Depuis 2013, la CODP exhorte le gouvernement de limiter fortement le placement en isolement cellulaire dans les établissements correctionnels. En effet, nous avons, à maintes reprises, exprimé nos préoccupations concernant le recours à l’isolement pour les détenus ayant des déficiences, les femmes et les prisonniers noirs et autochtones.
Nous sommes notamment intervenus dans l’affaire de Christina Jahn, une femme atteinte de troubles mentaux et d’un cancer qui a déposé plainte pour violation des droits de la personne, en alléguant avoir été placée en isolement pendant plus de 200 jours au Centre de détention d’Ottawa-Carleton en raison de sa déficience mentale et de son genre.
En 2013, la CODP a conclu une entente de règlement avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario (MSCSC) afin d’améliorer le traitement des détenus ayant des déficiences mentales dans les établissements correctionnels de la province. Nous continuons, cependant, de nourrir de sérieuses inquiétudes quant au respect des conditions de l’entente et au recours excessif à l’isolement, en violation du droit des détenus d’être protégés de toute discrimination aux termes du Code.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes notamment fixés comme priorité de visiter des prisons à travers toute la province et de rencontrer des détenus ayant été placés en isolement cellulaire. En 2016 et 2017, nous nous sommes ainsi rendus dans les prisons suivantes, où nous avons rencontré la direction et discuté avec des détenus :
La CODP a, par ailleurs, organisé une réunion de suivi avec Smokey Thomas, le président du Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario (SEFPO).
Nous avons également rédigé et adressé des courriers au MSCSC afin de lui présenter nos observations, en particulier sur :
Nous continuerons à suivre les progrès réalisés à mesure que les changements s’opèrent au sein du système correctionnel de l’Ontario.
Dans un rapport transmis, en 2016, au MSCSC sur l’examen de la politique provinciale en matière d’isolement, nous avons formulé un certain nombre de recommandations, notamment en vue :
À la suite de ce premier rapport, nous avons demandé au MSCSC de nous fournir des données désagrégées relatives aux droits de la personne concernant son recours à l’isolement. Nous avons ensuite exposé nos conclusions dans un second rapport, que nous avons transmis au MSCSC en octobre 2016.
Les statistiques recueillies ont révélé un recours excessif systémique et alarmant à l’isolement. Sur une période de trois mois, environ 19 p. 100 des détenus (soit 4 178 personnes) ont, au moins une fois, fait l’objet d’un placement en isolement. Parmi ces placements, environ 1 383 ont duré au moins 15 jours. Or, conformément aux normes établies par les Nations Unies, tout placement en isolement de plus de 15 jours peut être considéré comme « de la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » et devrait donc être interdit.
La CODP demeure extrêmement préoccupée par le recours disproportionné à l’isolement pour les détenus ayant des déficiences mentales, par les torts causés par cette pratique et par le respect des obligations du MSCSC aux termes de l’entente de règlement Jahn v. Ministry of Community Safety and Correctional Services. Cette entente interdit, en effet, au MSCSC tout placement en isolement de détenus ayant des troubles mentaux, à moins d’un préjudice injustifié. Or, les statistiques indiquent que 38,2 p. 100 des détenus placés en isolement (soit 1 594 personnes) ont un dossier signalant un problème de santé mentale.
Rencontre avec Adam Capay
La situation de M. Capay a été rendue publique après qu’un gardien de prison en a averti Renu Mandhane, la commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne, à l’occasion d’une visite à la prison plus tôt ce mois-ci. Mme Mandhane a alors découvert M. Capay, seul, au fond d’un couloir d’un étage sans fenêtre. Elle a ensuite indiqué aux journalistes qu’après 1 500 jours d’isolement cellulaire, M. Capay souffrait de pertes de mémoire et de difficultés d’élocution et que la lumière constamment artificielle à laquelle il était exposé l’empêchait de discerner le jour et la nuit.
— @BrownBarrie, Patrick Brown, The Globe and Mail, 21 novembre 2016
« Je crois que le rôle de commissaire en chef des droits de la personne consiste finalement à s’assurer que la voix des personnes vulnérables et marginalisées est entendue aux tables de décision. Dès lors que ces voix sont entendues haut et clair, nous pouvons améliorer les politiques gouvernementales, les pratiques organisationnelles et notre société. »
— Déclaration de la commissaire en chef Mandhane, lors du congrès du Forum canadien des ombudsmans (FCO) et de l’Association des ombudsmans des universités et collèges du Canada au printemps 2017
« Le recours à l’isolement cellulaire peut avoir des effets négatifs sur la santé d’une personne et aggraver un trouble préexistant. L’isolement peut se révéler particulièrement préjudiciable pour les jeunes et les détenus ayant des déficiences mentales. »
— Ruth Martin, présidente du Comité de programme sur la médecine en milieu carcéral, Collège des médecins de famille du Canada
Depuis que la CODP a publié des données sur l’isolement et a révélé au public la détention préventive en isolement cellulaire prolongé dont a fait l’objet Adam Capay, des changements mesurables et significatifs se sont opérés, parmi lesquels :
En novembre 2016, le gouvernement de l’Ontario a annoncé la création de la première unité de santé mentale de l’Ontario réservée aux femmes détenues. Cette annonce fait suite aux engagements qu’il a pris avec la CODP, dans le cadre de l’entente de règlement Jahn v. MCSCS, concernant le recours à l’isolement et le traitement des détenus, et notamment des femmes détenues ayant des déficiences mentales.
L’unité, qui devrait ouvrir ses portes début 2018, fera partie d’un nouveau centre de détention pour les femmes offrant 192 lits, qui sera construit sur le site du Centre de jeunes Roy McMurtry à Brampton. Avec une capacité d’accueil de 32 détenues, l’unité répondra aux besoins particuliers, souvent complexes, des femmes détenues ayant des troubles mentaux.
Une sensibilisation accrue pour des droits renforcés
Selon le proverbe « loin des yeux, loin du cœur », il est rare que les problèmes de droits de la personne rencontrés par les prisonniers placés en isolement cellulaire soient portés à la connaissance du public et recueillent, par conséquent, son appui. Cependant, la vaste couverture médiatique du cas d’Adam Capay, et d’autres problèmes d’isolement, a contribué à accroître la sensibilisation et les critiques à l’égard de cette pratique.
La sensibilisation accrue à ces problèmes se traduit par une hausse du nombre de plaintes reçues par l’Ombudsman Ontario depuis que la CODP a rendu son premier rapport au MSCSC, en janvier 2016, concernant l’examen de la politique provinciale en matière d’isolement et a réclamé, pour la première fois, l’interdiction de l’isolement cellulaire. Le récent rapport de l’Ombudsman sur l’isolement, intitulé Les oubliés de la surveillance, indique à ce propos : « (…) Depuis, nous continuons de faire un suivi des plaintes sur l’isolement. Ayant constaté une hausse alarmante du nombre de ces plaintes, et après avoir examiné le cas d’Adam Capay, j’ai compris clairement que de graves problèmes systémiques persistaient. »
L’accent mis par la CODP sur le système correctionnel va au-delà de l’isolement cellulaire. En avril 2016, nous avons ainsi exprimé nos inquiétudes quant à la détention de citoyens étrangers dans les prisons de l’Ontario aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) du Canada (personnes détenues en vertu de la LIPR).
Nous savons que la détention de personnes en vertu de la LIPR est une pratique courante. Chaque année, des milliers de citoyens étrangers sont ainsi incarcérés dans les prisons de l’Ontario. Les personnes détenues en vertu de la LIPR forment un groupe particulièrement vulnérable pouvant être associé à des motifs croisés de protection du Code, comme la race, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique et la citoyenneté. Ces personnes ont droit aux protections conférées par le Code et nous craignons que les services qu’elles reçoivent ne respectent pas les obligations du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MSCSC) aux termes du Code.
En attendant que notre demande de réforme du système soit suivie d’effet, nous avons exprimé notre soutien en faveur d’une série de recommandations formulées dans un rapport de l’Université de Toronto, qui a également reçu l’appui de nombreux intervenants.
Ces recommandations prévoient notamment que le MSCSC :
En août 2016, le ministre de la Sécurité publique du Canada, Ralph Goodale, s’est engagé à réformer le système de détention en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de façon à ce que la détention soit uniquement choisie en dernier recours. La réforme gouvernementale vise notamment les objectifs suivants :
(Source : CBC, 15 août 2016)
À la suite du règlement d’une plainte déposée par M. McKinnon contre le MSCSC, la CODP a engagé, avec ce ministère, un projet de changement organisationnel en matière de droits de la personne. Ce projet, mené à bien jusqu’à sa dernière année, a abouti à l’élaboration d’un plan contenant 23 initiatives en matière de droits de la personne. Le MSCSC compte poursuivre le travail entamé jusqu’en 2021, c.-à-d. au-delà du terme de l’engagement de la CODP fixé en août 2017.
Le MSCSC n’a, malheureusement, pas pris de mesures en réponse aux recommandations relatives à l’isolement cellulaire, qui constituent pourtant le nerf du projet. Or, comme le projet se poursuit au-delà de l’engagement de la CODP, il est important de traiter tous les problèmes liés aux droits de la personne, qu’ils portent sur les activités d’emploi ou les services correctionnels, dans le cadre du Plan en matière de droits de la personne. Il est également essentiel d’adopter une approche efficace en vue d’évaluer, de contrôler et de mesurer les effets du projet dans son ensemble.