Les articles du dialogue sur la politique raciale

Étude de causes de discrimination raciale

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

by Amyn Hadibhai

Amyn Hadibhai a été reçu au Barreau en février 2002, après avoir terminé ses études de droit à l’Université de Toronto. Il représente notamment la Commission ontarienne des droits de la personne à des audiences et des médiations devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, ainsi qu’à des contrôles judiciaires devant la Cour divisionnaire.

Résumé analytique

Le présent article fait état de certaines causes de discrimination fondée sur des motifs raciaux. Bien qu’il n’ait pas pour but de présenter chaque cause raciale amenée devant un tribunal des droits de la personne, l’article fournit un large aperçu de la jurisprudence en Ontario au cours de la dernière décennie. L’article expose également des causes plus anciennes et des décisions importantes rendues dans d’autres juridictions au Canada.

Dans la cause R. c. Williams, la Cour Suprême du Canada a reconnu que « les préjugés raciaux et leurs effets sont tout aussi attentatoires et insaisissables que corrosifs »[1] et a mis en garde la population en général contre le risque de « sous-estimer la nature insidieuse des préjugés raciaux et des stéréotypes qui les sous-tendent »[2]. Il n’est donc pas surprenant qu’il soit souvent compliqué et difficile d’examiner et de soumettre des plaintes de discrimination raciale en vertu des lois provinciales sur les droits de la personne.

La première partie de cet article présentera des causes de harcèlement racial déclaré afin de mettre en lumière la manière dont elles ont été traitées par divers tribunaux des droits de la personne. Dans la seconde partie, seront examinées des causes dans lesquelles la plainte ne porte pas sur des actes spécifiques de harcèlement racial déclaré, mais plutôt des causes dans lesquelles la plaignante ou le plaignant allègue qu’il existe un modèle de traitement différentiel.[3]

Harcèlement racial

Certaines des premières causes de droits de la personne qui ont porté sur des propos racistes ont laissé entendre qu’ils ne constituaient pas une conduite illégale et que, par moments, ils étaient rejetés comme étant des propos de couloir ou des « interactions personnelles » entre employés. Toutefois, des causes plus récentes n’ont pas suivi un tel raisonnement qui ne tient pas compte des répercussions que ces mots peuvent avoir dans la fomentation de la discrimination raciale.[4]

Depuis, des tribunaux ont reconnu que le harcèlement racial est une question importante qui peut sérieusement porter atteinte à une plaignante ou un plaignant. [5] Dans la cause Mohammed c. Mariposa Stores Ltd.[6], le Conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique a reconnu que le harcèlement racial, comme le harcèlement sexuel, est une « pratique dégradante » et qu’il constitue un « profond affront à la dignité » d’un employé. Plus récemment, dans la cause Fuller c. Daoud[7], la Commission d’enquête de l’Ontario, aujourd’hui appelée le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« le Tribunal »),[8] est allée plus loin en acceptant la soumission de la Commission selon laquelle quand « des personnes de race blanche en position de pouvoir insultent des personnes de race noire ou appartenant à d’autres groupes racialisés dans des termes raciaux abusifs, leurs mots reflètent les jugements de la société au sujet de la supériorité des personnes de race blanche et de l’infériorité des autres races. Le langage raciste a cet effet, qu’il soit intentionnel ou non, parce que ces jugements sont intégrés à la signification des mots »[9].

Les tribunaux des droits de la personne ont aussi étendu la responsabilité du harcèlement, non seulement aux personnes qui tiennent des propos à caractère racial, mais aussi aux employeurs qui n’ont pas sérieusement considéré les répercussions du harcèlement racial sur leurs employés. Dans la cause Mohammed c. Mariposa Stores Ltd. susmentionnée, le Conseil a statué que le fait de punir un employé qui a répondu insolemment à un client qui a tenu des propos racistes est discriminatoire, puisqu’il cautionne les propos discriminatoires du client. Le Conseil a maintenu qu’un employé doit exercer un contrôle sur ses réactions face à une conduite discriminatoire en milieu de travail, indépendamment de la façon dont cette conduite survient.

Des tribunaux des droits de la personne ont aussi reconnu spécifiquement que les employeurs ont le devoir d’offrir un milieu de travail exempt de propos racistes, de graffitis et d’autres formes de harcèlement. Dans la cause Naraine c. Ford Motor Company,[10] le Tribunal a conclu que la compagnie a fait preuve de discrimination à l’endroit du plaignant en permettant qu’un milieu de travail malsain d’un point de vue racial ait pu se développer à son usine de Windsor. Le Tribunal a statué que les propos racistes et les graffitis chez Ford étaient si répandus qu’ils étaient presque sur le point de devenir « une condition d’emploi ». De plus, le Tribunal a entendu un expert qui a affirmé que, bien que certaines victimes de racisme, « intériorisent le stress » à travers une acceptation et une adaptation, d’autres peuvent réagir avec emportement, se mettre en colère, utiliser un langage fort et devenir très émotives. Le Tribunal a utilisé cette preuve pour conclure que le recours du plaignant à des injures n’est pas un obstacle à sa plainte en vertu du Code des droits de la personne.[11]

De même, dans la cause Ontario (ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels) (No 3)[12], le plaignant, un Canadien d’origine autochtone qui travaillait comme agent correctionnel, a plaidé avec succès que ses collègues de travail créaient un milieu de travail malsain, dans lequel des propos racistes représentaient la norme. Un certain nombre d’agents correctionnels, dont des superviseurs, traitaient régulièrement le plaignant de toutes sortes de noms à caractère racial. Le plaignant était aussi passé d’une affectation peu souhaitable à une autre qui l’était encore moins, parce qu’il avait commis une erreur somme toute assez courante. Personne d’autre n’avait subi une telle réaffectation après avoir aussi commis la même erreur. Le Tribunal a conclu que, non seulement le personnel intimé a violé le Code, mais aussi que le défaut du ministère de prendre des mesures appropriées pour corriger la situation constituait une violation du droit du plaignant à recevoir un traitement égal.[13]

Traitement différentiel non déclaré

Bien que les effets sur la plaignante ou le plaignant soient tout sauf « subtils », les formes de discrimination non déclarée sont souvent décrites comme telles en raison de la difficulté d’obtenir des preuves. Les causes de harcèlement racial déclaré attaquent habituellement la crédibilité des parties et de leurs témoins. Cependant, les causes alléguant des formes plus subtiles de racisme dépendent, il ne faut s’en étonner, de l’inférence de la discrimination au moyen d’une preuve circonstancielle.

Ainsi, la collecte et l’analyse minutieuses d’éléments de preuve disparates sont requises pour défendre adéquatement une cause de discrimination non déclarée. Un obstacle qu’on rencontre souvent dans ce genre de causes est la réticence générale à inférer qu’un individu ou qu’une organisation ait des préjugés raciaux, même devant une preuve circonstancielle solide. Par exemple, dans la cause Mark Smith c. Mardana Ltd. (No. 2),[14], le Tribunal a conclu que le plaignant avait été sujet à diverses formes de harcèlement racial non déclaré. Toutefois, le Tribunal a refusé d’inférer que le milieu de travail empoisonné créé par ses collègues et ses superviseurs a été un facteur dans le licenciement subséquent du plaignant. Le Tribunal a établi une distinction entre le congédiement du plaignant et le milieu de travail malsain: « Pourquoi les mêmes personnes qui l’ont embauché, qui ont eu une bonne impression de lui, qui lui ont donné une promotion et qui ont aménagé ses horaires de travail pour qu’il suive ses cours, prendrait soudain une décision contre lui en raison de sa race? » Le Tribunal a cru bon de pas tenir compte des effets que le milieu empoisonné a eus sur le congédiement et ignore le fait que la décision de la direction aurait été différente, si le plaignant avait commencé à protester contre des injures raciales. Cette cause souligne la difficulté d’identifier des formes de racisme non déclaré qui peuvent surgir en milieu de travail.

Preuve circonstancielle

Récemment, dans la cause R. c. Brown[15], la Cour d’appel de l’Ontario a entendu la question de l’utilisation de la preuve circonstancielle pour prouver des cas de discrimination raciale, en particulier le profilage racial. La Cour a reconnu le problème inhérent à la preuve circonstancielle requise pour prouver un cas de profilage racial. Elle a statué qu’une plainte de profilage racial peut rarement s’appuyer sur une preuve directe. Pour qu’un profilage racial puisse être prouvé, cette preuve doit être établie par inférence à partir d’une preuve circonstancielle. De manière plus spécifique, en ce qui concerne les agents de police, la Cour a statué que, lorsque la preuve indique que les circonstances relatives à une détention correspondent au phénomène du profilage racial et fournissent un fondement pour que le tribunal infère que l’agent de police ment sur les raisons pour lesquelles il a choisi de porter son attention sur l’accusé, le compte rendu peut alors soutenir la conclusion selon laquelle l’arrestation était fondée sur un profilage racial.[16]

La reconnaissance par la Cour d’appel de l’Ontario de l’importance de la preuve circonstancielle fait suite à une série de causes qui ont maintenu que la preuve circonstancielle peut être utilisée pour prouver l’existence de la discrimination. Dans la cause Grover c. Canada (Conseil national de recherche)[17], le Tribunal canadien des droits de la personne a reconnu que la discrimination raciale, plus souvent qu’autrement, est subtile et voilée. En appréciant la preuve, la Cour a statué qu’on doit souvent avoir accès à une preuve circonstancielle pour identifier « de subtiles odeurs de discrimination »[18] De même, dans la cause Maxwell Nelson c. Conseil de l'éducation et Don Peel[19], le Tribunal a conclu qu’une inférence de discrimination raciale pourrait être conclue lorsque la preuve qui la soutient rend une telle inférence plus probable que toutes les autres inférences ou hypothèses possibles.[20] Comme le Tribunal l’a souligné, l’intention de discriminer est non pertinente, et le plaignant n’a pas à fournir un motif de discrimination.

Discrimination systémique ou traitement différentiel

Certaines des causes les plus complexes de discrimination non déclarée portées à l’attention des tribunaux des droits de la personne sont celles de plaintes qui allèguent que la discrimination raciale est intégrée aux structures et aux procédures d’une organisation. Un exemple serait un milieu de travail ayant des politiques, des exigences ou une culture qui rendraient plus difficile à une personne issue d’une minorité de réussir, comparativement à ses collègues de travail de race blanche. Apparemment, des règles neutres peuvent souvent agir comme des obstacles pour les minorités raciales. Dans la cause Wong c. Conseil de l’éducation d’Ottawa (No. 3)[21], les intimés prétendaient déterminer quels enseignants seraient déclarés surnuméraires, en se basant en partie sur les activités parascolaires auxquelles ils participaient à l’école. Cependant, le Tribunal a maintenu que la perspective réductionniste, qui consistait à déterminer les activités considérées comme « parascolaires », était discriminatoire. Cette perspective étroite incluait des activités auxquelles, pour des raisons culturelles, les immigrants chinois, comme le plaignant, avaient peu de chances de participer et excluait des activités légitimes à l’égard desquelles ils sont plus disposés à s’engager.

Un traitement différentiel peut survenir quand un fournisseur de services, un locateur ou un employeur traite un individu différemment en raison de sa race. Par exemple, dans la cause Mitchell c. Nobilium Products Ltd.[22], une étude comparative sur la manière dont les employés étaient traités a démontré que les employés noirs d’origine antillaise étaient licenciés sous prétexte de leur faible rendement au travail, alors que d’autres employés ayant une autre origine, dont le rendement au travail était médiocre, n’étaient pas congédiés. Cette comparaison a permis au Tribunal de conclure que la principale raison du licenciement du plaignant était son rendement médiocre, mais que sa race, sa couleur et son origine ethnique constituaient également des facteurs.[23]

Une autre façon d’établir une inférence que la race constitue un facteur dans une décision en particulier est de voir si le décideur a agi différemment dans des situations similaires. Dans la cause Johnson v. Halifax Regional Police Service[24], en décidant s’il s'agissait d’un cas prima facie où il y avait eu différence de traitement, la Commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse a conclu que « les écarts à la pratique habituelle et la preuve du manque de courtoisie ou de l’intransigeance sont des motifs de conclure au traitement différent ». Dans cette cause, la Commission d’enquête a statué que la manière non professionnelle dont le plaignant a été traité au cours de l’interpellation abusive était fondée sur sa race et qu’il serait difficile d’imaginer un traitement semblable pour un conducteur de race blanche.

Explication de l’intimé pour une conduite contestée

L’examen de l’explication d’une conduite contestée par un intimé est souvent le facteur déterminant dans les plaintes de discrimination raciale non déclarée portées à l’attention des Tribunaux des droits de la personne. Dans la cause Lasani c. Ontario (ministère des Services sociaux et communautaires) (No. 2)[25], le Tribunal a reconnu que, non seulement la discrimination n’a pas besoin d’être intentionnelle, mais aussi qu’il y a peu de chances qu’un individu admette ne pas embaucher des personnes issues de minorités. Ainsi, le Tribunal a maintenu qu’il doit analyser attentivement l’explication de l’intimé de ne pas donner de l’avancement aux membres des communautés ethniques qui sont compétents.[26]

Dans la cause Quereshi c. Conseil de l’éducation de la ville de Toronto et autres (No. 3)[27], le manque d’explication crédible par les intimés a été déterminant dans la décision du Tribunal. Le Tribunal a statué que le plaignant avait fait l’objet d’une discrimination en raison de son lieu d’origine et de son origine ethnique, quand il s’est vu refuser un poste d’enseignant à l’école secondaire intimée. Dr Quereshi détenait quatre diplômes, dont un baccalauréat et un doctorat en philosophie des sciences. En 1982, il a sollicité un poste de professeur de mathématiques et de sciences au Conseil de l’éducation de la ville de Toronto. Ce poste a été obtenu par une femme blanche moins compétente d’origine britannique. N’ayant obtenu aucune autre explication des intimés, le Tribunal s’est prononcé en faveur du plaignant, après avoir fait une prépondérance des probabilités. Bien qu’il ne disposât d’aucune preuve de discrimination intentionnelle à l’endroit du Dr Quereshi, le Tribunal a conclu que la seule explication disponible des responsables de l’embauche, qui n’avaient pas pris dûment en considération les compétences du Dr Quereshi, était le fait qu’ils n’avaient pas tenu compte des différences culturelles reliées au lieu d’origine et à l’origine ethnique du Dr Quereshi. Le Tribunal a souligné que le processus d’embauche n’était pas objectif et qu’il fournissait un terrain fertile pour l’éclosion de facteurs discriminatoires.

Quand elle décide de déférer ou non une cause, la Commission des droits de la personne doit être sensible au fait qu’il doit y avoir une explication des raisons pour lesquelles un intimé a agi de la façon alléguée. Dans la cause Troy c. Kemnir Entrop Inc.[28], la décision du Conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique de ne pas déférer une plainte déposée contre une station d’essence a été révisée judiciairement avec succès. La cause impliquait un préposé qui a appelé la police au sujet d’un client noir qui avait acheté de l’essence, fait un appel téléphonique et attendu un ami. La Cour a maintenu que la Commission s’était trompée en déterminant la motivation de l’appel téléphonique, sans avoir analysé les raisons pour lesquelles le proposé avait déclaré à la police que le plaignant vendait de la drogue et qu’il était à la station-service depuis quelques heures (alors qu’il y était resté moins d’une demi-heure). En bref, la Commission aurait dû examiner les raisons pour lesquelles le préposé croyait que l’individu en question était suspect.

L’utilisation des statistiques

Un des outils les plus puissants pour établir une inférence de discrimination est l’utilisation de données statistiques. Des statistiques peuvent être utilisées soit pour montrer des effets discriminatoires, soit pour écarter une raison non discriminatoire offerte pour expliquer une situation. Une preuve prima facie établie au moyen de statistiques pourrait être réfutée soit par une preuve qui offre une explication non discriminatoire d’une situation particulière, soit par la contestation d’une preuve statistique. En somme, une preuve statistique peut fournir quelques éléments de preuve circonstancielle – qui pourrait être suffisante ou non en elle-même pour soutenir une inférence de discrimination.[29]

Des statistiques sont souvent utilisées pour démontrer que la discrimination systémique donne lieu à une sous-représentation des minorités raciales dans un milieu de travail ou certains postes au sein d’une organisation. Dans la cause Maxwell Nelson c. Conseil de l'éducation et Don Peel[30], en concluant que le plaignant avait fait l’objet d’une discrimination dans le processus de promotion en raison de sa race, le Tribunal a souligné que 15 % des élèves étaient issus de minorités visibles dans les écoles primaires, tout comme entre 7 % et 10 % des étudiants du niveau secondaire, mais que moins de 0,6 % des 400 employés du Conseil de l’éducation (enseignants et personnel de soutien inclus) appartenaient à des minorités visibles. Ces données statistiques sont venues s’ajouter au fait que le membre d’une minorité visible ayant le statut le plus élevé dans les écoles secondaires était un titulaire de classe, et que seulement trois directeurs d’école adjoints au niveau primaire appartenaient, eux aussi, à des minorités visibles. En outre, le Tribunal a tenu compte du fait que les « écoles spéciales » étaient la porte d’entrée de la majorité des enseignants de race noire, mais que ces enseignants étaient stigmatisés et considérés comme moins compétents que leurs homologues dans les écoles régulières.

Des données statistiques ont aussi été utilisées en évidence dans la cause Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales(ACNRI) c. Sa Majesté la Reine représentée par Santé et Bien-être social Canada, la Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor[31], dans laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne a accepté une preuve d’expert déterminante. Cette preuve mentionnait que les membres des minorités visibles étaient sous-représentés dans les postes de gestion de niveau supérieur à Santé Canada et qu’ils étaient plutôt confinés à des niveaux inférieurs, à partir desquels ils ne pouvaient pas être promus à des postes de direction. Toutefois, on ne doit pas oublier le fait que les données statistiques peuvent être manipulées. Dans la cause Chopra c. Canada (Santé et Bien-être Canada)[32], la plupart des preuves statistiques présentées dans la cause de l’Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales n’ont pas été acceptées, puisque les intimés ont démontré avec succès que des erreurs dans la méthodologie avaient influé systématiquement sur les résultats des experts de la Commission.

Le lien entre la preuve statistique et un plaignant individuel

Même dans les causes où une solide preuve statistique démontre une discrimination systémique, cela peut ne pas suffire à établir une discrimination à l’endroit d’une plaignante ou d’un plaignant. Dans la cause Abdolalipour c. Allied Chemical Canada Ltd., le Tribunal a statué qu’une main-d’œuvre homogène au plan racial indique que des attitudes et des préjugés raciaux sont présents dans un milieu de travail. Mais l’existence d’une disproportion dans la composition de la main-d’œuvre ne devrait pas en elle-même garantir une conclusion de préjugé racial. Le Tribunal n’a pas accepté la conclusion voulant qu’une personne appartenant à une minorité raciale, qui travaille dans un milieu de travail homogène à caractère racial, soit nécessairement confrontée à « une exclusion massive, un isolement et une aliénation au travail ».[33]

De même, dans la cause Chopra c. Canada (Santé et Bien-être Canada) susmentionnée, le Tribunal canadien des droits de la personne a maintenu que, même s’il était prouvé qu’il existe des obstacles systémiques à l’avancement des individus issus de minorités visibles, la Commission devrait quand même démontrer un lien entre cette preuve et la preuve de la discrimination individuelle à l’endroit du plaignant pour qu’une preuve prima facie soit établie. Le Tribunal canadien des droits de la personne a souligné, cependant, que plus la disparité dans les données entre les minorités visibles et les minorités non visibles est grande, moins les autres preuves sont requises pour comprendre une preuve prima facie.[34]

Le recoupement de la discrimination raciale avec d’autres fondements

Une autre question qui se pose dans les procédures relatives aux droits de la personne est le recoupement entre les motifs de distinction illicite. Par exemple, les femmes membres de minorités raciales peuvent faire l’objet de discrimination d’une manière complètement différente que des hommes appartenant à des minorités ou d’autres femmes. La combinaison de la race et d’autres motifs de distinction illicite produit des formes particulières de stéréotypes ou d’obstacles. Dans la cause Frank c. A.J.R. Enterprises Ltd.[35], le Conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique a constaté que l’hôtel intimé avait fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de sa race, de sa couleur, de son ascendance et de son sexe quand, à deux occasions, elle a été expulsée de l’établissement et quand, à une autre occasion, on a refusé de la servir au bar-salon de l’hôtel. Le Conseil a souligné qu’il y avait un modèle distinct de comportement discriminatoire commis par l’intimé à l’endroit des femmes autochtones. Il a jugé comme étant particulièrement offensant le fait qu’on ait supposé que la plaignante était une prostituée, parce qu’elle était une Autochtone célibataire seule dans un hôtel.

Récemment, le Tribunal a soulevé la question de l’intersectionnalité dans la cause Baylis-Flannery c. Walter DeWilde (No. 2)[36], en reconnaissant que le recoupement de motifs de discrimination peut accroître les jugements en dommages-intérêts. Le Tribunal a statué que l’intimé avait fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de sa race et de son sexe, par le biais de harcèlement sexuel, de harcèlement racial et de propositions à caractère sexuel, et qu’il l’avait congédiée parce qu’elle s’objectait à sa conduite. Le Tribunal a maintenu que les conclusions de discrimination dans cette cause étaient assez graves et que la loi devait reconnaître que la plaignante est une « femme de race noire », et non simplement une femme qui se trouve à être noire ou une personne noire qui se trouve à être une femme. En rendant cette décision, c’est la première fois que le Tribunal reconnaissait explicitement et appliquait le concept d’intersectionnalité en ce qui concerne à la fois l’obligation et le recours, et qu’il concluait que l’intersectionnalité de la discrimination fondée sur le sexe et la race a aggravé la souffrance morale de la plaignante.

Conclusion

Bien qu’elle ne puisse pas commenter chaque plainte de discrimination raciale déposée dans la province, la présente étude fournit une vue d’ensemble des questions qui se sont posées dans certaines de ces causes. L’étude révèle que le racisme est de plus en plus voilé et complexe dans la société d’aujourd’hui, ce qui rend encore plus difficile la tâche d’enquêter, de plaider et de rendre des jugements dans de telles causes. La plus récente initiative de la Commission visant à créer une nouvelle politique sur le racisme est donc extrêmement importante, non seulement comme moyen d’éduquer le public, mais aussi comme outil pour améliorer la capacité de la Commission de déterminer où le racisme constitue un facteur dans une cause donnée.


[1] R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. (Recueil des arrêts de la Cour Suprême du Canada), 1128, paragraphe 22. Dans cette cause, la Cour Suprême du Canada a permis à la poursuite et à la défense de récuser des candidats jurés pour cause de préjugé racial largement répandu à l’endroit des Canadiens autochtones dans la communauté.
[2] Ibid., paragraphe 21.
[3] Afin de présenter un large aperçu des causes importantes de discrimination raciale, en particulier celles devant les tribunaux administratifs des droits de la personne, les causes exposées dans le présent article ont été extraites à partir de nombreuses recherches menées dans des bases de données en ligne sur la jurisprudence menées principalement en juillet et août 2004. Plus important encore, le choix des causes présentées ici a été suggéré par des collègues de la Commission ontarienne des droits de la personne. L’auteur tient à remercier particulièrement Nina Gandhi et Anita Balakrishna de leur aide remarquable et de leur perspicacité. Étant donné l’espace limité disponible, le choix des décisions auxquelles font référence les causes mentionnées dans le présent article, relèvent uniquement de la responsabilité de l’auteur, tout comme les erreurs ou omissions possibles.
[4] Voir la décision du Tribunal dans la cause susmentionnée Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (No. 4), paragraphes 48-51.
[5] Il faut noter que les tribunaux se sont aussi assurés que les motifs de discrimination raciale fondés sur l’origine ethnique et le lieu d’origine incluent le harcèlement fondé sur la langue parlée par la plaignante ou le plaignant. Voir la cause Espinoza c. Coldmatic Refrigeration of Canada Inc. (1995), 29 C.H.R.R. (Canadian Human Rights Reporter) D/35 (Commission d’enquête de l’Ontario). De même, dans la cause Segula c. Ferrante (1995), 27 C.H.R.R. D/412 (Commission d’enquête de l’Ontario), le Tribunal a maintenu qu’une exigence de parler anglais, là où l’anglais n’est pas la première langue, pourrait équivaloir à une discrimination, si la compétence n’est pas vraiment essentielle à un travail particulier.
[6] (1990) 14 C.H.R.R. (Canadian Human Rights Reporter) D/215 (B.C.C.H.R. – British Columbia Council for Human Rights)
[7] [2001] O.H.R.B.I.D. No. 19 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[8] Par souci de commodité, le présent article fait référence à l’ancienne Commission d’enquête de l’Ontario et à l’actuel Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.
[9] Cause Fuller c. Daoud susmentionnée, paragraphes 84-85
[10] (1996), 27 C.H.R.R. D/230 (No. 4) (Commission d’enquête de l’Ontario) jugement confirmé (1999), 34 C.H.R.R. D/405 (Ont. Ct. (Gen.Div.)) L’ordre de la Commission d’enquête de l’Ontario confirme l’exception en ce qui concerne la question de la réintégration (2001), 41 C.H.R.R. D/349 (Ont. C.A.)
[11] Voir également la cause Gannon c. Canadian Pacific Ltd. (1993), 22 C.H.R.R. D/97 (Tribunal canadien des droits de la personne - TCDP), dans laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne a maintenu que l’employeur n’a pas réussi à exercer toute la diligence raisonnable requise pour empêcher que des injures à caractère racial soient dirigées à l’endroit du plaignant.
[12] (1998), 32 C.H.R.R. D/1 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[13] Le Tribunal a aussi tenu les organisations et les individus responsables quand ils ont commis les actes de discrimination qui sont survenus. Dans la cause Payne c. Otsuka Pharmaceutical Co. [2002] O.H.R.B.I.D. No. 19, (Commission d’enquête de l’Ontario), le Tribunal a tenu les organisateurs de la conférence responsables d’avoir aidé une compagnie pharmaceutique à isoler d’autres individus, sans avoir examiné adéquatement les allégations de discrimination raciale portées par Mme Payne.
[14] (2002), 44 C.H.R.R. D/142 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[15] (2003), 64 O.R. (3d) 161 (C.A.)
[16] En se basant en partie sur la décision Brown, la Cour supérieure de l’Ontario, dans la cause R. c. Khan [2004] O.J. No. 3819 (S.C.), a soutenu que les droits de l’accusé avaient été violés, parce qu’il avait été arrêté dans son auto à la suite d’un profilage racial. M. Khan, un jeune homme de race noire au volant d’une automobile dispendieuse, a été contraint d’immobiliser son véhicule. En concluant à un profilage racial, la Cour a souligné la cohérence du témoignage de l’accusé, ainsi que la preuve documentaire et la preuve apportée par des témoins indépendants. Cependant, la version des événements relatée par les deux agents de police en question était incohérente en rapport avec la preuve documentaire et défiait le « bon sens ».
[17] (1992), 18 C.H.R.R. D/1 (C.H.R.T.)
[18] Le Tribunal a cité sa décision antérieure dans la cause Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (No. 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, D/5038 (C.H.R.T.).
[19] [1998] O.H.R.B.I.D. No. 14 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[20] Le Tribunal a cité B. Vizkelety’s « Proving Discrimination in Canada » (Toronto: Carswell, 1987), à la page 142.
[21] (1994), 23 C.H.R.R. D/41 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[22] (1981), 3 C.H.R.R. D/641 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[23] Il faut noter qu’aux fins de l’établissement de la discrimination, un motif de distinction illicite doit seulement être un facteur dans la cessation d’emploi, et non le seul facteur. Voir Dominion Management c. Velenosi (1997), 148 D.L.R. (4th) 575 at 576 (Commission d’enquête de l’Ontario).
[24] [2003] N.S.H.R.B.I.D. No. 2 (N.S. Bd. Inq.)
[25] (1993), 21 C.H.R.R. D/415 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[26] Dans la cause Lasani, le Tribunal a accepté, au paragraphe 54, la position de la Commission selon laquelle « là où le préjugé racial est une réalité, mais une réalité secrète et non admise, une commission d’enquête devrait examiner très attentivement les explications présentées pour ne pas embaucher ou favoriser l’avancement au travail de membres de communautés ethniques qui possèdent les compétences requises pour occuper des postes, mais qui ne sont pas embauchés ou promus ». Cependant, le Tribunal a trouvé les explications du ministère insuffisantes, fondées principalement sur les compétences relatives des personnes qui sollicitaient les postes pour lesquels M. Lasani était lui aussi candidat.
[27] (1989), 12 C.H.R.R. D/394 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[28] [2003] B.C.J. No. 2933 (B.C.S.C.)
[29] Angeconeb c. 517152 Ontario Ltd. (1993), 19 C.H.R.R. D/452 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[30] [1998] O.H.R.B.I.D. No. 14 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[31] (1997), 28 C.H.R.R. D/179 (C.H.R.T.)
[32] [2001] C.H.R.D. No. 20 (C.H.R.T.)
[33] (1996), C.H.R.R. Doc. 96-153, paragraphe 191 (Commission d’enquête de l’Ontario)
[34] Le besoin de prouver un lien entre le racisme institutionnel et une situation particulière a fait surface récemment à la Cour d’appel de l’Ontario dans la cause R. c. Hamilton [2004] O.J. No. 3252 (C.A.). La Cour d’appel, en renversant des sentences moins rigides, a souligné que l’accusée n’a pas tenté de façonner un lien fondé sur des preuves entre l’inégalité institutionnelle raciale et sexuelle et des circonstances particulières. En l’absence de ce genre de preuve, le juge de première instance n’a pas pu conclure, selon la Cour, que les conditions économiques difficiles des femmes étaient le résultat direct d’un préjugé racial et sexuel systémique.
[35] (1993), 23 C.H.R.R. D/228 (B.C.C.H.R.)
[36] (2003), C.H.R.R. Doc. 03-296 (H.R.T.O.)

 

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Le processus des droits de la personne et les plaintes de discrimination raciale

Publication : Décembre 2004]

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Bill Black

Bill Black est professeur à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique et membre du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En 1994, il a écrit un ouvrage sur les droits de la personne en Colombie-Britannique. Il a été également directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

Résumé analytique

Le présent article identifie certaines raisons pour lesquelles les plaintes de discrimination raciale ont un taux de réussite inférieur à celui des plaintes de discrimation fondée sur d’autres motifs. Il présente ensuite diverses stratégies qui pourraient être envisagées à différentes étapes de la procédure relative aux plaintes de discrimination raciale afin d’améliorer leur taux de réussite.

Des études menées dans de nombreuses juridictions ont indiqué que les plaintes de discrimination alléguée ayant pour fondement la race ou des facteurs connexes ont un taux de réussite inférieur à celui des plaintes fondées sur d’autres motifs.[1] Le fait que des résultats similaires soient obtenus dans d’autres juridictions suggère que les causes sont plus profondes, qu’elles vont bien au-delà de simples erreurs dans la gestion des plaintes. L’objectif du présent article est d’identifier certaines de ces causes et de présenter des stratégies susceptibles d’accroître leur taux de réussite. Mon but est d’identifier le plus grand nombre de stratégies possible, plutôt qu’une nouvelle solution miracle qui aurait échappé à tout le monde. Je souhaite simplement lancer la discussion.

Les causes du faible taux de réussite

Il semble qu’il n’y ait pas une seule cause qui explique le faible taux de réussite des plaintes de discrimination raciale. Anna Mohammed, qui est aujourd’hui membre du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, a préparé un rapport en 2000 qui compare un échantillonnage de plaintes fondées sur un racisme allégué (qui incluaient toutes un harcèlement racial) avec un échantillonnage similaire de plaintes de harcèlement sexuel. Elle a conclu que le faible taux de réussite des plaintes de discrimination raciale était dû à la combinaison de deux facteurs. Le premier facteur est que les plaintes de discrimination raciale sont, en moyenne, plus difficiles à étoffer. Le second facteur est que les procédures de traitement des plaintes ne sont pas toujours adaptées à la nature des plaintes de discrimination raciale. Donna Young était arrivée à des conclusions similaires dans l’étude qu’elle a menée en 1992 pour la Commission ontarienne des droits de la personne. Je suis d’accord pour dire que ces deux facteurs ont une incidence sur le taux de réussite des plaintes fondées sur la discrimination raciale.

Mohammed a découvert que les plaintes de discrimination raciale ont plus de chances d’impliquer une conduite permanente plutôt qu’un incident isolé. Elle a également constaté que la discrimination prend des formes plus subtiles dans les causes de racisme que dans les causes de harcèlement sexuel. En outre, il y a peu de chance qu’un intimé admette que la race a joué un rôle dans une décision qu’il a prise. En revanche, dans des causes de discrimination ayant d’autres fondements, comme un handicap, par exemple, un intimé pourrait reconnaître que des événements se sont produits et soutenir, du même souffle, qu’il peut présenter une défense.

Ironiquement, le fait que la discrimination raciale attire un degré plus élevé de stigmate social que d’autres types de discrimination, comme l’âge, pourrait rendre plus difficile l’établissement d’une preuve pour deux principales raisons. D’une part, les gens sont plus habiles à cacher la discrimination raciale que les autres formes de discrimination. D’autre part, il pourrait y avoir une tendance inconsciente chez les décideurs (que ce soit les agents d’information de liaison, les enquêteurs, les membres de la Commission ontarienne des droits de la personne ou les tribunaux) d’appliquer des normes plus élevées de preuves aux allégations de discrimination raciale qu’à celles des autres types de discrimination.

Un autre facteur pourrait être que les causes les plus solides ne donnent pas lieu nécessairement à des plaintes portées à l’attention de la Commission. Certaines personnes qui font l’objet d’une discrimination pourraient accepter la situation comme étant une stratégie d’adaptation.[2] De plus, si la discrimination raciale est une caractéristique permanente d’un milieu de travail, il pourrait sembler futile de porter plainte au sujet d’un incident en particulier. Il semble que ces tendances sont plus communes dans des situations de discrimination permanente sérieuse que dans des lieux où la discrimination est moins courante. Le résultat serait que le processus de plaintes tendrait à exclure un pourcentage élevé de la plupart des causes sérieuses.

Un dernier facteur pourrait être le fait que le système d’application des droits de la personne n’ait pas encore analysé pleinement les effets défavorables de la discrimination. La Cour Suprême du Canada a reconnu les effets préjudiciables de la discrimination il y a presque vingt ans.[3] Toutefois, la plupart des causes classées comme ayant des effets préjudiciables impliquent des faits relatifs à l’intention, comme le maintien de certaines heures d’ouverture, même après qu’on ait été informé qu’elles empiétaient sur les croyances religieuses de certains employés.[4]

Une analyse plus large des effets préjudiciables partirait de l’hypothèse selon laquelle, si un groupe n’est pas représenté dans un milieu de travail ou un autre établissement d’une manière à laquelle on s’attendrait sur la base de la disponibilité, cette situation serait suffisante pour créer une présomption du fait que le système de sélection intègre certains obstacles discriminatoires. Une telle analyse serait, bien évidemment, valable pour tous les types de discrimination. Mais elle s’appliquerait particulièrement aux plaintes de discrimination raciale, parce qu’elles sont plus difficiles à prouver par d’autres moyens.

Stratégies

Cette section énumère différentes stratégies possibles pour gérer les plaintes de discrimination. Comme il a été mentionné dans l’introduction, mon objectif est de soulever le plus grand nombre d’options possible aux fins de la discussion, plutôt que d’identifier certaines combinaisons optimales de stratégies.

Attirer les plaintes les plus solides

Dans un système qui repose sur des plaintes, la Commission a limité le pouvoir d’exercer une influence sur les plaintes déposées. Cependant, les étapes suivantes aideraient à porter à son attention des exemples sérieux de discrimination raciale:

  • Les efforts éducatifs de la Commission jouent un rôle important, et il pourrait être utile de considérer des manières de rendre ces efforts encore plus efficaces en recherchant des groupes racialisés qui ont vécu des expériences de discrimination.
  • Il serait utile d’établir des liens entre la Commission et des groupes communautaires et des syndicats qui possèdent des informations de première main sur des exemples de discrimination raciale. De même, il serait utile d’indiquer à ces groupes que la Commission accueille les plaintes de tierces personnes et fournit une formation pour aider ces groupes à évaluer les plaintes potentielles.[5]
  • Les groupes communautaires pourraient aussi faire des « tests » dans des circonstances appropriées. Si, par exemple, une personne s’est fait dire qu’un travail ou qu’un appartement n’est plus disponible et qu’elle soupçonne avoir été exclue pour des motifs à caractère racial, il serait utile qu’une personne appartenant à un groupe différent fasse la même demande pour voir si les deux ont reçu les mêmes renseignements. Des tests se sont révélés efficaces dans la collecte d’informations par le passé, et des tribunaux ont confirmé leur utilisation. Cette stratégie devrait peut-être être rétablie.
  • Quand une plainte concerne la conduite particulière d’une personne, il pourrait être utile d’encourager le plaignant ou la plaignante à nommer cette personne et son employeur comme intimés.[6] Si la personne n’est pas nommée, le plaignant ou la plaignante pourrait avoir l’impression que les questions centrales de sa plainte n’ont pas été totalement examinées, que ce soit vrai ou non dans les faits. Aussi, l’entreprise intimée pourrait être plus réceptive à une allégation de discrimination à l’endroit d’une employée ou d’un employé qu’à une allégation plus générale de racisme à l’endroit de toute l’organisation.
  • Il serait utile d’étendre les plaintes individuelles aux plaintes systémiques (ou de déposer une plainte systémique distincte en se basant sur l’examen d’une plainte individuelle). Parfois, il est plus facile de démontrer une conséquence discriminatoire à l’endroit d’un groupe que de montrer qu’un individu en particulier a subi un préjudice.
  • Les plaintes examinées par la Commission pourraient jouer un rôle. Elles peuvent être particulièrement utiles dans des circonstances où des informations sont disponibles au public en matière de discrimination (par exemple, de nouveaux rapports), alors qu’aucune plainte n’a été reçue. Les plaintes de la Commission pourraient également se révéler utiles quand, durant l’examen d’une plainte individuelle, des preuves d’une discrimination systémique plus large sont mises en lumière.[7]
  • Il est important de s’assurer qu’une plainte est bien présentée. L’étude de Mohammed a conclu que les plaintes de discrimination raciale étaient présentées de façon non appropriée plus souvent que les plaintes ayant d’autres fondements, en raison de facteurs tels que la maîtrise limitée de l’anglais.[8] À cet égard, il pourrait être utile de surveiller la procédure relative à la rédaction des plaintes par les plaignants de la Commission pour s’assurer qu’elle maintient la qualité des plaintes.[9]
  • Il peut aussi être utile de reconnaître le recoupement de la discrimination raciale avec d’autres types de discrimination. Le document de travail de la Commission intitulé « Une approche intersectionnelle de la discrimination pour traiter les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur des motifs multiples » montre que la Commission a reconnu la valeur d’une approche intersectionnelle.[10]

Sélection des plaintes

Parce que les plaintes de discrimination raciale impliquent souvent des sources subtiles et cachées de discrimination, il y a un risque qu’un nombre disproportionné d’entre elles soit sélectionnées avant de faire l’objet d’un examen complet. Je reconnais qu’une sélection est nécessaire, mais elle devrait tenir compte du fait qu’une enquête plus approfondie peut révéler des preuves susceptibles d’appuyer une plainte qui, autrement, paraîtrait faible.

  • Il pourrait être utile d’adopter une présomption contre la sélection des plaintes de discrimination raciale avant de faire une enquête pour tenir compte du fait que beaucoup de plaintes de discrimination raciale impliquent des sources subtiles qui pourraient ne pas être évidentes sans la tenue d’une enquête.
  • Dans l’évaluation d’une plainte, il pourrait être utile de considérer soigneusement quelles étapes proactives pourraient être franchies durant une enquête éventuelle qui pourrait révéler une discrimination, pour éviter de se limiter à la forme de la plainte (ou même seulement à la plainte et à la dénégation de l’intimé).
  • L’étude des antécédents de l’intimé en matière de discrimination raciale (ou de discrimination en général) pourrait être appropriée lors du processus de sélection. Si une plainte semble mal fondée, à première vue, mais qu’il y a eu d’autres plaintes similaires par le passé, une enquête approfondie pourrait être justifiée.

Médiation

Je n’ai aucune suggestion particulière à formuler en ce qui concerne le processus de médiation, si ce n’est que de tenter d’empêcher un déséquilibre des forces en présence dans le processus. Aussi, s’il y a des indications selon lesquelles un intimé est disposé à offrir un règlement généreux à une plaignante ou un plaignant qui a une cause solide pour éviter des changements systémiques, la Commission pourrait envisager une plainte distincte relativement aux aspects systémiques de la situation.

Il existe une certaine controverse au sujet de la médiation en tant que composante du processus des droits de la personne. Certaines personnes critiquent la compatibilité du processus avec les obligations d’intérêt public des commissions des droits de la personne.[11]D’un autre côté, la médiation peut offrir des avantages intéressants aux deux parties et atténuer le problème des retards. Elle peut aussi parfois servir les questions d’intérêt public d’une façon qui serait difficile à réaliser lors d’une audience.[12]

Enquêtes

  • Une façon de faire une enquête équitable et efficace est d’éviter toute tendance inconsciente à appliquer des normes plus élevées de preuves aux plaintes de discrimination raciale qu’aux plaintes fondées sur d’autres motifs. Un second objectif devrait être d’adapter les techniques d’enquête aux défis particuliers des plaintes de discrimination raciale. Certaines stratégies plus explicites sont énumérées ici. Plusieurs de ces stratégies peuvent également s’appliquer à d’autres étapes dans l’évaluation d’une plainte (par exemple, l’admission d’une plainte et la décision de la référer ou non à une audience):
  • La meilleure stratégie pour éviter l’application de normes plus élevées de preuves est peut-être de tenir compte consciemment de ce risque et de se demander si la norme appropriée est appliquée. Une seconde stratégie est d’éviter de supposer que la discrimination raciale est une aberration dans notre société plutôt qu’une composante commune, qu’elle soit intentionnelle ou non, à un grand nombre d’activités ordinaires.[13] La discrimination systémique très répandue fondée sur des motifs raciaux est l’explication la plus convaincante des modèles d’inégalité existants. Malheureusement, ces modèles sont loin d’être rares, et ils doivent être pris en considération.
  • Parce que les plaintes de discrimination raciale sont souvent subtiles et cachées, un plan d’enquête plus proactive que d’habitude pourrait être approprié. Bien que je ne possède aucune connaissance directe des plans d’enquête utilisés par la Commission ontarienne des droits de la personne, je suis conscient que, dans d’autres juridictions, il existe parfois une tendance à limiter les enquêtes aux allégations particulières de la plaignante ou du plaignant et à interviewer seulement les témoins proposés par les deux parties. Une telle stratégie pourrait exclure d’autres preuves d’obstacles systémiques plus larges.
  • Il pourrait être utile à un enquêteur de recueillir, partout où il le peut, des informations statistiques sur la composition de la main-d’œuvre au sein de l’organisation et d’essayer d’identifier les politiques internes qui pourraient constituer des obstacles pour les groupes racialisés, en plus d’enquêter sur les exemples particuliers allégués par la plaignante ou le plaignant.
  • Il serait également utile de tenir compte des preuves de faits similaires. En d’autres mots, l’existence d’un modèle de discrimination similaire contre des personnes autres que la plaignante ou le plaignant pourrait être pertinente à l’enquête.
  • Les intimés réfutent parfois les allégations de discrimination en citant le fait qu’ils connaissaient la race de la plaignante ou du plaignant au moment de son embauche, ou que la main-d’œuvre de l’organisation inclut d’autres groupes racialisés. À mon point de vue, une telle preuve devrait être traitée comme ayant peu ou n’ayant pas de poids. Le fait de tirer des conclusions fondées sur la présence d’autres groupes racialisés dans la main-d’œuvre suppose erronément que le préjudice s’applique à tous ces groupes ou ne s’applique à aucun de ces groupes. Même la présence de membres du même groupe pourrait ne pas avoir beaucoup de poids, si elle est influencée par l’intersectionnalité des motifs de discrimination ou la ségrégation des emplois.
  • Dans les causes où une discrimination permanente est alléguée, il peut y avoir une tendance à mettre l’accent sur les incidents les plus récents, à l’exclusion des autres incidents survenus plus tôt.[14] Cette tendance pourrait empêcher d’évaluer pleinement les effets cumulatifs d’un modèle de discrimination.
  • Quand une dénégation est fondée sur des allégations comme la « mauvaise attitude » ou la fiche de travail de la plaignante ou du plaignant, on doit noter le risque de se fier à des preuves vagues et subjectives. On doit aussi considérer la possibilité que le comportement de la plaignante ou du plaignant était une réaction raisonnable à une discrimination passée.
  • Il faut garder à l’esprit qu’une plainte est établie si un facteur discriminatoire était une des nombreuses raisons pour prendre une décision au sujet de la plaignante ou du plaignant, même si les autres facteurs, en l’absence du facteur discriminatoire, avaient fourni une justification de la décision. La législation sur les droits de la personne devrait protéger toutes les personnes, et non seulement celles qui ont une fiche de rendement parfaite.[15]

La considération des plaintes par la Commission

Je n’ai aucune stratégie particulière à suggérer quant à cette étape de la procédure relative aux plaintes de discrimination raciale. Toutefois, plusieurs éléments qui se rapportent aux enquêtes (par exemple, la tendance inconsciente à appliquer des normes plus élevées de preuves aux plaintes de discrimination raciale) pourraient aussi présenter des risques à cette étape.

Audiences

Je ne peux pas aborder la question des audiences en détail ici. Mon seul commentaire est le suivant: il serait fort utile de préconiser un ensemble de droit qui tient compte de la prédominance de la discrimination raciale et des défis particuliers de prouver une telle discrimination. Une norme appropriée de preuve représente la clé. La reconnaissance de la légitimité des preuves statistiques et des preuves de faits similaires serait également d’une grande utilité.


[1] Voir Ana Mohammed, Report on the Investigation of Race Complaints at the B.C. Human Rights Commission, (2000) rapport non publié; Errol Mendes, ed. Complaint and Redress Mechanisms Relating to Racial Discrimination in Canada and Abroad (Ottawa: Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, 1994); Donna Young, The Handling of Race Discrimination Complaints at the Ontario Human Rights Commission (Toronto: étude non publiée et menée pour la Commission ontarienne des droits de la personne, 1992).
[2] Ian Mackenzie, « Racial Harassment in the Workplace: Evolving Approaches » (1995) 3 C.L.E.L.J. pp. 287-291.
[3] Ontario Human Rights Commission v. Simpsons-Sears [1985] 2 S.C.R. 536.
[4] Voir Mackenzie, (p. 297) qui cite une tendance à mettre l’accent sur l’intention ou la malice.
[5] Mohammed, voir la note 1 (p. 26).
[6] Mohammed recommande cette étape. Voir la note 1 (p. 25).
[7] Il se peut que les intimés s’objectent à une telle politique, mais je ne pense pas qu’il est injuste d’utiliser les résultats d’une plainte comme motif pour déposer une plainte plus large.
[8] Mohammed, voir la note 1 (p. 17).
[9] Communiqué de presse: « Déclaration du commissaire en chef Keith C. Norton à propos de la mise en œuvre de la procédure relative à la rédaction des plaintes par les plaignants à la Commission ontarienne des droits de la personne », 29 septembre 2004, accessible sur Internet depuis le 1er novembre 2004: http://www.ohrc.on.ca/french/news/f_pr_2004-complaint-process.shtml
[10] http://www.ohrc.on.ca/french/consultations/intersectionality-discussion-..., accessible sur Internet depuis le 1er novembre 2004.
[11] Voir Philip Bryden et William Black, « Mediation as a Tool for Resolving Human Rights Disputes: An Evaluation of the B.C. Human Rights Commission’s Early Mediation Project », (2004) 37 U.B.C. L. Rev. 73 (pp. 86-91). Les auteurs exposent les différents points de vue sur cette question.
[12] Interview avec des membres du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, le 31 août 2004, dans laquelle il a été dit que les médiateurs peuvent parfois conclure, durant la médiation, une entente sur des changements systémiques – qu’il aurait été difficile de conclure par suite d’une ordonnance d’un tribunal après une audience.
[13] Voir Frances Henry et Carol Tator, « Myths and Realities of Racism in Canada » dans Bienvenue et R. Goldstein, Ethnic Groups in Canada (Toronto: Butterworths, 1985) 321, à 328; Constance Backhouse, Colour-Coded, A Legal History of Racism in Canada 900-1950 (Toronto: Osgoode Society for Canadian Legal History, 1999), p. 15; Young, voir la note 1, pp. 6-10.
[14] Mohammed a constaté une telle tendance dans les dossiers qu’elle a étudiés, voir la note 1, p. 18. Je n’ai aucune information sur le fait que cela s’applique ou non aux enquêtes de la Commission ontarienne des droits de la personne.
[15] Mohammed, ibid. pp. 20-21, référence au « syndrome du plaignant irréprochable ».

 

Racisme émergeant en milieu de travail: Preuves qualitatives et quantitatives d’une discrimination systémique

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Carol Agocs

Carol Agoc est professeure et directeure du programme de gouvernemental local, au département de science politique de l’université Western Ontario. Ses travaux de recherche traitent de la discrimination raciale et sexuelle en milieu de travail, la politique d’égalité et la mise en application de celle-ci. Parmi ses publications figurent Employment Equity: Cooperative Strategies for Organizational Change (1992), co-écrit avec Catherine Burr et Felicity Somerset, et Workplace Equality: International Perspectives on Legislation, Policy and Practice (2002).

Résumé analytique

Peu de plaintes pour discrimination raciale systémique en milieu de travail ont été reçues par les tribunaux des droits de la personne et les commissions d’enquête, en partie à cause de la difficulté que représente le rassemblement de preuves convaincantes. Dans les pages qui suivent, un cadre de diagnostic tridimensionnel sera proposé afin de mettre en évidence la représentation et la distribution numérique, le système d’emploi et la culture organisationnelle. Chaque dimension présentée est appuyée par des exemples à caractère qualitatif et/ou de preuve qualitative. Les méthodes de recherche suivies sont empruntées aux sciences sociales ainsi qu’à l’équité en matière d’emploi et de salaire.

La communauté canadienne des droits de la personne est aux prises avec le besoin de mettre en place une démarche efficace pour lutter contre le racisme institutionnalisé en milieu de travail. Peu de plaintes pour discrimination raciale en milieu de travail parviennent jusqu’aux tribunaux et peu d’entre elles traitent de la discrimination systémique et/ou donnent lieu à un recours. Notre étude sur 135 plaintes pour discrimination raciale en milieu de travail déposées devant les commissions d’enquête ou les tribunaux entre 1980 et 1998, dans l’ensemble du Canada démontre que moins de la moitié des verdicts ont été prononcés en faveur des plaignants. Il appert que les plaintes de discrimination raciale sont difficiles à prouver, car il n’y a souvent pas de preuves de discrimination directes, ce qui oblige à s’en remettre aux preuves circonstancielles; cette situation caractérise clairement les plaintes systémiques.

La plupart des causes de discrimination raciale entendues devant les commissions des droits de la personne sont déposées par particuliers. Si les plaintes sont fondées, elles donnent lieu aux remèdes individuels tels qu’une compensation pour salaire perdu ou une petite indemnisation pour dommages-intérêts moraux. De plus, les cas individuels sont ancrés dans un contexte professionnel et ils impliquent une analyse systémique de la dimension sociale et culturelle du milieu de travail dans lequel les évènements se sont produits. À quel point le comportement raciste était-il répandu, pendant combien de temps s’est-il perpétué et quelles formes a-t-il pris ? Quelles politiques, quelles pratiques et quels comportements ont encouragé, permis et toléré le racisme? Comment la culture de l’entreprise a-t elle encouragé et validé l’expression de préjugés et d’attitudes racistes ?

Dans le cadre de cette étude, je définirais la discrimination institutionnelle ou systémique comme étant un ensemble de comportements qui font partie des structures sociales et administratives du milieu de travail, qui créent ou perpétuent une situation désavantageuse pour certains et une situation privilégiée pour d’autres groupes ou pour des individus en raison de leur identité au sein du groupe. La discrimination systémique est pluridimensionnelle et peut avoir des conséquences spécifiques et cumulatives au niveau de la race, du sexe, d’un handicap et d’autres caractéristiques identitaires. Notre étude sur des causes de discrimination raciale a démontré que dans 80 pour cent des cas, les plaignants étaient des hommes. Afin de définir la discrimination raciale systémique, il faut considérer les impacts qui interagissent et se cumulent à plusieurs niveaux. Certaines approches par diagnostic correspondent mieux à la question que d’autres.

Le débat suivant a pour but de présenter des optiques d’analyse conceptuelle qui permet de visualiser le racisme systémique et qui pourrait aider à identifier des preuves concrètes de discrimination raciale systémique en milieu de travail. Trois dimensions analytiques du lieu de travail peuvent constituer un point de départ :

  1. La représentation et la distribution numérique des membres de groupes raciaux minoritaires;
  2. Les systèmes d’emploi – les politiques, les processus décisionnels et les pratiques qui affectent tous les aspects de la carrière des gens dans les entreprises;
  3. La culture de l’entreprise – l’ensemble des comportements d’une entreprise, dont la communication, les relations sociales informelles, les habitudes entourant les décisions prises, les normes et la réaction de l’employeur par rapport aux questions de discrimination et/ou de harcèlement.

Ce cadre de travail tridimensionnel a été développé dans l’optique de la planification et du diagnostic sur l’équité d’emploi. Cette dernière sous-entend une analyse de la représentation numérique et des systèmes d’emploi, fondée sur une démarche qui pourrait aussi servir aux causes systémiques entourant les droits de la personne. Les chiffres sont toujours le critère principal dans l’estimation des résultats sur l’équité d’emploi. Le diagnostic de la discrimination dans la culture d’entreprise fait partie du travail qu’il reste à accomplir en matière d’équité d’emploi.

L’analyse du racisme systémique devrait cependant tenir compte non seulement des chiffres, mais aussi des trois dimensions du comportement organisationnel, des systèmes et de la culture d’entreprise. La représentation et la distribution numérique ne suffisent pas parce qu’elles concernent les symptômes et non les causes et les mécanismes du racisme systémique. C’est toutefois un bon point de départ.

Approches quantitatives: représentation et distribution numérique

Les analyses de la discrimination systémique impliquent souvent des données sur l’accès des minorités à l’emploi et, lorsque les personnes de groupes minoritaires obtiennent un emploi, leur niveau de représentation dans l’échelon vertical et dans la catégorie d’emploi horizontale. Ces données sur « l’effectif », semblables à une photo instantanée en coupe transversale, sont accompagnées de données sur la mobilité, montrant la représentation des minorités parmi les personnes employées, promues et quittant leur emploi pendant la période étudiée.

Dans le cadre de l’analyse sur l’équité d’emploi, représentation et la distribution en milieu de travail sont comparés à la disponibilité de la main-d’œuvre dans les secteurs d’activité concernés afin d’examiner la sous-représentation. Les données internes sur la disponibilité peuvent montrer si des membres qualifiés ou intéressés, issus de groupes sous-représentés, font partie de l’entreprise, mais n’ont pas été promus. Les données externes sur la disponibilité peuvent indiquer l’existence d’une main-d’œuvre qualifiée que les employeurs pourraient raisonnablement embaucher. Dans le contexte des droits de la personne, l’analyse de la disponibilité démontre que l’entreprise aurait pu prendre au niveau des personnes embauchées, qui auraient assuré une meilleure représentation, mais qu’elle ne l’a pas fait.

Le choix du groupe de comparaison est important pour établir un cas prima facie des impacts négatifs ou de la discrimination systémique. Le groupe de comparaison doit correspondre à la plainte spécifique et à la période étudiée et il doit être suffisamment détaillé. Les données sur la disponibilité doivent faire état de la représentation des minorités dans le marché de l’emploi spécifique où les candidats seraient embauchés.

Il s’agit ensuite de fixer une norme pour déterminer si la sous-représentation assez sérieuse pour être une présomption de discrimination systémique, à moins que le nombre de membres du groupe minoritaire dans la catégorie en question ne soit nul ou quasi nul. S’il existe une représentation, alors il est nécessaire de présenter un argument qui détermine la raison pour laquelle le niveau existant de représentation devrait être considéré comme discriminatoire. Aux États-Unis, une règle des 80 pour cent est depuis longtemps utilisée, bien que cette norme soit contestée. Cette règle indique qu’il y a preuve de discrimination prima facie si le taux d’embauche ou de promotion dans le groupe dont est issu le plaignant est inférieur à 80 pour cent du taux identifié dans le groupe de comparaison, composé de personnes qui ont réussi dans l’entreprise. Dans la cause Alliance de la capitale nationale sur les relations interraciale (ACNRI) c. Santé et bien-être Canada(1997), le tribunal canadien des droits de la personne s’est appuyé sur la règle des 80 pour cent.

L’analyse statistique joue également un rôle important pour déterminer le type de recours nécessaire lorsque la discrimination systémique. Quel niveau de représentation doit être recherché et atteint ? La réponse a généralement été basée sur les données de disponibilité, comme dans les causes en matière de discrimination systémique Action Travail des Femmes (1987) et ACNRI (1997). Une norme conservatrice s’impose, étant donné que la représentation des groupes raciaux minoritaires au sein des groupes de comparaison reflète parfois aussi une discrimination systémique.

Les retards dans le traitement des causes sur les droits de la personne reflètent aussi une partialité, comme dans l’affaire ACNRI, dans laquelle des recours imposés par la cour, qui devaient être mis en place depuis 2003, étaient basés sur des données sur la sous-représentation datant de1993.

Les lacunes au niveau des données contraignent souvent l’utilisation de la preuve statistique. Les données pertinentes sur l’entreprise ne sont parfois pas disponibles. Depuis l’abrogation de Loi sur l'équité en matière d'emploi (Ontario) en 1995, les employeurs ontariens ne sont pas tenus de recueillir de telles informations et on a interprété les mesures d’abrogation comme une obligation de détruire les données recueillies en vertu de la loi sur l’équité en emploi. Il pourrait aussi manquer de données externes pertinentes sur la disponibilité. Ces données sont habituellement tirées des recensements. La rapidité d’exécution constitue un enjeu parce que les données relatives à la race sont basées sur des échantillons, elles ne sont parfois pas disponibles avec suffisamment de détails, par exemple, qui ne sont pas rattachés à un marché de l’emploi local, ou à une catégorie professionnelle particulière.

Peu d’employeurs sont tenus de se conformer à la loi fédérale sur l’équité de l’emploi et de tenir à jour les données sur leurs effectifs et de les mettre à la disposition du public. Même si de telles données sont disponibles, les amendements apportés en 1995 à la Loi sur l'équité en matière d'emploi et à la Loi canadienne sur les droits de la personne interdisent l’usage de données recueillies comme motif d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Qui plus est, la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit de fonder une plainte uniquement sur des preuves statistiques. Avant ces amendements, la Commission canadienne pour les droits de la personne se servait de telles données pour négocier des accords volontaires avec les employeurs qui contenaient des de nombreuses dispositions relatives à l’équité d’emploi. Les décisions arbitrales sur les droits de la personne doivent peut-être clarifier les circonstances dans lesquelles les données recueillies sur l’effectif aux fins d’équité d’emploi peuvent être utilisées dans les causes juridiques d’atteinte aux droits de la personne. L’échec d’une plainte systémique basée uniquement sur des statistiques de sous-représentation semble évident : des analyses des systèmes d’emploi et/ou de la culture d’entreprise sont aussi nécessaires.

Le recours à l’analyse de la régression dans les contextes d’équité salariale et de la discrimination d’emploi est un autre exemple de la pertinence de l’analyse quantitative pertinente dans les causes systémiques. L’analyse par régression multiple des données sur l’emploi et sur l’avancement peut aider à déterminer si la sous-représentation découle de raisons qui ne s’expliquent pas lorsque les effets de l’ancienneté, des qualifications et d’autres facteurs légitimes ne sont pas pris en compte. La régression multiple peut aussi démontrer si les différences de salaire entre les groupes peuvent être attribuées à certaines caractéristiques telles que l’éducation ou l’ancienneté, ou si un écart de salaire reste inexpliqué. L’écart peut être attribué à la discrimination, à moins que les facteurs relatifs à l’emploi qui avaient été prévus pour déterminer le salaire n’aient pas été inclus dans l’analyse. Ce genre d’analyse est fondé sur les données compensatoires de l’entreprise sans avoir besoin de recourir à des données comparatives externes. De multiples analyses de régression peuvent servir à identifier la discrimination dans plusieurs domaines, comme la discrimination raciale et sexuelle. Le manque d’information sur l’identité raciale pourrait cependant être un obstacle.

Depuis le milieu des années soixante-dix, les preuves et les expertises statistiques utilisées dans les affaires de discrimination d’emploi sont plus complexes et plus rigoureuses. Il serait donc malheureux de ne pas poursuivre ce type de cause juridique à cause de telles difficultés. Il est important d’exploiter de manière créative les possibilités d’utilisation de la preuve statistique lorsqu’elles se présentent, même si les conditions ne sont pas idéales, et de chercher à présenter une jurisprudence en poursuivant les plaintes systémiques.

Identifier le racisme systémique dans les systèmes d’emploi

L’identification ainsi que la preuve de la discrimination raciale systémique dans les cas d’atteinte aux droits de la personne doivent être appuyées par la documentation des obstacles à la carrière implicites dans les politiques et/ou les pratiques de l’entreprise. Le guide de l’analyse en trois étapes élaboré dans la décision Meorin de la Cour suprême du Canada [British Columbia Public Service Employee Relations Commission c. BCGSEU, 1999] sert aujourd’hui de guide pour identifier les barrières systémiques et leurs impacts négatifs. L’affaire ACNRI fournit aussi des analyses pour déterminer comment les politiques et les pratiques de l’emploi, formelles et informelles, créent des barrières à l’embauche, à l’affectation de poste, à la promotion et aux conditions d’emploi. Les preuves recueillies dans cette cause provenaient des connaissances des personnes initiées aux pratiques d’emploi, des organismes de défense et des syndicats représentant les plaignants ainsi que des employés qui ont participé aux enquêtes et aux entrevues.

La révision des systèmes d’emploi, qui est une condition essentielle pour l’équité d’emploi, dépend de la volonté de l’employeur pour examiner attentivement ses propres pratiques et à révéler les obstacles qu’il pose à l’emploi, en consultant ses employés. Cette démarche a l’avantage d’être fondée sur la connaissance de l’entreprise et de diminuer la résistance des employeurs. En revanche, l’autosurveillance a aussi contribué à l’échec généralisé de la mise en œuvre de conditions d’équité d’emploi par les employeurs, comme le montrent les retards et les efforts expédiés identifiés dans les audits de conformité de la Commission canadienne pour les droits de la personne.

Des tests en conditions réelles avec impliquant le jumelage des intervenants du milieu de travail ont servi aux contextes des droits de la personne et de la recherche, comme l’étude menée en 1985 à Toronto par Frances Henry et Effie Ginzberg, sur la discrimination raciale directe mais dissimulée en matière d’embauche. Les tests menés en milieu d’emploi comparent l’embauche des postulants issus de minorités à l’embauche des postulants issus de groupes majoritaires, lorsque les deux groupes de personnes testées ont les compétences nécessaires et postulent pour les mêmes postes offerts. En plus du taux de réussite des deux groupes, les entrevues consignées et les comptes-rendus des personnes peuvent être une preuve utile. L’U.S. Equal Employment Opportunity Commission et l’Office of Federal Contract Compliance ont autorisé l’emploi de ces tests pour prouver les cas de discrimination.

Bien que les tests en milieu l’emploi ne soient pas souvent utilisés dans les litiges, ils peuvent fournir des preuves objectives et persuasives. Ils peuvent se prêter à des projets expérimentaux menés dans des types de discrimination comme la discrimination sexuelle et raciale. On pourrait aussi y avoir recours lorsque les données sur la sous-représentation mettent en évidence le besoin de preuves de discrimination ou lorsque plusieurs plaintes ont été déposées contre des employeurs, mais que les preuves nécessaires manquent. Bien que l’utilisation de ces tests puisse être limitée à l’embauche et aux postes subalternes, il est tout de même utile dans ces contextes. La discrimination à l’embauche est difficile prouver parce que les postulants pas toujours conscients de la discrimination dont il font l’objet ou qu’ils manquent d’information interne de la dénoncer.

L’analyse du système de l’emploi et de l’utilisation des essais en conditions réelles permet de révéler les mécanismes de la discrimination en montrant comment les processus décisionnaires qui peuvent sembler neutres ont en réalité un impact négatif. Il peut être cependant difficile ou impossible de savoir comment certaines décisions concernant l’emploi sont prises, surtout pour des postes d’ancienneté et pour les employés plutôt que pour les postulants. Ceux qui connaissent les pratiques d’emploi de l’entreprise peuvent subir des représailles s’ils révèlent des informations d’intérêt pour les atteintes aux droits de la personne. Dans ce type de cause juridique, on n’a généralement pas accès au genre de preuves utilisées dans l’affaire Texaco aux États-Unis, où des enregistrements sonores laissaient entendre des cadres dirigeants faire des commentaires racistes.

Identifier le racisme systémique dans la culture d’entreprise : une démarche qualitative

Des motifs partagés de comportement informel, tels que la communication, la prise de décision et l’interaction sociale, qui constituent une preuve visible de valeurs profondément ancrées et inconscientes, d’acceptations et de normes, font partie de la culture d’entreprise. Les normes et les valeurs pré existantes d’une entreprise sont socialement construites par des groupes dominants et reflètent généralement le point de vue des membres qui sont des hommes, blancs, hétérosexuels et en pleine possession de leurs moyens. Dans les lieux de travail où le fait d’être blanc est établi comme une norme, le comportement social informel peut harceler, exclure, marginaliser les membres de groupes raciaux minoritaires et/ou de peuples autochtones. La culture d’une entreprise ou d’un service peut rendre invisibles les membres d’un groupe minoritaire, elle peut créer un plafond de verre, ou perpétuer un cadre de vie intimidant, abusif, hostile, humiliant ou offensif. La preuve de discrimination au sein de la culture d’entreprise dans les affaires d’atteinte aux droits de la personne provient habituellement de témoignage individuel et occasionnel de documents relatifs à l’entreprise et de sondages sur les employés, comme dans l’affaire ACNRI.

La discrimination raciale systémique au sein de la culture d’entreprise prend différentes formes selon les groupes qui sont représentés. Les enjeux peuvent différer pour le peuple autochtone, les Noirs, et les peuples d’Asie ou originaires d’Asie du sud, de même que les immigrants comparés aux personnes de nationalité canadienne, et comme les femmes comparées aux hommes. Certaines de ces différences peuvent être identifiées et examinées avec des outils d’assistance au diagnostic basés sur la recherche. Peut-être que l’évaluation systématique de la culture d’entreprise peut fournir une preuve utile dans les contextes d’atteinte aux droits de la personne, et peut suppléer le témoignage individuel, qui ne révèle peut-être pas de motifs.

Dans la recherche destinée à développer un outil d’évaluation pour diagnostiquer le racisme systémique dans la culture du lieu de travail, nous avons révisé les causes judiciaires d’atteintes aux droits de la personne relatives à l’emploi pour identifier les comportements spécifiques qui ont été trouvés discriminatoires pour le motif de race. Afin de comprendre la discrimination quotidienne, nous avons aussi évalué des groupes de consultation de 106 personnes actives qui s’identifient eux-mêmes comme étant Noirs, Autochtones, Asiatiques du Sud ou Asiatiques. Des hommes et des femmes ont participé à des entrevues dans des groupes de consultation séparés, comme l’étaient chacun des quatre groupes identitaires, par des animateurs formés ayant des antécédents similaires. L’utilisation d’un protocole d’entrevue, les groupes ont discuté de discrimination raciale systémique à laquelle les participants avaient fait face ou observé dans des circonstances diverses de culture du lieu de travail, comprenant la communication, le comportement social informel, la prise de décision et la réponse des employeurs aux préoccupations sur le racisme et le sexisme.

L’analyse des entrevues et des causes judiciaires a permis de produire un inventaire des comportements spécifiques que les membres de chaque groupe et genre identitaire a identifié comme étant discriminatoire. Ces comportements qui se sont produits dans la culture du lieu de travail ont servis de base pour développer un questionnaire de diagnostic qui a été testé dans des conditions réelles sur une petite échelle auprès d’une entreprise du secteur public. Une différence statistiquement significative a été trouvée entre les répondants blancs et ceux des minorités raciales dans les proportions de racisme qu’ils ont observé ou vécu sur leur lieu de travail pour chacune des dimensions de la culture d’entreprise.

Peut-être qu’un tel outil de diagnostic, au moins la méthodologie employée pour le produire, aurait pu prendre place dans un contexte d’atteinte aux droits de la personne où l’on trouve des allégations de racisme systémique dans la culture d’entreprise mais la preuve est difficile à fournir. Il pourrait aussi être utilisé pour contrôler un lieu de travail dans le temps pour identifier les impacts des recours ou des interventions contre le racisme.

Les plaintes individuelles pour atteinte aux droits de la personne se réfèrent souvent aux insultes racistes, plaisanteries ou autres comportements qui constituent le harcèlement racial, parfois associé au harcèlement sexuel. Des allusions à un cadre de vie empoisonné sont faites moins fréquemment. Certaines plaintes individuelles contiennent des descriptions de comportements qui reflètent une culture du lieu de travail raciste autant que des impacts négatifs du système d’emploi, et la sous-représentation des minorités raciales. Bien que souvent les points ne sont pas reliés et un motif sous-jacent de discrimination systémique n’est pas explicite. Peut-être que si les outils de vérification permettant d’identifier le racisme et le sexisme systémique dans la culture d’entreprise étaient disponibles, des efforts plus vigoureux et plus satisfaisants pourraient être consentis pour formuler des plaintes systémiques.

Conclusion : suivre les démarches des sciences humaines dans les causes de discrimination systémique

La judiciarisation des cas systémiques de discrimination raciale en matière d’emploi exigera une large démarche stratégique comprenant des chiffres, des systèmes et des cultures afin d’établir un corpus de jurisprudence. La poursuite efficace des causes systémiques nécessite que les schémas de racisme dans le comportement organisationnel soient portés à la connaissance des décisionnaires et des arbitres afin que l’existence de ces schémas ne soit pas niée ou illégitimement déboutée. La collecte, l’analyse, l’interprétation et la présentation des informations qui contribuent au diagnostic de discrimination systémique raciale doivent visiblement être rigoureuses et employer des méthodes crédibles. Le développement des méthodes et des applications du diagnostic est en cours et évoluera avec leur test et leur révision dans un contexte de cause judiciaire d’atteinte aux droits de la personne. Une telle évolution suppose que toutes les intervenants du contexte décisionnaire dans le domaine des droits de la personne – enquêteurs, avocats, experts en la matière, décisionnaires judiciaires, arbitres de différend et médiateurs, défenseurs de ceux qui revendiquent l’égalité, et ceux qui font fonctionner le système des droits de la personne, sont conscients et avertis de l’utilisation des méthodes et des concepts empruntés aux sciences sociales. Une formation et un développement professionnel seront nécessaires pour favoriser cela.

Porter à la connaissance non seulement des spécialistes des droits de la personne mais aussi du grand public que la judiciarisation des cas systémiques contribuerait à faire connaître cette sorte de discrimination et à soutenir le processus de droits de la personne. Le plus important serait peut-être de s’inspirer des causes judiciaires couronnées de succès pour établir dans les consciences que la discrimination systémique peut être identifiée et abordée de manière pratique afin d’améliorer le lieu de travail pour tous.

L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Charles C. Smith

Charles C. Smith est conseiller en équité auprès de l’Association du Barreau canadien, chargé du cours en Pluralisme culturel dans les arts, à l’Université de Toronto Scarborough et facilitateur du Secrétariat national du Canada contre la haine et le racisme. Il a récemment écrit plusieurs articles pour l’Association du Barreau canadien.

Résumé analytique

Cette étude porte sur les obstacles que pose l’augmentation des frais de scolarité pour les Autochtones et pour les membres de groupes racialisés subordonnés qui tentent d’accéder à une formation en droit au Canada. Une présentation brève de l’histoire de la discrimination raciale dans l’éducation juridique permettra de montrer l’origine de ces obstacles.

Au mois d’avril 2003, deux facultés de droit en Ontario ont autorisé une augmentation importante de leurs frais de scolarité, ceux de l’Université de Toronto sont passés de 2 451 $ en 1995 à 16 000 $ pour l’année universitaire de 2003-2004 et à l’université de Queen’s, ils sont passés de 3 228 $ en 1997 à environ 8 961 $ en 2003. De plus, l’université de Toronto prévoit une augmentation allant jusqu’à 22 000 $ et celle de Queen‘s prévoit fixer ses frais de scolarité à 12 856 $ en 2005. Plusieurs organismes ont exprimé leur inquiétude par rapport à l’impact de l’augmentation des frais de scolarité sur les personnes provenant des communautés qui ont historiquement été subordonnées. Par exemple :

  • Les données de Statistique Canada indiquent que 38,7% des jeunes âgés entre 18 et 21 ans issus de familles riches sont inscrits à l’université, par rapport à 18,8% pour ceux qui sont issus de familles plus pauvres.
  • Le texte Missing Pieces IV (Pièces manquantes IV) du Canadian Centre for Policy Alternatives indique que le nombre d’inscriptions diminue à cause de la hausse des frais de scolarité et que « les chercheurs de l’Université de Guelph estiment que 40% de moins d’étudiants issus de familles à revenu modeste sont inscrits à l’université depuis l’augmentation des frais de scolarité ». 
  • L’Association canadienne des professeures et professeurs d'université affirme que si la tendance se poursuit, l’accès à la formation postsecondaire sera davantage disproportionné entre les catégories de revenu.
  • Les plus récentes données du recensement indiquent que les Autochtones et les membres de groupes racialisés subordonnés tombent plus souvent sous le seuil de faible revenu (SFR) que les autres membres de la population. En d’autres termes, ils sont plus susceptibles d’avoir des revenus moins élevés et ils sont donc moins en mesure d’assurer l’éducation de leurs enfants.

Une histoire brève de la discrimination raciale dans la formation en droit

L’inquiétude par rapport à l’accès des groupes racialisés subordonnés à la formation universitaire se manifeste depuis de nombreuses années. La discrimination dans le domaine de l’éducation est à la fois le reflet et le renforcement de la discrimination dans la société, qui est véhiculée par les statuts et règlements, politiques d’ordre social, pratique institutionnel ou encore par des comportements individuels ou communautaires. Cette réalité fait partie intégrante de l’histoire du Canada et il est nécessaire de la comprendre pour saisir les enjeux propres à l’accès aux facultés de droit. En 1836, la Nouvelle-Écosse a autorisé l’ouverture d’écoles séparées pour les « Noirs ou personnes de couleur ». En 1842 et 1843, le Nouveau-Brunswick a adopté deux statuts qui reconnaissaient explicitement que les écoles réservées aux Noirs constituaient une forme de ségrégation entre les étudiants de race blanche et noire.

La Loi sur l’éducation publique du Haut-Canada a été adoptée en 1850 pour offrir des écoles aux membres de la communauté noire. En 1870, le conseil municipal de Halifax a établi un règlement interdisant aux étudiants d’origine africaine de s’inscrire dans les écoles publiques. En 1886, l’Ontario a modifié la Loi sur l’éducation publique pour « préciser que les écoles réservées aux ‘personnes de couleur’ ne devaient être ouvertes que si au moins cinq familles noires dans la communauté en avaient fait la demande ».

La relation entre le gouvernement canadien et les peuples autochtones a pris un nouveau tournant après l’adoption de la Loi sur les indiens, qui permettait au gouvernement d’assimiler les autochtones, en stipulant qu’il était nécessaire d’éliminer la culture et les coutumes de ces peuples. Cette loi a été modifiée en 1894 et selon les articles 137, 138 et 139, non seulement il était obligatoire de s’inscrire à l’école, mais les parents ainsi que les enfants qui ne s’y conformaient pas risquaient d’être pénalisés.

À la fin de la construction de la ligne de chemin de fer transcanadienne, le sentiment d’aversion contre les immigrants, particulièrement ceux d’origine chinoise, était très répandu au Canada. C’est ainsi qu’en 1914, le conseil municipal de Vancouver a adopté une résolution pour retirer les étudiants chinois des écoles publiques, parce que la « coprésence des deux races crée une situation nuisible pour nos enfants, qui n’ont rien à gagner, moralement et mentalement, de la présence quotidienne des Orientaux ».

En Ontario, les écoles réservées aux Noirs sont restées ouvertes jusqu’en 1891 dans le comté de Chatham, en 1893 dans celui de Sandwich, en 1907 dans celui de Harrow, en 1917 dans celui d’Amherstburg et en 1965 dans les comtés de North Colchester et d’Essex. En 1940, les écoles publiques étaient interdites aux enfants noirs et jusqu’en 1959, les autobus scolaires se rendaient uniquement dans les quartiers blancs de Hammonds Plains. En 1960, il restait sept arrondissements scolaires officiels et trois écoles réservés aux Noirs en Nouvelle-Écosse». L’abrogation des actes autorisant la ségrégation raciale dans les écoles se fît qu’au milieu des années soixante.

Au niveau de la formation en droit, W. Wesley Pue résume les valeurs ethnocentriques et racistes qui ont contribué à l’éducation juridique en droit coutumier dans son ouvrage Common Law Legal Education in Canada’s Age of Light, Soap and Water. Pue décrit les efforts du Barreau du Manitoba pour empêcher l’ouverture d’écoles indépendantes « qui, en jugeant de l’expérience américaine, permettraient à un plus grand nombre de jeunes hommes (et femmes?) issus de la classe ouvrière et des minorités ethniques d’avoir une carrière en droit». « La perspective n’aurait pas été accueillie sereinement par l’élite anglophone du Manitoba, qui était ancrée dans une culture profondément probritannique, hiérarchique, nativiste et même xénophobe ». Il souligne aussi que les plus grands défenseurs, de ce qu’on pourrait nommer un agenda ‘culturel’ par rapport à la formation en droit, étaient des avocats praticiens éminents, énergiques, zélés, dont la carrière était bien établie. Ces avocats étaient tous issus de l’élite anglophone ou ils l’avaient parfaitement intégrée. Ils participaient tous à la gouvernance du barreau ou ils étaient membres d’une association d’avocats ».

Dans le même esprit que Pue, Christopher Moore, dans son ouvrage The Law Society of Upper Canada and Ontario’s Lawyers: 1797-1997, note que « la majorité des avocats du 19e siècle en Ontario étaient d’origine anglaise, écossaise ou irlandaise, de religion protestante et qu’ils choisissaient habituellement des étudiants issus du même milieu… » Ce n’est qu’en 1855, que Robert Sutherland a été admis au barreau de l’Ontario, devenant ainsi le premier avocat noir du Canada. Après l’adoption d’une loi spéciale par Assemblée législative d'Ontario, à laquelle le Barreau du Haut-Canada s’est opposé, Delos Rogest Davis a été admis au barreau en 1885. S’il est difficile de vérifier l’exactitude de l’information sur les autres Noirs qui ont eu une carrière juridique, on sait que les conséquences de la discrimination en éducation, ainsi que celles du racisme de la société, limitaient l’accès des Noirs aux facultés de droit. Par ailleurs, certains obstacles au niveau de l’éducation juridique, particulièrement lorsqu’il s’agissait d’obtenir un stage, se posaient devant ceux qui y parvenaient.

En Colombie-Britannique, les Asiatiques du Sud et les Autochtones n’ont pu être admis au barreau jusqu’en 1947 et les Japonais n’y ont été admis qu’en 1948. De plus, la Loi sur les indiens obligeait les Autochtones à renoncer à leur statut s’ils voulaient poursuivre des études universitaires, jusqu’à l’amendement de la loi en 1951. Ainsi, plusieurs Autochtones n’ont pu accéder ni aux études universitaires, ni aux études juridiques.

L’ère du changement

Après la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont adopté une Déclaration des droits. Dans le cadre de ce processus de renouveau, plusieurs lois et politiques ont été décrétées pour assurer la reconnaissance de divers groupes et promouvoir des politiques plus inclusives.

Après d’autres tentatives de concrétiser l’assimilation forcée des autochtones, décrite dans le Livre blanc sur les affaires indiennes en 1969, le gouvernement fédéral a officiellement endossé en 1973 la politique, Éducation des Indiens sous contrôle des Indiens, proposée par la Fraternité des Indiens du Canada (prédécesseur de l’Assemblée des Premières Nations). La politique avait pour but d’assurer aux Premières Nations le contrôle de l’éducation et stipulait que « les Conseils de bande devraient avoir la responsabilité entière ou partielle de l’éducation dans les réserves, selon les circonstances locales, et des dispositions devraient être prévues pour une éventuelle autonomie complète, identique à celle accordée aux commissions scolaires provinciales par le ministère provincial de l’Éducation ».

Au cours des années 1980, la plupart des commissions scolaires en Ontario et dans les centres urbains à travers le Canada ont créé des programmes et politiques relatives au multiculturalisme et aux relations interraciales. En 1988, le gouvernement de l’Ontario a adopté la Politique en matière de relations ethniques et interraciales et il a sommé toutes les commissions scolaires de l’adopter. En 1994, après une période de lobbying intense menée par les éducateurs et les activistes communautaires, le ministère d’Éducation de l’Ontario a créé l’Unité de lutte contre le racisme et d’égalité ethnoculturelle pour permettre aux commissions scolaires de développer des politiques et programmes semblables (lesquels programmes et politiques ont été par la suite abrogés). Les collèges et universités ont suivi la même direction et les facultés de droit des Universités de Toronto, York, Queen’s, Ottawa, Windsor et Western Ontario ont mis en place des approches semblables.

Malgré ces transformations, peu d’études ont été faites sur le contenu et l’efficacité de ces politiques. Les conséquences du racisme sur l’éducation et l’impact des politiques et programmes antiracistes devraient davantage être examinées. De plus, la discrimination et les désavantages sociaux existent toujours. L’échec des établissements d’enseignement ordinaire, par rapport aux services offerts aux minorités, au Canada, et particulièrement à Toronto, qui compte la population la plus dense ainsi que culturellement et ethniquement diversifiée, est continuellement étudié et analysé.

Comme s’il avait compris la perpétuation de cette réalité, Georges Dei écrit, dans Rethinking ‘African-Centred’ Schools, « Il n’est pas nécessaire de réitérer les raisons qui sous-tendent de telles écoles [afrocentriques]. Il suffit de lire les innombrables rapports de recherche, études universitaires et récits anecdotiques sur l’éducation des jeunes d’origine africaine au Canada, États-Unis et en Europe pour comprendre la frustration qui a mené aux écoles africanistes ».

Dei indique par ailleurs qu’« une étude menée par une commission scolaire de Toronto en 1991 montre que les jeunes afro-canadiens ne réussissent pas aussi bien que les autres étudiants en termes de crédits accumulés. 36 % des étudiants noirs étaient ‘à risque’ de décrocher parce qu’ils n’accumulaient pas le nombre suffisant de crédits pour terminer le programme scolaire en six ans, comparativement à 26 % des blancs et 18 % des asiatiques ... L’étude confirme aussi que ‘...45 % des étudiants noirs dans les écoles secondaires étaient inscrits au niveau élémentaire et général, par rapport à 28 % de l’ensemble de la population étudiante...’ {et} l’étude de la commission scolaire, sur les étudiants inscrits en 1987 dans les écoles secondaires, montre qu’en 1991, 42 % des étudiants noirs (pour 33 % de la population étudiante) avaient décroché (1996:33-34).

Marie Batiste décrit la souffrance des peuples autochtones dans son ouvrage Post-Colonial MikMaq Languages Development Strategies :

L’éducation n’a pas été simple ou profitable pour les Indiens. C’est ainsi que les politiques et programmes malavisés du gouvernement fédéral ont soumis les jeunes autochtones à un ensemble de forces d’assimilation et de colonisation, inconditionnellement influentes et profondément débilitantes. Les écoles pensionnaires et les établissements d’enseignement ont eu pour conséquence que les Autochtones, ainsi que leur vision du monde, ont été bafoués, tandis que la santé de la nation a été perturbée. L’éducation des enfants autochtones était assurée par des clercs catholiques et protestants dans presque toutes les écoles, mais ces enfants étaient continuellement sujets à la violence, l’impuissance, l’exploitation et l’impérialisme culturel, pour ensuite être marginalisés dans leur communauté et dans les centres urbains. Le monde, les croyances, les langues et la culture autochtones se sont peu à peu désagrégés et les communautés ont été frappées par de nombreux bouleversements psychologiques et sociaux.

La question se pose d’autant plus lorsqu’on envisage la dimension sociale de l’éducation juridique. Les notions d’égalité et de diversité, concernant le nombre d’individus issus de groupes minoritaires qui accèdent aux études en droit, sont bien articulées dans une étude sur les critères d’admission aux facultés de droit menée par l’Université de Windsor. Dans son introduction, l’auteur du rapport The Impact of Law School Admission Criteria: Evaluating the Broad-Based Admission Policy at the University of Windsor Faculty of Law, note :

La nature, la qualité et l’efficacité du système juridique dépendent inévitablement du genre de candidats qui poursuivent leurs études en droit. Les intervenants qui ont une formation en droit, avocats, juges, éducateurs, administrateurs et législateurs, contrôlent et influencent considérablement une grande partie des décisions prises en matière de l’application de la loi dans la société. Les finissants en droit entreprennent de plus en plus une profession non traditionnelle pour laquelle une formation juridique est nécessaire; la sphère d’influence de la profession s’en trouve ainsi élargie. Par conséquent, le système judiciaire, dont tous les membres de la société doivent profiter, reflète d’une certaine manière les opinions culturelles, économiques et sociales de ceux qui ont suivi une formation juridique. Dans la mesure où ces personnes ont un impact sur les organismes gouvernementaux, on peut affirmer que l’accès aux études de droit est un facteur déterminant de la réalité politique, économique et sociale. En revanche, les études juridiques ont traditionnellement été réservées aux groupes majoritaires. Ainsi, l’opinion des minorités concernant nos choix de société pourrait avoir eu une influence limitée.

Malheureusement, les obstacles qui se posent devant l’accès aux études de droit pour ces groupes persistent. Malgré les modèles qui ont été présentés, permettant aux facultés de droit de mettre en oeuvre des initiatives promouvant l’égalité et la diversité, il est clair que plusieurs domaines des études juridiques doivent encore être examinés. Plusieurs personnes ont exprimé leurs préoccupations par rapport à l’examen d’admission LSAT, à savoir les connaissances mesurées par l’examen, sa pertinence et son efficacité lorsqu’il s’agit de déterminer le succès de l’éducation juridique. Un rapport de l’Association du Barreau canadien, Racial Equality in the Canadian Legal Profession relève plusieurs arguments et statistiques à ce sujet.

La faculté de droit de l’Université de Toronto

L’Université de Toronto sert de bon exemple pour mesurer l’impact potentiel de l’augmentation des frais de scolarité. Afin de justifier l’augmentation à 22 000 $ de ses frais de scolarité, l’université a produit une étude démontrant que cette augmentation n’aurait peu ou presque pas de conséquences négatives. Le rapport d’étude complété par le doyen de la faculté a été présenté au Conseil des gouverneurs. Les éléments notés ci-dessus sont importants pour comprendre cette étude sur l’accessibilité. En revanche, le rapport du doyen ne tient pas compte des antécédents bien connus au niveau de la disparité salariale dans la profession juridique, ainsi qu’au niveau des stages, auxquels les divers groupes ont accès. Cette réalité dissimule les inégalités systémiques et sociales et porte à s’interroger sur les fort probables conséquences néfastes de l’augmentation des frais de scolarité.

Il est difficile de déterminer à partir du rapport si la mise à disposition d’une aide financière pourrait favoriser l’accessibilité et si les étudiants potentiels seraient prêts à investir autant dans leurs études lorsque la perspective d’emploi demeure incertaine. Des statistiques sur les besoins financiers des ‘Noirs’ et des Autochtones sont présentées dans le rapport, mais l’étude en soi indique que les chiffres sur les étudiants issus de ces groupes ne sont pas très élevés. On ne peut donc se fier aux inductions statistiques. Le fait que les chiffres soient peu élevés et que les statistiques soient peu fiables devrait indiquer quelque chose sur l’état actuel de l’accessibilité.

Selon le rapport, le nombre d’étudiants issus de familles à revenu faible est peu élevé, soit 17,3 % des étudiants, par rapport à 33 % d’étudiants dont le revenu familial est supérieur à 90 000 $ et 33,5 % des étudiants qui n’ont pas déclaré leur revenu familial. Étant donné que les étudiants appartenant au dernier groupe ne font pas de demande d’aide financière, on peut estimer que ces étudiants sont dans une situation aisée. Ainsi, 66% des étudiants inscrits à la faculté de droit sont issus de familles dont le revenu est supérieur à 90 000 $ par année comparativement à 17 % dont le revenu est inférieur à 60 000 $ par année. Ces chiffres abondent dans le même sens que les inquiétudes affirmées plus haut, soit que 38,7 % des jeunes âgés entre18 et 21 ans issus de familles aisées s’inscrivent à l’université, par rapport à 18,8 % des jeunes issus de familles plus pauvres. Si la tendance se poursuit et que les frais de scolarité ne cessent d’augmenter, l’éducation postsecondaire risque de devenir disproportionnée entre les catégories de revenu. Vu l’intersection entre l’origine ethnique et le revenu familial, ces divisions auront sans doute aussi un caractère racial.

L’étude du doyen souligne l’importance de l’aide financière pour assurer l’accessibilité à la faculté de droit, mais le rapport n’indique pas le niveau d’aide financière qui serait nécessaire pour les étudiants qui n’ont pas les moyens de payer les frais de scolarité. Il n’y est pas question non plus des stratégies envisagées pour générer et garantir le financement.

Conclusion

Les facultés de droit de l’Ontario étudient la question de l’accessibilité et elles devraient produire un rapport sous peu. Tel que pour l’université de Toronto, on ne peut aborder la question légèrement. Certaines pressions et réalités sociales, comme l’augmentation des frais de scolarité, pourraient avoir un effet cumulatif et par conséquent mettre en jeu la diversité au sein de l’éducation et des professions juridiques.

Des études récentes sur le milieu juridique au Canada, indiquent que la profession est majoritairement composée d’hommes blancs, avec seulement 5 % de personnes issues de groupes minoritaires et 0,8 % de personnes d’origine autochtone. Certains indicateurs du domaine public font état des obstacles qui se posent devant ces individus lorsqu’il s’agit d’obtenir un stage ou un poste d’associé bien rémunéré, ou encore lorsqu’il s’agit de devenir partenaire ou de gagner un salaire comparable après plusieurs années de service[1]. Dans certains cas, plusieurs étudiants se sont plaints de ne pas avoir accès aux postes bien rémunérés dans les cabinets d’avocats importants, tandis que d’autres ont évoqué la possibilité que certaines caractéristiques raciales ou autochtones aient une incidence sur le système de rappel. Michael St. Patrick Baxter examine la même possibilité dans Black Bay Street Lawyers and Other Oxymora, un ouvrage qui traite des obstacles auxquels les avocats afro-canadiens sont confrontés pour obtenir un poste dans les grands cabinets d’avocats.

On dénote entre autres une disparité salariale entre les groupes majoritaires et les groupes minoritaires. Par exemple :

  • Les avocats blancs âgés entre 25 et 29 ans gagnent environ 6 000 $ de plus par année que ceux qui sont issus des groupes racialisés subordonnés (28 000 $ par rapport à 33 900 $). L’écart atteint 33 000 $ pour les avocats qui ont entre 35 et 39 ans (58 000 $ par rapport à 91 200 $) et 40 000 $ pour les avocats qui ont entre 40 et 49 ans (70 000 $ par rapport à 110 000 $) et
  • La disparité salariale entre les avocats blancs et ceux qui sont issus des communautés minoritaires est impressionnante dans la tranche d’âge de 50 – 54 ans, où les personnes de race blanche gagnent 70 000 $ de plus.

Étant donné que le nombre de personnes issues des groupes raciaux minoritaires ou d’origine autochtone qui poursuit des études juridiques est peu élevé, qu’ils sont confrontés à certains obstacles lorsqu’il s’agit d’obtenir un stage et que leurs perspectives d’emploi sont limitées, un endettement étudiant exorbitant apparaît comme étant un obstacle insurmontable. La discrimination raciale, exercée pendant une grande période de temps, présente et explicite, est à l’origine de cette réalité. L’augmentation des frais de scolarité fait resurgir les injustices du passé, dans la mesure où cette augmentation pourrait empêcher les Autochtones et membres des groupes racialisés subordonnés d’avoir accès aux études juridiques. Ainsi, la profession d’avocat s’en trouverait largement représentée par des personnes de race blanche.


[1] Voir Concerns Regarding Discrimination in Attracting Articling Positions, août 2000, et Articling Student Feedback Report 2001.

 

Les stéréotypes et leurs conséquences sur les jeunes issus de minorités raciales

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

by Carl James

Carl James enseigne à la Faculté d’éducation et au Département de sociologie de l’Université York. Dans son enseignement et ses travaux de recherche, il explore des questions d’équité relatives à des aspects tels que la race, l’origine ethnique, le sexe, le multiculturalisme, la lutte contre le racisme, l’éducation urbaine et la socialisation par le sport.

Résumé analytique

En référence à des articles publiés dans des médias et des études sur les jeunes issus de minorités ethniques dans les domaines de la justice et de l’éducation, cet article explore la manière dont les stéréotypes et le profilage racial, en tant qu’élément de racialisation, structurent les expériences vécues par des jeunes issus de minorités raciales. Le traitement différentiel qui en résulte limite souvent les possibilités offertes aux jeunes, à leur détriment.

En innocentant récemment un jeune Noir d’une accusation de possession de drogue, le juge Molloy de la Cour supérieure de l’Ontario a statué que les deux agents de police torontois qui avaient procédé à son arrestation n’avaient aucun motif valable d’agir ainsi. Le juge a écrit que les deux policiers ont décidé d’isoler l’accusé et de fouiller son véhicule « parce qu’il était un homme noir au volant d’une Mercedes dispendieuse » (The Globe and Mail, 17 septembre 2004, p. A1). Il y avait eu une autre cause dans laquelle un juge de l’Ontario avait conclu que la race avait joué un rôle prépondérant dans une action policière menée contre un accusé. En 2003, dans une cause impliquant un jeune Noir de 18 ans, la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’au moment de prononcer une sentence contre un accusé, il est approprié aux tribunaux de tenir compte du rôle que le racisme systémique peut jouer lors d’une accusation. Le juge Rosenberg a souligné que « le racisme systémique et les facteurs auxquels font face les jeunes Noirs de Toronto sont des questions importantes » (The Globe and Mail, 13 février 2003, p. A1). En citant le rapport qui existe entre des actions individuelles et le racisme systémique, tel qu’il se reflète à travers un profilage et des stéréotypes raciaux, ces magistrats ont souligné que le racisme n’est pas simplement le fait que des policiers en viennent individuellement à considérer les jeunes hommes noirs comme des instigateurs de désordres et des contrevenants probables, d’où la nécessité qu’ils soient ciblés par la police (James, 1998; Wortley et Tanner, 2004), mais aussi le fait que de telles perceptions font partie intégrante d’un système de politiques et de pratiques correspondantes qui ont cours au sein des institutions. En d’autres mots, le racisme n’est pas seulement le reflet d’attitudes négatives venant d’individus à l’égard de membres de la société issus de minorités raciales (c’est-à-dire un racisme individuel), mais également le reflet de la manière dont les politiques, les règlements, les programmes, les valeurs, les normes, les sanctions et les pratiques des institutions au sein de la société imprègnent et structurent les attitudes et les pratiques individuelles à l’égard de personnes considérées comme étant subordonnées ou inférieures (c’est-à-dire un racisme systémique).

Pour les membres des minorités raciales, cette subordination se manifeste dans le traitement différentiel qui résulte du profilage racial ou des stéréotypes raciaux. La Commission ontarienne des droits de la personne (2003, p. 6) définit le profilage racial comme étant:

« toute action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public qui repose sur des stéréotypes fondés sur la race, la couleur, l’ethnie, l’ascendance, la religion, le lieu d’origine ou une combinaison de ces facteurs plutôt que sur un soupçon raisonnable, dans le but d’isoler une personne à des fins d’examen ou de traitement particulier. »

Dans cet article, j’explorerai la manière dont le profilage racial ou les stéréotypes raciaux imprègnent, structurent, limitent et déterminent les jeunes issus de minorités raciales dans leurs activités éducatives, sociales et culturelles. Je ferai référence à mon expérience d’éducateur et de chercheur en éducation pour montrer comment les stéréotypes se manifestent pour restreindre les performances, les possibilités et les accomplissements de jeunes issus de minorités raciales. J’examinerai ensuite comment ces jeunes utilisent leur compréhension des limites que les stéréotypes leur imposent pour faire face aux structures afin d’assurer leur participation à la vie scolaire et à la société dans des termes qui sont liés à leurs intérêts, leur milieu et leurs aspirations. Enfin, j’aborderai le concept de stéréotype et les expériences vécues par les jeunes issus de minorités raciales en rapport avec les stéréotypes véhiculés dans le système judiciaire et les établissements scolaires.

Les stéréotypes et le discours sur le multiculturalisme au Canada

Aux fins de cette discussion, les stéréotypes signifient des jugements simplistes et non critiques que des personnes énoncent en se fondant sur des caractéristiques comme le sexe, l’âge, la race, l’origine ethnique et la couleur de la peau, et en leur accolant des attributs que la société dans laquelle elles évoluent leur a appris tôt dans la vie (Paul, 1998). À ce titre, il existe une tendance à croire au « bien-fondé » ou à la « vérité » des jugements au mépris de la preuve du contraire. Les stéréotypes ne servent pas seulement à catégoriser, organiser et simplifier la masse d’informations complexes que nous recevons, mais également à « essentialiser » les gens – c’est-à-dire à leur attribuer une identité – ainsi qu’à les évaluer et établir une généralisation à leur sujet en tant qu’ils constituent un groupe.

Au Canada, les stéréotypes ont cours dans un contexte empreint d’un discours multiculturel qui tend à masquer le fait que la race, l’origine ethnique, la langue, l’accent, la religion et d’autres facteurs démographiques sont utilisés pour attribuer des pratiques culturelles particulières à divers membres de la société. De telles pratiques ne sont pas perçues comme étant des stéréotypes, mais plutôt comme un reflet des principes de multiculturalisme en cours. Mais, comme des critiques l’ont souligné, les discours multiculturels contribuent à la manière dont les « Canadiens d’autres origines ethniques » (ceux qui ne sont pas de descendance française ou britannique) sont catégorisés et homogénéisés selon une ressemblance ou une identité basée sur des caractéristiques identifiables, un patrimoine « étranger », de même que sur des pratiques et des valeurs culturelles statiques (James, sous presse). Dans un tel contexte, les stéréotypes, enracinés comme ils le sont dans l’idéologie hégémonique et les discours de racisme, trouvent des assises à mesure qu’ils se manifestent aux niveaux individuel et structural dans une racialisation des individus. Dans certains cas, la racialisation prend la forme de ce que les gens considèrent comme étant des « stéréotypes positifs ». Qu’est-ce qui a de mal, peuvent-ils se demander, dans un stéréotype voulant, par exemple, qu’un groupe ethnoracial en particulier soit composé de bons universitaires ou de bons athlètes? Pon (2000) souligne que la nature séductrice de « stéréotypes positifs » semblables a pour effet de masquer le racisme et les inégalités structurales qui existent dans la société et qu’elle est souvent, à ce titre, plutôt nuisible.

Le profilage racial, les stéréotypes raciaux et le système judiciaire

Revenons au cas des stéréotypes ou du profilage racial dans les agissements policiers à l’endroit des gens de couleur. Les exemples mentionnés précédemment démontrent que les tribunaux (du moins certains juges) admettent que le profilage racial existe parmi les agents de police. Néanmoins, certaines personnes soutiennent que les attitudes et les actions d’agents de police ne sont pas fondées sur la race, mais bien sur leurs habiletés, leur formation, leurs connaissances et leurs expériences, qui les amènent à « reconnaître » des criminels et des contrevenants potentiels. Mais le fait que les cibles de la surveillance et des observations policières tendent à être des personnes de couleur, et des Noirs dans de nombreux cas, constitue dans une certaine mesure la preuve même du profilage racial (James, 1998; Wortley et Tanner, 2004), à l’égard duquel, comme le souligne Comack (1999), la loi et, par extension, ses exécutants ne sont ni impartiaux, ni neutres, ni objectifs (p. 56).

Lorsque j’ai étudié les expériences vécues par de jeunes Noirs avec des agents de police dans les rues – où ils sont souvent suspectés ou perçus comme étant « inutiles » – un certain nombre de répondants, particulièrement des hommes, ont rapporté qu’ils étaient souvent arrêtés, interrogés, fouillés et harcelés par des agents de police et de sécurité, et qu’ils étaient souvent perçus comme étant des ouvriers, des immigrants ou des réfugiés. Ils ont dit que ce n’est pas leur tenue vestimentaire ou leur coupe de cheveux qui contribuent à ce traitement par la police, mais plutôt, comme l’a souligné un répondant, « ta couleur, ta couleur et ta couleur » (James, 1998, p. 166).

La scolarité, les stéréotypes et les limites aux possibilités d’accès à l’enseignement

Des études menées sur les expériences vécues par des étudiants marginalisés – des immigrants ou des étudiants issus de minorités raciales ou ethniques – au sein du système scolaire ontarien, en particulier à Toronto, ont montré qu’ils considèrent le système scolaire comme étant oppressif, singulièrement en regard des stéréotypes véhiculés par des enseignants (Dei et al, 1997). En conséquence, les interactions de ces étudiants reflètent à la fois leur reconnaissance des éthos oppressants du système et leur résistance face à ces éthos. En ayant cela à l’esprit, j’ai discuté avec un groupe de six nouveaux enseignants pour explorer les expériences qu’ils ont vécues avec des étudiants de niveau secondaire au centre-ville de Toronto (James, 2002, pp. 12-14).

Ces enseignants ont rapporté que les étudiants inscrits dans les écoles de la grande ville, diversifiées aux plans racial, ethnique et linguistique, où ils enseignent, ont souvent été décrits ou étiquetés par les éducateurs comme étant à risque, peu productifs, en difficulté d’apprentissage, décrocheurs, perturbateurs, rebelles et enclins à se livrer à des activités illégales. Ces élèves ont aussi été décrits comme provenant de « familles à faible revenu » qui « vivent dans des logements sociaux ». On a également dit de certains élèves qu’ils « grandissent dans des familles immigrantes ouvrières ou monoparentales qui reçoivent une aide spéciale ». Dans peu de cas, les écoles fréquentées par ces élèves sont situées dans des quartiers de Blancs appartenant à la classe moyenne, où les rues sont bordées d’arbres et les résidences cossues. Cela amène les écoles à contrôler les étudiants afin de protéger le voisinage. Cette surveillance est exercée par des policiers, des agents de sécurité, des surveillants et des enseignants qui font des patrouilles à l’école et autour de l’école. Une façon d’interpréter les pratiques des enseignants dans ces écoles est qu’ils ont été davantage préoccupés par la réputation des établissements et par le fait de se sentir en sécurité, à l’abri des gangs et des drogues. À cet égard, les étudiants perturbateurs ont fait l’objet d’une surveillance et de mesures disciplinaires, non pas simplement pour protéger les enseignants et les autres étudiants contre des dommages corporels possibles, mais aussi pour protéger les étudiants contre les influences sociales que peuvent exercer sur eux ces étudiants étiquetés comme étant des contrevenants potentiels.

Les contextes scolaires oppressants ont suscité certaines réponses paradoxales de la part d’étudiants qui, bien que conformistes dans une certaine mesure, ont résisté en même temps aux discours hégémoniques qui les ont définis aux plans académique, social et culturel, entre autres choses, comme étant peu productifs et instigateurs de désordres. En tant que conformistes, ils se sont inscrits comme étudiants réguliers, mais ils ont fréquenté l’école et assisté aux cours quand ils le voulaient et, s’ils s’intéressaient aux matières, ils allaient en classe et complétaient leurs travaux. Parallèlement, ils ont démontré une résistance par leur taux élevé d’absentéisme, leurs retards, leur babillage, leurs gestes, quittant les salles de classe quand bon leur semblait et se rassemblant dans des aires particulières de l’école. Beaucoup d’étudiants se sont affichés comme conformistes en portant leur uniforme (quand il était obligatoire), tout en démontrant leur résistance à l’oppression scolaire avec des pratiques comme le port de bijoux, d’une casquette ou d’un mouchoir de tête, en décorant leur uniforme avec des accessoires, ou encore en se rassemblant en dépit des règlements.

En clair, ces étudiants marginalisés ont surmonté les espaces de tension dans les écoles et les classes, conscients des rapports puissants qui existent entre eux, leurs enseignants, les administrateurs scolaires et les membres des autres groupes de pairs dominants. À cet égard, ils ont utilisé activement les espaces réels et imaginaires des écoles et des classes pour exprimer leur résistance, leur confrontation, leur antagonisme et leur contestation par rapport aux autorités scolaires et aux étiquettes ou aux images qu’elles s’étaient construites, en somme pour rendre ces espaces appropriés, sécuritaires, différents, unificateurs et stimulants. L’ironie dans tout cela, c’est que des enseignants ont utilisé des actions de ces étudiants pour fonder leurs stéréotypes. Étant donné les façons dont la tolérance zéro était pratiquée, ces actions sont devenues des motifs de suspensions ou d’expulsions, au lieu de constituer un point de départ pour comprendre véritablement les besoins, les préoccupations et les intérêts de ces étudiants.

Les limites et l’absurdité des « stéréotypes positifs »

En parlant de son expérience avec le stéréotype du « modèle de minorité », Pon a écrit que, durant ses études secondaires, ses professeurs d’anglais lui demandaient souvent s’il avait fait seul ses compositions. Malgré le fait qu’il les assurait que c’était le cas, ses professeurs semblaient en douter. En raison de leurs suspicions continuelles, Pon n’a jamais obtenu des notes supérieures à « A ». À ce sujet, il écrit:

« Il m’a fallu des années après mes études secondaires pour comprendre que mes habiletés en écriture et en composition, qui étaient fortes par rapport à mon niveau scolaire, allaient au-delà des stéréotypes accolés aux étudiants chinois, en particulier la croyance selon laquelle nous avions tous la bosse des mathématiques. Attribuer des stéréotypes à un groupe particulier, comme un groupe d’étudiants chinois, impose des limites à ce qu’on s’attend d’eux et inhibe une compréhension des différences complexes qui existent parmi les membres du groupe. Ainsi, les stéréotypes que mes professeurs d’anglais nourrissaient à l’égard des étudiants d’origine chinoise les ont amenés à croire qu’il était normal que j’excelle en mathématiques, mais non en anglais. » (Pon, 2000, p. 224).

Dans le cas des jeunes Noirs, l’athlétisme est perçu comme une force positive dans leur vie qui les garde à l’école et qui leur apprend des habiletés, et comme mécanisme de mobilité sociale ascendante. Les opinions qui se rattachent aux habiletés athlétiques, aux talents et aux aptitudes des Noirs sont soutenues par des entraîneurs et des éducateurs, de même que par les images d’athlètes noirs ayant du succès qui sont véhiculées dans les médias. (James, sous presse). Kai James (2000, p. 54) écrit: « Les instructeurs de gymnase sont peut-être les plus francs dans leurs interprétations des stéréotypes. Je me souviens d’un entraîneur d’athlétisme qui était venu dans ma classe de 9e année pour demander à tous les étudiants noirs s’ils voulaient participer à une compétition de course à pied ». En portant attention aux différentes façons dont les étudiants étaient traités par les enseignants, James, qui mesurait alors environ six pieds (180 cm), ajoute: « J’ai été recruté par un entraîneur qui n’avait aucune connaissance de mes aptitudes athlétiques ou de mes intérêts. À la même époque, un ami d’origine asiatique était encouragé par ses professeurs à participer à des concours de mathématiques ». James cite un autre exemple, celui d’un de ses amis noirs de grande taille: « Au premier jour d’école, son professeur de sciences humaines, qu’il ne connaissait absolument pas, l’a accueilli en lui disant « J’espère que tu n’es pas un de ces joueurs de basket-ball qui va venir parader en classe une fois par semaine. Parce que, si c’est ton intention, tu peux partir tout de suite »».

Les expériences vécues par des étudiants noirs perçus comme étant des athlètes indiquent que, bien qu’il existe peu de preuves démontrant la prétendue supériorité de leurs aptitudes athlétiques, les stéréotypes persistent. Les éducateurs continuent d’encourager ces étudiants à s’orienter vers les sports, en croyant ainsi les aider dans leurs études, alors que, dans les faits, ils ne parviennent pas à les soutenir équitablement dans leurs intérêts académiques et leurs aspirations. Dans certains cas, non seulement des étudiants noirs en viennent à croire ou à intérioriser les stéréotypes, mais ils accordent la priorité à des activités athlétiques au détriment de leur rendement académique et de leurs résultats scolaires.

Conclusion

Les stéréotypes constituent une question majeure à laquelle les jeunes sont confrontés. Les preuves indiquent qu’à cause des stéréotypes, des suppositions et des attentes à l’égard de certaines personnes donnent parfois lieu à de fausses accusations, à un traitement différentiel et à des conflits. Les stéréotypes influent sur la manière dont les jeunes sont traités par les autorités et les adultes en général. Dans un contexte de racisme, les stéréotypes, le profilage racial et la discrimination se développent et restreignent les occasions et les possibilités qui s’offrent aux jeunes personnes issues de minorités raciales. Il incombe que nos institutions prêtent attention aux conditions – c’est-à-dire aux politiques, aux pratiques, aux programmes et aux responsables de leur application – qui perpétuent les stéréotypes, et de bâtir des conditions qui facilitent le respect et l’appréciation des droits humains de nos jeunes issus des minorités raciales.

Références

Comack, E. (1999). Theoretical Excursions. Dans E. Comack (ed.). Locating Law: Race, class, gender connections, pp. 19-68. Halifax: Fernwood Publishing.

Dei, G.S., Muzzuca, J., McIsaac, E., Zine, J. (1997). Reconstructing “drop-out”: A critical ethnography of the dynamics of black students disengagement from school. Toronto: University of Toronto Press. 

The Globe and Mail (2004). Judge lashes police for racial profiling. Vendredi, 17 septembre, p. A1, 7

The Globe and Mail, (2003). Court grants blacks special sentencing. 13 février, p. A1, 7.

James, C.E. (sous presse). Race in Play: The socio-cultural worlds of student athletes: Toronto: Canadian Scholars’ Press.

-------- (2002). « You can’t understand me »: Negotiating teacher-student relationships in urban schools. Contact: 28, (2), pp. 8-20.

-------- (1998). « Up to no good »: Black on the streets and encountering police. Dans V. Satzewich (ed.). Racism and Social Inequality in Canada, pp.157-178. Toronto: Thompson Educational Publishing.

James, K. (2000). A letter to a friend. Dans C.E. James (ed.). Experiencing Difference, pp. 53-58. Halifax: Fernwood Publishing.

Commission ontarienne des droits de la personne (2003). Paying the Price: The human cost of racial profiling. Toronto.

Paul, A.M. (1998). Where bias begins: The truth about stereotypes. Psychology Today, pp. 52-56.

Pon, G. (2000). Beamers, Cells, Malls et Cantopop: Thinking through the geographies of Chineseness. Dans C.E. James (ed.). Experiencing Difference, pp. 222-234. Halifax: Fernwood Publishing.

Wortley, S. & Tanner, J. (2004). Discrimination or « good » policing? The racial profiling debate in Canada. Our Diverse Cities. (1), pp.197-201.

Faire progresser la politique et le rôle éducatif de la Commission ontarienne des droits de la personne

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Carol Tator

Le domaine de recherche de Carol Tator concerne l’étude du racisme dans la société canadienne. Parmi ses nombreuses publications figurent trois livres dont elle est coauteure, The Colour of Democracy: Racism in Canadian Society (3rd Edition, 2005), Challenging Racism in the Arts: Case Studies of Controversy and Conflict (1998 et Discourses of Discrimination: Racial Bias in the Canadian English-Language Press (2000). Elle a enseigné à l’Université York pendant plus de dix ans.

Résumé analytique

L’article suivant présente une étude sur les obstacles importants qui doivent être pris en compte par rapport au développement d’une politique en matière de race et de racisme. Entre autres, l’idéologie et le système profondément ancrés et fondés sur la suprématie de la race blanche entravent les politiques, programmes et pratiques favorisant l’égalité raciale.

Le développement de politiques en matière de racisme systémique doit prendre comme point de départ la prise de conscience de l’idéologie raciste blanche, notable mais sous-jacente, qui est ancrée dans les organisations, systèmes et institutions. Si on ne comprend pas la nature des institutions qui émanent du système de pensée de notre société, fondé sur la supériorité raciale, on est susceptible d’y adhérer inconsciemment, d’en être continuellement exclu ou de se trouver dans une situation entre les deux, sans pouvoir donner lieu au niveau d’accès, de participation et d’égalité qui sont nécessaires pour transformer ces institutions (Giroux, 1988; Lee, 1995).

Ces organisations sont caractérisées par le fait qu’elles excluent toute possibilité de changement et qu’elles rejettent les initiatives de lutte contre le racisme et de transformation sociale, tel que le démontrent de nombreuses recherches universitaires (Dei et autres, 2004, Razack, 1998, Bannerji, 2000). Les personnes qui étudient le racisme institutionnel et systémique, ou qui oeuvrent dans la lutte contre le racisme, ont souvent entendu des refrains comme « Je ne suis pas raciste », « Il/elle n’est pas raciste », « Cet organisation n’est pas raciste » et « Le Canada n’est pas une société raciste ».

Au Canada, la vie des Autochtones et des personnes de couleur différente est affectée par les inégalités qui découlent du racisme fondamental. La discrimination et les préjugés d’ordre racial sont monnaie courante dans les milieux de travail canadiens. Toutefois, ils se manifestent aussi dans d’autres domaines. Les idées racistes reçues et les pratiques courantes des journaux et de la presse électronique participent à la marginalisation parce que les minorités y sont présentées comme étant invisibles ou étrangères. Dans le champ des arts et des organismes culturels, on ne tient compte ni des représentations visuelles, ni des écrits ou de l’expression artistique des individus de race différente. Les méthodes employées par les forces de l’ordre ainsi que l’attitude et le comportement des policiers reflètent certains préjugés une différence de traitement envers les personnes de couleur, plus particulièrement les noirs et les autochtones. Dans les écoles et les universités, les étudiants et les employés qui font partie d’une minorité ethnoraciale sont soumis aux inégalités et doivent lutter pour faire valoir leurs droits. Les personnes de couleur et les autochtones ne bénéficient pas d’un traitement égal dans le système judiciaire. À cause des obstacles imposés par la mentalité eurocentriste, les prestations des organismes de services sociaux et de santé ne sont pas accessibles et adaptés. La législation et les politiques gouvernementales participent ainsi à renforcer l’idéologie et les pratiques racistes (Dei et autres, 2004, Henry et autres, 2000, Bannerji, 2000, Li, 1999).

Les arguments du libéralisme démocratique permettent de remettre en cause et de s’opposer à la mainmise du racisme. Dans une société qui prône l’égalité, la tolérance l’harmonie sociale et le respect des droits individuels, il est difficile d’admettre que les préjugés raciaux, la discrimination et les inégalités existent. Par conséquent, les solutions ne se trouvent pas facilement. Les Canadiens sont fiers de croire que dans une société démocratique, l’individu est récompensé par son mérite et qu’aucun groupe ne fait l’objet de discrimination. Ces valeurs libérales et démocratiques permettent de croire que le statut d’une personne ne dépend pas de différences telles que la couleur de peau. Ainsi, on considère que les individus qui font l’objet de discrimination raciale ou de traitement différentiel sont responsables de leur « aliénation ». Par conséquent, ils sont susceptibles de tomber dans le syndrome qui consiste à « blâmer la victime ». 

Le conflit entre le libéralisme démocratique et le racisme collectif de la culture dominante crée une discordance dans la société canadienne. Une tension morale, incontournable et omniprésente se pose entre la réalité quotidienne des Autochtones et des personnes de couleur et l’opinion des dirigeants, politiciens, bureaucrates, éducateurs, juges, journalistes, élite économique, qui tentent de redéfinir cette réalité. Si un certain hommage respectueux nourrit la notion d’égalité dans une société plurielle, la plupart des institutions et organismes canadiens, ainsi que ceux qui en font partie, préfèrent maintenir les relations de puissance existantes.

Les initiatives d’envergure reliées au changement provoquent toujours une forme de résistance. La lutte contre le racisme entraîne des obstacles parce que les chefs d’organisations perçoivent l’égalité raciale comme étant un facteur de changement. Ainsi, la dénégation perpétuelle du racisme agit comme une force inapparente mais ubiquiste permettant de détourner et d’éviter les changements fondamentaux. Les pages suivantes concernent les défis qui apparaissent lorsqu’on tente de développer des politiques en matière de racisme et de lutte contre le racisme, ainsi qu’un débat sur les facteurs qui ont un impact direct sur le rôle de la Commission, dans la protection des droits des Autochtones et des personnes de couleur. Il faut souligner que les facteurs qui déterminent le degré de résistance ne concernent pas uniquement les institutions et organisations externes mais aussi la Commission.

La résistance individuelle, institutionnelle et organisationnelle se manifeste principalement dans les textes et discours propres aux systèmes organisationnels et à leur culture. Des stratégies de rhétorique servent, consciemment ou inconsciemment, à établir, maintenir et renforcer des relations de puissances inégales et oppressives. D’une institution à l’autre, la domination de la race blanche est établie, maintenue et renforcée par un ensemble de discours racistes qui sont forgés par la perception acceptée de la « normalité ». Dans cet ordre de discours, les minorités sont généralement stigmatisées, marginalisées et réduites à leur caractère essentiel (Razack, 1998, Dei et Calliste, 2000, Dei et autres, 2004). Les propos issus du racisme dominant ou démocratique prennent la forme d’explications, compte rendus, arguments, justifications et codes de langage qui servent à définir « l’autre ». Ces tactiques discursives permettent de masquer les mécanismes de l’idéologie suprématiste blanche.

Il est donc primordial de développer un énoncé d’objectifs ainsi que des politiques claires, concrètes et globales afin d’assurer la continuité de la lutte contre le racisme. L’énoncé définit les objectifs que l’organisation et ses membres s’engagent à atteindre. En revanche, peu d’institutions et d’organisations ont explicitement élaborés des dispositions concernant la lutte contre le racisme ou l’égalité raciale dans leurs énoncés d’objectifs et dans leurs politiques. Une organisation qui omet volontairement la lutte contre le racisme de son programme s’objecte en quelque sorte à ce genre d’initiative. Même lorsque des programmes progressifs sont mis en place, l’absence d’un énoncé des objectifs, définis par les principes d’égalité et de la lutte contre le racisme, sous-entend qu’il n’y a pas la structure nécessaire pour donner lieu au changement. Si une organisation réagit uniquement aux pressions politiques et sociales, le processus de changement n’est généralement pas annexé à son mandat. De plus, si la lutte contre le racisme fait partie intégrante de la structure organisationnelle, il faut non seulement tenir compte des programmes et pratiques mais aussi l’idéologie sous-jacente. Les décisionnaires et les représentants du pouvoir qui s’engagent dans la lutte contre le racisme doivent agir systématiquement et de manière cohérente pour contester et résister au racisme. Le refus de s’engager se manifeste de plusieurs façons. Par exemple, plusieurs organisations qui s’engagent dans les initiatives de lutte contre le racisme le font par obligation et non de leur propre gré, en d’autres termes, lorsque des forces internes ou externes obligent l’organisation à réagir pour maintenir sa crédibilité.

Les énoncés d’objectifs sont souvent vagues, prenant la forme de truismes formulés à partir de principes ronflants et difficiles à mettre en pratique. L’intention réelle de l’organisation, maintenir le statu quo, est habituellement dissimulée dans l’énoncé des objectifs ou le document de politique. Les organisations du nouveau millénaire ont raffiné l’art des discours sur le multiculturalisme et la diversité. Des énoncés comme « Nous respectons la diversité », « Nous donnons des chances d’embauche égales à tous » et « La tolérance est au Coeur de nos valeurs » se transforment en promesses vides et en gestes symboliques. L’approche multiculturelle sous-entend que le fait d’être « sensible » aux « différences culturelles » suffit pour combattre le racisme. La diversité sert d’appui aux organisations en leur permettant de se cacher derrière les arguments qui laissent entendre qu’il suffit de gérer cette diversité Un tel présupposé implique que le racisme émane de la diversité et que cette diversité est contrôlable(Bannerji, 2000).

Afin de comprendre les points faibles de plusieurs politiques d’ordre racial, on doit d’abord examiner les éléments importants du processus de changement inhérent à la lutte contre le racisme. Cette lutte constitue une approche pragmatique permettant d’identifier et de contrebalancer l’apparition et la propagation de toute forme de racisme. Elle concerne les questions entourant le racisme les systèmes interpénétrés d’oppression sociale (Dei et Calliste, 2000, Dei, Karumanchery et Karumanchery-Luke, 2004). La lutte contre le racisme implique un effort pour définir et comprendre la nature du racisme et les moyens d’y mettre fin.

Aucune institution ne peut examiner le racisme systémique sans mettre en place un système de responsabilisation individuelle et organisationnelle. Verma et Wente (aucune date)[1] rapportent un exemple frappant des conséquences qu’entraîne l’absence de responsabilisation, dans le cas de McKinnon c.Ontario (Ontario Ministry of Correctional Service). Parce qu’elle n’en était pas tenue responsable, la direction du centre de détention Metro Toronto East Detention Centre n’a pas réagi contre la discrimination raciale dont faisait l’objet un agent de correction d’origine autochtone. Dans sa décision initiale de 1998, la Commission a jugé que plusieurs facteurs empoissonnaient l’environnement de travail et que la direction n’avait à aucun niveau mené une enquête sérieuse sur les allégations de discrimination raciale et qu’elle n’avait pas pris les mesures nécessaires pour éviter que cette discrimination ne se reproduise. Lorsque M. McKinnon a porté plainte contre la situation, il s’est fait intimider par la direction, qui n’a pas réagi non plus quand les autres employés ont usé de représailles. La commission a recommandé que le ministère des Services correctionnels prenne les mesures nécessaires pour faire évoluer la situation mais en 2002, le ministère n’avait manifestement toujours pas suivi ces recommandations. L’atmosphère des lieux de travail et de l’organisation était toujours empoisonnée. Les nouveaux ordres de la commission reposaient sur la reconnaissance que le racisme institutionnel s’infiltre à tous les niveaux d’une institution.[2]

La lutte contre le racisme s’articule dans une approche holistique servant à développer des objectifs, idéologies, politiques et pratiques contre le racisme. En tant que réponse d’ordre organisationnel, il est nécessaire de définir des nouvelles structures d’organisation, une évolution de la dynamique du pouvoir, la mise en place de nouveaux systèmes d’embauche, des changements importants au niveau des services offerts, de soutenir d’autres types de rôles et de relations à tous les niveaux d’une organisation, des nouveaux modèles plus inclusifs de direction et de prise de décision et la réallocation de ressources. La planification stratégique, les audits et examens d’une organisation, les systèmes de contrôle et de responsabilisation ainsi que la formation font partie intégrante de la mise en place de changements pour contrer le racisme.

La volonté de renforcer le rôle des minorités raciales au sein des systèmes, organisations et institutions ainsi qu’en dehors de ces structures est essentielle au processus de lutte contre le racisme institutionnel (Dei et autres, 2004). Le développement de politiques et les nouveaux énoncés de mission ne sont pas des fins en soi; l’importance, la priorité et les ressources nécessaires sont plutôt accordées à la mise en œuvre de stratégies et de programmes. Des mécanismes de contrôle sont établis pour assurer que l’ensemble de l’organisation soit responsabilisé. L’évaluation du changement est un processus continu. Les éventuelles résistances au changement sont anticipées et analysées et des stratégies sont planifiées pour les surmonter.

Le racisme prend plusieurs formes, qui se transforment continuellement, s’expriment de plusieurs façons, se manifestent dans diverses stratégies, expressions, symboles images et codes discursifs. Il est donc important de souligner que chaque manifestation appelle à de nouvelles approches et stratégies.

Enfin, la lutte contre le racisme présuppose qu’une institution ne doit pas être isolée des autres institutions, que le racisme qui apparaît dans une sphère de la vie sociale, comme l’éducation, aura un impact dans les autres, comme l’emploi. Le racisme qui est présent dans les services de police est parfois répandu par les médias, qui à leur tour peuvent être influencés par les forces du marché et la « propagande » gouvernementale. Ainsi, les approches antiracistes pour contrer le racisme systémique ont pour but de promouvoir et de faciliter les liens et les partenariats entre les institutions, afin d’identifier et d’abolir les obstacles et les inégalités raciales. (Pour plus d’information sur l’identification et l’abolition du racisme institutionnel, consulter Henry et autres, 2000, Henry et Tator 2005).

Dans chacun des secteurs institutionnels que nous avons étudiés en collaboration d’autres universitaires (Henry et Tator, 2005), il est apparu que les diverses formes de racisme ont une incidence sur la structure d’une organisation et sur les services offerts. L’idéologie du racisme démocratique renforce et permet aux inégalités d’ordre racial de se reproduire au sein de ces institutions. Chacune d’entre elles constitue un espace de dialogue interagissant avec les autres institutions, où se manifestent des discours sociaux plus généraux, qui catégorisent infériorisent, marginalisent et excluent les populations touchées par le racisme. Ces systèmes et structures sont non seulement interdépendants mais aussi reliés entre eux. L’approche privilégiée par cette analyse met en perspective le fait que les communautés et personnes qui sont touchées par le racisme, souvent simultanément, sont confrontées à la fois au racisme individuel et au racisme collectif.

Une certaine cohésion d’idéologies se manifeste dans les discours, les politiques implicites, les pratiques quotidiennes des éducateurs, journalistes, travailleurs sociaux, politiciens, juges et autres autorités publiques. Les croyances et présupposés sur les « autres », véhiculés dans le secteur privé, sont marqués par cette même cohésion. Les discours de dénégation, sur la tolérance, l’égalité des chances, la discrimination à rebours et la non importance de la couleur de la peau se heurtent continuellement à la réalité de l’injustice prépondérante, l’inégalité et la discrimination raciale. Ces stratégies rhétoriques favorisent un climat qui prévient toute tentative d’effort contre l’inégalité raciale.

Éducation du publique

L’enquête publique sur le profilage racial, menée dernièrement par la commission constitue un des exemples les plus frappants d’initiatives en matière d’éducation du publique. Le rapport qui s’ensuivit, Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, a été rédigé à partir de plus de quatre cents témoignages, sur la nature et l’impact du racisme dans la vie de personnes de couleur à travers l’Ontario. Cette initiative importante et opportune a permis d’établir un lien entre les preuves accablantes d’un racisme omniprésent et diffus et l’expérience vécue de centaines d’hommes, femmes et enfants, tel que relaté par les témoignages. 

Plusieurs résultats d’apprentissage découlent de ce type d’enquête. Dans un premier temps, le rapport a montré que les témoignages ont un poids considérable face à l’hégémonie, qu’ils permettent de « briser le silence » et « d’exposer ce qui est inimaginable et inexprimable » (Ewick et Silbey, 1995: 220). Ces récits personnels et collectifs font surgir les mythes, habitudes et présupposés, qui sont mis en place par l’opinion publique, sur les notions de race et de racisme dans la société (Bourdieu, 1999). Ces témoignages font un lien entre l’expérience personnelle et les tendances générales et systémiques de la société. Ainsi, le recueil et la diffusion de récits personnels sont un outil d’organisation efficace pour motiver le changement dans la société. Les témoignages d’injustice sociale (surtout lorsqu’ils sont contestés) soulignent les conflits et les clivages qui sous-tendent les politiques et pratiques qui sont monnaie courante dans les institutions (Oman, 2003: 18).

Ensuite, l’étude de la Commission a montré que le discours dominant de la société a le pouvoir de récuser, remettre en cause et de faire taire ceux qui osent dénoncer le racisme. Ainsi, on s’aperçoit qu’il est « dangereux » de dire que le racisme existe, sauf bien entendu dans le cas des certains « moutons noirs ». Suite à la publication du rapport, plusieurs attaques ont été lancées par les représentants de l’autorité suprématiste, dénigrant l’initiative et les conclusions de la Commission. Leur argument principal concernait l’existence du profilage racial. Ils ont ensuite rejeté toutes les recommandations, en les qualifiant de « science bidon ». Ces deux types de réaction se reproduisent souvent dans le discours de l’idéologie suprématiste blanche.

Enfin, contre certaines attentes, la Commission a approfondi le niveau de sa propre connaissance éclairée de la nature, de l’étendu et de l’impact du racisme systémique dans la société canadienne. Elle doit maintenant traduire cette nouvelle capacité de réflexion collective par une politique radicale, englobant une vision audacieuse et des stratégies courageuses pour traiter du racisme systémique, à la fois dans ses manifestations explicites et insidieuses.

Bibliographie

Bannerji, H. (2000). The Dark Side of the Nation: Essays on Multiculturalism, Nationalism and Gender. Toronto: Canadian Scholars Press.

Bourdieu, P. (1999). "Language and Symbolic Power." In A. Jaworski and N. Coupland (eds.), The Discourse Reader. London: Routledge. 502-513.

Brandt, G. (1986). The Realization of Anti-Racist Teaching. London: Falmer Press.

Dei, G. and A. Calliste, eds., (2000). Power, Knowledge and Anti-Racism Education: A Critical Reader. Halifax: Fernwood,

Dei, G., L. Karumanchery, and N. Karumanchery-Luke. (2004). Playing the Race Card: Exposing White Power and Privilege. New York: Peter Lang.

Ewick, P. and S. Silbey. (1995). "Subversive Stories and Hegemonic Tales: Toward a Sociology of Narrative." Law and Society Review. 29(2): 197-226.

Giroux, H. (1988). “Theory, Resistance and Education.” In K. Weiler (ed.), Women Teaching for Change: Gender, Class and Power. South Hadley, MA: Bergin and Garvey.

Lee, A. (1995). "Race, Equity, Access and the Arts." Paragraph. V. 14

Oman, K. (2003). "Racial Profiling and the Cultural Life of a Stereotype." Paper presented by Kenneth Oman at the Southern Sociological Society. March 20.

Razack, S. (1998). Looking White People in the Eye: Gender, Race and Culture in Courtrooms and Classrooms. Toronto: University of Toronto Press.

Verma, V. and M. Wente. Systemic Remedies to Address Institutional Racism: Lesson Learned from McKinnon v. Ontario (Ministry of Corrections). Toronto: Cavalluzzo, Hayes, Shilton, McIntyre and Cornish Barristers and Solicitors (www.cavalluzzo.com/publications).


[1] (No 3) (1998), 32 C.H.R.R. D/1 (Ont Bd. Of Inq.) and unreported decision of the Ontario Board of Inquiry, Decision No. 02-022-1M (November 29, 2002.
[2] Verma and Wente's paper includes a variety of mechanisms available to employers/managers in order to address and prevent individual, institutional and systemic racism in the workplace (www.cavalluzzo.com/publications).

 

Les concepts de race et de racisme et leurs implications pour la Commission ontarienne des droits de la personne

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Frances Henry

Frances Henry est l’une des grandes spécialistes au Canada de l’étude du racisme et de l’antiracisme. Elle a écrit et collaboré à plusieurs ouvrages sur le racisme et l’anthropologie des peuples des Caraïbes. Elle est membre de la prestigieuse Société royale du Canada depuis 1989.

Résumé analytique

Frances Henry étudie l’origine du concept de la race et celle des diverses formes de racisme. Elle s’intéresse particulièrement aux théories contemporaines du racisme, lesquelles théories mettent en exergue les concepts idéologiques de l’ « Autre », du rôle de la « différenciation » et de l’« altérité », ainsi que leur représentation en termes de « négritude » et « blanc ». Elle soutient que les commissions des droits de la personne doivent se référer aux théories plus récentes afin d’élaborer de mettre en application leurs politiques.

Si le terme de « race » sert à décrire des caractéristiques physiques depuis l’aube de l’espèce humaine, la plupart des chercheurs universitaires s’entendent pour dire que c’est essentiellement au cours de l’expansion européenne, entre les 16e et 19e siècles, que la définition première du terme, en tant que descripteur physique, a émergé. Le racisme comme force dominante de la société occidentale est apparu lorsque les colons européens, qui cherchaient principalement des matières premières, telles que le sucre, l’étain et le caoutchouc, sont entrés en contact avec les peuples « autochtones », des « personnes de couleur ». Afin de préserver leur hégémonie, les Occidentaux ont décrit les membres de ces populations comme étant des êtres humains inférieurs, à cause de leurs pratiques culturelles divergentes et parce qu’ils n’étaient pas Blancs, la couleur européenne « normale » et convoitée. La marginalisation de ces populations n’a pas empêché les hommes européens d’avoir des relations sexuelles avec les femmes des régions colonisées, ce qui a donné lieu à une race « métissée ». Par conséquent, le concept de race, en tant que descripteur biologique, a été forgé par le racisme, devenant ainsi un facteur important de discrimination envers certains peuples. L’idéologie coloniale s’est rapidement disséminée à travers l’Europe et d’autres régions européanisées, comme l’Amérique du Nord, où la doctrine d’une prétendue infériorité raciale s’est vite imposée.

Définition de la race 

Dans sa définition du mot « race », Dobzhansky (1946) note que :

« On définit par le mot race les populations qui se différencient au niveau de l’incidence génétique, mais qui en réalité échangent ou pourraient échanger des gènes au-delà des frontières (habituellement géographiques) qui délimitent les populations ».

Dans ce cas, on entend par race les caractéristiques héréditaires d’un fonds génétique commun ou d’une population d’accouplement. Le terme fait référence à un concept biologique et génétiquement déterminé. En revanche, cette acception scientifique a beaucoup été critiquée. Tout d’abord, on estime que l’emploi du terme exacerbe le problème du racisme. Certains afro-américains préfèrent le mot couleur ou l’expression « colorisme » parce que la couleur de la peau est le principal signe de différence. D’autres, par contre, remettent en cause la notion à cause de l’hybridation (Bhabha, 1994) ou du mélange des races, dont l’évolution est due à la mondialisation et la migration des peuples. L’identité devient ici très subjective, surtout parce que le racisme ne reconnaît pas la filiation blanche et l’héritage des personnes métissées. Le concept de race perd ici une grande part de sa valeur parce que ces personnes sont identifiées par leur couleur de peau plus foncée et non par leur origine ethnique. Enfin, l’emploi du concept de race est d’autant plus délicat parce que malgré le fait qu’il favorise le racisme avant de définir une différence biologique, c’est d’abord et avant tout une construction sociale.

En dehors de toutes ces problématiques, le concept sert principalement à perpétuer le racisme, que cherchent à enrayer les organisations antiracistes à travers le monde, de même que la Commission ontarienne des droits de la personne. La « race » est une réalité biologique qui donne lieu à la perception de la différence, qui elle crée le racisme. Si l’étayage théorique de la relation entre la race et la construction du racisme est complexe, il constitue aussi un enjeu par rapport à l’établissement des politiques politiques. 

Modèles de racisme

Il existe en principe trois modèles de racisme qui sont nés du concept de race.

a) Modèle d’origine

Le premier modèle date de l’origine : la relation entre l’expansion capitaliste et le colonialisme européen et la rencontre avec des peuples non européens. Sans devoir entrer dans tous les détails de ce facteur historique, on doit noter que c’est principalement au cours de ces premiers siècles que la notion de « différence » s’est imposée.

b) Modèle institutionnel et individuel

Le travail de la Commission s’appuie essentiellement sur ce modèle parce qu’il fait référence aux formes de discrimination exercées par les institutions, surtout en milieu de travail. La représentation de l’individu ainsi que des désavantages culturels et sociaux occupent davantage une place centrale dans le débat sur les « relations raciales », surtout aux États-Unis. Le Code des droits de la personne de l’Ontario, qui régit la Commission, a été élaboré à partir de ces formes de racisme, qui sont les plus reconnues en tant qu’indicateur de discrimination.

Il est donc aisé d’étudier plus en profondeur certaines formes de racisme qui constituent le modèle.

Racisme individuel

Le racisme individuel implique à la fois l’attitude d’un individu et le comportement manifeste qui donne lieu à l’attitude. Elle est parfois explicite : intolérance extrême, individus bigots qui ont tendance à être fier de leur attitude en la manifestant ouvertement et publiquement. En revanche, dans des pays comme le Canada, on évite généralement d’exprimer une telle attitude ouvertement, parce qu’elle va à l’encontre des normes admises. Elle s’exprime toutefois par la discrimination raciale.

Manifestations des formes de racisme

Type

Manifestations

Individuel

Attitudes, comportement de tous les jours

Institutionnel/systémique

Politiques et pratiques d’une organisation, règlements tissés dans le système social

Culturel/idéologique

Valeurs ancrées dans la culture dominante

(Tiré de Henry, Tator et. al., The Colour of Democracy: Racism in Canadian Society, 2002, Harcourt, Toronto, 3e Édition SOUS presse)

Racisme de tous les jours

Le racisme de tous les jours se manifeste de plusieurs façons, parfois imperceptibles, et il concerne les comportements auxquels les personnes de couleur peuvent être confrontées lorsqu’elles côtoient des membres de la classe dominante blanche. Il s’exprime au moyen de regards, gestes, façons de parler et démarches physiques. Les auteurs du comportement n’en sont parfois même pas conscients, mais le comportement est immédiatement ressenti douloureusement par la victime — soit la place libre à côté d’une personne de couleur, qui est prise en dernier dans un autobus bondé, un mouvement subtil pour s’éloigner d’une personne de couleur dans un ascenseur, l’attention trop portée vers un client noir dans un magasin, l’incapacité de regarder un Noir dans les yeux, les blagues racistes racontées lors d’une réunion et l’éternelle question: « D’où viens-tu? »

Racisme institutionnel et systémique

Le racisme systémique est véhiculé par les politiques, pratiques et procédures d’une structure institutionnelle. Il peut, directement ou non, consciemment ou non, favoriser, maintenir ou renforcer les avantages particuliers ou les privilèges accordés aux personnes d’une certaine race.

Le racisme institutionnel recèle souvent des attitudes individuelles auxquelles l’organisation ne réagit pas sérieusement, comme une discrimination exercée lors de l’embauche, fondée sur les préférences de l’employeur. Il comprend aussi les politiques et pratiques de l’organisation qui crée à son propre insu une situation désavantageuse, directement ou non, pour les minorités raciales, comme ne pas reconnaître des compétences acquises à l’étranger ou l’obligation d’avoir suivi une formation beaucoup plus poussée qu’il n’est nécessaire pour le poste concerné.

Le racisme systémique est semblable au racisme institutionnel, mais il concerne davantage les lois, les règlements et les normes qui sont tissés dans le système social, ayant pour conséquence une répartition inégale des ressources politiques, économiques ainsi que les rétributions et les richesses sociales entre les divers groupes sociaux. Les minorités raciales accèdent plus difficilement et participent de manière inégale aux services tels que l’éducation, l’emploi et l’hébergement. Par exemple, le racisme systémique est véhiculé par les médias dans leur représentation négative des personnes de couleur, le silence l’effacement de leur voix et leur expérience et la perpétuation d’images et de discours racistes.

c) Théories idéologiques de l’« Autre »

Pour plusieurs théoriciens modernes néo-marxistes, surtout ceux qui ont été influencés par le postmodernisme et le poststructuralisme, le racisme apparaît plus clairement à travers les théories de la « différenciation » et de l’« altérité ». Par ailleurs, « la construction de la différence » et « le processus par lequel on assigne une valeur à la différence » permettent de comprendre non seulement le racisme mais aussi d’autres croyances fondées sur l’oppression (Rothenberg, in Harris: 1998:281). 

La différenciation s’exprime de plusieurs manières. La croyance la plus répandue concerne notamment l’idée selon laquelle les « races » et les « sexes » diffèrent dans leur essence. Cette croyance à tendance biologisante donne lieu aux stéréotypes répandus tels que les Noirs sont moins intelligents, de nature paresseuse, et ainsi de suite. Cette différenciation s’exprime aussi par la notion que les « races » ont leurs propres codes éthiques et moraux, ce qui crée des stéréotypes comme sur les Noirs qui sont censément plus enclins à la promiscuité ou à criminalité, préjugé qui s’est renforcé au cours des dernières années. Enfin, la différenciation se définit par la culture, des valeurs et des normes, qui donnent lieu au stéréotype voulant que les Noirs aient un héritage culturel inférieur. Il apparaît évident que toutes ces formes de différenciation sont fondées sur des fausses croyances issues de l’ « essentialisme », soit que les différences au sein de l’espèce humaine sont naturelles, biologiques, immuables et qui constituent l’essence des divers groupes. 

Dans le cadre du racisme (et du sexisme), la différenciation est fondée sur le paradigme biologique mais plusieurs efforts ont été menés pour atténuer son impact. Par exemple, l’expression « distinct mais égal », qui a structuré les relations raciales aux États-Unis pendant plusieurs années, sous-entend qu’on n’offre pas des services distincts à cause d’un jugement subjectif, mais dans le but d’offrir des services égaux à tout le monde. Parmi les tentatives plus sérieuses pour réduire l’impact de l’origine biologique figure la prépondérance du paradigme théorique fondé sur l’origine ethnique. Dans une certaine mesure, ce type de discours avait et continue d’avoir une relative importance pour la pensée scientifique et sociale.

Une autre facette de l’idéologie raciste concerne la façon dont une personne est perçue comme étant « différente » ainsi que la construction de l’ « Autre ». Ce type de concept est issu des relations entre colonisateurs et colonisés, qui est particulièrement présent dans la littérature sur le postcolonialisme (Said, 2003, Bhabha, 1994). Le concept de l’Autre peut être apparenté aux stéréotypes de plusieurs façons, mais il comporte une dimension symbolique plus importante. Jordanova propose une définition globalisante de la notion d’altérité : « la mise à distance de ce qui est excentrique, marginal et accessoire aux normes d’une culture » (Pickering, 2001). La notion de l’Autre est aussi un moyen d’oublier l’histoire, qui est interprétée comme un mythe et se pose comme obstacle à l’évolution. La marginalisation pousse les autres en dehors des limites de l’histoire officielle en créant un mythe, selon lequel ils seraient culturellement, intellectuellement et moralement inférieurs. Des millions de personnes se voient par conséquent dérobées de leur identité et de leur individualité même. 

Ainsi, la construction idéologique de la différence et de l’altérité se pose comme étant l’une des dimensions les plus importantes du racisme moderne. Renforcé par le pouvoir hégémonique blanc, le racisme devient une stratégie de contrôle permettant d’entretenir des relations de puissance asymétriques et de maintenir le statu quo.

Le rôle de la représentation

Comment la différentiation et la notion d’altérité peuvent-elles se manifester dans des sociétés contemporaines qui sont régies par des codes et des chartes des droits de la personne, des lois antiracistes et dont les gouvernements embrassent normalement les valeurs d’égalité et de justice?

Dès 1978, Hall et ses collègues ont établi que la signification et la représentation sont des éléments clés pour comprendre comment la différence est conceptualisée dans les sociétés postmodernes. Les circuits culturels forment des systèmes de représentation qui véhiculent une signification. La représentation implique certains concepts, émotions et idées symbolisées qui sont transmises et puis intellectualisées. Toutes les formes de médias constituent un système important de représentation; la télévision et la presse écrite occupent une place prépondérante; films et vidéos, paroles de musique, expositions dans les musées et plus précisément tous les domaines de la société qui sont caractérisés par le langage. Les Blancs, ainsi que leurs comportements et habitudes, y sont représentés comme étant la norme, tandis que les personnes de couleur et les autres groupes défavorisés sont souvent représentés de manière négative et hostile. Dans cet ordre d’idée, le fait d’être Blanc constitue la norme, tandis que le fait d’être Noir est marginalisé et présenté dans son altérité. Les idéologies et représentations racistes sont reflétées par les systèmes collectifs de croyances de la culture blanche, culture hégémonique et prédominante; elles sont ancrées dans la loi, la langue, les règlements, les normes et les valeurs de la société canadienne (Goldberg, 1993; Henry et autres, 2000; Dei, 2004).

Implications pour la Commission ontarienne des droits de la personne

La Commission doit connaître plus profondément le fonctionnement du racisme dans une société postmoderne comme la nôtre. Cette connaissance approfondie devrait servir de point de départ pour un énoncé de politiques. Il ne suffit plus de travailler à partir de la présence ou de l’absence du racisme, tel qu’il apparaît habituellement. Les blagues, le langage injurieux et les agressions physiques figurent parmi les indicateurs du racisme et il est important de poursuivre l’étude et les solutions proposées pour le racisme structurel et systémique dont il a été question. Toutefois, le racisme est véhiculé par plusieurs codes et formes subtiles. La Commission doit par conséquent mieux comprendre ces nouvelles facettes. Le racisme ne doit pas être interprété comme étant le comportement aberrant ou anormal d’un individu au sein d’un système – un directeur ou un gérant qui serait un mouton noir – mais plutôt comme un ensemble beaucoup plus complexe de comportements. Le racisme existe de manière subtile dans les systèmes normatifs de croyances d’une société et il apparaît notamment dans le langage employé et les images visuelles de la presse écrite. 

La Commission ontarienne des droits de la personne ainsi que les autres commissions semblables du pays sont régies par la législation sur les droits de la personne. Même à l’intérieur de cette structure, elles devraient pouvoir réorienter leurs politiques afin que les formes plus subtiles du racisme y soient reconnues et qu’on leur accorde plus de poids dans les causes juridiques. Le déni du racisme si commun parmi les Blancs en position d’autorité, allant du poste de superviseur, au chef de police et aux ministres du gouvernement, doit être compris tel qu’il est : une autre expression du pouvoir hégémonique des Blancs sur les autres. Les commissaires, les chargés d’enquête, le personnel des services juridiques et tous les employés d’une commission des droits de la personne ont l’obligation de mieux comprendre ce phénomène social. La nouvelle politique de la Commission doit rendre compte de l’importance qu’ont la différenciation et la notion d’altérité, ainsi que de leur expression en termes de le « Blanc » et « Noir » dans les institutions culturelles et sociales des sociétés modernes.

Bibliographie

Bhabha, H., The Location of Culture, Routledge, 1994.

Dei, G ., Playing the Race Card, P. Lang, 2004.

Dobzhansky, Th., Heredity, Race and Society, Penguin books, 1946.

Goldberg, D., Racist Culture, Blackwell, 1993.

Hall,S., Policing the Crisis, Routledge, 1978.

Hall, S., Representation and Signifying Practices, Sage, 1997.

Hall, S. et collaborateurs : Centre for Contemporary Cultural Studies, University of Birmingham.

Harris, L., Racism, Humanity Books, (éd.) 1998.

Henry, F. and Tator, C., The Colour of Democracy: Racism in Canadian Society, Harcourt, 2002.

Pickering, M., Stereotyping: The Politics of Representation, Palgrave, 2001.

Said, E., Orientalism, Vintage, (nouvelle édition) 2003.

 

L’importance des instruments internationaux pour les politiques en manière de discrimination raciale en Ontario

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Frédéric Mégret

Frédéric Mégret est professeur adjoint à la Faculté de Droit de l’Université de Toronto. En tant qu’immigrant nouvellement arrivé au Canada, il étudie les dimensions globales et transnationales de la protection des droits de la personne. Il est co-rédacteur du recueil « The United Nations and Human Rights » et contribue régulièrement à des travaux sur les droits de la personne.

Résumé analytique

Le droit international étudie depuis longtemps les problèmes concernant la discrimination raciale. Les politiques en matière de discrimination raciale en Ontario pourraient sans aucun doute s’inspirer d’une nouvelle ouverture et d’une participation au débat international, même s’il ne faut pas miser toutes ses attentes dans le droit international.

La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de la discrimination raciale (CERD), adoptée en 1966, constitue le traité le plus important sur la discrimination raciale. Elle est à la fois universelle (seulement 25 états ne l’ont pas adoptée) et très spécialisée. Il faut en revanche souligner que plusieurs autres instruments internationaux, même s’ils ne concernent pas exclusivement la discrimination raciale, font partie de l’ensemble des normes à ce sujet. La Déclaration universelle des droits l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont les deux instruments internationaux les plus reconnus. Il existe d’autres instruments plus spécialisés, comme la Convention contre la Discrimination en matière d'emploi et de profession, adoptée par l’Organisation internationale du Travail en 1958 et la Convention contre la discrimination en matière d’éducation, adoptée par l’UNESCO en 1960.

À noter aussi sont les diverses conventions régionales à cet effet, dont la Convention interaméricaine sur les droits de l’homme et la Convention européenne sur les droits de l’homme. Même si cette dernière est la seule qui s’applique au Canada, il est encourageant de penser que les divers traités régionaux ont une incidence les uns sur les autres. Il ne faut pas omettre la possibilité que certains concepts qui ont évolué dans un contexte régional pourraient s’étendre à un autre contexte.

La jurisprudence, les rapports, les résolutions, adoptées par les instances qui sont directement ou indirectement responsables de leur mise en œuvre, pourraient être encore plus importants que les conventions en soi, dans la mesure où celles-ci ont tendance à être de nature plus générale. Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale est certainement l’instance la plus reconnue et celle qui est directement responsable de la mise en oeuvre de la CERD. Sa jurisprudence est limitée parce que seulement quelques requêtes ont dépassé le stade la recevabilité mais ses observations générales et rapports annuels valent la peine d’être examinés. Le Comité des droits de l’homme, qui s’assure que la Convention sur les droits civils et politiques est respectée, a aussi diffusé des observations générales portant sur le droit de protection contre la discrimination raciale.

Paradoxalement, ce sont les organismes régionaux qui se sont avérés les meilleures instances de droit international en matière de discrimination raciale. Malgré les limites évidentes de leur contexte régional, ils ont l’avantage considérable de pouvoir entendre et de juger, en moyenne, plus de causes que les organismes universels. Ainsi, les cours interaméricaine et européenne ont chacune prononcée deux ou trois arrêts-clés en matière de discrimination raciale.

Enfin, plusieurs organes qui ne sont pas nécessairement une cour ou des organes de surveillance jouent toutefois un rôle important dans l’application du droit international pour les cas de discrimination raciale. Par exemple, il y a presque tous les organismes onusiens responsables des droits de l’homme (la Commission des droits de l’homme, la sous-commission) et même ceux qui ne sont qu’indirectement impliqués par les droits de l’homme (l’Assemblée générale). Les décisions prononcées par ces organismes ont une portée plutôt générale mais ils ont à l’occasion créée des sous-organismes dont le mandat porte plus spécifiquement sur la discrimination raciale[1]. Il existe trop d’instances régionales pour les nommer individuellement. L’important est de souligner qu’ils ne produisent pas des « règles absolues » mais qu’ils participent à définir les tendances générales en matière de discrimination raciale.

Comment la discrimination raciale est-elle définie par le droit international?

La discrimination raciale se présente non seulement lorsqu’une différence est établie entre certains groupes raciaux, mais aussi quand cette différenciation d’un groupe nuit à la jouissance des droits normalement protégés par les traités internationaux sur les droits de l’homme. La discrimination raciale se distingue de l’interdiction plus générale de la discrimination arbitraire. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a quasiment reconnu que certains causes de discrimination raciale sont non seulement des violations évidentes des droits de l’homme, mais qu’elles pouvaient aussi constituer des traitements inhumains ou dégradants, au sens l’article 3 de la Convention européenne sur les droits de l’homme, parce qu’elles mettent en cause une forme d’offense à la dignité humaine.[2]

Les groupes raciaux devraient être définis de façon objective et les états ne devraient pas avoir le loisir de définir arbitrairement, relativement à la CERD, ce qui constitue ou non un groupe racial. Même si la Déclaration universelle et le PIRDCP portent uniquement sur la race, la CERD interdit toute discrimination fondée sur la « race, couleur, descendance ou origine nationale ou ethnique ». Selon le Comité contre la discrimination raciale, il suffit qu’un groupe se définisse « subjectivement » comme étant un groupe racial pour qu’il soit considéré comme tel.

Même si la CERD ne fait aucune référence directe aux personnes autochtones, le Comité contre la discrimination a clairement établi que dans la pratique, la discrimination contre les Autochtones équivaut à la discrimination raciale, et par conséquent est interdite.

A) Discrimination : intention et effet

La définition de la discrimination raciale passe forcément par la définition de la discrimination, qui en soi n’est pas simple à déterminer. Les traités à ce sujet ne s’y avancent pas; la tâche incombe par conséquent aux organes oeuvrant dans le domaine. La définition se présente facilement lorsque la discrimination est explicite, il suffit même de pouvoir prouver que l’objectif d’une mesure est discriminatoire. Dans une cause opposant la Grèce à la Turquie, au sujet de l’avenir de Chypre, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que même si le Chypriotes Grecs n’étaient pas expressément nommés dans une série de textes juridiques, ces derniers visaient sans aucun doute cette population.

En revanche, dans les causes de discrimination implicite et lorsque l’objectif d’une loi ne peut pas être clairement établi en preuve (si par exemple les dossiers parlementaires ne font pas preuve d’intention discriminatoire), il est possible d’établir qu’une loi viole l’interdiction de discrimination raciale si cette loi « porte atteinte de manière injustifiée et disparate à un groupe qui se distingue par sa race, couleur, descendance ou origine nationale ou ethnique ».[3] Quelques exemples de causes de ce genre se sont présentés dans le cadre de la jurisprudence. Par exemple, la Cour interaméricaine a jugé que même si elle n’était pas officiellement discriminatoire, une proposition d’amendement visant l’inclusion dans la Loi sur la naturalisation, « un examen détaillé sur le pays et de ses valeur », serait en effet, étant donné le contexte de la société costaricaine, une discrimination contre la population autochtone (dont les notions d’espagnol écrit n’étaient généralement pas égales à celles du reste de la population).

Il est bien entendu difficile d’affirmer qu’il s’agit de discrimination tout simplement à cause des effets qui se présentent inévitablement lorsqu’il s’agit de droits économiques et sociaux. Il est parfois difficile et litigieux de prouver ces effets, qui apparaissent parfois longtemps après l’adoption d’une loi ou d’une pratique. De plus, il n’y a en principe aucune limite au degré jusqu’où ces effets peuvent s’apparenter à la discrimination raciale. Que faudrait-il faire par exemple, si une politique économique était adoptée et qu’elle portait préjudice aux plus démunis d’une société où la majorité des personnes démunies appartenait à un certain groupe racial (que ce groupe racial était disproportionnellement représenté dans la classe démunie)?

Il n’est pas tout à fait clair jusqu’où le droit international peut juger que le discrimination « accidentelle » ou involontaire est illégale. La Cour européenne des droits de l’homme propose certains éléments intéressants. Dans l’affaire de Abdulaziz, Cabales et Balkandali, par exemple, la cour a statué que les lois du Royaume-Uni sur l’immigration, même si elles établissent une « différenciation fondée sur la nationalité et donc indirectement sur la race, origine ethnique et peut-être même la couleur d’une personne », ne sont pas racistes parce qu’aucune preuve ne permet d’établir qu’une « différence de traitement fondée sur la race n’avait été exercée ». Dans la mesure où le règlement applicable prévoit que « les agents d’immigration doivent exercer leur mandat sans recours à la race, couleur ou religion du demandeur » et que ce règlement s’applique à « tous les demandeurs, peu importe leur lieu d’origine dans le monde et sans égard à leur race ou religion »,[4] la Cour a jugé que l’objectif de la loi était de freiner l’immigration et non de discriminer.

B) Différenciation légitime par rapport à la discrimination illégale

L’interdiction de la discrimination raciale n’admet aucune exception. En revanche, certaines pratiques exercées par les États ne sont pas considérées comme étant une forme de discrimination raciale, au sens stricte du terme. Les organes internationaux se sont portés en faveur d’une soi-disant discrimination à rebours. L’article 4 de la convention sur les races stipule que « Les mesures spéciales qui sont prises dans l’unique objectif d’assurer l’avancement de certains individus, groupes raciaux ou groupes ethniques, pour lesquels de telles mesures de protection doivent être prises, afin qu’ils puissent jouir des mêmes droits et libertés fondamentales, ne sont pas considérées comme étant une forme de discrimination raciale ». Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme a poussé la question plus loin en soulignant que « (…) les principes d’égalité supposent parfois de la part des Etats parties l'adoption de mesures en faveur de groupes désavantagés, visant à atténuer ou à supprimer les conditions qui font naître ou contribuent à perpétuer la discrimination interdite par le Pacte »[5]. Les États ont donc le pouvoir d’accorder temporairement « un traitement préférentiel dans des domaines spécifiques aux groupes en question par rapport au reste de la population»[6]. La légalité de la discrimination positive est toutefois soumise à deux conditions : dans un premier temps, ces mesures ne doivent pas « par conséquent mener à l’établissement de droits distincts pour les différents groupes raciaux »; ensuite, les mesure prises dans l’objectif d’exercer une discrimination positive « ne doivent pas être maintenues lorsque les objectifs pour lesquels elles ont été fixées ont été atteints ».

Il s’agit ensuite de déterminer si d’autres types de différenciation à motif racial pourraient être considérés légitimes. La question se pose plus particulièrement dans le contexte du « profilage racial », qui consiste à cibler des communautés spécifiques pour des raisons d’ordre public. Comme on le sait, le profilage racial pourrait devenir un problème endémique, en Ontario comme ailleurs, à cause des efforts de lutte contre le terrorisme.

Il faut souligner qu’à ce sujet, le droit international pourrait être perçu comme une porte de sortie. Conformément au droit international, une forme de discrimination interdite pourrait être jugée légitime, tel que l’affirme le Comité contre la discrimination raciale, « si, comparés aux objectifs et aux buts de la Convention, les critères de différenciation sont légitimes ou conformes aux dispositions de la Convention».[7] Les défenseurs du profilage racial pourraient probablement s’appuyer sur ce libellé pour défendre leur pratique. On doit en revanche se méfier de tels arguments. Selon un des critères essentiels établis par la Cour interaméricaine, la discrimination ne peut être jugée acceptable que si elle est « raisonnable ». Le terme s’applique à la fois aux moyens et à la finalité, mais en ce qui concerne les moyens pris « il est interdit d’imposer à tout être humain un traitement différentiel allant à l’encontre de son caractère unique et congénère ».[8] Il semblerait donc que la discrimination raciale se distingue des autres formes de discrimination dans la mesure où elle peut être jugée légale dans la poursuite d’un objectif social « légitime ».

L’applicabilité des instruments internationaux au Canada

Le Canada, même s’il n’est pas le seul à faire ainsi, n’a pas déterminé explicitement l’applicabilité des instruments de défense des droits de la personne au sein du pays. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne stipule pas clairement quelles sont les obligations internationales du Canada, notamment au niveau de la CERD.

Étant donné que le Canada a mis en place un soi-disant système « dualiste », la CERD devrait théoriquement être annexée à la législation canadienne avant de pouvoir être applicable. En revanche, même si elles n’ont pas été annexes, les obligations internationales du Canada devraient dans plusieurs cas avoir un certain poids devant les cours canadiennes. Dans l’affaire Baker, par exemple, le juge L’Heureux-Dubé a fait valoir (et il a été soutenu par la majorité de la cour) que « Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire»[9]. On pourrait dire que les normes internationales en matière de discrimination raciale devraient à un minimum avoir ce type de rôle.

Le droit international coutumier constitue une autre avenue pour l’application des normes internationales de discrimination raciale. En accordant à la CERD le statut du droit international coutumier, on évite d’être obligé de l’annexer. Il est aisé d’affirmer que les normes de la communauté internationale ont acquis un tel statut (une quasi ratification universelle en est un bon indicateur).

Comment la politique de la CODP en matière de discrimination raciale peut elle s’inspirer des définitions et des conventions internationales

Outre la question du profilage racial que je viens de suggérer, laquelle pratique fait l’objet d’une condamnation claire et presque universelle de la part de la communauté internationale, le débat sur les droits économiques et sociaux qui est engagé en Ontario pourrait s’inspirer du droit international. Le Comité sur la discrimination raciale ne cesse de répéter que la discrimination économique est autant une forme de discrimination raciale qu’une forme de discrimination empêchant un individu de jouir de ses droits civils et politiques. La protection de ces droits se pose particulièrement pour les domaines de l’emploi, du logement, de la santé et de l’éducation, où apparaissent souvent des formes contemporaines de discrimination. Il est souvent difficile de prouver l’occurrence de la discrimination raciale dans de tels occasions mais le Comité affirme ouvertement son intention d’avoir recours à divers indicateurs structurels (par ex. les différentielles du taux d’emploi) pour démontrer les cas de discrimination raciale systémique.

Par ailleurs, les organes internationaux tournent actuellement leur attention vers la possibilité que les intervenants du secteur privé, au même titre que l’État, pourraient violer les droits de la personne en exerçant une discrimination raciale. On estime que l’État devrait à tout le moins garantir un environnement normatif où la discrimination du secteur privé ne pourrait pas être exercée. Les personnes dont les droits ont été violés devraient se faire accorder les réparations nécessaires.

Enfin, une grande partie du travail du Comité sur la discrimination raciale concerne la protection des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés contre la discrimination raciale. Le CERD souligne explicitement que la Convention ne doit pas servir aux « exclusions, restrictions ou préférences établies par un Etat partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou de non ressortissants », mais la Déclaration de Durban démontre que la discrimination contre les personnes n’ayant pas la nationalité d’un pays est l’une des sources principales de racisme contemporain. La dernière observation générale du Comité[10] concerne les personnes n’ayant pas de titre de séjour ou qui ne peuvent acquérir la nationalité de l’État où ils résident. Le Comité a souligné que même si certaines distinctions entre les ressortissants et non ressortissants sont légitimes, elles devraient dans la mesure du possible être évitées. On affirme par exemple : « Bien que certains (…) droits, comme celui de participer aux élections, de voter et de se présenter aux élections, sont réservés aux citoyens, toute personne, en principe, a le droit de jouir des droits de l’homme ”.[11] On indique ensuite que l’État devrait assurer « des garanties législatives contre la discrimination raciale aux non ressortissants, sans égard à leur statut d’immigrant ».[12]

Conclusion

Le droit international sur la discrimination offre une diversité de ressources utiles pour contrer la discrimination raciale. Même si ce droit n’est pas directement applicable, ses définitions devraient permettre d’approfondir le débat en Ontario.


[1] Par exemple, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance, le Groupe de travail chargé de la mise en oeuvre de la Déclaration de Durban et du Programme d’action et le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’origine africaine.
[2] East African Asians v UK [1973] 3 EHRR 76, para. 207.
[3] Recommandation générale XIV, Définition de la discrimination (art. 1, par.1), para. 2.
[4] East African cases, supra note 2 , paras. 84-85.
[5] Observation générale no. 18: Non-discrimination : . 10/11/89
[6] Id.
[7] Recommandation générale XIV, Définition de la discrimination, para. 2.
[8] 55.
[9] [1999] 2 R. C. S. 817, para. 70.
[10] Recommandation générale 30, Discrimination contre les non-ressortissants, CEDR/C/64/Misc.11/rev.3. 
[11] Id., para. 1. 3.
[12] Id., para. 2. 7.

 

Les obstacles systémiques à des autorités policières représentatives au plan racial

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Fo Niemi

Fo Niemi est directeur administratif du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), situé à Montréal. Membre de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec de 1991 à 2003, il a également siégé à des comités et des conseils d’administration d’organismes tels que la Gendarmerie royale du Canada, la Fondation canadienne des relations raciales et le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

Résumé analytique

Le présent article montre que, par suite des pressions exercées par le public en bonne partie, les autorités policières ont réglé le problème de discrimination systémique en accordant une plus grande priorité à des objectifs quantitatifs de représentation. Toutefois, en mettant l’accent sur les postes de premier échelon, la plupart de ces efforts d’équité en matière d’emploi ont négligé la question de la ségrégation professionnelle et les autres obstacles à l’avancement et à l’intégration, comme le harcèlement racial.

Au cours des deux dernières décennies, cinq développements nationaux importants ont influencé le débat sur des autorités policières représentatives au plan racial:

  • La constitutionnalisation de la Charte canadienne des droits de la personne, qui a contribué à protéger des programmes d’action positive contre des contestations judiciaires de l’égalitarisme.
  • La parution de L’Égalité, ça presse!, le rapport du Comité spécial sur la participation des minorités visibles à la société canadienne (1983)[2], qui a « nationalisé » le concept de minorités visibles et le besoin impératif d’avoir des autorités policières et des institutions juridiques représentatives au plan racial.
  • La tenue d’une conférence nationale sur le maintien de l’ordre dans une société multiraciale et multiculturelle, par l’Association canadienne des chefs de police (1984), qui a créé un consensus, bien que fragile, parmi les chefs de police à travers le Canada sur l’importance des relations inter-raciales positives de la police et de services de police représentatifs.
  • La parution du rapport de la Commission d’enquête sur l’égalité en matière d’emploi (1984)[3], qui a formalisé le concept d’équité en emploi dans les politiques publiques canadiennes.
  • Une série de fusillades policières fatales impliquant des hommes autochtones ou issus de minorités raciales dans différentes villes, qui ont ébranlé l’opinion publique et forcé les autorités à créer de nombreuses enquêtes publiques, et même des mesures d’équité institutionnelle.
  • L’adoption par le gouvernement canadien de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, en 1986, qui a établi un fondement national aussi bien social que légal, à partir duquel des mesures ont pu être mises en place dans la plupart des gouvernements et des organisations pour assurer leur représentativité et leur sensibilité au sein d’une population changeante.

Les services de police en Ontario

Malgré le recul qu’on a connu en Ontario au milieu des années 1990, causé par la « Révolution du bon sens », en vertu de laquelle l’équité en matière d’emploi a été systématiquement absente dans les lois provinciales, il est admis par la majorité des administrateurs de police et des autorités politiques responsables, qu’un service de police multiculturel, multiracial et diversifié « fait du sens », au nom de l’efficacité dans la prestation des services et des bonnes relations communautaires ou publiques.

Conséquemment, les procédures et les critères conventionnels relatifs à l’emploi dans la police ont été progressivement remplacés, à mesure qu’ils étaient perçus comme des obstacles qui avaient, directement ou défavorablement, une incidence sur les membres des minorités raciales et des communautés autochtones. Parmi ces obstacles, mentionnons ceux-ci:

  • les exigences relatives à la citoyenneté canadienne;
  • les exigences relatives à la taille et au poids;
  • la crédibilité, les vérifications et les antécédents requis;
  • des tests de sélection culturellement tendancieux;
  • une image négative, la peur et une méfiance qui décourageaient les membres de minorités raciales ou ethniques et les Autochtones à se joindre à la profession policière ou aux services de police;
  • un bassin de sélection restreint causé par l’exigence d’une formation préalable en techniques policières (comme au Québec), où les mêmes critères d’emploi existent.

En raison principalement de plaintes concernant les droits de la personne, d’enquêtes publiques et d’autres pressions publiques, ces procédures et ces critères conventionnels ont été graduellement corrigés.

Par exemple:

  • Pour éviter un bassin de sélection restreint de recrues policières, dans lequel les minorités et les Autochtones sont sous-représentés, un autre mode de sélection ou des mesures d’emploi accélérées sont maintenant établis pour permettre à plus de candidats ayant des connaissances pertinentes en sciences sociales d’être sélectionnés, orientés vers des académies de police pour recevoir une formation, puis embauchés après l’obtention de leur diplôme.
  • Les jurys de sélection de candidats lors des entrevues sont plus diversifiés afin d’inclure des civils issus de groupes sous-représentés.
  • Des campagnes proactives de sensibilisation, communautaires et publicitaires, sont conçues pour attirer l’attention des membres de groupes visés par l’équité en matière d’emploi et pour surmonter les images négatives des services de police.
  • Les résidants permanents sont autorisés à suivre une formation préalable à l’emploi durant le processus de leur demande de citoyenneté.

Obstacles persistants

Bien que les efforts déployés en matière d’équité aient conduit à un plus grand nombre de membres de minorités raciales embauchés au sein des services de police, de sérieux obstacles d’exclusion et de discrimination demeurent. Le dépôt de poursuites civiles devant des tribunaux et des commissions des droits de la personne a contribué à identifier au moins six obstacles qui doivent être surmontés pour résoudre la question du racisme systémique dans l’embauche au sein des corps policiers[4]:

  1. un accent mis presque exclusivement sur les emplois de premier échelon au détriment de l’intégration, de la promotion et de la diversité des employés civils;
  2. les ghettos d’emploi;
  3. le harcèlement racial en milieu de travail;
  4. le soutien du superviseur comme condition de promotion;
  5. les exigences en matière de sécurité; et
  6. le manque de soutien du syndicat policier.

1. Un accent mis sur les emplois de premier échelon

Souvent, l’équité en matière d’emploi se limite au recrutement et à l’embauche, c’est-à-dire à l’augmentation du nombre de candidats à des postes de premier échelon, dans le but d’atteindre des objectifs quantitatifs, au détriment d’une représentation équitable à tous les niveaux organisationnels. Conséquemment, le roulement du personnel et la ségrégation professionnelle sont souvent négligés et sous-déclarés. Une mosaïque verticale raciale existe toujours dans de nombreux services de police, malgré deux décennies d’équité en matière d’emploi.

Puisque la dérogation est souvent un indicateur du rendement général d’une organisation en matière d’équité, une vérification publique ou externe du rendement d’un service de police en matière d’équité ne devrait plus reposer uniquement ou principalement sur des nombres aux niveaux de la sélection et de l’embauche. On devrait aussi examiner minutieusement la représentation globale de la main-d’œuvre interne, incluant les employés civils, puisqu’un des objectifs fondamentaux de l’équité en matière d’emploi est de changer les normes et les valeurs conventionnelles au sein de l’organisation.

2. Les ghettos d’emploi

Encore aujourd’hui, il est bien connu que la plupart des policiers d’origine autochtone ou issus de minorités (sans compter les femmes) se retrouvent principalement dans les services d’ordre. Peu d’entre eux occupent des postes de niveau supérieur (sergent, enquêteur, lieutenant, inspecteur et surintendant), ou dans des secteurs spécialisés, plus prestigieux ou de pouvoir, comme les affaires internes, la lutte contre les stupéfiants ou le crime organisé.

La plupart des efforts investis dans l’équité tendent à ignorer les obstacles à la conservation du personnel ou à l’avancement professionnel, des facteurs qui jouent un rôle important dans le contrôle de l’accès à une influence tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation. Ainsi donc, des questions de représentation qualitative doivent être soulevées, puisque les données quantitatives masquent souvent, et même perpétuent, l’existence d’une ségrégation professionnelle fondée sur la race.

Pour cette raison, les enquêteurs des droits de la personne qui examinent des causes de discrimination dans l’emploi doivent accepter moins facilement les arguments des employeurs ou des données globales sur l’équité fondées principalement sur le niveau de recrutement, en tant que défense légitime ou justification d’une non-discrimination. Il pourrait aussi leur être utile d’avoir des connaissances sur la culture paramilitaire et hiérarchique, ainsi que sur le plafond invisible en matière d’avancement professionnel dans la culture policière.

3. Le harcèlement racial

Une fois embauché, un constable autochtone ou issu d’une minorité raciale fait son entrée dans la vie quotidienne d’une organisation policière et d’une culture reconnues historiquement comme étant la chasse gardée des hommes de race blanche chrétiens et hétérosexuels. Dans les organisations policières, il existe un « mur du silence » derrière lequel certaines règles ne peuvent pas être transgressées, comme contester l’autorité ou porter plainte contre un collègue pour le non-respect de la déontologie policière ou de droits civils. Les policières et policiers issus de minorités raciales, les policières, ainsi que les policières et policiers homosexuels, qui font l’objet d’injures et de blagues subtiles ou explicites offensantes, de représentations picturales ou d’autres actes dégradants, peuvent porter plainte, mais à leurs risques et périls.

Le pouvoir ou des relations hiérarchiques empreintes de préjugés raciaux ou autres peuvent créer un climat de travail destructeur. Les policières et policiers d’origine autochtone ou issus de minorités raciales peuvent être contraints personnellement et professionnellement, quand il n’existe pas dans leur milieu de travail une politique efficace et un mécanisme pour contrer le harcèlement racial, en particulier là où se pratiquent, comme l’a souligné la Commission d’enquête sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, une tolérance passive, une tolérance collusoire ou une négligence évidente en matière de harcèlement racial.[5]

Les victimes de harcèlement racial sont confrontées à un défi particulier. Les enquêteurs des droits de la personne, qui ne connaissent pas bien le racisme, ont généralement tendance à confondre la dynamique du harcèlement racial au travail à celle du harcèlement sexuel. Souvent, leurs enquêtes sont erronément axées sur des paroles explicites ou des gestes de harcèlement et de traitement différentiel, bien que des lignes directrices jurisprudentielles indiquent clairement que le harcèlement racial est souvent plus systémique et plus subtil que le harcèlement sexuel. Ces enquêteurs, qui n’ont pas reçu une formation en matière de harcèlement racial, tendent souvent à omettre des éléments de harcèlement subtils, non dits, en mettant inconsciemment l’accent plutôt sur un rendement inadéquat ou une faiblesse d’une personne, surtout en l’absence de blagues à caractère racial, d’injures ou d’une conduite semblable ouvertement tendancieuse.

4. Le soutien du superviseur comme condition de promotion

La méthode traditionnelle d’évaluation du rendement, qui consiste à accorder une grande importance à l’opinion d’un superviseur au sujet de la promotion d’un candidat, peut être entachée d’arbitraire et de préjugés raciaux. Comme il a été mentionné précédemment, un des plus grands obstacles à une représentation équitable dans les plus hauts échelons des autorités policières est la culture organisationnelle et professionnelle, où la bonne vieille mentalité de « l’homme blanc hétérosexuel » prédomine souvent à l’exclusion des « autres ». L’exigence d’une évaluation positive ou d’une approbation par un commandant local ou un superviseur (souvent de race blanche) peut devenir un obstacle. Sans procédures d’appel objectives, cette méthode constitue l’un des obstacles les plus manifestes pour plusieurs candidats et un des plus insaisissables pour les enquêteurs des droits de la personne – qui n’ont pas la formation requise pour évaluer le racisme systémique en matière d’emploi dans les services de police. Encore une fois, le risque de victimiser les candidats est omniprésent, puisque les enquêteurs pourraient par inadvertance axer leur évaluation sur l’histoire personnelle et le rendement des personnes, plutôt que sur les normes et les pratiques organisationnelles.

5. Les exigences relatives à la sécurité

sont demeurées pratiquement inchangées, malgré des interdictions législatives de discrimination fondée sur des casiers judiciaires antérieurs pour lesquels un pardon a été accordé. Le critère énoncé dans l’arrêt Oakes permet à un service de police d’exiger un certificat de sécurité strict et absolu comme condition d’embauche, en affirmant qu’il s’agit d’un critère équitable rationnellement lié et essentiel à l’évaluation des qualités requises d’un candidat.[6]

De telles exigences posent des problèmes majeurs aux groupes hautement criminalisés et économiquement défavorisés, puisqu’elles réduisent le bassin de candidats disponibles à partir duquel la sélection est faite. Pour des membres de certaines minorités raciales qui résident dans des quartiers urbains centraux, qui sont souvent stéréotypés comme étant associés à des « gangs » et extrêmement vulnérables à un profilage racial, les normes actuelles et la vérification de la crédibilité, ou l’utilisation de certains nouveaux critères vagues comme « être associé à des personnes criminalisées ou les fréquenter », peuvent avoir des effets défavorables sur la représentation des minorités au sein des services de police.

Les enquêteurs des droits de la personne doivent donc prêter une attention particulière aux rejets de candidats ou à la suspension et au congédiement de policiers issus de minorités raciales pour des motifs de sécurité. Ils doivent faire preuve d’une vigilance particulière dans les cas de rejets de candidats issus de minorités raciales dont les niveaux de criminalisation sont associés au racisme systémique dans le système pénal de justice, ou en ce qui concerne l’utilisation largement répandue, mais secrète, d’informations reliées à la délinquance juvénile et à des accusations de nature pénale moins graves, comme des violations d’ordonnances municipales. De même, les enquêteurs doivent être vigilants dans les cas où des membres de minorités raciales font l’objet d’une surveillance et de contrôles excessifs du simple fait qu’ils sont originaires de pays arbitrairement associés au terrorisme.

Une définition judiciaire des nouveaux paramètres qui s’appliquent aux exigences relatives à la sécurité serait donc bienvenue.

6. Le manque de soutien du syndicat policier

Les travailleurs autochtones ou membres de minorités raciales, qui font l’objet d’une discrimination et d’un harcèlement racial dans leur milieu de travail, estiment souvent que leur syndicat ne les soutient pas. Cela est dû en partie au manque de connaissances au sujet du racisme de la part des représentants syndicaux, à une mauvaise foi manifeste et à une discrimination dans l’exécution des devoirs qui incombent au syndicat en matière de représentation équitable.

Même si ces travailleurs parviennent à convaincre leur syndicat de déposer un grief, une foule d’autres problèmes peuvent surgir: une mauvaise représentation, un conflit d’intérêts (particulièrement dans les cas où la personne accusée de harcèlement racial appartient au même syndicat que la victime), et des délais (il faut parfois attendre une année avant qu’un grief soit entendu).

L’impasse est telle que de beaucoup de lois et de règlements sur les droits de la personne exigent que les plaignants déposent d’abord un grief et accordent aux commissions des droits de la personne le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte civile concernant des droits sur la base d’un double recours. Comme de nombreuses expériences l’ont démontré, un processus d’arbitrage est rarement l’avenue idéale pour examiner une question de discrimination raciale dans tout acte considéré comme ne respectant pas une clause de convention collective. Dans la procédure de règlement des griefs, la protection contre des mesures de rétorsion offerte à une victime, à son assistant ou à un témoin est moindre que la protection garantie en vertu des lois sur les droits de la personne.

La désapprobation tacite ou le refus explicite d’associations policières composées d’Autochtones ou de membres issus de minorités raciales, aussi bien par la direction que par le syndicat, doivent être considérés comme un obstacle systémique à l’intégration de personnes issues de groupes ethniques ou de minorités raciales dans les cultures professionnelles et organisationnelles policières.

Mise en garde sur l’équité en matière d’emploi

La suppression d’un concept discriminatoire dans les mesures d’équité, qui vise à surmonter les obstacles profondément enracinés d’exclusion raciale dans les services de police, tend à ignorer la réalité du racisme et des autres formes de discrimination, en particulier la discrimination intersectionnelle.

En éliminant la race et en mettant toutes les formes de diversité et les groupes dans la même catégorie de « diversité », les membres des minorités raciales et des communautés autochtones continuent d’être enfermés dans de véritables ghettos au bas de l’échelle de la mosaïque verticale. Bien qu’ils tendent à être cachés, les préjugés raciaux internes ou entre les groupes et les obstacles persistent. En d’autres mots, les mesures d’équité en matière d’emploi ne tiennent pas compte de la stratification raciale qui a cours dans la mosaïque verticale.

En conséquence, la véritable étendue des obstacles qu’on désigne communément comme une « discrimination systémique » reste cachée. Une fausse impression de succès a été créée avec la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi et d’autres mesures proactives comme les « pratiques exemplaires ». On a supposé que les obstacles avaient été surmontés mais, en réalité, les solutions présentées ont porté seulement sur les obstacles superficiels. Les obstacles sous-jacents demeurent inchangés.

Alors, que pouvons-nous faire? Il est crucial de procéder à un changement radical dans la mentalité et la pratique, ce qui inclut une vérification de l’équité en matière d’emploi et des pratiques d’enquête, au besoin. L’adoption d’une analyse raciale critique de la discrimination, dans ses formes directe, systémique et intersectionnelle, représente une première étape obligatoire pour surmonter avec plus de succès les obstacles et avoir, en bout de ligne, une organisation représentative au plan racial.

La seconde étape est un examen du mode de fonctionnement des enquêteurs et des commissions des droits de la personne. Des questions sur la discrimination raciale et la procédure relative aux droits de la personne, comme celles que Sangha et Tang (2003) ont identifiées, doivent trouver des réponses pour éviter de personnaliser le racisme systémique et enlever le caractère racial d’une plainte.[7] Il serait aussi utile de s’assurer que les enquêteurs connaissent bien les cultures organisationnelles et professionnelles des services de police.

Enfin, là où les autorités policières sont concernées, il est nécessaire de demander une responsabilisation plus critique et plus soutenue, aux niveaux quantitatif et qualitatif, en mettant principalement, mais non exclusivement, l’accent sur la race. La responsabilisation peut contribuer à la réalisation d’une organisation représentative au plan racial qui reflète une diversité de valeurs, de coutumes et de caractéristiques aux niveaux personnel et institutionnel.


[2] L’Égalité, ça presse!, rapport du Comité spécial sur la participation des minorités visibles à la société canadienne, Chambre des Communes, Ottawa, 1983.
[3] Égalité en matière d’emploi, Commission d’enquête sur l’égalité en matière d’emploi, Ottawa, octobre 1984.
[4] Les conclusions et les exemples présentés dans cet article sont extraits de causes impliquant des services de police et des autorités policières au niveau fédéral, en Ontario et au Québec.
[5] Rapport de la Commission d’enquête sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, décembre 1995, chapitre 3, « Understanding Systemic Racism ».
[6] R. c. Oakes [1986] 1 R.C.S. (Recueil des arrêts de la Cour Suprême du Canada) 103. Dans cette cause, la Cour Suprême souligne les conditions essentielles dans toute cause de restriction d’un droit garanti par la Charte canadienne des droits de la personne auxquelles doit satisfaire la partie qui demande le maintien de cette restriction. En premier lieu, l’objectif que doivent servir les mesures qui apportent une restriction à un droit garanti par la Charte doit être suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution. Il faut que cet objectif se rapporte à des préoccupations sociales, urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. En deuxième lieu, la partie qui invoque l’article premier doit démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l’application d'une sorte de critère de proportionnalité qui comporte trois éléments importants. D’abord, les mesures doivent être équitables et non arbitraires, être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question et avoir un lien rationnel avec cet objectif. De plus, le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question. Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l’objectif poursuivi.
[7] Sangha, Dave et Tang, Kwong-Leung, Race Discrimination and the Human Rights Process, article présenté à la Canadian Critical Race Conference 2003, 2 mai 2003, Université de la Colombie-Britannnique.

 

Législation sur les droits de la personne et réparation des préjudices moraux du passé

Publication : Décembre 2004

par Gerald Gall

Gerald Gall est professeur de droit à l’Université d’Alberta et président du John Humphrey Centre for Peace and Human Rights. Il est récipiendaire du Prix des droits de la personne de l’Alberta et lauréat de la Médaille commémorative du Jubilé de Sa Majesté la Reine Elizabeth II En 2001, il fut nommé Officier de l'Ordre du Canada.

Résumé analytique

Cet article a pour but d’examiner l’utilité de la législation antidiscrimination existante comme recours dans le cadre de préjudices moraux à caractère racial. M. Gall tente aussi de déterminer si le l’obligation d’accommodement se justifie pour redresser les situations de désavantage survenues au cours de l’histoire. L’article présente ainsi un aperçu historique des tentatives de réparation volontaire du gouvernement pour remédier à la discrimination raciale qui a été exercée dans le passé.

Les organismes des droits de la personne constitués par la loi canadienne ont toujours eu comme principal objectif de résoudre les plaintes en matière de discrimination raciale. Ces organismes ont aussi un mandat de prévention, en assurant la promotion de la diversité et la compréhension, mais ils existent d’abord et avant tout pour résoudre les plaintes. Selon les membres de certaines minorités, dont les minorités raciales, ces efforts ne suffisent pas pour redresser les préjudices historiques flagrants dont les membres de ces minorités ont souffert. Il s’agit donc de déterminer si la législation antidiscrimination existante (ainsi que les autres instruments quasi constitutionnels) propose les voies de recours pour réparer les préjudices et la souffrance endurée. Une question connexe qui sera abordée sera de déterminer si nos cours ont la volonté et/ou la capacité de se servir de ces instruments dans la disposition de causes de ce genre.

Les lois antidiscrimination ou quasi constitutionnelles peuvent-elles réparer les situations de désavantage survenues au cours de l’histoire ?

Les lois antidiscrimination ou quasi constitutionnelles (ayant préséance sur les autres lois) peuvent-elles redresser les situations de désavantage survenues dans le passé lorsqu’une plainte est déposée par rapport à cette situation ? Sans aucun doute, la réponse est négative. Les lois antidiscrimination fédérales et provinciales ne peuvent s’appliquer rétrospectivement. En d’autres termes, elles sont fixées à partir du moment où elles sont adoptées, tout comme la Déclaration canadienne des droits. Ainsi, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’applique qu’à partir de 1977 et les lois provinciales s’appliquent à partir de la date où elles ont été promulguées. Le champ des possibilités se rétrécit davantage lorsqu’on considère que la plupart des lois antidiscrimination ont des délais de prescription. Par exemple, selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne ne peut traiter une plainte que si le motif de cette plainte a eu lieu au cours de l’année précédant au moment ou la plainte a officiellement été déposée. Conformément à l’article 34 (1) (d) du Code des droits de la personne de l’Ontario, le délai de prescription est de six mois. En revanche, les lois à cet effet ne comportent pas toutes un délai de prescription. Lorsqu’elles en ont un, il est parfois difficile de fixer le début de ce délai si le préjudice qui fait l’objet de la plainte s’est exercé sur une période prolongée. Tel que mentionné plus haut, malgré les délais de prescription, ces lois se limitent aux plaintes relatives à un événement qui s’est produit après l’adoption de la loi.

Une commission ou un tribunal a toutefois la possibilité de décréter une mesure de redressement qui dépasse en portée la plainte individuelle pour s’étendre aux situations de désavantage survenues dans le passé. Voilà pourquoi la réponse à la question précédente sur le recours aux lois sur les droits de la personne est une réponse négative restreinte. La restriction est reliée à la possibilité que le redressement s’étend au-delà de la plainte et touche l’aspect historique de la plainte. Par exemple, il suffit de prendre la cause de 1987, sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Compagnie des chemins de fer Canadien National c. Action Travail des femmes 8 CHRR D/4210 (SCC). La Cour suprême du Canada a confirmé l’ordre d’un tribunal en vertu duquel la société devait engager une femme sur quatre personnes engagées pour les emplois non spécialisés ou de col bleu. Dans cette cause, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur situation de désavantage sexiste passée dans le cadre d’une plainte individuelle. En revanche, on doit souligner que la cause n’est pas fondée sur un motif de discrimination raciale et son application pourrait donc être limitée.

Si la législation sur les droits de la personne ne peut redresser une situation de désavantage passée, dans le cadre d’une plainte « révolue », ou pour reprendre une expression populaire, lorsque « le dossier est endormi », peut-elle redresser la situation d’une manière différente? S’il est possible d’élaborer des mesures correctives créatives, cette créativité permet-elle aux cours de redresser la situation en créant des minis programmes d’action positive ? 

En réponse, il faut souligner que les causes sont rares où une cour ou un tribunal a reconnu un désavantage historique dans le cadre d’une plainte actuelle par son pouvoir d'ordonner un redressement. Le pouvoir d'ordonner un redressement s’est imposée sous forme d’un mini programme d’action positive. Un exemple de cette possibilité ressort de la décision de 1997 par un tribunal fédéral, sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans la cause Alliance de la Capitale nationale sur les Relations Inter-Raciales c. Santé Canada. Le tribunal a imposé comme mesure corrective une réparation sous forme d’équité en emploi (ou si on veut, une mesure sous forme d’action positive) afin de prévenir la discrimination systémique et pour faire tomber les obstacles qui s’étaient posés suite aux pratiques discriminatoires identifiées. Le tribunal a ainsi élaboré un « programme spécial d’action positive ».

Ce programme avait comme objectif de :

  1. Les éliminer les obstacles discriminatoires qui se posaient pour l’embauche de minorités visibles...
  2. Faire tomber les obstacles discriminatoires et assurer l’entière participation des minorités visibles...
  3. Permettre aux minorités visibles de faire au maximum appel à leurs connaissances, compétence et expérience;
  4. Redresser l’impact de la discrimination exercée dans le passé...[1]

Le concept d’obligation d’accommodement est-il justifié pour redresser les situations de désavantage survenues au cours de l’histoire ?

En plus des éléments précédents, la notion d’accommodement devrait être considérée comme mesure corrective possible dans le cas de plaintes à caractère racial. À première vue, il est difficile d’imaginer la pertinence d’un accommodement comme mesure corrective pour résoudre une telle plainte.[2]

La notion d’accommodement a toutefois souvent été appliquée dans des causes impliquant la discrimination raciale. Par exemple, suite à la cause Naraine c. Ford Motor Co. [1996] O.H.B.I.D. No. 23, il a été jugé que Ford avait exercé une discrimination contre Naraine. L’entreprise n’avait ni reconnu, ni pris les mesures nécessaires pour mettre fin au harcèlement racial, dérogeant ainsi à la loi. Lorsque Naraine a été licencié à cause de son tempérament et de ses débordements, l’entreprise n’a pas tenu compte que ces débordements étaient provoqués par un environnement de travail empoisonné. Le harcèlement dont il était victime s’exprimait entre autre sous forme de graffiti et de propos racistes, le plaçant ainsi dans des conditions de travail qui constituaient une violation de l’article 4 (1) du Code des droits de la personne de l’Ontario.[3]

Le devoir de tenir compte d’une situation se pose surtout dans les causes impliquant le milieu de travail, pour les employés handicapés, qui ont des besoins religieux particuliers, les femmes enceintes, les employés ayant des responsabilités familiales ainsi que ceux qui souffrent d’alcoolisme ou de toxicomanie.[4] En revanche, il est prévu dans le cadre de ce devoir que l’employeur ne subisse aucune difficulté indue. La notion de difficulté indue pose certaines questions telles que le coût d’un éventuel accommodement, le risqué de cet accommodement pour la santé et la sécurité de l’employé ainsi que pour celle des autres.

Il est difficile d’envisager qu’une plainte à caractère racial puisse être résolue par un accommodement raisonnable. En principe, l’accommodement s’applique aux causes impliquant les motifs stipulés par les diverses lois. Le Code des droits de la personne de l’Ontario, en plus de la ‘common law’ et de la possibilité implicite d’une mesure de redressement sous forme d’accommodement, prévoit plus particulièrement l’accommodement dans l’article 17(2) pour les handicaps et dans l’article 24(2) pour l’emploi. Conformément à la plupart des lois antidiscrimination, le recours à l’accommodement est invoqué dans le contexte de l’emploi et de la prestation de service, mais théoriquement, il pourrait être invoqué pour tout autre secteur d’activité prévu par la loi.

La Cour suprême du Canada a décrété que dans les circonstances impliquant une forme de discrimination indirecte, l’employeur a l’obligation raisonnable de tenir compte de la situation. Tout comme dans la cause Meiorin[5], la Cour suprême du Canada a adopté une conception plus générale de la discrimination. Suite à Meiorin, il fut entendu que si un plaignant établit que sa cause est fondée sur la discrimination, l’employeur doit tenir compte de la situation de ses employés, notamment des différences qui existent au sein d’un groupe, et il ne peut pas légitimer la présence d’une discrimination directe par une exigence professionnelle justifiée, à moins que cette exigence ne soit conforme aux autres critères établis dans le cadre de la cause. La notion d’exigence professionnelle justifiée est strictement définie par la cause. Par ailleurs, l’employeur a l’obligation de se conformer à l’accommodement même si ce dernier implique certaines difficultés, tant que ces difficultés ne constituent pas un ‘préjudice indu’, tel que défini pour les besoins de la cause.

La jurisprudence dans les causes de la Charte sous l’article 15 reflète en quelque sorte cette conception. Dans la cause Eldridge c. la Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, le juge LaForest a précisé que :

Notre Cour a donc statué de façon constante que la discrimination peut être créée autant par les effets préjudiciables de règles d'application générale que par les distinctions expresses découlant de la distribution des avantages. Compte tenu de cet état de choses, je ne peux voir aucun principe qui empêcherait de prouver l'existence de discrimination fondée sur les effets préjudiciables d'un régime de prestations apparemment neutre. ...

Si nous acceptons le concept de discrimination découlant d'effets préjudiciables, il semble inévitable, du moins à l'étape de l'analyse fondée sur le par. 15(1), que le gouvernement sera tenu de prendre des mesures particulières pour faire en sorte que les groupes défavorisés soient capables de bénéficier d'une manière égale des services gouvernementaux …(S)'il existe des raisons de principes en faveur de la limitation de l'obligation du gouvernement de remédier au désavantage découlant de la fourniture d'avantages et de services, il convient davantage d'étudier ces principes au moment de trancher la question de savoir si la violation du par. 15(1) est justifiée conformément à l'article premier de la Charte.

Même si les cours ne décrètent pas directement l’obligation de tenir compte d’une situation, M. le juge LaForest fait référence à des « mesures particulières » et une « action positive », qui équivalent à une telle obligation. Tout comme le juge en chef McLachlan l’affirme dans la cause Meiorin, les causes impliquant une forme de discrimination devrait être abordées conformément à l’art. 15 de la charte. Étant donné que l’art. 15 est rédigé dans un langage plutôt général et que la cour doit se conformer à l’obligation prévue à l’art. 24(1), elle peut imposer des mesures de redressement qui englobent la notion d’accommodement.[6]

La question principale était de savoir si la législation sur les droits de la personne permet des remèdes dans les causes de discrimination survenus dans le passé; dans le cas de plaintes individuelles, on ne peut y remédier. En revanche, si des mesures de redressement qui comportement la notion d’accommodement systémique sont imposées par des programmes d’action positive, déterminés par la cour ou par l’application de l’art. 15(1), la réponse est plus positive qu’elle n’est apparue à première vue. Les mesures législatives concernant l’équité en emploi offrent une quatrième avenue pour remédier aux préjudices que l’on aurait pu subir dans le passé. Cette avenue n’est toutefois pas envisageable dans le cadre d’une plainte, contrairement aux autres avenues. 

Réparation volontaire d’une discrimination raciale survenue dans le passé

Qu’en est-il donc de la réparation volontaire d’un cas flagrant de discrimination raciale survenue dans le passé ? Voici les cas principaux de plaintes qui ont été déposées relativement à une discrimination raciale exercée par le gouvernement canadien au cours de l’histoire.[7]

  • 1847-1985: assimilation forcée et mauvais traitements infligés aux enfants autochtones dans les pensionnats
  • 1885-1946 : Les lois d’exclusion des immigrants chinois et les taxes d’entrée[8]
  • 1891-1956: emprisonnement de lépreux, dont la plupart étaient chinois, sur deux îles de Victoria;
  • 1900-1932: traitement injuste d’enfants noirs originaires des Caraïbes;
  • 1914-1920: emprisonnement de Canadiens d’origine ukrainienne pendant la Première Guerre mondiale;
  • 1938-1948 : refus d’entrée au Canada à des personnes d’origine juive;
  • 1940-1943 : emprisonnement de Canadiens d’origine italienne pendant la Deuxième Guerre mondiale;
  • 1940-1943 : emprisonnement de Canadiens d’origine allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale;
  • 1942-1949 : emprisonnement de Canadiens d’origine japonaise pendant et après la Deuxième Guerre mondiale;
  • Après 1949 : refus d’accorder les avantages sociaux qui revenaient aux vétérans autochtones.

À ce jour, il n’y a que deux plaintes qui ont été réglées par une compensation. La première concerne les Canadiens d’origine japonaise dont les biens avaient été confisqués et qui avaient été emprisonnés pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont été dédommagés par une compensation globale et un ensemble de mesures de redressement. La seconde concerne diverses procédures qui ont été lancées par des individus ayant été dans les pensionnats autochtones. Ces procédures sont en cours d’instance.

En ce qui concerne l’emprisonnement des Canadiens d’origine japonaise, le règlement historique de 1988 a été négocié entre le gouvernement canadien et la National Association of Japanese Canadians.[9] En ce qui concerne les pensionnats autochtones, suite à la modification de la Loi sur les Indiens en 1920, les enfants autochtones ont été obligés de s’inscrire dans ces écoles. Qui plus est, ces enfants ont été victimes d’abus culturel, physique, psychologique et sexuel, en plus d’avoir été endoctrinés dans des religions étrangères.[10] Suite aux plaintes déposées par les Canadiens d’origine ukrainienne, italienne et chinoise, la Chambre de communes a annoncé en septembre 1994 qu’il n’y aurait aucune mesure de redressement d’accordée à ces groupes.

Il est aussi intéressant d’examiner la dernière déclaration officielle du gouvernement fédéral, faite entre les 6 et 9 mars 2001 concernant sa politique, selon laquelle il n’y aurait aucune indemnisation contre les préjudices moraux survenus dans le passé. Cette politique prévoit que « l’histoire de l’humanité n’est pas marquée par l’inclusion et le respect, mais elle semble plutôt être traversée par le racisme, la discrimination et l’intolérance raciale et la xénophobie jusqu’à ce jour » et que « le Canada croit qu’il est essentiel de reconnaître les injustices subies au cours de l’Histoire pour espérer une éventuelle réconciliation ». Par ailleurs, tout en reconnaissant l’importance des mesures de redressement et tout ce qui doit être accompli en vue de bâtir une société à l’abri de la discrimination raciale (et des autres formes de discrimination), le gouvernement du Canada « n’estime pas qu’il soit nécessaire d’accorder une compensation financière pour les injustices commises dans le passé ».

Il faut noter que d’autres types de revendications en vue d’une indemnisation ont été déposées au niveau provincial et fédéral. Contrairement aux revendications fondées su la race, plusieurs de ces revendications ont été gagnées. Parmi celles-ci figurent les revendications à l’égard de la thalidomide, l’action fautive du gouvernement à l’égard de l’utilisation de sang contaminé alors que les tests de dépistage du VIH/sida et de l’hépatite C existaient, ainsi que la stérilisation obligatoire d’individus soi-disant « déficients mentaux » en Alberta. D’autres mesures de redressement ont été accordées aux prisonniers de guerre canadiens détenus à Hong Kong, aux victimes de la guerre qui étaient dans la marine marchande du Canada et aux personnes condamnées injustement de meurtre.

Il appert que peu d’injustices raciales commises dans le passé n’aient été indemnisées. Les procédures de recours ont eu peu de succès devant les tribunaux. Les politiques gouvernementales sont la clé du succès des éventuelles mesures de redressement mais le gouvernement n’est en général pas très enthousiaste lorsqu’il s’agit de réexaminer les événements du passé. Il se pourrait que la meilleure solution soit les mesures de redressement créatives accordées par les tribunaux, conformément à législation et aux politiques sur les droits de la personne, qui soutiennent les programmes d’action positive et d’équité en emploi. 


[1] Le concept d’action affirmative est enchâssé dans plusieurs lois canadiennes. L’article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (les causes intentées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne comprennent Roberts c. Ontario (1994) 117 D.L.R. (4th) 297 (Ont CA), Macnutt v. Shubenacadie Indian Band (1997) 154 D.L.R. (4th) 344 (Fed T.D.), Vermette v. CBC (1994) 94 C.L.L.C. 17 (Commission canadienne des droits de la personne) et Macnutt v. Shubenacadie Indian Band (2000) 187 D.L.R. (4th) 741); Le Code des droits de la personne de l'Ontario, a. 14; le Code des droits de la personne du Manitoba, C.C.S.M. c. H175 a. 11; Le Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique RSBC 1996 Chapitre 210 a.42; La Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, RS 1989 c. 214 a. 6(i); Le Code des droits de la personne de Terre-Neuve a. 19; Le Code des droits de la personne de l’I.-du-P.E.I, a. 20; Loi sur les droits de la personne du Nouveau- Brunswick, a. 13; La Charte de droits et libertés du Québec, a.86 et le Code des droits de la personne de la Saskatchewan, a. 47.
[2] Aux États-Unis, la plus importante cause sur l'obligation d'accommodement et la discrimination raciale est Bradley v. Pizzaco of Nebraska, 939 F. 2d 610. 
[3] Des résultats semblables ont été atteints dans les causes suivantes: Hinds c. la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, 10 CHRR D/5683 D/5683 à D/5693; Mohammed c. Mariposa Stores Limited Partnership (1990), 14 CHRR D/215; et Aluwalia c. Metropolitan Toronto Board of Commissions of Police (1983), 4 C.H.R.R. D/1757 (Commission d’enquête de l’Ontario) D/1772. Ces causes ont impliquent l’atmosphère aux lieux de travail. Bien que les textes législatifs pertinents ne prévoient aucune obligation de la part de l’employeur de maintenir une « ambiance de travail pur et sans tache », ils exigent le maintien d’un environnement sain et l’obligation de l’employeur d’intervenir efficacement et sans retard dès que l’employeur sait ou devrait savoir que l’environnement de travail a été empoisonné. Le concept fondamental est que l’inaction de l’employeur par rapport à un environnement de travail empoisonné sur le plan racial constitue une contravention à la loi pertinente. L’employeur a l’obligation de prendre des mesures particulières afin de corriger un environnement de travail empoisonné sur le plan racial.
[4] Voir Audrey Dean et Janice Ashcroft, “Duty to Accommodate”, Alberta Human Rights and Citizenship Commission, 2002.
[5] B.C. v. BCGEU [1999] 3 S.C.R. 3.
[6] Voir le travail de Zinn et de Brethour extrait de l’ouvrage The Law of Human. Rights in Canada dans lequel l’obligation d’accomodement est discutée au chapitre 14. En outre, au mois d’août 2004, La Commission des droits de la personne et de la citoyenneté de l’Alberta a interprété un Bulletin d’interprétation intitulé “Duty to Accommodate Students with Disabilities in Post-Secondary Institutions”.
[7] Pour un compte rendu complet des tendances en matière de remède, voir Gall, Cheng & Miki, “Réparation des préjudices causés par le gouvernement”, Document de fond Présenté au comité consultatif sur la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, 2001.
[8] Voir Mack c. Canada (Procureur général)] [2001] O.J. No. 2794; Mack c. Canada [2002] 217 D.L.R. (44th) 583; Mack c. Canada [2002] S.C.C.A. No. 476; ces actions furent rejetées. Voir aussi Beverley Baines, "When is Past Discrimination Un/Constitutional? The Chinese Canadian redress Case", (2002), 65 Sask. L. Rev. 573-585. 
[9] Le règlement comportait la présentation d’excuses formelles, la reconnaissance de traitement injuste, la violation des droits de la personne, une indemnisation symbolique d’une valeur de 21 000 $ pour tout citoyen canadien d’origine japonaise éligible ainsi que le versement de 12 millions de dollars à la communauté japonaise au Canada pour l’établissement de programmes et d’activités sociales et culturelles visant l’avancement des droits de la personne et le mieux-être de la communauté japonaise.
[10] Voir M.C. c. Canada (Procureur Général) [2002] C.C.S. No. 2998; Lafrance Estate c. Canada [2002] C.C.S. No. 4990; W.R.B. c. Plint [2001] B.C.J. No. 1446. Voir aussi Concernant les pensionnats autochtones [2000] A.J. No. 638; Concernant les pensionnats autochtones [2002] A.J. No. 482, et Concernant les pensionnats autochtones [2002] A.J. No. 1265.

 

Opérationnaliser la race et ses fondements connexes dans la politique ontarienne des droits de la personne

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Dre Joanna Anneke Rummens

Dre Anneke Rummens, rattachée au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Toronto, est une anthropologue et sociologue multilingue qui, dans ses travaux de recherche, explore les processus d’identité et, de manière plus particulière, les liens entre la santé et le bien-être. Elle a été membre du Comité consultatif de l’Enquête sur la diversité ethnique (mis sur pied par Statistique Canada et Patrimoine Canada) en 2002 et 2003.

Résumé analytique

La clarté du concept de race demeure assez difficile à définir, tout comme la nature de ses liens avec les fondements du Code ontarien des droits de la personne, tels que la couleur de la peau, l’origine ethnique, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté. Dre Rummens définit ces termes et souligne comment les euphémismes d’identification, les approximations, les dérapages et les associations (conflations) soutiennent la discrimination raciale en tant que forme de négociation de l’identité.

Une version plus détaillée de cet exposé a été soumise pour une publication dans les journaux.

Les efforts que nous déployons pour examiner et juger les cas de racisme et les droits de la personne, de même que pour élaborer une politique en matière de discrimination raciale, sont coincés entre deux questions fondamentales. D’une part, quels fondements précis peuvent être utilisés pour déterminer s’il y a discrimination raciale ou non? D’autre part, comment pouvons-nous utiliser au mieux ces fondements pour déterminer si un traitement inéquitable s’est produit?

Au cœur même de cette impasse se trouve l’interrogation suivante: que signifie exactement le mot « race »? En d’autres termes, quelle est la nature du phénomène auquel nous faisons référence? À cette interrogation s’en greffe une autre: quels sont les liens entre la race et les divers fondements connexes – comme la couleur de la peau, l’origine ethnique, le lieu d’origine, l’ascendance, la croyance et la citoyenneté – également énumérés dans le Code? En somme, la problématique devient celle-ci: quels sont les différents types d’identification auxquels nous nous référons?; comment sont-ils interdépendants?; quels liens, c’est-à-dire quels chevauchements et quels recoupements, les unissent?

Les différents types d’identité

Les acteurs sociaux s’organisent en catégories et en groupes en utilisant un vaste éventail de critères d’identification qui classent les similitudes et les distinctions considérées comme socialement ou culturellement pertinentes. Une telle reconnaissance des ressemblances et des différences constitue la pierre angulaire de l’interaction sociale et le fondement non seulement de la quête de soi, mais aussi de la formation des groupes et de la démarcation des frontières. Les identifications conséquentes personnelles et sociales contribuent à façonner les possibilités, les expériences et les accomplissements dans la vie des individus.

Les critères d’identité spécifiques utilisés dans les processus d’identification varient d’une culture à l’autre et sont directement influencés par le contexte historique, sociétal, situationnel et interactionnel dans lequel ils apparaissent. On retrouve donc différents types d’identité (ou de critères d’identité) dans ces processus, chacun d’eux donnant lieu à un certain nombre d’identités spécifiques associées ou à des étiquettes d’identification. (Rummens 2004b, 2003, 1993; voir la Figure 1).

FIGURE 1

TYPES D’IDENTITÉ

 

IDENTITÉS SPÉCIFIQUES

  • sexe

®      home, femme

  • àge

®      enfant, adolescent, adulte, aîné

  • classe socioéconomique

®      inférieure, moyenne, supérieure

  • orientation sexuelle

®      homosexuelle, hétérosexuelle, bisexuelle, transsexuelle

  • aptitude / déficience

®      apte / inapte physiquement ou mentalement

  • culturelle

®      haïtienne, coréenne, canadienne, etc.

  • ethnique

®      italo-canadienne, etc.

  • « raciale »

®      « noire », « asiatique », « blanche »

  • religieuse

®      chrétienne, musulmane, juive

  • linguistique

®      francophone, anglophone

  • territoriale

®      québécoise, canadienne de l’Ouest

  • autochtone / arrivant

®      autochtone, immigrant, réfugié

 

 

 

Bien que ces différents types d’identité soient clairement distincts comme concepts, ils peuvent en pratique se chevaucher ou même se recouper à la fois pour les groupes et les individus (Ibid. 2004b, 2003). On dit que les identités se chevauchent quand il n’existe pas d’effet interactif significatif entre elles (voir la Figure 2). Des identités se recoupent lorsque des effets interactifs entre elles peuvent être clairement identifiés (voir la Figure 3).

FIGURE 2 - Chevauchement d’identités

Chevauchement d’identitésIdentité linguistique – Identité nationale – Identité religieuse – canadienne – anglophone – chrétienne

 

FIGURE 3 -  Recoupement d’identités

 

Recoupement d’identitésIdentité territoriale – Identité linguistique – Identité religieuse – Identité « raciale » – Québec – francophone – blanche – chrétienne

La race, la couleur de la peau, l’origine ethnique, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté sont tous des types différents d’identité. Certains de ces types en chevauchent d’autres, alors que d’autres types d’identité se recoupent ou recoupent des statuts minoritaires.

La race est un type d’identité fondé sur l’apparence physique qui est utilisé pour construire un système subjectif de classification sociale visuelle. Lorsqu’elle est exprimée en tant qu’identité spécifique, la race fait référence au résultat final d’une identification personnelle ou sociale basée sur des critères biologiques observables sous la forme de traits physiques ou d’indicateurs génétiques de caractéristiques physiques particulières. Frances Henry et al. définissent la race comme étant « une catégorie utilisée pour classifier le genre humain selon une ascendance commune reposant sur une différenciation par des caractéristiques physiques comme la couleur de la peau, la texture des cheveux, la stature et des traits faciaux » (1995: 328). Evelyn Kallen indique que toute définition scientifique de la race doit inclure deux éléments importants: « En premier lieu, la race fait référence à une catégorie sociale arbitraire (et non à un groupe social) », et, « en second lieu, ces catégorisations raciales [subjectives] sont basées uniquement sur des différences biologiques [perçues] entre des populations humaines (et non sur des différences culturelles) » (1995: 19; c’est nous qui soulignons).

Ainsi, un groupe racial est essentiellement une distinction catégorielle reposant sur un seul critère d’identité (la race) considéré comme socialement pertinent dans une société donnée. Il importe de noter que les scientifiques n’ont pas trouvé une validité biologique pour le concept de catégorie raciale ayant des fondements génétiques. Il existe une plus grande variabilité génétique dans des populations soi-disant «raciales» qu’entre ces mêmes populations. Malgré cela, il demeure un fait social établi que les gens agissent comme si les différences dans l’apparence physique chez des individus et des groupes étaient une manière significative de séparer les individus et les groupes sociaux les uns des autres dans leurs interactions sociales.

La couleur, comme la race, est un type d’identité fondé sur des références à l’apparence physique, dans ce cas précis à la couleur de la peau. Elle peut être utilisée pour désigner une combinaison particulière de teintes et de gradations provenant d’un ensemble de nuances considérées comme socialement marquantes. Des combinaisons particulières peuvent varier en importance selon le contexte historique, sociétal, situationnel et interactionnel dans lequel l’identification prend racines. À ce titre, la couleur identifie facilement le recoupement des notions de race en tant que fondement de l’identification à la fois personnelle et sociale (voir la Figure 4).

Figure 4 - Recoupement de la race et de la couleur

Recoupement de la race et de la couleurIdentité raciale – Identité par la couleur

Pour bien comprendre ce qu’on entend par origine ethnique, il est nécessaire de définir en premier lieu la culture, puis le statut minoritaire. La culture désigne l’ensemble des croyances, des valeurs, des connaissances, des traditions, des systèmes de symboles et de la façon de vivre partagés par un groupe de personnes. Elle est renforcée à travers l’interaction sociale, transmise d’une génération à l’autre, et les changements qui surviennt au fil des ans. Le statut minoritaire fait référence à une position désavantageuse, caractérisée par un accès inéquitable à des ressources sociales limitées comme la richesse, le pouvoir et le prestige. Cette désignation est utilisée par opposition au terme statut majoritaire (ou majorité dominante). Ces termes ne font pas référence, comme on le pense souvent, à des nombres relatifs, mais plutôt à la dynamique du pouvoir et à l’accès différentiel connexe aux principales ressources et récompenses. Le statut minoritaire peut reposer sur une variété de critères, comme le sexe, le statut socioéconomique, la race et la culture. L’origine ethnique est donc un type d’identité défini par le recoupement d’une pratique ou d’une affiliation culturelle et du statut minoritaire (voir la Figure 5).

FIGURE 5 -  Origine ethnique = culture + statut minoritaire

Origine ethnique = culture + statut minoritaireIdentité culturelle – minorités ethniques – statut minoritaire

Le lieu d’origine est un type d’identité fondé sur la géographie qui cherche à classer les individus selon l’endroit dans le monde d’où ils proviennent. En conséquence, des identités spécifiques associées reflètent largement les désignations nationales ou régionales. Parmi les indices qui témoignent du lieu d’origine d’un individu, mentionnons l’apparence physique, la langue, les pratiques culturelles et les observances religieuses. Plus souvent qu’autrement, ils comportent des combinaisons spécifiques. Cette identification chevauche facilement – et parfois recoupe – des identités raciales, linguistiques, culturelles et religieuses (voir la Figure 6). La plupart du temps, le lieu d’origine désigne le « lieu de naissance » – considéré comme étant le pays – et il s’exprime donc communément, mais non exclusivement, en termes de « première nationalité ».

FIGURE 6 - Lieu d’origine       

Identité nationale – Identité (basée sur le pays) – Identité régionaleIdentité culturelle – Identité linguistique – Identité raciale – Identité religieuse

L’ascendance est un type d’identité généalogique qui sert à classer des individus selon les antécédents culturels ou raciaux de leurs parents ou de leurs grands-parents. Cette identification est axée sur une continuité générationnelle. Des identifications spécifiques peuvent refléter des identités culturelles, ethniques, nationales, linguistiques, raciales, religieuses ou propres au lieu d’origine. Dans ce cas, le critère d’identité particulier utilisé doit nécessairement être articulé (voir la Figure 7). L’ascendance est donc une identification qui repose explicitement sur les identifications sociales ou personnelles des ancêtres des individus désignés.

FIGURE 7 -  Ascendance

Ascendance – religieuse – culturelle – linguistique – raciale – nationale – lieu d’origine

La croyance désigne à la fois un ensemble de croyances, de valeurs, de rites et de pratiques, et leur association objective ou leur affiliation subjective. Dans son essence, la croyance est une identification religieuse ou spirituelle. Ce terme est plutôt inclusif: il va bien au-delà des traditions religieuses formellement établies pour inclure même toute absence de référence religieuse, et il regroupe des expressions à la fois personnelles et collectives (voir la Figure 8). En bref, la croyance est un type d’identité qui repose sur une association ressentie ou exprimée avec un système de croyances facilement identifiable.

Figure 8 - Croyance

CroyanceIdentité religieuse

Enfin, la citoyenneté désigne une identité fondée sur une allégeance commune et une responsabilité à l’égard d’une entité sociopolitique semi-autonome particulière qui possède une certaine souveraineté sur un territoire donné. La plupart du temps, une telle identification civique est associée à un pays en particulier, bien qu’elle puisse s’articuler aux niveaux régional, provincial, municipal ou local. Quand elles s’appliquent dans le contexte d’une société en particulier, les références à la citoyenneté peuvent, en outre, être utilisées pour déterminer simplement la présence ou l’absence du statut de citoyenneté d’un individu donné. À ce titre, elle sert à distinguer les citoyens appartenant à la majorité et les non-citoyens minoritaires à l’intérieur de ce contexte social, réaffirmant ainsi de manière frappante les différences de statuts existantes et les allocations de ressources connexes (voir la Figure 9).

FIGURE 9 - Identité civique

Identité civiqueIdentité nationaleStatut minoritaire

Le racisme en tant que forme de négociation de l’identité

Bien que la clarté conceptuelle soit essentielle à une compréhension plus nette du phénomène de la discrimination, il est aussi important d’examiner ces processus d’identification dans la pratique. D’ores et déjà, l’accent est souvent mis sur le développement ou la formation de l’identité – « qui fait référence aux processus de développement cognitif qu’applique chaque individu à mesure qu’il acquiert de la maturité, qu’il analyse sa place dans l’univers et qu’il développe un sens unique du moi » (Rummens, 2003). Mais il importe également de considérer l’émergence de l’identité et la négociation de l’identité. L’émergence ou la construction de l’identité désigne « la création, la formulation et l’expression d’identités personnelles ou sociales pour le moi et par des individus ou des groupes »; la négociation de l’identité « fait référence à la nature politique de l’identification sociale de soi ou d’autrui entre les groupes, par eux ou parmi eux, par l’entremise des interactions des individus. (Ibid.)

La discrimination raciale est un exemple de négociation de l’identité. Le raisonnement logique fonctionne comme suit: « tu es différent, tu n’es pas l’un de nous; donc, tu n’as pas les mêmes droits et les mêmes responsabilités que nous ». Cet argument de base contrôle efficacement l’accès aux récompenses sociales limitées, incluant ainsi le pouvoir, la richesse, les possibilités et le prestige. En termes de processus d’identité, nous avons affaire à l’établissement d’identités limitatives plutôt qu’à des identifications à la culture hôte. En fait, la discrimination est un traitement inéquitable fondé sur un terrain particulier énuméré dans la législation sur les droits de la personne. De plus, elle est un mécanisme très efficace orienté sur une exclusion sociale, économique ou politique. Une exclusion efficace est l’objectif; l’identification, l’outil; et la discrimination, le résultat final.

En réalité, il existe de nombreuses façons de différencier efficacement les individus et les groupes. La race et ses divers fondements connexes identifiés dans le Code ontarien des droits de la personne sont chacun un type d’identité qui peut être utilisé. Mais il y a d’autres possibilités, comme le sexe, le statut socioéconomique, etc. Chacun de ces divers critères d’identité peut être choisi pour inclure ou exclure efficacement des individus ou des groupes sociaux particuliers.

Les euphémismes, les approximations et les dérapages

Il existe aussi des techniques de négociation spécifiques.

La race et la couleur sont des concepts hautement stigmatisés. À ce titre, la plupart des individus sont bien conscients qu’ils ne peuvent pas facilement utiliser ces concepts ou des identifications connexes, même si, en pratique, il est évident que des gens continuent de juger les autres au moyen de critères fondés sur des attributs physiques. Pour cette raison, des fondements connexes comme le lieu d’origine, l’ascendance, la citoyenneté (à la fois la nationalité et le statut de citoyen) sont régulièrement utilisés comme étant des référents plus « neutres » et, donc, plus acceptables. Cela est possible, parce que ces fondements connexes sont souvent étroitement liés à des différences physiques. Bien qu’ils soient distincts au plan conceptuel en tant qu’identités qui se chevauchent, ces fondements se recoupent facilement en pratique.

Le même phénomène peut survenir aussi bien avec d’autres types d’identité. Par exemple, le lieu d’origine, l’ascendance, la citoyenneté ou la nationalité deviennent souvent des euphémismes ou des approximations qui visent à déterminer ou attribuer une croyance ou une identité religieuse. De même, le lieu d’origine et la citoyenneté peuvent servir d’euphémismes pour un non-Canadien. De tels euphémismes comportent l’utilisation d’un terme socialement plus acceptable, dans lequel une autre signification est en fait visée. En revanche, les approximations impliquent l’utilisation d’une désignation particulière pour estimer une autre désignation, la définir en termes généraux ou la remplacer.

Les identifications peuvent aussi « déraper » à partir d’une identification spécifique à une autre ou d’un statut à un autre, même à travers différents types d’identité. Ainsi, par exemple, alors que la race et la culture se chevauchent au plan conceptuel, leur recoupement et les recoupements séparés avec le statut minoritaire permettent, en pratique, de nombreux « dérapages » possibles. En bref, puisqu’elle croise le statut minoritaire, la race permet un dérapage à partir de la race à l’origine ethnique sur la base d’une désignation minoritaire commune; un second dérapage à partir de l’origine ethnique à la culture relie subséquemment les doubles recoupements et deux identités (voir la Figure 10). Un tel dérapage peut simplement être conceptuel par nature; il peut aussi être une démarche stratégique en tant que partie intégrante de la négociation de l’identité.

Figure 10 - Statut minoritaire

dentité culturelle – Identité raciale – Identité religieuse – Identité linguistiqueminorités ethniques – minorités raciales – minorités religieuses – minorités linguistiques

Liens communs et associations d’identités

Les euphémismes, les approximations et les dérapages ne s’excluent pas mutuellement. Au contraire, ils se renforcent et se soutiennent facilement les uns les autres. Plus souvent qu’autrement, ils présentent simplement différentes solutions de rechange à la négociation de l’identité. Dans chaque cas, l’intention demeure la même, à savoir localiser un lien commun entre deux types d’identité ou de statut. Il faut noter les trois niveaux et les degrés croissants de recoupements théoriquement possibles entre les identifications raciales, culturelles et religieuses, d’une part, et le statut minoritaire, d’autre part.

  • race et statut minoritaire
  • culture et statut minoritaire
  • religion et statut minoritaire
  • [race plus culture] et statut minoritaire
  • [race plus religion] et statut minoritaire
  • [culture plus religion] et statut minoritaire
  • [race plus culture plus religion] et statut minoritaire

Ce sont de tels liens communs qui permettent les dérapages d’identification les plus efficaces. Dans d’autres cas, deux types d’identification sont simplement associés (conflated). C’est ce qu’on retrouve le plus souvent dans les exemples où, théoriquement, des identités distinctes se chevauchent largement, en particulier lorsqu’elles sont articulées comme identifications spécifiques. La race et la culture sont souvent erronément associées de cette manière. Cela se produit quand, en pratique, les identifications spécifiques respectives associées à deux types différents d’identité ou plus se chevauchent (particulièrement si les mêmes termes sont utilisés), comme c’est le cas pour des individus provenant de sociétés plus traditionnellement « homogènes » (par exemple, la société japonaise ou coréenne). Une association similaire peut aussi survenir entre des identités « raciales » et religieuses se chevauchent: la plupart des Arabes, mais pas tous, sont musulmans; la plupart des individus de race blanche, mais pas tous, sont chrétiens.

En bref, quand nous examinons les liens entre la race et chacun de ses fondements connexes – la couleur, l’origine ethnique, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance et la citoyenneté – nous parlons en réalité des chevauchements qui existent entre ces différents types d’identité, des recoupements possibles entre eux et des recoupements communs avec le statut minoritaire. Quand nous examinons des exemples de discrimination raciale alléguée, il est particulièrement important, d’une part, de noter que la race et chacun de ses fondements connexes peuvent tous facilement recouper le statut minoritaire, et, d’autre part, de considérer la possibilité de multiples statuts minoritaires.

Vers des solutions possibles

Ces chevauchements, ces recoupements et ces techniques de négociation de l’identité se combinent et font en sorte qu’il est difficile d’établir clairement que la race ou la couleur constitue le fondement d’un traitement discriminatoire inéquitable allégué. Ce défi existe principalement en raison de la prégnance sociale continue qui s’étend à des permutations particulières de certains traits physiques visibles (la peau, les cheveux, la couleur des yeux, la forme et la taille relatives de caractéristiques physiques) dans l’interaction sociale, malgré la nature hautement stigmatisée de critères semblables comme fondement d’une classification sociale. Au contraire, les « fondements connexes » comme la culture et la religion reflètent des valeurs réelles, des croyances, des idées, des traditions qui ont le plus de chances de se refléter dans des pratiques réelles ou des comportements associés. Les modèles de comportements sont beaucoup plus faciles à vérifier et plus socialement acceptables comme fondement d’une différenciation sociale entre des individus et des groupes. De même, les fondements connexes, comme l’ascendance, le lieu d’origine, la « nationalité » et la citoyenneté, sont en revanche plus susceptibles d’être reliés à des faits démontrables et, donc, plus neutres et moins réfutables dans les discours sociaux.

Compte tenu de ces réalités, il importe d’utiliser une perspective intersectionnelle et multidimensionnelle (voir Rummens, 2003) comme outil pour aller au-delà de l’approche actuelle à fondement unique dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’application d’une politique en matière de droits de la personne, même en fonctionnant « à l’intérieur » d’un seul fondement protégé comme la race. Il est essentiel de s’assurer que tous les fondements applicables – principaux, connexes et autres – sont inclus à des fins d’examen, d’enquête et de prise de décisions. La race et chacun de ses fondements connexes doivent être soupesés de manière égale; la possibilité de multiples fondements connexes doit être examinée; et les autres fondements énumérés doivent être considérés en parallèle. Aussi, les divers chevauchements et recoupements parmi la race, ses fondements connexes et les autres fondements protégés en vertu du Code doivent être pleinement explorés et pris en considération. De tels efforts sont essentiels à toute tentative d’établir les fondements d’une discrimination alléguée reposant sur la race et de déterminer des liens possibles entre l’oppression raciale et d’autres formes ou fondements de l’oppression. L’objectif doit être de déterminer les fondements suffisants, qu’ils soient déterminés séparément ou en combinaison avec un ou plusieurs autres fondements connexes. Bien que certains dossiers relatifs aux droits de la personne puissent comporter plus d’un fondement protégé, il n’en demeure pas moins qu’un seul fondement connexe devrait suffire à examiner des cas de violations alléguées des droits de la personne reposant sur des identifications raciales.

Les incidents présumés de discrimination raciale n’ont pas à être rattachés à un schéma de classification sociale hautement stigmatisé et scientifiquement discrédité. La race, la couleur, l’ascendance, le lieu d’origine, la croyance ou la religion, la citoyenneté ou la nationalité sont tous et de manière égale des fondements interdits de discrimination. Nul ne doit conclure que le comportement discriminatoire repose strictement sur la race ou la couleur, en particulier puisque le racisme voilé ne s’exprime pas facilement dans des termes, mais utilise plutôt des approximations, des euphémismes, des dérapages à travers des liens communs et des associations dans toute la mesure du possible. Est-il vraiment important que nous établissions qu’un traitement inéquitable s’est produit sur la base d’une telle notion hautement informe, socialement stigmatisée et scientifiquement erronée comme la race, alors qu’un traitement inéquitable ayant un fondement connexe a le même effet recherché? Indépendamment du fondement particulier utilisé ou articulé dans son expression, le traitement inéquitable qui rabaisse la dignité inhérente à l’individu racialisé et qui restreint ses droits d’accès aux ressources sociales – ce traitement demeure. En nous servant de la logistique légaliste pour faire correspondre des fondements et des actes préjudiciables, c’est précisément cela que nous devons nous rappeler.

Références

Guidelines and Recommendations for Dealing with Race Cases from Intake to Board of Inquiry. Ontario Human Rights Commission (Commission ontarienne des droits de la personne), 1994.

Frances Henry, Carol Tator, Winston Mattis et Tim Rees. The Colour of Democracy: Racism in Canadian Society. Toronto: Harcourt, Brace & Company, 1995.

Kallen, Evelyn. Ethnicity and Human Rights in Canada. Toronto: Oxford University Press, 1995.

Ontario Human Rights Code. http://www.ohrc.on.ca/english/code/index.shtml

Ontario Human Rights Commission – Year End Results 2003-2004. 27 juillet 2004. http://www.ohrc.on.ca/english/publications/year-end-results_6.shtml

Rummens, Joanna Anneke. « Identity and Diversity: Overlaps, Intersections and Processes. » Canadian Ethnic Studies. Special Issue: Intersections of Diversity, Vol. 35, No. 3, 2003:10-25

Rummens, Joanna Anneke. « Intersectionality. » Canadian Diversity/Diversité Canadienne. Hiver 2004a: 3-4.

Rummens, Joanna Anneke. « Operationalizing Diversity Intersections: Race and its Related Grounds in Human Rights Policy. » Race Policy Dialogues Conference Paper, 2004c. [Soumise pour publication].

Rummens, Joanna Anneke. « Overlapping and Intersecting Identities. » Canadian Diversity/Diversité Canadienne. Hiver 2004b: 5-9.

Rummens, Joanna Anneke. Personal Identity and Social Structure in Sint Maarten/Saint Martin: A Plural Identities Approach. Toronto: Département de sociologie, Université York, thèse de doctorat, 1993.

Sangha, Dave et Kwong-Leung Tang. « Race Discrimination and Human Rights Process. » Exposé présenté à la Canadian Critical Race Conference, Université de la Colombie-Britannique, Canada, 2 mai 2003.

Y a-t-il des barrières raciales à l’accès aux professions et aux métiers par les immigrants formés à l’étranger en Ontario?

Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par John Samuel, Doctorat

Introduction

John Ibbitson, écrivain pour le Globe and Mail, affirma que les immigrants sont « l’élément vital de notre économie et de notre société » (Globe and Mail, 20/08/04, p. A4). Le trois quarts des immigrants aux Canada proviennent de pays en voie de développement et de minorités visibles. C’est ainsi que cette courte dissertation tentera de répondre à la question suivante : « Y a-t-il des barrières raciales à l’accès aux professions et aux métiers pour les immigrants formés à l’étranger en Ontario? »

Les politiques reliées à l’accès aux professions et aux métiers par les immigrants formés à l’étranger ne font pas spécifiquement référence à la race en tant que critère. En effet, si nous penchons sur la définition stricte de la race, c’est-à-dire entre autre la couleur de la peau, nous pouvons alors constater qu’il n’y a effectivement pas de barrières raciales à l’accès aux professions et aux métiers par les professionnels formés à l’étranger. Cependant, la problématique des barrières raciales est en fait complexe et politique et présente de nombreux aspects. De plus, l’efficacité d’une politique se retrouve non seulement dans la politique elle-même, mais aussi dans les pratiques. Pour répondre à la question que nous avons posée, nous allons donc examiner les organismes suivants, ainsi que les pratiques de ceux-ci : le gouvernement fédéral, 2) le gouvernement de l’Ontario, 3) les agences d’accréditation et 4) les immigrants pratiquant des professions et des métiers et qui furent formés à l’étranger. 

Le gouvernement fédéral

Le gouvernement fédéral est le principal responsable de l’admittance des immigrants au Canada, bien qu’il consulte avec les provinces concernant certains aspects comme le taux d’immigration. Il est bien connu que le Canada n’a jamais officiellement eu une politique d’immigration de «les blancs seulement » comme l’Australie. Cependant, c’est également bien connu que ce qui manquait dans la politique officielle était instauré dans les pratiques, comme la pratique de l’impôt de capitation pour les Chinois et comme le refus des immigrants noirs provenant des Caraïbes sous prétexte que l’hiver canadien serait trop pénible pour eux. 

De telles pratiques ont continuées jusqu’à présent. De plus, deux autres exemples peuvent être mentionnées :

a) Les bureaux d’immigration à l’étranger

Après que la politique d’immigration « non discriminatoire » et « universelle » fut instaurée de manière informelle par le gouvernement progressif conservateur en 1962 et de manière formelle par le gouvernement libéral en 1967, il devint évident que le racisme était un facteur réel. En effet, le Canada disposait de sept bureaux d’immigration au Royaume-Uni, tandis que la Chine et l’Inde ne disposaient que d’un bureau chaque. Ceci limitait sérieusement l’accès des citoyens de ces pays au processus d’immigration du Canada. 

b) Le personnel des bureaux d’immigration

Étant donné que souvent le gouvernement canadien n’allouait qu’un nombre limité de personnel aux bureaux d’immigration de certains pays, un système officieux de quotas non déclarés continua d’exister concernant les immigrants de minorités visibles. C’est ainsi que le nombre de personnel de traitement de l’immigration des bureaux de certains pays déterminait le quota non officiel. Pour certains pays les applications d’immigration pouvaient prendre jusqu’à deux ou trois années, tandis que pour d’autres pays celles-ci ne prenaient que six mois. 

C’est à ce point-ci que l’on pourrait se demander : quel est le lien entre les pratiques d’immigration et l’accréditation? En fait, le lien est significatif. L’attitude adoptée envers l’accréditation devint similaire quand la grande majorité des immigrants commencèrent à arriver des sources non traditionnelles d’immigration. 

Le gouvernement fédéral affirma de nombreuses fois que l’accréditation est une problématique qui doit être gérée par les provinces et leurs agences de réglementation. Techniquement, cette affirmation est vraie. Mais qu’en est-il des politiques et des pratiques reliées à la santé? Ne sont-elles pas aussi la prérogative des provinces? Pourtant, la Loi canadienne sur la santé a permit au gouvernement fédéral d’intervenir de façon massive pour offrir des services de santé aux canadiens. Bien que les provinces fournissent des services de santé, le gouvernement fédéral assume une grande part des dépenses. Une telle situation se reflétait aussi pour le cas de l’accréditation. L’approche utilisée par le gouvernement fédéral était de se désister du processus d’accréditation sous le prétexte que ceci était la juridiction des provinces.

De plus, bien qu’en pratique le gouvernement fédéral n’intervenait pas formellement dans les affaires d’accréditation, en 1968 le gouvernement accorda un contrat à l’Association des Universités et Collèges du Canada (AUCC) pour développer « Lignes directrices pour l’équivalence canadienne des diplômes de l’Inde, du Pakistan, de la Corée, des Philippines et des Républiques Arabes » (AUCC, 1969). Cette initiative sans précédant fut adoptée suite à une croissance de l’immigration provenant de ces pays. Un rapport fut reçu par le gouvernement l’année suivante. Il est important de noter que de telles études n’étaient pas du tout courantes pour les pays d’Europe de l’Est même si des rapports indiquaient que les diplômes provenant de l’Europe de l’Est étaient inférieurs aux diplômes canadiens. 

Le gouvernement ontarien

L’approche du gouvernement ontarien vis-à-vis l’immigration n’était pas bien différente de celle du gouvernement fédéral. Le mieux que l’Ontario put faire fut de mener une série d’études à partir de 1987, lorsque Ontario Cabinet Committe on Race Relations demanda à ABT Associates d’examiner la problématique d’accréditation pour les professions et les métiers. Il semblerait qu’il y ait une prise de conscience qu’il s’agissait d’une problématique de relations interraciales dès 1987.

ABT Associates détermina que les barrières systémiques existantes étaient de nature administratives, économiques et culturelles. Il fut révélé que les critères d’entrée résidaient principalement avec des organismes de certification et que ces critères avaient un effet négatif sur les membres de groupes de minorités ethniques.

En 1988, le Task Force on Access to Professions and Tades in Ontario fut engagé et un rapport fut complété l’année suivante. Le Rapport d’Accès exigeait l’instauration d’un plan qui établirait « un service d’évaluation des titres académiques sans préjugé et compréhensif » (Ministère de la Citoyenneté, la Culture et la Récréation, 1998 :1).

Le rapport sur l’accès détermina que « l’obligation principale des organismes occupationnels sont de protéger l’intérêt public concernant la santé, la sécurité et le bien-être » (Task Force on Access to Professions and Tades in Ontario, 1989 :xii). En remplissant cette obligation, « ces organismes occupationnels doivent considérer (…) le respect des droits à l’égalité d’opportunité et des droits au traitement égalitaire sans discrimination injuste (…)». (Ibid). 

Depuis 1989, différents gouvernements provenant de trois inclinaisons politiques entrèrent en fonction en Ontario. Mais aucun d’entre eux ne s’intéressèrent particulièrement à l’amélioration de l’accessibilité des professions et des métiers par les immigrants formés à l’étranger. En fait, presque tous les gouvernements de l’Ontario de cette période se préoccupèrent de tenter de réduire le taux d’immigrants. 

Par après cependant, le gouvernement ontarien établit le corps expéditionnaire Access to Professions and Trades, qui travaille en partenariat avec des employeurs, des organismes occupationnels de réglementation, des institutions éducationnelles, des agences communautaires au service d’immigrants et autres agences gouvernementales, pour faire la promotion d’un enregistrement et de pratiques en emploi plus justes et basés sur le mérite. Malheureusement, leur budget et leurs initiatives demeurèrent très limités. 

En mai 1998, un rapport intitulé Foreign Academic Credentials Assessement Services Business Assessment : Final Report fut publié. Ce rapport fit une analyse de l’offre et de la demande et identifia les lacunes entre les deux. L’analyse de la demande identifia les critères de différents dépositaires d’enjeux qui avaient besoin de l’évaluation de qualifications, tels que des employeurs, des institutions éducationnelles, des organismes occupationnels de réglementation et des professionnels formés à l’étranger. L’analyse de l’offre examina les services, les politiques et les procédures d’évaluation de qualifications déjà existants en Ontario, au Canada et aux États-unis. Ceci mena à une analyse des options possibles concernant les lacunes face à une « évaluation des qualifications étrangères qui est exacte, juste, crédible et consistante ». (Ministère de la Formation, des Collèges et des Universités, 1998 :iii).

Le gouvernement de l’Ontario annonça en mai 2000, avec l’assistance de World Education Services basé a New York, qu’un « service d’évaluation des qualifications académiques de haute qualité sera fourni aux employeurs, aux institutions académiques, aux organismes occupationnels de réglementations, aux agences de formation privées et aux agences personnelles ». Ce service d’évaluation mesurerait les qualifications étrangères de niveau secondaire et post-secondaire de professionnels et les compareraient avec les standards de l’Ontario. (Ministère de la Formation, des Collèges et des Universités, Nouvelle Parution, mars 2000).

D’autres projets de partenariat furent élaborés, comme le développement d’outils d’entraînement de terminologie et d’évaluation de soi, qui peuvent être adaptés pour être utilisés dans diverses professions. Ces outils peuvent comparer les aptitudes et les connaissances d’une personne aux exigences de l’Ontario ainsi qu’identifier les lacunes. Le corps expéditionnaire Access to Professions and Trades supporte aussi des projets qui font la promotion de d’une évaluation des apprentissages antérieurs pour déterminer les connaissances et les expertises des gens. Le ministère de la Formation, des Collèges et des Universités doit faire de la recherche concernant les problématiques de l’accès aux professions et aux métiers, incluant l’étude de ce qui aide ou de ce qui entrave les immigrants cherchant à accéder à leur profession ou à leur métier en Ontario. (Cependant, cette étude ne semble pas être disponible au public). 

Comme nous l’avons observé, il eu amplement d’études contenant des recommandations en Ontario. Le sujet fut étudié à fond. Le manque fut en fait au niveau de l’action. Il semblerait qu’il y ait un manque de volonté pour agir de la part des institutions au pouvoir. La facilitation de l’intégration des professionnels immigrants au marché du travail est un problème plus large que la simple reconnaissance de leurs qualifications. L’on pourrait se demander si la situation aurait été semblable si la majorité des immigrants provenait de l’Europe.

Le sujet est un problème qui fut renvoyé d’un côté et de l’autre entre les provinces, Ottawa et les organismes de réglementation, pendant que ceux-ci se blâment mutuellement. L’Ontario blâme Ottawa pour avoir laissé entrer les immigrants et accuse les organismes de réglementation d’être trop flexible. Ottawa blâme l’Ontario pour ne pas s’être occupé du problème de manière rapide et judicieuse. Quant aux organismes de réglementation, ceux-ci blâment Ottawa et les provinces pour quoi que ce soit.

L’Ontario s’est beaucoup traîné les pieds concernant l’accès aux professions et aux métiers par les immigrants formés à l’étranger. Même en Alberta, la province soit disant « conservatrice », les recommandations d’un rapport portant sur des problèmes similaires fut rapidement mises en action en 1992 et étaient pour la plupart appliquées deux ans plus part. Comparons ceci avec l’Ontario, la province soit disant « progressiste », où 11 années s’écoulèrent (de 1989 à 2000) avant que les recommandations des rapports soient partiellement exécutées. 

Le cas des médecins et des chirurgiens est le parfait exemple du gaspillage de l’expertise humaine des immigrants. Puisque l’entrée au Canada était refusée pour ces immigrants, la plupart d’entre eux n’arrivèrent pas au Canada en tant qu’immigrants indépendants (grâce au gouvernement fédéral et à l’Association médicale canadienne), mais plutôt en tant que conjoints/conjointes. 

Lorsque le taux d’immigration était à son plus bas au milieu des années quatre-vingts (environ 85 mille comparé au niveau actuel qui est environ 220 mille), il fut reporté qu’un groupe de députés provinciaux affirma qu’à tout moment environ 700 diplômés provenant d’institutions médicales étrangères cherchent des stages—et de ceux-ci, 400 en Ontario. (McDale, 1987). Malgré ceci, l’Ontario limita l’attribution de licences aux diplômés d’études médicales à l’étranger de 323 en 1985 à 24 par année après 1989 (Basaran et Zong, 1998 :19). En 1996, l’Ontario garantit une position de stage à tous les diplômés d’études médicales. Cependant, il n’y avait que 24 positions de stages pour environ 500 médecins formés à l’étranger qui avaient réussis les examens exigés par le Canada. (Ibid : 8). 

D’après un rapport récent (India Abroad, 11 août 2000, p. 39), il y a environ 456 ouvertures pour des pratiquants de médecine générale parmi 108 communautés en Ontario. En même temps, il y a plusieurs centaines de médecins qui ne peuvent pratiquer leur profession en Ontario. Même s’ils réussissent les examens exigés, ils ne peuvent pas suffisamment trouver de positions de stages. Pourtant, il semblerait que le gouvernement de l’Ontario a l’intention de renforcer le programme intitulé International Medical Graduate Program à l’Université de Toronto en augmentant les positions de 24 à 36. Plusieurs autres provinces ont entrepris des démarches pour augmenter la rapidité du processus d’accréditation pour les médecins formés à l’étranger. Mais pas l’Ontario, qui est la province la plus riche et qui a grand besoin de médecins pour sauver des vies tandis que ses médecins formés à l’étranger conduisent des taxis pour subsister. 

L’histoire de l’engagement de l’Ontario dans la reconnaissance des qualifications académiques étrangères ne fut pas mieux qu’une charade. Les différents gouvernements ontariens n’abordèrent le problème qu’en paroles. Conséquemment des milliers d’immigrants qualifiés qui arrivèrent en Ontario furent complètement frustrés tandis que leurs habiletés et leurs aptitudes demeuraient inutilisées. Il fut estimé que quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux sont des membres de minorités visibles. L’Ontario, qui attire les mieux qualifiés et les mieux instruits des immigrants, ne fait que gaspiller leurs talents et leurs connaissances. Les mesures qui ont été instaurées jusqu’à présent pour remédier le problème furent mises en pratique à contrecoeur et furent à peine efficace. 

Les agences d’accréditation

Il y a en environ 38 agences d’accréditation en Ontario. Aucune d’entre elles n’ont des politiques qui dictent explicitement d’exclure les membres de minorités visibles de l’accès au marché du travail canadien. Un comité de réglementation de l’accès en Ontario a complété un rapport de recherche et un condensé sur les professions et les métiers prometteurs de 2003. La difficulté de financement des programmes de rapprochement et des placements d’emplois, la méfiance des employeurs face à de l’expérience de travail acquise à l’extérieur du Canada et le manque d’opportunités d’élaboration de réseaux comparé aux diplômés canadiens sont quelques uns des problèmes énumérés dans ce rapport. 

Concernant l’initiative de rapprochement, le ministère de la Formation et des Collèges et des Universités de l’Ontario a alloué la somme de 19 millions de dollars pour une période de quatre ans, ce qui donne en fait moins de 5 millions par année. Les sous financement est un des problèmes majeurs du gouvernement de l’Ontario vis-à-vis le sujet. Comparons donc ceci avec l’énormité du vrai problème.

Durant la période de 1991-2000, plus de 2 millions d’immigrants seraient entrés au Canada. Parmi ceux-ci, au moins 1 050 000 étaient en Ontario. En se basant sur la proportion de « travailleurs intentionnels » (ce qui est toujours sous-estimé puisque plusieurs immigrants changent d’idées et se trouvent un travail après être arrivés en Ontario et après qu’ils aient pris connaissance du coût de la vie élevé dans cette province), environ 571 000 étaient des travailleurs intentionnels. Parmi ceux-ci 73 000 pratiquaient des occupations professionnelles. (Mata et Samuel, 2000).

Les immigrants pratiquant des professions et métiers et étant formés à l’étranger

Les suggestions suivantes furent élaborées suite à une discussion avec plusieurs agences au service d’immigrants et avec des individus qui ont fait l’expérience du processus d’accréditation des qualifications étrangères :

i) Les professions et métiers ne sont pas inclusifs

Les professions et les métiers préféreraient que l’accès à ceux-ci demeure restreint dans le but que leurs membres continuent de jouir d’un salaire plus élevé. Ceci est particulièrement vrai pour les professions tel que les chirurgiens, les médecins, les dentistes et les vétérinaires. 

Les procédures d’accès peuvent sembler non discriminatoires si elles ne consistent que d’examens écrits. Mais quant aux entrevues et aux obtentions de positions de stages, les membres de minorités visibles sont nettement désavantagés puisque jusqu’à récemment les comités d’entrevues n’étaient pas composés de membres de minorités visibles. Plusieurs évaluations des systèmes d’embauche de différents départements fédéraux (comme le Bureau du Conseil Privé, le ministère de la Justice, l’Agence canadienne de développement international, Industrie Canada, la Commission de la fonction publique, Ressources naturelles Canada, le ministère des Finances, le ministère de l’Environnement, etc.) démontrent que les minorités visibles ne sont pas considérées de manière égale si elles ne sont pas représentées dans les comités de sélection et si ceux qui conduisent les entrevues ne sont pas formés en techniques d’entrevues non discriminatoires. 

ii) Les tensions dans les relations interraciales

Comme l’observa Mata et Samuel, « le manque d’accréditation des professionnels formés à l’étranger a sans aucun doute un impact négatif sur l’état des relations interraciales au Canada. Lorsque l’accès à des professions ou à des métiers est refusé à un grand nombre d’individus d’une origine ethnique particulière, une accumulation de tensions sociales entre certains groupes ou individus ainsi qu’une aliénation collective et une perception généralisée de ‘discrimination institutionnelle’ se font sentir dans la société ». (Mata et Samuel, 2000). 

Le blocage d’accréditation imposé à des professionnels formés à l’étranger a aussi un effet de détérioration sur les jeunes des groupes de minorités dont les parents furent formés à l’étranger. « Ceci limite les chances que ces professionnels provenant de minorités ethniques puissent servir en tant que modèles pour les générations à venir ». (Hall, 1975).

Une étude portant sur 404 professionnels immigrants indiens et chinois résidant dans la région de Vancouver révéla que seulement 18% d’entre eux travaillaient dans leur domaine professionnel au Canada au moment de l’étude. (Basran et Zong, 1997). Seulement 6% d’entre eux étaient de l’opinion que le gouvernement provincial avait fait une juste reconnaissance de leurs qualifications étrangères. Lorsqu’ils furent questionnés sur les sources possibles de la discrimination dans le processus d’accréditation, 65% d’entre eux ont répondu que la discrimination était causée par la couleur de la peau ou par l’origine ethnique et 79% ont répondu qu’elle était due à leur incapacité de parler l’Anglais. La situation est similaire en Ontario. 

iii) Les groupes de pression

Les réponses collectives les plus typiques au blocage d’accréditation imposé par les organismes de réglementation firent la formation de groupes de pression de professionnels immigrants, surtout parmi les médecins et les chirurgiens de l’Ontario. La distinction entre les écoles de médecine « accréditées » et « non accréditées » est perçue par les médecins professionnels immigrants comme une forme de discrimination qui entrave les droits à l’égalité de la section 15 dans la Charte canadienne des droits et libertés. 

Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) ne considère comme études internationales acceptables que les diplômes d’études supérieures provenant d’établissements similaires tels ceux du Royaume-Uni, de l’Irlande, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et de Singapore. Les diplômes d’études supérieures obtenus dans d’autres pays ne conviennent pas aux critères du CRMCC ou sont considérés comme étant « peu concluants ». 

Une des inquiétudes exprimée par le CRMCC est « l’habilité de communiquer efficacement avec les autres pratiquants du système de santé et de communiquer avec compassion avec les patients ». (Association of International Physicians and Surgeons of Ontario, 2003). Les programmes de rapprochement que le gouvernement de l’Ontario a introduit pourraient aussi aider à ce sujet. 

De plus, des entrevues furent tenues en Ontario avec neufs diplômés de différentes disciplines qui furent formés dans des pays en voie de développement. Tous sauf un de ces diplômés considèrent qu’ils sont exclus de l’accréditation due à la présence de traces de racisme dans les pratiques de certains organismes d’accréditation. Les vétérinaires et les dentistes seraient particulièrement affectés par ceci. Les vétérinaires interviewés affirmèrent qu’il y a un « sentiment d’exclusion important » ressenti par les diplômés de pays en voie de développement étant donné que les positions de stages sont très limitées et qu’il est très rare que des membres de minorités visibles soient propriétaires de cliniques pour animaux. Ils insistent que leur manque d’expérience et de culture canadienne les empêchent d’obtenir des positions de stages même lorsqu’ils offrent leurs services gratuitement. La majorité d’entre eux affirment que « l’origine ethnique vient jouer un rôle quelque part » dans le processus d’accréditation. 

Les personnes interviewées mentionnèrent aussi les problèmes financiers dans lesquels elles se retrouvent si elles tentent d’obtenir l’accréditation professionnelle. Ces problèmes sont aussi présents dans le cas suivant. Dans une lettre attentionnée à l’éditeur du journal The Kingston Whig-Standard (le 6 juillet 2004), un dentiste formé à l’étranger, marié avec quatre enfants, dont le salaire est 9.15$ par heure et qui donc survit sous le seuil de pauvreté, demande : « Pourquoi les dentistes formés à l’étranger sont-ils traités comme des citoyens de troisième classe dans mon pays, le Canada? Il semblerait qu’il y a de la discrimination envers les dentistes formés à l’étranger qui veulent continuer dans leur profession». Lorsque environ 90% d’entre eux proviennent de pays en voie de développement, il est naturel de considérer l’origine ethnique comme étant la cause principale de cette situation. 

Un rapport préparé sur le sujet par la Fondation canadienne des relations raciales conclut qu’un «des importants obstacles à l’équité est la difficulté d’éradiquer les différentes formes de discrimination, qui sont d’ailleurs difficiles à quantifier, surtout aux niveaux systémiques et aux niveaux personnels. Dans ce cas-ci, la discrimination raciale dans l’environnement de travail est en processus de devenir plus subtile—elle est souvent décrite comme étant ‘quelque chose de caché’ ». (Conseil canadien de développement social, L’accès inégal, 2003, p. 37-38).

Conclusion

Si les immigrants sont vraiment l’élément vital de notre économie et de notre société, il est crucial de ne pas négliger cet élément. Pour ceci toutes les agences engagées dans le processus d’accréditation ont un rôle à jouer. Le gouvernement fédéral pourrait fournir un financement aux provinces qui les encourageraient à offrir des positions de stages dans certaines professions pour faciliter le cheminement des professionnels comme les médecins, les dentistes et les vétérinaires. L’amélioration du système de santé par la réduction du temps d’attente serait aussi facilitée si le CRMCC recevait du financement pour qu’il puisse déterminer où sont les lacunes existant dans les aspects cliniques et éducationnels et dans les aspects reliés à la communication de la formation provenant de pays en voie de développement—formation que le CRMCC qualifie de « peu concluant ». En fait il ne serait pas nécessaire de couvrir tous ces pays en même temps. Puisque qu’il possède une liste des pays desquels proviennent les médecins immigrants, le CRMCC pourrait débuter avec les trois ou quatre premiers pays pour ensuite couvrir éventuellement la totalité de la liste. Puisque le gouvernement fédéral est celui qui a initié cette tendance d’évaluation négative de l’accréditation en 1968, il a une obligation morale de corriger cette tendance.

De plus, le gouvernement ontarien pourrait allouer des fonds de financement pour des positions de stages pour de tels candidats. Les initiatives de rapprochement qui ont déjà été entamées pourraient être développées de manière supplémentaire. 

Les deux niveaux de gouvernement pourraient initier un programme similaire au programme d’emprunts étudiants qui pourrait être utilisé comme un fond de rotation pour de l’assistance à l’accréditation des immigrants. 

Les agences d’accréditation pourraient être réglementées elles-mêmes si elles ne démontrent pas de progrès envers une attribution d’accréditation équitable. La recherche de ces agences pour des critères « d’expérience canadienne » ne pourrait qu’être un euphémisme pour du racisme. Il serait nécessaire d’étudier le sujet plus profondément pour déterminer comment de telles pratiques pourraient être évitées.

Selon un article dans le Globe and Mail (16 août, 2004), la Cour suprême du Canada a récemment émis une décision qui a attiré l’attention d’observateurs. Cependant, la décision rend aussi possible « pour des membres du public de poursuivre en justice et d’obtenir des dédommagements des sociétés juridiques (…) qui ne traitent pas de manière ponctuelle des allégations de mauvaise conduite envers des avocats ». (Ibid). Lorne Sossin, professeur de droit à l’Université de Toronto et expert en lois administratives et en litige civile, affirme que : « les ramifications de ceci sont assez étendues. Elles n’affectent pas seulement les sociétés juridiques, mais affectent aussi tous les organismes professionnels dont le mandat est la protection des intérêts du public ».

Bibliographie

ABT Associates of Canada, Access to Trades and Professions in Ontario, Toronto, 1987

Association of International Physicians & Surgeons of Ontario, 
2003, Issues of Concern Regarding Language/Communications Assessment, Toronto.

Association of Universities and Colleges of Canada 
1969, A Report to the Department of Employment and Immigration (by Katherine Snyder with the collaboration of David G. Fish and Frederick J. Tatalow), Ottawa.

Basram,G.S. and Zong,L. 
1998, Devaluation of Foreign Credentials as Perceived by Visible Minority Immigrants in Canada?, Canadian Ethnic Studies, XXX (3): 6-23.

Canadian Council on Social Development 
2003, Unequal Access, Ottawa.

Hall, Richard H. 
1975, Occupations and the Social Structure, New Jersey: Prentice-Hall Inc.

Government of Alberta
1992, Bridging the Gap: A Report of the Task Force on the Recognition of Foreign Qualifications, Edmonton: Professions and Occupations Bureau.

Government of Ontario: Task Force on Access to Professions and Trades in Ontario 1989,
Access, Peter A. Cummings Chair, Toronto: Ontario Ministry of Citizenship.

Mata, Fernando and John Samuel
2000, Recognition of Foreign Professional Qualifications with Special Reference to Ontario, Ottawa.

McDade, Kathryn, Barriers to Recognition of the Credentials of Immigrants to Canada, Institute
for Research on Public Policy, Ottawa, 1987.

Ministry of Citizenship Culture and Recreation, Foreign Academic Credentials Assessment
Services Business Assessment: Final Report
, 1998.

Ministry of Citizenship, Culture and Recreation, Task Force Report on Access to Trades and
Professions
, Toronto, 1989.

La discrimination raciale et la santé mentale: les communautés racialisées et autochtones

Publication : Décembre 2004

par Kwasi Kafele

Kwasi Kafele est présentement directeur de la diversité corporative au Centre de toxicomanie et de santé mentale, à Toronto. Au cours des 25 dernières années, il a été bénévole et a travaillé dans le secteur de la justice sociale, des droits de la personne et de l’égalité dans différentes communautés de Toronto. Il a été formateur, chercheur et organisateur communautaire. Il détient une maîtrise en études environnementales de l’Université York, ainsi qu’un certificat en leadership pour le cadre de direction de l’École de gestion Joseph L. Rotman de l’Université de Toronto.

Résumé analytique

Dans cet article, Kwasi Kafele indique que de nombreuses inégalités sociales et économiques ont des effets négatifs sur la santé mentale des membres des groupes racialisés et des communautés autochtones. En outre, il examine comment le racisme influe sur la santé mentale et entrave sérieusement la disponibilité des services de santé mentale appropriés pour ces populations.

Beaucoup d’études confirment qu’un des résultats cumulatifs des inégalités sociales, de la discrimination raciale systémique, du sexisme, de la pauvreté et de la marginalisation des Autochtones et des membres des groupes racialisés, incluant les immigrants et les réfugiés, est l’effet débilitant sur la santé mentale des membres de ces communautés, y compris l’effet multidimensionnel des intersections de la pauvreté, de la race, du sexe et de l’orientation sexuelle (Across Boundaries: 1997; Surgeon General’s Report: 1999; Report of the Canadian Task Force, 1988; Rapport sur la Commission royale sur les peuples autochtones: 1999; Krieger: 199l).

La pauvreté et les conditions qui lui sont associées tels que le chômage, le sous-emploi, les emplois mal rémunérés, le manque d’instruction et l’itinérance, sont plus répandues, croissantes et persistantes au Canada, quand elles sont reliées à la race (Galabuzi: 2001). Des facteurs socioéconomiques, comme des taux élevés de pauvreté, de faibles niveaux d’instruction, des possibilités d’emploi limitées, des logements inhabitables, de même que des lacunes dans la qualité de l’eau et l’hygiène, ont aussi des répercussions sur un nombre anormalement élevé d’Autochtones.

Selon de nombreuses études (Across Boundaries: 1997, Surgeon General’s Report: 1999; Cummings: 1993, Fernando: 1991), certaines des préoccupations de santé mentale au sein des groupes racialisés et des communautés autochtones incluent celles-ci:

  • Des niveaux élevés d’anxiété, de stress et de maladies causées par le stress, comme l’hypertension artérielle, les maladies coronariennes et des troubles neurologiques.
  • Des risques plus élevés de dépression et de suicide.
  • Des états de détresse, le désespoir, la peur, la méfiance, l’aliénation et la perte de contrôle.
  • La perte de l’estime de soi, des risques plus élevés de toxicomanie et de violence.

Par ailleurs, les Autochtones ont de nombreux problèmes de santé mentale qui ont été bien documentés (Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1999; Kirmayer et al, 1994). Des taux extrêmement élevés de suicide, d’abus d’alcool et d’autres drogues, de violence et de démoralisation ont des liens avec l’histoire des déplacements territoriaux, l’oppression, la marginalisation, les bouleversements sociaux et culturels qui définissent considérablement la réalité autochtone (Richardson, 1991; Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1999). Certaines études portant sur des Autochtones qui s’étaient suicidés ont indiqué qu’il y avait présence d’alcool dans le sang de 90 % de ces personnes. Des dommages au cerveau ou des psychoses paranoïdes résultant de l’utilisation chronique de solvants ont été rapportés comme étant des facteurs importants de suicide chez les jeunes (Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1999).

Des écarts dans les services

La culture, qu’on définit largement comme étant un ensemble de visions du monde, de systèmes de croyances, de valeurs et de comportements, influence divers aspects de la maladie mentale et de la santé mentale. Elle a des effets sur la manière dont des personnes cherchent de l’aide et communiquent, la manifestation de certains symptômes, les mécanismes d’adaptation, ainsi que sur les rôles du soutien familial et du soutien communautaire. Cependant, un historique de discrimination raciale, d’exclusion sociale et de pauvreté peut se combiner à une peur et une méfiance pour décourager des membres de groupes racialisés et de communautés autochtones d’avoir accès à des services et d’obtenir des soins culturellement appropriés.

Bien que des membres de groupes racialisés et de communautés autochtones aient des besoins et des problèmes de santé mentale extrêmement graves et qu’ils requièrent une attention particulière, peu de services psychiatriques portent spécifiquement sur la recherche, les soins cliniques, les programmes, les changements organisationnels, la promotion de la santé et la collaboration communautaire pour indiquer un savoir-faire culturel, une compréhension ou une sensibilisation de manière systémique.[1]

Dans un système psychiatrique qui est encore eurocentrique[2] en ce qui concerne les valeurs, la vision du monde et la pratique, il existe des défis systémiques à relever à chaque étape de l’interaction mettant en présence des individus issus de groupes racialisés ou de communautés autochtones.

De récentes conférences sur la santé mentale et des communautés racialisées (Kafele: 2003; Hong Fook: 2000), de même qu’une importante étude communautaire (Building Bridges, Breaking Barriers: 2003), ont présenté en détail des préoccupations en ce qui concerne le manque d’accès, l’accès peu culturellement approprié, les services et le manque d’engagements pris pour effecteur des changements organisationnels significatifs en cette matière.

La majorité des membres de ces communautés ne connaissent pas les principaux services de santé mentale. Peu de programmes fournissent un soutien clinique culturellement approprié qui reflète les besoins et les problèmes particuliers des différentes communautés.

On trouve également peu de membres de groupes racialisés dans des postes de direction ou de décision qui peuvent avoir une incidence sur les changements organisationnels majeurs requis pour mieux adapter le système aux diverses cultures. Un rapport du Centre de toxicomanie et de santé mentale, publié en 2000[3], a identifié le racisme (à l’égard des employés et des patients) comme étant un des défis les plus importants qui se posent au centre.

Des preuves empiriques recueillies en Ontario indiquent que des hommes immigrants pauvres appartenant à des groupes racialisés représentent un nombre anormalement élevé de patients dans notre système judiciaire psychiatrique. Selon Across Boundaries (1996a), le fait de ne pas diagnostiquer et traiter efficacement des membres de groupes racialisés et de communautés autochtones augmente les coûts des services de santé en raison de visites répétées à des centres de santé et d’hospitalisations non nécessaires. Des coûts, reliés à une absence de motivation, une baisse de productivité, un roulement du personnel, des périodes de non-activités et des relations publiques inadéquates, peuvent aussi augmenter. Tout cet argent ne peut pas être orienté vers la prestation de services directs.

Des obstacles systémiques à des services équitables

Problèmes institutionnels:

Souvent, les institutions psychiatriques ne reconnaissent pas pleinement le racisme comme un problème systémique dans la culture organisationnelle, les ressources humaines, les services cliniques, la recherche et les partenariats communautaires. Cette non-reconnaissance fait partie d’un problème plus large, soit le manque de stratégies, de ressources et de plans cohérents et complets pour aborder les questions d’accès et d’égalité sur la base d’un engagement sérieux. Ce problème se reflète dans une culture de rejet et d’évitement. Par exemple, les plaintes de racisme alléguées par des employés issus de groupes racialisés contre des patients de race blanche sont souvent considérées de manière anecdotique comme des problèmes persistants, mais elles sont largement négligées. Aussi, les effectifs aux plus hauts niveaux de la prise de décisions ne sont habituellement pas représentatifs de la grande diversité des communautés.

Accès:

Selon l’étude Building Bridges, Breaking Barriers (2003), de nombreux problèmes influent sur l’accès équitable aux services de santé mentale pour les membres de groupes racialisés, dont ceux-ci:

  • Des information disponibles seulement en anglais et en français.
  • Peu d’initiatives d’approche culturellement appropriées ou de promotion de services auprès des communautés racialisées ou autochtones.
  • Peu de relations d’aiguillage avec des organismes communautaires.
  • Des emplacements problématiques.
  • Un manque de sensibilisation à l’égard des besoins et des problèmes communautaires dans les principales institutions.

Ces problèmes aggravent non seulement les relations entre les institutions et les communautés, mais ils créent aussi un plus grand fardeau en ce qui concerne la prestation des services pour les organismes communautaires qui disposent de ressources limitées.

Accueil, évaluations et diagnostics

Le profilage racial, les suppositions et les stéréotypes à caractère racial en psychiatrie sont souvent considérés comme des facteurs déterminants dans l’accueil, les évaluations, les diagnostics et les mauvais diagnostics (c’est-à-dire les surévaluations et les sous-estimations diagnostiques). Des traitements non appropriés peuvent être fournis en raison d’étiquettes d’identification erronées (Fernando, 1991; Wilson 1997; Bui, 2002). Parfois, dans certains groupes, il peut y avoir une recherche d’aide ou des interventions reportées inutilement sur de longues périodes. Par exemple, l’utilisation d’instruments culturellement non appropriés par des cliniciens lors de l’accueil et des taux très élevés de diagnostics de schizophrénie chez des membres de communautés racialisées sont des problèmes couramment identifiés par les défenseurs d’une santé mentale antiraciste.

Planification de traitements et traitements

Bien que de nombreux fournisseurs de services de première ligne en santé mentale aient divers antécédents, la question de la sensibilisation aux cultures reste un défi de taille, étant donné le peu d’expérience en formation clinique disponible dans les milieux culturellement diversifiés, le manque d’outils et de normes de compétence rigoureuses, ainsi que les relations inégales et souvent médiocres avec diverses communautés. Parmi ces lacunes, mentionnons les suivantes:

  • Personnel non sensible aux réalités culturelles ou raciales.
  • Services de traitement souvent non culturellement appropriés ou pertinents.
  • Difficulté d’organiser des services de counseling, de thérapie familiale et d’ergothérapie.
  • Risques d’une plus grande médication.
  • Médication plus souvent administrée par voie intramusculaire.

Promotion de la santé

Pour que des stratégies et des initiatives de promotion de la santé non racistes soient efficaces au sein des communautés racialisées ou autochtones, elles doivent impliquer des membres de ces groupes à chacune de leurs étapes. Les priorités en matière de promotion de la santé doivent être considérées dans le contexte du développement communautaire, favoriser la résilience et la capacité, la promotion de la santé mentale, des partenariats équitables et un leadership local. Cela pose un défi particulier à la plupart des principaux organismes où le racisme n’est pas identifié comme un problème important, où il n’existe pas de processus pour identifier des questions spécifiques de santé mentale dans différentes communautés racialisées et autochtones, et où le racisme n’est pas reconnu comme étant un facteur déterminant de la santé.

Recherche

Il est de plus en plus accepté que la recherche en santé mentale doit être généralement plus inclusive, responsable et pertinente. Elle doit aussi être plus délibérément liée aux besoins cliniques, en général comme dans les cas particuliers reliés au racisme. (Bui, 2002; Fernando, 2003). Au Canada, il existe une piètre recherche tant sur la santé mentale que sur le racisme. Certains défis spécifiques se posent en matière de recherche, dont ceux-ci:

  • L’orientation de la recherche est généralement eurocentrique.
  • La recherche en santé mentale est souvent axée sur la race, et non sur le racisme.
  • Les méthodologies utilisées ne tiennent pas souvent compte des cultures et des effets du racisme.
  • Les données sont supposées être « exemptes de valeurs » et « objectives ».
  • Les groupes racialisés et les communautés autochtones interviennent peu ou n’interviennent pas dans l’identification des problèmes, la formulation des questions, la conception des instruments, une collaboration significative, le transfert de connaissances ou le renforcement de la capacité.

Combler les écarts dans les services psychiatriques

Voici certaines mesures que le système de santé mentale pour les communautés autochtones et racialisées doit mettre en place pour résoudre les problèmes de disparité dans les services:

  • Élaborer une stratégie provinciale essentiellement axée sur l’amélioration des résultats en santé mentale pour les communautés racialisées et autochtones.
  • Dans les institutions de santé mentale, mettre davantage l’accent sur des changements organisationnels antiracistes à la fois complets (par exemple, en ressources humaines, favoriser l’égalité dans l’embauche, le travail clinique, les partenariats, l’affectation des ressources, le soutien informatique, etc.), transparents et responsables. Cela inclut des mesures dynamiques d’égalité en matière d’emploi qui ciblent le personnel clinique et les gestionnaires « culturellement compétents » issus de communautés racialisées et autochtones.
  • Assurer une surveillance et une évaluation constantes des besoins en santé mentale des personnes les plus vulnérables dans ces communautés, soit les pauvres, les femmes, les jeunes, les enfants et les personnes âgées.
  • Préconiser une recherche plus respectueuse, culturellement appropriée, équitable, inclusive, participative (qui regroupe des membres de communautés racialisées et autochtones impliqués à chacune de ses étapes), axée sur le renforcement communautaire et le transfert de nouvelles connaissances, qui résulte en de meilleurs soins de santé mentale pour tous.
  • Fournir des soins cliniques compétents et culturellement appropriés qui intègrent:
    des normes non racistes et non oppressives, ainsi qu’une responsabilité à l’égard du rendement clinique;
    l’utilisation d’intervenants qui soutiennent l’interprétation culturelle et améliorent la prestation des services, là où la langue pose un problème;
    l’acceptation de soins complémentaires ou de remplacement comme possibilités légitimes et appropriées qui s’offrent aux patients.
  • Fournir des services qui reflètent pleinement les besoins et les attentes de la communauté.
  • Établir des stratégies innovatrices de promotion de la santé qui reflètent le besoin d’aborder des problèmes, comme les stigmates et la honte en matière de maladie mentale, qui touchent les groupes racialisés et les communautés autochtones.
  • Garantir un accès au moyen de partenariats les plus efficaces qui soient et une collaboration avec des organismes communautaires, des organisations et des intervenants majeurs.
  • Affirmer un vigoureux leadership sectoriel en s’opposant au racisme dans les services psychiatriques, les programmes, la recherche et l’élaboration de politiques publiques.
  • Instaurer de meilleurs systèmes de promotion de l’intérêt public pour contrer les effets dévastateurs de la pauvreté et du racisme sur la santé mentale de la communauté.
  • S’engager à intégrer pleinement et soigneusement les systèmes de santé mentale en tenant compte du vaste éventail de possibilités pour embaucher des membres de communautés racialisées et autochtones.

Droits de la personne, santé mentale et race

Le cadre stratégique de la Commission ontarienne des droits de la personne doit s’assurer que les questions d’accès à des soins de santé et de santé mentale équitables et culturellement appropriés sont clairement identifiées comme étant prioritaires. Une telle politique devrait aborder les préoccupations des individus les plus vulnérables afin d’assurer des soins adéquats et une protection des droits de la personne aux patients institutionnalisés, y compris ceux ayant des problèmes de santé mentale les plus graves. À cet égard, les approches suivantes sont recommandées:

  • Les lignes directrices relatives à la prestation des services doivent être rigoureuses et exprimer clairement des attentes reliées à des problèmes comme l’accès aux soins et le savoir-faire culturel dans les soins cliniques. Des normes de savoir-faire culturel doivent être définies.
  • Le cadre stratégique pourrait inclure la responsabilité de la prestation de services équitables dans le contexte de la sécurité des patients et de la gestion des risques.
  • Ce cadre pourrait aussi examiner comment les leviers stratégiques propres au système assurent une responsabilité significative et une transparence pour les établissements de santé, en abordant le problème du racisme, aussi bien dans la prestation des services que dans la recherche, et en travaillant avec les communautés. Beaucoup de questions pourraient être prises en considération, comme les obligations et les critères relatifs au financement de la recherche, la procédure d’accréditation qui pourrait inclure des paramètres d’égalité et d’antiracisme, une harmonisation des lignes directrices provinciales en matière de financement, etc.
  • Finalement, des lignes directrices et des exemples devraient identifier clairement ce qui constitue des soins médiocres et inéquitables, ainsi que des soins excellents (y compris des références et des modèles de pratiques exemplaires) pour fournir aux institutions des attentes et des références claires.

Conclusion

En raison des disparités et de la discrimination raciale qui existent dans les services de santé mentale, un nombre anormalement élevé de membres de groupes racialisés et de populations autochtones aux prises avec des problèmes de santé mentale ne bénéficient pas pleinement des possibilités et de la prospérité dans notre société, pas plus qu’ils n’y contribuent. Des lacunes dans le système de santé mentale, qui pourraient être évitées, nous affectent tous et exigent un accroissement des redevances sociales et économiques.

Bibliographie

1. Across Boundaries. The Healing Journey, Across Boundaries, Toronto, 1996a

2. Across Boundaries. A Guide to Anti-Racist Organizational Change in the Health and Mental Health Sector. Across Boundaries, Toronto, 1997

3. Bui, K. Racism and Mental Health; Jessica Kingsley, London. 2002

4. Building Bridges. Breaking Barriers Access Project, Final Report (pp. 2- 42). Toronto: Centre de toxicomanie et de santé mentale, 2003

5. Cummings, C.M., Robinson. A. M., Lopez, G. E. Perceptions of discrimination, psychosocial functioning and physical symptoms of African American women, 2003, in B. Blair & S.E. Cayleff (Eds), Wings of gauze: Women of colour and the experience of health and illness (pp. 53-67). Detroit, MI; Wayne State University Press.

6. Fernando, S. Mental Health, Race and Culture, Macmillan Press, London, 1991

7. _________ Cultural Diversity, Mental Health and Psychiatry: The Struggle Against Racism, Brunner-Routledge, London, 2003

8. Galabuzi, G.E. Canada’s Creeping Economic Apartheid. CSJ Foundation For Research and Education, Toronto, 2001

9. Hong Fook. Cultural Diversity and Mental Health: Families in Transition, Hong Fook Mental Health Association, Toronto, 2000

10. Kafele, K. Racism and Mental Wellness: African Canadians Reconnecting the Circle. A Community Report, Toronto, non publié, 2003

11. Kirmayer, L. J. Suicide attempts of Canadian Aboriginal peoples. Transcultural Psychiatric Review, 31: 3-45, 1994

12. Kreiger, N. Racial and gender discrimination: Risk factors for high blood pressure. Social Science and Medicine 30:1273–1281, 1990

13. Rapport du groupe canadien chargé d’étudier les problèmes de santé mentale des immigrants et des réfugiés. Puis, la porte s’est ouverte. Santé et Bien-être social Canada / Multiculturalisme et Citoyenneté Canada, Ottawa, 1998

14. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1999

15. Richardson, B. Strangers Devour the Land, Chelsea Green, Post Mills, VT, 1991

16. Surgeon General’s Report Mental Health: A Report of the Surgeon General’s Report, Overview of Risk Factors and Prevention, Department of Health and Human Services, Washington (D. C), 1999

17. Wilson, M. African-Caribbean and African people’s experiences in the UK mental health services. Mental Health Care 1 (3), pp. 88-90, 1997



[1] Un réseau de professionnels de la santé « sensibles à la diversité culturelle » a été créé en 2002 avec des experts de la santé autochtone et de la diversité pour élaborer des cadres de responsabilisation et d’antiracisme pour les institutions, en plus d’outils de changement organisationnel et des ressources visant à soutenir un travail clinique équitable et approprié aux clients membres de groupes racialisés et d’autres populations marginalisées.
[2] Le terme « eurocentrique » fait référence à une orientation axée sur une idéologie selon laquelle, implicitement ou explicitement, les valeurs, les suppositions et les visions du monde européennes ont généralement préséance sur toutes les autres. Cette idéologie se reflète dans les institutions occidentales (incluant le monde universitaire, la science, le droit, la médecine, la santé, les médias, la littérature, etc.), l’élaboration, la propriété et la diffusion des connaissances, ainsi que dans la culture populaire.
[3] Diversity Plan, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, 2000

 

L’inégalité raciale dans l’accès aux services de soins de santé

Publication : Décembre 2004

par Sana Halwani

Sana Halwani, qui a complété récemment un diplôme de droit à l’Université de Toronto, fait un stage chez Gilbert’s LLP, une firme de contentieux de Toronto. En 2005, elle sera assistante stagiaire de Mme Justice Rosalie Silberman Abella, juge de la Cour Suprême. Sana a produit cet article pour la Commission ontarienne des droits de la personne, en 2002, dans le cadre du programme Pro Bono Students Canada.

Résumé analytique

L’inégalité raciale dans le contexte des soins de santé est le plus souvent indirecte et systémique. Le présent article donne un aperçu de certaines facettes de ce problème, y compris les facteurs socioéconomiques, la sous-représentation des groupes racialisés dans la profession médicale, l’importance de la communication dans le secteur de la santé, la prestation de services de soins adaptés aux différences culturelles et la discrimination dans la prise de décisions cliniques et les résultats de santé.

Emmanuel Kant a écrit: « Nous ne voyons pas les choses comme elles sont, mais comme nous sommes ». Ses mots sont particulièrement pertinents lorsque nous évaluons l’accès aux services de soins de santé au Canada. Pour une personne née au Canada, de race blanche et issue de la classe moyenne, le système de soins de santé, bien qu’imparfait, fournit des services appropriés dans un contexte également approprié. Pour un membre d’une minorité visible, pour une personne qui ne parle aucune des deux langues officielles ou pour un nouvel immigrant, le système de soins de santé peut être une véritable course à obstacles.

La discrimination dans le contexte des soins de santé est le plus souvent indirecte et systémique. La discrimination indirecte survient quand « exactement les mêmes services sont fournis à tout le monde (de telle sorte qu’ils paraissent équitables) mais quand, pour des raisons culturelles, religieuses, linguistiques ou autres, il n’est pas possible pour les membres d’un ou de plusieurs groupes ethniques minoritaires d’en bénéficier également ».[1] Ainsi, ce qui peut sembler être un accès parfaitement équitable (un médecin dans une petite localité qui reçoit toutes les personnes qui se rendent à son cabinet) pourrait ne pas l’être (parce qu’il est un homme, ce médecin ne peut pas examiner des femmes musulmanes). Ces exemples montrent que le fait d’adopter « l’approche daltonienne », habituellement avec les meilleures intentions qui soient, et de traiter toutes les personnes de la même manière ne se traduit pas par un accès équitable.

En ayant cette toile de fond, le présent article est divisé en cinq parties: 1) le rôle des facteurs socioéconomiques; 2) la sous-représentation des groupes racialisés dans la profession médicale; 3) l’importance de la communication; 4) la prestation de services de soins adaptés aux différences culturelles; et 5) la prise de décisions cliniques et les résultats de santé.

Le rôle des facteurs socioéconomiques

Bien qu’il ne soit pas directement relié à la question de la discrimination raciale, comme de nombreuses études l’ont démontré, le statut socioéconomique joue un rôle important en tant que facteur déterminant de la santé. Pour cette raison, il ne devrait pas être négligé quand vient le temps d’analyser l’accès aux soins de santé. La race, l’origine ethnique ou le lieu d’origine ne sont pas nécessairement la cause fondamentale de l’inégalité et du niveau plus faible de la santé qui en découle. L’incidence du statut socioéconomique est manifeste dans une statistique produite par le Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population (CCSP). Interrogés au sujet de leur santé, « seulement 47 p. 100 des Canadiens qui se situent aux échelons de revenu inférieurs se disent en excellente ou en très bonne santé, contrairement à 73 p. 100 des Canadiens qui se situent aux échelons de revenu supérieurs ».[2] En outre, il semble que le statut socioéconomique influe sur la perception que les médecins ont de leurs patients: « La recherche a indiqué des problèmes de communication au sujet de tests cardiaques entre des médecins et leurs patients ayant un statut socioéconomique plus faible, et les médecins ont rapporté percevoir plus négativement leurs patients moins riches ou moins instruits que leurs autres patients ».[3] Ces perceptions négatives risquent d’avoir des répercussions sur la communication entre les médecins et leurs patients.

La diminution du pouvoir détenu dans la société est une composante des expériences vécues par les individus ayant un statut socioéconomique plus faible. « Les recherches montrent que le degré d’emprise que possèdent les gens dans diverses circonstances, en particulier dans les situations tendues, et leur capacité d’agir sont des facteurs clés influençant l’état de santé ».[4] De plus, le statut social peut avoir des répercussions sur la santé, même dans des segments de populations qui jouissent d’un bon niveau de vie et d’une sécurité d’emploi.[5] Des éléments stressants comme le racisme ou la discrimination pourraient également empêcher le renforcement de l’autonomie et se combiner à un état de détresse qui peut survenir, lorsque les individus sont confrontés à une discrimination systémique et non reconnue publiquement.

Le fait d’influer sur des expériences de pouvoir social, d’éducation et d’emploi, ainsi que le fait d’être influencé par de telles expériences jouent des rôles importants en tant que déterminants de la santé. « Les Canadiens qui éprouvent des difficultés à lire et à écrire sont plus susceptibles d’être pauvres et sans emploi, d’être en moins bonne santé et de mourir plus jeunes que les Canadiens dont la capacité de lire et d’écrire est élevée ».[6] De plus, « les personnes sans emploi ont une espérance de vie réduite et éprouvent beaucoup plus de problèmes de santé que celles qui travaillent »[7]

Enfin, la relation entre le statut socioéconomique et la santé peut être considérée comme cyclique. Le mauvais état de santé est une des principales raisons énoncées par les individus comme étant la cause de la pauvreté de leur ménage.[8] Ainsi, un statut socioéconomique peu élevé conduit à un état de santé qui pourrait être plus faible encore.

La sous-représentation des groupes racialisés dans la profession médicale

Les services fournis par le système public de soins de santé, de même que les modèles de prestation utilisés sont définis et mis en place par des administrateurs et des professionnels de la santé à l’intérieur de ce système. Lorsque des traitements doivent être inscrits sur une liste ou enlevés d’une liste, lorsque des règlements sont rédigés ou que des brochures d’informations sont produites, ce sont ces mêmes personnes qui peuvent mettre en évidence les ressources requises pour contrer l’inégalité dans l’accès aux soins. Toutefois, les problèmes ont peu de chances d’être abordés ou même identifiés, quand des groupes racialisés sont sous-représentés dans la profession.

Quoiqu’il ne soit pas une composante majeure du présent article, cet aspect de l’inégalité mériterait une plus grande exploration – pour laquelle deux points de départ seraient possibles. D’une part, l’affaire Chopra (Shiv Chopra c. la Commission canadienne des droits de la personne et le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) fournit une indication de l’ampleur de la discrimination en matière d’emploi dans le secteur des soins de santé. Cette cause fait référence à une décision, rendue en 1997 par un tribunal des droits de la personne, qui concluait que le ministère de la Santé avait fait preuve de discrimination contre ses employés membres de minorités raciales, en omettant de les promouvoir à des postes de niveau supérieur. D’autre part, les immigrants font face à des obstacles majeurs, quand ils tentent d’entrer dans des professions de la santé en raison des difficultés reliées aux transferts des titres de compétence.

L’importance de la communication

La question de la communication est essentielle à toute discussion sur l’accès aux soins de santé. Sans une bonne communication entre les professionnels des soins de santé et leurs patients, des erreurs peuvent être commises, des soins appropriés ne pas être dispensés et la confiance ne pas être établie. Deux aspects de la communication sont examinés ici: 1) la langue; et 2) la transmission de l’information et l’obtention d’un consentement éclairé.

A. Langue

Le manque de services dans les langues des minorités a constamment été un obstacle à l’accès à divers services sociaux, y compris les services de soins de santé.[9] Par exemple, la langue a été identifiée à la fois par des médecins et des groupes de discussions comme un obstacle au dépistage du cancer du sein pour les immigrants et les réfugiés tamouls.[10] Par ailleurs, des groupes de discussions dans la communauté arabe ont identifié un manque de fournisseurs de soins de santé parlant l’arabe et d’interprètes comme étant un obstacle majeur à leur accès aux soins de santé.[11]

Comme Pask et Yoshida l’ont souligné, « si un patient et un professionnel de la santé parlent des langues différentes, un interprète compétent devrait intervenir. Procéder sans les services d’un interprète ne démontre pas un grand respect du patient et n’est aucunement de nature à servir ses meilleurs intérêts ».[12] Malheureusement, le système judiciaire n’a pas statué clairement que des interprètes devraient accompagner les patients qui ne parlent ni l’anglais, ni le français. Bien qu’elle ait eu la possibilité de statuer sur cette question dans la cause Eldridge c. la Colombie-Britannique (Procureur général)[13], la Cour Suprême du Canada ne s’est pas prononcée, se contentant d’affirmer qu’il était purement spéculatif de soutenir que le gouvernement devait fournir des interprètes dans les langues des minorités et que la présence d’interprètes auprès des sourds pouvait être une « mesure d’aménagement raisonnable ».

B. La transmission de l’information et l’obtention d’un consentement éclairé

Comme l’écrit Hyman, « les différences interculturelles dans les modèles de recherche d’informations, les styles de communication, les perceptions des risques pour la santé et les opinions sur la prévention des maladies ont une incidence sur la santé. »[14] De plus, une communication efficace peut être diminuée par des barrières créées par les différences de statut et de culture entre un médecin et son patient. Un tel problème est manifestement aggravé par les obstacles linguistiques.[15] Aussi, puisque les individus ont appris des générations précédentes[16] comment se comporter lorsqu’ils sont malades, souffrants ou même en santé, si le professionnel de la santé n’est pas un membre de cette culture ou de cette communauté, il pourrait ne pas bien comprendre les symptômes du patient. Cette situation soulève la question des « modèles explicatifs ». Helman décrit ainsi le modèle explicatif du patient dans Culture Health and Illness: An Introduction for Health Professional:

[Ce modèle est] utilisé par des individus pour expliquer, organiser et gérer des épisodes particuliers d’un mieux-être diminué. Les consultations avec un médecin sont, en fait, des transactions entre des modèles explicatifs médical et profane d’une maladie particulière. Le contexte d’un modèle explicatif pourrait inclure l’organisation sociale et économique, ainsi que l’idéologie dominante (ou la religion) de la société dans laquelle l’individu est malade.[17] [Traduction libre]

Pour communiquer leurs souffrances aux autres, des membres de certains groupes culturels utilisent différents « langages de détresse ». Si un médecin est incapable de décoder ce langage verbal ou non verbal, il risque d’établir de mauvais diagnostics.[18] De tels problèmes de communication peuvent être aggravés par l’écart de pouvoir qui existe entre le patient et le médecin. Helman explique: « Le pouvoir investi dans le clinicien en vertu de ses connaissances et de sa formation peut lui permettre de façonner le modèle explicatif du patient pour l’intégrer au modèle médical de la maladie, au lieu de permettre l’émergence du point de vue du patient sur la maladie. »[19] Cette question est intimement liée à la prestation de services de soins adaptés aux différences culturelles, qui fera l’objet de la prochaine section.

Le consentement éclairé, l’un des aspects fondamentaux de la recherche clinique, peut également être compromis lorsque des obstacles linguistiques ou culturels sont présents. Dans une étude portant sur la qualité du consentement éclairé pour des essais cliniques reliés au cancer, « des notes de connaissances inférieures [la grille d’évaluation de la qualité du consentement éclairé] ont été associées à une absence d’éducation postsecondaire et à l’utilisation d’une langue autre que l’anglais à la maison ».[20] Dans cette étude, S. Joffe et ses collègues ont conclu que des efforts sont nécessaires pour s’assurer que le consentement des patients non anglophones est adéquatement éclairé. Ils ont aussi proposé un plus grand recours aux services d’interprètes, ainsi que la traduction de formulaires de consentement, au besoin.

La prestation de services de soins adaptés aux différences culturelles

Il vaut la peine de répéter que l’égalité de l’accès aux soins de santé n’est pas assurée par l’uniformité dans une société multiraciale. Ainsi, la prestation de services de soins de santé qui tient compte des différences culturelles demeure un objectif sérieux. Dans l’évaluation de notre sensibilisation aux réalités culturelles, nous devons voir si la prestation actuelle des services est équitable et, si elle ne l’est pas, voir comment elle pourrait l’être.

Dans son étude de certaines publications canadiennes, américaines, britanniques et australiennes, Reitz a constaté que des différences dans les modèles culturels de recherche d’aide et un manque de services ou de modes de prestation adaptés aux différences culturelles représentaient des obstacles à l’accès à des soins de santé ou à l’obtention d’avantages intégraux de ces soins.[21] Par ailleurs, en abordant la culture comme un déterminant de la santé, Santé Canada soutient que, dans un milieu largement déterminé par les valeurs de la culture dominante, certains groupes sont confrontés à des risques pour la santé qui proviennent en partie d’un manque d’accès à des services et à des soins de santé culturellement appropriés.[22] Ces études démontrent clairement que la prestation actuelle de soins de santé ne se traduit pas par un accès équitable aux membres de tous les groupes culturels.

Un thème qui revient constamment dans la documentation, ce sont les effets positifs auxquels un « match ethnique » entre le patient et le clinicien donne lieu en ce qui concerne l’accès aux soins de santé. Aux États-Unis, il a été démontré que, dans un centre de santé mentale, plus la proportion d’employés provenant d’une minorité est grande, plus le taux d’utilisation des services par cette minorité est élevé.[23] De plus, certaines études ont indiqué qu’un match ethnique entre le client et le fournisseur de soins accroît généralement l’utilisation du service et réduit les taux d’abandon.[24]

Pour contrer une telle inégalité, un certain nombre de solutions créatives ont été proposées, depuis des solutions simples et pratiques jusqu’à une révision complète du système. Sharda note que les améliorations à la qualité des soins peuvent commencer simplement avec « des informations multilingues, des travailleurs de liaison, des régimes appropriés et une approche interconfessionnelle en milieu hospitalier ».[25] D’un autre côté, Across Boundaries, un centre de santé mentale ethnoracial, préconise une « prestation de services antiracistes » pour s’assurer que « les fournisseurs reflètent les communautés et les connaissances sur les questions de race, de sexe, de pouvoir et de privilèges, que les gens de couleur participent à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation de ces services et que ces services répondent aux besoins des communautés de couleur ».[26]

La prise de décisions cliniques et les résultats de santé

Le plan de recherche stratégique des instituts nationaux de santé – National Institutes of Health (NIH) – intitulé Strategic Research Plan to Reduce and Ultimately Eliminate Health Disparities, souligne en quelques lignes les questions soulevées dans cette section et le présent article:

Il existe une preuve convaincante que les populations minoritaires aux États-Unis souffrent de l’accroissement des différences dans l’incidence, la prévalence, la mortalité, le fardeau des maladies et des autres effets néfastes pour la santé. Ces disparités incluent une espérance de vie plus courte, des taux plus élevés de maladies cardiovasculaires, de cancer, de mortalité infantile, d’anomalies congénitales, d’asthme, de diabète, d’accidents vasculaires cérébraux, de maladies transmissibles sexuellement, d’affections buccales et de troubles mentaux. Les facteurs contributifs incluent un accès réduit aux soins de santé, un risque accru de maladies et d’invalidités dues au travail ou à une exposition, à un risque accru de maladies dues à des facteurs biologiques, socioéconomiques, ethniques ou familiaux sous-jacents, à des valeurs culturelles et à l’éducation.[27][Traduction libre]

Beaucoup d’études montrent une différence dans la prise de décisions cliniques, et un nombre encore plus grand d’études indiquent une différence dans les résultats de santé au sein des minorités, en particulier les minorités visibles.

A. La prise de décisions cliniques

Certaines études ont indiqué des taux de chirurgie moins élevés dans les groupes racialisés, comparativement aux groupes non racialisés, de même que des différences dans la prestation de soins cliniques de base.

Dans une étude américaine portant sur l’utilisation de procédures cardiovasculaires, des vidéos d’acteurs, qui personnifient des patients parlant de leurs symptômes dans des interviews scénarisées, ont été présentés à des médecins pour éliminer des variables confusionnelles. Les chercheurs ont constaté que la race et le sexe d’un patient ont influé sur la manière dont les médecins ont géré les douleurs thoraciques.[28] De telles disparités sont apparues depuis des procédures chirurgicales jusqu’aux soins de base. En outre, Hargreaves a découvert que « les Noirs, les femmes et les pauvres ont moins de chances de recevoir des soins éprouvés et bon marché pour traiter un infarctus aigu du myocarde que les autres patients. »[29] Bien que cette étude soit américaine, ses résultats montrent que les médecins sont moins enclins à administrer des traitements éprouvés et peu dispendieux, même lorsque Medicare couvre leurs coûts. Toutefois, comme Geiger le souligne, dans presque tous les cas de disparité documentés, les différences dans le traitement ne reflètent pas un préjugé conscient.[30]

Des différences dans les diagnostics et les traitements pourraient aussi provenir d’un manque d’expérience avec des individus appartenant à des groupes minoritaires. Par exemple, l’identification de certains signes cliniques sur la peau (la jaunisse, la cyanose, la pâleur, les éruptions cutanées, les inflammations, les hémorragies), peut se révéler très difficile, si le patient a la peau foncée et que le médecin n’a été formé que pour reconnaître ces signes sur des peaux de couleur pâle.[31]

B. Les résultats de santé

La rapport du Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population (CCSP), intitulé Pour un avenir en santé – Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne, souligne un certain nombre de disparités au sein des Premières nations. Par exemple, le taux de mortalité infantile dans les Premières nations est deux fois plus élevé que celui de la population canadienne, et la prévalence des maladies chroniques majeures, dont le diabète et les maladies coronariennes, est beaucoup plus élevée dans les communautés autochtones.[32]

L’étude de Morehouse, Racial and Ethnic Differences in Access to Medical Care, résume les inégalités raciales et ethniques dans le cas de certaines maladies, même après avoir tenu compte de variables confusionnelles. Par exemple, entre 41 % et 73 % des Afro-Américains ont moins de chances de recevoir des médicaments pour le traitement du VIH/sida, même après avoir considéré des variables comme l’âge, le sexe, le mode de transmission du VIH, l’assurance, le lieu de résidence, le revenu et l’éducation.[33]

Les NIH soulignent certaines statistiques surprenantes. Par exemple, ils notent que, même en tenant compte de facteurs socioéconomiques, le taux de mortalité infantile est deux fois plus élevé parmi les Afro-Américains qu’au sein de la population blanche.[34] Comme dans l’étude de Morehouse, diverses maladies et conditions médicales sont abordées dans l’étude des NIH, mais elles ne sont pas soulignées ici. Bien que ces deux études soient américaines, et que de telles inégalités existent souvent pour des raisons reliées à l’assurance-maladie ou au niveau de revenu, nous pouvons inférer que les statistiques canadiennes sont similaires.

Conclusion

Les manifestations de l’inégalité dans le secteur de la santé sont généralement très subtiles. Le défi consiste alors à établir des distinctions entre tous les facteurs en cause dans les différences de santé parmi les minorités ethniques ou culturelles.

Quoique l’accès aux soins de santé pose des problèmes de discrimination subtile, il est souvent plus difficile de remédier à ces problèmes qu’à une discrimination déclarée. Comme Mock et Laufer l’affirment, « le racisme est systémique. Personnellement ou consciemment, l’individu ne peut rien contre le racisme institutionnel, mais, si rien n’est fait pour s’opposer au racisme, rien ne changera ».[35]


[1] A. Henley & J. Schott, Culture, Religion and Patient Care in a Multi-Ethnic Society: A Handbook for Professionals (London: Age Concern England, 1999), p. 47.
[2] Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population (CCSP), Pour un avenir en santé – Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne (Ottawa: Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 1999), p. ix
[3] A.M. Epstein & J.Z. Ayanian, « Racial disparities in medical care » (2001) 344:19 New England Journal of Medicine , pp. 1471-1472
[4] Santé Canada, Qu’est-ce qui influence notre santé? (2001) sur Internet: Santé Canada: http://www.phac-aspc.gc.ca/ph-sp/phdd/determinants/index.html
[5] Ibid. 
[6] CCSP, note 2 ci-dessus
[7] Santé Canada, note 4 ci-dessus
[8] G.-E. Galabuzi, Canada’s Creeping Economic Apartheid: The economic segregation and social marginalisation of racialized groups (Toronto: CSJ Foundation, 2001), p. 70
[9] J.G. Reitz, A Review of the Literature on Aspects of Ethno-Racial Access Utilization and Delivery of Social Services (1995), sur Internet: CERIS http://ceris.metropolis.net/frameset_e.html, p. 6.
[10] M. Meana et al., Report on CERIS-funded Study: Identifying Barriers and Incentives to Breast Cancer Screening in Tamil Immigrant Women 50 Years and Over (2000) sur Internet: http://ceris.metropolis.net/frameset_e.html
[11] L. Yuan et al., Health Status and Health Care Access for the Arab Community in Toronto: A Pilot Study to Assess Health Needs (2000) sur Internet: CERIS http://ceris.metropolis.net/frameset_e.html
[12] E.G. Pask & M. Yoshida, « General Health Issues throughout the Life Span » dans R. Masi, L. Menash, & K. A. McLeod, eds., Health and Cultures: Exploring the Relationships, vol. 2 (Oakville, ON: Mosaic Press, 1993) pp. 25-37
[13] [1997] 3 S.C.R. 624.
[14] I. Hyman, « Immigration et santé », Série de documents de travail sur la santé (Ottawa: Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2001), p. 111: http://www.hc-sc.gc.ca/iacb-dgiac/arad-draa/francais/dgdr/wpapers/fimigr...
[15] R. Jayaratnam, « The Need for Cultural Awareness » dans Access to Health Care for People from Black and Ethnic Minorities, (London: Royal College of Physicians of London, 1993) 11 à 13.
[16] Pask & Yoshida, note 12 ci-dessus (p. 36).
[17] C.G. Helman, Culture Health and Illness: An Introduction for Health Professionals, 3e ed. (London: Butterworth-Heinemann, 1994), p. 111
[18] Ibid. p. 135
[19] Ibid. p. 112
[20] S. Joffe, et al., « Quality of informed consent in cancer clinical trials: a cross-sectional survey » (2001) 358 (24 novembre) The Lancet 1 (p. 9)
[21] Reitz, note 9 ci-dessus (p.6)
[22] Santé Canada, note 4 ci-dessus.
[23] Reitz, note 9 ci-dessus (p.19); voir aussi Hyman, note 14 ci-dessus (p. 46).
[24] Ibid.
[25] A. Sharda, « Purchasing for the health of black and ethnic minority people: some theoretical considerations » dans Access to Health Care for People from Black and Ethnic Minorities (London: Royal College of Physicians of London, 1993) note 21 ci-dessus (p. 25)
[26] Across Boundaries, « Values and Beliefs » 2002) sur Internet: Across Boundaries Home Page http://www.acrossboundaries.ca/content.php?ID=49
[27] National Institutes of Health (NIH), Strategic Research Plan to Reduce and Ultimately Eliminate Health Disparities (Draft) (Washington, D.C.: U.S. Department of Health and Human Services, 2000), sur Internet: www.nih.gov/about/hd/strategicplan.pdf à 4.
[28] K.A. Schulman, et al., « The effect of race and sex on physicians’ recommendations for cardiac catheterization » (1999) 340:8 New England Journal of Medicine (p. 618).
[29] S. Hargreaves, « Inequalities in clinical decision making for low-cost treatments », (2000) 356 (12 août) The Lancet (p. 1)
[30] H.J. Geiger, « Racial stereotyping and medicine: the need for cultural competence » (2001) 164:12 Canadian Medical Association Journal (pp. 1699-1700)
[31] Henley & Schott, note 1 ci-dessus (pp. 129-130)
[32] ACPH, note 2 ci-dessus (p. xiv)
[33] Morehouse Medical Treatment and Effectiveness Center (MMEDTEC), A Synthesis of the Literature: Racial and Ethnic Differences in Access to Medical Care (Menlo Park, California: Henry J. Kaiser Family Foundation, 1999), sur Internet: Kaiser Family Foundation http://www.kff.org/minorityhealth/loader.cfm?url=/commonspot/security/ge..., p.2
[34] NIH, note 27 ci-dessus (p. 5)
[35] K.R. Mock & A.S. Laufer, Race Relations Training in Canada: Toward the Development of Professional Standards (Toronto: Canadian Race Relations Foundation, 2001) sur Internet: Canadian Race Relations Foundation http://www.crr.ca/EN/Publications/ResearchReports/pdf/ePub_BnaiBrithRpt_..., p. 10