Analyse et conclusions

Généralités

Les cas de discrimination fondée sur l’âge ont tendance à être traités différemment des autres cas de discrimination, en particulier lorsqu’ils concernent la retraite. Dans la perspective des droits de la personne, la différence la plus évidente est le fait que la discrimination fondée sur l’âge ne soulève pas l’opprobre qu’entraîneraient, dans des circonstances comparables, des motifs de discrimination tels que la race, le sexe ou un handicap.

Les stéréotypes au sujet des personnes âgées servent à justifier la discrimination fondée sur l’âge, stéréotypes auxquels les tribunaux eux-mêmes, dans certains cas, semblent adhérer.[132] Cette situation est opposée à l’approche qu’a récemment adoptée la Cour suprême du Canada dans l’affaire des pompiers forestiers de la Colombie-Britannique[133], lorsqu’elle a indiqué que les éléments de preuve constitués d’impressions relativement à ce qu’une personne peut et ne peut pas faire, en fonction du sexe, seront probablement jugés discriminatoires.

Importance des données démographiques du point de vue des droits de la personne

Du point de vue des droits de la personne, les données sur l’âge sont importantes à plusieurs égards. En premier lieu, une grande partie de la population (35 %) a déjà au moins 45 ans et, de ce fait, court le risque d’être victime de discrimination fondée sur l’âge. Dans les années à venir, à mesure que la population vieillira, le nombre de personnes qui risquent d’être victimes de discrimination fondée sur l’âge dans les domaines d’intérêt social que couvre le Code augmentera. De plus, étant donné que le nombre de personnes de plus de 65 ans doublera et que le rapport de dépendance des personnes âgées montera en flèche, il se pourrait qu’il faille réexaminer la mise à la retraite obligatoire à 65 ans, qui n’est pas une forme de discrimination aux termes du Code. Le fait que 6 % des personnes âgées demeurent employées après avoir atteint 65 ans est aussi très important, car dans le domaine de l’emploi, le Code n’offre de protection contre la discrimination fondée sur l’âge que jusqu’à 65 ans.

Enfin, les statistiques révèlent la nécessité de considérer la discrimination dans les domaines des services et des installations. Étant donné que 7 % des personnes âgées vivent en établissement et que les personnes âgées ont largement recours aux services de santé, il est important d’examiner les questions liées à la discrimination qui sont soulevées en matière de services et d’installations. Bien entendu, les personnes âgées ont aussi accès à d’autres types de services et d’installations.

Emploi

Il existe d’excellentes raisons justifiant le renversement des attitudes envers la discrimination fondée sur l’âge en milieu de travail. Tout d’abord, la population vieillit, et l’augmentation de l’espérance de vie permet de travailler plus longtemps de façon productive. Les études empiriques ne s’accordent pas sur le lien entre l’âge et le rendement au travail[134]. En deuxième lieu, la notion selon laquelle les personnes âgées accaparent une part du travail est une fausseté. Étant donné la grande différence dans la « valeur ajoutée » que les travailleuses et travailleurs âgés apportent par suite de l’expérience et des connaissances qu’ils ont acquises ainsi que de leurs réseaux, il n’est pas sûr que la stratégie consistant à « remplacer » les travailleuses et travailleurs âgés par des jeunes soit efficace, voire possible.

En ce qui concerne l’ensemble de la politique sociale, le fardeau imposé au système de revenus de retraite deviendra considérable lorsque la génération du baby-boom commencera à s’en prévaloir.[135]

Étant donné que le vieillissement au Canada est associé à une diminution des ressources financières et à une augmentation des problèmes de santé,[136] il existe des raisons impérieuses de garder les personnes désireuses de travailler dans la population active et, par conséquent, d’assurer qu’elles bénéficient de mesures de protection appropriées. La partie de ce document portant sur l’emploi met en lumière trois répercussions distinctes.

La première a trait à la retraite. La constitutionnalité des limites d’âge maximal semble bien établie, et le Code lui-même restreint la protection aux moins de 65 ans. Toutefois, des questions demeurent quant aux régimes de retraite anticipée qui visent, subtilement ou autrement, à réduire le nombre de personnes âgées dans la population active. La compression des effectifs invoquée comme défense a donc une incidence sur les enquêtes concernant les affaires de discrimination fondée sur l’âge. On ne devrait pas forcer les travailleuses et travailleurs âgés à quitter le marché du travail en se servant de programmes de « rajeunissement », peu importe qu’ils soient subtils ou soigneusement mis en oeuvre. Il serait donc utile de bénéficier d’outils d’enquête qui aideraient le personnel affecté aux droits de la personne à faire la distinction entre les mesures de compression motivées par des facteurs légitimes et celles qui sont motivées par des préjudices liés à l’âge.

Dans un domaine connexe, comme dans le cas de nombreux autres types d’affaires de discrimination au travail, les employeurs soulèvent fréquemment des problèmes liés au rendement ou d’autres raisons légitimes comme motifs de cessation d’emploi. Ces raisons peuvent être soulevées comme moyen de défense unique ou en combinaison avec la compression des effectifs invoquée comme justification. Bien qu’elles puissent être légitimes, elles tendent à neutraliser ou à minimiser l’incidence des éléments de preuve reposant sur la discrimination fondée sur l’âge. Il ne faut pas oublier qu’il suffit de prouver que la discrimination fondée sur l’âge est une des raisons justifiant la mesure, et non pas nécessairement la cause immédiate.[137]

Il conviendrait d’élaborer des stratégies pour traiter ce genre d’affaires. Elles pourraient comprendre l’analyse de circonstances courantes, telles que les suivantes :

  • Cas où des travailleuses ou travailleurs en ont remplacé de plus vieux dans des fonctions semblables ou identiques;[138]
  • Cas où la cote de rendement de travailleuses ou travailleurs âgés a chuté subitement sans explication au moment des compressions;
  • Commentaires indiquant qu’il y a discrimination fondée sur l’âge;
  • Documents ou notes de service laissant supposer qu’il y a discrimination fondée sur l’âge, p. ex. des annonces sur le « rajeunissement » des effectifs;
  • Tendance vers l’élimination des travailleuses ou travailleurs les plus âgés;
  • Rajeunissement marqué des effectifs après des compressions, auquel s’ajoute le fait que les descriptions de fonctions n’ont pas beaucoup changé ou que les nouveaux titulaires n’ont pas participé à des concours pour obtenir les postes;
  • Incidence sur les travailleuses et travailleurs âgés, notamment du point de vue de l’âge, du salaire et des occasions d’obtenir des emplois comparables.

Certaines administrations utilisent des modèles d’analyse statistique de l’effet défavorable. Il y aurait lieu d’examiner davantage ces outils pour déterminer s’ils peuvent aider la Commission à analyser les cas de compression des effectifs.

La troisième question a trait au vieillissement de la population active et au nombre de personnes qui continuent de travailler au-delà de 65 ans.[139] Il est difficile de justifier un programme législatif permettant la discrimination dans le domaine de l’emploi contre les personnes de plus de 65 ans qui continuent de travailler, en particulier dans les milieux non syndiqués où les autres formes de protection, telles que les procédures de règlement des griefs, sont inexistantes. En l’absence de protection législative liée à l’âge et en cette période où une grande partie du milieu du travail subit l’influence des nouvelles technologies de l’information, les travailleuses et travailleurs âgés – qui composent une proportion de plus en plus grande de la population active – semblent particulièrement vulnérables.

L’une des solutions envisageables consisterait donc à apporter à la loi une modification qui ne mettrait pas fin au droit d’un employeur d’imposer la retraite obligatoire à 65 ans, mais qui maintiendrait la protection des droits de la personne pour les employés qui continuent de travailler après avoir atteint l’âge de 65 ans.

L’Ontario ne serait pas la seule compétence canadienne à avoir reconnu les inégalités qu’entraîne le fait de limiter la protection des droits de la personne aux travailleuses et travailleurs de moins de 65 ans. En 1998, la commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique proposait une modification d’une plus grande portée.[140] De plus, le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a examiné la question de la retraite obligatoire comme moyen de défense en vertu de cette loi, y compris si la défense devrait tout simplement être éliminée dans les domaines de compétence fédérale. L’étude préparée pour le Comité de révision indique que la retraite obligatoire peut causer de graves problèmes, d’ordre financier ou autre, aux personnes âgées qui auraient continué de travailler si elles n’avaient pas été obligées de prendre leur retraite. L’effet négatif de la retraite sur les finances personnelles se fait particulièrement sentir chez les femmes et les personnes ayant immigré récemment. En raison de leurs antécédents professionnels, nombre de ces travailleuses et travailleurs n’ont peut-être pas un revenu suffisant provenant de leur régime de retraite, public ou privé, ou de leur REER.[141] Il est également à noter que le gouvernement des États-Unis a déjà adopté une loi qui fera progressivement passer l’âge de la retraite de 65 à 67 ans[142]. Cette mesure a nettement incité les autres compétences à réexaminer leurs politiques respectives relativement à la retraite obligatoire afin qu’elles correspondent davantage aux réalités sociales.

Services

Des niveaux de service inadéquats, en particulier dans le domaine des soins de santé, semblent résulter d’un système de santé axé sur la restructuration et sur l’investissement dans les soins actifs. Un tel système risque de moins bien répondre aux besoins des personnes âgées. Pour cette raison, la Commission pourrait communiquer avec le ministère de la Santé afin de s’enquérir des investissements dans les soins de moyenne et de longue durée, dans les établissements pour malades chroniques, dans la réadaptation et dans les soins prolongés complexes. 

Une deuxième activité de promotion consisterait à communiquer avec le Collège des médecins et chirurgiens et avec l’Association médicale canadienne pour faire rapport de la discussion que contient le présent document et pour informer les médecins que la Commission a statué que le fait d’offrir des soins médicaux différents en raison de l’âge d’une personne constitue une forme de discrimination, sauf si les critères le justifiant sont raisonnables et véritables, compte tenu de la défense fondée sur les préjudices injustifiés. En outre, dans le cas de personnes âgées handicapées, la norme plus rigoureuse qu’impose l’article 17 du Code exigerait une adaptation des soins à la personne.

Troisièmement, la question du transport en commun est, de toute évidence, essentielle en ce qui concerne le mode de vie, l’autonomie et la dignité des personnes âgées. Il est donc recommandé que les principes adoptés par suite du présent document soient intégrés au rapport sur l’accessibilité du transport en commun produit par la Commission.

Logement

Les travaux de la Commission dans le domaine du logement et en ce qui concerne les handicaps devraient refléter les normes d’accessibilité et la norme élevée de la défense fondée sur les préjudices injustifiés établies dans les Directives pour l’évaluation des besoins en matière d’adaptation des personnes handicapées de la Commission.

Dans les cas impliquant des plaignantes ou plaignants âgés, handicapés ou non, le personnel de la Commission devrait examiner les lignes directrices fournies par le Conseil consultatif national sur le troisième âge pour orienter ses enquêtes.


[132] Pour une critique de l’approche de la Cour suprême et de l’invocation présumée des stéréotypes au sujet de l’âge, voir, par exemple, les opinions dissidentes dans McKinney et dans Stoffman.
[133] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
[134] N.C. Agarwal, « La retraite obligatoire et la Loi canadienne sur les droits de la personne », document de recherche présenté au Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne,en ligne: Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne <http://www.chrareview.org/pubs/retire1f.html>.
[135] Flexible Retirement, supra note 11.
[136] Voir Shone, supra note 59.
[137] Dans l’affaire Gadowsky, [1981] 1 W.W.R. 647 (Alta.Q.B.).
[138] Il n’est pas nécessaire que les travailleuses ou travailleurs plus jeunes soient beaucoup plus jeunes, pour autant que l’âge soit un facteur. Aux États-Unis, un travailleur de 56 ans, qui avait été remplacé par une personne de 40 ans, a obtenu gain de cause après avoir engagé des poursuites en vertu de la loi fédérale intitulée Discrimination in Employment Act. O'Connor c. Consolidated Coin Caterers Corp. 1996 US LEXIS 2168 (1er avril 1996). 
[139] Voir la section intitulée Les personnes âgées et la population active
[140] British Columbia Human Rights Commission, Human Rights for the Next Millenium 19 janvier 1998, en ligne: British Columbia Human Rights Commission <http://www.bchrc.gov.bc.ca>.
[141] Tiré de La retraite obligatoire et la Loi canadienne sur les droits de la personne, note 134 ci-dessus.
[142] « Public rejects idea of raising retirement age to save money », Ottawa Citizen (6 janvier 2000). En 2027, les Américains devront avoir 67 ans pour être admissibles à la sécurité sociale aux termes d’un programme qui fera graduellement passer l’âge de la retraite de 65 à 67 ans. Cet article indique que des sondages révèlent que les Canadiennes et Canadiens sont fortement opposés à l’augmentation de l’âge auquel ils auront droit aux prestations de retraite. Il soulève l’exemple des États-Unis pour montrer que d’autres compétences commencent à réagir à l’évolution démographique.