3. Reconnaissance internationale de la MGF comme une atteinte aux droits de lapersonne

3.1 Politiques et droit international

Un grand nombre d'organismes internationaux et régionaux ont condamné la mutilation génitale féminine, notamment la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, le Fonds international des Nations Unies pour le secours à l'enfance (UNICEF), l'Organisation de l'unité africaine et l'Association médicale mondiale. Outre qu'elle est une atteinte à la santé et aux droits des enfants, la mutilation génitale féminine est une pratique discriminatoire liée à l'asservissement et à la subjugation historique des femmes qui vise uniquement les femmes et les enfants de sexe féminin.

Dans plusieurs pays africains où ces mutilations sont pratiquées, des groupes de défense des droits des femmes ont adopté des plans d'action détaillés pour tenter d'y mettre fin mais, de façon générale, les progrès ont été lents. Au Soudan, la mutilation génitale féminine (MGF) est illicite depuis 1946, mais elle y reste très répandue. En 1959, les ministres de la santé du Burkina-Faso et de l'Égypte respectivement ont signé une résolution limitant la pratique à une clitoridectomie partielle et décrétant que celle-ci ne devait être effectuée que par des médecins. En 1978, en conséquence directe des efforts du mouvement des femmes de Somalie, une commission chargée d'abolir l'infibulation a été créée dans ce pays.

La question de la mutilation génitale féminine a été soulevée pour la première fois à l'O.N.U. en 1952. Il a toutefois fallu attendre une vingtaine d'années avant que les Nations Unies entament un débat officiel sur la question. Ce n'est qu'en 1970 et à l'instigation d'organisations non gouvernementales, que des institutions des Nations Unies se sont vues contraintes d'aborder les nombreux problèmes liés à cette pratique. En juillet 1980, l'O.N.U. a organisé une conférence mondiale à Copenhague à l'occasion de la Décennie des femmes avec, au programme, des discussions sur la santé, l'éducation et l'emploi. En 1984, l'une des recommandations finales d'un colloque organisé à Dakar sur le thème des « Pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants », où étaient représentés vingt pays africains et plusieurs organisations internationales, visait l'abolition de la mutilation génitale féminine. Les états représentés reconnaissaient la nécessité d'établir des programmes d'éducation intenses et continus pour faire de réels progrès vers l'élimination de la MGF.

Les Nations Unies ont de nouveau abordé la MGF lors de la conférence mondiale sur les droits de l'homme de 1993. L'une des déclarations issues de cette conférence dit ceci :

La Conférence mondiale appuie toutes les mesures prises par l'Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisées en vue d'assurer une protection et une promotion efficaces des droits des enfants de sexe féminin. Elle prie instamment les États d'abroger les lois et règlements en vigueur et d'éliminer les coutumes et pratiques qui sont discriminatoires et néfastes à l'endroit des filles.[10]

En 1995, les objectifs stratégiques de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin comprenait une section sur la petite fille et demandait avec insistance aux gouvernements, aux organismes internationaux et aux groupes non gouvernementaux d'élaborer des politiques et des programmes visant à éliminer toutes les formes de discrimination contre les petites filles, y compris la mutilation génitale féminine.[11]

Le Canada joue un rôle de premier plan sur la scène internationale au niveau des efforts déployés pour faire en sorte que les femmes bénéficient universellement des droits garantis à tous les êtres humains. En 1995, lors du Neuvième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, le Canada a présenté une résolution sur « l'élimination de la violence à l'égard des femmes » (point 6 à l'ordre du jour du congrès réuni au Caire, en Égypte, du 29 avril au 8 mai 1996). Cette résolution, adoptée par le congrès, enjoint les États, entre autres, de prendre toutes les mesures nécessaires pour :

... prévenir, interdire et éliminer le viol ou les sévices sexuels, l'exploitation sexuelle et toutes les autres pratiques préjudiciables aux femmes et aux enfants de sexe féminin, y compris les mutilations génitales, et imposer des sanctions efficaces aux auteurs de ces actes [c'est nous qui soulignons].

Les conventions, déclarations et pactes internationaux dont le Canada est signataire reconnaissent que chaque être humain a le droit à la vie [12], le droit à l'égalité [13], le droit à la liberté et à la sûreté de sa personne [14], le droit de ne subir de discrimination sous aucune forme [15], le droit au meilleur état de santé physique et mentale possible [16] et le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.[17]

3.2 La MGF et la discrimination fondée sur le sexe

Les répercussions de la mutilation génitale féminine sur les droits de la personne ont été dénoncées dans plusieurs instruments internationaux, notamment la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

La Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes des Nations Unies définit la « violence contre les femmes » comme englobant, entre autres, « les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme[18] ». Plusieurs pays d'Europe, notamment la Suède, la France et la Grande-Bretagne, ont adopté des lois faisant de la MGF un acte passible d'une peine d'emprisonnement.

L'obligation légale d'éliminer toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes a été qualifiée de « principe fondamental des lois internationales protégeant les droits de la personne ».[19] Le sexe est un motif de discrimination illicite aux termes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de trois conventions régionales sur les droits de la personne, à savoir la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Convention américaine sur les droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. L'instrument le plus détaillé, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes,[20] constitue une « déclaration internationale des droits de la femme » et énonce un plan d'action pour les nations signataires en vue de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe.

L'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Néanmoins, bon nombre de pays signataires de cette déclaration continuent de violer cet article du fait qu'ils tolèrent la pratique de la MGF. Renée Bridel, de la Fédération internationale des femmes de carrières juridiques, faisait remarquer à cet égard :

[TRADUCTION] Force est de considérer les États membres tolérant cette pratique comme manquant à leurs obligations contractées sous le régime de la Charte [des Nations Unies].[21]

3.3 La MGF et les droits de l'enfant

La MGF est une atteinte aux droits de l'enfant garantis dans des traités adoptés par les Nations Unies et l'Organisation de l'unité africaine, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale de l'O.N.U. en 1989 et ratifiée par le Canada en 1990.

Cette convention affirme que les enfants doivent avoir la possibilité de grandir normalement en bénéficiant des soins nécessaires à leur bien-être, y compris des soins médicaux, et d'être à l'abri de toute forme de cruauté. La Convention établit le droit des enfants de ne pas être soumis à la discrimination sexuelle (art. 2), de ne pas être soumis à la violence ni à des mauvais traitements physiques ou mentaux (para. 19.1) et de jouir du meilleur état de santé possible (para. 24.1). Enfin, le paragraphe 24.3 de la Convention exige explicitement des États signataires de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les pratiques traditionnelles néfastes à la santé des enfants.

3.4 La MGF et le droit à la santé

De nombreuses études ont confirmé les graves répercussions physiologiques et psychologiques de la mutilation génitale des femmes. La perte partielle ou totale de leur fonction sexuelle constitue une atteinte au droit des femmes à l'intégrité de leur personne et à la santé mentale. Les droits à la santé sont garantis dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 12), la Convention relative aux droits de l'enfant (art. 24) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (art. 16). La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes garantit également l'égalité des droits aux services médicaux (art. 12).


[10] Déclaration et Programme d'action de Vienne, le 25 juin 1993, à l'occasion de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, cité dans Human Rights Are Women's Rights (London: Amnesty International, 1995), à la page 132.
[11]Female Genital Mutilation: UNITED NATIONS ACTION, Organisation mondiale de la santé, août 1996, http://www.who.int/frh-whd/FGM/infopack/English/fgm_infopack.htm#PREVALENCE AND DISTRIBUTION (8 décembre 2000).
[12]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art.6; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 2.
[13]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 26.
[14]Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 3; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 9; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 5(b).
[15]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 26.
[16]Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 12..
[17] Déclaration universelle des droits de l'homme, art 5; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 7; Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
[18]Déclaration de l'Assemblée générale des Nations Unies sur l'élimination de la violence contre les femmes, Séance plénière A/Res./48/104, le 20 décembre 1993. 
[19]Cook, Introduction: The Way Forward, dans Cook, ed., supra, note 1, à la page 10.
[20]Ratifiée par le Canada le 10 décembre 1981; la date d'entrée en vigueur au Canada était le 10 janvier 1992 Il y a plusieurs dispositions de la Convention qui requièrent des États qu'ils prennent des mesures contre des pratiques comme la MGF, notamment :

  1. Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes (art. 2.f);

  2. Modifier les schémas et modèles de comportement socio- culturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes (art. 5.a);

  3. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, les moyens d'accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille (art. 12).

​[21]Voir E. Dorkenoo, Female Genital Mutilation: Proposals for Change (1992) Minority Rights Group Report, à la page 16; Renée Bridel, L'enfant mutilé, présenté au nom de la F.I.F.C.J. aux Nations Unies, Genève, 1978.