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Le présent document a pour objet d’entreprendre une discussion et une réflexion sur le nouveau rôle que les commissions des droits de la personne seront appelées à jouer au 21e siècle. À l’aube du nouveau millénaire, les commissions des droits de la personne subissent des pressions croissantes face à la restructuration des gouvernements, à de nouveaux mandats ou motifs de discrimination, à la mondialisation et aux attentes de la société civile qui joue un rôle de plus en plus important. Ces développements ont une incidence sur les droits de la personne en général et sur les commissions des droits de la personne en particulier.

Parallèlement, la communauté internationale a indiqué très clairement que les commissions des droits de la personne sont, à certains égards, les « fiduciaires » ou les « gardiennes » des droits de la personne à l’échelle nationale, de concert avec un éventail d’autres partenaires. Bien sûr, il est entendu que les « droits de la personne » ne comprennent pas seulement les droits civils et politiques, mais aussi les droits économiques, sociaux et culturels. De plus en plus, la distinction entre les deux catégories de droits tend à s’estomper. Les Nations Unies et d’autres organisations internationales ont déclaré que tous les droits de la personne sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. Par conséquent, nous envisageons d’un oeil neuf les droits qu’il faut protéger et les mesures que l’on pourrait et que l’on devrait prendre pour y arriver.

Dans les pays industrialisés de l’Ouest, on a de tout temps accordé une plus grande attention aux droits civils et politiques, qui ont bénéficié d’une codification juridique, d’une protection et d’une interprétation judiciaire, comparativement aux droits économiques, sociaux et culturels. Les droits économiques, sociaux et culturels sont souvent perçus comme de simples normes, à la fois impossibles à appliquer et non justiciables, qui ne pourront être réalisés que « progressivement » avec le temps.[1] Ils sont souvent perçus comme des droits dont la réalisation peut nécessiter l’intervention de l’État et on estime donc qu’il vaut mieux laisser aux législatures la responsabilité d’en décider. Il existe cependant des liens étroits entre ces deux catégories de droits et la réalisation pleine et entière des deux peut être envisagée comme un idéal commun.[2]

En vérité, les droits économiques, sociaux et culturels sont particulièrement pertinents au dialogue actuel sur les droits de la personne. Alors que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[3] établit un cadre international pour la protection de ces droits, il existe peu de mécanismes pour les faire respecter. En ratifiant le Pacte en 1976, le Canada a accepté des obligations internationales à l’égard de la défense des droits économiques, sociaux et culturels. Cependant, l’apparente impossibilité de les faire respecter a soulevé des inquiétudes croissantes à l’échelle internationale sur la protection de ces droits. Les nouvelles pressions socio-économiques qui s’exercent sur la société canadienne, ainsi que la retenue des tribunaux dans le domaine des droits sociaux et économiques, ont porté de nombreuses commissions des droits de la personne à réexaminer leur mandat en vue de déterminer ce qu’elles peuvent faire de plus. Au Québec, bien sûr, la loi[4] prévoit expressément la protection contre la discrimination fondée sur la condition sociale, alors que le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a étudié une possibilité semblable et, dans son rapport publié en juin 2000[5], a recommandé d’ajouter la condition sociale aux motifs illicites de discrimination, dans la Loi fédérale.

Il est grand temps que nous nous penchions sur cette question au Canada. Des statistiques récentes, qui utilisent le seuil de faible revenu de Statistique Canada pour mesurer la pauvreté, indiquent que 17,9 pour 100 de la population canadienne vit dans la pauvreté[6]. Pendant cinq années consécutives, le Canada était en tête de l’Indicateur du développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alors que l’Indicateur de la pauvreté humaine du PNUD le place au dixième rang des pays industrialisés.[7]

En 1995, 57 pour 100 des personnes à faible revenu étaient des femmes.[8] Les personnes qui n’arrivent pas à obtenir plus qu’un emploi à temps partiel ou au salaire minimum, celles qui appartiennent à une famille monoparentale dirigée par la mère, les femmes âgées, les personnes ayant un handicap, les membres d’une minorité raciale, les Autochtones ou les personnes qui viennent d’immigrer sont tous plus susceptibles de vivre dans la pauvreté.[9] Les pauvres font face à de graves problèmes, notamment celui d’avoir une nourriture suffisante et un logement abordable. On sait que la pauvreté a une incidence directe sur la santé des personnes et un effet néfaste sur la réussite scolaire, ce qui, en retour, a des répercussions considérables sur le risque d’être pauvre.[10]

En Ontario, la question des sans-abri, surtout dans les grands centres urbains, devient un problème social et politique de plus en plus pressant. Dans bien des régions, le parc de logements locatifs abordables a diminué. Malgré certains progrès constatés récemment au moyen d’initiatives pour appuyer le logement aux paliers municipal et fédéral (notamment des fonds fédéraux destinés spécifiquement au logement et la mise en oeuvre de plusieurs des recommandations du rapport Golden par le conseil municipal de Toronto[11]), les besoins l’emportent sur les ressources. Par ailleurs, on constate un recours accru aux banques alimentaires[12] et aux maisons d’hébergement temporaire.[13] Ces tendances se manifestent en dépit d’une économie vigoureuse et d’une période marquée par un taux d’emploi sans précédent. Ces contradictions soulèvent d’importantes questions sur le sens des « droits économiques » et des « droits sociaux », ainsi que la question de savoir si les commissions des droits de la personne peuvent ou devraient avoir un rôle à jouer dans la protection de ces droits.

Sur la scène internationale, certains ont exprimé leurs préoccupations sur le dossier du Canada en matière d’application des droits économiques et sociaux. Ces préoccupations portent notamment sur la réponse du Canada au problème des sans-abri, les coupures dans les programmes sociaux, le déclin des taux d’aide sociale et les effets discriminatoires de ces coupures sur certains groupes défavorisés comme les femmes, les enfants et les personnes handicapées.[14] Dans ses Observations finales de 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (ci-après le Comité du PIRDESC) critique également les gouvernements provinciaux pour encourager leurs tribunaux à adopter une interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) qui aurait pour effet de nier aux plaidants la protection des droits reconnus par le Pacte et de les priver ainsi des nécessités vitales et de la possibilité d’un recours légal.[15]

Les Observations finales de 1998 comprennent un certain nombre de recommandations pour améliorer l’application des droits sociaux et économiques. Le Comité du PIRDESC réitère que les droits économiques et sociaux ne sauraient être réduits à de simples « principes et objectifs » dans les politiques et programmes sociaux. Le Comité encourage le gouvernement fédéral à s’assurer que les provinces soient bien conscientes de leurs obligations et du fait que les droits énoncés dans le PIRDESC doivent être exécutoires dans les provinces, au moyen de mesures législatives et de politiques et par l’établissement de mécanismes indépendants et appropriés de surveillance et d’arbitrage.[16] De plus, le Comité du PIRDESC suggère des campagnes de sensibilisation et d’éducation sur les obligations découlant des traités.[17] D’autres recommandations portent sur des questions particulières, par exemple les droits économiques et sociaux des femmes, le droit à un niveau de vie adéquat, les droits des travailleurs et les droits des sans-abri.

Le présent document commence par une brève discussion des droits sociaux et économiques dans le cadre du droit international. On fera un survol de ces droits et de la façon dont ils ont été appliqués au Canada; on explorera également le concept de « condition sociale » ou des concepts connexes, en tant qu’expression des droits économiques et sociaux qui peuvent être protégés par les commissions des droits de la personne.

Bien que les droits culturels soient souvent regroupés avec les droits sociaux et économiques, ils ne seront pas considérés dans les pages qui suivent, car ils relèvent d’une problématique bien distincte et soulèvent des questions qui dépassent la portée du présent document.


[1] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Fiche d’information no 16 (Rév. 1) (1991), en ligne : site du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme <http://www.unhchr.ch/french/html/menu6/2/fs16_fr.htm> (consulté le 19 février 2001) [ci-après Fiche d’information no 16].
[2] M.K. Addo, « The Justiciability of Economic, Social and Cultural Rights » (1988) 14 Commonwealth Law Bulletin 1425, p. 1425.
[3] 16 décembre 1966, 993 R.T.N.U. 3, R. T. Can. 1976 no 46 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976, adhésion par le Canada le 19 août 1976) [ci-après PIRDESC].
[4] Québec, Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 [telle que modifiée].
[5] Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, La promotion de l’égalité : une nouvelle vision (Ottawa : en vertu de l’autorisation de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, 2000) (président du Comité : l’honorable Gérard La Forest), en ligne : site du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne <http://www.chrareview.org/indexf.html> (consulté le 20 février 2001) [ci-après La promotion de l’égalité : une nouvelle vision].
[6] Tiré de S. Day, M. Young et N. Won, « The Civil and Political Rights of Canadian Women » - travail de recherche effectué pour l’honorable Lois M. Wilson, Sénat du Canada (printemps 1999), citant Statistique Canada, « Le Quotidien », (3 mars 1999), texte anglais en ligne : page de l’honorable Lois M. Wilson <http://sen.parl.gc.ca/lwilson/> (consulté le 20 février 2001).
[7] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies. Examen des rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte (Observations finales - Canada), 10 décembre 1998, E/C.12/1/Add.31., paragr. 3 [ci-après les Observations finales de 1998].
[8] Voir Day, Young et Won, supra, note 6, citant le Conseil national du bien-être social, Profil de la pauvreté 1995 (Ottawa : Approvisionnement et Services Canada, 1997), p. 34, 84 et 85.
[9] M. Jackman, « Constitutional Contact with the Disparities in the World: Poverty as a Prohibited Ground of Discrimination Under the Canadian Charter and Human Rights Law » (1994) 2 Revue d’études constitutionnelles 76, p. 83 [ci-après Constitutional Contact with the Disparities in the World].
[10] Ibid., p. 84 - 88.
[11] Groupe d’action du maire sur les sans-abri, Taking Responsibility for Homelessness: An Action Plan for Toronto (Présidente : A. Golden), en ligne : site de la ville de Toronto <http://www.city.toronto.on.ca/mayor/homelessnesstf.htm> (consulté le 21 février 2001).
[12] L’Association of Canadian Food Banks a déclaré que les banques alimentaires ont constaté une croissance régulière de la demande d’aliments. En Ontario, en moins de deux mois après la réduction des taux d’aide sociale, les banques alimentaires ont constaté une augmentation de 70 pour 100 du recours à leurs services; tiré du mémoire présenté par l’Organisation nationale anti-pauvreté au Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (février 1996), en ligne : site de Charter Committee on Poverty Issues <http://www.web.net/ccpi/un/napo.html> (consulté le 21 février 2001).
[13] Voir, par exemple, Toronto Disaster Relief Committee, State of Emergency Declaration: An Urgent Call for Emergency Humanitarian Relief & Prevention Measures (octobre 1998), en ligne : site du Toronto Disaster Relief Committee <http://www.tao.ca/~tdrc/booklet.shtml> (consulté le 21 février 2001) lequel déclare que n’importe quel jour de 1996, environ 3 100 différentes personnes utilisaient les maisons d’hébergement d’urgence de Toronto. C’est là une augmentation comparativement à 2 600 en 1994 et à 2 100 en 1988.
[14] Voir Observations finales de 1998, supra, note 7; par exemple, les paragraphes 16, 19, 20, 21, 23-25, 27, 28, 32, 33, 35, 36.
[15] Ibid., paragr. 14.
[16] Ibid., paragr. 52.
[17] Ibid., paragr. 58.

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