Politique sur la mutilation genitale feminine

Approuvé par la Commission le 9 avril 1996
Révisée par la Commission le 22 novembre 2000. (Veuillez prendre note que des révisions mineures ont été apportées en décembre 2009 pour tenir compte des modifications législatives résultant de la Loi de 2006 modifiant le Code des droits de la personne, qui est entrée en vigueur le 30 juin 2008.)

Disponible dans d'autres versions accessibles sur demande.

1. Vue d'ensemble

On entend par mutilation génitale féminine (MGF) la lacération et l'ablation des organes génitaux féminins. La MGF est une pratique traditionnelle fondée sur les structures politiques, sociales, culturelles et économiques des sociétés où elle est pratiquée.

La MGF est une atteinte au droit fondamental des femmes et des enfants de sexe féminin à l'intégrité de leur personne.[1] Cette pratique ancestrale persiste dans nombre de cultures et de pays. Il a été reconnu que la MGF ne constitue pas seulement un risque pour la santé des femmes et des enfants de sexe féminin et une forme de violence à leur endroit, mais aussi une atteinte aux droits de la personne aux termes du droit international. Les efforts déployés à l'échelle mondiale, particulièrement par les organismes des Nations Unies, ont réussi à placer la mutilation génitale féminine à l'ordre de jour de la santé des femmes et des droits de la personne.

La mutilation génitale féminine est une pratique dont la plupart des Canadiennes et des Canadiens ne se font qu'une idée vague et qui évoque pour eux des traditions « lointaines » et des « systèmes culturels ancestraux ». Très peu de gens savent en quoi consiste cette pratique ni quelles en sont les répercussions sociologiques et les conséquences sur la santé des femmes et des petites filles qui y sont soumises.

La CODP affirme que la MGF est une atteinte internationalement reconnue aux droits de la personne en ce qui concerne les femmes et les enfants de sexe féminin. La Commission a élaboré la présente politique pour assurer la protection et la promotion efficaces des droits fondamentaux des femmes et des petites filles.

Le présent document a pour objet d'énoncer la politique de la CODP eu égard à la pratique de la MGF. Cette position a été définie à la lumière des éléments suivants :

  1. la mutilation génitale féminine comme une atteinte aux droits de la personne reconnue à l'échelle internationale;
  2. les obligations auxquelles le Canada est tenu de faire face sur son propre territoire en tant que signataire de conventions et de traités internationaux reconnaissant la mutilation génitale féminine comme une atteinte aux droits de la personne;
  3. le mandat et les pouvoirs que le Code des droits de la personne de l'Ontario (le « Code ») confère à la Commission ontarienne des droits de la personne.

[1] « La mutilation génitale féminine implique l'utilisation d'instruments dangereux et effrayants, entraîne des lésions physiques permantentes et parfois la mort, et elle vise de la façon la plus discriminatoire possible l'appareil génital des personnes de sexe féminin.» Fitzpatrick, « International Norms and Violence Against Women », dans Rebecca J Cook, ed., Human Rights of Women: National and International Perspectives,(Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1994), à la page 11. 

ISBN/ISSN: 
0-7778-5948-3
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Objet des politiques de la CODP

L'article 30 du Code des droits de la personne de l'Ontario (le « Code ») autorise la Commission ontarienne des droits de la personne de l'Ontario (CODP) à préparer, approuver et publier des politiques sur les droits de la personne pour fournir des directives quant à l’application des dispositions du Code. [∗] Les politiques et lignes directrices de la CODP établissent des normes décrivant comment les particuliers, les employeurs, les fournisseurs de services et les décisionnaires doivent agir pour se conformer au Code. Elles sont importantes parce qu'elles représentent l'interprétation, par la CODP, du Code au moment de sa publication.[∗∗] De plus, elles expliquent les droits énoncés dans le Code.

L'article 45.5 du Code stipule que le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario (le Tribunal) peut tenir compte des politiques approuvées par la Commission dans une instance devant lui. Lorsqu'une partie ou un intervenant à une instance en fait la demande, le Tribunal doit tenir compte de la politique de la CODP citée. Lorsqu'une politique de la Commission est pertinente pour l'objet de la requête devant le Tribunal, les parties et les intervenants sont encouragés à porter la politique à l'attention du Tribunal pour qu'il en tienne compte.

L'article 45.6 du Code prévoit que si le Tribunal rend une décision ou une ordonnance définitive dans le cadre d’une instance dans laquelle la Commission était une partie ou un intervenant, la Commission peut présenter une requête au Tribunal afin que celui-ci soumette un exposé de cause à la Cour divisionnaire.

Les politiques de la Commission sont assujetties aux décisions des cours supérieures qui interprètent le Code. Les politiques de la Commission sont prises très au sérieux par les tribunaux judiciaires et le Tribunal[∗∗∗], appliquées aux faits de la cause devant le tribunal judiciaire ou le Trbunal et citées dans les décisions de ces tribunaux[∗∗∗∗].


[∗] Le pouvoir de la CODP en vertu de l'article 30 du Code d'élaborer des politiques s'inscrit dans le cadre de sa responsabilité générale, prévue à l'article 29, de promouvoir et de faire progresser le respect des droits de la personne en Ontario, de protéger ces droits en Ontario et d'éliminer les pratiques discriminatoires.
[∗∗] La jurisprudence, les modifications législatives et les changements de position de la CODP sur ses propres politiques qui ont eu lieu après la date de publication du présent document ne seront pas reflétés dans le document. Pour plus d'information, communiquez avec la Commission ontarienne des droits de la personne.
[∗∗∗] Dans l'arrêt Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 au par. 53 (Ont. Bd. Inq.), le tribunal a appliqué la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (4th Cir. 1971), pour conclure que les énoncés de politique de la CODP devraient bénéficier d'une « grande déférence », si elles sont compatibles avec les valeurs du Code et si leur élaboration est compatible avec l'historique législatif du Code lui-même. Cette dernière exigence a été interprétée comme signifiant qu'un processus de consultation publique doit faire partie intégrante du processus d'élaboration des politiques.
[∗∗∗∗] Récemment la Cour de justice supérieure de l'Ontario a cité in extenso des extraits des travaux publiés de la CODP dans le domaine de la retraite obligatoire et déclaré que les efforts de la CODP avaient apporté « d'énormes changements » dans l'attitude face à la retraite obligatoire en Ontario, les travaux de la CODP sur la retraite obligatoire ont sensibilisé le public à cette question et ont, en partie, abouti à la décision du gouvernement de l'Ontario d'adopter une loi modifiant le Code pour interdit la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi après l'âge de 65 ans, sous réserve de certaines exceptions. Cette modification, qui est entrée en vigueur en décembre 2006, a rendu illégales les politiques sur la retraite obligatoire pour la plupart des employeurs en Ontario : Assn. of Justices of the Peace of Ontario v. Ontario (Attorney General) (2008), 92 O.R. (3d) 16, par. 45. Voir aussi la décision Eagleson Co-Operative Homes, Inc. v. Théberge, [2006] O.J. No. 4584 (Sup.Ct. (Div.Ct.)) dans laquelle la cour a appliqué les Politiques et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement, à : http://www.ohrc.on.ca/fr/resources/policies/DisabilityPolicyFRENCH.

2. En quoi consiste la mutilation génitale féminine?

2.1 La pratique de la mutilation génitale féminine

L'expression « mutilation génitale féminine » (MGF) a été adoptée lors de la conférence régionale du comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants tenue au Burkina-Faso.[2] Cette expression désigne plusieurs procédés consistant à faire l'ablation de certaines parties de l'appareil génital féminin et à mutiler les organes sexuels des jeunes femmes de façon permanente sans aucune raison médicale. Pour les besoins du présent document, la mutilation génitale féminine désigne les mutilations rituelles ou traditionnelles consistant à lacérer les organes sexuels d'une enfant ou d'une femme ou à procéder à leur ablation.

La mutilation génitale féminine existe depuis des siècles à titre de rituel destiné à préparer les jeunes filles à la vie de femme. Elle est généralement pratiquée sur des petites filles entre 4 et 8 ans.

La MGF est une pratique courante dans certains milieux islamiques traditionnels, bien que des experts des questions religieuses aient fait remarquer qu'elle n'est pas prescrite par le Coran.[3] S'il est vrai que cette coutume est surtout répandue dans certains pays d'Afrique, de la Péninsule arabe, d'Asie et d'Amérique du Sud, les migrations mondiales l'ont amenée jusqu'au Canada.

Les femmes et les jeunes filles soumises à la mutilation génitale féminine (MGF) doivent systématiquement endurer des souffrances physiques auxquelles s'ajoutent souvent un traumatisme émotionnel et des complications médicales ultérieures, suite à l'infection de leurs organes génitaux ou d'autres organes de la reproduction. Il arrive qu'une infection et des saignements majeurs provoquent une déficience chronique, voire la mort.[4] Nombre de documents font état des retombées psychologiques majeures de cette pratique sur la vie sexuelle des femmes et l'image qu'elles se font d'elles-mêmes. Le procédé de MGF le plus complexe, l'infibulation, doit être répété après chaque accouchement.

Vu que la seule fonction du clitoris est la stimulation sexuelle, la MGF vise essentiellement à freiner les pulsions sexuelles des femmes, à préserver la virginité des jeunes filles jusqu'au mariage et à les rendre plus désirables comme épouses. Les informations recueillies par la Commission à l'issue de sa participation au Groupe de travail sur la prévention des mutilations génitales de l'Ontario permettent de dégager différentes explications pour cette pratique, à savoir : a) la préservation de la virginité; b) la répression de la sexualité féminine; c) des raisons esthétiques; d) des facteurs d'appartenance sociale; e) des facteurs d'identité culturelle. Des raisons « hygiéniques » ont également été évoquées pour légitimer cette pratique.

En 1996, l'Organisation mondiale de la santé estimait qu'entre 100 et 132 millions de femmes et de petites filles avaient été mutilées de la sorte et qu'environ 2 millions de leurs semblables étaient exposées au risque de mutilation dans le monde.[5] Du fait de la nature de la MGF, on ne dispose pas de statistiques fiables sur l'incidence de la pratique ici au Canada.Toutefois, suffisamment d'informations ont été rassemblées à l'issue de discussions avec des membres des communautés à risque pour indiquer qu'il existe une population notable de femmes en Ontario et dans d'autres provinces du Canada qui ont été soumises à la MGF et dont les filles risquent de l'être. Bien que la MGF soit souvent qualifiée de « circoncision féminine », cette expression est loin de refléter l'étendue des mutilations effectuées.

2.2 Les différentes formes de mutilation génitale féminine

La mutilation génitale féminine peut comprendre l'une ou plusieurs des opérations suivantes : ablation du capuchon du clitoris; ablation totale du clitoris, y compris l'excision des petites lèvres de la vulve; ablation totale du clitoris et des tissus adjacents et suture de l'orifice vaginal (infibulation). Une ouverture pouvant aller de 3 ou 4 mm à 1,8 cm est préservée pour permettre l'écoulement de l'urine et du sang de la menstruation et les rapports sexuels. Les instruments utilisés sont souvent des ciseaux, des éclats de verre, des lames de rasoir, des épines de cactus ou d'autres matières végétales rigides . La plupart du temps, ces mutilations sont effectuées en dehors des établissements de santé et sans anesthésie.[6]

Les procédés de MGF sont essentiellement de deux types :

La clitoridectomie (parfois appelée « Sunna »[7]) : cette série d'opérations consiste à enlever une ou plusieurs parties de l'appareil génital externe. Le capuchon du clitoris est coupé et il y a ablation partielle ou totale du clitoris. Ce procédé touche environ 85% des femmes qui subissent une MGF.

L'infibulation (ou « mutilation pharaonique ») : il s'agit là du procédé de MGF le plus radical, très répandu dans les pays de la Corne de l'Afrique. Le clitoris est excisé, les petites lèvres sont tranchées en totalité ou en partie et des incisions sont pratiquées sur les grandes lèvres pour créer des aspérités. Les grandes lèvres sont ensuite soit cousues ensemble, soit maintenues en contact jusqu'à la « prise » de la suture ou la guérison des aspérités qui forment alors une peau recouvrant l'urètre et la majeure partie du vagin, ne laissant qu'un tout petit orifice. Cette obstruction peut causer la rétention de l'urine ou du sang de la menstruation, la dysménorrhée et des infections de l'appareil urinaire et génital. Ce procédé touche environ 15% des femmes qui subissent une MGF, mais cette proportion passe à 80 ou 90% dans certains pays.[8]

2.3 La mutilation génitale féminine et la circoncision masculine

La mutilation génitale féminine est souvent qualifiée de « circoncision féminine », ce qui donne à penser que le procédé est comparable à la circoncision masculine. Cependant, la mutilation génitale féminine consiste en une excision beaucoup plus importante et entraîne un traumatisme beaucoup plus grave, vu qu'elle consiste littéralement à faire l'ablation d'organes sexuels.

La circoncision masculine consiste à exciser le prépuce à la pointe du pénis. La Société canadienne de pédiatrie a procédé à un examen des publications et conclu que les données générales indiquent que les avantages et les inconvénients de la circoncision masculine sont si équilibrés qu'il n'est pas prouvé que les avantages l'emportent clairement sur les risques et les coûts, et qu'il ne faut pas procéder automatiquement à la circoncision des nouveau-nés de sexe masculin.[9] La Société canadienne de pédiatrie conseille d'informer les parents de l'état présent des connaissances médicales sur les avantages et les inconvénients de la circoncision avant toute prise de décision à cet égard.


[2] UN Doc.E/CN.4/Sub.2/1991/48 para. 136 (5)(1001).
[3] Gloria Jacobs, Female Genital Mutilation: A Call for Global Action (New York: Women, Ink., 1993) à la page 5.
[4] Cette pratique, qui peut s'avérer mortelle, entraîne des complicatons immédiates, telle des hémorragies, des infections aiguës, des saignements au niveau des organes adjacents et de violentes douleurs. Les complications ultérieures comprennent des cicatrices chéloïdiennes qui rétrécissent considérablement les orifices génitaux, avec toutes les conséquences attenantes; des infections chroniques pouvant mener à la stérilité; des problèmes hématiques (rétention du flux menstruel) et des complications au moment de l'accouchement. Les réincisions et les nouvelles sutures effectuées sur les femmes infibulées peuvent aussi provoquer de nouvelles complications. Par ailleurs, cette pratique a souvent des effets psychologiques néfastes, pouvant aller jusqu'à des troubles psychiatriques fonctionnels.
[5]Female Genital Mutilation: PREVALENCE AND DISTRIBUTION, Organisation mondiale de la santé, août 1996, http://www.who.int/frhwhd/FGM/infopack/English/fgm_infopack.htm#PREVALENCE AND DISTRIBUTION (8 décembre 2000).
[6] Voir aussi le rapport du Groupe de travail sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants présenté à la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social de l'O.N.U. lors de sa première session, du 18 au 22 mars 1985; Female Genital Mutilation: Information Kit, Organisation mondiale de la santé, Division de la santé familiale, Genève, 31 juillet 1994; Human Rights are Women's Rights (Londres: Amnesty International), 1995.
[7] Dans les milieux musulmans, le terme « Sunna » désigne les enseignements du Prophète. Toutefois, le Coran ne fait pas directement allusion à la MGF et les chefs religieux passent généralement la pratique sous silence. Voir aussi la note 32. 
[8] Nahid Toubia, Female Genital Mutilation dans Julie Peters et Andrea Wolper, eds., Women's Rights Human Rights (New York: Routledge, 1995) à la page 227.
[9] Neonatal Circumcision Revisited. Comité sur le fétus et le nouveau-né, Société canadienne de pédiatrie. Approuvé par le conseil d'administration de la Société en 1996, Canadian Medical Association Journal 1996; 154(6): 769-780. No de référence : FN96-01.  

3. Reconnaissance internationale de la MGF comme une atteinte aux droits de lapersonne

3.1 Politiques et droit international

Un grand nombre d'organismes internationaux et régionaux ont condamné la mutilation génitale féminine, notamment la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, le Fonds international des Nations Unies pour le secours à l'enfance (UNICEF), l'Organisation de l'unité africaine et l'Association médicale mondiale. Outre qu'elle est une atteinte à la santé et aux droits des enfants, la mutilation génitale féminine est une pratique discriminatoire liée à l'asservissement et à la subjugation historique des femmes qui vise uniquement les femmes et les enfants de sexe féminin.

Dans plusieurs pays africains où ces mutilations sont pratiquées, des groupes de défense des droits des femmes ont adopté des plans d'action détaillés pour tenter d'y mettre fin mais, de façon générale, les progrès ont été lents. Au Soudan, la mutilation génitale féminine (MGF) est illicite depuis 1946, mais elle y reste très répandue. En 1959, les ministres de la santé du Burkina-Faso et de l'Égypte respectivement ont signé une résolution limitant la pratique à une clitoridectomie partielle et décrétant que celle-ci ne devait être effectuée que par des médecins. En 1978, en conséquence directe des efforts du mouvement des femmes de Somalie, une commission chargée d'abolir l'infibulation a été créée dans ce pays.

La question de la mutilation génitale féminine a été soulevée pour la première fois à l'O.N.U. en 1952. Il a toutefois fallu attendre une vingtaine d'années avant que les Nations Unies entament un débat officiel sur la question. Ce n'est qu'en 1970 et à l'instigation d'organisations non gouvernementales, que des institutions des Nations Unies se sont vues contraintes d'aborder les nombreux problèmes liés à cette pratique. En juillet 1980, l'O.N.U. a organisé une conférence mondiale à Copenhague à l'occasion de la Décennie des femmes avec, au programme, des discussions sur la santé, l'éducation et l'emploi. En 1984, l'une des recommandations finales d'un colloque organisé à Dakar sur le thème des « Pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants », où étaient représentés vingt pays africains et plusieurs organisations internationales, visait l'abolition de la mutilation génitale féminine. Les états représentés reconnaissaient la nécessité d'établir des programmes d'éducation intenses et continus pour faire de réels progrès vers l'élimination de la MGF.

Les Nations Unies ont de nouveau abordé la MGF lors de la conférence mondiale sur les droits de l'homme de 1993. L'une des déclarations issues de cette conférence dit ceci :

La Conférence mondiale appuie toutes les mesures prises par l'Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisées en vue d'assurer une protection et une promotion efficaces des droits des enfants de sexe féminin. Elle prie instamment les États d'abroger les lois et règlements en vigueur et d'éliminer les coutumes et pratiques qui sont discriminatoires et néfastes à l'endroit des filles.[10]

En 1995, les objectifs stratégiques de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin comprenait une section sur la petite fille et demandait avec insistance aux gouvernements, aux organismes internationaux et aux groupes non gouvernementaux d'élaborer des politiques et des programmes visant à éliminer toutes les formes de discrimination contre les petites filles, y compris la mutilation génitale féminine.[11]

Le Canada joue un rôle de premier plan sur la scène internationale au niveau des efforts déployés pour faire en sorte que les femmes bénéficient universellement des droits garantis à tous les êtres humains. En 1995, lors du Neuvième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, le Canada a présenté une résolution sur « l'élimination de la violence à l'égard des femmes » (point 6 à l'ordre du jour du congrès réuni au Caire, en Égypte, du 29 avril au 8 mai 1996). Cette résolution, adoptée par le congrès, enjoint les États, entre autres, de prendre toutes les mesures nécessaires pour :

... prévenir, interdire et éliminer le viol ou les sévices sexuels, l'exploitation sexuelle et toutes les autres pratiques préjudiciables aux femmes et aux enfants de sexe féminin, y compris les mutilations génitales, et imposer des sanctions efficaces aux auteurs de ces actes [c'est nous qui soulignons].

Les conventions, déclarations et pactes internationaux dont le Canada est signataire reconnaissent que chaque être humain a le droit à la vie [12], le droit à l'égalité [13], le droit à la liberté et à la sûreté de sa personne [14], le droit de ne subir de discrimination sous aucune forme [15], le droit au meilleur état de santé physique et mentale possible [16] et le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.[17]

3.2 La MGF et la discrimination fondée sur le sexe

Les répercussions de la mutilation génitale féminine sur les droits de la personne ont été dénoncées dans plusieurs instruments internationaux, notamment la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

La Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes des Nations Unies définit la « violence contre les femmes » comme englobant, entre autres, « les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme[18] ». Plusieurs pays d'Europe, notamment la Suède, la France et la Grande-Bretagne, ont adopté des lois faisant de la MGF un acte passible d'une peine d'emprisonnement.

L'obligation légale d'éliminer toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes a été qualifiée de « principe fondamental des lois internationales protégeant les droits de la personne ».[19] Le sexe est un motif de discrimination illicite aux termes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de trois conventions régionales sur les droits de la personne, à savoir la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Convention américaine sur les droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. L'instrument le plus détaillé, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes,[20] constitue une « déclaration internationale des droits de la femme » et énonce un plan d'action pour les nations signataires en vue de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe.

L'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Néanmoins, bon nombre de pays signataires de cette déclaration continuent de violer cet article du fait qu'ils tolèrent la pratique de la MGF. Renée Bridel, de la Fédération internationale des femmes de carrières juridiques, faisait remarquer à cet égard :

[TRADUCTION] Force est de considérer les États membres tolérant cette pratique comme manquant à leurs obligations contractées sous le régime de la Charte [des Nations Unies].[21]

3.3 La MGF et les droits de l'enfant

La MGF est une atteinte aux droits de l'enfant garantis dans des traités adoptés par les Nations Unies et l'Organisation de l'unité africaine, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale de l'O.N.U. en 1989 et ratifiée par le Canada en 1990.

Cette convention affirme que les enfants doivent avoir la possibilité de grandir normalement en bénéficiant des soins nécessaires à leur bien-être, y compris des soins médicaux, et d'être à l'abri de toute forme de cruauté. La Convention établit le droit des enfants de ne pas être soumis à la discrimination sexuelle (art. 2), de ne pas être soumis à la violence ni à des mauvais traitements physiques ou mentaux (para. 19.1) et de jouir du meilleur état de santé possible (para. 24.1). Enfin, le paragraphe 24.3 de la Convention exige explicitement des États signataires de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les pratiques traditionnelles néfastes à la santé des enfants.

3.4 La MGF et le droit à la santé

De nombreuses études ont confirmé les graves répercussions physiologiques et psychologiques de la mutilation génitale des femmes. La perte partielle ou totale de leur fonction sexuelle constitue une atteinte au droit des femmes à l'intégrité de leur personne et à la santé mentale. Les droits à la santé sont garantis dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 12), la Convention relative aux droits de l'enfant (art. 24) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (art. 16). La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes garantit également l'égalité des droits aux services médicaux (art. 12).


[10] Déclaration et Programme d'action de Vienne, le 25 juin 1993, à l'occasion de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, cité dans Human Rights Are Women's Rights (London: Amnesty International, 1995), à la page 132.
[11]Female Genital Mutilation: UNITED NATIONS ACTION, Organisation mondiale de la santé, août 1996, http://www.who.int/frh-whd/FGM/infopack/English/fgm_infopack.htm#PREVALENCE AND DISTRIBUTION (8 décembre 2000).
[12]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art.6; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 2.
[13]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 26.
[14]Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 3; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 9; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 5(b).
[15]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 26.
[16]Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 12..
[17] Déclaration universelle des droits de l'homme, art 5; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 7; Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
[18]Déclaration de l'Assemblée générale des Nations Unies sur l'élimination de la violence contre les femmes, Séance plénière A/Res./48/104, le 20 décembre 1993. 
[19]Cook, Introduction: The Way Forward, dans Cook, ed., supra, note 1, à la page 10.
[20]Ratifiée par le Canada le 10 décembre 1981; la date d'entrée en vigueur au Canada était le 10 janvier 1992 Il y a plusieurs dispositions de la Convention qui requièrent des États qu'ils prennent des mesures contre des pratiques comme la MGF, notamment :

  1. Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes (art. 2.f);

  2. Modifier les schémas et modèles de comportement socio- culturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes (art. 5.a);

  3. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, les moyens d'accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille (art. 12).

​[21]Voir E. Dorkenoo, Female Genital Mutilation: Proposals for Change (1992) Minority Rights Group Report, à la page 16; Renée Bridel, L'enfant mutilé, présenté au nom de la F.I.F.C.J. aux Nations Unies, Genève, 1978.

4. La MGF au Canada

Depuis quelque temps déjà, le Canada reçoit des immigrants et des réfugiés en provenance de pays où la MGF est une pratique courante. Les groupes communautaires estiment que la communauté urbaine de Toronto compte 70 000 immigrants et réfugiés originaires de la Somalie et 10 000 originaires du Nigéria, deux pays dans lesquels la MGF est une pratique courante.[22] Comme nous l'avons déjà noté, compte tenu de la nature de la MGF, il n'existe pas de statistiques fiables sur sa fréquence dans notre pays. Toutefois, des discussions avec des membres de communautés à risque ont permis de rassembler des témoignages selon lesquels la MGF est pratiquée en Ontario et ailleurs au Canada. Ces témoignages donnent aussi à entendre qu'il arrive que des familles membres de ces communautés envoient leurs filles à l'étranger pour y subir l'opération.[23]

La mutilation génitale féminine est de plus en plus largement reconnue comme une atteinte aux droits de la personne. Les mouvements d'immigrants et de réfugiés, les gouvernements et les organismes de défense du Canada ont reconnu la nécessité de considérer la MGF comme une atteinte à la santé et aux droits de la personne reconnue par le droit international.

Le Canada et le droit international concernant les droits de la personne

Le Canada est signataire de plus d'une vingtaine de conventions et de traités internationaux. Une bonne partie de ces instruments s'appuient sur les principes fondamentaux des droits de la personne. L'engagement du Canada à étendre et protéger les droits fondamentaux des personnes sur son territoire et dans la communauté internationale est donc une question de droit. Les tribunaux nationaux et internationaux sont tenus d'interpréter les lois de mise en œuvre des conventions internationales conformément à l'esprit de celles-ci, en autant que la législation nationale le permet.[24] Au Canada, comme dans les autres pays où prévaut la common law, la présomption de base selon laquelle l'État n'enfreint pas ses obligations internationales s'applique aussi au droit conventionnel. Il est attendu des États qu'ils appliquent les textes de loi internationaux à moins d'incompatibilité manifeste entre ces textes et leur législation interne.

Les obligations conventionnelles contractées par le Canada en vertu des instruments internationaux peuvent lier ses tribunaux nationaux si (i) le droit international est incorporé à la loi nationale, soit expressément, soit par implication impérative et (ii) cette loi est elle‑même adoptée par l'assemblée législative sous le ressort de laquelle tombe l'objet du traité.[25]

L'adhésion du Canada et des provinces au Pacte international relatif aux droits civils et politiques remonte à 1976. L'argument a été avancé que ce pacte et d'autres instruments dont le Canada est signataire sont incorporés au droit canadien par implication par le biais de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).[26] La Charte est décrite comme étant une loi de mise en œuvre [TRADUCTION] « faisant absolument autorité et liant l'ensemble des tribunaux et des institutions du Canada » dont certaines phrases clés découlent des principes et des instruments du système juridique international.[27]

En 1983, le juge en chef Dickson, dans son opinion dissidente rendue relativement à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (Reference Re Public Service Employee Relations Act, [1987] 1. R.C.S. 313, aux pages 348 à 350) dégageait les répercussions du droit international sur l'interprétation de la Charte de la façon suivante :

... le Canada est partie à plusieurs conventions internationales sur les droits de la personne qui comportent des dispositions analogues ou identiques à celles de la Charte. Le Canada s'est donc obligé internationalement à assurer à l'intérieur de ses frontières la protection de certains droits et libertés fondamentaux qui figurent aussi dans la Charte. Les principes généraux d'interprétation constitutionnelle requièrent que ces obligations internationales soient considérées comme un facteur pertinent et persuasif quand il s'agit d'interpréter la Charte.

Le juge en chef Dickson a réaffirmé sa position lors du jugement majoritaire rendu dans Slaight Communications c. Davidson [1989] 1 R.C.S. à la page 1041, dans lequel il réitère l'importance de l'engagement pris par le Canada dans les traités internationaux de protéger les droits garantis par ceux-ci. Il y fait remarquer que le fait qu'une loi est interprétée comme ayant la même valeur qu'un instrument international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d'un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter qu'un degré élevé d'importance est attaché aux droits garantis en droit international.

La MGF représentant une discrimination fondée sur le sexe, condamnée internationalement et proscrite dans des instruments internationaux auxquels le Canada est partie, la province de l'Ontario s'acquitterait des ses obligations en prenant des mesures pour éliminer cette pratique. Toute initiative à cet égard prise par le gouvernement de l'Ontario se répercuterait dans les rapports aux organismes internationaux en conformité avec les conventions internationales dont le Canada est signataire.

4.2 Le droit criminel

Le Code criminel du Canada reste l'instrument utilisé pour les affaires en rapport avec la MGF. Par exemple, on peut y avoir recours pour empêcher l'envoi d'enfants de sexe féminin à l'extérieur du pays aux fins de pratique de la MGF.[28] Depuis le début des années 1990, le Canada a officiellement reconnu la crainte de persécution basée sur le sexe comme motif pour revendiquer le statut de réfugié. En mai 1994, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accordé le statut de réfugiée à une femme dont la fille, âgée de 10 ans, aurait été soumise à la MGF si elles avaient toutes deux été forcées de retourner dans leur pays d'origine. [29]

En conséquence de la reconnaissance croissante de la MGF comme une atteinte aux droits de la personne, en octobre 1994, le ministre du Solliciteur général et des Services correctionnels [30] a publié un avis à tous les chefs de police et au Commissaire de la Police provinciale de l'Ontario, expliquant que la MGF est une infraction criminelle et indiquant quelles procédures mettre en oeuvre pour faire enquête et porter des accusations eu égard aux infractions liées à la MFG. Le ministère du Procureur général a aussi envoyé une note de service à tous les procureurs de la Couronne sur les actions à intenter suite à des accusations de MGF.

En mai 1997, le gouvernement fédéral a modifié le Code criminel et a inclus la pratique de la MGF au nombre des voies de fait graves en vertu du paragraphe 268(3).[31] Aux termes du Code criminel, toute personne qui commet des voies de fait graves est coupable d'un acte criminel et passible d'emprisonnement pendant une durée pouvant aller jusqu'à 14 ans. [32] Un parent qui pratique une MGF sur son enfant peut être accusé de voies de fait graves. Si le parent ne commet pas l'acte, mais accepte de le faire exécuter par une autre partie, le parent peut être condamné comme partie à l'infraction en vertu du paragraphe 21(1) du Code criminel. [33]

4.3 La Charte des droits et libertés de la personne du Québec [34]

En décembre 1994, la Commission des droits de la personne du Québec a publié un document déclarant que la MGF est une pratique qui enfreint le droit des femmes à l'intégrité de leur personne, à l'égalité et à la non-discrimination.[35] La Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit l'obligation de respecter les droits d'autrui « en conférant à la victime d'une atteinte illicite à [ces] droit[s] la possibilité d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte ». [36]

Le rapport note par ailleurs ceci :

... comme ce type de mutilation vise très spécifiquement les femmes, il est certain que c'est une atteinte discriminatoire à leur intégrité physique et mentale. La Commission des droits de la personne aurait donc compétence pour enquêter sur des plaintes de mutilations sexuelles et pour intenter, avec le consentement de la victime, des actions en justice pour atteinte discriminatoire à l'intégrité dans le but d'obtenir une réparation civile et de faire condamner l'auteur de l'acte à des dommages exemplaires [c'est nous qui soulignons]. [37]

La Commission québécoise a donc adopté la position qu'elle a compétence pour enquêter sur une plainte déposée par une femme qui a subi une mutilation génitale et pour entamer des poursuites tant civiles que pénales, s'il ressort de son enquête qu'il y bien eu atteinte aux droits de la femme sous forme d'une MGF. Le rapport conclut en soulignant qu'il convient d'accorder une importance toute particulière aux mesures de prévention, sous forme d'éducation et de sensibilisation du public.

4.4 L'Ontario

4.4.1 Le Groupe de travail ontarien sur la prévention de la mutilation génitale féminine

Au début des années 1990, un nombre croissant de femmes qui avaient été soumises à une MGF ont commencé à se présenter chez les médecins de la province. [38] Œuvrant de concert avec des femmes membres de communautés à risque, des médecins généralistes et Santé Canada, le Centre canadien pour les victimes de torture a mis sur pied le premier groupe d'entraide pour les femmes soumises à cette pratique. Depuis, plusieurs autres initiatives ont suivi.

En l'absence d'efforts coordonnés au niveau des professions et des institutions concernées, et faute d'une politique cohérente à l'échelle nationale concernant la MGF, des membres des communautés touchées ont demandé à la ministre déléguée à la Condition féminine de créer un groupe de travail ontarien sur la prévention de la MGF. Constitué de membres du public et de plusieurs ministères et organismes gouvernementaux et communautaires, ce groupe de travail a reçu pour mandat d'élaborer et de mettre au point des stratégies et des politiques susceptibles de venir en aide aux femmes et aux enfants de sexe féminin ayant subi une MGF, de prévenir cette pratique et d'appuyer les efforts entrepris au niveau communautaire par et pour les femmes touchées par la mutilation génitale.[39]

4.4.2 La MGF et le devoir de faire rapport

En Ontario, il y a un devoir de signaler les MGF aux termes de la politique de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario (OMCO) et en vertu de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille.

Aux termes de la politique de l'OMCO, la circoncision, l'excision et l'infibulation ou la réinfibulation d'un enfant de sexe féminin ou d'une femme par un médecin détenant un permis en Ontario serait considérée, à moins d'indication médicale, comme un manquement professionnel.[40] L'Ordre exige également que :

Conformément au code de déontologie, tout médecin qui apprend qu'un autre médecin a effectué une opération de cette nature devrait dès que possible le signaler à l'Ordre. Comme la circoncision, l'excision ou l'infibulation d'une enfant de sexe féminin constituerait en toute vraisemblance une forme de mauvais traitement infligé à un enfant, la société d'aide à l'enfance et les services de police compétents devaient être avisés.[41]

En vertu de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille [42], il y a un devoir de déclarer tout renseignement concernant un enfant qui a besoin de protection. Ce devoir prévaut sur les dispositions de toute autre loi. Si une personne a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un enfant a besoin ou risque d'avoir besoin de protection (p. ex., contre des mauvais traitements physiques comme une MGF), cette personne doit faire part de ses soupçons aux autorités appropriées. Le devoir de faire rapport en vertu de cette loi s'applique à tous les membres du public et à toute personne qui a des rapports avec des enfants dans l'exercice de sa profession ou de ses fonctions officielles. [43]


[22] Omayma Gutbi, "Preliminary Report on Female Genital Mutilation (FGM)" (Unité de prévention de la violence contre les femmes, Direction générale de la conditon féminine de l'Ontario, 10 avril 1995) [inédit].
[23]Ibidem à la page 8.
[24] Op. cit. note 1, General Approaches to Domestic Application of International Law, Cook, ed., à la page 364.
[25] Maxwell Cohen et Ann F. Bayefsky, « The Canadian Charter of Rights and Freedoms and Public International Law » (1983) 61 La revue du barreau canadien 265 à la page 288.
[26] Ibidem, à la page 267. Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, formant l'annexe B de l'Acte du Canada 1982, c. 11 (U.K.) [1985, annexe II, no 44].
[27] Ibidem
[28] Art. 273, Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46; tel qu'il a été modifié L.C. 1993, c. 45, art. 3; tel qu'il a été modifié L.C. 1997, c. 18, art. 13.
[29] Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Farah (C.I.S.R. Toronto, Doc. 93-2198, 10 mai 1994).
[30] En juin 1999, le ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels a été divisé en deux ministères : le ministère du Solliciteur général et le ministère des Services correctionnels.
[31] Code criminel, L.R.C.1985, c. C-46, art.268 tel qu'il a été modifié L.C. 1997, c.16, art 5: (3) « Il demeure entendu que l'excision, l'infibulation ou la mutilation totale ou partielle des grandes lèvres, des petites lèvres ou du clitoris d'une personne constituent une blessure ou une mutilation au sens du présent article, sauf dans les cas suivants : a) une opération chirurgicale qui est pratiquée par une personne ayant le droit d'exercer la médecine, en vertu des lois de la province, pour la santé physique de la personne ou pour lui permettre d'avoir des fonctions reproductives normales, ou une apparence sexuelle ou des fonctions sexuelles normales, b) un acte qui, dans le cas d'une personne âgée d'au moins dix-huit ans, ne comporte pas de lésions corporelles. »
[32] Ibidem art. 268 (2).
[33]Ibidem. art. 21.
[34]L.R.Q, c. C-12. Au Québec, les plaintes pour atteinte aux droits ne doivent pas nécessairement porter sur un domaine particulier de la vie en société. La Charte québécoise garantie des droits fondamentaux, des droits politiques et des droits judiciaires. Un cas de MGF pourrait donner lieu à une plainte pour atteinte à un droit fondamental, à savoir le « droit à l'intégrité de sa personne ». Il convient de noter qu'aux termes de l'article 136 de la Charte du Québec, la Commission peut intenter aussi bien une action civile que pénale contre quiconque contrevient à la Charte. À ce jour, la Commission n'a reçu aucune plainte pour cause de MGF.
[35] Maurice Drapeau et Hailou Wolde-Giorghis, Mutilations sexuelles : Atteinte illicite à l'inviolabilité de la personne (Commission des droits de la personne du Québec, 21 décembre 1994). Adopté par résolution COM-388-6.1.5. L'article 1 de la Charte des droits et libertés du Québec stipule que « Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne ».
[36] Ibidem
[37] Supra, note 34 à la page 6.
[38] « Sratégies d'élimination et de prévention des mutilations génitales chez les femmes », document de travail (Groupe de travail ontarien sur la prévention de la MGF, Direction générale de la condition féminine de l'Ontario, Unité de la prévention de la violence contre les femmes, juin 1995) à la page 4.
[39] Ibidem
[40] Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, c.18. art. 85, tel qu'il a été modifié L.O.1993, c. 37, art. 23.
[41] Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario, avis de l'Ordre no25, publié en mars 1992.
[42] Loi sur les services à l'enfance et à la famille, L.R.O. 1990, c. C.11. art 72, tel qu'il a été modifié L.O. 1999, c. 2, para.. 22 (1), art.38.
[43] L'Association des sociétés d'aide à l'enfance d'Ontario a une politique qui appuie le devoir de faire rapport et la protection des droits des enfants. En mars 1992, l'Association des sociétés d'aide à l'enfance d'Ontario a publié une déclaration sur la MGF selon laquelle la pratique de la circoncision, de l'excision ou de l'infibulation sur une enfant de sexe féminin répond à la définition des mauvais traitements infligés aux enfants de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille de 1984.

5. Le Code des droits de la personne de l'Ontario

Le Code des droits de la personne de l'Ontario reconnaît la dignité et la valeur de toute personne résidant en Ontario. Le préambule du Code fait directement référence à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux principes de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables. La création d'une société dont l'ensemble des membres peuvent vivre et travailler dans un milieu libre de toute discrimination est au cœur des objectifs de la politique de la Commission en vertu du Code. La Commission reconnaît ainsi que la MGF porte atteinte aux droits humains et à la dignité humaine des femmes et des enfants de sexe féminin.

Il existe des preuves tendant à démontrer que la MGF est pratiquée en Ontario au sein de certains groupes d'immigrants.[44] Il se peut qu'il y ait des immigrants récents au Canada qui n'ont pas conscience du fait que certaines des attitudes et des valeurs traditionnelles ancrées dans leur culture peuvent engendrer des pratiques manifestement contraires à la loi canadienne, notamment au Code des droits de la personne de l'Ontario. La Société d'aide à l'enfance de l'Ontario note dans sa politique relative à la mutilation génitale féminine (avril 1995) que la plupart des familles qui cherchent à soumettre une enfant à cette pratique ne considèrent pas que pareille mutilation de l'appareil génital féminin constitue une forme de mauvais traitements physiques ou sexuels. La Société souligne aussi qu'il faut tenir compte du contexte socio-culturel de cette pratique lors de l'élaboration de stratégies visant à l'éliminer.

La Commission reconnaît la nécessité de faire preuve de tact et de compréhension vis‑à‑vis des groupes dont les pratiques rituelles peuvent entrer en conflit avec les principes et les dispositions du Code. En même temps, la Commission reconnaît que son mandat lui confère la double responsabilité de veiller à l'application du Code et d'éduquer le public sur ce qui constitue une atteinte aux droits de la personne.

Interprétation

La pratique de la MGF au Canada pose des problèmes sur le plan des droits de la personne ainsi que de la santé et du droit social et criminel. La communauté internationale, y compris le Canada, a condamné la MGF comme une atteinte aux droits de la personne. Cela a des répercussions sur le Code en ce qui concerne les affaires qui relèvent de la compétence provinciale.

La Commission reconnaît la complexité des racines sociales et culturelles de la MGF et la nécessité d'établir un dialogue avec les communautés à risque de l'Ontario et du Canada et d'y lancer des initiatives d'éducation. Cependant, la Commission estime que les arguments basés sur la défense des valeurs culturelles ou religieuses ne devraient pas servir de justification à la pratique ni de motif de discrimination à l'endroit des femmes qui ont été soumises ou sont perçues comme ayant été soumises à une mutilation génitale.

Il incombe à la Commission de veiller à ce que les droits fondamentaux de la personne reconnus dans les conventions et traités internationaux dont le Canada est signataire et qui sont consacrés dans le Code soient respectés et confirmés en Ontario.

La position de la Commission est que la pratique de la MGF est contraire au Code criminel et à la politique publique de l'Ontario. La pratique est une atteinte à la dignité inhérente des femmes et une violation de leurs droits tels qu'ils sont exposés dans le Code des droits de la personne de l'Ontario. La Commission acceptera donc les plaintes eu égard à la MFG dont elle sera saisie par des victimes de la pratique ou par des personnes qui en ont légalement la charge, fera enquête et rendra une décision les concernant.

En vertu du Code, une allégation de discrimination doit être fondée sur un motif illicite de discrimination en rapport avec un aspect de la vie en société.

a) Un motif illicite fondamental – le sexe

Le droit international et les lois sur les droits de la personne en particulier ont défini la MGF comme un problème lié au sexe. Une plainte déposée auprès de la Commission serait probablement accueillie en tant que plainte pour discrimination fondée sur le sexe. La mutilation génitale est dénoncée comme un moyen de contrôle social sur les femmes dans les communautés en cause.[45] La politique sur le harcèlement sexuel et les remarques et conduites inconvenantes liées au sexe de la Commission évoque, à la page 2, le déséquilibre au niveau du pouvoir et de l'autorité comme un facteur à prendre en considération lors de l'examen des comportements qui constituent une discrimination fondée sur le sexe. On peut y lire la phrase suivante :

«... le traitement inégal d'une personne à cause de son sexe signifie en général que les hommes abusent de leur pouvoir et de leur autorité sur les femmes, ce qui a pour effet de renforcer la situation d'infériorité des femmes par rapport aux hommes qui, en tant que groupe, sont en situation dominante.»

b) Autres motifs illicites

Bien que le motif le plus évident sur lequel une plainte pour MGF pourrait être fondée soit le sexe, certains faits relatifs à une plainte particulière pourraient aussi justifier l'invocation d'autres motifs. C'est le cas par exemple du « lieu d'origine », si la plainte pour discrimination évoque clairement la MGF comme étant une pratique ne survenant qu'au sein des communautés d'immigrants en provenance de pays particuliers.

« L'existence d'un handicap » ou « la présomption d'un handicap » peut aussi s'appliquer dans des situations où les femmes qui ont été soumises à la MGF sont traitées différemment dans le domaine des services ou de l'emploi pour des raisons liées à leur santé.[46]

c) Aspects de la vie en société

Les services, les biens et les installations (article 1 du Code)

Les femmes qui ont subi une mutilation sexuelle sont amenées à consulter des professionnels de la santé qui ne sont pas familiers avec cette pratique. Les dispositions du Code peuvent s'appliquer pour empêcher la discrimination à l'égard des femmes (et des enfants de sexe féminin, lorsqu'il y a lieu) qui :

  1. ont subi une MGF, en vue de leur assurer les moyens d'accéder à des services médicaux adéquats et appropriés sans distinction fondée sur leur sexe, sauf nécessité médicale;
  2. ne veulent pas se laisser infibuler, mais dont un autre membre de leur famille insiste pour leur faire subir cette opération.

L'exécution d'une MGF, notamment l'infibulation ou la réinfibulation, par un médecin détenant un permis en Ontario serait également considérée comme un manquement professionnel par l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario et pourrait donner lieu à une accusation au criminel pour voies de fait.

L'emploi (article 5 du Code)

Les femmes qui ont subi une mutilation génitale ou dont on peut présumer qu'elles en ont subi une du fait de leur croyance ou de leur lieu d'origine peuvent faire l'objet de discrimination en matière d'emploi. La Commission a appris, par l'intermédiaire du Groupe de travail sur la prévention de la mutilation génitale féminine, qu'une discrimination en matière d'emploi en rapport avec la MGF et la façon dont elle est perçue se serait effectivement produit.[47]

La discrimination peut se manifester sous forme de harcèlement par les collègues de travail ou les superviseurs à propos de la MGF ou sous forme d'un refus d'embauchage dû à la perception que les femmes qui ont subi une telle pratique auront des problèmes de santé susceptibles d'entraîner un taux d'absentéisme élevé.


[44] Supra, note 21.
[45] Ibidem
[46] La MGF semblerait satisfaire à la définition de la discrimination fondée sur l'existence d'un « handicap » aux termes de l'article 10 du Code. Comme indiqué précédemment, la MGF entraîne de nombreux problèmes de santé qui peuvent se manifester à différents moments de la vie des femmes.
[47] Il s'agissait en l'espèce d'une entrevue d'embauchage durant laquelle une personne responsable des ressources humaines qui connaissait la pratique de MGF a prétendument interrogé une candidate à un emploi sur son lieu d'origine, en vue de recueillir des données selon lesquelles la santé à long terme de la candidate risquait de poser des problèmes et qu'elle ne serait donc pas une employée sur laquelle l'employeur pourrait compter. 

6. Éducation du public

La CODP a pour mandat d'organiser des activités d'éducation du public visant à promouvoir une meilleure compréhension des principes fondamentaux des droits de la personne, de même qu'un respect volontaire des dispositions du Code.

La CODP reconnaît les effets positifs que peuvent avoir les activités d'éducation sur l'élimination de la pratique de MGF. C'est pourquoi elle est bien déterminée à collaborer avec des membres et des organisations des communautés à risque, ainsi qu'avec d'autres organismes du secteur public, dans les limites de ses attributions et des ressources à sa disposition, en vue d'élaborer des activités d'éducation du public concernant la MGF. Les efforts de la CODP à cet égard et ceux des communautés touchées et des organismes concernés contribueront à créer un climat propice à inciter les personnes en cause à abandonner cette pratique, sans aucunement porter atteinte à la dignité ou à l'identité culturelle des communautés visées.[48]

Un autre document, intitulé La mutilation génitale féminine : questions et réponses est consultable sur le site Web de la CODP à http://www.ohrc.on.ca/fr/resources/guides/fgm.


[48] Lors du congrès de l'Association canadienne des commissions et conseils des droits de la personne (ACCCDP) en juin 1995, la Comission a déposé la résolution ci-après qui a été adoptée à l'unanimité :

LES DROITS UNIVERSELS DE LA PERSONNE ET LA PROTECTION DES FEMMES

ATTENDU QUE le Canada a signé plusieurs instruments internationaux prévoyant le respect et la protection des droits fondamentaux des femmes et des enfants;

ET ATTENDU QUE le Canada participe à une intitiative internationale visant à mettre fin aux mutilations sexuelles féminines;

ET ATTENDU QUE les Canadiens et Canadiennes s'alarment de savoir que des femmes et des jeunes filles résidant habituellement au Canada sont soumises à des mutilations sexuelles;

QU'IL SOIT RÉSOLU QUE L'ACCCDP recommande au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de veiller à ce que toutes les personnes désireuses d'émigrer au Canada soient informées de l'engagement pris par le Canada de veiller à l'application de ces instruments internationaux en matière de droits de la personne, en insistant sur le fait que la protection et le respect des droits de la personne, et notamment la protection des femmes et des enfants contre tout acte susceptible de porter gravement atteinte à leur personne, y compris les mutilations sexuelles féminines, sont deux pierres d'assise de la société canadienne, et qu'elles soient bien avisées que les pratiques telles que les mutilations sexuelles féminines constituent une activité criminelle au sens du Code criminel du Canada.

7. Renseignements supplémentaires

Pour plus d'information sur le système des droits de la personne en Ontario, visitez www.ontario.ca/humanrights

Le système des droits de la personne peut aussi être accessible par téléphone au :
Localement : 416 326-9511
Sans frais : 1 800 387-9080
ATS (local) : 416 326 0603
ATS (sans frais) : 1 800 308-5561

Pour déposer une requête en matière de droits de la personne, communiquez avec le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario au :
Sans frais : 1 866 598-0322
ATS : 416 326-2027 ou sans frais : 1 866 607-1240
Site Web : www.hrto.ca

Pour parler de vos droits ou si vous avez besoin d'aide juridique pour une requête, communiquez avec le Centre d'assistance juridique en matière de droits de la personne, au :
Sans frais : 1 866 625-5179
ATS : 416 314-6651 ou sans frais : 1 866 612-8627
Site Web : www.hrlsc.on.ca