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Déclaration de la CODP appelant le secteur de la justice de l’Ontario à lutter contre la COVID-19 en limitant le nombre de personnes détenues en prison

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Mai 11, 2021

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Le 17 mars 2020, le gouvernement de l’Ontario a déclaré l’état d’urgence en raison de la pandémie de COVID-19. La province a annoncé qu’elle ferait usage de tous les pouvoirs possibles dans le but de protéger la santé et la sécurité de tous les Ontariens et Ontariennes et de leur famille.

Le même jour, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a écrit au gouvernement pour sonner l’alarme au sujet de la possibilité d’éclosions de COVID-19 dans les établissements correctionnels de l’Ontario – déjà accablés par une surpopulation extrême – et du risque grave que cela représentait pour les personnes à l’intérieur comme à l’extérieur de ces établissements. La CODP et bien d’autres acteurs ont demandé à l’Ontario de tout mettre en œuvre pour réduire le nombre de personnes détenues.

L’Ontario, ainsi que les partenaires du secteur de la justice, ont pris des mesures à cet égard. Grâce à l’action collective de la police, des tribunaux, du personnel des services correctionnels et du gouvernement, le nombre de personnes détenues dans les prisons de l’Ontario a chuté d’environ 30 % en quelques semaines.

Cependant, ce nombre augmente de nouveau depuis plusieurs mois. Alors que l’Ontario est en proie à la phase la plus grave de la pandémie à ce jour, la population détenue est, dans certains cas, pratiquement revenue aux niveaux d’avant la pandémie.

Pour garantir la sécurité de la population et des collectivités de l’Ontario, il est essentiel de veiller une fois encore à ce que le nombre de personnes détenues diminue et reste à un faible niveau.

Il faut pour cela une réponse unifiée de la part de tous les acteurs du secteur de la justice. La CODP a amplement consulté divers intervenants des services correctionnels et judiciaires pour déterminer quelles mesures concrètes pourraient s’avérer utiles. Nous ne sous-entendons pas que d’importants efforts ne sont pas déjà déployés, mais nous reconnaissons la complexité et les difficultés liées à la gestion de la COVID-19 dans des milieux collectifs tels que les établissements correctionnels.

 

La population carcérale élevée présente aujourd’hui les mêmes risques de COVID-19 que l’année dernière

En dépit des nombreux efforts vitaux qui ont été déployés au début de la pandémie, le nombre de personnes détenues dans les prisons de l’Ontario ne s’est pas maintenu à un niveau bas. Dans certains cas, les chiffres sont presque revenus aux niveaux de surpopulation d’avant la pandémie, qui avaient été décrits par un grand nombre d’intervenants, dont la vérificatrice générale, la CODP et les agents des services correctionnels de première ligne, comme un grave problème, sans même les risques posés par la pandémie.

Alors que nous endurons le chapitre le plus sombre de la pandémie à ce jour, les prisons de l’Ontario connaissent de nouveau une surpopulation, mettant ainsi en danger les agents des services correctionnels de première ligne, les prisonniers et les collectivités de la province.

 

La surpopulation carcérale crée les conditions idéales pour la propagation de la COVID-19

Face à la surpopulation croissance des établissements, la gravité des conditions d’emprisonnement s’amplifie et le stress exercé sur le personnel des services correctionnels de première ligne s’intensifie. Même si d’importantes mesures de précaution sont prises, contenir la COVID-19 dans des milieux collectifs tels que les établissements correctionnels est une tâche complexe et difficile, et ce, d’autant plus lorsque ces établissements sont surpeuplés.

Dans les établissements ayant une population carcérale élevée, le risque élémentaire le plus visible tient au fait que, lorsque survient une éclosion (il y en a eu plus de 16 dans les établissements correctionnels de l’Ontario depuis le mois décembre), l’ampleur de la transmission de la maladie et le nombre de personnes exposées augmentent. Cette menace est encore plus prononcée du fait des nouveaux variants de plus en plus contagieux de la COVID-19.

Dans les établissements surpeuplés, il est impossible d’établir des protocoles sécuritaires de distanciation physique ou de mettre en quarantaine dans le respect des règles d’humanité les prisonniers susceptibles d’avoir contracté la COVID-19. De plus, les mesures mises en place peuvent entraîner des conditions d’emprisonnement particulièrement sévères. De nombreux prisonniers sont assujettis à des mesures de confinement ou à des placements semblables à l’isolement. Du fait de la pandémie, les programmes et les services ont été grandement limités, quand ils n’ont pas été supprimés. Toutes ces restrictions surviennent dans le contexte de l’impossibilité pour les détenus de rencontrer leurs proches en personne, en raison de l’élimination temporaire des visites.

 

Prévenir la COVID-19 dans les prisons pour protéger l’ensemble de la collectivité

Le risque posé par le nombre élevé de personnes détenues ne se limite pas aux seuls prisonniers et agents des services correctionnels de première ligne. Il s’étendra inévitablement dans les collectivités, attisant ainsi des préoccupations en matière de sécurité communautaire.

Bien que les bureaux de santé publique de tout l’Ontario aient commencé à fournir des vaccins au personnel et aux prisonniers – une mesure très importante –, le déploiement à venir de la campagne de vaccination ne résoudra pas le problème. La population carcérale en Ontario change rapidement (la durée moyenne de détention est d’environ sept jours), ce qui rend la vaccination complète pratiquement impossible.

Les systèmes correctionnels sont un puissant vecteur de regroupement et de transmission des maladies : ils rassemblent des personnes issues de nombreuses collectivités différentes, les confinent dans un milieu à haut risque d’exposition, puis les relâchent rapidement dans ces mêmes collectivités. Les agents des services correctionnels de première ligne, quant à eux, rentrent chez eux auprès de leur famille à la fin de leur journée de travail. Cela crée un risque important de propagation de la COVID-19 dans les collectivités.

Surtout, ces risques pèsent le plus lourdement sur les groupes protégés par le Code des droits de la personne, qui sont contrôlés par la police et emprisonnés de manière disproportionnée, comme les Noirs et les Autochtones. Ainsi, la libération de prisonniers exposés à la COVID-19 dans les établissements correctionnels pourrait aggraver la propagation de la COVID-19 dans des collectivités déjà gravement touchées par la pandémie.

De nombreux détenus sont également confrontés à la pauvreté et au sans-abrisme. Étant donné les chevauchements entre la population carcérale et la population accueillie dans des refuges, il est possible qu’une personne libérée d’une prison introduise la COVID-19 dans un refuge ou y contracte la maladie. Cette situation accroît les risques auxquels font face ces populations déjà extrêmement vulnérables et marginalisées, qui appartiennent là encore de manière disproportionnée aux groupes protégés par le Code, comme les personnes handicapées, les personnes racisées, les Autochtones, les femmes (en particulier les mères célibataires et les femmes âgées), ainsi que les immigrants récents ou les nouveaux arrivants.

De plus, dans un établissement surpeuplé, la COVID-19 peut se propager rapidement à des centaines de personnes particulièrement vulnérables qui auront besoin de soins hospitaliers, ce qui pourrait submerger complètement les ressources de santé locales, déjà exploitées au-delà de leurs limites. Ce risque est d’autant plus grave qu’un nombre disproportionné de détenus présentent à la fois des troubles physiques et mentaux et des dépendances, ont un état de santé moins bon que le grand public et sont plus susceptibles d’être admis en soins intensifs ou de mourir en cas d’infection à la COVID-19.

 

Réduire la population carcérale pour maintenir la sécurité des collectivités

Il est important de reconnaître que la grande majorité des personnes détenues dans les établissements correctionnels de l’Ontario sont en détention provisoire et que les données ne corroborent pas les craintes selon lesquelles la libération des personnes en détention provisoire constitue une menace pour la sécurité des collectivités.

Plusieurs études menées aux États-Unis ont montré que la réduction de la population en détention provisoire ne s’est pas traduite par une augmentation des activités criminelles[1]. Dans de nombreux cas, l’activité criminelle a même diminué. Ainsi, ces dernières années, le New Jersey, le Kentucky, le comté de Yakima, Washington et Philadelphie ont veillé à utiliser des outils d’évaluation des risques afin de réduire le nombre de personnes en détention provisoire. Bien que la population en détention provisoire ou préventive ait nettement baissé dans ces régions, les taux de criminalité sont demeurés inchangés, voire ont diminué.

La population en détention provisoire se compose de personnes qui attendent une mise en liberté sous caution ou la tenue de leur procès et représente plus de 70 % des personnes détenues dans les établissements correctionnels de l’Ontario. Axer les efforts sur la réduction de la population en détention provisoire est un moyen efficace de faire baisser le nombre de détenus sans compromettre la sécurité des collectivités.

Pour lutter efficacement contre la pandémie, les décideurs doivent évaluer et peser les risques en tenant compte des données démographiques et des spécificités des populations et des régions. Dans le secteur de la justice, il est clair que le risque élevé de propagation de la COVID-19 dans les établissements surpeuplés et dans les collectivités l’emporte largement sur les risques associés à la déjudiciarisation et à la mise en liberté. Tous les acteurs du secteur de la justice doivent œuvrer pour que les politiques de détention correspondent aux profils de risque relatif.

 

Toutes les branches du secteur de la justice doivent veiller à maintenir le nombre de personnes détenues à un faible niveau et assurer la sécurité des collectivités

Pour garantir la sécurité de la population et des collectivités de l’Ontario, il est aujourd’hui plus important que jamais depuis le début de la pandémie de s’assurer que le nombre de personnes détenues dans les établissements correctionnels de l’Ontario reste faible. Chaque admission empêchée et chaque personne libérée est une occasion d’aplatir la courbe.

À cette fin, et comme cela a été fait au début de la pandémie, il faut une réponse unifiée de la part de tous les acteurs du secteur de la justice : la police, les tribunaux, les services correctionnels et le gouvernement.

Les douze mesures concrètes qui sont proposées ci-dessous visent à maintenir un nombre faible de personnes détenues et à réduire le risque de propagation de la COVID-19 dans les établissements correctionnels. Ces mesures sont réalisables, peuvent être mises en œuvre rapidement, maximisent le recours aux programmes existants et aux pouvoirs de déjudiciarisation, permettront de désengorger les tribunaux et appuieront une utilisation plus efficace de l’argent des contribuables.

 

Mesures concrètes pour réduire le nombre de personnes détenues

La CODP a défini les mesures suivantes en menant de nombreuses consultations auprès de divers intervenants correctionnels et judiciaires.

 

Promouvoir les efforts de déjudiciarisation de la police

  1. Le ministère du Solliciteur général (SOLGEN) devrait publier chaque semaine des bulletins à l’intention de tous les chefs de police afin de donner aux services de police des renseignements à jour sur les capacités institutionnelles et de signaler quels sont les régions ou les établissements où les mesures de substitution à l’incarcération sont particulièrement urgentes.

 

  1. Toutes les commissions des services policiers et tous les chefs de police de l’Ontario devraient publier des mises à jour pour informer les agents du nombre élevé de personnes détenues et leur demander :
    1. d’utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour émettre des avertissements ou des mises en garde et ne pas procéder à une inculpation en cas d’infractions mineures et non violentes présumées, notamment les atteintes mineures et non violentes présumées à l’administration de la justice telles que les manquements aux conditions de la mise en liberté sous caution
    2. de privilégier les renvois vers des programmes de déjudiciarisation préalable à l’inculpation, lesquels peuvent constituer une solution de rechange aux inculpations et aux procédures judiciaires formelles dans le cas d’une infraction mineure et non violente présumée
    3. de tenir compte du risque élevé de COVID-19 causé par un nombre élevé de personnes détenues pour déterminer si une personne doit être placée en détention avant une audience de mise en liberté sous caution

 

  1. Les agents de police devraient obtenir des directives précises et faciles d’accès concernant toutes les options de déjudiciarisation qui devraient être envisagées avant toute détention dans un établissement correctionnel. Ces ressources doivent être propres à chaque service et mentionner les programmes et personnes-ressources communautaires. Les services de police devraient envisager de confier à des agents ou à des équipes spécifiques le soin de recenser les programmes communautaires disponibles et d’assurer le travail de liaison, afin de recourir à ces options le plus possible et le plus efficacement possible comme solution de rechange avant toute détention.

 

Directives et soutien clairs du ministère du Procureur général (MPG)

  1. Le MPG devrait mettre à jour la section « D. 38 : Relance post-COVID-19 » (version d’août 2020) de son Manuel de poursuite de la Couronne pour :
    1. tenir compte de l’état actuel de la pandémie
    2. mettre en exergue la gravité du risque posé par le nombre élevé de personnes détenues pour les agents des services correctionnels de première ligne, les prisonniers, le système de santé et les collectivités de l’Ontario
    3. souligner que la baisse du nombre de personnes détenues enregistrée au début de la pandémie ne s’est pas poursuivie et qu’il est urgent de redoubler d’efforts pour maintenir ce chiffre à un bas niveau
    4. ordonner aux procureurs d’exercer leur pouvoir discrétionnaire, à la lumière des circonstances exceptionnelles engendrées par la pandémie, pour demander et appuyer avec diligence des peines en milieu ouvert dans la mesure du possible
    5. recommander aux procureurs de ne pas demander de cautionnement en espèces, étant donné l’impact disparate de cette exigence sur les personnes vivant dans la pauvreté
    6. reprendre les considérations et les orientations de principe énoncées dans la note de service COVID-19 : Orientations quant au cautionnement et au règlement de dossiers distribuée aux procureurs fédéraux

 

  1. Le MPG devrait publier des mises à jour et des directives aux procureurs pour souligner le besoin de déjudiciarisation en fonction des alertes du SOLGEN et des médecins hygiénistes locaux à l’égard de tout établissement ou de toute région où le nombre élevé de personnes détenues pose un risque accru.

 

  1. Le MPG devrait fournir aux procureurs des renseignements à jour et des orientations pour maximiser le recours à l’ensemble de ses programmes existants destinés à éviter la détention carcérale et à réduire les délais de jugement.

 

  1. Le MPG devrait poursuivre tous les moyens d’améliorer l’accès à ses programmes existants, tels que le Programme de responsabilisation directe et le Programme de vérification et de supervision des mises en liberté sous caution, et notamment :
    1. augmenter le financement, en particulier pour accroître la disponibilité des lits pour personnes en liberté sous caution, lesquels sont destinés aux personnes qui n’ont pas de logement et qui seraient autrement détenues
    2. élargir les conditions d’admissibilité aux programmes existants
    3. examiner les procédures, dans la mesure du possible, en vue d’accroître l’accès initial à ces programmes, par exemple en autorisant ou en encourageant les renvois effectués directement par la police, en plus de ceux faits par les procureurs et les tribunaux

 

Ministère du Solliciteur général (SOLGEN)

  1. Le SOLGEN devrait déterminer, pour chaque établissement, des niveaux cibles de capacité d’accueil qui permettraient au mieux de mettre en œuvre des mesures de précaution contre la COVID-19. Il convient d’établir ces niveaux en s’appuyant sur les lignes directrices existantes du ministère de la Santé et de Santé publique Ontario, en consultant le ministère de la Santé, Santé publique Ontario ou les médecins hygiénistes locaux dans la mesure du possible, ainsi qu’en prenant en compte l’état actuel de la pandémie, le risque posé par les nouveaux variants de la COVID-19 et la capacité du SOLGEN et des ressources de santé communautaires à fournir des soins en cas d’éclosion.

 

  1. La Note d’information du SOLGEN sur la riposte à la COVID-19, qui est distribuée aux procureurs de la Couronne et invoquée pendant les procédures judiciaires, et dans laquelle sont décrites les mesures prises pour gérer la COVID-19 dans les services correctionnels, devrait comporter une alerte mise en évidence au tout début qui comprendrait :
    1. une remarque expliquant que, bien que le SOLGEN continue de prendre toutes les mesures qui s’impose pour prévenir la transmission de la maladie, un nombre élevé de personnes détenues augmente grandement la difficulté de gérer la COVID-19 et le risque d’éclosion, ce qui fait courir un risque aux agents des services correctionnels de première ligne, aux prisonniers, aux collectivités et aux professionnels de la santé
    2. un indicateur clair du taux d’occupation actuel, ventilé par établissement et par région, ainsi qu’une comparaison avec les niveaux cibles de capacité d’accueil, pour faire en sorte que des mesures de précaution contre la COVID-19 puissent être mises en œuvre
    3. un graphique illustrant l’évolution complète du nombre de personnes détenues entre mars 2020, soit avant la pandémie, et aujourd’hui

Loin de signifier que le SOLGEN ne fait pas tout son possible pour atténuer les éclosions de COVID-19, ces indications devraient être interprétées comme une reconnaissance de la complexité et des difficultés liées la gestion de la COVID-19 dans des milieux collectifs tels que les établissements correctionnels.

 

  1. Le SOLGEN devrait poursuivre ses efforts en vue de maintenir les permis d’absence temporaire pour les personnes purgeant des peines discontinues.

 

  1. Le SOLGEN devrait examiner les possibilités d’élargir l’accès aux permis d’absence temporaire, tout en protégeant la sécurité des collectivités. Il devrait notamment veiller à ce que les critères d’admissibilité et les évaluations des risques soient fondés sur des données probantes, et garantir la possibilité de mener des examens centralisés.

 

  1. Le SOLGEN devrait continuer à envisager tous les moyens possibles de faire bénéficier d’une libération pour raisons médicales ou de compassion tous les détenus qui sont particulièrement vulnérables dans le contexte de la COVID-19, notamment les personnes âgées, les femmes enceintes, les personnes ayant un système immunitaire fragilisé, les personnes présentant des troubles mentaux et les personnes qui doivent fournir des soins à des enfants ou à d’autres membres de leur famille.
 

[1] La baisse de la criminalité n’est pas liée à la COVID-19 et aux mesures de restriction connexes, car bon nombre de ces réformes ont été menées avant la pandémie. Par exemple, dans le New Jersey, la réforme de la mise en liberté sous caution a commencé en 2017 et, en deux ans, les crimes violents ont diminué de 16 %; voir également : Tiana Herring, « Releasing people pretrial doesn’t harm public safety » (2020), Prison Policy Initiative.