L’état familial et le Code des droits de la personne de l'Ontario

Le législateur a ajouté une protection contre la discrimination fondée sur l’état familial dans le Code en 1982, par suite des recommandations formulées en 1977 dans un rapport sur l’objet du Code, intitulé « Vie Ensemble »[40]. Initialement, le Code comportait une exception permettant au locateur de louer des immeubles d’habitation ou des parties d’immeubles d’habitation uniquement à des adultes. Cette disposition du Code a été abrogée en décembre 1986, après un examen approfondi de cette question par un comité législatif.

À l’heure actuelle, le Code interdit la discrimination fondée sur l’état familial en matière d’emploi, de logement, de contrat, de services, de biens et d’installations et à l’égard des associations professionnelles.

Définition d’état familial

Le terme « famille » peut être défini de bien des manières. Toutefois, le Code offre une protection uniquement à un nombre restreint de relations qu’on pourrait qualifier de « familiales ». Il offre également à certains types de relations une protection contre la discrimination fondée sur l’état matrimonial, cette protection s’étant, au cours des dernières années, étendue aux couples en union libre et aux couples homosexuels[41], reflétant ainsi l’évolution de la réflexion sur la nature de la famille. Le Code offre également à certains types de relations une protection contre la discrimination fondée sur l’état familial. La définition d’« état familial » figurant au Code est cependant rigoureuse, puisqu’elle vise uniquement le « fait de se trouver dans une relation parent-enfant. » Cette définition a une portée plus restreinte que celle retenue dans certaines autres provinces. Les lois de l’Alberta, par exemple, définissent l’état familial comme étant [TRADUCTION] « le fait d’être lié à une autre personne par le sang, le mariage ou l’adoption ».

Il y a donc plusieurs types de relations généralement qualifiées de « familiales » auxquelles le Code n’offre pas de protection. Le Code n’offre par exemple pas de protection au particulier qui fournit des soins de longue durée à une sœur ou à un frère handicapé ou qui fournit des soins à une tante ou à un grand-parent âgé. Les relations de dépendance qui ne sont pas fondées sur des liens de sang ne jouissent pas davantage d’une protection. Certains ont fait valoir que les lois devraient être modifiées de manière à offrir une protection à diverses formes de relations de dépendance[42]. On pourrait également soutenir que, en visant essentiellement la famille nucléaire, le Code adopte une approche ethnocentrique, compte tenu de l’importance de la famille élargie dans certaines cultures[43]. On pourrait donc se demander si le législateur ne devrait pas élargir la définition d’« état familial » qui figure dans le Code de manière à viser d’autres formes de relations de dépendance.

Un courant jurisprudentiel privilégie une interprétation généreuse de ce motif, compte tenu de ses limites. Une commission d’enquête de l’Ontario a déclaré ce qui suit en ce qui a trait à la portée de la protection contre la discrimination fondée sur l’état familial :

[TRADUCTION]

À notre avis, la définition vise un « état » qui découle du fait de se trouver dans un type de « relation » parent-enfant, c’est-à-dire que la personne qui agit à titre de parent d’un enfant est, selon nous, visée par cette définition. Il peut par exemple s’agir d’un tuteur légal ou même d’un adulte agissait de fait à titre de parent. Il peut également arriver qu’une personne tombe malade ou décède et qu’un parent ou ami prenne en charge l’enfant du défunt ou du malade. Ainsi, si un enfant devait vivre avec une tante pendant une période indéfinie, leur relation serait selon nous visée par la définition d’« état familial ». [...][44]

On a jugé que la protection contre la discrimination fondée sur l’état familial s’appliquait aux familles adoptives, aux familles d’accueil et aux parents lesbiens ou gais[45].

Des plaignants ont invoqué l’état familial pour soutenir que la différence de traitement entre divers types de familles était discriminatoire. Par exemple, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que les règles concernant la citoyenneté qui établissaient une distinction entre les enfants biologiques et les enfants adoptifs établissaient une distinction discriminatoire fondée sur l’état familial[46]. Le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a conclu que le refus du bureau de l’état civil de la province d’enregistrer le partenaire de même sexe de la mère naturelle à titre de parent d’un enfant établissait une discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’état familial[47].

Dans l’arrêt Gonzalez c. Canada (Commission des droits de la personne)[48], la Cour fédérale a conclu qu’une distinction fondée sur l’âge de l’enfant constituait une distinction illicite sur la base de l’état familial. La plaignante avait contesté la validité de la condition, prévue dans la Loi sur l’assurance-chômage, selon laquelle des prestations prolongées étaient accordées aux parents adoptifs uniquement lorsque l’enfant était âgé d’au moins six mois lorsqu’il arrivait au domicile des parents adoptifs ou lorsqu’il était réellement placé en vue de son adoption. La Cour fédérale a jugé que l’âge auquel un enfant est intégré à la maison est une caractéristique de la famille qui le reçoit, puisqu’il a comme effet d’attribuer ou de soutirer à ces familles le droit aux prestations prolongées selon l’âge auquel l’enfant intègre la maison.

Les tribunaux ne se sont pas penchés sur la question de savoir si « l’état familial », mentionné dans le Code comme motif de discrimination, peut s’étendre aux particuliers qui soutiennent qu’ils font l’objet de discrimination parce qu’ils ne se trouvent pas dans une relation parent-enfant. Le libellé de la définition d’« état familial » (soit le fait de se trouver dans une relation parent-enfant) semblerait militer contre un tel argument, particulièrement lorsqu’on compare cette définition à celle nettement plus large de l’état matrimonial en tant que motif de distinction illicite[49]. En outre, l’historique législatif de cette protection, qui permet d’en constater l’évolution de manière à viser les personnes qui sont désavantagées parce qu’elles doivent s’acquitter d’obligations parentales de plus en plus contraignantes, semblerait également militer contre cet argument. Il semble clair que, à tout le moins, les dispositions du Code qui traitent de l’état familial ne pourraient pas servir à procurer un avantage aux personnes qui ne se trouvent pas dans une relation parent-enfant par rapport à celles dont c’est le cas. Il semble par exemple que les tribunaux iraient à l’encontre de l’intention du législateur s’ils s’appuyaient sur ces dispositions pour déclarer non valables des programmes visant à aider les personnes se trouvant dans une relation parent-enfant, au motif que ces programmes opèrent une discrimination contre les personnes qui ne se trouvent pas dans une relation parent-enfant. Par ailleurs, il pourrait ne pas convenir de nier une telle possibilité dans les cas où, par exemple, des idées préconçues ou des stéréotypes négatifs à l’endroit de personnes qui n’ont pas d’enfants pourraient avoir pour effet de priver des particuliers d’un droit ou d’un avantage important – par exemple, si un employeur doit licencier des employés et qu’il décide de mettre en disponibilité des employés qui n’ont pas d’enfants, au motif que ces derniers employés n’ont pas autant besoin d’un emploi que ceux qui ont des enfants. Il pourrait s’avérer tout à fait approprié de prendre de telles plaintes au sérieux à la lumière du critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[50] et de se demander si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques soit personnelles soit de groupe ou si elle perpétue ou favorise par ailleurs l’opinion selon laquelle l’individu concerné est moins capable ou moins digne d’être reconnu ou valorisé.

La question de savoir si les protections en matière de droits de la personne offertes contre la discrimination fondée sur l’état familial ou l’état matrimonial comprennent ou non les protections contre la discrimination fondée sur l’identité particulière d’un conjoint ou d’un membre de la famille, ou si elles visent uniquement la discrimination fondée sur le fait, par exemple, d’être un parent, a donné lieu a un long débat devant les tribunaux. La Cour suprême du Canada a récemment tranché la question dans l’arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne)[51]. Dans cette affaire, l’intimé (Monsieur A) avait été congédié à la suite d’une confrontation entre son patron (Monsieur B) et la conjointe et la fille de Monsieur A au cours de laquelle celles-ci avaient accusé Monsieur B d’avoir agressé sexuellement la fille de Monsieur A.

La Cour suprême du Canada a souscrit à l’interprétation retenue par la Cour d’appel, concluant que le Code interdisait un traitement défavorable découlant de l’identité du conjoint, de l’enfant ou du parent d’une personne. La Cour a également proposé une interprétation de la définition d’« état familial », dans le Code, qui est large et fondée sur l’apport d’une solution et sur l’objet visé. Les juges majoritaires ont en outre approuvé une approche analytique préconisant l’examen des plaintes de discrimination sous l’angle de l’« identité particulière » plutôt que sous l’angle de l’« identité collective »[52]. Les juges majoritaires ont fait la remarque suivante : « La question qu’il convient de se poser ne consiste pas à se demander si A appartient à un groupe identifiable, mais bien s’il a été arbitrairement défavorisé en raison de son état matrimonial ou familial. »[53] Par exemple, l’application de prémisses stéréotypées ou l’expression d’une animosité personnelle à l’endroit d’une personne, qui résulte du comportement, des actes ou de la réputation de son conjoint, de son enfant ou d’un parent, constitue une forme de discrimination interdite[54].

La Cour a jugé que l’identité du conjoint faisait bel et bien l’objet d’une protection contre la discrimination fondée sur l’état matrimonial. La Cour a déclaré ce qui suit :

Nous estimons que le texte du Code appuie la thèse selon laquelle les motifs énumérés concernés – l’état matrimonial et l’état familial – ont une portée suffisamment large pour englober le cas où la discrimination découle de l’identité du conjoint du plaignant ou d’un membre de la famille de ce dernier. Bien que la jurisprudence relative à la portée du terme « état matrimonial » dans le contexte des lois sur les droits de la personne soit, au mieux, partagée, elle privilégie généralement une interprétation axée sur le préjudice subi par l’individu, que ce dernier fasse clairement partie ou non d’une catégorie identifiable de personnes touchées de semblable manière.

La définition d’« état familial » figurant à l’article 10 du Code est-elle trop étroite? La Commission devrait-elle envisager de recommander une définition visant d’autres types de relations de dépendance? Le cas échéant, quels types de relations devraient être visés par cette nouvelle définition?

Le Code devrait-il offrir une protection aux personnes qui ne vivent pas dans une relation parent-enfant? Le cas échéant, dans quelles circonstances cette protection devrait-elle être offerte?

Exceptions

Le Code prévoit un certain nombre d’exceptions en ce qui a trait aux protections contre la discrimination fondée sur l’état familial; les plus importantes sont brièvement décrites ci-après.

Article 15 : Le Code permet d’accorder un traitement préférentiel fondé sur le fait que l’âge de soixante-cinq ans ou plus constitue une exigence, une qualité requise ou une considération. Cette règle, ainsi que la défense fondée sur la mise en œuvre d’un programme spécial prévue à l’article 14, peut par exemple permettre de fournir un logement adapté aux besoins des personnes âgées et, par conséquent, d’exclure les familles ayant de jeunes enfants.

Article 18 : Les organismes ou groupements sélectifs dont le principal objectif est de servir les intérêts des personnes identifiées par un motif illicite de discrimination sont autorisés à accepter en leur sein uniquement des personnes ainsi identifiées comme membres ou participants.

Article 24 : Bien que les politiques favorisant ou visant à prévenir le népotisme établissent clairement des distinctions fondées sur l’état matrimonial et l’état familial, le Code autorise expressément de telles politiques en matière d’emploi. L’article 24 permet à l’employeur d’accorder ou de refuser un emploi ou une promotion à une personne qui est son conjoint, son enfant ou son père ou sa mère ou à une personne qui est le conjoint, l’enfant ou le père ou la mère d’un employé. La Commission a jugé qu’un tel refus ou une telle préférence doit être fondé sur une politique et non être décidé ponctuellement[55]. Le Code n’exige pas que l’employeur démontre que sa politique de recrutement favorisant ou visant à prévenir le népotisme corresponde à une exigence professionnelle établie de bonne foi[56]. La politique peut se rapporter à l’embauchage ou à la promotion des employés. Par exemple, un employeur peut offrir des emplois d’été en accordant la préférence aux enfants de ses employés. [Il est toutefois important de faire remarquer que cette exception ne permet pas la mise à pied d’employés en place.] Elle ne semble pas non plus permettre d’imposer aux employés engagés aux termes de cette politique des conditions de travail différentes de celles des autres employés. Par exemple, les membres de la famille ne pourraient pas toucher un salaire plus élevé que les autres employés qui font le même travail[57].

Considérant cette question sous un nouveau jour, le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a récemment jugé que le refus du ministère de la Santé de la province de subventionner des membres d’une famille en qualité de fournisseurs de soins aux termes du programme appelé « Choices in Supports for Independent Living » établissait une discrimination fondée sur l’état familial et sur un handicap[58]. La plaignante avait voulu retenir les services de son père pour qu’il lui fournisse, 24 heures sur 24, les soins intimes dont elle avait besoin pour vivre de manière autonome. Le tribunal a déclaré que, compte tenu de la nature de l’emploi, le choix du fournisseur de soins était particulièrement important et que la confiance était un élément essentiel d’une telle relation employeur-employé. Il a en outre affirmé que l’interdiction générale d’engager des parents établit expressément une distinction fondée sur l’état familial, et qu’il s’agissait là précisément du genre de discrimination que le code des droits de la personne de la Colombie-Britannique cherchait à interdire, étant donné qu’on avait refusé que la plaignante engage son père uniquement en raison de son état familial et sans tenir compte des qualités personnelles et habiletés particulières de ce dernier[59].


[40] Commission ontarienne des droits de la personne, Life Together: A Report on Human Rights in Ontario (1977), p. 72.
[41] Pour obtenir un sommaire de certaines des modifications apportées à la définition de « partenaire de même sexe », voir la note en bas de page 2.
[42] Pour une discussion détaillée sur les questions de droit et d’orientation relatives à la protection des relations de dépendance, voir le document de discussion de la Commission du droit du Canada intitulé « La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes » (mai 2000), en ligne : Commission du droit du Canada, <www.cdc.gc.ca>.
[43] Voir par exemple, Marlene Brant Castellano, Tendances familiales autochtones : Les familles élargies, les familles nucléaires, les familles du cœur (Institut Vanier de la famille, 2002), en ligne : Institut Vanier de la famille, <www.vifamily.ca>; Derrick Thomas, « L’évolution de la situation des immigrants dans la famille au Canada », Tendances sociales canadiennes (Statistique Canada, été 2001); Janet Che-Alford et Brian Hamm, « Trois générations sous un même toit », Tendances sociales canadiennes (Statistique Canada, été 1999).
[44] Dudnik c. York Condominium Corp. No. 216, (1990), 12 C.H.R.R. D/325 (Comm. d’enq. Ont.).
[45] Moffatt c. Kinark Child and Family Services, (1998), 35 C.H.R.R. D/205 (Comm. d’enq. Ont.).
[46] McKenna c. Canada (Secretary of State), (1993), 22 C.H.R.R. D/486 (T.C.D.P.).
[47] Gill c. British Columbia (Ministry of Health) (No. 1), (2001), 40 C.H.R.R. D/321 (BCHRT).
[48] (1997), 32 C.H.R.R. D/89 (C.F. 1re inst.).
[49] La définition d’« état matrimonial » se lit comme suit au paragraphe 10(1) : « Fait d’être marié, célibataire, veuf, divorcé ou séparé. Est également compris le fait de vivre avec une personne dans une union conjugale hors du mariage ».
[50] [1999] 1 R.C.S. 497.
[51] [2002] 3 R.C.S. 403.
[52] Ibid., par. 52. Voir également les par. 56 à 58.
[53] Ibid., par. 58.
[54] Ibid., par. 60. Les juges majoritaires ont expressément rejeté l’argument des appelants portant que le seul motif de congédiement de Monsieur A était l’animosité personnelle de l’employeur à l’endroit de son employé. La Cour a conclu que, même si cela était vrai, l’animosité était attribuable à l’application à l’endroit de Monsieur A de prémisses stéréotypées découlant des actes de sa conjointe et de sa fille, qui n’avaient rien à voir avec la compétence ou la valeur de ce dernier.
[55] Commission ontarienne des droits de la personne et Human Resources Professionals Association of Ontario, Les droits de la personne au travail (Toronto : Human Resources Professionals Association of Ontario, 2004), p. 46.
[56] On trouvera à la fin du présent document un glossaire des termes et expressions juridiques se rapportant aux droits de la personne, notamment la définition d’« exigence justifiée ».
[57] Mark c. Porcupine General Hospital, (1984), 6 C.H.R.R. D/2538 (Comm. d’enq. Ont.).
[58] Hutchinson c. British Columbia (Ministry of Health) (No. 4), (2004), 49 C.H.R.R. D/348 (BCHRT).
[59] 1 L’alinéa 24(1)c) du Code de l’Ontario comporte une disposition visant précisément l’embauchage des fournisseurs de soins et autorisant les particuliers à refuser d’employer une personne pour des raisons fondées sur un motif illicite de discrimination si les principales fonctions reliées à l’emploi consistent à dispenser des soins médicaux ou personnels au particulier ou à un de ses enfants, à son conjoint ou à un autre parent. Le code des droits de la personne de la Colombie-Britannique (RSBC 1996, c. 210) contient une disposition semblable.