1. Établissement du contexte

En 1996, La Commission ontarienne des droits de la personne (« CODP ») a publié sa première politique formelle sur la croyance, un motif de discrimination interdit inscrit au Code des droits de la personne de l’Ontario (« Code ») depuis sa création il y a 50 ans. Depuis lors, de nombreux développements juridiques et sociaux ont eu lieu.

À mesure que la société ontarienne s’est diversifiée sur le plan religieux, une place croissante a été accordée dans la sphère publique aux questions concernant la nature et la portée appropriées des droits relatifs à la religion et à la croyance[1].

La présente politique a pour but d’aider les Ontariennes et les Ontariens à mieux comprendre la diversité de croyance et à en tenir compte à l’aide de moyens inclusifs qui protègent les droits de la personne (voir la section 2 pour obtenir un complément d’information sur la présente politique et ses objectifs). Elle fait office de rappel opportun du besoin de respecter les droits de la personne au moment où le rôle de la croyance et de la religion au sein de notre société suscite de grandes discussions.

Depuis 2011, la CODP a mené des recherches et des consultations exhaustives dans le but d’accroître sa compréhension des droits de la personne relatifs à la croyance aux termes du Code[2]. Le Rapport de recherche et de consultation sur les droits de la personne et la croyance de la CODP présente bon nombre des conclusions de la CODP[3].

Les recherches et consultations menées par la CODP montrent que les préjugés et la discrimination fondés sur la croyance sont encore une réalité en Ontario et augmentent même dans certains cas.

Beaucoup d’experts soutiennent que la façon dont une société traite ses minorités religieuses et de croyance est une indication de sa tolérance à l’égard de la différence et de la diversité en général[4]. Les droits en matière de liberté et d’égalité sont des éléments centraux d’une société libre et démocratique[5].

« De fait, une attitude respectueuse et tolérante à l’égard des droits et des pratiques des minorités religieuses est une des caractéristiques essentielles d’une démocratie moderne ».
- Cour suprême du Canada[6]

« [L]e harcèlement ou la discrimination à l'endroit d'une personne pour des raisons religieuses est une attaque grave à la dignité de la personne, et une négation du respect égal qui est essentiel à une société démocratique libérale ». – Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (anciennement connu sous le nom de Commission d’enquête de l’Ontario)[7]

Le droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur la croyance ne concerne pas uniquement les personnes qui adhèrent activement à une religion ou à une croyance. C’est un droit dont dépendent tous les membres de sociétés fondées sur le respect du pluralisme, des droits de la personne et du droit d’adopter et de mettre en pratique différentes convictions[8]. Il s’agit d’un élément essentiel du maintien de sociétés pluralistes diversifiées comme la nôtre[9].

Du point de vue des droits de la personne, il importe particulièrement que chaque personne comprenne et respecte le droit à un traitement égal en matière de croyance, qui constitue un droit de la personne aux termes du Code, ainsi qu’un droit constitutionnel fondamental aux termes de la Charte qui reflète les valeurs constitutionnelles fondamentales et engagements en matière de laïcité du Canada.

En même temps, la présente politique reconnaît qu’aucun droit n’est absolu et que chacun des droits, y compris les droits relatifs à la croyance, peuvent être assujettis à certaines limites de façon à assurer la conciliation de droits contradictoires[10].


[1] Le nombre d’Ontariens et d’Ontariennes observant des religions et des croyances autres que les confessions protestantes et catholiques ayant dominé l’histoire de la province, ou n’observant aucune religion ou croyance particulière, a augmenté de façon considérable. Une étude de 2013 menée par le Pew Forum sur les tendances démographiques canadiennes en matière de religion révèle que l’Ontario a connu la hausse la plus importante de population adhérant à des religions minoritaires de toutes les provinces canadiennes. La proportion d’Ontariennes et d’Ontariens qui s’identifient à des fois autres que le protestantisme ou le catholicisme est passée d’environ 5 % en 1981 à 15 % en 2011. Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life, Canada’s Changing Religious Landscape : Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx).

Par ailleurs, un nombre croissant de personnes de toutes confessions interprètent et pratiquent leur foi de façon individuelle. On estime que toutes ces tendances sociales et démographiques s’accentueront à l’avenir. Pour en savoir davantage sur de telles tendances sociales et démographiques en Ontario et au Canada, voir le Rapport de recherche et de consultation sur les droits de la personne et la croyance de la CODP.

[2] En janvier 2012, la CODP a organisé un dialogue stratégique sur les droits de la personne, la croyance et la liberté de religion au centre multiconfessionnel de l’Université de Toronto, en partenariat avec la Religion in the Public Sphere Initiative et la faculté de droit de l’Université de Toronto. Les mémoires présentés dans le cadre de cet événement, qui rassemblait des partenaires communautaires, des universitaires, des professionnels du milieu juridique et des droits de la personne, et des experts de la diversité, ont été publiés dans un numéro spécial de Diversité canadienne. Plusieurs mémoires sur les droits de la personne et la croyance ont aussi été présentés lors d’une autre consultation d’envergure (atelier de nature juridique), organisée en partenariat avec l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, son Centre for Public Policy and Law et son Centre for Human Rights. Il est également possible de consulter ces documents sur le site Web de la CODP. La CODP a mené plusieurs groupes de travail et entrevues, ainsi qu’un sondage en ligne à l’intention du grand public en 2013 et 2014. Vous trouverez sur le site Web de la CODP un résumé des conclusions du sondage, ainsi qu’un Examen de la jurisprudence relative à la croyance mené en 2012.

[3] Vous trouverez également le Rapport de recherche et de consultation sur les droits de la personne et la croyance sur le site Web de la CODP.

[4] Voir, par exemple, Grim, B. J. et Finke, R. The Price of Freedom Denied. New York, Cambridge University Press, 2011.

[5] La plus haute cour du Canada a confirmé à maintes reprises la place importante qu’occupent la liberté de religion et le droit à l’égalité en matière de religion au cœur de la tradition démocratique libérale canadienne. Par exemple, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite […] Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre. (R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295, aux par. 94-95 [Big M]; voir aussi Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551 [Amselem]; R. c. Edwards Books and Art Ltd. [1986] 2 R.C.S. 713, au par. 759) [Edwards Books].

[6] Amselem, idem, au par. 1.

[7]Dufour v. J. Roger Deschamps Comptable Agréé (1989), 10 C.H.R.R. D/6153 (Ont. Bd. of Inquiry) [Dufour], au par. 617.

[8] Par exemple, la Cour suprême du Canada a indiqué dans École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, aux par. 47-48, [Loyola] :

La liberté de religion doit donc s’interpréter dans le contexte d’une société laïque, multiculturelle et démocratique qui tient au plus haut point à protéger la dignité et la diversité, à favoriser l’égalité et à assurer la vitalité d’une croyance commune à l’égard des droits de la personne […] Une démocratie multiculturelle et pluraliste dynamique doit pouvoir compter sur la capacité de ses citoyens « de discuter de manière réfléchie et ouverte en profitant » de diverses visions du monde et pratiques religieuses. Benjamin L. Berger. « Religious Diversity, Education, and the “Crisis” in State Neutrality », 29 R.C.D.S. 103 (2014), p. 115.

Au par. 45, la Cour suprême a également cité une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme dans Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260‑A :

« La liberté de pensée, de conscience et de religion […] figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme — chèrement conquis au cours des siècles — consubstantiel à pareille société » (p. 17).

[9] « [U]ne société [multiculturelle multiconfessionnelle] ne peut fonctionner […] que si les membres de tous les groupes qui la composent se comprennent et se tolèrent mutuellement » Loyolaidem, au par. 47, citant Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, au par. 212, la Juge McLachlin (maintenant Juge en chef), dissidente en partie.

[10] Dans la première décision importante de la Cour suprême sur la liberté de religion aux termes de la CharteR. c. Big M Drug Mart Ltd., la Cour a établi l’essence du droit à la liberté de religion et ses restrictions « nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui ». La Cour a ensuite nuancé la portée appropriée de telles restrictions aux termes de la Charte, afin de protéger, dans les faits, les droits constitutionnels contre l’imposition de restrictions sur la base des « valeurs de la majorité » :

Une majorité religieuse, ou l’État à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte protège les minorités religieuses contre la menace de « tyrannie de la majorité ». (Big Msupra, note 5, au par. 337).

Pour en savoir davantage sur la nature des restrictions aux droits à la lumière des valeurs constitutionnelles fondamentales et intérêts de l’État, voir Loyola, supra, note 8, aux par. 45-47.