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Mémoire de la CODP présenté dans le cadre de l’Examen indépendant des organismes de surveillance de la police

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Commission ontarienne des droits de la personne
Mémoire présenté dans le cadre de
l’Examen indépendant des organismes de surveillance de la police

Le 15 novembre 2016

Résumé

Depuis près de vingt ans, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) exprime ses inquiétudes au sujet de la discrimination systémique qui fait partie intégrante de la culture des services policiers dans notre province. Nous avons vu trop de cas de profilage racial, de recours discriminatoire à la force à l’encontre de personnes aux prises avec des troubles mentaux ou des dépendances, voire de racisme et de sexisme dans les enquêtes sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées en Ontario. Ces incidents et les préoccupations qui en découlent ont fait l’objet d’un grand nombre d’enquêtes du coroner, de recommandations, d’examens et de rapports, et ce, depuis des dizaines d’années. Pour autant, la discrimination systémique n’a pas été éliminée des services policiers.

Sous la houlette du ministère du Procureur général, l’Examen indépendant des organismes de surveillance de la police (Examen indépendant) constitue un moment crucial pour améliorer la surveillance et renforcer la responsabilisation au sein des services policiers. Le gouvernement doit agir immédiatement et sans délai pour s’attaquer à la discrimination systémique dans les services policiers et prendre des mesures audacieuses pour promouvoir une culture de la responsabilisation en matière de droits de la personne et rétablir la confiance à l’égard des instances d’application de la loi.

De nombreuses communautés marginalisées, notamment les Premières Nations, les Métis et les Inuits (peuples autochtones) et les Afro-Canadiens, nourrissent depuis longtemps de la méfiance à l’égard de la police. Cette méfiance s’explique par la discrimination systémique à l’œuvre dans les services policiers et par la surreprésentation chronique des Autochtones et des Afro-Canadiens dans tous les aspects du système de justice pénale. Ces deux phénomènes subsistent encore aujourd’hui. Les récents événements tragiques, comme le décès de Reggie Bushie, d’Abdirahman Abdi, d’Andrew Loku et de Jermaine Carby, ainsi que les pratiques discriminatoires en matière d’interpellation et de questionnement (fichage et contrôles de routine) ont érodé la confiance des communautés, pourtant indispensable à l’efficacité des services policiers et, in fine, à la sécurité du public. En effet, dans un contexte de relations tendues entre la police et les communautés, les civils sont moins susceptibles de signaler des crimes, de coopérer lors d’enquêtes policières et de fournir des preuves devant les tribunaux.

Partout en Amérique du Nord, y compris en Ontario, les appels aux changements formulés par les populations marginalisées se font de plus en plus pressants, comme en témoignent les manifestations fréquentes et les demandes répétées en vue d’une refonte complète du système actuel. Le manque de surveillance et d’enquêtes transparentes, indépendantes et proactives à l’égard des services de police, ainsi que l’absence d’un mécanisme efficace de responsabilisation de la police en cas de discrimination systémique expliquent l’apparition de mouvements comme Black Lives Matter et les campagnes visant à rendre justice aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées. Le principe de responsabilisation sous-tend également les appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation du Canada auprès de tous les paliers de gouvernement afin d’éliminer la surreprésentation des Autochtones en détention au cours de la prochaine décennie.

Le mois dernier, le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a indiqué qu’il existait des preuves claires témoignant du caractère endémique du profilage racial dans les stratégies et les pratiques utilisées par les forces de l’ordre. Le groupe de travail a ainsi exhorté le gouvernement canadien à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie de justice pour les Afro-Canadiens afin de lutter contre le racisme et la discrimination anti-Noirs dans le système de justice pénale[1].

Dans le cadre de son propre processus de planification stratégique, la CODP a récemment consulté près de 300 personnes représentant plus de 80 groupes communautaires et organismes de défense des droits en Ontario, des officiers indépendants de la législature et d’autres intervenants. Tout au long de ce processus, nous avons systématiquement entendu des inquiétudes quant à l’existence d’une discrimination systémique dans les services policiers, notamment envers les Afro-Canadiens, les Canadiens musulmans et arabes, les autres communautés racialisées, les Autochtones et les personnes aux prises avec des troubles mentaux.

Même si la CODP donnera la priorité à ses activités de lutte contre la discrimination systémique dans le système de justice pénale au cours des cinq prochaines années, nous pensons qu’il n’est pas possible de rétablir la confiance au sein des communautés sans : (1) mettre en œuvre les recommandations de la CODP qui découlent de son examen de la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario et qui bénéficient d’un large appui, et (2) mettre en place un système indépendant et proactif de surveillance et de responsabilisation des services policiers en matière de discrimination systémique.

En résumé, nous avons atteint une étape critique et les résultats de l’Examen indépendant sont l’occasion idéale de replacer la défense des droits de la personne au cœur de la surveillance de la police. Nous serions heureux de travailler avec le juge Tulloch ou le gouvernement pour contribuer à la mise en œuvre de nos recommandations dans ce secteur important.

Vers un système efficace de surveillance et de responsabilisation en matière de droits de la personne en Ontario

Bien que l’Examen indépendant porte sur le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP), l’Unité des enquêtes spéciales (UES) et la Commission civile de l’Ontario sur la police (CCOP), ces organismes ne sont pas les seuls à surveiller la discrimination systémique dans les services policiers et à rendre des comptes à ce sujet. Le Bureau du coroner en chef de l’Ontario (BCCO), le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario (ombudsman), les commissions des services policiers, le système de traitement des plaintes contre la police et le système des droits de la personne font également partie intégrante du cadre de responsabilisation. L’ensemble de ce cadre constitue un élément contextuel important de l’Examen indépendant.

Le gouvernement a mis sur pied divers organismes chargés de surveiller la police et de faire participer les civils au maintien de l’ordre dans la province. Cependant, à ce jour, les organismes de surveillance existants n’ont pas suffisamment répondu aux appels communautaires visant à instaurer un système transparent, indépendant et proactif de surveillance et de responsabilisation en matière de discrimination systémique au sein des services policiers. Il existe une lacune fondamentale : le BDIEP, l’UES, la CCOP, le BCCO et l’Ombudsman n’ont pas l’expertise suffisante pour déceler et analyser la discrimination systémique et n’ont pas le mandat d’exercer activement une surveillance de la discrimination systémique et de prendre des mesures coercitives à cet égard. Ces organismes sont ainsi dépourvus des éléments clés permettant de surveiller efficacement la discrimination systémique.

La solution ne consiste ni à élargir le mandat du BDIEP, de l’UES, de la CCOP, du BCCO ou de l’Ombudsman pour y inclure la prévention de la discrimination systémique, ni à fusionner certains ou l’ensemble de ces organismes. Ces propositions ne répondent pas aux appels au changement formulés par la communauté. En outre, compte tenu de leur mandat actuel, il est peu probable que ces institutions, qu’elles soient fusionnées ou non, accordent la priorité voulue à la lutte contre la discrimination systémique. Par ailleurs, le BDIEP, l’UES, la CCOP et les services de police ont toujours échoué à recueillir des données identificatoires relevant des droits de la personne, alors même que ces données jouent un rôle essentiel dans la surveillance et la responsabilisation en matière de discrimination systémique.

Pour garantir un système proactif et indépendant de surveillance de la discrimination systémique et d’application de la législation dans les services policiers, le gouvernement doit établir par voie législative une institution dotée des caractéristiques suivantes :

  1. un mandat clair et spécifique pour prévenir la discrimination systémique dans les services policiers;
  2. un savoir-faire dans l’analyse de la discrimination au sens du Code des droits de la personne et de la Charte des droits et libertés;
  3. une bonne compréhension des relations complexes entre la police et les personnes ayant des troubles mentaux, les Afro-Canadiens et les Autochtones (incluant la connaissance de l’impact continu du colonialisme);
  4. l’indépendance vis-à-vis du gouvernement, de la police et d’autres organismes de surveillance, tant sur le plan de l’autonomie institutionnelle qu’au niveau d’éventuelles craintes de partialité;
  5. l’obligation de responsabilisation, de transparence et d’accessibilité vis-à-vis du public, ce qui implique de nouer activement le dialogue avec les communautés protégées par le Code afin de cerner les sujets de préoccupation et les solutions possibles, et de présenter des rapports destinés au public;
  6. la capacité de consulter des documents et des dossiers, d’obliger les parties à les fournir et de mener des enquêtes pour déceler les comportements susceptibles de correspondre à une situation de discrimination systémique;
  7. des pouvoirs coercitifs devant une cour ou un tribunal spécialisé habilité à ordonner des mesures de réparation systémiques;
  8. les ressources et les capacités suffisantes pour s’acquitter de son mandat de manière continue.

Il convient de noter que cette institution ne peut être efficace et restaurer la confiance du public que si, d’une part, tous les organismes de surveillance de la police et tous les services de police sont chargés de recueillir et de publier des données identificatoires relevant des droits de la personne, et si, d’autre part, l’institution est indépendante, responsable, transparente, accessible et dotée de ressources financières suffisantes pour s’acquitter de son mandat.

Il est essentiel de collaborer avec les Premières Nations pour déterminer la nature et l’entendue de l’autorité de l’institution sur les services de police des Premières Nations en Ontario.

Étant donné la gravité du racisme systémique anti-Noirs et anti-Autochtones au sein des services policiers, le recours discriminatoire à la force à l’endroit des personnes ayant des troubles mentaux ou des dépendances, ainsi que le manque de confiance qui en résulte à l’égard de la police, le moment est venu de donner suite aux recommandations de la CODP. Les appels au changement ne feront que s’amplifier sans une surveillance significative de la discrimination systémique au sein des services policiers. Le gouvernement doit mettre sur pied une institution spécialement chargée d’assurer activement et en toute indépendance la surveillance de la discrimination systémique dans les services policiers et d’appliquer la législation y afférente. Nous serions heureux de collaborer avec une telle institution afin de lutter contre cette discrimination.

Recommandations au gouvernement de l’Ontario :

  1. Établir, par voie législative, une institution indépendante chargée de travailler de manière proactive, indépendante et transparente à la surveillance de la discrimination systémique dans les services policiers et à l’application des mesures législatives qui s’imposent. Cette institution devrait, entre autres :
  1. être dotée d’un mandat clair et spécifique pour prévenir la discrimination systémique dans les services policiers;
  2. posséder un savoir-faire dans l’analyse de la discrimination au sens du Code des droits de la personne et de la Charte des droits et libertés;
  3. comprendre les relations complexes entre la police et les personnes ayant des troubles mentaux, les Afro-Canadiens et les Autochtones (y compris l’impact continu du colonialisme);
  4. jouir d’une indépendance vis-à-vis du gouvernement, de la police et d’autres organismes de surveillance, tant sur le plan de l’autonomie institutionnelle qu’au niveau d’éventuelles craintes de partialité;
  5. être assujettie à une obligation de responsabilisation, de transparence et d’accessibilité vis-à-vis du public, ce qui implique de nouer activement le dialogue avec les communautés protégées par le Code afin de cerner les sujets de préoccupation et les solutions possibles, et de présenter des rapports destinés au public;
  6. être capable de consulter des documents et des dossiers, d’obliger les parties à les fournir et de mener des enquêtes pour déceler les comportements susceptibles de correspondre à une situation de discrimination systémique;
  7. disposer de pouvoirs coercitifs devant une cour ou un tribunal spécialisé habilité à ordonner des mesures de réparation systémiques;
  8. posséder les ressources et les capacités suffisantes pour s’acquitter de son mandat de manière continue.
  1. Exiger que les services policiers établissent des systèmes permanents de collecte et de conservation des données afin de consigner les données identificatoires relevant des droits de la personne, à savoir, entre autres, tous les contrôles de civils, les incidents impliquant le recours à la force et les interactions au cours desquelles les agents de police posent des questions sur le statut d’immigration ou effectuent des vérifications de ce statut. Ces données devraient être normalisées, ventilées, compilées et publiées par chaque service de police, ainsi que fournies à l’institution. Elles devraient inclure l’âge, le sexe, la race apparente et la perception par l’agent de police d’une éventuelle déficience, y compris d’un trouble mental.
  1. Obliger les autres institutions qui exercent des fonctions de surveillance de la police à faire ce qui suit :
  1. Aviser les plaignants ou les proches parents qu’ils ont le droit de déposer une requête auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) pour toute discrimination alléguée aux termes du Code, et leur fournir les coordonnées du Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne (CAJDP).
  2. Communiquer à l’institution chargée de surveiller la discrimination systémique dans les services policiers les plaintes reçues et les enquêtes menées relativement à des allégations de discrimination, y compris les requêtes présentées au TDPO alléguant des cas de discrimination dans les services policiers.
  3. Diffuser publiquement tous les rapports d’enquête sur les blessures graves ou le décès de civils qui surviennent dans le cadre d’incidents impliquant la police. Ces rapports devraient comporter des renseignements sur la victime, notamment sa race, son sexe, son âge et la présence réelle ou perçue d’un éventuel trouble mental chez la victime, sous réserve des expurgations à effectuer conformément aux lois sur le respect de la vie privée.
  4. Recueillir des données identificatoires relevant des droits de la personne communiquées à titre volontaire par des plaignants dénonçant des cas d’inconduite policière. Ces données devraient être normalisées, ventilées, compilées et publiées.
  5. Rendre publics :
    1. le nombre de plaintes, d’enquêtes et/ou d’appels portant sur des cas allégués de discrimination dans les services policiers qui enfreignent le Code, en le ventilant selon les motifs de discrimination interdits aux termes du Code;
    2. le nombre de personnes grièvement blessées ou décédées lors d’incidents impliquant la police, en le ventilant selon la race, l’âge, le sexe et la présence ou non d’un trouble mental réel ou perçu.
  6. Modifier les délais de prescription applicables à la présentation d’une plainte pour inconduite et au dépôt d’une requête auprès du TDPO relativement à un cas de discrimination dans les services policiers, afin que ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la publication d’un rapport sur les blessures graves ou le décès du civil.
  7. S’assurer que les plaintes du public relatives aux cas d’inconduite d’un agent de police, y compris les plaintes relatives à des allégations de discrimination, ne sont pas traitées par les services de police incriminés.
  8. Veiller à ce que les enquêteurs au sein des organismes de surveillance reflètent les communautés qu’ils desservent et ne soient pas essentiellement composés d’anciens agents de police.

Introduction

Une surveillance efficace est nécessaire pour instaurer la confiance du public à l’égard de la police

Les services de police entretiennent des relations tendues avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits (peuples autochtones), les Afro-Canadiens, d’autres populations racialisées et les personnes aux prises avec des troubles mentaux ou des dépendances. Ce climat de méfiance se nourrit des préoccupations de la communauté concernant l’existence d’une discrimination systémique, qui revêt la forme du profilage racial, du recours discriminatoire à la force contre des personnes ayant des troubles mentaux, ou encore du racisme et du sexisme dans le cadre des enquêtes sur les femmes et les filles disparues et assassinées[2].

Les récents événements tragiques, comme le décès de Reggie Bushie, d’Abdirahman Abdi, d’Andrew Loku et de Jermaine Carby, ainsi que les pratiques discriminatoires en matière d’interpellation et de questionnement (fichage et contrôles de routine) ont érodé la confiance des communautés, pourtant indispensable à l’efficacité des services policiers et, in fine, à la sécurité du public. En effet, dans un contexte de relations tendues entre la police et les communautés, les civils sont moins susceptibles de signaler des crimes, de coopérer lors d’enquêtes policières et de fournir des preuves devant les tribunaux[3].

Une surveillance efficace de la police est nécessaire pour instaurer la confiance du public à l’égard de la police. Comme l’a déclaré la Division des droits civils du ministère de la Justice américain dans son enquête sur le service de police de Baltimore (BPD), « l’incapacité persistante du BPD à tenir les agents de police responsables en cas de faute professionnelle contribue à éroder la confiance de la collectivité, qui est pourtant essentielle à une application efficace de la loi »[4]. Dans la même veine, le manuel des Nations Unies sur la responsabilité, la surveillance et l’intégrité de la police rappelle les points suivants[5] :

Le renforcement de la responsabilité et de l’intégrité de la police vise principalement à établir, restaurer ou renforcer la confiance du public et à fonder (voire refonder) la légitimité nécessaire à la prestation de services policiers efficaces.

Il est possible de parvenir à cet objectif en mettant en place un système de surveillance civile. L’acceptation d’un dispositif de contrôle civil externe est le signe d’une police démocratique, c’est-à-dire qui fait preuve de réceptivité et de responsabilité envers les besoins du public.

Partout en Amérique du Nord, y compris en Ontario, les appels à l’instauration d’une surveillance efficace de la police se font de plus en plus pressants, comme en témoignent les manifestations fréquentes et les demandes répétées en vue d’une refonte complète du système actuel. Le manque de surveillance transparente, indépendante et proactive à l’égard des services de police, ainsi que l’absence d’un mécanisme efficace de responsabilisation de la police en cas de discrimination systémique expliquent l’apparition de mouvements comme Black Lives Matter et les campagnes visant à rendre justice aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées.

Par exemple, Sandy Hudson, animatrice communautaire et fondatrice de Black Lives Matter Toronto, a décrit le manque de responsabilisation de la police face au racisme anti-Noirs et a publiquement demandé au gouvernement de recueillir des statistiques raciales « à l’échelle de l’ensemble du système »[6].

De même, à la suite du décès de M. Abdi, une coalition de groupes communautaires et d’organismes de défense des droits, dont la Clinique juridique africaine canadienne, l’Association canadienne des avocats somaliens et le Congrès du travail du Canada, a demandé au gouvernement de recueillir des données sur la race et de combler le manque de surveillance et de responsabilisation de la police à l’égard de la discrimination systémique[7].

L’Ontario Native Women’s Association (ONWA) et l’Ontario Federation of Indigenous Friendship Centres (OFIFC) ont élaboré un Cadre stratégique pour faire cesser la violence faite aux femmes autochtones. Ce cadre oblige les différents paliers de gouvernement (fédéral, provincial, local, Premières Nations) à évaluer périodiquement l’efficacité des mesures prises contre les infractions commises contre les femmes autochtones et appelle à prévoir des mécanismes de responsabilisation lors de la conception de la stratégie[8].

En outre, le rapport d’enquête concernant le Canada du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) des Nations Unies formule les observations suivantes[9] :

Des préoccupations concernant l’efficacité et l’indépendance des mécanismes de traitement des plaintes visant la police sont apparues très clairement au cours des discussions avec diverses parties prenantes. Les membres désignés ont recueilli des témoignages indiquant que les incidents impliquant des agents de police n’étaient pas pris au sérieux lorsqu’ils étaient signalés. La méfiance qui prévaut chez les femmes autochtones est exacerbée par des rapports soulignant que les organismes de surveillance qui examinent et punissent les inconduites policières, les abus de pouvoir et tout autre acte contraire à l’éthique de la police ne sont pas suffisamment indépendants et efficaces.

L’OFIFC a écrit au gouvernement au sujet du sentiment de désespoir et d’impuissance ressenti par les membres des communautés autochtones au moment de porter plainte contre la police et a plaidé en faveur d’une plus grande transparence et d’une responsabilisation accrue de la part des organismes de surveillance de la police. Le principe de responsabilisation sous-tend l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada visant à éliminer la surreprésentation des Autochtones en détention au cours de la prochaine décennie[10].

L’OFIFC, ainsi que plus de 20 groupes communautaires et organismes de défense des droits, ont appuyé les recommandations formulées par la CODP dans ses mémoires au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, y compris la nécessité d’assurer une surveillance indépendante, autonome et publique des services de police et des commissions des services policiers à l’égard de la discrimination systémique[11].

Mandat et portée de l’Examen indépendant

Le juge Tulloch de la Cour d’appel de l’Ontario s’est vu confier la mission d’examiner le BDIEP, l’UES et la CCOP. Il a pour mandat de traiter les questions liées aux droits de la personne, notamment en formulant des recommandations visant à accroître la transparence et la responsabilisation des organismes de surveillance de la police tout en préservant les droits fondamentaux, notamment sur la question d’une éventuelle collecte de statistiques démographiques et de renseignements sur la santé mentale[12].

Le BDIEP, l’UES et la CCOP ne sont pas les seuls organismes à surveiller la discrimination systémique dans les services policiers et à rendre des comptes à ce sujet. Le Bureau du coroner en chef de l’Ontario (BCCO), le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario (Ombudsman), les commissions des services policiers, le système de traitement des plaintes contre la police et le système des droits de la personne font également partie intégrante du cadre de responsabilisation. L’ensemble de ce cadre constitue un élément contextuel important de l’Examen indépendant.

Si les mémoires de la CODP se limitent à la question de la surveillance et de la responsabilisation en matière de discrimination systémique, la CODP reconnaît qu’il existe d’autres problèmes d’inconduite et de responsabilisation qui pourraient être envisagés dans le cadre de l’examen (p. ex. arrestations illégales, agressions, atteintes à la vie privée, manque d’efficacité) et que le système de surveillance, dans son ensemble, aurait beaucoup à gagner d’une transparence accrue et d’une meilleure responsabilisation.

La Commission ontarienne des droits de la personne

La CODP est l’organisme provincial chargé de promouvoir et de faire respecter les droits de la personne, de nouer des relations reposant sur les principes de dignité et de respect, et d’instaurer une culture de la conformité et de la responsabilisation à l’endroit des droits de la personne. Nous stimulons le changement social en nous appuyant sur les principes de l’égalité réelle. Dans le cadre de notre mission, nous dénonçons, contestons et éliminons les structures et les systèmes discriminatoires profondément enracinés. Nos moyens d’action sont la sensibilisation, l’élaboration de politiques, la réalisation d’enquêtes publiques et l’intervention dans le cadre de litiges. À ce titre, nous œuvrons notamment à examiner les lois, les règlements et les politiques afin d’en assurer la cohérence avec l’intention du Code[13].

La CODP a élaboré les ressources suivantes qui peuvent être utiles dans le cadre de cet Examen indépendant :

La CODP a également présenté les mémoires suivants sur la discrimination systémique dans les services policiers :

La CODP a collaboré avec plusieurs services de police et commissions des services policiers en Ontario, notamment par l’entremise des chartes pluriannuelles du Projet des droits de la personne conclues avec le service de police de Toronto, le service de police de Windsor et le Collège de police de l’Ontario. Ces projets visent à inscrire les droits de la personne dans tous les aspects de l’intervention policière, de sorte que les services de police puissent répondre aux besoins d’une population de plus en plus diversifiée. Toutefois, la CODP a constaté que ces partenariats s’appliquent uniquement aux politiques, processus et procédures internes et qu’ils se révèlent souvent insuffisants pour modifier une culture institutionnelle profondément ancrée. En outre, ces projets ne permettent pas, à eux seuls, de consolider la surveillance ou la responsabilisation en matière de discrimination systémique.

Malgré la poursuite de notre collaboration avec les services de police, nous avons également participé à des litiges en matière de discrimination dans la police[25]. En 2012, une intervention de la CODP devant les tribunaux a donné lieu à une entente avec la Commission des services policiers d’Ottawa pour la réalisation d’un projet à long terme de collecte de données fondées sur la race dans le cadre des contrôles routiers, le premier projet de ce type mené par un important service de police canadien[26]. Les données de ce projet ont révélé que les « Moyen-Orientaux » et les « Noirs » sont surreprésentés au sein des contrôles routiers. Cette part considérablement disproportionnée va dans le sens du profilage racial et illustre clairement que la lutte contre la discrimination raciale doit dès maintenant se traduire par des mesures concrètes et la responsabilisation des parties[27].

Le Code des droits de la personne et ses liens avec la Loi sur les services policiers

Le Code énonce les responsabilités et les droits les plus fondamentaux en Ontario et bénéficie d’un statut quasi constitutionnel[28]. En règle générale, le Code prévaut sur les autres lois de la province[29]. Il est nécessaire de le prendre en considération pour interpréter, appliquer ou modifier la Loi sur les services policiers et pour élaborer des normes, des lignes directrices, des politiques et des formations.

En effet, la déclaration de principes de la Loi sur les services policiers fait expressément référence à l’importance de préserver les droits garantis par le Code et la Charte[30]. Dans son rapport sur les services policiers au cours du sommet du G-20, le juge Morden a passé en revue ces principes et a déterminé que les agents de police « doivent constamment respecter » le Code et la Charte dans le cadre de leur mission[31]. Enfin, l’importance des droits de la personne est soulignée dans le code de conduite prescrit par la Loi sur les services policiers, qui interdit la discrimination ou le harcèlement fondés sur des motifs prévus par le Code[32].

La discrimination systémique dans les services policiers est une réalité

De nombreuses études et décisions de la Cour suprême du Canada montrent que la discrimination systémique dans les services policiers est une réalité.

L’article 1 du Code protège les particuliers contre toute discrimination de la part des services de police fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’expression de l’identité sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap[33]. Le motif du handicap englobe les troubles mentaux passés, présents et perçus, ainsi que les dépendances. Notons qu’une personne peut également être confrontée à un cas de discrimination fondée sur plusieurs aspects de son identité qui se chevauchent et s’entrecroisent[34].

Le Code protège à la fois contre la discrimination directe[35] et contre la discrimination indirecte[36], qui peuvent toutes les deux être systémiques. La CODP définit la discrimination systémique ou institutionnelle comme le résultat de « politiques, pratiques et comportements qui font partie des structures sociales et administratives de l’organisation et dont l’ensemble crée ou perpétue une situation désavantageuse » pour les groupes protégés par le Code[37].

La discrimination systémique dans les services policiers comprend notamment :

  • le profilage racial, qui peut se manifester, entre autres, lors de contrôles routiers, de fouilles, de prélèvements d’échantillons d’ADN, d’arrestations et d’incidents impliquant le recours à la force[38];
  • le recours discriminatoire à la force dont les personnes ayant des troubles mentaux peuvent faire l’objet parce que les comportements et réactions de ces dernières aux directives de la police peuvent sembler inhabituels, imprévisibles ou inappropriés ou parce que la police s’appuie sur des suppositions stéréotypées relatives à la dangerosité ou à la violence[39];
  • le racisme et le sexisme dans le cadre des enquêtes policières sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées[40].
Racisme anti-Autochtones

D’après le Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash et le document de Jonathan Rudin commandé dans le cadre de l’enquête, un climat de méfiance caractérise depuis longtemps les rapports entre les Autochtones et la police. Cette attitude est ancrée dans[41] :

  • le legs du colonialisme;
  • le rôle joué par la police dans les tentatives d’assimiler les Autochtones, y compris en enlevant les enfants de leur famille pour les envoyer en pensionnat, puis dans des organismes de bien-être de l’enfance;
  • la dépendance des gouvernements envers la police pour régler les différends concernant les droits des Autochtones;
  • la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale;
  • le racisme exercé par la police.

La Cour suprême a reconnu à plusieurs reprises la présence du racisme anti-Autochtones au sein de la société et dans le système de justice pénale. Dans l’arrêt R. c. Ipeelee, la Cour suprême a souligné que les tribunaux doivent prendre connaissance d’office de questions telles que « l’histoire de la colonisation, des déplacements de populations et des pensionnats et la façon dont ces événements se traduisent encore aujourd’hui chez les peuples autochtones par un faible niveau de scolarisation, des revenus peu élevés, un taux de chômage important, des abus graves d’alcool ou d’autres drogues, un taux élevé de suicide et, bien entendu, un taux élevé d’incarcération »[42].

Dans l’arrêt R. c. Williams, la Cour suprême a reconnu l’existence d’un racisme largement répandu contre les Autochtones, et notamment des stéréotypes en matière « de crédibilité, de respectabilité et de propension à la criminalité », voire des préjugés laissant entendre qu’« être ivre, Indien et en prison sont les termes d’une même équation ». La Cour a convenu, comme l’avait affirmé l’Association du Barreau canadien, que ces stéréotypes empêchaient de considérer les Autochtones comme égaux[43]. Prenant note des constatations de la Commission royale sur les peuples autochtones et du Report on the Cariboo-Chilcotin Justice Inquiry, la Cour a conclu qu’« [i]l y a une preuve que ce racisme largement répandu s’est traduit par une discrimination systémique dans le système de justice pénale »[44].

Citant sa décision antérieure dans l’arrêt Williams, la Cour suprême a statué que « le recours excessif à l’emprisonnement dans le cas des autochtones n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne la marginalisation des autochtones au sein du système de justice pénale au Canada. Les autochtones sont surreprésentés dans virtuellement tous les aspects du système. »[45]

D’ailleurs, « depuis plus de vingt ans, des études et des rapports gouvernementaux partout au Canada retracent l’historique et la réalité actuelle du racisme répandu que subissent les communautés autochtones et qui a donné lieu à une situation de discrimination systémique au sein du système judiciaire »[46]. Le rapport du juge Iacobucci, La représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario, a décrit plusieurs obstacles systémiques au sein du système de justice de l’Ontario, comme la surveillance excessive des jeunes autochtones, l’absence de services de traduction, le recours accru aux renvois sous garde ou encore le manque de soutien offert aux délinquants autochtones après leur mise en liberté[47].

Racisme anti-Noirs

Le mois dernier, le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a indiqué qu’il existait des preuves claires témoignant du caractère endémique du profilage racial dans les stratégies et les pratiques utilisées par les forces de l’ordre. Le groupe de travail a ainsi exhorté le gouvernement canadien à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie de justice pour les Afro-Canadiens afin de lutter contre le racisme et la discrimination anti-Noirs dans le système de justice pénale[48].

La Cour suprême a également reconnu à plusieurs reprises la présence du racisme anti-Noirs au sein de la société et dans le système de justice pénale. Par exemple, dans l’arrêt R. c. R.D.S., la Cour a cité la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Parks[49] :

Le racisme, en particulier le racisme anti-noir, est partie intégrante de la mentalité de notre société. Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs. De surcroît, nos institutions, y compris la justice pénale, reflètent ces stéréotypes négatifs qu’elles perpétuent.

Reconnaissant l’existence du racisme dans la société canadienne, la Cour suprême a cité le Tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse : « Il faudrait être stupide, suffisant ou ignorant pour ne pas en reconnaître la présence, non seulement chez les individus, mais aussi au sein du système et des institutions »[50].

Dans l’arrêt R. c. Spence, la Cour suprême a de nouveau cité R. c. Parks et a repris le passage suivant tiré du rapport publié par Stephen Lewis en 1992[51] :

D’abord, ce à quoi nous avons affaire, fondamentalement, c’est à un racisme anti‑Noirs. Bien qu’il soit vrai, de toute évidence, que chacune des minorités visibles ressent les indignités et les blessures de la discrimination systémique qui sévit dans tout le Sud de l’Ontario, c’est la communauté noire qui est particulièrement visée. Ce sont les hommes noirs que l’on tue, ce sont les adolescentes et les adolescents noirs qui sont au chômage en nombres excessifs, ce sont les élèves noirs que l’on regroupe d’une façon qui ne correspond pas à leurs aptitudes véritables, ce sont les jeunes noirs qui abandonnent l’école en nombres disproportionnés, c’est dans les ensembles de logement où la concentration de résidentes et de résidents noirs est la plus forte que l’on se sent le plus vulnérable et le plus défavorisé, c’est au nez du personnel noir, professionnel et non professionnel, que claquent les portes de l’équité et de la promotion. De même que le baume du « multiculturalisme » ne peut pas masquer le racisme, le racisme ne peut pas masquer la cible qu’il vise en priorité. Je crois qu’il est important de reconnaître non seulement que Ie racisme est partout mais qu’à différentes époques et en des lieux différents, il s’attaque à certaines communautés minoritaires plus qu’à d’autres. Comme l’a dit un membre de l’Urban Alliance on Race Relations : « les Noirs sont en première ligne et nous suivons tous derrière ».

Vingt-cinq ans plus tard, les mots de Stephen Lewis gardent toute leur pertinence pour de nombreux membres de la communauté noire.

Une institution indépendante chargée de lutter contre la discrimination systémique dans les services policiers

Recommandation 1 :

Établir, par voie législative, une institution indépendante chargée de travailler de manière proactive, indépendante et transparente à la surveillance de la discrimination systémique dans les services policiers et à l’application des mesures législatives qui s’imposent. Cette institution devrait, entre autres :

  1. être dotée d’un mandat clair et spécifique pour prévenir la discrimination systémique dans les services policiers;
  2. posséder un savoir-faire dans l’analyse de la discrimination au sens du Code des droits de la personne et de la Charte des droits et libertés;
  3. comprendre les relations complexes entre la police et les personnes ayant des troubles mentaux, les Afro-Canadiens et les Autochtones (y compris l’impact continu du colonialisme);
  4. jouir d’une indépendance vis-à-vis du gouvernement, de la police et d’autres organismes de surveillance, tant sur le plan de l’autonomie institutionnelle qu’au niveau d’éventuelles craintes de partialité;
  5. être assujettie à une obligation de responsabilisation, de transparence et d’accessibilité vis-à-vis du public, ce qui implique de nouer activement le dialogue avec les communautés protégées par le Code afin de cerner les sujets de préoccupation et les solutions possibles, et de présenter des rapports destinés au public;
  6. être capable de consulter des documents et des dossiers, d’obliger les parties à les fournir et de mener des enquêtes pour déceler les comportements susceptibles de correspondre à une situation de discrimination systémique;
  7. disposer de pouvoirs coercitifs devant une cour ou un tribunal spécialisé habilité à ordonner des mesures de réparation systémiques;
  8. posséder les ressources et les capacités suffisantes pour s’acquitter de son mandat de manière continue.

La responsabilisation en matière de discrimination systémique dans le cadre du maintien de l’ordre ne peut pas reposer sur les services de police ou les organismes de surveillance existants. Pour accroître la confiance de la population, il est préférable d’établir une institution indépendante en vue d’exercer une surveillance efficace. Il est essentiel de collaborer avec les Premières Nations pour déterminer la nature et l’entendue de l’autorité de l’institution sur les services de police des Premières Nations en Ontario.

La discrimination systémique dans les services policiers est une réalité qui est, encore aujourd’hui, souvent niée par les services de police. Par exemple, face à la surreprésentation flagrante des jeunes hommes noirs et originaires du Moyen-Orient dans les contrôles routiers effectués par le Service de police d’Ottawa entre le 27 juin 2013 et le 26 juin 2015[52], le chef du Service de police d’Ottawa n’a exprimé aucune inquiétude et a affirmé que, d’après les chercheurs, les chiffres n’indiquaient aucunement l’existence d’un profilage racial[53]. Lorsque la CODP a déclaré publiquement que ces données étaient le signe d’un profilage racial, le président de l’Association des policiers d’Ottawa a qualifié la CODP d’« enfant irascible »[54]. De même, en 2012, malgré la surreprésentation manifeste des Afro-Canadiens dans les données issues du fichage à Toronto, notamment dans la catégorie des « enquêtes générales »[55], le chef du service de police de Toronto a déclaré que rien ne prouvait que les principes ou les activités des services policiers étaient empreints de racisme[56].

Bien que le BDIEP, l’UES, la CCOP, le BCCO et le Bureau de l’Ombudsman surveillent la police dans une certaine mesure, force est de constater qu’il existe une lacune fondamentale : ces organismes n’ont pas l’expertise suffisante pour déceler et analyser la discrimination systémique et n’ont pas le mandat d’exercer activement une surveillance de la discrimination systémique et de prendre des mesures coercitives à cet égard.

Le gouvernement doit combler cette lacune en mettant sur pied une institution indépendante chargée de travailler de manière proactive, indépendante et transparente à la surveillance de la discrimination systémique dans les services policiers et à l’application des mesures législatives qui s’imposent. Cette institution devrait avoir les caractéristiques suivantes.

Mandat et expertise

L’adoption d’un mandat visant expressément à prévenir la discrimination systémique dans les services policiers est un élément indispensable, qui répondrait en outre aux appels au changement. Grâce à un mandat clair et ciblé, le public saurait davantage où adresser les plaintes pour discrimination. Un tel mandat permettrait, par ailleurs, de recruter des dirigeants et des cadres supérieurs dont les aptitudes et les compétences serviraient précisément à promouvoir et à protéger les droits de la personne et pourraient ne pas être facilement transposables dans des enquêtes relatives à d’autres cas d’inconduite policière. En revanche, l’adoption d’un mandat général, vague et axé sur tous les cas d’inconduite policière risque de nuire à la responsabilisation aux yeux du public, d’entraver le recrutement d’experts en droits de la personne et de donner la priorité à des travaux autres que les activités de lutte contre la discrimination systémique[57].

La prévention de la discrimination systémique dans les services policiers nécessite de posséder une expertise spécialisée pour pouvoir analyser la discrimination au sens du Code et de la Charte, et notamment l’entrecroisement socialement important de la race, de la santé mentale et de la pauvreté. Pour prévenir la discrimination systémique au sein des services policiers envers les groupes vulnérables protégés par le Code et pour instaurer un climat de confiance, l’institution doit aussi connaître profondément les relations entre la police et les personnes ayant des troubles mentaux, les Afro-Canadiens et les Autochtones, y compris l’incidence du colonialisme sur les rapports entre la police et les Autochtones.

L’institution doit détenir cette expertise pour mener à bien, entre autres, les missions suivantes :

  • tisser des liens et établir un climat de confiance avec les communautés vulnérables et marginales afin de faciliter le partage de renseignements sensibles relativement aux allégations de discrimination systémique au sein des services policiers;
  • mener des enquêtes approfondies sur les droits de la personne, notamment en interrogeant les plaignants et témoins vulnérables et marginalisés;
  • déceler des tendances ou des pratiques discriminatoires, y compris en analysant des données ventilées relatives aux droits de la personne;
  • déterminer si les lacunes systémiques contribuent à la discrimination ou si elles permettent à la discrimination de persister, par exemple en examinant des politiques, des procédures, des pratiques et la culture institutionnelle;
  • collaborer avec les services de police et les commissions des services policiers pour mettre en œuvre des projets de changement organisationnel en matière de droits de la personne;
  • mettre au point des mesures de réparation d’intérêt public qui répondent aux problèmes identifiés, qui jettent les bases d’un travail de police non discriminatoire et qui puissent être ordonnées par une cour ou un tribunal spécialisé.
Responsabilisation, transparence et accessibilité

L’institution doit être responsable, transparente et accessible au public, ce qui suppose notamment qu’elle doit :

  • interagir de manière proactive et visible avec les groupes protégés par le Code aux quatre coins de la province, afin de cerner les problèmes et les solutions possibles, par exemple par le biais de séances de discussion ouverte, de comités consultatifs communautaires, de groupes de discussion ou encore de sondages;
  • adopter une stratégie de communication claire pour mieux faire connaître son existence et ses fonctions;
  • mettre à disposition des moyens de communication accessibles pour permettre au public d’accéder directement à l’information et de communiquer à l’institution des renseignements confidentiels;
  • présenter régulièrement des rapports publics sur le nombre et la nature des plaintes reçues, les données reçues et analysées, les conclusions des enquêtes menées, les résultats des initiatives de collaboration directe avec la police, l’issue des poursuites judiciaires et l’utilisation appropriée des fonds publics.
Indépendance

Pour éviter toute éventuelle crainte de partialité, il convient de recruter des enquêteurs ayant une vaste expérience, en particulier dans le domaine des enquêtes relatives aux droits de la personne ou dans des domaines connexes comme le travail social ou le droit social. Il convient de faire appel le moins possible à d’anciens agents de police et de recourir à leurs services uniquement dans le cadre de tâches qui n’entraîneraient aucune crainte de partialité.

Pour assurer son indépendance vis-à-vis du gouvernement, de la police et d’autres organismes de surveillance, l’institution doit[58] :

  • avoir un mandat conféré par la loi;
  • être chapeautée par un président ou une présidente nommé(e) par le lieutenant-gouverneur en conseil sur adresse de l’Assemblée;
  • présenter un rapport annuel directement au président de l’Assemblée;
  • avoir un pouvoir discrétionnaire absolu dans l’exercice de ses fonctions ou pouvoirs;
  • disposer d’un financement indépendant.
Pouvoirs en matière d’enquête et d’exécution de la loi

L’institution doit disposer des pouvoirs nécessaires pour assurer une surveillance efficace de la discrimination systémique. Elle doit notamment pouvoir consulter des documents et des dossiers, obliger les parties à les fournir et mener des enquêtes pour déceler les comportements susceptibles de correspondre à une situation de discrimination systémique. L’institution doit également être en mesure d’intenter une action devant une cour ou un tribunal spécialisé habilité à ordonner des mesures de réparation systémiques pour encourager le respect du Code à l’avenir.

Capacités et ressources

Des capacités suffisantes et des ressources humaines et financières durables sont indispensables pour que l’institution atteigne ses objectifs et établisse sa crédibilité. Il est possible de redéployer des ressources provenant d’autres organismes de surveillance afin de permettre à l’institution de mener à bien son important mandat.

Collecte de données identificatoires relevant des droits de la personne

Recommandation 2 :

Exiger que les services policiers établissent des systèmes permanents de collecte et de conservation des données afin de consigner les données identificatoires relevant des droits de la personne, à savoir, entre autres, tous les contrôles de civils, les incidents impliquant le recours à la force et les interactions au cours desquelles les agents de police posent des questions sur le statut d’immigration ou effectuent des vérifications de ce statut. Ces données devraient être normalisées, ventilées, compilées et publiées par chaque service de police, ainsi que fournies à l’institution. Elles devraient inclure l’âge, le sexe, la race apparente et la perception par l’agent de police d’une éventuelle déficience, y compris d’un trouble mental.

Recommandation 3 :

Obliger les autres institutions qui exercent des fonctions de surveillance de la police à faire ce qui suit :

  1. Diffuser publiquement tous les rapports d’enquête sur les blessures graves ou le décès de civils qui surviennent dans le cadre d’incidents impliquant la police. Ces rapports devraient comporter des renseignements sur la victime, notamment sa race, son sexe, son âge et la présence réelle ou perçue d’un éventuel trouble mental chez la victime, sous réserve des expurgations à effectuer conformément aux lois sur le respect de la vie privée.
  2. Recueillir des données identificatoires relevant des droits de la personne communiquées à titre volontaire par des plaignants dénonçant des cas d’inconduite policière. Ces données devraient être normalisées, ventilées, compilées et publiées.
  3. Rendre publics :
    1. le nombre de plaintes, d’enquêtes et/ou d’appels portant sur des cas allégués de discrimination dans les services policiers qui enfreignent le Code, en le ventilant selon les motifs de discrimination interdits aux termes du Code;
    2. le nombre de personnes grièvement blessées ou décédées lors d’incidents impliquant la police, en le ventilant selon la race, l’âge, le sexe et la présence ou non d’un trouble mental réel ou perçu.

L’institution chargée de la surveillance de la discrimination systémique au sein des services policiers et de l’application des lois y afférentes devrait examiner les données relatives à la race et à la santé mentale afin de déceler les comportements des agents de police qui peuvent relever de la discrimination systémique. Lorsque ces comportements sont manifestes, l’institution peut intenter une action devant une cour ou un tribunal spécialisé et demander des mesures de réparation d’intérêt public.

Alors même que les données identificatoires fondées sur les droits de la personne sont essentielles à la surveillance et à la responsabilisation en cas de discrimination systémique, les services de police, le BDIEP, l’UES et la CCOP ont constamment échoué à les recueillir et le gouvernement n’a jamais exigé leur collecte. Cette situation compromet les efforts déployés pour examiner le travail de ces organismes de surveillance en matière de lutte contre la discrimination et tenir les services de police responsables de la discrimination systémique.

Les modèles les plus efficaces sont ceux qui associent surveillance indépendante et responsabilisation

Les expériences au Royaume-Uni et aux États-Unis montrent que les modèles les plus efficaces de surveillance de la discrimination systémique sont ceux qui associent une surveillance régulière et indépendante et une responsabilisation claire, c’est-à-dire la menace de l’exécution de la loi.

L’organisme Her Majesty’s Inspectorate of Constabulary (HMIC) est un organisme indépendant qui a la responsabilité légale d’inspecter les forces de police en Angleterre et au pays de Galles et de faire rapport sur leur efficience et leur efficacité. Dans un rapport publié en 2013, l’organisme a constaté que 27 p. 100 (2 338) des dossiers d’interpellation et de fouille qu’il a examinés ne comportaient aucun motif raisonnable de fouille, ce qui donne à penser que les forces de police « ne respectaient peut-être pas pleinement les exigences inhérentes à l’obligation d’égalité du secteur public ». En vertu de cette obligation, les services de police doivent « tenir dûment compte de la nécessité d’éliminer la discrimination illégale et de promouvoir l’égalité des chances, de favoriser de bonnes relations et, à cette fin, de collecter, d’analyser et de publier des données comme il se doit afin de démontrer qu’ils ont suffisamment de renseignements pour comprendre l’incidence de leur travail »[59].

Le rapport dresse également les constats suivants[60] :

  • Les membres de la communauté noire et des « groupes ethniques minoritaires » ont été interpellés et fouillés en plus grand nombre que la population blanche (relativement à la population résidente).
  • Un quart des quelque 20 000 membres du grand public interrogés étaient d’avis que certains groupes de la société risquaient d’être interpellés et fouillés à une fréquence plus élevée que d’autres groupes, et un tiers d’entre eux attribue ce constat à la discrimination illégale (la proportion atteint environ 55 p. 100 parmi les Noirs et les membres des « minorités ethniques » interrogés).

Le HMIC a formulé 10 recommandations dans son rapport, mais a constaté en 2015 que l’application de la moitié d’entre elles n’avait pas suffisamment progressé, en particulier la recommandation selon laquelle les chefs des services de police et le College of Policing devraient « clairement préciser en quoi consiste l’exercice effectif et juste des pouvoirs d’interpellation et de fouille, et fournir des directives à cet égard »[61]. En matière de responsabilisation, les pouvoirs du HMIC sont manifestement limités : incapable de faire appliquer ses recommandations, l’organisme ne peut qu’évaluer les progrès réalisés.

La Division des droits civils du ministère de la Justice américain applique, quant à elle, un modèle qui combine surveillance indépendante et pouvoirs coercitifs en ce qui concerne la discrimination systémique au sein des services policiers. La Division a le pouvoir de mener des enquêtes et d’engager des actions civiles en vertu de lois fédérales, qui interdisent notamment la discrimination et permettent des mesures de réparation systémiques[62]. Selon la nature des renseignements ayant motivé l’enquête, la Division peut examiner « si le service de police s’est livré à des pratiques en matière d’interpellation, de fouille ou d’arrestation qui contreviennent au quatrième amendement; à un recours excessif à la force; à des activités policières discriminatoires; à une violation des droits constitutionnels des auteurs présumés d’infractions pénales; ou à une violation des droits garantis par le premier amendement »[63]. La Division « détermine si les lacunes systémiques contribuent à l’inconduite ou si elles permettent à l’inconduite de persister » au cours d’une enquête. La participation communautaire est une composante essentielle des enquêtes de la Division et des mesures de réparation systémiques qu’elle met au point, le cas échéant[64].

La Division des droits civils a notamment usé de ses pouvoirs coercitifs en rendant en 2016 un jugement d’expédient exigeant que la ville de Ferguson mette en œuvre des réformes pour s’assurer que les pratiques d’interpellation, de fouille et d’arrestation sont exemptes de toute discrimination fondée sur la race. Le jugement d’expédient a permis de régler le litige en instance de la Division des droits civils. Il a été rendu après que l’enquête de la Division eut conclu que les pratiques du service de police de Ferguson « reflétaient et exacerbaient les préjugés raciaux existants ».

Parmi les réformes prévues, les agents de police devront être équipés de caméras portatives; ils devront recevoir une formation et des directives claires sur les conduites illégales, comme les activités coercitives sélectives et fondées sur des stéréotypes ou des préjugés; et ils devront suivre chaque année une formation sur l’existence des stéréotypes et des préjugés implicites et leur impact sur les décisions des agents et les interactions avec le public. De plus, la ville de Ferguson a accepté d’évaluer et, en cas de besoin, d’améliorer la précision et la fiabilité des processus de collecte et d’analyse des « données sur le profilage racial » et de prendre des mesures correctives immédiates si elle relève des signes de conduite discriminatoire illégale. Un observateur indépendant évaluera la mise en œuvre du jugement d’expédient, fournira un soutien technique à la ville de Ferguson et rendra compte de la mise en œuvre des réformes par la ville au moyen de rapports publics réguliers[65].

Les organismes de surveillance existants ne peuvent pas lutter contre la discrimination systémique

Recommandation 3 :

Obliger les autres institutions qui exercent des fonctions de surveillance de la police à faire ce qui suit :

  1. Aviser les plaignants ou les proches parents qu’ils ont le droit de déposer une requête auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) pour toute discrimination alléguée aux termes du Code, et leur fournir les coordonnées du Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne (CAJDP).
  1. Communiquer à l’institution chargée de surveiller la discrimination systémique dans les services policiers les plaintes reçues et les enquêtes menées relativement à des allégations de discrimination, y compris les requêtes présentées au TDPO alléguant des cas de discrimination dans les services policiers.
  1. Modifier les délais de prescription applicables à la présentation d’une plainte pour inconduite et au dépôt d’une requête auprès du TDPO relativement à un cas de discrimination dans les services policiers, afin que ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la publication d’un rapport sur les blessures graves ou le décès du civil.
  1. S’assurer que les plaintes du public relatives aux cas d’inconduite d’un agent de police, y compris les plaintes relatives à des allégations de discrimination, ne sont pas traitées par les services de police incriminés.
  1. Veiller à ce que les enquêteurs au sein des organismes de surveillance reflètent les communautés qu’ils desservent et ne soient pas essentiellement composés d’anciens agents de police.

Pour diverses raisons, y compris à cause des cadres législatifs existants, les organismes de surveillance de la police n’ont pas suffisamment répondu aux appels communautaires visant à instaurer un système transparent, indépendant et proactif de surveillance et de responsabilisation en matière de discrimination systémique au sein des services policiers.

Le BDIEP, l’UES, la CCOP, le BCCO et l’Ombudsman n’ont pas l’expertise suffisante pour déceler et analyser la discrimination systémique et n’ont pas le mandat d’exercer activement une surveillance de la discrimination systémique et de prendre des mesures coercitives à cet égard. En d’autres termes, ces organismes sont dépourvus des éléments clés permettant de surveiller efficacement la discrimination systémique.

Bien que la CODP ait le mandat et l’expertise nécessaires pour jouer un rôle dans la surveillance de la police, elle ne possède pas suffisamment de ressources pour surveiller de manière proactive et régulière tous les services de police et les tenir responsables en cas de discrimination systémique. Par exemple, depuis les changements apportés en 2008 au système des droits de la personne, la CODP n’a plus la capacité de recevoir des plaintes du public ni de les examiner. En outre, la police n’est qu’un type de prestataire de services et elle est, à ce titre, assujettie aux obligations permanentes découlant du Code. La CODP ne peut pas orienter l’ensemble de ses ressources limitées vers une meilleure responsabilisation dans un secteur donné.

Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police

Le BDIEP a été constitué en 2007 avec pour mandat de recevoir, gérer et superviser l’ensemble des plaintes du public à l’égard de la police en Ontario au sujet de la conduite d’un agent de police ou encore des politiques d’un corps de police ou des services offerts par celui-ci[66].

Le BDIEP a également le mandat d’effectuer des examens systémiques qui « font l’objet de plaintes [du public] ou qui donnent lieu à de telles plaintes »[67]. Depuis sa création, le BDIEP a effectué deux examens systémiques. Selon le BDIEP, un examen systémique « ne porte pas que sur les questions immédiates soulevées par une plainte. Il permet aussi d’observer les causes sous-jacentes pour déterminer si les pratiques d’un organisme respectent son cadre juridique et stratégique et, plus important encore, si ce cadre peut être amélioré pour éviter que de tels événements surviennent de nouveau à l’avenir ». Le but d’un examen systémique est « de déterminer s’il y a eu des lacunes systémiques, de formuler des recommandations pour combler ces lacunes ainsi que de regagner et d’accroître la confiance du public envers les corps policiers et les services de maintien de l’ordre »[68]. Toutefois, les recommandations du BDIEP n’ont aucune valeur contraignante.

Le mandat du BDIEP est axé sur le traitement des plaintes. La discrimination au sens du Code est une forme d’inconduite qui relève des cas de conduite déshonorante et qui peut, à ce titre, donner lieu à une plainte du public[69]. Une analyse des activités du BDIEP à ce jour indique, d’une part, que la discrimination n’est pas au cœur du mandat du BDIEP et, d’autre part, que le BDIEP ne semble pas exercer une surveillance régulière de la discrimination systémique[70].

Même si la discrimination au sein des services policiers devient une priorité du BDIEP, la CODP éprouve des réserves quant à l’expertise du BDIEP et aux moyens dont il dispose pour renforcer cette expertise, malgré la formation en droits de la personne qu’elle a dispensée au BDIEP par le passé. À titre d’exemple, citons notamment l’examen systémique du BDIEP sur les pratiques de la Police provinciale de l’Ontario en ce qui a trait aux prélèvements collectifs volontaires d’ADN (intitulé Coup de filet)[71] et l’enquête du BDIEP sur la plainte « Neptune 4 »[72].

Enfin, lors des consultations communautaires que nous avons menées afin d’élaborer le présent mémoire, nous avons régulièrement entendu qu’aux yeux des communautés marginalisées, le BDIEP était un organisme biaisé parce que la moitié de ses 14 enquêteurs sont d’anciens policiers et qu’il s’appuie sur les services de police pour mener la majorité des enquêtes[73]. Sur les 2 926 plaintes reçues par le BDIEP entre le 1er avril 2014 et le 31 mars 2015, 1 280 ont été retenues à des fins d’enquête. Parmi ces plaintes, 1 105 (87 p. 100) ont été renvoyées au service de police faisant l’objet de la plainte, au lieu d’être retenues par le BDIEP à des fins d’enquête[74]. Il existe une crainte évidente de partialité lorsque des agents sont chargés d’enquêter sur la conduite de leurs collègues au sein du même corps de police.

Unité des enquêtes spéciales

L’UES a été constituée en 1990 avec le mandat de faire mener des enquêtes sur les circonstances qui sont à l’origine de blessures graves et de décès pouvant être imputables à des infractions criminelles, notamment des agressions sexuelles, de la part d’agents de police. L’UES n’a pas le pouvoir d’enquêter sur des allégations de violation du Code ou de faire des constatations de discrimination[75].

Les conduites examinées par l’UES peuvent ne pas donner lieu à des accusations criminelles, mais elles peuvent tout de même se révéler discriminatoires. En d’autres termes, une conduite policière discriminatoire qui viole le Code ne débouche pas forcément sur des accusations criminelles. Par exemple, une enquête de l’UES peut révéler qu’un agent de police n’a pas tenté d’employer d’autres stratégies de communication ou de désamorcer la situation au début d’une interaction qui ne comportait aucune menace grave pour la sécurité de l’agent ou du public; malgré tout, l’UES peut en fin de compte estimer que l’usage de la force létale par l’agent de police était justifié (c’est-à-dire qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’agent a, dans les circonstances, outrepassé les limites relatives à l’emploi justifié de la force, conformément au paragraphe 25 (3) et à l’article 34 du Code criminel[76]).

Évoquant le décès de Michael Eligon, abattu par la police en février 2012, l’ancien directeur de l’UES, Ian Scott, fait état des limites inhérentes à la compétence de l’UES dans des circonstances semblables. M. Eligon avait été involontairement admis à l’Hôpital Toronto East General en vertu de la Loi sur la santé mentale. Il a été abattu dans la rue alors qu’il portait une blouse d’hôpital et tenait une paire de ciseaux. Lorsque l’agent impliqué a rencontré M. Eligon pour la première fois, il a conclu que M. Eligon avait un trouble mental. Ian Scott a ainsi déclaré[77] :

Cet incident tragique suscite quelques questions légitimes. Comment M. Eligon a-t-il pu quitter l’hôpital? Les agents de première ligne devraient-ils suivre une formation différente pour faire face à ce genre de situation? Devraient-ils recevoir des armes à impulsions? Bien que ces questions puissent trouver réponse dans le cadre d’une enquête du coroner si le bureau du coroner en ordonne une, elles ne portent pas directement sur la question que je dois trancher en vertu de la loi : l’agent impliqué avait-il de bonnes raisons d’utiliser la force létale dans ces circonstances? Comme j’ai tenté de l’expliquer, je suis d’avis que oui et en conséquence, je n’ai aucun motif raisonnable de croire que l’agent a commis une infraction criminelle en rapport avec le décès tragique de M. Eligon.

En effet, le jury de l’enquête sur les décès de Reyal Jardine-Douglas, de Sylvia Klibingaitis et de Michael Eligon a formulé plusieurs recommandations visant à réduire l’usage discriminatoire de la force contre les personnes ayant des troubles mentaux, recommandations dont la CODP s’est fait écho. Elles prévoient notamment de recueillir et d’analyser des données fondées sur les droits de la personne, d’offrir une formation intégrée, axée sur la désescalade et reposant sur des scénarios, et d’accroître la disponibilité des équipes mobiles d’intervention en cas de crise[78].

Par ailleurs, une enquête de l’UES peut révéler des éléments laissant à penser que l’interrogatoire d’un Afro-Canadien relève du profilage racial, mais l’UES peut estimer que l’interaction a évolué au point que des motifs raisonnables justifient les actes de l’agent impliqué comme des actes de légitime défense. L’enquête de l’UES et l’enquête du coroner sur le décès de Jermaine Carby ont révélé que M. Carby, un Afro-Canadien interpellé à bord d’un véhicule, avait été fiché quelques instants avant qu’il ne soit abattu[79]. L’UES a conclu que M. Carby avait sorti un couteau au cours de l’interrogatoire qui s’est ensuivi et qu’il existait des motifs raisonnables de conclure que l’agent en cause avait agi en toute légitime défense[80].

Précisons que les conclusions des enquêtes de l’UES sur les décès de M. Eligon et de M. Carby ne signifient pas forcément que l’UES ne remplit pas son mandat. Elles illustrent plutôt les limites de son champ de compétence. En effet, l’UES n’est pas chargée de mener des enquêtes sur des allégations de violation du Code. Elle n’a donc pas évalué si M. Eligon avait fait l’objet d’un recours à la force discriminatoire fondé sur la race et la santé mentale ou si M. Carby avait été victime de profilage racial.

Bien qu’il importe d’améliorer la transparence du processus et des conclusions de l’UES, la CODP ne pense pas qu’une transparence accrue suffira à garantir la responsabilisation et la surveillance de la discrimination systémique au sein des services policiers. Par exemple, dans l’affaire Andrew Loku, la publication d’un rapport expurgé de l’UES[81] n’a pas étouffé les pressions appelant la police à rendre des comptes sur le meurtre de M. Loku[82]. L’UES n’a pas déterminé s’il y avait discrimination et n’en avait d’ailleurs pas la capacité[83].

Commission civile de l’Ontario sur la police

La CCOP a été constituée en 2007 et examine principalement les appels de décisions disciplinaires de la police. Elle a également pour mandat de[84] :

  • trancher les différends concernant des questions budgétaires entre les conseils municipaux et les commissions des services policiers;
  • tenir des audiences sur les demandes de réduction, d’abolition, de création ou de fusion de services de police;
  • mener des enquêtes sur la conduite des chefs de police, des agents de police et des membres des commissions des services policiers;
  • formuler des recommandations sur les politiques d’un service de police ou les services offerts par celui-ci.

Aucune information publiquement disponible n’indique que la CCOP a utilisé ses pouvoirs d’enquête pour lutter contre la discrimination dans les services policiers. Nous comprenons également que ses capacités et ses ressources sont limitées pour entreprendre de telles enquêtes. De plus, la CCOP ne possède pas d’expertise en analyse de la discrimination et n’a pas le mandat de prévenir la discrimination systémique.

Bureau du coroner en chef de l’Ontario

Les enquêtes du coroner sont menées par un coroner devant un jury composé de cinq membres de la communauté[85]. Le coroner doit tenir une enquête si une personne décède pendant qu’elle est détenue par un agent de police ou qu’elle est sous sa garde[86]. Le but d’une enquête est d’informer le public sur les circonstances d’un décès (identité du défunt, cause, moment et endroit du décès et circonstances)[87]. Les jurys du coroner formulent également des recommandations pour empêcher des décès similaires à l’avenir[88]. Le BCCO n’a pas le mandat de prévenir la discrimination systémique et le coroner en chef ou le coroner qui préside à l’enquête n’est pas tenu d’avoir une expertise juridique ou en matière de droits de la personne.

Les recommandations des jurys du coroner, comme celles établies dans le cadre des enquêtes sur les décès de Reyal Jardine-Douglas, de Sylvia Klibingaitis, de Michael Eligon et de Jermaine Carby, visent parfois la réduction de la discrimination. Toutefois, les jurys du coroner ne peuvent pas faire de constatations de discrimination[89]. En outre, leurs recommandations ne sont pas contraignantes et ne sont souvent pas mises en œuvre[90] :

Il y a eu de nombreuses fusillades policières mortelles en Ontario, dont les victimes étaient des personnes atteintes de maladie mentale, au cours des dernières années – plus de 40 rien que depuis 2000. Elles ont déclenché de multiples enquêtes et études. Depuis 1989, les enquêtes du coroner se sont soldées par plus de 550 recommandations en vue d’améliorations et de changements. À la suite du tir mortel dont Sammy Yatim a été victime, Frank Iacobucci, ancien juge de la Cour suprême maintenant à la retraite, a publié un rapport et des recommandations pour le Service de police de Toronto. Quant au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario, qui a légalement la responsabilité du maintien de l’ordre en vertu de la Loi sur les services policiers, il a entrepris une étude sur les interactions entre les policiers et les personnes atteintes de maladie mentale, un an avant le décès de Sammy Yatim, mais cette étude a produit peu de résultats plus de quatre ans après.

Depuis près de trois décennies, ces rapports et recommandations soulignent encore et toujours l’importance, pour les policiers, de recourir à des techniques de désescalade face à des gens en crise. Ils préconisent de simples directives, par exemple offrir calmement une aide, au lieu de hurler des ordres après avoir dégainé leurs armes. Pourtant, bien peu de mesures concrètes ont été prises en ce sens[91].

Ombudsman

L’ombudsman enquête sur les plaintes du public concernant les services du gouvernement de l’Ontario[92]. Comme pour les jurys du coroner, les recommandations de l’ombudsman peuvent porter sur la réduction de la discrimination, à l’instar de celles formulées dans Une question de vie ou de mort, mais elles n’ont aucune valeur contraignante[93]. En outre, d’après un examen des enquêtes de l’ombudsman relatives aux droits de la personne, il ne semble pas que l’ombudsman entreprenne une analyse de la discrimination ou établisse des constatations de discrimination[94]. Il ne semble pas non plus que l’ombudsman effectue une surveillance régulière de la discrimination systémique[95]. Quoi qu’il en soit, les commissions des services policiers ne sont pas supervisées par l’ombudsman[96].

Commissions des services policiers et systèmes de traitement des plaintes contre la police

Malgré la jurisprudence pertinente[97], la façon dont les services de police interprètent la distinction entre les politiques et les activités sur le terrain les a souvent empêchés de rendre des comptes en matière de discrimination systémique. C’est ainsi qu’a été suspendue la mise en œuvre de la politique sur les contacts communautaires adoptée en avril 2014 par la Commission de services policiers de Toronto. Cette politique limitait les « contacts » aux situations où les agents de police enquêtent sur une infraction précise ou une série d’infractions, où ils empêchent une infraction précise et où ils veillent à la sécurité d’une personne[98]. Il a également été mis fin à l’application de la recommandation de la Commission des services policiers de Peel de suspendre la pratique des contrôles de routine[99].

De plus, à la connaissance de la CODP, les tribunaux disciplinaires de la police ne sont pas compétents pour traiter les allégations de discrimination systémique (par opposition aux cas individuels de conduite discriminatoire par un agent de police) ou pour ordonner des mesures de réparation d’ordre général et systémique. En effet, la CODP n’a pas été autorisée à intervenir dans l’affaire Neptune 4 devant le tribunal du service de police de Toronto pour exprimer son point de vue sur le profilage racial[100]. Enfin, comme il a été indiqué plus haut, les plaintes du public concernant les cas d’inconduite des agents de police sont dans une très large mesure examinées par les services de police auxquels les plaintes sont liées, plutôt que par un organisme indépendant.

La Commission ontarienne des droits de la personne

Le système ontarien des droits de la personne est composé de trois organismes distincts. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario est l’organisme qui reçoit et traite les requêtes en matière de droits de la personne. Le Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne fournit une assistance juridique aux personnes qui estiment avoir fait l’objet de discrimination au sens du Code. Comme il a déjà été mentionné, la CODP est chargée de promouvoir et de faire respecter les droits de la personne, de nouer des relations reposant sur les principes de dignité et de respect, et d’instaurer une culture de la conformité et de la responsabilisation à l’endroit des droits de la personne. Dans le cadre de notre mission, nous dénonçons, contestons et éliminons les structures et les systèmes discriminatoires profondément enracinés. Nos moyens d’action sont la sensibilisation, l’élaboration de politiques, la réalisation d’enquêtes publiques et l’intervention dans le cadre de litiges.

Compte tenu du mandat qui lui a été confié par la loi et des pouvoirs connexes dont elle dispose en matière de surveillance et d’exécution de la loi, la CODP joue un rôle dans la surveillance policière. Par exemple, la CODP a publié le guide Droits de la personne et services policiers : créer et maintenir un changement organisationnel[101], elle a présenté des mémoires à l’ombudsman et au juge Iacobucci sur l’usage de la force par la police à l’endroit des personnes ayant des troubles mentaux[102], et elle a plaidé et eu gain de cause dans le cadre de la première plainte pour profilage racial étudiée par le TDPO[103].

Plus récemment, la CODP a remis au gouvernement un mémoire détaillé sur sa Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, dans le but d’intégrer les droits de la personne dans les services policiers[104]. Par ailleurs, la CODP est intervenue dans l’affaire Roberts c. Toronto Police Services Board, une requête portée devant le TDPO qui soulève la question du profilage racial, y compris le recours à la force par les agents de police[105].

Toutefois, étant donné la portée du mandat de la CODP et l’actuel climat de restriction budgétaire, la CODP ne possède pas les ressources suffisantes pour surveiller de façon proactive et régulière tous les services de police de l’Ontario (plus de 50 au total) et les responsabiliser en cas de discrimination systémique. Même si la CODP donnera, au cours des cinq prochaines années, la priorité à ses activités de lutte contre la discrimination systémique dans le système de justice pénale, dans le cadre de ses ressources actuelles, elle ne saurait se substituer à une institution dotée de moyens efficaces pour surveiller la discrimination systémique au sein des services policiers. En outre, à moins que le gouvernement ne confie expressément à la CODP la mission de veiller à la responsabilisation des services policiers en matière de discrimination systémique, la CODP ne pourrait pas justifier au public la décision d’allouer une grande partie de ses ressources à ce domaine. Bien qu’il soit urgent de traiter cette question, il existe également des préoccupations pressantes relatives à d’autres aspects du mandat de la CODP.

Conclusion

La discrimination systémique au sein des services policiers est une question d’intérêt public qu’il convient de traiter de toute urgence. Face aux dénis de la police et aux lacunes importantes au sein des organismes de surveillance existants, des changements fondamentaux s’imposent. Le moment est venu de donner suite aux recommandations de la CODP. Le gouvernement doit mettre sur pied une institution indépendante qui serait spécialement chargée d’assurer activement la surveillance de la discrimination systémique dans les services policiers et d’appliquer la législation y afférente.

 


[2] Ontario, Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash, vol. 2 (Toronto : Imprimeur de la Reine, 2007), p. 326-327, en ligne : Ontario www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/inquiries/ipperwash/fr/report/vol_2/index.html [Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash]; Jonathan Rudin, Aboriginal Peoples and the Criminal Justice System (Toronto : Commission d’enquête sur Ipperwash, 2005), p. 1 et 33, en ligne : ministère du Procureur général www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/inquiries/ipperwash/policy_part/research/pdf/Rudin.pdf [Document Rudin commandé par la Commission d’enquête sur Ipperwash]; Scot Wortley et Akwasi Owusu-Bempah, « Crime and Justice: The Experiences of Black Canadians », dans Barbara Perry (dir.), Diversity, Crime and Justice in Canada (New York : Oxford University Press, 2011), p. 127 [Crime and Justice]; Scot Wortley et Akwasi Owusu-Bempah, « The usual suspects: police stop and search practices in Canada » (2011), Policing and Society, vol. 21, no 4, p. 395; Christopher O’Connor, « Citizen attitudes toward the police in Canada » (2008), Policing: An International Journal of Police Strategies & Management, vol. 31, no 4, p. 578; Liqun Cao, « Aboriginal People and Confidence in the Police » (2014), Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, vol. 56, no 5, p. 499; Jihong Zhao et coll., « Anti-gang Initiatives as Racialized Policy », dans Darnell Hawkins et coll. (dir.), Crime Control and Social Justice: The Delicate Balance (Westport : Greenwood Press, 2003); Shaun Gabbidon et coll., « Race, Gender, and the Perception of Recently Experiencing Unfair Treatment by the Police: Exploratory Results from an All-Black Sample » (2011), Criminal Justice Review, vol. 36, no 1, p. 5; Commission ontarienne des droits de la personne, Parce qu’on importe! Rapport de la consultation sur les droits de la personne, les troubles mentaux et les dépendances (2012), p. 115-118; Bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes, Les Plumes de l’espoir : La justice et les jurys – Le plan d’action en matière de justice des jeunes Autochtones, p. 39-53, en ligne : Bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes http://provincialadvocate.on.ca/documents/fr/JJ_Fr.pdf [Les plumes de l’espoir]; Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), Report of the inquiry concerning Canada of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women under article 8 of the Optional Protocol to the Convention on the Elimination of All forms of Discrimination against Women, 2015, document des Nations Unies 15-05083, par. 142 [Rapport CEDAW]; Ontario Native Women’s Association, Environmental Scan & Consultation Report (2012), p. 13, en ligne : Ontario Native Women’s Association www.onwa.ca/upload/documents/onwa-environmental-scan-.pdf [Analyse de l’environnement de l’ONWA].

[3] Chris Gibson et coll., « The Impact of Traffic Stops on Calling the Police for Help » (2010), Criminal Justice Policy Review, vol. 21, no 2, p. 139; Lee Ann Slocum et coll., « Neighbourhood Structural Characteristics, Individual-Level Attitudes, and Youths’ Crime Reporting Intentions » (2010), Criminology, vol. 48, no 4, p. 1063; Tom Tyler et Jeffrey Fagan, « Legitimacy and Cooperation: Why do People Help the Police Fight Crime in Their Communities », Ohio State Journal of Criminal Law, vol. 6, p. 231.

[4] Ministère de la Justice américain, « Investigation of the Baltimore City Police Department » (10 août 2016), p. 139; voir aussi Kent Roach et coll., « Reforming Ontario’s Special Investigations Unit » (2013), Criminal Law Quarterly, vol. 60, p. 191.

[5] Nations Unies, Handbook on police accountability, oversight and integrity, New York : Nations Unies, 2011, p. 8, en ligne : Nations Unies www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/crimeprevention/PoliceAccountability_Oversight_and_Integrity_10-57991_Ebook.pdf [Manuel des Nations Unies].

[8] Ontario Native Women’s Association et Ontario Federation of Indegenous Friendship Centres, A Strategic Framework to End Violence Against Aboriginal Women (Cadre stratégique pour faire cesser la violence faite aux femmes autochtones, 2007), en ligne : OFIFC www.ofifc.org/sites/default/files/docs/Strategic%20Framework%20to%20End%20VAAW.pdf.

[9] Rapport CEDAW, supra, par. 157.

[10] Commission de vérité et réconciliation du Canada, Ce que nous avons retenu : Les principes de la vérité et de la réconciliation (2015), p. 4 et 130, en ligne : CVR www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Principes%20de%20la%20verite%20et%20de%20la%20reconciliation.pdf.

[11] OFIFC, « Consultation Response on the Review of the Loi sur les services policiers » (réponse de l’OFIFC dans le cadre des consultations sur l’examen de la Loi sur les services policiers) (mars 2016); lettre de l’OFIFC au ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (4 mai 2016).

[13] Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, chap. H.19, art. 29.

[14] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances (2014), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/politique-sur-la-pr%C3%A9vention-de-la-discrimination-fond%C3%A9e-sur-les-troubles-mentaux-et-les-d%C3%A9pendances [Politique sur les troubles mentaux].

[15] Commission ontarienne des droits de la personne, Parce qu’on importe! Rapport de la consultation sur les droits de la personne, les troubles mentaux et les dépendances (2012), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/parce-qu%E2%80%99-importe [Parce qu’on importe!].

[16] Commission ontarienne des droits de la personne, Droits de la personne et services policiers : créer et maintenir un changement organisationnel (2011), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/cduo-elearning-la-vostra-fonte-di-e-learning-sui-diritti-umani/droits-de-la-personne-et-services-policiers-cr%C3%A9er-et-maintenir-un-changement-organisationnel [Droits de la personne et services policiers].

[17] Commission ontarienne des droits de la personne, Comptez-moi! Collecte de données relatives aux droits de la personne (2009), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/comptez-moi-collecte-de-donn%C3%A9es-relatives-aux-droits-de-la-personne [Comptez-moi!].

[18] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale (2005), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/sites/default/files/attachments/Policy_and_guidelines_on_racism_and_racial_discrimination_fr.pdf [Politique sur le racisme].

[19] Commission ontarienne des droits de la personne, Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial (2003), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/sites/default/files/attachments/Paying_the_price%3A_The_human_cost_of_racial_profiling_fr.pdf [Un prix trop élevé].

[20] Commission ontarienne des droits de la personne, Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario – Mémoire de la CODP présenté au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (2016), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/strat%C3%A9gie-pour-une-meilleure-s%C3%A9curit%C3%A9-en-ontario-%E2%80%93-m%C3%A9moire-de-la-codp-pr%C3%A9sent%C3%A9-au-mscsc [Mémoire sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario].

[21] Commission ontarienne des droits de la personne, Mémoire de la CODP au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels sur les contrôles de routine (2015), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/m%C3%A9moire-de-la-codp-au-minist%C3%A8re-de-la-s%C3%A9curit%C3%A9-communautaire-et-des-services-correctionnels-sur-les-0 [Mémoire sur les contrôles de routine].

[22] Commission ontarienne des droits de la personne, Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne présenté dans le cadre de l’examen systémique des pratiques de la Police provinciale de l’Ontario en matière de prélèvement d’échantillons d’ADN réalisé par le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (2014), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/m%C3%A9moire-de-la-codp-pr%C3%A9sent%C3%A9-dans-le-cadre-de-lexamen-syst%C3%A9mique-des-pratiques-de-la-police [Mémoire sur les prélèvements d’échantillons d’ADN].

[23] Commission ontarienne des droits de la personne, Mémoire présenté par la Commission ontarienne des droits de la personne dans le cadre de l’examen indépendant de l’usage de force létale mené par les services de police de Toronto (2014), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/m%C3%A9moire-pr%C3%A9sent%C3%A9-par-la-commission-ontarienne-des-droits-de-la-personne-dans-le-cadre-de-l%E2%80%99examen.

[24] Commission ontarienne des droits de la personne, Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne présenté dans le cadre de l’enquête de l’ombudsman sur les directives fournies aux services de police par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels pour désamorcer les situations de conflit (2014), en ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/m%C3%A9moire-de-la-codp-pr%C3%A9sent%C3%A9-dans-le-cadre-de-l%E2%80%99enqu%C3%AAte-de-l%E2%80%99ombudsman-sur-les-directives-fournies.

[25] Voir par exemple : Nassiah v. Peel (Regional Municipality) Services Board, 2007 HRTO 14 [Nassiah]; Sinclair v. London (City), 2008 HRTO 48 [Sinclair]; Shaw v. Phipps, 2010 ONSC 3884 (Cour divisionnaire), conf. 2012 ONCA 155 [Phipps (Cour divisionnaire)]; Shaw v. Phipps, 2012 ONCA 155 [Phipps (Cour d’Appel)]; Maynard v. Toronto Police Services Board, 2012 HRTO 1220 [Maynard]; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396; Forrester v. Peel (Regional Municipality) Police Services Board et al., 2006 HRTO 13 (CanLII); Claybourn v. Toronto Police Services Board, 2013 HRTO 1298 (CanLII); Ontario (Community Safety and Correctional Services) v. De Lottinville, 2015 ONSC 3085 (Cour divisionnaire) (CanLII); www.ohrc.on.ca/fr/centre_des_nouvelles/la-codp-intervient-dans-un-cas-de-profilage-racial-et-de-recours-%C3%A0-la-force-discriminatoire; www.ohrc.on.ca/fr/centre_des_nouvelles/la-codp-demande-lautorisation-dintervenir-dans-une-affaire-de-profilage-racial; www.ohrc.on.ca/fr/centre_des_nouvelles/la-codp-demande-au-procureur-de-la-police-de-soulever-le-probl%C3%A8me-du-profilage-racial-dans-l%E2%80%99affaire.

[28] Snow v. Honda of Canada Manufacturing, 2007 HRTO 45 (CanLII), au par. 19 [Snow].

[29] Code des droits de la personne, supra, par. 47 (2); Snow, supra aux par. 19 et 20.

[30] Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, chap. P.15, art. 1.

[31] L’honorable John W. Morden, Independent Civilian Review into Matters Relating to the G20 Summit (Toronto, 2012), p. 49 [Rapport Morden], en ligne : Commission de services policiers de Toronto www.tpsb.ca/g20/ICRG20Mordenreport.pdf [Rapport Morden].

[32] Loi sur les services policiers, art. 80; annexe du Règl. de l’Ont. 268/10, sous-alinéas 2 (1) a) (i) et (ii).

[33] Code des droits de la personne, supra, art. 1.

[34] Par exemple, un jeune homme noir peut être perçu à la fois comme « Noir », comme « jeune » et comme « homme ». Ces trois aspects de l’identité se chevauchent et peuvent aussi s’entrecroiser de façon significative sur le plan social. La personne peut donc faire l’objet de discrimination en raison de sa race, de sa couleur, de son âge, de son sexe, de son identité sexuelle ou de l’expression de celle-ci, ou d’une combinaison de ces motifs. Elle peut aussi faire l’objet d’une forme de discrimination intersectionnelle unique, fondée sur son identité de jeune homme noir, en fonction de la variété de suppositions ou de stéréotypes associés à cet entrecroisement socialement significatif de motifs.

[35] Une personne peut être victime de discrimination directe en raison de son association avec un ou plusieurs motifs du Code. Cette discrimination peut être fondée sur des stéréotypes conscients ou inconscients à l’encontre d’un groupe en particulier. Stéréotyper signifie faire des suppositions sur une personne en se basant sur les qualités ou caractéristiques présumées du groupe auquel elle semble appartenir.

[36] La discrimination indirecte (aussi appelée discrimination par suite d’un effet préjudiciable) peut également se chevaucher avec d’autres formes de discrimination, ce qui accentue le désavantage des groupes marginalisés. Par exemple, les effets préjudiciables de la politique d’un organisme concernant les personnes ayant des troubles mentaux peuvent être aggravés si le membre du personnel administrant la politique fait preuve d’attitudes discriminatoires.

    Certaines politiques, règles ou normes qui ont un effet préjudiciable sur un ou plusieurs groupes en particulier peuvent néanmoins être justifiées. Un service de police, par exemple, peut être en mesure de démontrer qu’une politique, une pratique ou une norme ayant un impact négatif est en réalité liée à une réelle préoccupation de santé et de sécurité. Il doit néanmoins prouver qu’il ne peut pas prendre d’autres mesures pour traiter ces problèmes sans préjudice injustifié.

[37] Politique sur le racisme, supra, p. 33.

C’est dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) que la Cour suprême du Canada a pour la première fois parlé nommément de « discrimination systémique » en faisant référence au Rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi publié en 1984 par Rosalie Abella (aujourd’hui juge). La Cour a défini la discrimination systémique comme étant « des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l’accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d’emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort ».

[1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]; Moore c. ColombieBritannique (Éducation), [2012] 3 RCS 360, aux par. 58 et 59.

    Dans l’arrêt Association of Ontario Midwives v. Ontario (Minister of Health and Long-Term Care), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a cité la définition de « définition systémique » énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Action Travail des Femmes et fait l’observation suivante :

Les contestations d’ordre systémique portent sur le fonctionnement et l’impact des politiques, des pratiques et des systèmes au fil du temps, souvent sur une longue période. Elles impliquent nécessairement un examen des interrelations entre les actions (ou l’inaction), les attitudes et les structures organisationnelles établies.

2014 HRTO 1370 (CanLII), aux par. 30-33.

[38] Les cours et les tribunaux ont reconnu à maintes reprises que le profilage racial constitue un problème systémique au sein des services policiers. Il a une incidence négative profonde sur les Autochtones et les Afro-Canadiens et contribue à leur surreprésentation dans le système de justice pénale.

    Le profilage racial ne se cantonne pas aux contrôles de routine ou au « fichage ». Il ne se limite pas aux décisions d’interpeller, de questionner ou de détenir une personne. Il peut aussi exercer une influence sur la façon dont un agent de police continue de se comporter avec une personne après sa rencontre initiale. Par exemple, il peut survenir lors de contrôles routiers, de fouilles, d’un échantillonnage d’ADN, de la décision d’interpeller la personne et d’incidents impliquant le recours à la force.

    L’intervention plus physique ou plus agressive des forces de l’ordre face à une personne ou une situation, fondée sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine ethnique, le lieu d’origine ou la religion d’une personne ou d’un groupe, constitue une manifestation particulièrement préjudiciable du profilage racial.

    Le fait que la police soit plus encline à avoir recours à la force dans ses interactions avec les Afro-Canadiens et les Autochtones est un grave sujet de préoccupation. Par exemple, selon un rapport publié par l’Alliance urbaine sur les relations interraciales, les communautés noires estimaient en particulier qu’elles étaient « vulnérables, de façon disproportionnée, à la violence policière » [traduction libre] et que les personnes racialisées couraient un risque disproportionné d’être tuées par la police.

    Les stéréotypes concernant les hommes noirs qui risquent d’influer sur le recours à la force par la police incluent le fait qu’ils sont physiques, violents et plus susceptibles d’être des criminels. De même, les stéréotypes concernant les Autochtones pouvant influer sur le recours à la force par la police incluent le fait qu’ils sont violents et ont tendance à commettre des crimes mineurs.

    Bien qu’il n’existe que peu de données sur la race et le recours à la force par la police, certaines études canadiennes qui ont étudié la couverture médiatique et les enquêtes menées par l’Unité des enquêtes spéciales (UES) ont constaté qu’il existait une surreprésentation des Autochtones et des Afro-Canadiens dans les incidents (blessures graves et décès) impliquant le recours à la force par la police.

Mémoire sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, supra, p. 16-20.

[39] Les personnes ayant des troubles mentaux et/ou des dépendances comptent parmi les personnes les plus vulnérables en Ontario. Elles ont aussi tendance à avoir des contacts beaucoup plus fréquents avec les services de police.

    Des questions sur le plan des droits de la personne se font jour lorsqu’on examine le recours à la force par la police à l’égard de personnes ayant des troubles mentaux et/ou des dépendances. Il est possible que ces personnes soient plus susceptibles de faire l’objet d’un recours à la force par un agent de police parce que leurs comportements et réactions aux directives de la police peuvent sembler inhabituels, imprévisibles ou inappropriés ou parce que les forces de l’ordre s’appuient sur des suppositions stéréotypées relatives à la dangerosité ou à la violence.

    Certains termes, tons et gestes peuvent sembler plus menaçants aux yeux des personnes en situation de crise psychique et devraient être évités, sous réserve de la présence de risques pour la santé et la sécurité. Le recours à différentes stratégies de communication pour aider les personnes ayant des troubles mentaux constitue une forme d’accommodement de leur handicap et a été recommandé par le jury dans l’enquête sur les décès de Reyal Jardine-Douglas, de Sylvia Klibingaitis et de Michael Eligon et dans l’examen indépendant du juge Iacobucci sur l’usage de force létale par le service de police de Toronto.

    Il existe une intersection importante sur le plan social entre la race et la santé mentale, qui peut influer sur la décision des agents de police d’avoir recours à la force. Premièrement, les personnes ayant des troubles mentaux qui sont autochtones ou racialisées peuvent être plus susceptibles que d’autres personnes de faire l’objet d’un profilage en tant que risque de sécurité. Comme nous l’avons remarqué plus haut, il est préoccupant que la police soit plus encline à avoir recours à la force dans ses interactions avec les Afro-Canadiens et les Autochtones, puisque la violence constitue un stéréotype correspondant aux deux groupes.

Mémoire sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, supra, p. 21-24.

[40] Dans un rapport d’analyse situationnelle et de consultation, l’Ontario Native Women’s Association (ONWA) a indiqué que « vu l’oppression systématique, il est collectivement vrai qu’il existe une marginalisation et une dévalorisation des attitudes à l’égard des femmes autochtones dans des situations de violence familiale ». Les préoccupations suscitées par le racisme et le sexisme dans le cadre des enquêtes de police sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en raison de l’insuffisance des efforts policiers déployés figurent dans le rapport sur l’enquête concernant le Canada du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) des Nations Unies. Par exemple, les femmes autochtones, les fournisseurs de services, les acteurs de la société civile et les dirigeants autochtones ont indiqué à la CEDAW que « les préjugés de la police étaient toujours généralisés » et qu’ils « se manifestaient par l’utilisation d’un langage humiliant et méprisant à l’égard des femmes autochtones et par le portrait brossé des femmes autochtones comme étant des prostituées, des personnes de passage et des fugueuses, dont le mode de vie était très dangereux. » [Traduction libre.]

Mémoire sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, supra, p. 27 et 28.

[41] Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash, supra, p. 326-327; Document Rudin commandé par la Commission d’enquête sur Ipperwash, supra, p. 1 et 33.

[42] R. c. Ipeelee, [2012] 1 RCS 433, au par. 60.

[43] R. c. Williams, [1998] 1 RCS 1128, au par. 58.

[44] Ibid.

[45] R. c. Gladue, [1999] 1 RCS 688, au par. 61.

[46] McKay v. Toronto Police Services Board, 2011 HRTO 499 (CanLII), au par. 102.

[47] L’honorable Frank Iacobucci, La représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario : Rapport de l’examen indépendant mené par l’honorable Frank Iacobucci (2013), p. 63-65, en ligne : ministère du Procureur général www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/about/pubs/iacobucci/First_Nations_Representation_Ontario_Juries.html.

[49] R. c. R.D.S., [1997] 3 RCS 484, au par. 46.

[50] Ibid., au par. 47.

[51] R. c. Spence, [2005] 3 RCS 458, au par. 32.

[55] En 2008, 55 p. 100 des fiches de contact remplies entraient dans la catégorie des « enquêtes générales » (« General Investigation »). Voir : Toronto Star, Toronto Star Analysis of Toronto Police Service – 2010: Advanced Findings (2010), p. 8 et 9. Entre 2008 et 2012, 79,1 p. 100 des fiches de contact remplies relevaient de la catégorie des « enquêtes générales ». Voir : Advanced Star analysis package (rapport d’analyse avancée du Toronto Star, 7 août 2013), p. 5 et 16.

    Même s’ils ne représentaient que 8 p. 100 de la population de Toronto, les Noirs ont été la cible de près de 25 p. 100 de toutes les fiches de contact remplies entre 2003 et 2008. De plus, entre 2008 et la mi-2011, le nombre de jeunes Noirs ayant fait l’objet d’une fiche de contact était 3,4 fois plus élevé que la population des jeunes Noirs de sexe masculin. Les données révèlent que les Noirs ont fait l’objet d’un nombre disproportionné de fiches de contact dans tous les quartiers de Toronto. Voir : Toronto Star, Toronto Star Analysis of Toronto Police Service Data – 2010: Advanced Findings (2010); Jim Rankin, « When good people are swept up with the bad », publication de la série « Race Matters », Toronto Star, p. A1 (6 février 2010); Jim Rankin, « CARDED: Probing a Racial Disparity », Toronto Star, p. IN1 (6 février 2010); Jim Rankin et Patty Winsa, « Known to police: Toronto police stop and document black and brown people far more than whites », Toronto Star (9 mars 2012); présentation de la Clinique juridique africaine canadienne, 5 avril 2012; procès-verbal de la Commission de services policiers de Toronto (25 avril 2013), #P121, annexe A (« Summary of Deputations »), Toronto Police Accountability Coalition; Advanced Star analysis package (rapport d’analyse avancée du Toronto Star, 7 août 2013), p. 5, 7 et 15-17; Jim Rankin et Patty Winsa, « ‘Devastating. Unacceptable’; Toronto police board chair appalled by Star findings that show a stubborn rise in the number of citizens stopped and documented by our police officers  with black males heavily overrepresented », Toronto Star, p. A1 (28 septembre 2013).

[57] Manuel des Nations Unies, supra, p. 55, 71 et 72.

[58] Ibid., p. 49-50.

[59] HMIC, « Stop and Search Powers: Are the police using them effectively and fairly? » (2013), p. 6, en ligne : HMIC www.justiceinspectorates.gov.uk/hmic/publications/stop-and-search-powers-20130709/.

[60] Ibid., p. 3 et 5.

[61] Ibid., p. 9 et 10; HMIC, « Stop and search powers 2: are the police using them effectively and fairly? » (2015), p. 5 et 16-21, en ligne : HMIC www.justiceinspectorates.gov.uk/hmic/publications/stop-and-search-powers-2-are-the-police-using-them-effectively-and-fairly/.

[64] Ibid.

[66] Loi sur les services policiers, supra, art. 26.1, partie V.

[68] Ibid.

[69] Ibid., alinéa 80 (1) a); Règl. de l’Ont. 268/10, par. 30(1).

[70] BDIEP, Plan d’activités de 2016-2017 à 2018-2019 et Rapport annuel 2014-2015, en ligne : BDIEP www.oiprd.on.ca/FR/Education/Pages/Annual-Reports.aspx

[71] Le groupe Justicia for Migrant Workers a déposé auprès du BDIEP une plainte qui alléguait que la Police provinciale de l’Ontario avait pratiqué un profilage racial en demandant à faire prélever des échantillons d’ADN sur une centaine de travailleurs migrants « indo et afro-caribéens » près de Vienna, en Ontario, dans le cadre d’une enquête pour agression sexuelle en octobre et en novembre 2013. À la suite de la plainte, le BDIEP a mené un examen systémique des pratiques de la Police provinciale en matière de prélèvements collectifs d’ADN. Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police, Examen des pratiques de la Police provinciale de l’Ontario en ce qui a trait aux prélèvements collectifs volontaires d’ADN (12 juillet 2016), en ligne : www.oiprd.on.ca/FR/PDFs/BDIEP_Coup_de_filet_Rapport_de_lexamen_systemique.pdf [BDIEP, Coup de filet]

    La CODP éprouve de graves réserves, d’une part, à l’endroit de la démarche adoptée pour déterminer si les mesures prises par la Police provinciale étaient discriminatoires et, d’autre part, quant à la façon dont la discrimination est abordée dans le rapport. Bien que le rapport reprenne la définition du profilage racial proposée par la CODP et énonce précisément plusieurs principes inhérents aux droits de la personne et à l’analyse de la discrimination raciale, la CODP estime qu’une bonne application de la définition et des principes aux conclusions factuelles du BDIEP aurait dû permettre de conclure que les travailleurs migrants ont effectivement fait l’objet de discrimination raciale aux termes du Code.

    Une analyse de la discrimination consiste à : 1) évaluer si une personne a subi un préjudice fondé sur un motif protégé (un cas prima facie de discrimination); et, le cas échéant, 2) si une justification non discriminatoire peut être apportée. Il y a discrimination si les mesures ne peuvent être justifiées par aucun motif crédible et non discriminatoire. (Voir : Shaw v. Phipps, 2012 ONCA 155, au par. 14; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, aux par. 53-61).

    Il semble que les travailleurs migrants puissent établir un cas de discrimination prima facie. Premièrement, ils s’identifient à de nombreux motifs du Code liés à la race, à savoir la race, la couleur, l’ascendance, le lieu d’origine, la citoyenneté et l’origine ethnique. Deuxièmement, les conclusions montrent clairement que les travailleurs migrants ont subi des préjudices. Le rapport souligne les points suivants : « les travailleurs migrants ont été traités comme des personnes d’intérêt potentielles, et on leur a demandé de fournir leur ADN aux autorités »; « on pouvait raisonnablement prévoir que la nature et la portée du prélèvement collectif volontaire d’ADN auraient une incidence sur la vulnérabilité, ainsi que le manque de sécurité et d’équité des travailleurs migrants »; par ailleurs, ce prélèvement collectif « aurait en outre pu envoyer le mauvais message à d’autres membres de la collectivité locale en ce qui a trait à la façon dont les travailleurs migrants, comme groupe, doivent être perçus ». Troisièmement, les conclusions soulignent également que la race a été un facteur dans la détermination de la portée du prélèvement : le rapport précise que « le prélèvement collectif volontaire visait dans ce cas à obtenir l’ADN de chaque travailleur migrant de couleur » (Coup de filet, supra, p. 4-6)

    La Police provinciale de l’Ontario a été incapable de fournir une telle justification à l’égard des travailleurs migrants, au-delà de la description du suspect. Le rapport précise que « [d]ans les circonstances particulières de l’enquête, la police avait le droit de mettre l’accent sur les travailleurs migrants locaux de couleur afin d’identifier l’agresseur », mais que le prélèvement collectif volontaire d’ADN était trop vaste :

[...] la police a demandé des échantillons d’ADN de pratiquement tous les travailleurs migrants de couleur locaux, malgré le fait qu’un certain nombre d’entre eux auraient pu facilement être exclus en raison des disparités évidentes entre leurs attributs physiques et ceux de l’agresseur, selon la description de la victime. En fait, la preuve montre que, dans certains cas, les enquêteurs pensaient que des travailleurs à qui ils demandaient de fournir des échantillons d’ADN ne correspondaient pas à la description faite par la victime, mais n’ont soulevé aucune préoccupation à cet effet.

[...]

[...] je suis également convaincu qu’on a demandé inutilement à un grand nombre de travailleurs migrants de fournir un échantillon d’ADN et que, par conséquent, un grand nombre d’échantillons d’ADN ont été prélevés inutilement. (Coup de filet, supra, p. 56 et 61-62)

    Il s’ensuivrait donc que les personnes qui ont été ciblées, mais qui ne correspondaient pas à la description du suspect, hormis relativement à la couleur de peau, ont bel et bien fait l’objet de discrimination raciale au sens du Code. Le principal problème dans ce cas tient au fait que la Police provinciale a tellement ratissé large dans le cadre de son enquête que la race a été le facteur prédominant de nombreuses demandes de prélèvements d’échantillons d’ADN.

    Bien que le BDIEP utilise la définition du profilage racial proposée par la CODP, il l’applique de manière étroite et la sort du cadre des principes relatifs à la discrimination raciale. Il ne l’analyse pas non plus selon l’approche établie pour évaluer les allégations de discrimination (énoncée plus haut). En particulier, la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu profilage racial semble reposer principalement sur la question de savoir si la Police provinciale de l’Ontario avait ou non l’intention d’exercer une discrimination, plutôt que sur la façon dont les activités de la Police provinciale ont touché les travailleurs migrants (Coup de filet, supra, p. 54-55). Cette approche va à contre-courant du principe selon lequel l’intention n’est pas un élément nécessaire pour que l’on puisse établir la discrimination (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18, aux par. 13-14 (CSC)).

[72] Une plainte a été déposée auprès du BDIEP après que deux agents du service de police de Toronto, les agents Lourenco et Pais, eurent arrêté quatre adolescents noirs (les « Neptune 4 ») sous la menace d’une arme en 2011. Les chefs d’accusation ont été retirés par la suite. L’incident a été filmé par les caméras de sécurité de la Toronto Community Housing Corporation. La vidéo montre un des adolescents se faire frapper à coups de poing et traîner au sol.

    Les policiers faisaient partie de TAVIS, la stratégie d’intervention contre la violence de Toronto (Toronto Anti-Violence Intervention Strategy). Les jeunes ont quitté leur appartement situé sur Neptune Drive, dans le quartier de Lawrence Heights, pour assister à une séance de tutorat organisée tout près de chez eux par l’organisme Passeport pour ma réussite. Le BDIEP a estimé que les accusations relatives à l’inconduite des policiers étaient fondées. Le BDIEP a insisté sur le fait que, selon les policiers et les jeunes, ces derniers « n’avaient absolument rien fait de répréhensible ». Le BDIEP a déclaré que « la façon dont les jeunes ont été interpellés et interrogés [...] constituait une violation de leurs droits en vertu de la Charte » (traduction). Toutefois, le BDIEP n’a pas précisé quels droits de la Charte avaient été violés, ni mené une enquête pour savoir si les policiers avaient enfreint le Code, et notamment si la race avait été un facteur dans la décision d’interpeller et d’arrêter les jeunes et de recourir à la force à leur encontre. L’avis d’audience allègue que les policiers ont procédé à des arrestations illégales ou inutiles et ont eu une conduite déshonorante en raison du recours déraisonnable à la force, mais ne se réfère pas explicitement à la race des plaignants ni à une accusation de discrimination raciale.

www.thestar.com/news/gta/2012/08/07/toronto_police_tavis_stop_of_four_teens_ends_in_arrests_captured_on_video.html; Toronto Police Services v. Lourenco and Pais (7 juillet 2016) (non publié).

[73] Rapport annuel 2014-2015 du BDIEP, p. 19, en ligne : BDIEP www.oiprd.on.ca/FR/PDFs/BDIEP-RapportAnnuel-2014-15_F.pdf.

[74] Ibid., p. 9, 13, 14 et 19.

[75] Loi sur les services policiers, supra, art. 113.

[76] Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, par. 25 (1) à (4) et art. 34.
Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Idem

(2) Lorsqu’une personne est, par la loi, obligée ou autorisée à exécuter un acte judiciaire ou une sentence, cette personne ou toute personne qui l’assiste est, si elle agit de bonne foi, fondée à exécuter l’acte judiciaire ou la sentence, même si ceux-ci sont défectueux ou ont été délivrés sans juridiction ou au-delà de la juridiction.

Quand une personne n’est pas protégée

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Usage de la force en cas de fuite

(4) L’agent de la paix, ainsi que toute personne qui l’aide légalement, est fondé à employer contre une personne à arrêter une force qui est soit susceptible de causer la mort de celle-ci ou des lésions corporelles graves, soit employée dans l’intention de les causer, si les conditions suivantes sont réunies :

a) il procède légalement à l’arrestation avec ou sans mandat;

b) il s’agit d’une infraction pour laquelle cette personne peut être arrêtée sans mandat;

c) cette personne s’enfuit afin d’éviter l’arrestation;

d) lui-même ou la personne qui emploie la force estiment, pour des motifs raisonnables, cette force nécessaire pour leur propre protection ou celle de toute autre personne contre la mort ou des lésions corporelles graves – imminentes ou futures;

e) la fuite ne peut être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente.

Défense – emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

(a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger – ou de défendre ou de protéger une autre personne – contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

Facteurs

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Exception

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

[79] Les passagers d’une voiture arrêtée pour une infraction au Code de la route ne sont généralement pas tenus de fournir des renseignements personnels à la police.

[84] Loi sur les services policiers, supra, partie II; www.slasto.gov.on.ca/fr/ocpc/Pages/default.aspx.

[85] Loi sur les coroners, L.R.O. 1990, chap. C. 37, par. 33 (1).

[86] Ibid., par. 10 (4.6).

[87] Ibid., par. 31 (1).

[88] Ibid., par. 31 (3).

[89] Ibid., par. 31 (1) et (2).

[90] Ombudsman de l’Ontario, Une question de vie ou de mort : Enquête sur les directives données par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux services de police de l’Ontario sur la désescalade des situations conflictuelles (2016), par. 6 et 7 [Une question de vie ou de mort], en ligne : Ombudsman de l’Ontario, en ligne : www.ombudsman.on.ca/Files/sitemedia/Documents/OntarioOmbudsmanDeescalationFR_2.pdf.

[91] Ibid.

[92] Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, chap. O.6, par. 1 (1), 13 (1), 14 (1); www.ombudsman.on.ca/Home.aspx

[93] La CODP est toutefois heureuse que le ministre Orazietti ait annoncé que toutes les recommandations figurant dans le rapport étaient acceptées et seraient appliquées. Ibid; www.ombudsman.on.ca/Newsroom/Press-Release/2016/Ombudsman-urges-province-to-ensure-police-are-trai.aspx

[94] Voir, par exemple, Une question de vie ou de mort, supra; Ombudsman de l’Ontario, La loi du silence : Enquête sur la réponse du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux allégations de recours à une force excessive contre les détenus, en ligne : Ombudsman de l’Ontario, en ligne : www.ombudsman.on.ca/Investigations/SORT-Investigations/Completed/The-Code.aspx.

[96] Règl. de l’Ont 114/15, disposition 4 de l’article 1.

[97] Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, au par. 66. Voir aussi Rapport Morden, supra, p. 55; le juge Morden y indique que le paragraphe 31 (4) de la Loi sur les services policiers interdit aux commissions de s’ingérer directement dans les fonctions de maintien de l’ordre, sans toutefois les empêcher d’établir « un contexte ou un cadre au sein duquel les opérations policières se déroulent ».

[100] Toronto Police Services v. Lourenco and Pais (7 juillet 2016) (non publié).

[101] Droits de la personne et services policiers, supra.

[102] Mémoire présenté par la Commission ontarienne des droits de la personne dans le cadre de l’examen indépendant de l’usage de force létale mené par les services de police de Toronto, supra; Mémoire de la CODP présenté dans le cadre de l’enquête de l’ombudsman sur les directives fournies aux services de police par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels pour désamorcer les situations de conflit, supra.

[103] Nassiah, supra.

[104] Mémoire sur la Stratégie pour une meilleure sécurité en Ontario, supra.