Retraite obligatoire à l’âge de 65 ans

Les employeurs imposent des limites d’âge maximal pour établir des politiques de mise à la retraite obligatoire à 65 ans. Ces limites d’âge ont été contestées à plusieurs reprises aux termes de la Charte. En effet, de nombreuses causes ont été portées devant les tribunaux et la Cour suprême du Canada a rendu plusieurs décisions à cet égard. Même si les causes diffèrent à certains égards (par exemple, certaines contestent diverses mesures législatives en se fondant sur la Charte des droits et libertés, alors que d’autres portent sur l’application des moyens de défense fondés sur la retraite obligatoire prévus dans les codes des droits de la personne), la Cour suprême a toujours reconnu la validité du principe de la retraite obligatoire à 65 ans.[75]

Dans McKinney c. University of Guelph,[76] la Cour suprême du Canada a étudié la constitutionnalité du paragraphe 10 (1) du Code de l’Ontario, qui confère une protection en cas de discrimination fondée sur l’âge dans le domaine de l’emploi aux personnes ayant entre 18 et 65 ans et qui, de ce fait, autorise l’adoption de politiques de mise à la retraite obligatoire à l’égard des personnes de 65 ans et plus. La Cour suprême du Canada a conclu que la limite d’âge maximal de 65 ans constituait un motif prima facie vue de discrimination fondée sur l’âge et enfreignait le paragraphe 15 (1) de la Charte. Elle a cependant conclu qu’il s’agissait d’une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte[77].

Dans son analyse de l’article premier, la Cour a fait l’historique des politiques de mise à la retraite obligatoire et examiné leurs incidences sur le milieu de travail. Le concept de retraite obligatoire est relié à l’introduction, par les secteurs public et privé, des régimes de retraite. Il a eu des répercussions considérables sur l’organisation du milieu de travail et la structure des régimes de retraite, les principes d’équité et d’inamovibilité au lieu de travail, et les chances d’emploi pour les autres. La Cour suprême a conclu qu’un des objectifs de l’article contesté du Code était d’en arriver à un compromis législatif entre la protection des personnes contre toute forme de discrimination et l’offre aux employeurs et aux employés de la liberté nécessaire de s’entendre sur une date de cessation d’emploi qui profiterait aux deux parties. La Cour a aussi conclu que les objectifs de l’article, à savoir préserver l’intégrité des régimes de retraite et accroître les chances offertes aux travailleurs plus jeunes en fixant un âge de mise à la retraite obligatoire, revêtaient une importance urgente et réelle, étaient rationnellement liés à la restriction établie quant à l’exercice du droit en question, et ne constituaient qu’une atteinte minimale aux droits à l’égalité des personnes plus âgées.

Par la suite, la Cour suprême a étudié à plusieurs reprises la question de la retraite obligatoire à 65 ans. Dans Stoffman c. Vancouver General Hospital[78], la Cour a appliqué la décision à laquelle elle était parvenue dans l’affaire McKinney et conclu qu’un règlement qui retirait leurs privilèges d’admission aux médecins lorsqu’ils atteignaient l’âge de 65 ans, les forçant ainsi à prendre leur retraite, était justifié aux termes de l’article premier de la Charte[79]. Chose intéressante, dans cette affaire, la Cour a implicitement accepté le concept selon lequel les personnes plus âgées ne sont pas à la pointe des nouvelles découvertes et des nouvelles idées, et qu’à 65 ans, les médecins sont « moins capables de contribuer à la pratique spécialisée de l’hôpital ». Même si elle a reconnu qu’il existe des écarts variables entre les personnes quant au rythme de la détérioration de leurs connaissances et de leurs aptitudes à exercer la médecine, la Cour a néanmoins rejeté l’adoption d’un programme d’évaluation des aptitudes ou du rendement comme solution de rechange.

Il convient de soupeser cette décision au regard des deux opinions dissidentes exprimées dans Stoffman. Madame le juge Wilson et Madame le juge L’Heureux-Dubé ont toutes les deux rejeté le stéréotype qui sous-tend le principe non exprimé autour duquel s’articule le concept de la retraite obligatoire, à savoir que l’avance en âge s’accompagne d’une diminution des compétences et du déclin des capacités. Dans son opinion, Madame le juge L’heureux-Dubé rejette le concept voulant qu’une personne soit tout à coup moins apte à exercer ses fonctions au lendemain de son 65e anniversaire de naissance :

Dans l'arrêt McKinney, j'ai estimé que forcer une personne à mettre fin à sa carrière simplement en raison de son âge ne saurait résister à un examen fondé sur la Charte puisque l'âge ne détermine certainement pas les capacités ou la compétence d'une personne. On ne devient pas moins compétent le lendemain de son 65e anniversaire que la veille de celui-ci. Fondamentalement, il s'agit d'une question de dignité personnelle et de justice... Les mêmes préoccupations se soulèvent en l'espèce. Les médecins ne deviennent pas incompétents à un âge donné. S'ils le deviennent, cela tient surtout au fait qu'ils ne se tiennent plus au courant des avances de la science médicale et, entre autres, que leur résistance physique et leur santé diminuent. Mais une politique de mise à la retraite obligatoire est arbitraire et ne fait qu'établir la date à laquelle cela est présumé se produire. C'est défier toute logique d'affirmer que dans tous les cas cet état de choses ne se produit que lors de l'avènement d'un jour précis.[80]

La question de la retraite obligatoire à 65 ans pour les professeurs d’université a été soulevée une fois de plus dans Dickason c. University of Alberta[81]. Contrairement à la situation qui prévalait dans McKinney, la loi albertaine intitulée Individual’s Rights Protection Act ne prévoyait aucun âge maximal. Par conséquent, le problème était de savoir si le moyen de défense prévu dans la Loi, qui permettait aux employeurs de faire de la discrimination lorsque cela était « raisonnable et justifiable eu égard aux circonstances », s’appliquait au régime. Malgré une décision selon laquelle l’université ne devait pas bénéficier d’une attitude de retenue, et même si un moyen de défense prévu dans une loi à l’égard d’actes de discrimination devrait être interprété restrictivement, la Cour a néanmoins statué que le régime était raisonnable et justifiable dans les circonstances.

Dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne)[82], un moyen de défense exprès relativement à l’âge de la retraite obligatoire prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne a été contesté, sans succès. Même si cette loi ne limitait pas son champ d’application à un âge maximal, elle comprenait une disposition (l’alinéa 15 c)) qui stipulait qu’il n’est pas discriminatoire de forcer une personne à prendre sa retraite à un âge normal selon les normes en vigueur dans le secteur.  M. Cooper, un pilote de ligne, a été obligé de prendre sa retraite à 60 ans, l’âge de la retraite normal pour les pilotes de ligne. La Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que suite à la décision rendue dans McKinney, la Cour suprême avait effectivement confirmé la légalité de l’alinéa 15 c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Section de première instance.

Malgré la décision rendue dans McKinney et la définition restreinte du terme « âge» énoncée dans le Code de l’Ontario, il semble que dans le domaine des relations de travail il puisse être possible de faire déclarer invalide une politique de mise à la retraite obligatoire à 65 ans. Ce postulat découle de l’affaire Ottawa Hunt and Golf Club c. Hospitality and Service Trades Union, Local 261[83]. Dans cette affaire, la convention collective comprenait une disposition qui interdisait toute forme de discrimination fondée sur l’âge sans aucune réserve, c’est-à-dire même en cas de retraite obligatoire. Cette décision est intéressante en ce sens que l’arbitre a fait remarquer que le Code de l’Ontario peut servir à interpréter une disposition d’une convention collective si une incompatibilité avec les textes législatifs rendrait autrement cette disposition invalide (c’est-à-dire si l’on tentait de soustraire la convention au Code). Cependant, étant donné que dans cette affaire, l’interprétation du texte par le syndicat n’entraînait aucune illégalité, il n’était pas nécessaire d’appliquer les restrictions en matière d’« âge » que prévoit le Code.


[75] La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a statué que les dispositions du code des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, qui accordent une protection contre toute forme de discrimination fondée sur l’âge uniquement aux personnes ayant entre 40 et 64 ans, enfreignent l’article 15 de la Charte et que cette infraction ne peut se justifier aux termes de l’article premier de la Charte (voir Sniders c. Nova Scotia (Attorney General) (1988), 55 D.L.R. (4th) 408. Étant donné que la décision de la Cour suprême dans l’affaire McKinney, infra note 76 ne visait que la constitutionnalité du Code des droits de la personne (Ontario), la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse semblerait n’avoir aucune incidence en Ontario.
[76] [1990] 3 R.C.S. 229 [ci-après McKinney ].
[77] Dans l’affaire Harrison c. University of British Columbia, [1990] 3 R.C.S. 451, la Cour suprême est arrivée à la même conclusion en ce qui concerne la définition restrictive d’âge (entre 45 et 65 ans) prévue à l’article 1 du code des droits de la personne de la Colombie-Britannique.
[78] [1990] 3 R.C.S. 483 [ci-après Stoffman].
[79] Avant de procéder à cet examen, la Cour a statué que la Charte ne s’appliquait pas au règlement pris par l’hôpital. Cette décision a suffi pour rendre un jugement en faveur de l’hôpital. Néanmoins, la Cour a décidé d’examiner la question de toute éventuelle infraction à l’article 15 de la Charte.
[80] Stoffman, supra note 78, p. 560-1.
[81] [1992] 2 R.C.S. 1103.
[82] (1992), 22 C.H.R.R. D/87, conf. par 22 C.H.R.R. D/90, conf. par [1996] 3 R.C.S. 854.
[83] Ottawa Hunt and Golf Club c. Hospitality and Service Trades Union, Local 26 (12 octobre 1996) (décision non publiée du CCL).