3. Conclusions importantes illustrant la présence de profilage racial

Du point de vue de la CODP, les conclusions des chercheurs de l’Université York sont très compatibles avec le phénomène du profilage racial. On constate une surreprésentation d’une variété de groupes et de sous-groupes racialisés (répartis selon le sexe et l’âge) lorsqu’on examine les contrôles routiers en général, la raison du contrôle, le dénouement de la situation et les divisions policières touchées. Au moment de présenter leurs conclusions sur la fréquence démesurément élevée du contrôle routier de divers sous-groupes raciaux dans les six divisions policières, les chercheurs ont affirmé que « ces anomalies sont fort nombreuses et sérieusement disproportionnées »[21].

Ces disproportions existent malgré le fait que certains agents aient indiqué n’avoir pas correctement entré les données relatives à la race de peur d’en subir des conséquences au travail[22].

3.1. Contrôles routiers

Fait inquiétant, les conducteurs noirs et d’origine moyen-orientale font l’objet d’un nombre démesurément élevé de contrôles routiers, quel que soit leur sexe ou leur âge. Les conducteurs d’origine moyen-orientale ont été interpellés 3,3 fois plus souvent qu’ils ne le devraient compte tenu de leur proportion de la population totale de conducteurs. Les conducteurs noirs ont été interpellés 2,3 fois plus souvent qu’ils ne le devraient compte tenu de leur proportion de la population totale de conducteurs.

Les chercheurs ont également conclu qu’il existait un lien clair entre la race, le sexe, l'âge et les contrôles routiers[23]. Outre les peuples autochtones, les jeunes hommes âgés de 16 à 24 ans de tous les groupes raciaux, y compris les hommes blancs, ont fait l’objet d’un nombre démesurément élevé de contrôles routiers. Cette disproportion était plus extrême chez certains groupes raciaux, comparativement à d’autres. Les jeunes conducteurs d’origine moyen-orientale et de sexe masculin (âgés de 16 à 24 ans) ont été interpellés de façon excessive, soit 12 fois plus souvent que ce dont on pourrait s'attendre compte tenu de leur population. Chez les hommes noirs, les contrôles routiers sont 8,3 plus nombreux que ce dont on pourrait s’attendre. Ces résultats vont dans le sens des conclusions d’autres études faisant état d’un chevauchement de la race et de l’âge à l’origine du nombre disproportionné de jeunes personnes racialisées soumises à des contrôles routiers[24]. On attribue ce chevauchement à des stéréotypes fondés sur la race selon lesquels les jeunes personnes racialisées, et plus particulièrement les jeunes noirs, adoptent des comportements antisociaux et criminels[25].

Compte tenu du fait que les personnes d’origine moyen-orientale, et particulièrement les jeunes hommes moyen-orientaux, étaient interpellées par la police dans une proportion si démesurément élevée, la CODP craint que l’islamophobie et les stéréotypes à l’endroit des personnes arabes contribuent également à la situation. Ces stéréotypes pourraient associer à tort des personnes perçues comme étant de religion musulmane ou d’origine arabe ou ouest-asiatique, et surtout des jeunes hommes issus de ces communautés, à des actes antisociaux et terroristes, et faire en sorte que les forces policières surveillent de plus près ces résidents.

Les données recueillies n’ont pas révélé de représentation disproportionnée générale des peuples autochtones lors des contrôles routiers par rapport à leur nombre sur les routes. Dans l’ensemble, relativement peu de personne interpellées ont été qualifiées de « personnes autochtones ». Le manque de reconnaissance de l’ascendance ou de la race des personnes autochtones interpellées pourrait expliquer ce phénomène. Malgré cette constatation, il est bien connu que les stéréotypes négatifs à l’endroit des personnes autochtones sont omniprésents au sein de la société et du système de justice pénale[26]. La CODP se préoccupe des répercussions que ces stéréotypes pourraient avoir sur le maintien de l’ordre au sein des communautés autochtones (par exemple au moment de l’interpellation de piétons).

3.2. Motifs des contrôles routiers

Lorsqu’on examine les motifs à l’origine des contrôles routiers, on constate que la vaste majorité de ces contrôles (97,19 %) ont été effectués au motif d’« infractions à la réglementation provinciale et municipale ». Aucune différence majeure n’a été décelée entre les groupes raciaux interpellés pour ce motif.

Cependant, comparativement aux conducteurs de race blanche, cinq des six groupes racialisés (minorités noire, moyen-orientale, originaire de l’Asie orientale/Asie du Sud-Est/Asie du Sud et autres) ont été interpellés de façon disproportionnée pour des « infractions criminelles ». De façon similaire, les agents de police ont interpellé les personnes autochtones, noires, d’origine moyen-orientale et autrement racialisées pour des « activités suspectes » de façon disproportionnée comparativement aux personnes blanches. Lees chercheurs ont laissé entendre que :

[R]elativement au groupe Blancs, les minorités racialisées sont fort susceptibles d'être soupçonnées, par des policiers, de comportements problématiques ou criminels. Si ces raisons constituent un très faible pourcentage des raisons invoquées, elles ont engendré plus d'occasions de soumettre des minorités racialisées à des contrôles routiers[27].

3.3. Dénouement des contrôles routiers

Lorsqu’on examine le dénouement des contrôles routiers, on constate que les personnes noires, les personnes d’origine autochtone ou moyen-orientale et les autres minorités raciales affichaient une incidence élevée de contrôles routiers ne menant à la prise d’aucune mesure, comparativement aux personnes blanches. Dans ces cas, les agents de police n’ont pas émis d'avertissement, porté d'accusation à l'endroit des conducteurs ou pris quelconque autre mesure à la suite des contrôles routiers. Les chercheurs en ont conclu qu’« ils étaient plus portés à interpeller ces quatre minorités racialisées pour rien d'assez sérieux pour étayer un avertissement ou une inculpation, comparativement au groupe Blancs »[28].

Cela nous amène à nous interroger sur les raisons pour lesquelles ces personnes ont réellement été interpellées. Les chercheurs ont fait remarquer que de telles situations peuvent donner l’impression que les contrôles routiers servent à harceler les conducteurs autochtones et racialisés, étant donné que les agents de police ne trouvent pas de raison d’émettre d’avertissement ou de porter d’accusation. On est également porté à se demander si, en raison des stéréotypes entourant la criminalité, la race des conducteurs sert de prétexte pour faire enquête sur des comportements douteux ou soupçonnés d’être criminels.


[21] Foster, Jacobs et Siu, supra, note 1, à 28.

[22] Foster, Jacobs et Siu, supra, note 1, à 54.

[23] Foster, Jacobs et Siu, supra, note 1, à 4.

[24] Voir par exemple, Meng, Y., Giwa, S. et Anucha, U. « Is there Racial Discrimination in Police Stop-and-Searches of Black Youth? A Toronto Case Study », Canadian Journal of Family and Youth, vol. 7, no 1, (2015), p. 115. 

[25] Idem., à 117.

[26] R. c. Williams, [1998] 1 RCS 1128 au par. 58; R. c. Ipeelee, [2012] 1 RCS 433 aux par. 60-61.

[27] Foster, Jacobs et Siu, supra, note 1, à 29.

[28] Foster, Jacobs et Siu, supra, note 1, à 25.