lesbienne » et « gai ». Voir le document publié par la Commission ontarienne des droits de la personne, Politique concernant la discrimination et le harcèlement fondés sur l’orientation sexuelle (2006), en ligne : www.ohrc.on.ca. La CODP définit le mot « transgenre » comme une personne qui se sent exister dans les deux sexes. Il peut s’agir de personnes qui se considèrent comme des transsexuels et de personnes qui se décrivent comme n’appartenant pas exclusivement au sexe masculin ou féminin, mais plutôt à un spectre sexuel, ou vivant en dehors des catégories définies « homme » ou « femme ». Voir le document publié par la Commission ontarienne des droits de la personne, Identité sexuelle : vos droits et vos responsabilités (2009), en ligne : www.ohrc.on.ca.