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4. Établissement de l’existence de discrimination et défenses prévues au Code

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Les tests de dépistage des drogues et de l’alcool constituent une forme d'examen médical. Même lorsqu’ils sont adoptés de bonne foi, les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent avoir un effet préjudiciable en lien avec la dépendance ou la perception de dépendance (discrimination prima facie ou « a première vue »). Les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent avoir un effet préjudiciable sur des personnes qui ont une dépendance ou sont perçues comme ayant une dépendance en imposant des conséquences négatives (comme des mesures disciplinaires, un congédiement ou un rejet de candidature) ou des conditions d’emploi additionnelles et rigides[23], en ne prévoyant pas l’accommodement des employés ayant obtenu un résultat positif jusqu’au point de préjudice injustifié ou en ne respectant pas la dignité et la vie privée des employés au cours du processus de dépistage.

Aux termes du Code, les employeurs qui ont adopté une politique ou un programme de dépistage des drogues et de l’alcool jugé discriminatoire à première vue peuvent se défendre en démontrant que la politique, la règle, l’exigence, la norme ou le test ayant entraîné un effet préjudiciable constitue une exigence légitime ou de bonne foi[24]. L’employeur doit utiliser le critère à trois volets mis de l’avant par la Cour suprême du Canada[25] pour établir selon la prépondérance des probabilités que la politique, la règle, l’exigence, la norme ou le test :

  1. a été adopté à des fins qui sont logiquement liées à l’exécution des fonctions du poste
  2. a été adopté en croyant sincèrement à sa nécessité pour réaliser ce but légitime lié au travail
  3. est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail Pour en démontrer la nécessité, l’employeur doit démontrer qu’il est impossible de procéder à l’accommodement de la personne sans que cela ne lui cause de préjudice injustifié.

L’article 17 du Code prévoit une défense à l’accusation de discrimination lorsqu’une personne ayant un handicap est incapable de s’acquitter d’une fonction essentielle de son poste. Cependant, une personne sera uniquement jugée incapable de s’acquitter des fonctions essentielles de son poste si ses besoins attribuables au handicap ne peuvent pas faire l’objet d’un accommodement sans causer de préjudice injustifié[26]. Dans le cas du dépistage des drogues et de l’alcool, cette défense s’applique uniquement si l’employeur peut démontrer que le dépistage ou toute autre méthode utilisée pour déceler l’affaiblissement des facultés par l’alcool ou les drogues constitue une exigence raisonnable et de bonne foi[27].

En gardant à l’esprit le critère à trois volets au moment de concevoir leurs politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool, les employeurs peuvent éviter d’imposer des effets potentiellement discriminatoires aux personnes ayant une dépendance réelle ou perçue. Les politiques bien conçues qui tiennent compte dès le début des trois volets du critère peuvent être utiles aux employeurs en cas de contestation de leur légitimité aux termes du Code.

Les employeurs devraient tenir compte des questions suivantes : 

  • Existe-t-il une raison objective de penser que l’affaiblissement des facultés des suites de la consommation d’alcool ou d’autres drogues nuirait à l’exécution sécuritaire des fonctions du poste? Existe-t-il un lien rationnel entre l’objectif du dépistage (p. ex. minimiser le risque d’affaiblissement des facultés pour assurer la sécurité) et l’exécution des fonctions du poste?
  • Existe-t-il une raison objective de penser que le degré, la nature et la portée de l’affaiblissement des facultés des suites de la consommation d’alcool ou de drogues, ainsi que la probabilité de risques connexes, puissent nuire à la sécurité de la personne, de ses collègues de travail, des membres du public ou de l’environnement?
  • Peut-on raisonnablement dire qu’il est nécessaire de procéder au dépistage pour repérer les personnes qui, au moment de l’administration du test, ne sont pas en mesure de s’acquitter des fonctions de leur poste en toute sécurité parce qu’elles ont les facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues[28]? Peut-on raisonnablement dire que le dépistage est nécessaire pour créer un environnement de travail sans facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues? Par exemple, a-t-on fait la démonstration d’un problème d’alcool ou de drogues dans le milieu de travail[29]?
  • Y a-t-il des moyens moins intrusifs d’accomplir le but légitime lié au travail (p. ex. contrôles par des pairs ou des superviseurs)
  • Est-ce que le critère ou la norme tient compte des différences individuelles, dans la mesure où il ou elle prévoit l’accommodement des personnes jusqu’au point de préjudice injustifié.

Après avoir examiné ces questions, les employeurs pourraient ne trouver aucune raison objective de conclure qu’ils devraient mettre en place des politiques ou des programmes de dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail. Il se pourrait que d’autres mesures, comme des contrôles de sécurité, programmes de sensibilisation aux drogues et de promotion de la santé et politiques d’accommodement de la dépendance, puissent atteindre l’objectif de l’employeur, soit de composer avec les risques pour la sécurité et problèmes de rendement qu’occasionne l’affaiblissement des facultés par l’alcool et les drogues.

Cependant, si le dépistage est justifié, l’employeur devrait respecter les principes directeurs suivants :  

  • Toute politique ou tout programme de dépistage des drogues et de l’alcool qui est conforme à la loi établira un rapport ou un lien rationnel entre le dépistage et l’exécution des fonctions du poste. Il a été déterminé qu’en l’absence d’un lien démontrable avec la sécurité et l’exécution des fonctions du poste ou d’éléments de preuve de l’accroissement de la sécurité au travail, l’administration de tests de dépistage des drogues et de l’alcool contrevenait aux droits des employés[30].
  • La politique ou le programme ne doit pas être appliqué de façon arbitraire à certains groupes d’employés et non à d’autres. Par exemple, un employeur qui tente de justifier sa politique de dépistage des drogues et de l’alcool peut ne pas être en mesure de légitimer le fait qu’il soumette uniquement à un test de dépistage les nouveaux employés ou les employés qui retournent au travail, et pas les autres membres du personnel. Dans certaines situations par contre, l’administration de tests de dépistage aux membres du personnel occupant des postes critiques pour la sécurité peut être justifiable.
  • Un poste critique sur le plan de la sécurité est un poste qui comporterait des risques importants de blessure pour l’employé, des tiers ou l’environnement si le titulaire de ce poste avait, au travail, les facultés affaiblies par l’alcool ou des drogues. Pour déterminer si un poste est critique sur le plan de la sécurité, il importe d’envisager la question dans le contexte de l’industrie et du milieu de travail particuliers, et du niveau de participation directe de l’employé à une activité à haut risque. Toute définition doit tenir compte du rôle des superviseurs dûment formés, et des poids et contrepoids en place au sein du milieu de travail.
  • Les tests de dépistage des drogues et de l’alcool devraient avoir pour objectif principal de mesurer l’affaiblissement des facultés et non de décourager la consommation d’alcool ou de drogues[31] ou de surveiller les valeurs morales des employés. Le dépistage de la consommation de drogues et d’alcool devrait se restreindre à déterminer l’incapacité réelle de l’employé de s’acquitter des fonctions essentielles ou de satisfaire aux exigences de son poste, au moment de l’administration du test. Il ne devrait pas simplement viser la détection de la présence de drogues ou d’alcool dans l’organisme.
  • Les employeurs devraient avoir recours à la méthode la moins importune d’évaluer l’affaiblissement des facultés ou l’aptitude au travail.
  • Les politiques sur le dépistage des drogues et de l’alcool font partie des règles et normes du milieu de travail. Par conséquent, les normes régissant l’exécution du travail devraient être inclusives. Les employeurs doivent intégrer le concept d’égalité aux politiques du milieu de travail.
  • Les politiques adoptées à l’échelle organisationnelle comme les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool doivent assurer l’accommodement des employés sur une base individuelle. Le caractère d’individualité est au cœur de la notion de dignité des personnes handicapées et du concept de l’accommodement[32]. Les règles tout englobantes qui ne tiennent pas compte des circonstances individuelles sont susceptibles d’être jugées discriminatoires[33].

Exemple : Un employeur exploitant un milieu de travail très dangereux se soucie d’agir de façon équitable et décide d’étendre à l’ensemble du personnel sa politique de dépistage aléatoire de l’alcool, qui visait à l’origine les titulaires de postes critiques sur le plan de la sécurité. Le but de la politique est d’assurer la sécurité au travail en prévenant l’affaiblissement des facultés par l’alcool. Les employés font automatiquement l’objet d’une suspension de trois jours s’ils obtiennent un résultat positif. Même si la politique inclut l’offre de programmes de rétablissement généreux aux personnes qui ont une dépendance et obtiennent un résultat positif, l’employeur peut ne pas être en mesure de justifier que la politique constitue une exigence de bonne foi. Cela est dû au fait que la suspension automatique ne tient pas compte des circonstances particulières des employés ayant une dépendance. De plus, les postes non critiques sur le plan de la sécurité de l’employeur entraînent très peu de risques pour la sécurité. Dans leur cas, il est donc difficile de faire la démonstration d’un « lien rationnel » entre l’objectif du dépistage de l’alcool (assurer la sécurité) et l’exécution des fonctions du poste. En outre, étant donné l’existence de méthodes moins intrusives de détection des facultés affaiblies, il pourrait s’avérer difficile pour l’employeur de justifier qu’il doit raisonnablement effectuer le dépistage de l’alcool pour prévenir l’affaiblissement des facultés par l’alcool au travail.

Tout programme de dépistage des drogues et de l’alcool devrait s’inscrire dans une politique plus vaste de santé et de sécurité. Les mesures prises pour réduire les risques qu’occasionnent l’alcool ou les drogues en milieu de travail devraient être combinées à d’autres mesures d’amélioration de la sécurité au travail, comme la formation adéquate des employés et la réduction des dangers et distractions en milieu de travail.

Parfois, des tierces parties comme des clients demandent aux employeurs d’adopter une politique ou un programme de dépistage des drogues et de l’alcool. Cependant, en cas d’effet préjudiciable sur les employés ayant une dépendance réelle ou perçue, les employeurs conservent l’obligation de démontrer que la politique ou le programme constitue une exigence de bonne foi au moyen du critère à trois volets[34].

Dans l’ensemble, les programmes et politiques de dépistage des drogues et de l’alcool qui sont judicieusement conçus et respectent les droits de la personne peuvent être justifiables aux termes du Code. Cependant, il continue d’incomber aux employeurs de veiller à ce que l’application de ces programmes ou politiques n’entraîne pas de situation spécifique de discrimination. Le sommaire de la présente politique présente les composantes d’un programme ou d’une politique de dépistage qui respecte les droits de la personne.


[23] Dans l’affaire Entrop, supra, note 9, la politique de dépistage des drogues et de l’alcool de la société Imperial Oil a été jugée discriminatoire à première vue en partie parce qu’elle soumettait le requérant, une personne ayant eu un handicap par le passé, à une réaffectation automatique à un poste non critique pour la sécurité qui était moins intéressant. De plus, l’employé a pu reprendre son poste initial uniquement après avoir consenti à « une évaluation médicale rigoureuse et à des mesures de contrôle continues » (par. 118), y compris deux années de programme de rétablissement, cinq années d’abstinence, sa participation à un groupe d’entraide (apparemment pendant une durée indéterminée), sa divulgation à l’employeur de tout changement à sa situation pouvant accroître le risque de rechutes, la transmission périodique à l’employeur d’information sur son respect des conditions d’emploi et l’administration d’examens médicaux annuels, y compris des tests de dépistage de la surconsommation d’alcool et de drogues. L’employeur n’a pu démontrer que ces exigences satisfaisaient au critère d’établissement des exigences de bonne foi (par. 118-127).

[24] L’article 11 du Code interdit la discrimination résultant d’exigences, de qualités requises ou de critères qui peuvent sembler neutres, mais ont des effets négatifs sur des personnes désignées dans le Code. On appelle souvent cela de la « discrimination par suite d’un effet préjudiciable ». Dans un tel cas, le Code permet à la personne ou à l’organisation ayant créé l’effet préjudiciable de démontrer que l’exigence, la qualité requise ou le critère est raisonnable et établi de bonne foi en prouvant qu’elle ne peut tenir compte des besoins du groupe dont la personne fait partie sans subir de préjudice injustifié.

[25] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU)(Meiorin Grievance) [1999] 3 R.C.S. 3 [« Meiorin »], au par. 54.

[26] Voir la section 7.1 sur l’obligation d’accommodement pour obtenir plus de renseignements. Voir aussi Meoirin, ibid.

[27] Dans l’affaire Entropsupra, note 9, la Cour d’appel de l’Ontario a stipulé que si l’employeur ne peut démontrer que le dépistage ou d’autres méthodes utilisées pour établir l’affaiblissement des facultés, comme la divulgation obligatoire et la réaffectation automatique, sont en soi des exigences de bonne foi, sa défense aux termes de l’article 17 échouera (par. 83).

[28] Voir Entrop, supra, note 9, au par. 96. Au par. 97, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué que :

Les règles en milieu de travail d’un employeur pourraient ne pas satisfaire le troisième volet du critère Meiorin à plusieurs égards. Par exemple, une règle pourrait s’avérer arbitraire dans le sens où elle n’est pas liée au but légitime visé par l’employeur ou ne contribue pas à l’atteinte de ce but. Elle pourrait également, de façon déraisonnable, ne pas prévoir d’évaluation individualisée. Enfin, elle pourrait ne pas être raisonnablement nécessaire étant donné que l’employeur dispose d’autres moyens, moins intrusifs sur le plan des droits de la personne, d’atteindre son but.

[29] Cette analyse doit reposer sur des éléments de preuves convaincants. Dans l’affaire Mechanical Contractors Association Sarnia v United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing & Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663, 2013 CanLII 54951 (ON LA) [« Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013 »], l’arbitre a tenté de déterminer s’il existait un problème de santé et de sécurité au lieu de travail en raison de l’usage d’alcool ou de drogues. Il a conclu qu’un tel problème n’existait pas au lieu de travail, ce qui constituait l’une des raisons pour lesquelles l’employeur ne pouvait pas démontrer que le dépistage des drogues et de l’alcool avant l’accès constituait une exigence de bonne foi. Les questions de convention collective citées dans la décision ont été confirmées au moment de l’appel de la décision, dans Mechanical Contractors Association Sarniv United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing & Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663 2014 ONSC 6909 (CanLII) [« Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014 »]. Compte tenu du fait qu’elle avait confirmé les questions de convention collective, la Cour divisionnaire a indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les questions de droits de la personne.

[30] Voir Irving, supra, note 7, au par. 31; Entrop, supra, note 9. Voir également Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013supra, note 29, confirmé dans Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014; Canada (Commission des droits de la personne) c. Banque Toronto-Dominion, [1998] 4 RCF 205, CanLII 8112 (CAF).

[31] Des chercheurs ont fait  remarquer qu’il existe peu d’études rigoureuses sur le plan méthodologique qui confirment que le dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail décourage la consommation d’alcool ou de drogues. Pour une analyse de la documentation, voir Frone, supra, note 3.

[32] Pour obtenir plus de renseignements, voir Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2000. En ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/politique-et-directives-concernant-le-handicap-et-lobligation-daccommodement.

[33] Voir la section 7.1 sur l’obligation d’accommodement pour obtenir plus de renseignements.

[34] Les exigences de tierce partie ne consituent pas toujours des exigences de bonne foi. Voir International Union Of Operating Engineers, Local 793v Sarnia Cranes Limited [1999] OLRD No 1282 [QL]; United Association of Journeyman and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663 v Mechanical Contractors Association of Sarnia (Drug and Alcohol Policy Grievance), [2008] OLAA No 621 (QL), au par. 136; Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013, supra, note 29. Cette dernière décision a été maintenue dans Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014supra, note 29. Les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent être justifiables lorsqu’elles ont pour but de respecter la réglementation du ministère des Transports des États-Unis touchant les camionneurs et conducteurs d’autobus qui traversent la frontière. Dans de tels cas cependant, les employeurs doivent quand même assurer l’accommodement des personnes ayant obtenu un résultat positif jusqu’au point de préjudice injustifié. Voir Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc. et al., 2003 TCDP 37 (CanLII) [« Milazzo »].

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