Protéger les droits des détenus

Mettre fin à l’isolement cellulaire dans les prisons de l’Ontario

Chaque année, des milliers de personnes sont mises en isolement dans les prisons et pénitenciers du pays. Nous ne connaissons ni leur nom, ni leur histoire, ni les conséquences de cet isolement sur leur vie. Ce n’est que rarement que nous entendons parler de leur vécu. Nous avons ainsi pris connaissance de l’histoire de Christina Jahn, une femme aux prises avec des troubles mentaux et un cancer, qui a déposé une requête pour violation des droits de la personne, au motif qu’elle avait été placée en isolement pendant plus de 200 jours au Centre de détention d’Ottawa-Carleton en raison de son sexe et de ses troubles mentaux.

La CODP est intervenue dans l’affaire Jahn et, en 2013, une entente historique a été conclue avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario (MSCSC) en vue d’améliorer le traitement des prisonniers ayant des troubles mentaux dans les établissements correctionnels de l’Ontario. Ce règlement a abouti à des réformes en profondeur, dont la mise en place d’un système d’évaluation de la santé mentale pour tous les prisonniers au moment de l’admission et l’interdiction de l’isolement pour les prisonniers ayant des troubles mentaux sous réserve du préjudice injustifié.

Il s’agit là d’étapes importantes. Pourtant, la CODP continue d’être préoccupée par le recours généralisé à l’isolement et par la violation régulière du droit des prisonniers à vivre à l’abri de la discrimination conformément au Code des droits de la personne de l’Ontario.

Les chiffres dépeignent une situation inquiétante. Entre avril et août 2015, le Centre de détention du Centre-Est, à Lindsay, en Ontario, a placé plus de 1 100 personnes en isolement. Au cours de ces mêmes quatre mois, le Centre de détention d’Ottawa-Carleton a placé plus de 550 personnes en isolement. Pendant une période d’une année, quatre détenues du Centre de détention d’Ottawa-Carleton ont été placées en isolement pendant plus de 30 jours d’affilée et deux détenues, pendant plus de 60 jours accumulés. Nous sollicitons actuellement davantage de données ventilées complètes auprès du ministère.

L’isolement est excessivement utilisé dans les établissements correctionnels fédéraux et provinciaux, nuisant en particulier aux groupes vulnérables, comme les Noirs et les Autochtones, les femmes et les détenus ayant des troubles mentaux.

En raison de l’ampleur et de la gravité des risques d’infraction au Code que présente le recours à l’isolement, la CODP a pris la décision rare d’appeler l’Ontario à jouer un rôle moteur en s’engageant publiquement à éliminer entièrement cette pratique de tous ses établissements.

Le MSCSC procède actuellement à un examen approfondi du recours à l’isolement en Ontario. En réponse à l’appel à contributions lancé par le ministère aux parties prenantes, la CODP a présenté un mémoire plaidant pour l’interdiction de l’isolement et recommandant des mesures provisoires, comme une surveillance externe et des délais rigoureux, afin de réduire les préjudices causés par cette pratique.

Voici quelques-unes des autres recommandations :

  • Élaborer et mettre en œuvre des solutions de rechange valables au placement en isolement, conformes aux pratiques de contention minimales et à l’obligation du MSCSC de tenir compte des besoins visés par le Code des détenus jusqu’au point de préjudice injustifié.
  • Ajuster les modèles de dotation en personnel et les pratiques d’embauche, de sélection et de formation du personnel, de sorte que le personnel œuvrant auprès de la population carcérale vulnérable ait une attitude et des habiletés comportementales appropriées.
  • Assujettir les décisions sur le placement en isolement et les évaluations des soins de santé à une surveillance et un contrôle externes indépendants qui incluent un examen judiciaire.
  • Veiller à ce que tous les détenus et leurs représentants juridiques obtiennent des renseignements pertinents sur la nature et la raison d’être des placements en isolement, et à ce qu’ils aient la possibilité de contester ces placements.
  • Mettre en œuvre un système de collecte et d’analyse de données relatives aux droits de la personne en lien avec le placement en isolement et ses effets sur les groupes protégés par le Code.
  • Donner aux parties prenantes et aux experts l’occasion d’examiner et de commenter publiquement toutes les propositions de modification des pratiques d’isolement, y compris la façon dont elles seront mises en œuvre.

Mettre fin à l’isolement n’est pas une idée révolutionnaire, irréelle ou illusoire. Il s’agit d’un engagement qui nécessite des ressources suffisantes.

Les prisonniers doivent connaître leurs droits : notre intervention dans le cadre de l’entente Jahn

L’entente Jahn obligeait le MSCSC à remettre à tous les prisonniers placés en isolement un document sur l’isolement comprenant des renseignements sur leurs droits. De plus, des renseignements sur les droits des prisonniers figurent désormais dans le Guide d’information à l’intention des personnes détenues dans les établissements pour adultes du MSCSC.

La CODP était l’une des parties à une requête pour contravention à un règlement, selon laquelle les prisonniers ne recevaient pas ces renseignements. Une deuxième entente de règlement, datant de décembre 2015, comportait d’autres réparations d’intérêt public, afin que les prisonniers en isolement soient informés de leurs droits. En particulier, l’entente oblige le MSCSC à placer, dans toutes les zones d’isolement, des affiches indiquant que les prisonniers doivent recevoir des renseignements sur leurs droits, et prévoit la création d’un processus permettant au personnel de la Société Elizabeth Fry et de la Société John Howard d’aviser le MSCSC de tout cas où ceci ne se produirait pas.

Faire preuve d’un leadership audacieux et s’engager à mettre fin à la ségrégation

Dans un commentaire publié dans Law Times en mars 2016, la commissaire en chef Renu Mandhane a écrit :

Il est temps d’agir. Nous ne pouvons pas laisser un autre prisonnier mourir seul dans une cellule de prison tandis que nous réfléchissons à la façon de réformer une pratique qui est clairement nuisible et contraire au droit relatif aux droits de la personne. [...] L’environnement politique est propice à l’adoption d’une nouvelle approche en matière de services correctionnels – une approche solidement ancrée dans les notions d’égalité, de droits de la personne et de dignité humaine.

[Traduction libre]

Dans l’actualité

Renu Mandhane a indiqué que la position de la Commission – à savoir mettre fin à cette pratique en Ontario – est volontairement ferme, car l’élimination de l’isolement forcerait la province à changer le mode de fonctionnement des prisons. [Traduction libre]

– Amy Dempsey, « End solitary confinement, province urged », The Toronto Star, 29 février 2016

La Commission a raison d’être préoccupée, d’autant plus que les données recueillies indiquent que le placement en isolement est davantage utilisé contre les minorités raciales, les personnes atteintes de maladies mentales et les femmes. [Traduction libre]

– « Truly the last resort », éditorial du Toronto Star, 1er mars 2016

Services correctionnels : point sur le changement organisationnel relatif aux droits de la personne

Depuis 2011, la CODP participe à un projet de changement organisationnel relatif aux droits de la personne, en partenariat avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MSCSC) et le ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs. Ce partenariat devrait s’achever en août 2017. En 2014, les partenaires ont convenu d’un Plan en matière de droits de la personne, qui prévoit la réalisation d’initiatives en deux phases, la première phase se terminant en 2017 et la seconde en 2021.

Il est encourageant de constater que les experts en droits de la personne au sein du MSCSC sont de plus en plus consultés lors de l’élaboration de nouvelles stratégies et politiques. Nous savons qu’un certain nombre de politiques liées au service et à l’emploi ont fait l’objet d’examens sous l’angle des droits de la personne, et nous nous réjouissons à l’idée de faire rapport sur la mise en œuvre des améliorations recommandées en matière de droits de la personne. Il s’agit là d’une étape essentielle pour intégrer les droits de la personne dans le travail et la culture du ministère. En outre, plusieurs initiatives clés sont sur le point d’être achevées. Citons, par exemple, l’élaboration d’une politique sur les mesures d’adaptation et les droits de la personne des clients, laquelle formulera des directives pour assurer le respect des droits des prisonniers, des probationnaires et des libérés conditionnels.

Malgré ces réussites, la CODP s’inquiète du fait que plusieurs initiatives de la première phase accusent un retard considérable et que d’importantes initiatives ne seront pas terminées d’ici la fin du partenariat en août 2017. Il est clair qu’une grande partie des travaux accomplis pour améliorer les droits de la personne se passe en coulisse, mais peu d’initiatives ont été achevées à ce jour. De plus, les employés du MSCSC ont probablement du mal à se rendre compte de la dynamique engagée en faveur du changement positif en matière de droits de la personne. La CODP surveille de près l’avancement du projet.

L’une de nos préoccupations est l’absence d’un plan d’évaluation convenu relativement à la Charte du Projet des droits de la personne et au Plan en matière de droits de la personne. L’évaluation est primordiale pour garantir la responsabilisation à l’égard du changement organisationnel relatif aux droits de la personne, ainsi que pour évaluer le degré de changement réalisé et l’efficacité des initiatives entreprises. Des travaux ont été menés dans ce domaine et nous sommes impatients de finaliser un plan d’évaluation et de recueillir des données de référence pour mesurer les progrès accomplis.

Le MSCSC recrute actuellement un nouveau conseiller ou une nouvelle conseillère en affaires autochtones au sein de son unité responsable du Plan en matière de droits de la personne. Cependant, la CODP invite le MSCSC à affecter des ressources supplémentaires pour soutenir ses efforts en matière de droits de la personne, au moins jusqu’à l’achèvement du Plan en matière de droits de la personne. Comme il s’agit d’un secteur qui pose pléthore de nouveaux enjeux sur le plan des droits de la personne, le ministère doit être en mesure d’y répondre en temps opportun, tout en tenant ses engagements au titre du Plan en matière de droits de la personne dans les délais initialement proposés.