Les exceptions

En matière de droits de la personne, faire de la «discrimination» envers quelqu’un ne signifie pas seulement traiter cette personne différemment des autres, mais la traiter différemment à cause de certaines caractéristiques personnelles correspondant aux motifs de discrimination interdits par le Code. Le Code s’applique donc à tout traitement fondé sur ces caractéristiques qui se traduit pour un groupe de personnes et pas d’autres par l’imposition de certains fardeaux ou désavantages ou par la limitation ou l’exclusion de l’égalité des chances ou de quelque avantage que ce soit. Vu sous cet angle, la recherche de l’égalité des chances peut avoir pour effet d’autoriser certaines formes de traitement différentiel, si l’intention et le résultat de ce traitement sont de supprimer ces fardeaux ou désavantages[3]. Il peut donc s’avérer nécessaire ou souhaitable de prendre de façon temporaire des mesures visant à venir en aide aux personnes qui ont subi un préjudice ou un désavantage. Ce sont ces mesures que l’on appelle des «programmes spéciaux».

Les programmes spéciaux

Le Code autorise l’adoption d’un programme spécial qui crée une préférence ou un avantage pour des personnes identifiées par un motif illicite de discrimination, à condition que ce programme vise l’un des objectifs suivants :

  • alléger un préjudice ou un désavantage économique,
  • aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou essayer de jouir de chances égales,
  • favoriser l’élimination d’une atteinte à des droits reconnus dans le Code.

La CODP estime que l’article 14 ne peut s’appliquer qu’aux programmes liés à un motif illicite de discrimination énoncé dans le Code[4]. De ce fait, l’article 14 ne pourra par exemple pas s’appliquer aux programmes visant à venir en aide à un groupe de personnes dont la caractéristique commune est leur appartenance politique, même si ces personnes ont subi un préjudice, étant donné que l’appartenance politique n’est pas un motif illicite de discrimination énoncé dans le Code.

Les seules circonstances dans lesquelles une bourse d’études peut être restrictive sont celles où il peut être établi de façon claire que les personnes auxquelles elle est réservée subissent effectivement un préjudice ou un désavantage économique que la bourse cherche à alléger. Il arrive en effet que des bourses soient réservées à un groupe de personnes dont il est supposé, à tort, qu’elles sont défavorisées. C’est le cas par exemple des bourses pour «étudiantes et étudiants adultes» réservées aux personnes de plus de 25 ans, qui dans l’ensemble ne constituent pourtant pas un groupe démographique traditionnellement défavorisé sur le plan économique. Les membres d’un groupe particulier peuvent avoir différents besoins financiers qui n’ont manifestement rien à voir avec leur âge, leur état matrimonial ou d’autres motifs qui sont supposés s’appliquer.

Les personnes désireuses d’établir ou d’administrer une bourse d’études restrictive sont invitées à se référer aux Directives pour les programmes spéciaux publiées par la CODP. Essentiellement, une bourse d’études restrictive qui constitue un programme spécial doit énoncer très clairement :

  • les raisons qui permettent de penser que les personnes ou groupes auxquels elle est réservée subissent un préjudice, un désavantage économique ou une forme de discrimination quelconque;
  • de quelle manière la bourse permettra de contrer ce préjudice, ce désavantage économique ou cette discrimination, autrement dit, en quoi elle aidera les personnes auxquelles elle est réservée;
  • le fait que la remise de cette bourse ne se fera que pendant une durée déterminée, donc de façon temporaire.

Les bourses d’études reconnues comme étant un programme spécial valable, autrement dit qui respectent les critères établis dans le Code et dans les Directives pour les programmes spéciaux publiées par la CODP, ne sont pas contraires au Code. Chaque bourse sera évaluée au cas par cas.

Suite à la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire concernant Canada Trust, les établissements d’enseignement ont sans doute intérêt à tenir compte des retombées d’une bourse restrictive sur l’égalité des chances globale de leurs étudiantes et étudiants. Il est en particulier conseillé aux universités amenées à décerner un nombre élevé de bourses de s’efforcer de trouver un certain équilibre parmi celles-ci de sorte à offrir à l’ensemble des groupes défavorisés des possibilités raisonnables d’accès aux études.

Exemple : Supposons que plusieurs bourses soient offertes aux femmes inscrites à un programme d’études particulier, mais pas une seule aux personnes handicapées. L’université ferait bien dans ce cas de rechercher une bienfaitrice ou un bienfaiteur prêt à offrir une telle bourse ou d’en établir une à partir de ses propres fonds.

La citoyenneté canadienne ou la qualité de résident permanent (paragraphe 16 (2))

Le paragraphe 16(2) du Code prévoit une exception à son application en ce sens qu’il autorise l’adoption d’une exigence, d’une qualité requise ou d’une considération visant à favoriser et à développer la participation de citoyens canadiens ou de personnes légalement admises au Canada à titre de résidents permanents à des activités culturelles, éducatives, syndicales ou sportives. Cela signifie donc qu’une bourse d’études peut être réservée aux personnes qui ont la citoyenneté canadienne ou qui sont autorisées à résider au Canada de façon permanente, à condition toutefois qu’elle vise « à favoriser et à développer la participation» à des activités culturelles ou autres énoncées dans le Code. (Voir les dispositions pertinentes du Code à la fin de ce document.)

Les groupements sélectifs (article 18)

Voici quelques précisions concernant l’application de l’article 18 et en particulier la question de savoir s’il autorise les bourses d’études restrictives en réponse aux nombreuses demandes de renseignements que la Commission reçoit à cet égard, principalement des universités.

L’article 18 du Code autorise un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par un motif illicite de discrimination à n’accepter que des personnes ainsi identifiées comme membres ou participants. Les organismes ou groupements au sens de l’article 18 peuvent donc limiter l’admissibilité aux bourses d’études qu’ils offrent, mais uniquement à leurs membres ou participants. Il ne suffit pas qu’une personne obtienne une bourse d’un tel groupement sélectif pour qu’elle soit nécessairement considérée en être membre ou participer à ses activités.

Exemple : Une bourse offerte par un organisme de secours mutuel à des garçons ne sera compatible avec le Code que si l’organisme en question a pour principal objectif de servir les intérêts de garçons et si la bourse est offerte uniquement à des garçons qui sont déjà membres de cet organisme ou qui participent à ses activités.

Exemple : Une institution catholique peut très bien mettre sur pied une bourse réservée aux personnes catholiques qui veulent se préparer à la prêtrise. Pareillement, une école juive peut n’admettre que des personne juives et mettre sur pied des bourses réservées à des étudiantes et étudiants juifs.

Les bourses d’études comme avantage rattaché à l’emploi (alinéa 24 (1) d))

L’aide financière que certains employeurs accordent à leurs employés ou aux membres de leur famille sous forme de bourses d’études sont une aide qui procure un avantage ou des possibilités de promotion à un groupe restreint de personnes. Le Code autorise cette forme d’aide, bien qu’elle soit réservée à des personnes identifiées par leur état familial ou matrimonial. La CODP estime que les bourses d’études que les employeurs offrent à leurs employés et aux membres de leur famille sont acceptables en tant qu’avantage restrictif rattaché à l’emploi.


[3] Voir de façon plus générale Andrews c. Law society of British Columbia [1989] 1 R.C.S.143.
[4] Race, ascendance, couleur, lieu d’origine, origine ethnique, citoyenneté, nationalité, croyance, sexe, état familial, état matrimonial, âge, handicap, état d’assisté social (uniquement en matière de logement), existence d’un casier judiciaire (uniquement en matière d’emploi).