Surmonter l’opposition au logement abordable

Le syndrome « pas dans ma cour » – une question de droits de la personne

La création de logements abordables suscite presque toujours de l’opposition. Celle ci peut être légitime (notamment lorsqu’elle porte sur la construction d’une tour d’habitation sur une rue comprenant uniquement des maisons unifamiliales), mais d’autres formes d’opposition peuvent exposer les municipalités à des plaintes pour enfreintes aux droits de la personne.

L’opposition discriminatoire au logement abordable pour les groupes protégés par le Code est un excellent exemple du syndrome « pas dans ma cour ». Elle est due aux attitudes négatives ou aux stéréotypes envers les personnes qui habitent des logements abordables ou utilisent des refuges et est souvent directement liée à un ou plusieurs motifs du Code. Ce genre d’opposition peut parfois être caché dans les modalités d’aménagement et peut s’exprimer de nombreuses façons. Il est parfois le fruit d’inquiétudes exagérées concernant les changements au quartier, les répercussions sur la circulation ou le type de bâtiment.

Le syndrome « pas dans ma cour » survient souvent en réponse à un projet d’aménagement local. Il peut également provenir de groupes à revendications spéciales qui s’opposent au logement abordable.

L'opposition à l'égard des projets domiciliaires fondée sur des stéréotypes ou des préjugés envers les personnes qui habiteront les logements en question peut enfreindre le droit d’être à l’abri de la discrimination en matière de logement – ce qui signifie qu’elle peut être contre la loi.

En fin de compte, les gens n’ont pas le droit de choisir leurs voisins.

Réfuter les mythes communément associés au syndrome « pas dans ma cour »

Abordabilité et choix toujours (ACT) est une initiative financée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Administrée par la Fédération canadienne des municipalités (FCM) en collaboration avec l’Association canadienne des constructeurs d’habitations et l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine, elle s’attache à surmonter les règlements de planification et de construction qui font obstacle à la création de logements abordables. Pour ce faire, elle favorise des solutions locales pratiques. Dans son guide intitulé De nouveaux logements? « pas dans ma cour » : Guide pour les municipalités, ACT énumère certaines objections courantes et explique comment les municipalités peuvent y répondre :

Mythe : La valeur des propriétés va baisser.
Réalité : De nombreuses études sur les logements abordables n’ont constaté aucune incidence sur la valeur des propriétés[2]. Une étude effectuée à Toronto a précisé que « rien n’a démontré que l’existence des logements avec services de soutien étudiés a affecté la valeur des propriétés ou le taux de criminalité dans le quartier. La valeur des propriétés a augmenté et la criminalité a baissé durant la période visée par l’étude ».[3]

Mythe : La circulation va augmenter.
Réalité : À l’instar de tout nouvel aménagement, le projet de densification ou de construction intercalaire doit satisfaire aux normes techniques et aux normes d’urbanisme de la municipalité. De plus, les immeubles résidentiels situés à proximité de services de transport en commun de qualité attirent généralement des résidents moins motorisés, tout comme les habitations conçues pour les personnes âgées, les personnes handicapées et les familles à faible revenu.

Mythe : L’infrastructure et les services publics seront mis à rude épreuve.
Réalité : Dans l’ensemble, les projets résidentiels à plus forte densité nécessitent moins d’infrastructure que les aménagements sur de nouveaux sites – les canalisations d’eau, services d’égouts, écoles, et routes existent déjà. De plus, les projets à plus forte densité et la construction intercalaire fournissent la concentration d’usagers nécessaire pour augmenter l’éventail et la qualité des services disponibles (notamment les transports en commun).

Mythe : Les nouveaux résidents ne s’intégreront pas dans notre quartier.
Réalité : Souvent, les futurs occupants de nouveaux logements abordables vivent déjà dans le quartier. Ce sont des personnes qui partagent un appartement avec d’autres membres de leur famille ou des amis ou qui ont du mal à payer un loyer du marché et doivent pour ce faire sauter des repas ou choisir de circuler à pied au lieu de prendre les transports en commun. Les collectivités inclusives offrent à tous la possibilité d’avoir un logement.

Mythe : Les logements abordables ne conviendront pas au caractère du quartier.
Réalité : Le logement abordable doit respecter les mêmes contraintes et les mêmes normes de conception que les logements à but lucratif. Dès lors, il sera conçu de manière à respecter le cachet du quartier.

Mythe : La criminalité va augmenter.
Réalité : Une étude canadienne portant sur 146 logements avec services de soutien a conclu « il n’y a aucune preuve significative que les logements avec services de soutien ont mené à une augmentation des taux d’actes de violence, d’infractions contre les biens, de dommages criminels, d’inconduite ou d’actes criminels signalés ».[4] En fait, les futurs occupants de nouveaux logements abordables vivent souvent déjà dans le quartier.

Types d’opposition discriminatoire au logement abordable

La discrimination en matière de logement peut découler d’attitudes, d’actions, de lois ou de politiques qui ont pour effet de créer des obstacles pour certaines personnes visées par les motifs du Code, par exemple les personnes handicapées ou qui reçoivent l’aide sociale qui souhaitent emménager dans un logement abordable ou avec services de soutien dans un quartier donné. Cette opposition est susceptible de violer le Code lorsqu’elle entraîne des changements dans les processus de planification existants, suscite des obstacles à l’accès au logement ou expose les résidents proposés à des commentaires ou à des comportements discriminatoires. Les exclusions ou limitations énoncées dans les règlements municipaux peuvent également enfreindre le Code.

Parler de l’utilisation des terrains et non pas des gens

Les inquiétudes concernant les projets domiciliaires abordables doivent reposer sur des préoccupations légitimes relatives à l’utilisation des terrains plutôt que sur des hypothèses stéréotypées concernant les gens qui les habiteront. Lorsque les politiques ou les pratiques de planification visent ou affectent de manière disproportionnée les personnes protégées par le Code, elles peuvent être considérées comme une violation de ce dernier.

Voici quelques exemples de pratiques discriminatoires :

  • l’établissement d’exigences imposant aux fournisseurs de logements des restrictions ou des compromis à l’égard des logements abordables ou avec services de soutien qui ne s’appliquent pas aux autres types de logements dans le secteur; par exemple :

    • l’érection obligatoire de clôtures ou de murs ceinturant la propriété afin de séparer celle-ci des autres maisons du quartier en raison des éventuels occupants
    • l’imposition de limites arbitraires quant au nombre de résidents permis
    • l’imposition de l'ajout de protections visuelles ou du retrait des balcons afin d'empêcher les occupants d’avoir vue sur leurs voisins
    • l’imposition, comme condition d’occupation aux éventuels résidents de l’immeuble, de signer des ententes avec leurs voisins
  • l’imposition d'assemblées publiques supplémentaires, d’amendements au processus de planification, de longues procédures d’approbation ou de moratoires sur l'établissement de logements sous prétexte que les résidents d’un ensemble domiciliaire appartiennent à des groupes désignés par le Code
  • l’imposition de distances minimales de séparation ou de restrictions sur le nombre de projets de logement permis dans un secteur
  • des remarques ou des gestes discriminatoires à l’égard des résidents éventuels d’un ensemble domiciliaire à l’occasion des assemblées de planification publiques ou dans des avis, enseignes, circulaires, brochures ou affiches
  • l’existence de règlements de zonage qui restreignent l’aménagement de logements abordables destinés aux personnes visées par les motifs prévus au Code (par exemple, les maisons de chambres) dans certains secteurs, mais qui permettent les autres établissements d'envergure semblable.

Exemple : Un organisme communautaire rencontre des employés municipaux pour discuter des répercussions des règlements de la municipalité sur l’aménagement de foyers de groupe. Dans cette petite municipalité, un foyer de groupe pour dix résidents doit être à une distance d’au moins 1 000 mètres d’un autre foyer de groupe. Cette restriction empêche les résidents du foyer de groupe, qui sont atteints de troubles mentaux et comportementaux, de vivre dans le quartier de leur choix sans discrimination. Elle crée également une pénurie de foyers de groupe dans la municipalité, même si la demande de logements pour personnes atteintes de troubles mentaux et comportementaux est élevée.

En réponse aux inquiétudes soulevées, la municipalité examine la question à la lumière des droits de la personne et modifie le règlement pour éliminer les distances de séparation.

L’expérience de Community Living
Il y a quelques années, Community Living Toronto a reçu un financement pour trouver et aménager deux nouveaux foyers de groupe à Etobicoke. Les foyers devaient abriter entre trois et cinq personnes atteintes de déficiences intellectuelles qui avaient passé la totalité ou la majorité de leur vie à Etobicoke. Ces personnes travaillaient ou participaient à des programmes de jour à Etobicoke et de nombreux membres de leurs familles y vivaient également. Etobicoke était leur chez soi – et la collectivité où ils voulaient habiter.

J’ai bientôt découvert qu’un règlement concernant la distance en vigueur à Etobicoke précisait que les nouveaux foyers de groupe (foyers pour trois à dix personnes appuyés par un organisme de services sociaux reconnu) ne pouvaient être situés à moins de 800 mètres d’un autre foyer de groupe ou établissement résidentiel. Après avoir trouvé et cartographié tous les foyers de groupe à Etobicoke, j’ai rapidement constaté qu’il n’y avait que deux petites zones où un nouveau foyer de groupe pouvait être légalement situé. Étant donné le calendrier de mise en œuvre, les exigences relatives à la distance et toutes les complications associées à l’aménagement de nouveaux foyers de groupe, nous avons dû trouver des logements pour la plupart de ces personnes dans un autre secteur de Toronto. – Dale Makino, chef de programme, région d’Etobicoke/York, Community Living Toronto

Zoner résidentiels les logements avec services de soutien
Les logements abordables, avec services de soutien et les foyers de groupes – avec ou sans préposés aux services de soutien à la personne – ont un usage résidentiel. La CODP n’est pas en faveur de zoner ces types de logements comme des commerces ou des services, car ces catégories de zonage peuvent assujettir les résidents à des enquêtes et à des attentes plus poussées que les autres formes d’habitation.

S’assurer que les réunions publiques sont vraiment nécessaires

En vertu de la Loi sur l’aménagement du territoire, les municipalités qui envisagent des règlements de zonage ou des modifications doivent organiser une réunion publique. Cependant, si les règles de zonage autorisent déjà le logement envisagé (« de plein droit »), une réunion n’est pas requise. Et pourtant, bon nombre de conseillers locaux convoquent des réunions quand même, ce qui ouvre souvent la voie à des discussions discriminatoires. Durant ces réunions, les personnes qui souhaitent habiter l’ensemble domiciliaire sont exposées à des remarques blessantes et à des questions plus négatives que leurs voisins éventuels l’ont été lorsqu’ils ont déménagé dans le quartier.

Ces réunions renforcent également la fausse impression que les résidents du quartier ont le droit de choisir leurs voisins et elles enflamment souvent l’opposition du quartier à l’ensemble domiciliaire au lieu de la calmer. Elles multiplient aussi le potentiel de plaintes pour enfreintes aux droits de la personne.

En même temps, les gens qui sont mal informés des risques ont parfois des motifs légitimes d’avoir peur et le défaut de convoquer des réunions publiques peut causer du ressentiment. Dans ces cas, une réunion publique peut être utile pourvu qu’elle soit soigneusement planifiée, annoncée et dirigée. Les réunions bien organisées peuvent servir à surmonter les attitudes fondées sur de la mésinformation, à éduquer, à rallier les gens, à mobiliser la majorité silencieuse et à diffuser les tensions et les craintes.

Exemple : Le personnel d’un conseil municipal recommandait le financement d’un projet de logement social « de plein droit ». Le conseil a reporté la décision jusqu’à ce qu’une réunion publique puisse avoir lieu. Des avocats ayant avisé qu’une telle réunion risquait d’être discriminatoire, la municipalité a modifié le format de la réunion et a organisé une séance sur l’importance du logement social.

Pratique exemplaire – réunions publiques
Établissez des règles au début de chaque réunion publique convoquée au sujet d’un nouveau projet de logement abordable. Précisez que seules les questions légitimes concernant l’utilisation du terrain, notamment l’emplacement, la dimension, la marge de reculement et le stationnement, seront portées à la discussion. Avisez les participants que la réunion n’est pas l’occasion indiquée pour faire des remarques désobligeantes concernant les personnes qui habiteront là. Notez également que, pour prévenir toute récurrence de langage discriminatoire ou de remarques préjudiciables, il importe d’interrompre l’emploi de ce type de langage ou de s’y opposer immédiatement.

Les voisins peuvent-ils choisir les locataires? Non.

Durant de nombreuses réunions, les groupes communautaires réclament le droit de participer au choix des locataires pour un ensemble domiciliaire. Dans certains cas, les promoteurs agréent à leur demande pour que le projet puisse aller de l’avant. Or, la pratique permettant aux voisins de choisir les locataires pour qu’ils « approuvent » le projet peut constituer de la discrimination.

Les représentants élus ont des obligations en matière de droits de la personne

Les gens peuvent faire des remarques discriminatoires à l’extérieur des assemblées communautaires (par exemple, lors des réunions du conseil municipal où l’on discute de planification, de zonage ou d’approbations de financement). Les représentants élus ne sont pas exemptés du Code – ils ont une obligation légale de ne pas exercer de discrimination et ils sont élus pour représenter tous leurs électeurs.

Les exigences additionnelles signifient plus d’obstacles
Une municipalité qui impose des exigences différentes ou additionnelles pour les réunions publiques, les consultations, les audiences, les charrettes de conception ou autres procédures qui ne s’appliquent pas aux logements de propriétaires occupants, pourrait exercer de la discrimination. L’imposition d’exigences excessives ou additionnelles pour les consultations concernant certains types de logements retarde le processus d’aménagement, augmente l’incertitude associée au projet et pourrait, si les retards et les exigences additionnelles s’accumulent, compromettre le projet. Les promoteurs de logements abordables et/ou avec services de soutien devraient être assujettis aux mêmes procédures règlementaires que ceux des autres types de logements et ne pas être tenus de respecter des exigences additionnelles ou excessives lorsqu’ils tiennent des réunions et des consultations. Les promoteurs intelligents tentent généralement de mobiliser leurs éventuels voisins, mais un projet peut être contrecarré lorsque des consultations excessives sont exigées. – Michael Shapcott, The Wellesley Institute


[2] Ontario HomeComing Coalition, Yes, In My Backyard – A Guide for Ontario Supportive Housing Providers, 2005, p. 27.
[3] de Wolff, Alice. We are Neighbours: The Impact of Supportive Housing on Community, Social, Economic, and Attitude Changes, 2008, Wellesley Institute, p. iv.
[4] George Galster, Kathryn Pettit, Anna Santiago et Peter Tatian, The Impact of Supportive Housing on Neighbourhood Crime Rates, 2002.