Direction des services juridiques

Au cours de l’exercice 1999-2000, la Direction des services juridiques s’est occupée d’environ 147 commissions d’enquête, 21 révisions judiciaires et 11 appels, dont deux appels portés devant la Cour suprême du Canada.

Les pages qui suivent présentent les grandes lignes de quelques-unes des affaires et des décisions qui ont marqué la dernière année et qui sont dignes d’intérêt pour ceux et celles qui ont à coeur de faire avancer la cause des droits de la personne.

Appels

M. c. H.
Cour suprême du Canada (intervention)

La Commission est intervenue devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire M. c. H.[1]. La plaignante « M. » s’est adressée au tribunal pour obtenir une ordonnance alimentaire contre « H. », son ex-partenaire du même sexe, après douze ans de vie commune. « M. » a fait valoir au début de sa requête en aliments que le fait que la définition de « conjoint » à l’article 29 de la Loi sur le droit de la famille[2] ne s’applique qu’aux personnes de sexe opposé, d’où l’impossibilité de présenter une demande d’aliments dans le contexte d’une union de fait entre lesbiennes, constituait une atteinte au droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte.

Décision de la Cour suprême : Le 20 mai 1999, la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelle la définition de « conjoint » donnée à la Partie III de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario et qui vise uniquement les personnes de sexe opposé. La Cour a déterminé que le fait de soustraire les couples homosexuels à l’application de l’article 29 de cette loi constituait une atteinte au droit à l’égalité ne pouvant être justifiée comme une limite raisonnable appliquée aux droits constitutionnels en vertu de l’article 1 de la Charte. La Cour a déclaré que l’article 29 de la Loi sur le droit de la famille n’avait aucune force exécutoire, mais a suspendu l’application de sa décision pour une période de six mois afin de donner au gouvernement de l’Ontario la possibilité d’apporter à sa loi les correctifs nécessaires.

Situation actuelle : Le gouvernement provincial a donné suite à la décision de la Cour suprême en présentant le projet de loi 5 à l’Assemblée législative de l’Ontario le 25 octobre 1999. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 28 octobre 1999 et est entré en vigueur le 1er mars 2000. Il a modifié la Loi sur le droit de la famille le 20 novembre 1999, de sorte que les dispositions de cette loi relatives aux obligations alimentaires s’appliquent dorénavant aux partenaires du même sexe. Les dispositions de la Loi sur le droit de la famille concernant le contrat familial et les réclamations pour dommages des personnes à charge ont aussi été étendues aux partenaires du même sexe. Le projet de loi 5 modifie également d’autres lois (dont le Code) pour qu’elles s’appliquent dorénavant aux partenaires du même sexe.

B.C. Human Rights Commission et al. v. Blencoe
Cour suprême du Canada (intervention)

À l’été 1995, deux plaintes portant sur les droits de la personne ont été déposées contre Robin Blencoe, ancien ministre du Cabinet provincial, pour harcèlement sexuel. À la fin de novembre 1997, M. Blencoe a déposé une requête en révision judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer les plaintes devant le British Columbia Human Rights Tribunal. Il a fait valoir que le délai excessif dans le traitement des plaintes lui avait porté préjudice et portait atteinte au principe de justice naturelle.

En février 1998, le juge en chambre a rejeté la requête en révision judiciaire de M. Blencoe, qui a par la suite porté la décision en appel devant la British Columbia Court of Appeal.

Décision de la Cour d’appel : La Cour d’appel a conclu ce qui suit :

(a)   les plaintes étaient « des plaintes relativement simples » ne comportant aucune complexité particulière;
(b)   tout délai dans le traitement des plaintes doit nécessairement avoir porté préjudice à M. Blencoe;
(c)   si M. Blencoe avait fait face à des accusations criminelles pour ce type d’ « agression sexuelle », ces accusations auraient fort probablement été rejetées en raison du délai;
(d)   l’aggravation d’une situation existante peut constituer une atteinte au droit à la sécurité de la personne et être contraire à l’article 7 de la Charte;
(e)   si les parties plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle sont protégées par l’article 7 de la Charte en cas de divulgation de documents confidentiels, les intimés dans une audience pour harcèlement sexuel, et faisant face à une intrusion prolongée dans les détails intimes de leur vie pour des accusations jusque là non prouvées, ont aussi droit à la même protection;
(f)     l’opinion que privilégie de plus en plus la Cour suprême du Canada est que l’article 7 de la Charte, sous la rubrique « liberté et sécurité de la personne », a pour objet de protéger à la fois la vie privée et la dignité des citoyens et citoyennes contre le stigmate laissé par l’humiliation publique injustifiée et prolongée du genre de celle subie par M. Blencoe en rapport avec les plaintes portées contre lui;
(g)   le délai dans cette affaire est tellement excessif comparativement au sérieux de « l’accusation » et à la simplicité des faits en cause qu’il ne pourrait en aucun cas être considéré comme raisonnable et n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

Situation actuelle : Cette cause a été entendue en appel devant la Cour suprême du Canada le 24 janvier 2000. La Cour n’a pas encore rendu sa décision.

Un appel infructueux aurait dans ce cas de lourdes conséquences pour la Commission ontarienne des droits de la personne, et bien sûr pour les Commissions dans d’autres provinces. L’appel aurait vraisemblablement pour effet d’inciter les intimés à invoquer l’article 7 pour des allégations non reliées au harcèlement sexuel.

Cour divisionnaire

OHRC and Mike Naraine v. Ford Motor Company of Canada Ltd., et. al.
Cour supérieure de justice, Cour divisionnaire, 23 juin 1999

Le plaignant a travaillé neuf ans comme électricien chez Ford. Pendant cette période, il a constamment été l’objet de harcèlement en raison de sa race. La commission d’enquête a conclu que ce harcèlement avait empoisonné le climat de travail du plaignant et était en partie responsable des mesures disciplinaires prises contre lui par la compagnie Ford. La commission a conclu que le licenciement de M. Naraine était injustifié du fait que Ford avait négligé de tenir compte des répercussions sur M. Naraine de l’atmosphère de travail empoisonnée.

Ford a porté la décision de la commission d’enquête en appel devant la Cour divisionnaire.

Résultat de l’appel : Dans une décision unanime, la Cour divisionnaire a rejeté l’appel. La Cour a conclu en partie ce qui suit :

Délai

  • La Cour a fait remarquer que la commission d’enquête, après avoir entendu tous les éléments de la preuve, était en « excellente position » pour déterminer si Ford subirait des préjudices. Sa décision dans cette affaire devait par conséquent être maintenue.

Chose jugée/Préclusion relative à la chose jugée

  • La Cour partage l’avis de la commission d’enquête selon lequel il convient de réexaminer les questions traitées par l’arbitre du travail – en particulier la question de la présumée altercation finale entre M. Naraine et un collègue de travail – afin de trancher les questions relatives aux droits de la personne.

« Exclusion » d’éléments de la preuve

  • La Cour a conclu que la commission d’enquête était en droit d’exclure les incidents survenus après le congédiement de M. Naraine de Ford comme preuves non pertinentes. Quoi qu’il en soit, la Cour a fait remarquer que la commission n’avait pas exclu cette preuve, et qu’elle l’avait plutôt admise sans toutefois lui accorder de valeur, comme elle était en droit de le faire.

Responsabilité de l’employeur

  • La Cour a maintenu la décision de la commission d’enquête d’imputer la responsabilité du harcèlement racial à la compagnie Ford, parce qu’elle n’a rien fait – et a en fait réagi avec indifférence -- pour mettre fin aux propos raciaux et aux graffitis à son usine de Windsor.

Situation actuelle : L’appel est en instance devant la Cour d’appel.

McKenzie Forest Products Inc. v. Adam Tilberg et al.
Décision de la Cour divisionnaire, révision judiciaire – 31 mai 1999

McKenzie Forest Products Inc. a demandé la révision judiciaire d’une décision intérimaire de la commission d’enquête prise dans le cadre de l’audition de la plainte d’Adam Tilberg. Dans sa plainte, M. Tilberg prétend que McKenzie a refusé de l’embaucher parce qu’il est né sans pouces.

La Commission a renvoyé la plainte de M. Tilberg devant la commission d’enquête. Elle a ensuite informé la commission d’enquête et les parties en litige qu’elle était parvenue avec McKenzie Forest Products à un règlement des questions d’intérêt public et qu’elle ne « participerait plus » à l’audience. M. Tilberg était informé de son droit d’engager des poursuites en son propre nom. « Comme condition de son abandon des procédures », la Commission a demandé à McKenzie une lettre de garantie, que la compagnie lui a fournie.

L’audition de la plainte de M. Tilberg a repris en l’absence de la Commission. McKenzie a alors présenté devant la commission d’enquête une motion visant à obtenir une ordonnance de rejet de la plainte de M. Tilberg, pour le motif que la commission d’enquête n’avait plus le pouvoir de poursuivre son travail en raison de la décision de la Commission de se retirer du dossier et d’abandonner la direction de l’affaire. La Commission a été informée et s’est opposée à la motion de McKenzie.

Décision de la commission d’enquête : La commission a déterminé qu’elle avait la compétence voulue pour poursuivre l’audition de la plainte de M. Tilberg, en dépit des mesures prises par la Commission pour abandonner la direction active de l’affaire devant la commission d’enquête. McKenzie a alors présenté une requête en révision judiciaire de la décision intérimaire de la commission d’enquête.

Résultat de la révision judiciaire : La majorité de la Cour divisionnaire a décidé d’accepter la requête en révision judiciaire de McKenzie. La Cour a conclu qu’en vertu du paragraphe 39 (2) du Code, la Commission avait l’obligation devant la loi d’assurer la direction de l’affaire. Or, une fois que la Commission avait abandonné la direction active de l’affaire, la commission d’enquête n’était plus compétente pour entendre la plainte. La Cour a conclu qu’en l’absence de la Commission, aucune autre partie ne possède l’autorité légale d’assumer la direction de l’affaire. Elle a aussi statué que l’intérêt public défendu par la Commission a préséance, en cas de conflit, sur les intérêts et les droits individuels du particulier qui porte plainte.

Décision de la Cour d’appel : La Cour d’appel a annulé la décision de la Cour divisionnaire et accueilli l’appel de la Commission. La Commission, en tant que partie dirigeant l’affaire devant la commission d’enquête, peut décider de se retirer d’une cause lorsqu’une offre de règlement a été proposée par la partie intimée et que la Commission juge que cette offre satisfait l’intérêt public. La partie plaignante peut poursuivre les procédures devant la commission d’enquête comme partie indépendante, en dépit de la décision de la Commission de ne pas produire de preuves.

Situation actuelle : McKenzie tente d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.

Audiences des commissions d’enquête

Brillinger and the Canadian Lesbian and Gay Archives v. Imaging Excellence Inc. and Scott Brockie
Décision de la commission d’enquête : 29 septembre 1999

Le plaignant, Ray Brillinger, a demandé des services d’impression - enveloppes, papier à en-tête et cartes de visite – à la partie intimée, Imaging Excellence Inc., au nom de Canadian Lesbian and Gay Archives (les « Archives »). Le président de la société Imaging Excellence, Scott Brockie, a refusé de fournir les services demandés en raison de ses croyances religieuses. Scott Brockie croit que l’homosexualité est contraire aux enseignements de la Bible. M. Brockie a fait valoir que son droit à la liberté de religion en vertu de l’alinéa 2 a) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) justifie son refus de fournir les services demandés.

L’audience s’est déroulée en deux étapes : la première étape a porté sur la violation du Code et la seconde, sur le moyen de défense fondé sur l’alinéa 2 a) de la Charte.

Décision de la commission d’enquête (première étape) : La commission d’enquête a conclu que le Code protège la Canadian Lesbian and Gay Archives contre toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. La commission d’enquête a déterminé que les organisations comme les Archives sont tellement imprégnées de l’identité et du caractère particulier de leurs membres, ou représentent si nettement un groupe de personnes identifié par un motif illicite de discrimination prévu par le Code, qu’elles ne peuvent être séparées de leurs membres et qu’elles endossent elles-mêmes les caractéristiques faisant l’objet de mesures de protection.

La commission d’enquête a donc conclu que tant Ray Brillinger que les Archives s’étaient vus refuser des services d’impression en violation de l’article 1 du Code. Elle a conclu que Ray Brillinger, en raison de son association avec les Archives, avait été indirectement victime de discrimination en tant que membre des Archives et en tant que président de l’organisation à l’époque. La commission d’enquête a conclu que les Archives avaient été victimes de discrimination directement et par association.

Situation actuelle : Le débat sur la Charte a eu lieu le 1er novembre 1999. La commission d’enquête a remis à plus tard le prononcé de sa décision.

Nicole Curling v. The Victoria Tea Company Ltd., A. Torimiro and The Torimiro Corporation
Décision de la commission d’enquête : 22 décembre 1999

La plaignante, Nicole Curling, a déposé une plainte contre son employeur, Alexander Torimiro et The Victoria Tea Company, le 15 avril 1994, alléguant qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et d’avances sexuelles, en violation du paragraphe 7 (2) et de l’alinéa 7 (3) a) du Code. En 1998, la plainte a été modifiée pour y inclure la discrimination en matière d’emploi fondée sur le sexe, en violation du paragraphe 5 (1) et de l’article 9 du Code.

Au cours de l’audience en septembre 1999, une allégation de représailles en violation de l’article 8 a été ajoutée à la plainte par suite d’une poursuite en diffamation intentée par le particulier mis en cause et sa nouvelle entité sociale, The Torimiro Corporation, ajoutée comme partie intimée dans l’affaire.

Décision de la commission d’enquête - La commission d’enquête a déterminé que Nicole Curling avait été soumise à une atmosphère de travail empoisonnée en raison d’un climat de travail sexualisé. La commission d’enquête a qualifié de harcèlement sexuel le comportement du particulier mis en cause à l’égard de la plaignante, notamment ses attouchements importuns, ses baisers et les remarques sur son corps.

La commission d’enquête a conclu que la persistance du particulier mis en cause à poursuivre une relation avec la plaignante constituait une forme d’avances sexuelles. Le témoignage d’expert présenté a démontré que les « avances relationnelles » doivent aussi être considérées comme une forme de harcèlement sexuel . Ce dernier type de harcèlement se distingue particulièrement par les pressions exercées par le harceleur sur l’objet de ses désirs pour l’amener à développer une relation intime avec lui. Ce genre de harcèlement débute généralement par des cadeaux, des attentions spéciales et des invitations à sortir. La commission d’enquête a noté que les « avances relationnelles » ne sont souvent pas vues comme une forme de harcèlement, mais sont plutôt traitées à la légère par les collègues de travail et les employeurs, qui voient davantage dans ce comportement un béguin et une scène de séduction.

En ce qui concerne les constatations antérieures de harcèlement sexuel par le particulier mis en cause, le témoignage d’expert présenté a clairement démontré que l’intimé était un récidiviste qui n’avait pas reconnu sa responsabilité et qui s’était engagé dans un schème de comportement sans bornes.

Les intimés ont intenté une poursuite civile contre la plaignante et réclament 1,5 million de dollars en dommages pour atteinte à leur réputation dans le cadre du processus de traitement de la plainte portant sur les droits de la personne. La commission d’enquête a déterminé que la poursuite intentée par les intimés avait nettement des airs de représailles. La commission d’enquête a conclu que la conduite des intimés, qui profèrent des menaces à l’endroit de la plaignante, de sa famille, de la Commission et de ses témoins, était une forme de représailles.

Situation actuelle : La décision relative aux recours n’a pas encore été rendue.


[1] Attorney General of Ontario v. M. and H., [1999] 2 S.C.R. 3.
[2] Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, chap. F.3