Le Code prévoit que chaque personne a le droit d’être traitée également sans discrimination fondée sur son état familial. L’objectif des lois anti-discrimination est d’empêcher que l’imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux ne viole la dignité et la liberté humaines. Dans bien des cas, le traitement différentiel à cause de l’état familial est clairement discriminatoire. Cependant, dans d’autres cas, il faut parfois se demander si le traitement peut être considéré comme une « discrimination », c’est-à-dire s’il relève de la protection de la loi sur les droits de la personne. Toutes les distinctions ne peuvent pas être considérées discriminatoires.
Il y a plusieurs façons de définir et d’identifier les discriminations fondées sur l’état familial. La discrimination au motif de l’état familial comprend toute distinction, y compris l’exclusion, la restriction ou la préférence, au motif de l’état familial, qui se solde par un défaut de reconnaissance des droits de la personne et des libertés fondamentales.
D’après la décision de la Cour suprême du Canada dans Andrews cv. Law Society of British Columbia[22], la discrimination fondée sur l’état familial peut être décrite comme une distinction, une conduite ou une action, intentionnelle ou non, mais fondée sur l’état familial d’une personne, qui a pour effet soit d’imposer des fardeaux à un individu ou un groupe qui ne sont pas imposés à d’autres, soit d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.
Dans le contexte des plaintes pour violation du droit à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), la Cour suprême du Canada a proposé que les trois enquêtes suivantes servent d’instrument pour déterminer s’il y avait discrimination[23] :
La discrimination peut prendre bien des formes. Dans certains cas, la discrimination peut être directe et intentionnelle lorsqu’une personne ou un organisme traite délibérément une personne de façon inégale ou différente à cause de son état familial.
Exemple : Une propriétaire décide qu’elle ne veut pas louer ses appartements à des familles avec de jeunes enfants et désigne son bâtiment comme « réservé aux adultes ».
Ce type de discrimination délibérée est généralement le résultat d’attitudes négatives et de préjugés liés à l’état familial.
Les attitudes concernant la prestation des soins et les personnes qui en sont responsables sont profondément ancrées dans notre société, et les préjugés ou commentaires négatifs sur les pourvoyeurs de soins ne sont souvent pas perçus comme une violation grave des droits de la personne. C’est un principe des droits de la personne que les personnes doivent être jugées sur leurs compétences, leurs capacités et leurs attributs individuels plutôt que sur des stéréotypes et des a priori fondés sur le groupe auquel elles appartiennent. Les attitudes négatives et les stéréotypes peuvent tourner au harcèlement et à la discrimination, et gêner l’accès d’une personne à des services, à un emploi et à un logement. L’évaluation individuelle combat les effets des attitudes et des stéréotypes négatifs fondés sur des motifs jugés illicites par le Code, comme l’état familial.
Étant donné que la prestation de soins aux autres est généralement considérée comme un attribut positif, il peut sembler étrange que l’état familial puisse être la source d’attitudes et de stéréotypes négatifs. Cependant, il y a de nombreuses façons dont la discrimination au motif de l’état familial peut se manifester.
Les personnes qui prodiguent des soins aux autres ou celles qui sont perçues comme telles sont parfois supposées être moins compétentes, engagées, intelligentes et ambitieuses que d’autres. Ces attitudes sont souvent influencées par des stéréotypes liés au sexe. Par exemple, lorsque les employées de sexe féminin deviennent des parents ou assument d’autres responsabilités importantes en matière de soins, elles peuvent se retrouver sur la voie de garage réservée aux mères et ne pas être prises en compte pour les promotions, les possibilités d’apprentissage et la reconnaissance à cause de préjugés, conscients ou inconscients, concernant les attributs des mères[24]. Par ailleurs, les hommes qui assument des responsabilités importantes en matière de prestation de soins peuvent être considérés comme moins « virils » parce qu’ils ne se conforment pas aux rôles stéréotypés de leur sexe.
Il y a aussi des préjugés et des stéréotypes concernant qui devrait et qui ne devrait pas prodiguer des soins. Les stéréotypes concernant les personnes avec un handicap ou les personnes LGBT peuvent amener à penser que ces personnes ne sont pas capables d’être de bons parents et ne devraient pas avoir d’enfants. Ils peuvent également faire croire que les personnes LGBT n’ont pas de familles « réelles » et qu’elles n’ont donc pas de responsabilités en matière de prestation de soins alors qu’en fait, ce sont les idées stéréotypées sur la famille qui ont elles-mêmes pour effet de rendre « invisibles » ces familles et leurs besoins. Il y a aussi des préjugés sur les capacités parentales de membres de divers groupes racialisés ainsi que sur la responsabilité et les aptitudes des parents seuls et des parents jeunes.
Le traitement des personnes identifiées par leur état familial peut aussi être influencé par les attitudes concernant différentes formes de famille. Par exemple, la désapprobation des familles monoparentales, des familles d’accueil, des familles avec un grand nombre d’enfants ou des familles dirigées par une personne LGBT a été à l’origine de discrimination et de traitement négatif. Les familles formées par adoption peuvent être traitées comme si elles étaient moins « réelles » ou valides que les familles biologiques.
De même, l’accès aux services et au logement des personnes identifiées par l’état familial peut être entravé par les attitudes négatives à l’égard des enfants – par exemple, l’idée qu’ils font du bruit, qu’ils dérangent et qu’ils ont moins droit aux espaces publics et au logement que les adultes.
Dans certains cas, la discrimination assume des formes plus subtiles et plus voilées. L’intention ou le motif de discrimination n’est pas un élément nécessaire pour qu’il y ait discrimination – il suffit que la conduite ait un effet discriminatoire.
La discrimination fondée sur un motif du Code a seulement besoin d’être l’une de plusieurs raisons de la décision ou du traitement[25].
Les formes subtiles de discrimination ne peuvent habituellement être reconnues qu’à l’issue de l’examen de toutes les circonstances. Des actes individuels peuvent paraître ambigus ou trouver une explication par eux-mêmes, mais, lorsqu’ils sont considérés dans le cadre d’un contexte plus vaste, ils peuvent conduire à la conclusion que la discrimination fondée sur l’état familial était un facteur dans le traitement imposé à une personne.
Exemple : Lorsqu’une femme retourne au travail après la naissance de son premier enfant, elle remarque que sa carrière, dont la progression avait été rapide, semble avoir tourné court. Les projets qu’on lui confie sont de moindre envergure et elle passe à côté de plusieurs occasions de formation. Lorsqu’elle se renseigne sur les possibilités d’avancement, son chef tente de la décourager en déclarant que le travail requiert un dévouement à toute épreuve et des heures impossibles.
Il peut être difficile de décider si la discrimination subtile est effectivement un facteur dans de telles situations. Il est donc parfois nécessaire de procéder à une enquête et à une analyse pour examiner le contexte, et avoir recours à des preuves comparatives pour vérifier comment les autres ont été traités, ou démontrer qu’un certain type de comportement existe effectivement dans le lieu de travail. Il n’est pas nécessaire que le langage utilisé ou les commentaires qui marquent les interactions entre les parties soient liés à l’état familial pour démontrer qu’il y a eu discrimination au motif de l’état familial. Cependant, lorsque de tels commentaires ont été faits, ils sont une preuve supplémentaire que l’état familial a été un facteur dans le traitement de la personne.
Le paragraphe 5 (2) du Code prévoit que tout employé a le droit d’être à l’abri de tout harcèlement au travail imposé par son employeur ou le mandataire de celui ci, ou un autre employé pour des raisons fondées, entre autres, sur l’état familial. Ce droit d’être à l’abri du harcèlement comprend le lieu de travail mais également le « lieu de travail étendu », c’est-à-dire les activités qui se produisent à l’extérieur du lieu de travail matériel ou des heures régulières de travail, mais qui ont un effet dans le lieu de travail, comme les voyages d’affaires, les fêtes de l’entreprise ou d’autres événements qui lui sont rattachés.
Le paragraphe 2 (2) du Code prévoit que l’occupant d’un logement a le droit de vivre sans être harcelé par le propriétaire ou son mandataire ou un occupant du même immeuble pour des raisons fondées, entre autres, sur l’état familial.
Le Code n’a pas de dispositions précises qui traitent du harcèlement dans le secteur des services, des biens et des installations (article 1 du Code), des contrats (article 3 du Code) ou de l’adhésion à une association commerciale ou professionnelle (article 6 du Code). Cependant, la Commission est d’avis que le harcèlement au motif de l’état familial en de telles situations constituerait une violation des articles 1, 3 et 6 du Code qui prévoient un droit à un traitement égal sans discrimination en matière de services, de biens et d’installations, de contrats ou d’adhésion à une association commerciale ou professionnelle, respectivement.
Le harcèlement est défini au paragraphe 10 (1) du Code comme « le fait pour une personne de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns ». La référence à des remarques ou des gestes lorsque la personne « sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques et ces gestes sont importuns » établit un test à la fois subjectif et objectif pour le harcèlement.
La partie subjective du test considère la connaissance qu’a l’auteur du harcèlement de la façon dont son comportement est reçu. Cette connaissance peut prendre différentes formes. Dans certaines situations, il devrait être évident que le geste ou le commentaire sera offensant ou importun. Certains gestes ou commentaires en rapport avec l’état familial d’une personne peuvent ne pas paraître offensants au premier abord. Cependant, ils peuvent toujours être « importuns » du point de vue d’une personne en particulier. Si un comportement semblable se répète malgré les indications de la personne qu’il est importun, il peut y avoir violation du Code.
Exemple : Un certain nombre des employées de sexe féminin d’une entreprise se retrouvent enceintes au cours d’une période relativement courte. Le chef, de sexe masculin, commence à faire des plaisanteries en disant « qu’il doit y avoir quelque chose dans le rafraîchisseur d’eau ». Les autres employés ne trouvent pas la remarque offensante ni menaçante et il n’y a pas d’indication que les employées enceintes soient pénalisées; cependant, une employée craint que les commentaires n’indiquent que son chef est préoccupé par le nombre de grossesses et qu’il considère sa grossesse de façon négative. Elle lui fait part de ses préoccupations. S’il continue à faire de tels commentaires, l’employée pourrait avoir un motif pour déposer une plainte pour harcèlement fondé sur la grossesse ou l’état familial.
La composante objective du test examine, du point de vue d’un tiers « raisonnable », comment un tel comportement serait généralement reçu. La détermination du point de vue d’un tiers « raisonnable » doit tenir compte de la perspective de la personne qui est harcelée[26].
Il est important de noter qu’il n’est pas nécessaire que la personne ait fait objection au harcèlement au moment où il se produisait pour qu’il y ait violation du Code ou pour qu’une personne puisse déposer une plainte en vertu du Code. Une personne qui est la cible de harcèlement peut se trouver dans une situation vulnérable et avoir peur des conséquences si elle s’exprime ouvertement. Les employeurs, les locataires et les fournisseurs de services ont une obligation d’entretenir un environnement où l’on peut vivre sans discrimination ni harcèlement, quelles que soient les objections avancées pour les en détourner. Chaque situation doit être évaluée sur le fond.
Exemple : Lorsque deux parents et un jeune enfant emménagent dans un nouvel appartement, ils se font dire par l’une de leurs voisines qu’elle a élevé ses enfants et que maintenant « elle a droit au calme et à la paix ». Cette voisine n’arrête pas de leur dire que « les enfants ne devraient pas être élevés en appartement, qu’ils ont besoin d’un jardin pour jouer ». Bien qu’ils essaient de toutes les façons d’empêcher leur enfant de faire du bruit, cette voisine se plaint constamment d’eux au propriétaire. Le propriétaire donne à la voisine des renseignements sur les droits et les responsabilités en vertu du Code, et offre soit d’améliorer l’isolation acoustique, soit de reloger la voisine qui se plaint dans le premier appartement vacant disponible.
Du fait que les stéréotypes concernant l’état familial diffèrent en fonction de la race, du sexe, de l’état matrimonial, de l’âge, de l’orientation sexuelle ou d’un handicap, le harcèlement au motif de l’état familial peut prendre différentes formes suivant que la personne touchée est identifiée par d’autres motifs du Code. La Commission est d’avis que, lorsque plusieurs motifs se recoupent pour produire une expérience unique de discrimination ou de harcèlement, cela doit être reconnu si l’on veut définir comme il se doit l’impact de la discrimination ou du harcèlement sur la personne qui en a été victime.
Exemple : Une mère lesbienne mène son petit enfant à une classe de musique pour bébés dans son centre communautaire. Après que sa partenaire l’a rejointe pour l’une des sessions, l’enseignante de musique n’arrête pas de faire des commentaires sur le fait que l’enfant manque de modèle et n’a pas une « vraie famille ».
La définition que donne le Code du harcèlement prévoit que les commentaires ou les gestes doivent se produire plus d’une fois. Cependant, même un commentaire ou un incident unique, s’il est suffisamment sérieux ou substantiel, peut avoir un impact en créant une atmosphère empoisonnée[27]. Une atmosphère empoisonnée est le résultat des commentaires ou des gestes et de leur impact sur l’individu plutôt que du nombre de fois où le comportement se produit. Une conséquence de la création d’une atmosphère empoisonnée est que certaines personnes sont assujetties à des modalités et à des conditions d’emploi, de location, de services etc. qui sont nettement différentes de celles qui sont imposées aux personnes qui ne font pas l’objet de ces commentaires ou de ces gestes. Ces occurrences représentent un déni de l’égalité en vertu du Code.
Dans le contexte de l’emploi, les tribunaux ont jugé que l’atmosphère d’un lieu de travail est une condition d’emploi tout autant que les heures de travail ou le taux de paie. Les « conditions d’emploi » comprennent l’atmosphère émotionnelle et psychologique du lieu de travail[28]. Le personnel de gestion qui est conscient ou devrait être conscient que l’atmosphère est empoisonnée, mais qui la laisse se perpétuer, fait preuve de discrimination eu égard aux employés touchés, même si eux mêmes ne participent pas à la création de cette atmosphère[29].
Bien que la question de l’atmosphère empoisonnée se soit surtout posée dans le contexte de l’emploi, elle peut également s’appliquer, si elle se solde par une inégalité des conditions, au logement, à la prestation des services, aux contrats et à l’adhésion à une association professionnelle.
La discrimination fondée sur l’état familial peut souvent prendre des formes systémiques ou institutionnelles. On entend par discrimination systémique ou institutionnelle des formes de comportement, de politiques ou de pratiques qui font partie des structures sociales et administratives d’un organisme, et qui créent ou perpétuent une situation de désavantage relatif pour les personnes identifiées par l’état familial. Ces attitudes ou ces pratiques peuvent apparaître neutres en surface, mais avoir cependant un effet d’exclusion au motif de l’état familial. La discrimination systémique ou institutionnelle est un obstacle majeur pour les personnes identifiées par l’état familial.
La discrimination systémique fondée sur l’état familial peut être liée à des problèmes systémiques associés aux rôles et aux stéréotypes associés au sexe. De même, la discrimination systémique fondée sur l’état familial peut être ressentie différemment suivant qu’elle recoupe d’autres motifs de discrimination comme l’âge, un handicap, le statut matrimonial, la croyance, le fait d’être assisté social, la race et les motifs liés à la race. La discrimination systémique ou institutionnelle doit être examinée dans le contexte des effets interactifs de multiples motifs jugés illicites par le Code.
La discrimination systémique peut avoir ses racines dans des structures sociétales et des attitudes sociales plus vastes. La définition de la famille a eu tendance, au cours de l’histoire, à s’organiser autour d’un ensemble d’a priori concernant le sexe, le statut matrimonial et l’orientation sexuelle, la famille « idéale » étant fondée sur des relations maritales hétérosexuelles où les rôles sont définis en fonction de normes sexuelles strictes. Il y a toujours eu des parents seuls et des familles de même sexe ainsi que des familles où les femmes et les hommes ne se conforment pas aux normes sexuelles relatives à la prestation des soins; cependant ces familles n’ont souvent pas été reconnues en tant que familles et ont fait l’objet non seulement d’attitudes négatives mais aussi de discrimination et de marginalisation ouvertes.
La discrimination systémique ou institutionnelle est liée à des tendances sociétales plus vastes ou influencée par elles. En particulier, le manque de soutiens sociaux adéquats pour la garde des enfants, la prestation de soins aux aînés et aux personnes avec un handicap place les pourvoyeurs de soins dans une situation nettement défavorisée en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux services. Par exemple, lorsqu’il est difficile d’avoir accès à des services de garde d’enfants le soir et en fin de semaine, les pourvoyeurs de soins peuvent se trouver notablement défavorisés lorsqu’ils cherchent à accéder à des emplois où le travail se fait par roulement, comme les soins infirmiers ou le commerce de détail. Les pourvoyeurs de soins à des personnes avec un handicap doivent passer un temps considérable pour défendre leur cause en plus de trouver et de conserver des services pour les personnes qu’ils aiment, et cela a un effet sur leur aptitude à trouver et à conserver eux-mêmes un emploi ou à poursuivre des études. Les personnes avec des responsabilités en matière de soins se trouvent parfois devant des décisions extrêmement difficiles à prendre afin de s’acquitter de leurs responsabilités vis-à-vis de ceux dont elles s’occupent. Par exemple, le manque de protection légale pour les personnes qui doivent prendre des congés pour s’occuper de parents âgés signifie qu’elles peuvent être obligées de choisir entre la perte de leur emploi ou l’incapacité de prodiguer des soins à ceux qu’elles aiment lorsqu’ils en ont le plus besoin. Le manque de soutiens sociaux pèse le plus lourdement sur ceux qui sont désavantagés et ne peuvent pas compenser, avec des fonds privés, les lacunes des soutiens sociaux. Ces personnes sont, en nombre disproportionné, des femmes, des jeunes, des personnes âgées, des parents seuls, des personnes avec un handicap et celles qui s’en occupent, et des personnes des collectivités racialisées.
L’interaction entre ces réalités sociétales et les politiques et pratiques institutionnelles est complexe. Par exemple, la situation d’une mère de jeunes enfants qui perd son travail à cause de son incapacité à « équilibrer » son travail et ses responsabilités familiales peut être le résultat des effets composés des politiques rigides et inflexibles de son employeur en matière d’emploi du temps, du manque de soutiens sociaux adéquats pour la prestation des soins, et des normes couramment acceptées sur le rôle des femmes comme premiers fournisseurs de soins. Les employeurs, les fournisseurs de logements et les fournisseurs de services doivent tenir compte du contexte sociétal plus vaste pour déterminer si leurs programmes, leurs politiques et leurs services peuvent avoir un effet disproportionné sur les personnes identifiées par l’état familial. En ne tenant pas compte de ce contexte plus vaste, on risque de perpétuer le désavantage des personnes identifiées par l’état familial, ce qui peut aboutir à une violation du Code.
Une discrimination systémique peut apparaître lorsque les institutions omettent de tenir compte de la réalité des structures familiales contemporaines quand elles conçoivent leurs politiques, programmes et structures. Si les organismes ne conçoivent pas leurs politiques de façon à inclure les personnes avec des responsabilités en matière de soins, les personnes identifiées par l’état familial risquent de se retrouver défavorisées et exclues.
Comme elle le présente plus en détail dans son document intitulé Politique et Directives sur le racisme et la discrimination raciale, la Commission emploie les trois considérations suivantes pour identifier la discrimination systémique et y répondre :
i. Culture organisationnelle
On peut définir la culture organisationnelle comme un ensemble commun de schèmes de comportements sociaux informels qui témoignent de l’existence de valeurs, de préjugés et de normes de conduite profondément ancrés et peut-être inconscients.
ii. Données numériques
Les données numériques démontrant que les membres de certains groupes sont représentés de façon disproportionnée peuvent constituer un indicateur de discrimination systémique ou institutionnelle. Par exemple, la sous-représentation des femmes avec de jeunes enfants aux postes supérieurs dans un organisme, ainsi que leur surreprésentation dans les postes de débutants, peuvent être le signe de pratiques inégales dans les domaines de l’embauche, de la formation ou de la promotion, et de l’insuffisance des accommodements offerts aux personnes identifiées par le sexe et l’état familial. En elles-mêmes, les données numériques ne sont pas habituellement la preuve d’une discrimination systémique; cependant, elles peuvent constituer une forte preuve circonstancielle de pratiques inéquitables.
iii. Politiques, pratiques et processus de prise de décisions
Les politiques, les pratiques et les processus de prise de décisions qui ne tiennent pas compte des réalités des personnes identifiées par l’état familial peuvent aboutir à l’exclusion des personnes qui sont dans une relation parent-enfant et à une discrimination systémique.
Les politiques et les pratiques particulières qui risquent de créer des obstacles systémiques pour les personnes identifiées par l’état familial sont présentées dans les sections sur l’emploi, le logement et les services.
L’article 14 du Code autorise l’adoption de programmes spéciaux dans tous les domaines sociaux. Cela permet d’offrir des programmes ou des traitements préférentiels axés uniquement sur les personnes identifiées par l’état familial si l’objet du programme est de soulager les difficultés ou les désavantages économiques, ou d’aider les personnes ou les groupes défavorisés à atteindre l’égalité des chances.
Exemple : Suite aux recherches qui indiquent que les femmes chefs de famille ont souvent de la difficulté à trouver et à garder un emploi à cause du manque de possibilités de garde d’enfants abordable, un centre communautaire élabore un programme de garde d’enfants axé particulièrement sur les familles à faible revenu dirigées par une femme.
Il est important que les programmes spéciaux soient conçus de telle façon que les restrictions prévues par le programme soient liées rationnellement à l’objectif qu’il vise. Si cela n’est pas fait, le programme risque d’être mis en cause et d’être trouvé discriminatoire[30].
Le document de la Commission intitulé Directives concernant les programmes spéciaux donne des renseignements détaillés sur la façon dont un programme spécial doit être planifié, mis en œuvre et suivi.
L’article 18 du Code autorise certains types d’organismes à limiter la participation ou l’appartenance si elle est fondée sur des motifs du Code, notamment l’état familial.
18. Ne constitue pas une atteinte aux droits, reconnus dans la Partie I, à un traitement égal en matière de services et d’installations, avec ou sans adaptation, le fait qu’un organisme ou un groupement religieux, philanthropique, éducatif, de secours mutuel ou social dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes identifiées par un motif illicite de discrimination, n’accepte que des personnes ainsi identifiées comme membres ou participants.
Un organisme qui désire s’appuyer sur cette défense doit démontrer qu’il répond à toutes les exigences de l’article.
[22] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S 143, p. 174.
[23] Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au para 88 [ci-après « Law »]. Il n’a pas encore été décidé en jurisprudence s’il est approprié d’appliquer ce test à la législation sur les droits de la personne. Dans Vancouver Rape Relief Society c. Nixon, [2005] B.C.J. No 2647 (B.C.C.A.), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a refusé d’appliquer le test « Law » pour déterminer s’il y avait eu discrimination, déclarant, au para 41, que : « Si [...] l’Assemblée législative a déclaré qu’un certain comportement est interdit et a établi les défenses disponibles [...] l’Assemblée législative, à titre de législateur, a concilié des droits opposés d’une façon que nous ne pouvons pas ignorer et qui est par présomption juste. » [Traduction libre]. Par ailleurs, dans une décision récente de la Cour d’appel de l’Alberta, Alberta (Ministre des Ressources humaines et de l’Emploi) c. Alberta (Commission des droits de la personne, des affaires civiques et du multiculturalisme), [2006] A.J. No 988, au para 67 (Alta. C.A.), la Cour s’est fondée sur l’analyse de « Law » pour juger qu’il n’était pas discriminatoire de refuser des allocations de logement aux prestataires de l’aide sociale qui vivent avec leurs parents. La Cour divisionnaire de l’Ontario a récemment appliqué l’analyse de « Law » dans Ontario Secondary School Teachers’ Federation c. Upper Canada District School Board, 78 O.R.(3d) 194, au para 28.
[24] Certaines études ont indiqué que l’on a tendance à percevoir les mères comme moins compétentes et engagées dans leur travail que, soit les pères, soit les personnes sans enfant de l’un et l’autre sexes, et que l’on est moins intéressé à recruter, promouvoir et éduquer des mères, par rapport aux pères ou aux employés sans enfant. Voir Kathleen Fuegen et al., « Mothers and Fathers in the Workplace: How Gender and Parental Status Influence Judgments of Job-Related Competence », Journal of Social Issues, volume 60, numéro 4, page 737, décembre 2004 et Cuddy et al., « When Professionals Become Mothers, Warmth Doesn’t Cut the Ice », Journal of Social Issues, volume 60, numéro 4, page 701, décembre 2004.
[25] Gray c. A&W Food Service of Canada Ltd. (1994), C.H.R.R. Doc 94-146 (Commission d’enquête de l’Ontario); Dominion Management c. Velenosi, [1977] O.J. No 1277, au para 1 (Cour d’appel de l’Ontario); Smith c. Mardana Ltd. (No 1) (2005), 52 C.H.R.R. D/89, au para 22 (Cour divisionnaire de l’Ontario).
[26] Dhanjal c. Air Canada (1996), 28 C.H.R.R. D/367, au para 210 (T.C.D.P.).
[27] Dhanjal c. Air Canada, ibid., au para 209.
[28] Dhillon c. F.W. Woolworth Co. (1982), 3 C.H.R.R. D/743, au para 6691 (Commission d’enquête de l’Ontario), Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (No 4) (1996), 27 C.H.R.R. D/230, au para 50 (Commission d’enquête de l’Ontario).
[29] Ghosh c. Domglas Inc. (No 2) (1992), 17 C.H.R.R. D/216, au para 76 (Commission d’enquête de l’Ontario); Naraine c. Ford Motor Co. of Canada (No 4) ibid., au para 54.
[30] Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) et Roberts c. Ontario (Ministère de la Santé) (No 1) (1989), 10 C.H.R.R. D/6353 (Commission d’enquête de l’Ontario), conf. 14 C.H.R.R. D/1 (Cour divisionnaire de l’Ontario), révis. (1994), 21 C.H.R.R. D/259 (C.A.).