Rapport de recherche et de consultation sur les droits de la personne et la croyance

I. Introduction

1. Définition du contexte

Depuis que la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a publié sa Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses (ou Politique sur la croyance) en 1996, de nombreux changements importants d’ordre juridique et social sont survenus au Canada et sur la scène internationale. Ces développements ont forgé les expériences des communautés identifiées par la croyance. Au sein de la société ontarienne, la question des limites et de la portée appropriées à donner aux mesures de protection des droits liés à la religion et à la croyance suscite également un vif débat public.

La CODP met actuellement à jour sa Politique sur la croyance de 1996 pour refléter ces développements. Son but est de clarifier sa propre interprétation des droits de la personne en lien avec la croyance, aux termes du Code des droits de la personne (Code) de l’Ontario, et à promouvoir le savoir et les bonnes pratiques en matière de droits de la personne. La mise à jour de la politique, entamée en 2011, prendra deux à trois ans à réaliser. Elle s’appuiera sur des recherches et des consultations exhaustives, et tiendra compte des enseignements tirés des travaux récemment menés par la CODP dans le cadre de sa Politique sur les droits de la personne contradictoires.

Jusqu’à présent, la CODP a organisé deux grandes séances de consultation :

  • un dialogue stratégique sur les droits de la personne, la croyance et la liberté de religion, qui a eu lieu les 12 et 13 janvier 2012 au Multi-Faith Centre de l’Université de Toronto, en partenariat avec la Religion in the Public Sphere Initiative et la faculté de droit de l’université
  • un atelier de nature juridique sur les droits de la personne, la croyance et la liberté de religion, qui a eu lieu les 29 et 30 mars 2012 à la l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, en partenariat avec l’Osgoode Hall Law School, le Centre for Public Policy and Law et le Centre for Human Rights de l’université.

La CODP a ensuite publié certains des documents présentés lors du dialogue stratégique dans un numéro spécial du magazine Diversité canadienne. Ces documents, ainsi que ceux provenant de l’atelier juridique, sont disponibles sur le site Web de la CODP, à l’adresse www.ohrc.on.ca/fr.

La CODP a également réalisé des recherches exhaustives à l’interne, notamment :

  • un examen de la jurisprudence relative à la croyance
  • des analyses contextuelles et documentaires
  • un examen et une analyse des requêtes soumises au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) durant les exercices de 2010-2011 et 2011-2012, et actuellement en cours de traitement.

La CODP poursuivra ses recherches et consultations publiques en 2013-2014, s’appuyant en partie sur les réponses fournies au Sondage sur les droits de la personne et la croyance [hyperlien], et les commentaires soumis en réaction à son rapport de recherche et de consultation sur les droits de la personne et la croyance.

2. Objet du présent rapport

L’objet premier de ce rapport est de faire part des conclusions des recherches, consultations et analyses menées jusqu’à présent par la CODP sur les questions, possibilités et débats actuels du secteur des droits de la personne et de la croyance. Nous espérons que cela accroîtra encore plus la transparence de notre processus de mise à jour de la Politique sur la croyance et aidera à sensibiliser davantage le grand public aux questions de droits de la personne en lien avec la croyance. Le rapport a aussi pour objectif d’élaborer un cadre contextuel plus rigoureux en vue de comprendre et de résoudre ces questions[1].

Nous apprécions vos observations sur le contenu du rapport et les questions qu’il met de l’avant, et vous invitons à nous en faire part par courriel, à l’adresse creed@ohrc.on.ca. Vos commentaires sont précieux et nous aideront à orienter la mise à jour de notre Politique sur la croyance au cours de la prochaine année.

3. Critères d’évaluation et d’élaboration de politiques sur les droits de la personne

Au moment d’évaluer les enjeux et possibilités, et d’élaborer des positions stratégiques, la CODP tient compte des critères suivants :

(a) une interprétation du Code qui assure la protection, la promotion et l’avancement des objectifs des lois relatives aux droits de la personne en Ontario[2]

Le Préambule du Code des droits de la personne de l’Ontario met de l’avant quatre grands principes : (i) reconnaître la dignité et la valeur de toute personne, (ii) assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination contraire à la loi et (iii) créer un climat de compréhension et de respect mutuel (iv) de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l’avancement et au bien-être de la collectivité et de la province.

(b) le mandat de la CODP, soit la promotion et l’avancement du respect des droits de la personne en Ontario, la protection de ces droits, et l’identification et la promotion de l’élimination des pratiques discriminatoires[3]

La Commission vise l’élaboration de politiques objectives et éclairées, fondées sur des principes rigoureux.

(c) les lois canadiennes et internationales en matière de droits de la personne, les décisions juridiques et les principes d’interprétation législative[4]

Les politiques de la CODP peuvent faire progresser l’interprétation du Code et en élargir la portée. Elles ne devraient cependant pas, au moment de leur publication, aller à l’encontre des précédents jurisprudentiels clairement établis en matière d’interprétation du Code.


[1]Cela en partie reconnaît que les tribunaux judiciaires et administratifs fondent de plus en plus leur évaluation des cas allégués de discrimination sur un examen du contexte plutôt que sur des analyses abstraites formelles.

[2] Les tribunaux ont affirmé que les lois relatives aux droits de la personne, dont le Code, devraient être interprétées de façon libérale et téléologique, conformément à leur statut quasi constitutionnel. 

Les cours supérieures ont également fourni des détails sur les visées de ces lois, qui sont présentées à la section IV. 2.1.5.

[3] Comme le prévoit l’article  29 du Code.

[4] La section IV. 2.1 examine les principes d’interprétation législative pertinents. Parmi les lois et instruments internationaux qui s’avèrent pertinents pour l’élaboration d’une politique sur la croyance figurent, sans s’y limiter : la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH - 1948); le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP - 1966); le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIRDESC - 1966); la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction (1981).

 

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II. Sommaire

Tendances contextuelles

Le Code des droits de la personne de l’Ontario interdit la discrimination dans cinq domaines sociaux protégés : l’emploi; le logement; les services, biens et installations; les contrats et les associations professionnelles. Un des volets du mandat de la CODP consiste à créer des politiques qui précisent la façon de concrétiser cette vision.

Afin d’élaborer des politiques pertinentes et bien adaptées en matière de droits de la personne, la CODP doit cerner et comprendre les tendances et dynamiques sociales passées et actuelles qui contribuent aux formes contemporaines de discrimination fondée sur la croyance. Cette compréhension aide la CODP à combattre les préjugés et l’intolérance, à atténuer les tensions et les conflits, et à s’attaquer aux causes profondes de la discrimination en Ontario.

Les recherches menées révèlent que l’Ontario affiche une diversité de plus en plus grande sur le plan de la religion et de la croyance. Même si la plupart des Ontariennes et des Ontariens continuent de s’identifier aux religions catholiques ou protestantes, les données du recensement de la population indiquent une croissance des groupes religieux minoritaires ne faisant pas partie des grandes Églises chrétiennes traditionnelles (catholicisme et protestantisme libéral). Cette diversité religieuse croissante est principalement le fruit de l’immigration.

Les Ontariennes et Ontariens sont aussi de plus en plus nombreux à rapporter n’avoir « aucune religion », ou à vivre et pratiquer leur foi de façon plus individuelle, sans égard aux conventions et structures institutionnelles. Par exemple, il est de plus en plus fréquent chez les particuliers et les familles de pratiquer deux religions ou plus, ou de suivre à la fois plusieurs systèmes de croyances. On estime que toutes ces tendances générales s’accentueront à l’avenir.

Certaines de ces tendances sont relativement récentes. Jusque dans les années 1960, au moins, le Canada était communément perçu comme une « nation chrétienne ». L’État conférait des privilèges spéciaux à un nombre réduit de confessions chrétiennes (essentiellement angloprotestantes et francocatholiques). Les Canadiennes et Canadiens de foi chrétienne ont joué un rôle central dans l’édification de bon nombre des institutions actuelles de l’Ontario, dont continuent aujourd’hui de bénéficier des personnes de tous horizons confessionnels. Cependant, au cours de cette même période, des groupes religieux minoritaires ont régulièrement fait l’objet de persécution et de discrimination. L’exemple le plus tristement célèbre des efforts historiques visant à assimiler les membres des « autres » religions est sans doute la scolarisation forcée d’enfants autochtones dans des pensionnats chrétiens de l’Ontario (à ce sujet, voir la publication de la Commission de vérité et réconciliation du Canada intitulée Ils sont venus pour les enfants, disponible au téléchargement sur le site de la CVR à www.trc.ca).

Depuis les années 1960, les politiques publiques et la législation tendent de plus en plus à célébrer et à promouvoir la diversité, l’équité et la non-discrimination. Cette évolution s’est accompagnée d’une laïcisation de la sphère publique et des institutions de l’État. Au sein des institutions publiques, de nombreux privilèges chrétiens historiques ont été remis en question et abolis à mesure que s’est accru, en général, le caractère privé de la religion. En même temps, l’avènement du Code des droits de la personne de l’Ontario en 1962 et de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 a renforcé les mesures de protection juridiques de la croyance et de la liberté de religion.

Les statistiques sur les crimes haineux et les études sociales montrent que les préjugés et la discrimination fondés sur la croyance demeurent des problèmes tenaces en Ontario et augmentent même dans certains cas. Au cours des 20 dernières années, de nouvelles formes de racisme, d’antisémitisme et d’islamophobie se sont manifestées, qui s’appuient parfois sur d’anciens stéréotypes (dont certains sont racialisés) ou les raniment. Dans certains cas, elles ciblent des victimes sans discernement, sur la base d’une « croyance perçue ».

Comme en témoignent les plaintes (appelées « requêtes ») déposées auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, la discrimination et les préjugés dont font l’objet les musulmans sont particulièrement prononcés depuis les événements du 11 septembre. En effet, plus du tiers (36 %) de toutes les requêtes citant la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 proviennent de requérants musulmans, ce qui fait de ce groupe confessionnel le groupe le plus surreprésenté à ce chapitre. L’antisémitisme, la discrimination et les crimes haineux à l’endroit des personnes de confession juive demeurent également problématiques. Une étude menée par la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith[5] révèle que les incidents antisémites ont plus que doublé au cours des dix dernières années. Sur l’ensemble des requêtes déposées auprès du TDPO et citant la croyance au cours de l’exercice 2011-2012, quelque 10,7 % concernaient des personnes s’identifiant à la religion juive (soit le deuxième groupe en importance de tous les groupes confessionnels, quand une distinction est établie entre les différentes confessions chrétiennes).

Selon d’autres recherches, les peuples autochtones continuent de faire face à des obstacles de taille lorsqu’il s’agit de pratiquer leurs traditions spirituelles, qui comptent parmi les plus anciennes de l’Ontario, en raison du manque de compréhension qu’ont les autorités de ces traditions ou du besoin de procéder à leur accommodement. Au cours des consultations menées par la CODP jusqu’à présent, les hindous, les bouddhistes et les sikhs ont également évoqué des difficultés en matière d’accommodement religieux. Compte tenu du lien étroit (perçu ou réel) qui existe entre l’ethnicité et la religion, la discrimination fondée sur la croyance dont font l’objet certains membres de ces communautés s’accompagne parfois de formes variées de racisme et de xénophobie. Les membres de communautés confessionnelles nouvelles, plus petites ou moins connues évoquent également différentes formes de stigmatisation, de préjugés et de discrimination, tout comme les athées, les agnostiques et les personnes sans appartenance religieuse.

Les données montrent qu’une majorité des requêtes relatives aux droits de la personne déposées auprès du TDPO entre 2010 et 2012 concernaient de la discrimination en emploi. La plupart des requêtes provenaient de la région du Centre et se concentraient autour de la région du grand Toronto. Au cours de cette période, une majorité écrasante des requêtes relatives à la croyance déposées auprès du TDPO citaient également des motifs entrecroisés de discrimination liés à la race (comme la race, l’ascendance, la couleur, l’origine ethnique ou le lieu d’origine). Les requêtes citant la croyance représentaient 6,8 % de l’ensemble des requêtes présentées au TDPO au cours de l’exercice 2011-2012, mais ce nombre ne reflète probablement pas l’ensemble des actes de discrimination au motif de la croyance commis en Ontario pendant cette période, en raison de facteurs tels que le non-signalement de certains cas, des erreurs de signalement ou le manque de certitude quant à l’issue de requêtes pour discrimination.

Les communautés confessionnelles et communautés de croyance continuent également de se heurter à des formes de discrimination et d’inégalité structurelles, qui sont moins flagrantes, mais tout aussi significatives. Dans certains cas, cela est dû à l’incidence différentielle qu’ont aujourd’hui les privilèges et normes de la société du passé sur les diverses communautés de croyance. Dans d’autres, il s’agit de la conséquence de nouvelles formes de laïcité « fermées » plus agressives et idéologiques qui, ironiquement, tentent de bannir toute forme de religion de la vie publique afin de préserver la « neutralité » de la sphère publique. Dans ce contexte, un nombre croissant d’Ontariennes et d’Ontariens chrétiens, y compris des personnes s’identifiant à des confessions constituant pourtant une majorité numérique au sein de la province, se disent de plus en plus marginalisés et traités comme des « minorités » dans l’environnement actuel. D’ailleurs, plus d’un tiers des requêtes déposées auprès du TDPO en 2011-2012 et citant la croyance provenaient de personnes de confession chrétienne (au second rang des communautés de croyance citées, après les musulmans)[6], ce qui reflète cet état de fait.

Même si cela ne se traduit pas toujours sur le terrain, les tribunaux canadiens ont clairement indiqué que l’acception juridique du terme « laïque » en droit canadien inclut les notions d’« ouverture » et d’« inclusion » vis-à-vis de la religion, lesquelles renvoient au fait de tenir compte de la religion dans la sphère publique, sans l’encourager, la décourager ou l’exclure, conformément à ce que prévoient la Charte et le Code.

Qu’est-ce que la croyance?

La « croyance » est l’un des motifs illicites de discrimination énoncés dans le Code. Le Code ne définit pas le terme « croyance », mais la Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses de 1996 de la CODP lui attribue la signification de « croyance religieuse » ou « religion », au sens large de ces termes. Si la Politique sur la croyance de 1996 accorde à chaque personne le droit de vivre « à l’abri de la discrimination ou du harcèlement fondés sur sa religion ou sur
le fait qu’elle ne partage pas la religion de la personne qui la harcèle » (y compris les personnes athées et agnostiques), elle indique également que la croyance « ne comprend pas les convictions profanes, morales ou éthiques et les convictions politiques ». La politique de 1996 stipule également que les mesures de protection des droits liés à la croyance ne s’étendent pas aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes » ou aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel ».

Depuis l’adoption de la Politique de 1996 de la CODP, les tribunaux administratifs et judiciaires sont de plus en plus souvent amenés à s’interroger sur ce qui constitue une conviction ou pratique digne de protection au motif de la croyance. Plusieurs affaires récentes ont porté sur des systèmes de croyance non religieux, comme le véganisme éthique,[7] l’athéisme[8] et les convictions politiques.[9] Cette situation, jumelée à d’autres considérations de nature juridique et tendances sociales (comme la hausse non négligeable du nombre d’Ontariennes et d’Ontariens qui ne s’identifient à aucune religion[10] et puisent potentiellement une orientation morale et un sens de la vie dans des systèmes de croyances sans fondement religieux) contribue à faire de la définition de la croyance un enjeu essentiel de la mise à jour de la politique actuelle.

La plupart des décisions rendues par les tribunaux administratifs et judiciaires ont interprété le terme « croyance » comme étant synonyme de « religion », conformément à la position exprimée dans la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP. Toutefois, d’autres décisions laissent entendre que les convictions non religieuses peuvent constituer une croyance au sens où l’entend le Code. Dans l’ensemble, les tribunaux judiciaires semblent réticents à fournir une définition finale, définitive et faisant autorité (voire fermée) du terme « croyance ». Ils privilégient plutôt l’évaluation organique, analogique (« Si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard ») et au cas par cas de ce qui constitue une croyance.

Les tribunaux judiciaires et administratifs ont aussi reconnu une grande variété de convictions religieuses et spirituelles dans le contexte des lois relatives aux droits de la personne et de la Charte, y compris les pratiques spirituelles autochtones[11], la Wicca[12], et les pratiques des raëliens[13] et des adeptes du Falun Gong[14]. La jurisprudence prise en application du Code semble ne rien contenir qui soit susceptible d’empêcher la CODP de donner à la croyance une définition plus large et inclusive dans la nouvelle version de sa politique.

En effet, le fait que le Code emploie le terme « croyance » plutôt que « religion » pourrait laisser entendre qu’il donne à ces termes deux acceptions différentes. Les tribunaux judiciaires ont néanmoins fourni certaines indications sur les limites qu’ils sont prêts à donner à la portée de la notion de croyance aux termes du Code (voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance.

Accommodement de la croyance

Il est clairement établi dans les lois ontariennes relatives aux droits de la personne que les organisations de la province ont une obligation d’accommodement des convictions et pratiques liées à la croyance. Les organisations régies par le Code sont également tenues de concevoir des services, des programmes et des systèmes d’emploi inclusifs, de sorte que toute la population puisse en profiter et y participer également. Or, la mise en pratique de ces idéaux peut poser des difficultés.

Le respect de l’obligation d’accommodement des convictions et pratiques liées à la croyance prévue par le Code entraîne certains défis au moment de déterminer :

  • la sincérité de la croyance
  • l’étendue et la portée de l’obligation d’accommodement des convictions et pratiques liées à la croyance et du devoir de conception inclusive connexe
  • la façon de tenir compte des observances collectives liées à la croyance
  • les mesures d’adaptation, processus, attentes et rôles appropriés des fournisseurs d’accommodement et des personnes qui en font la demande.

Parmi les mesures d’adaptation à la croyance couramment adoptées pour régler des situations de discrimination figurent ce qui suit :

  • offrir des jours de congé pour les sabbats et les fêtes religieuses
  • offrir du temps et un local pour la prière
  • modifier les codes vestimentaires et exigences en matière de sécurité pour tenir compte du port de vêtements et de symboles religieux (p. ex. port du foulard lors d’événements sportifs)
  • accorder des dispenses et prévoir des solutions de rechange à l’identification photographique ou biométrique
  • proposer des options acceptables en matière d’alimentation
  • dispenser certains employés et fournisseurs de services de tâches qui sont contraires à leur conscience religieuse (p. ex. servir de l’alcool, réaliser des transfusions sanguines).

La CODP souhaite en savoir davantage sur les défis pratiques auxquels se heurtent les personnes et les organisations en matière d’accommodement des convictions et pratiques liées à la croyance, et sur tout autre défi relatif à l’accommodement qui, selon vous, devrait être abordé dans la nouvelle version de la politique.


[5] B’nai Brith Canada. Rapport des incidents d’antisémitisme de 2012. Résumé national. Extrait le 24 juillet 2013 de www.bnaibrith.ca/audit2012/.

[6] Parmi les confessions chrétiennes, les personnes qui s’identifient dans leur requête à la religion « catholique romaine », ou simplement au « christianisme » représentent la majorité des personnes chrétiennes qui ont déposé des requêtes auprès du TDPO en 2011-2012 pour des motifs liés aux droits de la personne (9,3  % respectivement), suivies des personnes qui se qualifient d’adventistes du septième jour (5,7  %) et de chrétiens orthodoxes (2,9  %).

[7] Voir Ketenci v. Ryerson University, 2012 OHRT 994 (CanLII).

[9] 5]Al-Dandachi v. SNC-Lavalin Inc., 2012 ONSC 6534 (CanLII).

[10] Selon l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 (ENM), près d’un quart des résidents de l’Ontario (23 %) n’avaient pas d’appartenance religieuse en 2011, par opposition à 5 % en 1971, selon les données du recensement de la même année.

[11] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General) (No. 3), 2011 BCHRT 183 (CanLII).

[12] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), 52 O.R. (2d) 705 (C.A.).

[13] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 OHRT 2460 (CanLII).

[14] Huang v. 1233065 Ontario, 2011 OHRT 825 (CanLII).

 

III. Historique et contexte

Cette section porte sur les tendances générales à l’origine des formes contemporaines de discrimination fondée sur la croyance. Bien que la CODP cherche à lutter contre les préjugés et l’intolérance fondés sur la croyance, y compris les « -ismes » et « -phobies » connexes, au moyen de la sensibilisation des membres du public, le Code ne peut pas être utilisé pour régler toutes les questions abordées dans le présent document. Le Code interdit uniquement les incidents de discrimination et de harcèlement fondés sur la croyance dans les domaines sociaux suivants :
  1. Contrats
  2. Emploi
  3. Biens, services et installations
  4. Logement
  5. Association professionnelle ou adhésion à un syndicat.

Intolérance par opposition à discrimination

Les termes « intolérance » et « préjugés » renvoient à des attitudes, valeurs et convictions. Le terme « discrimination » renvoie aux mesures prises en raison de ces attitudes, valeurs et convictions, et à tout traitement inéquitable pouvant découler de façon involontaire de règles, de normes et de pratiques d’apparence neutre. La population peut intenter des recours juridiques aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario ou de la Charte canadienne des droits et libertés pour résoudre les situations de discrimination..

Questions clés

  • Quelles sont certaines des dimensions et dynamiques sociales, passées ou actuelles, qui contribuent aux formes contemporaines de discrimination fondée sur la croyance en Ontario?
  • À quelles formes d’exclusion et de discrimination sont soumises les communautés ontariennes en raison de leurs croyances?
  • Les formes contemporaines de discrimination fondée sur la croyance sont-elles basées sur des idéologies, mythes et (ou) stéréotypes particuliers ou courants que devrait nommer et aborder la politique de la CODP sur la croyance?

1. Tendances sociales et démographiques actuelles

1.1 Diversité des convictions et pratiques en matière de croyance

La diversité en matière de croyance et de religion connaît une croissance considérable selon les recherches démographiques menées sur l’appartenance religieuse en Ontario à partir des données de recensement du Canada. Deux tendances importantes se dessinent en particulier. Premièrement, on constate une croissance considérable des groupes religieux minoritaires de tous types n’appartenant pas aux courants chrétiens principaux (catholicisme et protestantisme libéral) (voir les Annexes 1 à 7 pour connaître les tendances statistiques de l’appartenance religieuse en Ontario et au Canada)[15]. On observe également une croissance notable du nombre d’Ontariennes et d’Ontariens qui disent n’avoir « aucune religion » (voir les Annexes 1 à 5 et 12 à 15)[16] et (ou) dans la vie desquels la religion occupe une place décroissante (voir les Annexes 16 à 21). Ces deux grandes tendances devraient s’accélérer à l’avenir[17], en partie en raison des tendances en matière d’immigration[18] et des processus continus de laïcisation.

Malgré cela, une énorme majorité d’Ontariennes et d’Ontariens continuent, et devraient continuer, de s’identifier aux Églises catholique romaine et protestante (anglicane, unie, presbytérienne et luthérienne) qui ont toujours dominé en Ontario (voir l’Annexe 3)[19]. Le visage et la pratique du christianisme au Canada se diversifient cependant de plus en plus à mesure que croît la proportion de Canadiens chrétiens nés hors de l’Occident[20] et le nombre d’adeptes de confessions chrétiennes minoritaires privilégiant des expressions du christianisme davantage publiques et collectives.

Évolution de la religion en Ontario (1991 à 2001, et 2011)

En Ontario, les plus grandes hausses de population observées entre les recensements de 1991 et 2001 touchaient la communauté musulmane (croissance de 142,2 %, pour passer de 145 560 en 1991 à 352 530 en 2001), les chrétiens protestants minoritaires, y compris les groupes se qualifiant de « chrétiens », d’« évangéliques », de « chrétiens régénérés » et d’« apostoliques » (croissance de 121,2 %, pour passer de 136 515 en 1991 à 301 935 en 2001), la communauté hindoue (croissance de 103,9 %, pour passer de 106 705 en 1991 à 217 560 en 2001), la communauté sikhe (croissance de 109,2 %, pour passer de 50 085 en 1991 à 104 785 en 2001) et la communauté bouddhiste (croissance de 96 4 %, pour passer de 65 325 en 1991 à 128 320 en 2001). En 2001, les cinq plus grandes confessions religieuses en Ontario, sur le plan du nombre d’adeptes, étaient les suivantes : protestantisme (3 935 745), catholicisme romain (3 866 350), aucune religion (1 809 535), islam (352 530) et christianisme, y compris les confessions chrétiennes minoritaires susmentionnées (301 935).

Évolution de la religion

Selon les données de recensement nationales, le Canada a aussi connu entre 1991 et 2001 une hausse considérable de la proportion de personnes s’identifiant à la spiritualité autochtone (+175 %), ou au « paganisme » (+281 %), malgré un nombre actuel total d’adeptes de ces croyances en deçà de 30 000 [Source : Statistique Canada, 2003a; voir les Annexes 1 à 11 pour obtenir le profil des Canadiennes et Canadiens et leur répartition par appartenance religieuse].

Bien qu’elle ne soit pas entièrement comparable aux données de recensement plus anciennes, ni tout aussi fiable, l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011 indique une croissance considérable continue, depuis 2001, des minorités religieuses, y compris les communautés sikhes (croissance de 72 %, pour passer de 104 785 en 2001 à 179 765 en 2011), hindoues (croissance de 68 %, pour passer de 217 560 en 2001 à 366 720 en 2011) musulmanes (croissance de 65 %, pour passer de 352 530 en 2001 à 581 950 en 2011) et bouddhistes (croissance de 28 %, pour passer de 128 320 à 163 750 en 2011), et les adeptes d’aucune religion (croissance de 62 %, pour passer de 1 809 535 en 2001 à 2 927 790 en 2011).

Appartenance religieuse en Ontario par ordre décroissant, selon le nombre et le pourcentage (Enquête nationale auprès des ménages de 2011) [21]

Religion

Nombre de personnes

Pourcentage

1. Catholicisme

3 976 610

31,43 %

2. Aucune appartenance religieuse

2 927 790

23,14 %

3. Autres religions chrétiennes

1 224 300

9,68 %

4. Église unie

952 465

7,53 %

5. Église anglicane

774 560

6,12 %

6. Islam

581 950

4,60 %

7. Hindouisme

366 720

2,90 %

8. Église presbytérienne

319 585

2,53 %

9. Christianisme orthodoxe

297 710

2,35 %

10. Église baptiste

244 650

1,93 %

11. Église pentecôtiste

213 945

1,69 %

12. Judaïsme

195 540

1,55 %

13. Sikhisme

179 765

1,42 %

14. Bouddhisme

163 750

1,29 %

15. Église luthérienne

163 460

1,29 %

16. Autres religions

53 080

0,42 %

17. Spiritualité (autochtone) traditionnelle

15 905

0,13 %

Population totale dans les ménages privés selon la religion

12 651 795

 

 

Remarque : Contrairement aux décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Le nombre total de personnes s’identifiant à la religion chrétienne (toutes confessions confondues) dans l’ENM de 2011 se chiffrait à 8 167 295, soit 64,55 % de la population totale. Lorsqu’on tient compte des « autres confessions chrétiennes », ainsi que des Églises unie, anglicane, presbytérienne, baptiste, pentecôtiste et luthérienne, le nombre de personnes s’identifiant aux confessions protestantes dans l’ENM de 2011 se chiffrait à 3 892 965, soit 30,77 %. Cela hisserait pour la première fois les protestants, collectivement, au deuxième rang des groupes religieux faisant le plus d’adeptes en Ontario, après les catholiques.

1.2 Convictions et pratiques individuelles

La question de l’existence d’un déclin des convictions religieuses en Ontario, ou de l’étendue de ce déclin (le « débat sur la laïcisation »), ne fait pas consensus parmi les auteurs du domaine des sciences sociales. Des éléments de preuve viennent étayer diverses positions contradictoires en montrant à la fois un déclin général des convictions religieuses et de l’association à une religion et, dans certains segments de la population, leur résurgence (voir les conclusions de différents sondages sur l’étendue et l’importance des convictions religieuses au sein de la population canadienne, aux Annexes 13 à 21)[22].

Chez les Ontariennes et Ontariens, et plus particulièrement les jeunes générations, la façon d’interpréter et de manifester ses convictions religieuses ou croyances semble évoluer de plus en plus. Selon les recherches, un grand nombre de personnes expriment dorénavant leur religion ou croyance de manière très personnelle, en fondant leurs convictions et pratiques davantage sur leurs interprétations et expériences personnelles que sur des modes institutionnels d’expression ou les exigences traditionnelles de leur foi[23]. Cette personnalisation des convictions et pratiques a également contribué à une forme croissante d’éclectisme, dont l’appellation anglaise Sheilaism[24] a été rendue célèbre par un sociologue américain. Cela signifie que les gens « se façonnent » un système de croyances personnalisé, pouvant varier selon le contexte, à partir de convictions et de pratiques issues de sources et de traditions de plus en plus diverses[25].

Cette « désinstitutionalisation » des convictions et pratiques se reflète clairement dans le déclin du nombre de personnes qui s’identifient à une religion et expriment leur foi par la pratique active de ses commandements institutionnels traditionnels, comme l’exercice régulier du culte (voir l’Annexe 17)[26]. La hausse du nombre de personnes qui se qualifient de « spirituelles, mais non religieuses », jumelée à la tendance croissante qu’ont les institutions ontariennes à qualifier dorénavant leurs programmes et services d’aumônerie d’initiatives « spirituelles » et non « religieuses », est une autre indication de cette tendance plus vaste.

Spiritualité par opposition à religion

Le terme spiritualité peut être défini de la façon suivante : « la recherche d’un sens, d’une raison d’être et d’un lien avec soi, les autres, l’univers et, ultimement, la réalité, quelle que soit sa façon de la concevoir. La spiritualité peut s’exprimer ou non par l’entremise de formes ou d’institutions religieuses. » Pour sa part, « religion » fait davantage référence à « une série organisée et structurée de convictions et de pratiques qu’ont en commun les membres d’une communauté axée sur la spiritualité » (Sheridan, 2000, p. 20; caractères gras et italiques ajoutés).

1.3 Tendances en matière de politiques et de programmes

« Les défis que doit relever le Canada aujourd’hui diffèrent de ceux d’il y a dix ans. Les changements les plus notables ont trait à la pertinence de la religion dans les débats actuels sur la diversité au Canada [...] »[27] (Will Kymlicka)

Bien que les institutions ontariennes soient de plus en plus appelées à mieux comprendre et prendre en compte la diversité croissante de la province en matière de religion et croyance dans la province, et à résoudre plus efficacement les situations qui en découlent, les chercheurs déplorent l’incapacité généralisée des politiques publiques, recherches et programmes canadiens d’y parvenir adéquatement[28]. Le Canada dispose d’un cadre législatif bien établi en matière de diversité culturelle[29], mais les chercheurs font remarquer que la tendance dominante en matière de politiques et de programmes a été de subsumer les différences en matière de religion et de croyance sous les catégories ethniques, culturelle et raciales de différence sociale, et de les occulter, surtout depuis l’adoption du multiculturalisme comme politique d’État il y a plus de 30 ans[30].

Par conséquent, il a principalement incombé aux tribunaux judiciaires et administratifs de déterminer comment composer avec la diversité de religion et de croyance au sein de la société canadienne, dans le cadre d’un système judiciaire gagnant-perdant. Dans ce contexte, le travail et le rôle actuel de la CODP relativement à la mise à jour de sa Politique sur la croyance gagnent en importance en aidant les citoyens et organisations à concilier les différences et à résoudre les conflits sur le plan de la religion et de la croyance de manière dynamique et fondée sur des principes rigoureux.


 

[15] Une étude de 2013 menée par le Pew Forum sur les tendances démographiques canadiennes en matière de religion révèle que l’Ontario a connu la hausse la plus importante de l’appartenance à des religions minoritaires de toutes les provinces canadiennes (voir l’Annexe 7). La proportion d’Ontariennes et d’Ontariens qui s’identifient à des fois autres que le protestantisme ou le catholicisme est passée d’environ 5 % en 1981 à 15 % en 2011 (Pew Forum 2013).

[16] Au nombre de 1 809 535 (ou 16 % de tous les Ontariennes et Ontariens), les personnes qui ne s’identifiaient à aucune religion en Ontario dans le Recensement de 2001 formaient le troisième groupe en importance après les protestants et les catholiques romains. D’après l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 (ENM), en 2011, près du quart des personnes résidant en Ontario (23  %) n’étaient pas associées à une religion, contre 5  % dans l’enquête de 1971.

[17] Voir l’annexe 8 pour connaître le pourcentage de changement projeté dans l’appartenance religieuse de 2001 à 2017. Selon l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 (ENM), le nombre de Canadiennes et de Canadiens s’identifiant à des religions non chrétiennes, y compris l’islam, l’hindouisme, le sikhisme, le bouddhisme, le judaïsme, et le christianisme orthodoxe oriental, a déjà atteint 11 % en 2011, par rapport à 4 % en 1981 (Pew Forum 2013). Fait à noter, on s’attend à ce que cette hausse se manifeste majoritairement dans les grands centres urbains de la province.

[18] Voir les Annexes 9, 10 et 11 pour obtenir des données historiques sur les tendances en matière d’immigration et d’appartenance religieuse. 

[19] L’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 fait état d’une légère baisse du pourcentage de résidents de l’Ontario qui s’identifient à la religion catholique romaine (31,4 % en 2011 par opposition à 34 % en 2001 et à 35 % en 1991) et du maintien de la tendance à la baisse à plus long terme du nombre d’Ontariennes et d’Ontariens qui s’identifient à la religion protestante (30,8 % en 2011 par opposition à 35 % en 2001 et à 43 % en 1991), surtout au sein des courants protestants principaux (Églises anglicane, unie, presbytérienne, luthérienne) (Statistique Canada, 2003a). Dans l’ENM de 2011, les catholiques ont surpassé pour la première fois les protestants pour devenir le plus grand groupe confessionnel de l’Ontario.

[20] Le pourcentage de chrétiens canadiens nés dans des pays autres qu’occidentaux continue d’augmenter. Comme Beyer (2008, p. 23) le fait remarquer :

Par conséquent, le Recensement de 2001 révélait que la proportion de personnes qui se qualifiaient uniquement de chrétiens ou qui disaient appartenir à de petits groupes protestants majoritairement sans antécédents au Canada avait augmenté beaucoup plus rapidement au cours de la décennie (~30 %, soit de 1 à 1,3 million de personnes) que la proportion de catholiques romains, de protestants des courants principaux (qui a chuté de 10 %), de membres des confessions protestantes conservatrices établies et même de chrétiens de l’Orient. Les membres des « autres confessions chrétiennes » nés dans des pays non occidentaux ont augmenté de plus de 100 %, soit une hausse proportionnelle à la croissance des religions non chrétiennes au cours de la même période. De façon analogue, bien que le pourcentage de catholiques romains ait augmenté de 4 % seulement, leur nombre absolu a bondi d’environ 600 000. Plus du tiers de ces nouveaux catholiques romains canadiens ne sont pas nés en Occident. Par conséquent, à mesure que le christianisme mondial devient une religion du « Sud » sur le plan démographique [citant Jenkins, 2007], nous pouvons nous attendre à ce que le christianisme poursuive au Canada une transformation analogue.

[21] Source : Statistique Canada. « Tableau sur l’Ontario (code 35) », dans Profil de l’Enquête nationale auprès des ménages, 2011, no 98-316-XWF au catalogue, Ottawa, 26 juin 2013. Publié le 26 juin 2013. www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/dp-pd/prof/index.cfm?Lang=F (consulté le 19 juillet 2013).

[22] Voir Beyer (2006), Religious Vitality in Canada : The Complementarity of Religious Market and Secularization Perspectives.

[23] Roger O’Toole (2006, p. 20) affirme : « Les Canadiennes et Canadiens choisissent maintenant de définir la nature et le contenu de leur religiosité à partir de ce “bassin de rites, de pratiques et de convictions” qui leur est le plus familier “en faisant abstraction des prérequis institutionnels ou de leurs conséquences”.  Dans ces circonstances, leur religion a généralement acquis le caractère fragmentaire, syncrétique et consumériste associé au terme bricolage (citant Yoye et Dobbelaere, 1993, p. 95-96). » Se basant sur leurs propres recherches empiriques, Peter Beyer (2008) et Paul Bramadat (2007) font aussi remarquer que « [d]ans l’ensemble, les jeunes issus de pratiquement toutes les traditions confessionnelles font preuve de moins de loyauté envers ces traditions, et surtout envers l’expression institutionnelle de ces traditions (églises, mosquées, temples, gurdwara et autres) que ne le faisait antérieurement leur groupe d’âge durant des siècles, voire des millénaires (Bramadat, 2007, p. 120). 

[24] Dans Habits of the Heart : Individualism and Commitment in American Life, Robert Bellah et coll. (1985) ont utilisé le terme anglais « Sheilaism » pour qualifier une tendance générale de la fin du 20e siècle en matière de convictions religieuses américaines. Infirmière de métier, Sheila Larson incluait à sa définition de la foi le fait d’être aimable et douce envers soi-même, de prendre soin des autres, de croire en Dieu, mais sans aller à l’église, et de voir Jésus en soi. Pour en connaître davantage sur cette tendance au Canada, voir Bramadat (2007), Beyer (2008), Closson James (2006) et O’Toole (2006).

[25] À cet égard, Reginald Bibby (1987, p. 85) soutient que « [l]es Dieux d’antan n’ont été ni abandonnés ni remplacés ». Plutôt, « ils ont été morcelés et offerts à la pièce aux consommateurs croyants ». Le penseur du milieu religieux Closson James (2006, p. 130) conclut de façon similaire que « nous devrions nous attendre à ce que [la religion] continue d’être caractérisée davantage par une spiritualité éclectique [...] façonnée à partir de diverses sources plutôt que d’un système de convictions monolithique et unitaire supérieur ». En Ontario, la hausse des mariages entre personnes de différentes fois contribue aussi au fait que des personnes adhèrent à plus d’une tradition religieuse en même temps, parfois selon le contexte. « En 2001, fait remarquer un article, près de 20 % des gens ont marié une personne qui ne partageait pas la même foi, selon Statistique Canada, comparativement à 15 % il y deux décennies. De ce pourcentage, les juifs et chrétiens étaient les plus susceptibles de conclure des unions interreligieuses [...] Plus de la moitié des unions interreligieuses conclues au Canada étaient composées d’un membre catholique et d’un membre protestant (Noor, 2013). »

[26] Seljak et coll. (2008) soulignent les transformations considérables ayant eu lieu depuis que le premier sondage Gallup mené après la Seconde Guerre mondiale a demandé aux Canadiennes et Canadiens s’ils avaient été à l’église ou à la synagogue durant les sept derniers jours.  Au total, 67 % des Canadiennes et Canadiennes ont répondu dans l’affirmative (y compris 83 % des catholiques). En 1990, les réponses positives à cette question du sondage Gallup se chiffraient à 23 % dans l’ensemble du pays (voir aussi Byer, 2008). Plus récemment, un sondage Focus Canada de l’Environics Institute de 2001 indiquait que « [b]ien que la proportion de personnes ayant une appartenance religieuse continue de diminuer, ces Canadiennes et Canadiens sont aussi pratiquants que jamais, en ce qui a trait à la participation aux services religieux. Trois sur dix (29 %) disent assister à des services religieux au moins toutes les semaines (en hausse par rapport à 25 % dans le sondage Focus Canada de 2007 et 21 % dans celui de 2003), tandis qu’ils sont maintenant moins nombreux à assister uniquement à des services religieux spéciaux (p. ex. messe de Noël, Grandes Fêtes juives) (28 %, soit une réduction de 5 points de pourcentage depuis 2007). Une autre personne sur cinq (22 %, en hausse de 1 point) continue de s’identifier à une religion, mais n’assiste jamais à des services religieux. Les membres de ce dernier groupe sont majoritairement catholiques et résidents du Québec. À l’opposé, les évangéliques chrétiens (56 %) et membres des religions non chrétiennes (42 %) sont les plus nombreux à dire qu’ils assistent à des services religieux toutes les semaines. » (Environics Institute, 2011, p. 40; voir l’annexe 18 pour connaître les conclusions du sondage Focus Canada de 2011 de l’Environics Institute sur la fréquence de participation de la population canadienne ayant une appartenance religieuse à des services religieux, 2003-2011).

[27]  Kymlicka. « Introduction » dans Diversité canadienne (2003), cité dans Biles et Ibrahim, 2005, p.166.

[28] Une étude récente menée auprès de fonctionnaires fédéraux issus de plusieurs ministères et agences de la région de la capitale nationale a révélé entre autres que la plupart des élaborateurs de politiques et décideurs gouvernementaux n’avaient pas les moyens de composer avec la diversité religieuse, et que la plupart des politiques et programmes, sauf exception, ne tenaient pas compte de la diversité religieuse (Gaye & Kunz (2009); voir aussi Beaman (2008); Biles et Ibrahim (2005); Bramadat (2007); Seljak (2005).

[29] Ce cadre législatif fait explicitement référence à la religion ou à la croyance en tant que partie importante de l’illustre diversité canadienne. Il inclut la Charte canadienne des droits et libertés de la Loi constitutionnelle (1982), la Loi canadienne sur le multiculturalisme (1988) et les lois provinciales sur les droits de la personne.

[30] Will Kymlicka (2008) souligne la nécessité de faire de la religion le « troisième volet » d’une politique de multiculturalisme, aux côtés de l’ethnicité et de la race. Selon lui, de l’incertitude persiste quant au rôle de la religion dans la politique de multiculturalisme et aux types d’organisations confessionnelles et de requêtes en lien avec la foi que cette politique devrait appuyer (cité dans Kunz, 2009, p. 6). Les penseurs, qui constatent la réticence à parler de religion dans le contexte des politiques publiques au Canada, décrivent la religion comme une « forme de diversité que l’on se garde bien de nommer » (Biles et Ibrahim, 2005).

 

 

 

2. Tendances historiques

2.1 Historique des rapports entre la religion et l’État au Canada

Selon de nombreux penseurs et commentateurs, les discussions actuelles sur l’« accommodement raisonnable » et la « place de la religion dans la sphère publique » manquent de perspective historique. Cela est particulièrement manifeste lorsqu’on examine l’évolution des mesures prises par le Canada pour composer avec la diversité religieuse et fixer son approche actuelle en matière de laïcité. Les penseurs divisent les modes historiques de gestion de la diversité religieuse au Canada en au moins trois grandes phases d’un même continuum, allant de la sanction étatique d’une seule Église (catholique puis anglicane) ayant un monopole religieux quasi complet sur la culture et les institutions publiques à l’approche multiculturelle laïque plus inclusive d’aujourd’hui. 

Ces phases sont généralement décrites de la façon suivante :

1608-1841 : Les catholiques et protestants venus d’Europe tentent d’implanter leur forme de christianisme au Canada grâce à une Église chrétienne soutenue par l’État et peu de liberté de religion.

1841-1960 : Un establishment chrétien pluraliste, ou d’ombre, prévaut. Même si l’État n’a aucune église officielle, la culture est décidément chrétienne et l’État coopère avec un nombre limité d’Églises chrétiennes « respectables » (anglicane, presbytérienne, méthodiste/unie, baptiste et catholique romaine).

1960 à nos jours : La société se laïcise pour faire place à une plus grande « séparation de l’Église et de l’État », jumelée à une approche de la religion ouvertement multiculturelle[31].

Les premiers efforts d’établissement d’une église étatique officielle dans le Bas et le Haut-Canada ont été déjoués en grande partie par : (1) les défis sur le plan pratique de l’extension du contrôle administratif des paroisses sur l’ensemble d’un territoire vaste et diversifié compte tenu du peu de ressources disponibles et (2) la nécessité de faire des compromis stratégiques et des concessions politiques face à la réalité tenace que constituait le pluralisme religieux sur le terrain, un aspect permanent du paysage social canadien [32].

Confédéré en 1867, le nouveau Dominion du Canada regroupait le Haut-Canada (Ontario), peuplé principalement de protestants anglais, et le Bas-Canada (Québec), à prédominance catholique française. Aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, la nouvelle nation serait liée par un compromis singulièrement canadien qui demeure aujourd’hui. Ce compromis n’établissait pas d’Église d’État et n’exigeait pas de séparation de l’Église et de l’État.

Malgré cette reconnaissance rapide de la liberté de religion en Ontario[33], les penseurs ont adopté les termes « establishment pluraliste » [34] ou « establishment d’ombre »[35] pour décrire les privilèges spéciaux, jumelés à la reconnaissance et au soutien gouvernementaux, accordés à une poignée de grandes Églises angloprotestantes (anglicane, presbytérienne et unie)  ainsi qu’à l’Église catholique romaine de langue française. D’autres confessions chrétiennes comme les Églises luthérienne et baptiste, et divers groupes évangéliques, ont plus tard joint le « cercle de la respectabilité » de l’establishment pluraliste en tant que « partenaires secondaires »[36].

En Ontario, beaucoup des institutions contemporaines les plus prisées, notamment dans les secteurs de l’éducation, des soins de santé et des services sociaux, ont été créées par des organisations chrétiennes à l’époque du « Canada chrétien » (1841‑1960). De nos jours, beaucoup de personnes ne reconnaissent pas le rôle central et formateur qu’a joué le christianisme dans la création du tissu social, moral, juridique et institutionnel de la province. Un corpus d’ouvrages a récemment émergé qui met en lumière les contributions positives des associations et autres acteurs du domaine religieux à l’histoire et à la société canadienne, particulièrement en ce qui touche l’édification de la société civile et la création et le maintien d’un « capital social »[37]. Ce rôle clé persiste aujourd’hui et a contribué à créer, au Canada, ce que certains estiment être le deuxième plus vaste secteur bénévole (dont le segment le plus grand a une vocation confessionnelle) au monde[38].

2.2 Formes traditionnelles de discrimination fondée sur la croyance

En 1883, le premier ministre fondateur du Canada, John A. Macdonald, qui réclamait le retrait des enfants autochtones de leur foyer pour les admettre dans des pensionnats dirigés par l’Église catholique, faisait la déclaration suivante à la Chambre des communes : « Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents qui sont sauvages; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et à écrire, ses habitudes, sa formation et sa façon de penser sont indiennes. Il est simplement un sauvage qui sait lire et écrire. » – (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2012, p. 6.)

Au Canada, cependant, l’histoire des grandes Églises chrétiennes a également son côté sombre, qu’on oublie souvent. Les penseurs décrivent l’émergence d’un « bon sens chrétien » en Ontario entre le milieu des années 1800 et les années 1960, à l’époque où « pour être un (bon) Canadien, il fallait être un (bon) chrétien »[39]. La mise en équation de la race, de la religion, de la civilisation et de l’appartenance a eu d’extrêmes conséquences, comme l’adoption des politiques et lois d’assimilation utilisées par le gouvernement canadien pour soumettre les peuples et cultures autochtones, surtout à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens en 1876[40].

La discréditation et la suppression juridique des pratiques et traditions spirituelles autochtones faisaient partie intégrante du projet de colonisation du Canada. Pour y parvenir, les autorités gouvernementales et religieuses ont souvent travaillé de pair. Aujourd’hui, grâce au travail de la Commission de vérité et réconciliation, les Canadiennes et Canadiens commencent à peine à composer avec les répercussions intergénérationnelles continues des efforts concertés déployés en vue de « christianiser et de civiliser » les peuples autochtones du Canada, lesquels ont mené à l’établissement du système de pensionnats administrés par les Églises chrétiennes entre 1620 et 1996[41].

Pensionnats autochtones au Canada

  • 1831 : Le pensionnat Mohawk Indian Residential School ouvre ses portes à Brantford, en Ontario; sa fermeture en 1969 en fait le pensionnat le plus longtemps exploité au Canada.
  • 1847 : L’étude d’Egerton Ryerson sur l’éducation des Indiens recommande la création d’écoles industrielles confessionnelles financées par l’État.
  • 1857 : Le gouvernement colonial du Canada (y compris ce qui constitue maintenant l’Ontario et le Québec) adopte l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages dans les deux Canadas.
  • Années 1860 : L’assimilation des peuples autochtones par l’entremise de l’éducation devient une politique officielle.
  • 1876 : Le Canada adopte la première Loi sur les Indiens.
  • 1884 : Le Parlement canadien interdit les potlatchs, le principal mode d’expression social, économique et politique de certaines cultures autochtones.
  • 1892 : Le gouvernement fédéral et les Églises s’associent pour administrer les « écoles indiennes »
  • 1951 : Confronté à une pluie de critiques internationales, le Parlement modifie la Loi sur les Indiens pour y supprimer l’interdiction des potlatchs et des revendications territoriales.
  • 1963 : Le gouvernement fédéral lance un projet « expérimental » d’envoi d’au moins six enfants inuits à Ottawa pour étudier, où leur façon de s’assimiler sera évaluée.
  • 1969 : Le gouvernement met fin à son partenariat avec les Églises, prend en charge le système de pensionnats et commence à en transférer le contrôle aux bandes indiennes.
  • 1996 : Le dernier pensionnat administré par le gouvernement ferme ses portes.
  • 2008 : Le gouvernement du Canada présente ses excuses pour avoir créé les pensionnats autochtones.

Bien que les pratiques spirituelles des Premières Nations aient constitué l’une des cibles principales des efforts de colonisation, le racisme et les préjugés religieux qui sévissaient au Canada se sont également manifesté par la discrimination à l’endroit

des sikhs, hindous, bouddhistes (et autres adeptes de religions chinoises et japonaises), musulmans, juifs et autres groupes non conformistes, y compris des minorités chrétiennes tombées en défaveur, les athées et les agnostiques, et par leur persécution.

À l’époque, les juifs formaient le second groupe confessionnel minoritaire non chrétien en importance au Canada, après les peuples autochtones. Depuis leur arrivée dans es années 1700, les communautés juives ont fait l’objet de préjugés antisémites[42], de discrimination et, dans certains cas, de violence. Parmi les exemples flagrants de cela figurent : 

  • L’expulsion d’Ezekiel Hart (premier représentant élu juif) de l’Assemblée législative de l’Ontario (Bas-Canada), malgré sa réélection à la Législature du Bas-Canada en 1807, parce qu’il ne pouvait pas prêter serment d’allégeance « sur la foi d’un chrétien »[43].
  • La vaste toile de restrictions à la Jim Crow qui barrait ouvertement l’accès des juifs à diverses institutions sociales, politiques et économiques traditionnelles de la société ontarienne jusqu’au 20e siècle[44].
  • Des comportements haineux et actes de violence à l’endroit des juifs, comme les célèbres émeutes de 1933 au parc Christie Pits de Toronto. Ce conflit marqué par six heures de violence entre jeunes juifs et chrétiens a entraîné l’incendie de synagogues et d’autres attaques personnelles à l’endroit de juifs dans des lieux publics.

Le rejet par le Canada des réfugiés juifs tentant de s’enfuir de l’Allemagne nazie, basé sur la perception répandue de l’infériorité des juifs sur le plan racial et religieux, a eu dans certains cas des conséquences fatales et constitue l’un des épisodes les moins glorieux de l’histoire antisémite canadienne[45]. Cette perception de leur infériorité est à l’origine du cantonnement des juifs dans les catégories d’immigrants « non privilégiés ». Malgré le traitement lui étant réservé, la communauté juive canadienne a persévéré pour éventuellement faire figure de proue dans la lutte pour l’adoption de lois sur les droits de la personne et l’élimination de la discrimination en Ontario durant la période d’après-guerre[46].

Aux 19e et 20e siècles, les politiques d’immigration canadiennes ont aussi constitué un outil clé de rejet d’autres minorités confessionnelles et ethnoraciales « non désirées », souvent au moyen de mesures indirectes, d’apparence bénigne. Parmi les exemples célèbres de ces mesures figurent l’imposition d’une taxe d’entrée aux immigrants chinois aux termes de la Loi de l’immigration chinoise[47] de1885 à la suite de la construction du Chemin de fer du Pacifique par les ouvriers chinois et l’adoption de la Continuous Journey Act (loi sur le voyage sans interruption)[48], en 1908, qui dans la pratique bloquait l’immigration des « hindous » (terme utilisé à l’époque pour désigner tous les habitants de l’Inde, quelle que soit leur religion). Comme le font remarquer les penseurs, la discrimination et les hostilités envers ces groupes d’immigrants de l’Asie avaient une composante religieuse importante[49].

À l’époque du « Canada chrétien », les athées, les agnostiques, les humanistes et les personnes ne s’identifiant à aucune religion faisaient aussi l’objet de persécution. Dans un cas célèbre, la demande de citoyenneté d’une famille immigrante venue des Pays-Bas et s’avouant athée (Ernest et Cornelia Bergsma) a été rejetée deux fois avant d’être acceptée en 1965 à la suite d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Le juge ayant présidé l’audience de citoyenneté originale au Palais de justice du comté de Haldimand à Cayuga en Ontario, le 3 avril 1963, avait jugé que les Bergsma n’avaient pas le caractère moral adéquat ni les attributs nécessaires pour vivre dans un « pays chrétien » en raison de leur athéisme avoué[50]. Il avait aussi conclu qu’ils n’étaient pas en mesure de remplir l’exigence du serment d’allégeance[51].

Selon les penseurs, la société dominante a également dépensé beaucoup d’énergie à combattre des ennemis au sein du camp chrétien, c’est-à-dire ceux qu’elle considérait au mieux comme des hétérodoxes et, au pire, comme des hérétiques. D’ailleurs, pendant la majeure partie de l’histoire canadienne, les principales différences religieuses déterminantes opposaient des confessions chrétiennes (catholiques et protestantes en particulier). Les minorités chrétiennes exclues du « cercle de la respectabilité » de l’establishment pluraliste, comme les mennonites, témoins de Jéhovah, adventistes du septième jour, huttérites, orthodoxes de l’Est et évangéliques, se heurtaient également à de la discrimination et à des préjugés considérables et persistants[52]. Leur exclusion s’ajoutait parfois à d’autres formes de racisme et de préjugés à l’endroit de classes et de « races » d’immigrants européens « moins désirables »[53].

2.3 Évolution des politiques et mesures de protection juridiques en matière de religion et de croyance

La plupart des récits historiques de l’évolution de la liberté de religion au Canada font part d’une transformation fondamentale des lois, des politiques et du discours social durant la période de l’après-guerre (voir l’Annexe 22 qui retrace les changements juridiques, stratégiques et démographiques historiques survenus durant cette période)[54]. Depuis les années 1960 surtout, les politiques publiques et la législation sont de plus en plus fondées sur les valeurs que constituent la diversité, l’équité et la non discrimination[55]. Un nouveau consensus « laïque » a également contribué à la privatisation progressive de la religion et à l’élimination des privilèges accordés au christianisme au sein des institutions gouvernementales et publiques[56]. L’adoption en 1962 du Code des droits de la personne de l’Ontario et, quelque 20 ans plus tard, de la Charte canadienne des droits et libertés, est à la fois le reflet de ce « changement profond » des valeurs et de la culture de la population canadienne et un de ses éléments contributifs[57].

Exemple du « changement profond » des valeurs et de la culture

Pour illustrer le changement profond survenu dans la culture publique canadienne, un historien a comparé la nomination des 19e et 27e gouverneurs généraux du Canada. 

Le 15 septembre 1959, Georges Vanier a été nommé 19e gouverneur général du Canada, représentant officiel de la Reine dans son Dominion du Canada. Général maintes fois décoré, diplomate et catholique romain pratiquant, Georges Vanier a amorcé ainsi son discours de remerciement : « Monsieur le premier ministre, mes premiers mots seront une prière. Que le Dieu Tout-Puissant, dans sa Sagesse infinie et sa miséricorde, bénisse la mission sacrée qui m’a été confiée par Sa Majesté la Reine, et qu’il m’aide à l’accomplir en toute humilité. En échange de sa force, je lui offre ma faiblesse. Qu’il accorde la paix à notre pays bien-aimé et, à tous ceux qui l’habitent, la grâce d’une compréhension, d’un respect et d’un amour réciproques. »

Cinquante-six ans plus tard, le 27 septembre 2005, Michaëlle Jean devenait la 27e gouverneure générale du Canada. Cinéaste et journaliste multilingue née en Haïti, Michaëlle Jean a livré une allocution d’avant-garde qui soulignait, comme l’avait fait Georges Vanier, l’importance de la tolérance mutuelle pour le bien-être social du Canada. Outre la tolérance cependant, les deux allocutions n’avaient aucun thème en commun, Michaëlle Jean ayant pour souci premier d’appuyer les libertés individuelles. Pour la nouvelle gouverneure générale, l’histoire canadienne « nous [parlait] de la liberté d’inventer un monde nouveau ». À aucun moment son allocution ne faisait-elle référence à une déité quelconque.[58]

Parmi les moments charnières de l’évolution de la liberté de religion et des droits à l’égalité dans la jurisprudence canadienne à partir des années 1960 figurent l’adoption et la mise en application, durant les années 1970, d’approches d’« accommodement raisonnable » dans des cas de liberté de religion et de croyance aux termes du Code et de la Charte. Cela inclut non seulement le droit à la non-ingérence ou droit de vivre à l’abri de la coercition religieuse, mais également le droit positif à des mesures d’adaptation en vue de tenir compte de ses croyances et ses pratiques et convictions religieuses dans la mesure où cela n’occasionne pas de préjudice injustifié[59].

Les penseurs du milieu juridique font part d’une évolution subséquente des droits relatifs à la croyance ces dernières années. Des requêtes pour discrimination
« par suite d’un effet préjudiciable » ont de plus en plus remis en question les formes systémiques de discrimination et la façon « dont on a toujours fait les choses ». Par exemple, Bhabha (2012) soutient que la nouvelle « vision transformatrice de la liberté de religion » va au-delà de la simple recherche d’exceptions aux règles et normes régissant l’espace public (comme on conçoit depuis toujours l’accommodement). Elle chercherait également à redéfinir et reconstruire collectivement l’espace public proprement dit[60]. Or, malgré de tels progrès considérables, diverses formes de discrimination persistent dans le monde davantage laïque d’aujourd’hui. La prochaine section se penche sur certaines de ces formes de discrimination.


[31] Périodisation basée sur Seljak (2012); voir aussi Beyer (2006), Beyer (2008), Bramadat (2005) et Grant (1988), pour obtenir des périodisations semblables.

[32] Les principales formes de diversité religieuse observées chez les premiers colons du Canada consistaient en très grande majorité en des variantes du christianisme. Selon les penseurs, l’emprise de la religion catholique romaine sur la population du Québec, jumelée à la diversité religieuse croissante du christianisme en raison de l’immigration de communautés luthériennes, réformistes allemandes, presbytériennes, méthodistes, baptistes, congrégationalistes, mennonites, orthodoxes orientales et catholiques romaines irlandaises à la fin du 18e siècle et au 19e siècle ont poussé les premiers gouverneurs du Canada et de l’Ontario à adopter une approche plus stratégique et pragmatique, en partie dans le but de prévenir et de décourager la dissension et la révolte. Les données statistiques compilées sur la religion depuis la fin du 18e siècle indiquent aussi que les sikhs, les musulmans, les bouddhistes et les hindous sont présents dans la société canadienne depuis au moins le premier recensement, même s’ils n’étaient pas toujours pris en compte (Beaman et Byer, 2007; Beyer, 2008; voir aussi Bromberg, 2012). Certains soutiennent que ce pluralisme n’a pas uniquement entraîné la reconnaissance rapide de la liberté de religion, mais a aussi joué un rôle clé dans l’évolution des institutions démocratiques du Canada, de façon plus générale (voir Seljak et coll., 2008).

[33] La Cour suprême du Canada fait remonter aux années 1760, et plus précisément au Traité de Paris (1763), la première expression de la liberté de religion au Canada. Tout en donnant à l’Angleterre (et par défaut à l’Église anglicane d’Angleterre) le contrôle sur la Nouvelle-France, ce traité « [accordait] aux habitants du Canada la liberté de la religion catholique » (Saumur v. City of Quebec and Attorney General, [1953] 2 RCS 299, au par. 357, cité dans Bhabha, 2012).

[34] Pour en savoir davantage sur la notion d’« establishment pluraliste » voir Novak (2006), O’Toole (2006) et Seljak (2007).

[35] David Martin qualifie d’« establishment d’ombre » le fonctionnement de ces églises reconnues officiellement et en place durant le siècle du « Canada chrétien » qui a suivi la Confédération. Le terme fait référence à « l’apparence de détachement que maintenait l’Église vis-à-vis des affaires de l’État alors qu’il s’agissait surtout, en réalité, d’une démarcation des responsabilités ». (Bramadat et coll., 2008). Les grandes Églises chrétiennes conféraient à la nouvelle nation son discours et ses symboles sacrés, orientant ainsi sa vision morale et sa culture. De plus, ces Églises ont :

  • administré de façon semi-autonome plusieurs institutions publiques du nouveau dominion, dont celles des secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux
  • contribué à encadrer la moralité chrétienne sur le plan législatif (p. ex. adoption de lois protégeant le Jour du Seigneur et imposition de restrictions au divorce, au mariage, à la conduite sexuelle, à l’avortement et à la vente et la consommation d’alcool)
  • eu une influence importante sur les politiques publiques et la culture, principalement du haut de la chaire (le Canada avait l’un des taux de participation aux services religieux les plus élevés au monde du milieu des années 1800 aux années 1960) (Seljak et coll., 2007; Seljak et coll., 2008).

[36] Voir également Seljak et coll. (2007); Seljak (2012).

[37] Biles et Ibrahim (2005, p. 162) définit le capital social de la façon suivante : « les ressources, y compris les réseaux de relations sociales et la culture qu’elles génèrent, dont dispose la collectivité pour atteindre un objectif commun ».  Les penseurs établissent une distinction additionnelle entre le capital de liaison qui « fait le pont entre les membres des diverses communautés » et le capital de cohésion qui « renforce les lien au sein des groupes » (Kunz, 2009, p. 12; voir aussi Benson (2012b); Buckingham (2012); Jedwab (2008).

[38] Ces estimations proviennent de l’Analyse comparative du secteur sans but lucratif et bénévole du Canada, qui rend compte du secteur dans 37 pays en fonction de la taille, de la portée et des dons. Parmi les organismes de bienfaisance religieux enregistrés, plus de 40 % (32 000) sont confessionnels, ce qui inclut des lieux de culte, des clubs et d’autres formes d’association. (Citoyenneté et Immigration Canada 2009; citant Hall et coll., 2005).

[39] Seljak (2012, p. 9). Selon ce « bon sens », explique Peter Beyer (2008, p. 14) :

Il y avait les blancs, les Européens, les chrétiens et les personnes civilisées, dont il est vrai que certaines étaient « plus égales que d’autres »; il y avait ensuite les « autres », ce groupe inaltérable qu’il fallait écarter ou « civiliser », dans la mesure où cela était possible.

[40] En résumant les principaux effets et objectifs de l’Acte des Sauvages de 1876, Beyer (2008, p. 14) fait remarquer :

À la fin du 19e siècle, les gouvernements canadiens avaient adopté une politique commune d’assimilation complète des peuples autochtones et d’élimination des leurs identités religieuses et culturelles distinctes. L’Acte des Sauvages de 1876 en constituait le pilier et le plan directeur. Dans la pratique, cette loi donnait aux peuples autochtones le statut de pupilles de la Couronne, interdisait la pratique de leurs croyances, réprimait leurs formes d’organisation sociale et politique distinctes et variées et tentait de socialiser leurs enfants dans des pensionnats autochtones administrés par l’Église catholique et conçus de façon à éliminer toutes caractéristiques culturelles autochtones distinctes, y compris la langue

[41] Voir la publication de la Commission de vérité et réconciliation du Canada intitulée Ils sont venus pour les enfants, disponible au téléchargement sur le site de la CVR à www.trc.ca. Dans une section explorant le rôle de l’Église, on y explique :

Les missionnaires du dix-neuvième siècle croyaient que leurs efforts en vue de convertir les peuples autochtones au christianisme s’inscrivaient dans une lutte mondiale pour le salut des âmes [...] Les deux plus importantes congrégations missionnaires présentes dans les pensionnats indiens du Canada au cours du dix-neuvième siècle ont été les Oblats de Marie Immaculée, d’obédience catholique romaine, et la Church Missionary Society de l’Église d’Angleterre (anglicane) [...] Les sociétés missionnaires méthodistes et presbytériennes d’Angleterre et des États-Unis furent également actives au Canada au dix-neuvième siècle et participèrent à l’administration du réseau des pensionnats indiens.  [...]Dans son livre de 1899, The Indians: Their Manner and Customs, le missionnaire méthodiste John Maclean a écrit que bien que le gouvernement du Canada voulait que les missionnaires « enseignent tout d’abord aux Indiens à travailler, puis à prier, les missionnaires croyaient que leur rôle était d’abord de christianiser et ensuite d’éduquer » (2012, p.13-14).

[42] Ici, on utilise la graphie « antisémite » plutôt qu’« anti-Sémite » pour des motifs expliqués dans un rapport informatif de 2002-2003 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de l’Union européenne (EUMC) :

Du point de vue de l’orthographe, nous avons préféré « antisémitisme » à « anti-sémitisme ». Cette distinction rend compte du passage d’un antisémitisme raciste à un antisémitisme culturaliste et permet, à cet égard, d’éviter le problème de la réification (et donc de l’affirmation) de l’existence des races en général et de la « race sémite » en particulier. (p.10)

Contrairement à la graphie « anti-Sémite » qui, selon cette conception, reproduit la notion erronée de l’existence d’une race « sémite » et, par conséquent, renvoie plus strictement aux formes racistes de la pensée et du comportement anti-juifs, le terme « antisémitisme » peut englober les nouvelles formes de judéophobie et d’hostilité à l’endroit des juifs pouvant ne pas dépendre de la conception d’une « race » juive (voir la section III 3.2.4 pour une analyse plus détaillée de l’évolution des formes d’antisémitisme passées et actuelles).

[43] Bromberg (2012, p. 61). Bromberg fait remarquer comment, « [e]n 1829, la loi rendant obligatoire le serment “sur ma foi en tant que chrétien” fut modifiée pour permettre aux juifs de ne pas prononcer le serment. En 1831, poursuit-elle, une loi conférant des droits politiques équivalents aux juifs fut adoptée, une première pour l’Empire britannique. » (ibidem)

[44] Jusqu’aux années 50 et 60, les juifs faisaient couramment l’objet de discrimination en matière d’emploi. De nombreuses institutions avaient des quotas quant au nombre de juifs qu’elles pouvaient embaucher ou des règles interdisant tout simplement leur embauche (comme le service de police de Toronto). Dans les milieux de travail publics et privés, on pouvait couramment voir des affiches indiquant : « Non-juifs seulement » ou « Interdit aux juifs et aux chiens ». La discrimination était également manifeste dans les secteurs de l’éducation et du logement, et les forces armées. Par exemple, il n’était pas rare de voir des organisations de quartier et des promoteurs immobiliers s’associer pour conclure des ententes (conventions restrictives sur le plan racial) interdisant la location ou la vente d’habitations aux membres de races indésirables (y compris les juifs), inclure de telles dispositions dans les actes de vente ou prendre ces deux mesures pour maintenir des quartiers ségrégés. L’animosité envers les juifs était particulièrement prononcée durant les périodes de ralentissement économique, comme la Crise des années 1920 et 1930, au cours de laquelle on faisait de différentes variétés d’« étrangers » des boucs émissaires, dont les juifs nés au Canada. Cette attitude envers les juifs s’inspirait de la propagande antisémite internationale croissante et illustre les effets des tendances à la mondialisation observées avant l’ère actuelle. Voir Adelman et Simpson (1996); Davies (1992); Mock (2008).

[45] Le premier ministre libéral William Lyon Mackenzie King (premier ministre du Canada ayant été au pouvoir le plus longtemps) a lui-même exprimé de telles croyances en l’infériorité des juifs, en accord avec les normes acceptables de l’époque. Selon un sondage Gallup de 1943, les juifs se situaient au troisième rang des immigrants les plus indésirables au Canada, après les Japonais et les Allemands (Adelman et Simpson, 1996).

[46] Voir Bromberg (2012) et Patrias et Frager (2001) pour en savoir davantage sur le rôle historique clé joué par les Canadiennes et Canadiens juifs en vue de l’adoption du Code des droits de la personne de l’Ontario et d’autres lois anti-discrimination.

[47] La loi exigeait que tous les immigrants chinois entrant au Canada paient des droits de 50 $, qu’on qualifiait de « taxe d’entrée ».  En 1903, ces droits avaient grimpé à 500 $. Dans la pratique, cette politique a eu un effet dissuasif considérable sur l’immigration chinoise à la fin du 19e siècle, à la
suite de la construction du Chemin de fer du Pacifique par les ouvriers chinois. Bien que la Loi de l’immigration chinoise de 1923 ait annulé la taxe d’entrée, elle stoppa également toute l’immigration chinoise, à quelques exceptions près (entrepreneurs, membres du clergé, éducateurs et étudiants).

[48] Cette loi interdisait l’immigration de personnes qui, « de l’opinion du ministre de l’Intérieur », n’« entraient pas au Canada en provenance du pays où elles sont nées ou dont elles ont la nationalité, à la suite d’un voyage sans interruption, et (ou) au moyen d’un billet acheté avant le départ dans le pays où elles sont nées ou dont elles ont la nationalité ». Dans la pratique, cela a barré le passage aux immigrants de l’Asie du Sud, étant donné que leur long parcours par bateau nécessitait un arrêt au Japon ou à Hawaii pour faire le plein d’essence ou de nourriture.

[49] Voir, par exemple, Lai, Paper et Paper (2005). Peter Beyer (2008) décrit les réactions du gouvernement et de la population à l’importante diversification ethnique et religieuse qu’a connue la population canadienne entre 1881 et 1911 de la façon suivante :

Les identités canadiennes dominantes pouvaient, malgré des soupçons et une certaine réticence, s’adapter à la présence de doukhobors russes et d’Européens de l’Est d’origine juive, mais pas à celles de bouddhistes japonais, confucéens chinois, ou sikhs du Punjab [...] Entre l’adoption de la Loi sur l’immigration chinoise de 1885 et celle de 1923, les politiques gouvernementales ont graduellement compliqué puis rendu quasi impossible l’immigration au Canada des personnes venues de l’Inde, de la Chine et du Japon, notamment. L’attitude dominante voulait que les personnes venues de ces pays soient trop foncièrement étrangères pour être assimilées (p. 13).

[50] L’Information fournie sur cette affaire provient d’un article de Kevin Plummer intitulé Historicist : Citizenship and Character et publié dans la revue électronique Torontoist le 16 juillet 2011. S’inspirant de données d’archives tirées entre autres d’un article du Toronto Star du 3 avril 1965, Plummer relate les témoignages entendus lors de la première audience de citoyenneté, de la façon suivante : 

[Le juge] Leach leur a demandé à quelle Église ils appartenaient. « Aucune » a répondu Ernest. Sidéré, le juge a ensuite demandé si les Bergsma croyaient en Dieu. Ernest fit une pause pour penser à sa réponse, puis indiqua « non ». « Savez-vous que ce pays est chrétien? » a poursuivi le juge selon une transcription de la discussion citée dans le journal. « Vous devez croire en quelque chose. Le serment (d’allégeance) ne veut rien dire si vous ne croyez pas en Dieu [...] Ce que nous croyons, dans ce pays, repose sur des valeurs chrétiennes et les enseignements de Jésus Christ. » De poursuivre le magistrat, « Certaines personnes ne suivent pas cette voie, mais ce à quoi nous aspirons dans ce pays, c’est le mode de vie chrétien. J’ai l’impression qu’il vous faut avoir une foi quelconque, mais, d’après ce que je peux voir, vous ne croyez en rien [...] De ce que je comprends de vos éléments de preuve, vous n’avez aucune religion. »

Le 17 mars 1965, lors du premier appel de la décision devant la Cour suprême de l’Ontario, le juge Stanley Nelson Schatz a confirmé la décision du juge Leach.

[51] Le serment d’allégeance que devait prononcer selon la loi tout nouveau citoyen était le suivant : « Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien » (cité dans Plummer, 2011).

[52] Voir Bussey (2012) pour obtenir un exemple émouvant de discrimination à l’endroit d’objecteurs de conscience adventistes du septième jour durant la Seconde Guerre mondiale. La persécution dont ont fait l’objet les Témoins de Jéhovah et le travail de défense des droits effectué par leur communauté ont joué un rôle clé particulier dans l’évolution des lois relatives à la liberté de religion au Canada (voir par exemple Bhabha (2012) pour un compte rendu de décisions judiciaires ayant créé un précédent à ce chapitre).

[53] Par exemple, Seljak (2012, p. 9) fait remarquer qu’une grande partie de l’anticatholicisme observé au sein du Canada protestant avant les années 1960 était lié à des préjugés envers les Canadiennes et Canadiens français (dont la grande majorité était catholique), ainsi qu’à des « sentiments anti-immigration dirigés vers les Irlandais, les Italiens, les Allemands et d’autres nouveaux arrivants de l’Europe de l’Est et du Sud ». Les identités raciales « blanches » dominantes de l’époque étaient loin d’être inclusives envers tous les groupes ethniques européens. Un ouvrage historique populaire et respecté publié en 1914 à Toronto et intitulé Canada and Its Provinces (1914-17) qualifie les Galates de personnes arriérées sur le plan mental, les Italiens de personnes sans pudeur, les Turcs, Arméniens et Syriens d’« indésirables », les Grecs, les Macédoniens et les Bulgares de menteurs, les Chinois de personnes ayant un problème de jeu et d’alcool, et l’arrivée des juifs et nègres, de « nullement sollicitée » (Mclaren, 1990).

[54] Les penseurs donnent des explications variées à cette transformation des politiques, lois et sensibilités canadiennes. La plupart y attribuent de multiples facteurs de causalité, y compris :

  • les effets non prévus de la centralisation et de l’expansion de l’État durant la Seconde Guerre mondiale, qui ont accéléré le processus de laïcisation (p. ex. différenciation, rationalisation des sphères)
  • la sensibilisation accrue aux droits de la personne et la hausse de l’activisme communautaire, surtout en réaction aux atrocités génocides commises par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale, mais également sous l’effet du mouvement de la promotion des droits civils des Noirs américains et du renforcement du mouvement syndical
  • dans une moindre mesure, la croissance de la diversité canadienne observée à la suite de la réforme des politiques sur l’immigration à la fin des années 1960 (voir l’Annexe I illustrant les transformations sur le plan juridique, politique et démographique survenues durant cette période).

La hausse soutenue du nombre et des types de catégories ethnoculturelles et confessionnelles rapportés dans les recensements canadiens tout au long du dernier siècle (le nombre de catégories ethniques ayant bondi de 30 à 232, et les catégories confessionnelles de 32 à 124 de 1911 à 2001) sont une indication de cette transformation sur le plan démographique (Byer, 2008).

[55] La société s’est éloignée des politiques évidentes d’assimilation exigeant des gens qu’ils abandonnent leurs caractéristiques culturelles et religieuses distinctives pour obtenir la citoyenneté à parts égales. Selon Seljek et coll. (2008), l’adoption de politiques et de lois protégeant le « droit d’être et de demeurer différent » des groupes minoritaires reflète un virage considérable du système en place, qui passe d’un modèle de hiérarchie sociale privilégiant et accentuant les droits des élites politiques, économiques et sociales à ce que Charles Taylor appelle une « politique d’universalisme », soit un nouveau consensus fondé sur des idéaux d’égalité et de non-discrimination.

L’adoption de mesures législatives anti-discrimination durant l’entre-deux-guerres, et leur consolidation subséquente, reflète ce nouvel universalisme. Parmi les mesures adoptées figurent :

  • le Code des droits de la personne de l’Ontario, promulgué en 1962 après l’adoption des premières mesures de protection des droits de la personne à l’échelon fédéral dans la Déclaration canadienne des droits de 1960
  • l’abandon de certaines des restrictions les plus draconiennes imposées à la culture et aux pratiques religieuses autochtones dans les années 1950 et 1960 (octroi aux peuples autochtones du « statut d’Indien », de la pleine citoyenneté et du droit de vote 1960)
  • l’adoption d’une politique fédérale de non-discrimination dans les années 1960 et de la politique de multiculturalisme de l’État en 1971 (promulguée en 1988) dans le contexte d’une population immigrante (de langue autre que l’anglais ou le français) considérablement accrue et diversifiée
  • le plus important peut-être, l’inscription des droits de la personne et des groupes minoritaires, du multiculturalisme et de la liberté de religion dans la Charte canadienne des droits et libertés de la Loi constitutionnelle rapatriée en 1982.

[56] Parmi les signes de cet accroissement de la séparation de l’Église et de l’État, de l’érosion des privilèges chrétiens et du déclin de leur habileté à définir la moralité de la population après les années 1960 figurent : 

  • la libéralisation des lois régissant la moralité sexuelle, le mariage, le divorce et l’avortement, entamée par les gouvernements Trudeau (1968-1979, 1980-1984)
  • le retrait du contrôle de l’Église au profit d’un contrôle étatique des services sociaux et services de santé dès les années 1960
  • la déchristianisation des écoles publiques canadiennes, surtout après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, et la remise en question accrue du financement par la population des écoles séparées catholiques romaines en Alberta, en Ontario et en Saskatchewan
  • l’abrogation du Lord’s Day Act (1906) en 1985 pour permettre l’ouverture des commerces le dimanche
  • l’émergence subséquente d’une série de causes cherchant à mettre les religions sur un pied d’égalité en milieu de travail (Bramadat et coll., 2008; Seljak et coll., 2007).

[57] Résumant de tels bouleversements, Seljak et coll. (2008) font remarquer : « Le christianisme ne jouit plus du pouvoir et du prestige qu’il avait auparavant dans l’espace public. Les Églises chrétiennes ne contrôlent plus les institutions sociales puissantes qu’elles administraient jadis main dans la main avec les divers paliers de gouvernement. Dans une grande mesure, la religion a été privatisée au Canada. »

[58] Résumant de tels bouleversements, Seljak et coll. (2008) font remarquer : « Le christianisme ne jouit plus du pouvoir et du prestige qu’il avait auparavant dans l’espace public. Les Églises chrétiennes ne contrôlent plus les institutions sociales puissantes qu’elles administraient jadis main dans la main avec les divers paliers de gouvernement. Dans une grande mesure, la religion a été privatisée au Canada. »

[59] Dans les années 1950, plusieurs décisions importantes de la Cour suprême du Canada ont étendu les mesures de protection en matière de discrimination à diverses minorités religieuses défavorisées, comme les Témoins de Jéhovah, bien avant que la Charte n’enchâsse l’égalité et la liberté de religion (voir Bhabha, 2012 pour en savoir davantage sur certaines des causes traitées). Selon Bhabha, les tribunaux des droits de la personne se sont considérablement inspirés de la jurisprudence américaine en matière de droits civils dans les années 1970, au moment d’incorporer les approches « d’accommodement raisonnable » à la résolution des conflits en milieu de travail. (ibidem). Selon lui, l’arrêt clé R. c. Big M Drug Mart Ltd. de 1985 ([1985] 1 RCS 295) marque la première application de cette approche à des affaires de liberté de religion au sens du paragraphe 2(a) de la Charte.

[60] Bhabha (2012) cite la récente affaire relative à la prière musulmane collective dans la cafétéria d’une école intermédiaire de la région de Toronto comme exemple récent de cette nouvelle vision « transformatrice » plutôt que simplement « accommodatrice » de la liberté de religion. La section
qui suit sur l’accommodement de la croyance retrace l’évolution de cette approche davantage transformatrice et systémique sur le plan juridique.

 

3. Tendances actuelles en matière de discrimination

3.1 Profil des requêtes relatives à la croyance déposées auprès du TDPO (2010-2012)

La CODP a passé en revue toutes les requêtes (anciennement appelées « plaintes ») déposées auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) et citant la croyance comme motif de discrimination durant les exercices 2010-2011 (1er avril 2010 au 31 mars 2011) et 2011-2012 (1er avril 2011 au 31 mars 2012). Nous avons débuté par une liste de requêtes que le TDPO avait colligées à partir de sa base de données de gestion de cas, pour y ajouter ensuite 179 demandes de révision en 2010-2011 et 140 demandes de révision en 2011-2012[61].

Les requêtes citant la croyance représentaient 6,8 % de l’ensemble des requêtes déposées auprès du TDPO au cours de l’exercice 2011-2012, soit une proportion légèrement à la hausse par rapport à 2010-2011, alors qu’elle s’élevait à 6 % (voir le tableau ci-après et l’Annexe 22.1 pour connaître la répartition par motif des requêtes déposées auprès du TDPO durant les exercices 2011-2012 et 2010-2011). Ce nombre semble relativement bas et pourrait ne pas tenir compte de toute la discrimination dont ont fait l’objet les diverses communautés de l’Ontario en raison de facteurs tels que le non-signalement de certains cas, des erreurs de signalement ou le manque de certitude quant à l’issue de requêtes pour discrimination[62]. Les statistiques ci-après offrent un aperçu du nombre et de la nature des requêtes déposées auprès du TDPO et citant la croyance comme motif de discrimination. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure ces requêtes constituent un reflet de grandes tendances, en partie en raison des facteurs susmentionnés. 

Requêtes déposées auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario en 2011-2012, selon le motif

Motif

Totaux*

Handicap

54,4 %

Représailles

25,5 %

Sexe, grossesse et identité sexuelle

24,9 %

Race

29,2 %

Couleur

13,5 %

Âge

13,6 %

Origine ethnique

15,5 %

Lieu d’origine

12,6 %

État familial

8,4 %

Ascendance

9,1 %

Sollicitations ou avances sexuelles

5,2 %

Croyance

6,8 %

État matrimonial

7,8 %

Orientation sexuelle

4,0 %

Association

2,6 %

Citoyenneté

3,7 %

Casier judiciaire

3,0 %

État d’assisté social

1,0 %

Aucun motif

2,6 %

Source : TDPO, extrait le 21 juin 2013 de www.TDPO.ca/TDPO/?q=en/node/152

*Le tableau ci-haut illustre le pourcentage de requêtes déposées dans lesquelles un motif interdit par le Code est soulevé. Comme de nombreuses requêtes invoquent des allégations de discrimination fondée sur plus d’un motif prévu par le Code, les totaux du tableau dépassent de beaucoup le nombre total de requêtes reçues.

3.1.2 Requêtes déposées, selon la croyance

Durant les exercices de 2010-2011 et 2011-2012, les musulmans étaient les plus nombreux à déposer des requêtes auprès du TDPO citant la croyance comme motif de discrimination,  suivis de près par les chrétiens (toutes confessions confondues). D’après l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, les musulmans représentaient en 2011 4,6 % de la population ontarienne. Compte tenu de la taille de leur population, les musulmans étaient considérablement surreprésentés parmi les requérants du TDPO : ils représentaient plus du tiers (36 %) de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO en 2011-2012 et 31,8 % des requêtes déposées en 2010-2011 citant le motif de la croyance (voir les Annexes 22.2 et 22.5 pour obtenir de plus amples renseignements). Comme l’indique la section 3.2.5 ci-après, cette conclusion s’accorde avec les recherches menées sur la croissance de l’islamophobie et d’autres tendances discriminatoires touchant les communautés musulmanes, surtout à la suite des événements du 11 septembre. L’examen des requêtes déposées auprès du TDPO a aussi révélé que les musulmans n’étaient pas les seules cibles de ces tendances. Plusieurs requêtes portaient sur des cas de discrimination à l’endroit de non-musulmans alléguant qu’ils avaient été ciblés parce qu’on les avait pris, à tort, pour des musulmans[63]. Cela peut donner à penser que la race entre en compte dans la discrimination à l’endroit des musulmans, quand les victimes font l’objet de discrimination en raison de leur apparence plutôt que leurs croyances proprement dites (comme en discutent les sections 3.2.3 et 3.2.5 ci-après).

Nombre et pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO et citant la croyance, selon la croyance (exercice 2011-2012)

Graphique circulaire montrant  le nombre et pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO et citant la croyance, selon la croyance. Le total dépasse 100 % étant donné que certaines requêtes citent plus d’une croyance. Les musulmans comptaient pour 50 ou 35,7% des requêtes relatives à la croyance. Chrétiens = 49 ou 35 %. Juifs = 15  ou 10,7 %. Divers = 10 ou 7,1%. Hindous = 10 ou 7,1%.  8 ou 5.7 % des requêtes ne citaient aucune croyance et 7 ou 5 % des requêtes citaient plus d'une croyance. Spiritualité autochtone = 4 ou 2,9 %. Sikhs = 3 ou 2,1 %. Bouddhistes = 2 ou 1,4 %. Adeptes de la sorcellerie = 2 ou 1,4 %. Personnes sans appartenance religieuse = 1 ou 0,7 %.

* Divers : Magie élémentale, véganisme éthique, cabale, adhésion à un barreau du Canada mouvement rastafari, taoïsme, Wicca, yoga/cosmologie, zen, zoroastrisme

Dans l’ensemble, les chrétiens ne sont pas surreprésentés parmi les groupes de requérants compte tenu de la taille de leur population[64], mais sont tout de même participants à un nombre considérable d’affaires devant le TDPO, ce qui appuierait la perception selon laquelle les chrétiens peuvent parfois se sentir « minoritaires » au sein de la société ontarienne de plus en plus laïque (dans certains cas, malgré le fait qu’ils forment une majorité). Parmi les groupes religieux, les chrétiens (toutes confessions confondues) [65] comptaient le deuxième plus grand nombre de requêtes auprès du TDPO citant la croyance comme motif de discrimination durant les exercices de 2010-2011 et 2011-2012. Quelque 35 % de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 et 26,8 % de celles déposées en 2010-2011 provenaient de personnes qui s’identifiaient à diverses confessions chrétiennes (voir les Annexes 22.2, 22.3, 22.5 et 22.6 pour obtenir une répartition des requêtes selon la croyance). Les requérants se qualifiant de « catholiques romains » (9,3 %) ou simplement de « chrétiens » (9,3 %) formaient le plus grand nombre de requérants chrétiens durant l’exercice 2011-2012, suivis des requérants se qualifiant d’adventistes du septième jour (5,7 %) et de chrétiens orthodoxes (2,9 %) (voir l’Annexe 22.3 pour obtenir la répartition des requêtes liées à la croyance déposées en 2011-2012, selon l’appartenance à une religion chrétienne). Les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO durant l’exercice 2010-2011 suivaient clairement la même tendance (voir l’Annexe 22.6).

Compte tenu de la taille de leur population[66], les membres des communautés de religions juive (15 ou 10,7 %), hindoue (10 ou 7,1 %), autochtones traditionnelles (4 ou 2,9 %) et sikhe (3 ou 2,1 %) ont déposé un nombre disproportionné de requêtes liées à la croyance auprès du TDPO en 2011-2012, au même titre que d’autres communautés de croyance moins connues (p. ex. adeptes du rastafarisme, raëliens et autres, regroupés dans la catégorie « divers » dans les tableaux énumérant les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011 et 2011-2012; voir les Annexes 22.2 et 22.5 pour obtenir de plus amples renseignements). Les personnes se disant sans religion, qu’elles soient athées, agnostiques ou simplement non religieuses, représentaient un nombre relativement faible (2 ou 1,4 %) de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012, mais une proportion plus grande (environ 5 %) en 2010-2011. Durant les deux exercices, un nombre considérable de requérants ne se sont identifiés à aucune croyance particulière (19 ou 10,6 % des requêtes liées à la croyance déposées en 2010-2011 et 8 ou 5,7 % des requêtes liées à la croyance déposées en 2011-2012).

La tendance à l’accroissement de l’individualisme, de l’hybridité, et de l’éclectisme dans les modèles contemporains de croyances et de pratiques et convictions religieuses, dont il a été question précédemment, est en partie ressortie clairement d’un nombre considérable de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO (quelque 5 ou 7 % en 2011-2012) citant plus d’une croyance (voir la section 1.2 précédente et l’Annexe 22.4). On a également pu observer chez certains requérants une tendance à l’édification en croyance de ce qui pourrait sembler des opinions et convictions plus isolées (p. ex. croyance en « l’honnêteté », « de bonnes pratiques d’entreprise », « l’équité », « le respect et la dignité relativement au travail accompli »), particulièrement durant l’exercice 2011-2012 (voir l’Annexe 22.5).

Intersection des motifs

Pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, par motifs entrecroisés (exercice 2011-2012)

Graphique à barres montrant 0,7 % pour l'état d'assisté social, 2,1% pour le casier judiciaire, 2,1 % pour les sollicitations ou avances sexuelles, 2,9 % pour l'association, 3,6% pour l'état matrimonial, 4,3 % pour l'orientation sexuelle, 7,1 % pour la citoyenneté, 7,9 % pour l'état familial, 10,0 % pour l'identité sexuelle, 11,4 % pour l'âge, 11,4 % pour le sexe, 22,1 % pour le handicap,  25,7 % pour les représailles ou menaces de représailles et 50,7 % pour la race et les motifs connexes. Dans 28,6 % des cas, aucun motif entrecroisé n'a été cité.

Une majorité de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO (50,7 % en 2011-2012 et 60,3 % en 2010-2011) citaient un motif lié à la race en plus de celui de la croyance (par ordre de fréquence : origine ethnique, lieur d’origine, race, ascendance, couleur) (voir le graphique ci-haut, et les Annexes 22.6-22.10). Seulement 14 % des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 et un peu plus du quart (ou 28,6 %) de celles déposées en 2011-2012 citaient uniquement la croyance comme motif de discrimination. Ces conclusions sont en accord avec les recherches sur l’effet entrecroisé considérable des dynamiques ethniques et raciales relativement à la discrimination fondée sur la croyance (voir la section 3.2.3 pour une discussion plus complète de cette question).

3.1.3 Domaines sociaux

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social (exercice 2011-2012)

Graphique circulaire montrant que le domaine de l'emploi a été cité 102 fois (72,9 %). Biens, services et installations cités 34 fois (24,3%). Logement cité 4 fois (2,9%). Association citée 3 fois (2,1%). Contrat cité 2 fois (1,4 %).

Toutes les requêtes pour atteintes aux droits de la personne doivent citer un « domaine social » du Code ainsi qu’un motif de discrimination interdit. Près de 73 % de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO en 2011-2012 et citant la croyance, et 62 % des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011 identifiaient l’emploi comme domaine social. De toutes requêtes liées à la croyance déposées en 2011-2012, 24,3 % citaient les services, biens et installations comme domaine social, tandis que 3 % citaient le logement.

Requêtes déposées auprès du TDPO par domaine social : Pourcentage de requêtes liées à la croyance par opposition au pourcentage des requêtes totales (exercice 2011-2012)

Graphique à barres montrant que 76,4 % de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO  avaient trait à l'emploi et 72,9 % de toutes les requêtes relatives à la croyance avaient trait à l'emploi. 21,0 % de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO  avaient trait aux biens, services et installations et 24,3 % de toutes les requêtes relatives à la croyance avaient trait aux biens, services et installations. 5,0 % de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO  avaient trait au logement et 2,9 % de toutes les requêtes relatives à la croyance avaient trait au logement. 0,7 % of de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO  avait trait aux contracts et 1,4% de toutes les requêtes relatives à la croyance avait trait aux contrats. 0,7 % de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO  avait trait à l'association et 2,1% de toutes les requêtes relatives à la croyance avaient trait à l'association.

La répartition observée des requêtes liées à la croyance selon le domaine social cadre généralement avec les grandes tendances sur le plan du dépôt de requêtes auprès du TDPO. À l’instar des requêtes liées à d’autres motifs et déposées auprès du TDPO, la plupart des requêtes liées à la croyance ont trait au domaine social de l’emploi. Cependant, les requêtes liées à la croyance sont légèrement surreprésentées dans le domaine social des services[67] et sous représentées dans le domaine social de l’emploi, comparativement aux autres requêtes déposées durant la même période (voir le graphique ci-haut et les Annexes 22.11 et 22.12). Cette divergence est encore plus prononcée en 2010-2011 (voir les Annexes 22.13 et 22.14).

3.1.4 Accommodement

Notre examen des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 montre que les questions d’accommodement religieux occupaient une place importante (dans un peu plus de 42 % des requêtes liées à la croyance) parmi les types de questions de discrimination citées dans les requêtes (voir le graphique ci-après), et ce, surtout en contexte d’emploi. Bien qu’ils n’aient pas fait l’objet d’un suivi systématique semblable, des incidents de harcèlement et de traitement différentiel/préjudiciable fondé sur la croyance étaient couramment cités dans les requêtes liées à la croyance.

Pourcentage de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO et citant l’accommodement de la croyance (exercice 2011-2012)

Le graphique circulaire montre que, durant l'exercice 2011-2012, la majorité des requêtes citant la croyance (57,9 %) n'incluaient pas de questions relatives à l'accommodement de la croyance. Durant la même période, 42,1% des requêtes citant la croyance incluaient des questions relatives à son accommodement.

3.1.5 Sexe

L’examen des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 dressait un bilan des requêtes déposées selon le sexe des requérants (sexe auquel s’identifiaient les requérants, le cas échéant), qui a permis de constater qu’un nombre plus important de requérants était de sexe masculin (57,1 %) par opposition à féminin (34,3 %). Nous pourrions difficilement dire dans quelle mesure cela reflète les tendances générales en matière de discrimination fondée sur la croyance. De telles différences entre le nombre de requêtes déposées par des hommes et des femmes pourraient avoir plusieurs causes (dont, éventuellement, la propension plus grande des hommes à signaler des incidents de discrimination). Il est actuellement impossible de déterminer dans quelle mesure il s’agit d’une situation unique ou d’une tendance générale des requêtes déposées auprès du TDPO étant donné que le TDPO ne conserve pas de données démographiques sur le sexe de ses groupes de requérants. 

Pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO citant la croyance, selon le sexe (exercice 2011-2012)

Le graphique circulaire montre que 34,3 % des requêtes citant la croyance  provenaient de femmes, par opposition à 57,1 % provenant d'hommes. Dans 8,6 % des cas, le requérant n'a pas indiqué son sexe.

3.1.6 Répartition géographique

La plupart des requêtes citant la croyance parvenaient de requérants habitant la région du centre de la province (47,1 %) et de Toronto (30,7 %), ce qui pourrait refléter, du moins en partie, la plus grande diversité ethnique et religieuse de ces régions, comparativement au reste de la province (voir le graphique ci-après et l’Annexe 22.16). Les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011 provenaient principalement des endroits suivants : Toronto (45 % de toutes les requêtes); Mississauga (8,3 %); Ottawa (4,7 %); Brampton (4,1 %); London et Richmond Hill, qui représentaient chacune 2.3 % de toutes les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011 (voir l’Annexe 22.18)[68].

Répartition géographique des requêtes déposées auprès du TDPO et citant la croyance (exercice 2011-2012)

Le graphique circulaire montre que 66 requêtes (47,1 %)  relatives à la croyance  provenaient de la région du centre de la province. 43 requêtes (30,7%) provenaient de Toronto. 14 requêtes (10 %) provenaient de l'est de l'Ontario, 13 requêtes (9,3 %) provenaient de l'ouest de Toronto et 4 requêtes (2,9 %) provenaient du nord de l'Ontario.

Par rapport à la répartition géographique de l’ensemble des requêtes déposées auprès du TDPO, un nombre disproportionné de requêtes liées à la croyance déposées en 2010-2011 et en 2011-2012 provenait des régions de Toronto et du centre de la province (voir les Annexes 22.17 et 22.18)[69].


[61] Le TDPO a identifié les requêtes soumises par des personnes ayant coché la case de croyance dans le formulaire de demande. Un examen subséquent de ces requêtes par la CODP a montré que les requêtes obtenues du TDPO ne citaient pas toutes la croyance. Les requêtes sans mention de la croyance n’ont pas été passées en revue.

[62] Le non-signalement d’incidents de discrimination est un phénomène bien connu dans le milieu des droits de la personne, comme c’est le cas également des incidents de crimes haineux. Il se peut également que cette tendance générale au sous-signalement des incidents soit davantage prononcée chez les personnes arrivées plus récemment au Canada. Beaucoup de ces personnes sont membres de groupes de croyances minoritaires qui sont moins familiers avec le système judiciaire de droits de la personne de l’Ontario ou pourraient se sentir impuissants devant ce système ou mal outillé pour y faire appel et s’y retrouver. De plus, puisque la discrimination fondée sur la croyance et la discrimination fondée sur d’autres motifs étroitement liés (p. ex. origine ethnique, race, couleur, lieu d’origine et ascendance) se chevauchent souvent, il est possible que les affaires relatives à la croyance soient également rapportées sous d’autres motifs de discrimination interdits.

[63] La croyance des requérants a été déterminée selon la religion à laquelle ils s’identifiaient dans leur requête. Certains requérants ont fait l’objet de discrimination en raison de leur croyance perçue, qui s’avérait parfois différente de leur croyance réelle. Dans de tels cas, nous avons tenu compte de la croyance perçue en raison de notre intérêt pour l’objet de la discrimination fondée sur la croyance.

[64] Le nombre total de personnes s’identifiant à la religion chrétienne (toutes confessions confondues) dans l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 se chiffrait à 8 167 295, soit 64,55 % de la population totale (Statistique Canada 2013). Les catholiques romains représentaient 31,43 % des Ontariennes et Ontariens dans l’ENM de 2011, suivis des personnes s’identifiant aux diverses confessions protestantes, qui représentaient 30,77 % (3 892 965) de la population ontarienne (lorsqu’on regroupe, par ordre de grandeur, les « autres confessions chrétiennes » et les Églises unie, anglicane, presbytérienne, baptiste, pentecôtiste et luthérienne, telles que rapportées dans l’ENM de 2011).

[65] La catégorie « chrétienne » est une catégorie composite que nous avons nous-mêmes créée pour regrouper toutes les confessions chrétiennes. Elle ne fait pas référence uniquement aux personnes se qualifiant précisément de « chrétiens ».

[66] D’après l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011, en 2011, la communauté juive représentait 1,55 % de la population ontarienne. Cependant, un pourcentage disproportionné (10,7 %) des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 faisaient intervenir des personnes de religion juive. Bien que seulement 0,13 % (15 905) de la population ontarienne s’identifiait à la « spiritualité autochtone traditionnelle » dans l’ENM de 2011, les requêtes citant la spiritualité autochtone représentaient 2,9 % (4) de toutes les requêtes déposées auprès du TDPO durant l’exercice 2011-2012 et citant la croyance. Les hindous et sikhs représentent respectivement 2,9 % et 1,42 % de la population ontarienne selon the ENM de 2011, mais sont associés à 7,1 % et 2,1 % des requêtes déposées auprès du TDPO durant l’exercice 2010-2011
et citant la croyance.

[67] D’ordinaire, les requêtes touchant le domaine social des services concernent principalement des allégations de discrimination commise dans des institutions publiques comme les services de santé, d’éducation et de maintien de l’ordre, et dans une moindre mesure des allégations de discrimination dans les secteurs privés du tourisme, de la restauration et du divertissement. Mais nous n’avons aucune information confirmant que c’est bien le cas ici.

[68] L’examen des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011, mené par la CODP, classait les requêtes par ville, selon l’endroit où était survenu l’incident, conformément à la question 7b, Dans quelle ville ou région? de la formule de requête du TDPO. Ces conclusions ne correspondent pas à la façon dont le TDPO présente ses données, par région, ou à la façon dont nous avons présenté, dans le présent rapport, les requêtes pour discrimination fondée sur la croyance de 2011-2012, soit dans les deux cas en établissant la région selon le code postal. Elles donnent cependant une meilleure idée de l’endroit où surviennent les incidents allégués de discrimination.

[69] Les données du TDPO de 2010-2011 donnent à penser que Toronto est surreprésenté dans les requêtes relatives aux allégations de discrimination fondée sur la croyance. En 2010-2011, 27 % de toutes les requêtes déposées provenaient de Toronto, par opposition à 44,6 % de toutes les requêtes relatives à la croyance examinées.

 

3.2. Recherches, consultations et tendances sous-jacentes

3.2.1 Hausse des crimes haineux à caractère religieux

Les statistiques sur les crimes haineux constituent une autre source d’information sur l’intolérance et la discrimination fondées sur la religion. Cependant, ces données sont peu fiables pour plusieurs raisons, dont le fait qu’on estime à deux tiers la proportion de crimes haineux qui ne sont jamais signalés. Le nombre de personnes qui rapporte ce genre de crimes varierait également d’une communauté à l’autre, tout comme la façon dont elles perçoivent et rendent compte de la victimisation. Par exemple, il peut être difficile de déterminer si un crime haineux a été commis au motif de la race, de l’ethnicité ou de la religion[70].

Statistique Canada a publié deux études nationales sur les crimes haineux, basées sur les données sur les crimes haineux de 2009 et 2010[71]. En 2009, la religion arrivait au deuxième rang des motifs de crime haineux les plus souvent cités (29 %), comparativement à 54 % pour la race ou l’ethnicité (premier motif à l’origine des crimes haineux rapporté d’année en année). Cette année-là, les crimes haineux à caractère religieux ont connu une hausse supérieure à toute autre catégorie de crimes haineux, atteignant 55 % à l’échelle nationale. En 2010, les crimes haineux motivés par la religion et la race ou l’ethnicité ont baissé de 17 % par rapport à 2009, tandis que les actes criminels fondés sur la race ou l’ethnicité ont baissé de 20 %.

En 2009, à l’instar des tendances observées lors des années précédentes, 70 % de tous les crimes haineux à caractère religieux commis au Canada visaient des personnes de confession juive (283; hausse de 71 % depuis 2008). Les communautés arabes et de l’Asie occidentale[72] affichaient pour leur part la plus importante hausse des crimes haineux à caractère racial, lesquels ont doublé pour passer de 37 en 2008 à 75 en 2009.

En 2010, les crimes haineux à l’endroit des personnes de confession juive rapportés au Canada par la police représentaient un peu plus de la moitié de tous les incidents à caractère religieux en 2010 (204 au total), soit une baisse de 38 % par rapport à l’année précédente. En même temps, les crimes haineux à l’endroit des personnes de confession musulmane (+26 %) et catholique (+32 %) augmentaient. Les communautés arabes ou de l’Asie occidentale (11 %) et les communautés de l’Asie du Sud (10 %) continuaient de faire l’objet du plus grand nombre de crimes haineux après les Noirs, principales victimes des crimes haineux commis en 2010.

Il est difficile d’évaluer le rôle que joue l’islamophobie (définie à la section 3.2.5 ci-après) dans les crimes haineux commis à l’endroit des communautés arabes, de l’Asie occidentale et de l’Asie du Sud en raison des variations possibles dans la façon dont les gens perçoivent et rendent compte de la victimisation criminelle haineuse. Des études comparatives à long terme des données relatives aux crimes haineux montrent une recrudescence générale des actes criminels à caractère religieux à la suite des événements du 11 septembre, particulièrement à l’endroit des Canadiennes et des Canadiens musulmans et juifs[73]. D’après l’Enquête sur la diversité ethnique de 2003, 0.9 % de juifs et 0.54 % de musulmans ont rapporté avoir fait l’objet de crimes haineux à caractère religieux entre 1998 et 2003[74]. Or, selon d’autres recherches, la population pourrait sous-représenter le caractère religieux de la discrimination et des crimes haineux commis à son endroit, en partie dû au fait qu’il est souvent difficile de distinguer le motif de la religion de ceux de la race et de l’ethnicité[75].

3.2.2 Polarisation du débat public

Des chercheurs notent une augmentation de la polarisation de type « nous » contre « eux » dans les médias de masse et le débat public sur la religion à la suite des événements du 11 septembre[76]. Certains soutiennent que les médias de masse et le débat public qui établissent un lien entre la nouvelle diversité religieuse, l’immigration et les menaces à la sécurité nationale ont, de façon générale, « alimenté un ressentiment à l’endroit de l’immigration, du multiculturalisme et de l’accommodement des besoins des minorités religieuses »[77]. Bien que la population canadienne soit généralement pour la diversité et l’immigration, des sondages d’opinion laissent également entendre que beaucoup de Canadiennes et de Canadiens pourraient de plus en plus préférer l’assimilation à l’accommodement et aux approches axées sur la diversité, surtout en matière de religion (voir les Annexes 24, 25, 26 pour obtenir plus de renseignements sur les sondages d’opinion)[78].

3.2.3 Racialisation de la discrimination et des préjugés fondés sur la croyance

Selon certains penseurs, il est difficile de distinguer la discrimination et les préjugés fondés sur la religion de la discrimination et des préjugés à caractère raciste, xénophobe et ethnocentriste. Le lien étroit qu’entretiennent la religion, la race et l’ethnicité au sein de certaines communautés de croyance, jumelé à la visibilité de telles différences (ethniques, raciales et religieuses) par rapport à la société dominante, exposent de nombreuses ethnominorités religieuses de l’Ontario à des formes entrecroisées de discrimination et de harcèlement[79]. À la suite des événements du 11 septembre, cette animosité et ces préjugés entrecroisés ont par moment donné lieu au ciblage général des communautés visibles minoritaires associées à l’islam (p. ex. communautés arabes et d’Asie du Sud), quelle que soit leur appartenance religieuse réelle.

Un des premiers crimes haineux commis à la suite des événements du 11 septembre est survenu à Hamilton lorsqu’une personne a largué une bombe incendiaire sur un temple hindou, croyant apparemment qu’il s’agissait d’une mosquée. Il existe quantité d’autres exemples de membres de la foi sikhe ou de membres des communautés non musulmanes arabes, de l’Asie occidentale ou du Sud, ayant fait l’objet d’actes ciblant les musulmans en raison de leur apparence, de leur langue ou de leurs particularités visibles.

Une poignée seulement d’études mesurent les niveaux ou types de discrimination dont font l’objet les minorités religieuses[80]. Selon certaines recherches, le statut de minorité visible serait un plus important indicateur prévisionnel de désavantage et de discrimination que la religion[81]. Cependant, d’autres études laissent entendre que les personnes issues de certaines communautés confessionnelles (la communauté musulmane en particulier) sont plus susceptibles d’avoir un revenu faible ou d’être au chômage d’une génération à l’autre, malgré leur niveau de scolarité généralement plus élevé[82].

De nombreux théoriciens se sont penchés sur la façon dont les différences sur le plan de la religion, de la culture et de l’ethnicité peuvent être « racialisées » de manière à entraîner un durcissement des positions et des « justifications » à l’origine de la discrimination envers les minorités religieuses et ethniques. Cela a été qualifié par moment de « nouveau racisme » ou de « néoracisme » (racisme sans race), ce qui diffère des anciennes formes dominantes de racisme fondées sur la biologie et la couleur de la peau[83]. La religion peut être « racialisée »[84] quand les différences religieuses sont perçues et traitées comme étant figées et immuables, et l’unique déterminant de la pensée et du comportement humains. Comme les formes traditionnelles de racisme, le nouveau racisme attribue aux personnes religieuses des points de vue et comportements fondés sur leur association perçue à un groupe (dans ce cas-ci, une communauté de croyance). Dans ce processus, les différences au sein des groupes confessionnels sont occultées. Cette racialisation de la religion est souvent due à la perception de signes ou de marqueurs identifiables de différence religieuse (p. ex. ethniques, raciaux, religieux, linguistiques, culturels).

3.2.4 Antisémitisme

L’antisémitisme s’avère peut-être le prototype de la racialisation de la religion. Créé dans les années 1870 dans le but d’encourager la haine à caractère raciale à l’endroit des juifs, le terme « antisémitisme » reflète une évolution du motif de discrimination, de haine et de violence contre les juifs de la religion (« antijudaïsme ») à la race[85]. Les définitions de l’antisémitisme varient, allant de « gestes ou attitudes fondés sur une construction stéréotypée du “fait juif” »[86] à des descriptions plus concrètes qui incluent des exemples spécifiques, comme celle adoptée récemment dans le cadre du Protocole d’Ottawa sur la lutte contre l’antisémitisme[87]. Dans son rapport informatif de 2002-2003, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) qualifie l’antisémitisme (par opposition à « anti-Sémitisme »)[88] de pensée antijudaïque et d’attitudes et gestes préjudiciables et (ou) hostilité envers les juifs (en tant que juifs) après 1945 (p. 11). La Fondation canadienne des relations raciales (2013a) donne une définition plus générale à l’antisémitisme :

Hostilité ou haine latente ou manifeste, ou discrimination dirigée contre les juifs ou le peuple juif, pour des raisons liées à leur religion, leur origine ethnique ainsi qu’à leur patrimoine culturel, historique, intellectuel et religieux. L’antisémitisme peut prendre une variété de formes, allant des actes individuels de violence physique, de vandalisme et de haine, à des efforts organisés de destruction de communautés entières ou de génocide.

La définition et la portée du terme « antisémitisme », y compris dans quelle mesure, le cas échéant, on devrait y inclure les formes traditionnelles d’antijudaïsme[89] et les formes plus contemporaines d’antisionisme, est encore source de débats considérables. La prise en compte de l’antisionisme soulève des questions quant à la montée d’un « nouvel anti-Sémitisme »[90] à caractère davantage politique et religieux que racial[91]. Les définitions et comptes rendus plus récents faisant figure d’autorité privilégient l’appellation « antisémitisme » plutôt qu’« anti-Sémitisme », en partie pour contester la notion même de l’existence d’une « race sémitique » et la réduction de l’antisémitisme à une forme de racisme[92].

L’antisémitisme demeure l’une des formes les plus anciennes et les plus extrêmes de discrimination et de préjugés fondés sur la croyance de l’histoire de l’Ontario (comme en discute précédemment la section  2.2). Quelle que soit la définition utilisée, les communautés juives de l’Ontario continuent de se heurter au problème de l’antisémitisme, comme le démontre la discussion précédente sur les données relatives aux crimes haineux[93].

La Ligue des droits de la personne de B’nai Brith surveille les cas de crime haineux à caractère antisémite et prépare un rapport annuel, publié sur son site Web. Le rapport de l’organisme sur les incidents d’antisémitisme survenus en Ontario en 2011 montre que la communauté juive est victime d’actes criminels motivés par la haine et les préjugés dans des proportions qui, de 2002 à 2008, étaient de 15 à 25 fois supérieures à celles de la population générale[94]. Selon le rapport de 2012 de la ligue, 726 incidents d’antisémitisme ont été signalés durant l’année à l’organisme dans la province de l’Ontario. Il s’agissait du plus grand nombre de cas affiché par une province canadienne et d’une hausse de 2,5 % par rapport aux 708 cas consignés en Ontario en 2011 (voir le tableau ci-après pour une répartition des incidents par région). Au cours de la dernière décennie, les incidents d’antisémitisme ont plus que doublé[95].

Selon une étude globale menée par le Roth Institute for the Study of Contemporary Antisemitism and Racism de l’université de Tel Aviv, le Canada se classe troisième au monde (44 cas) sur le plan du nombre d’« incidents antisémites violents importants » rapportés en 2005, après seulement la France (65 cas) et le Royaume-Uni (89 cas)[96].

Année 2012

Nombre total d'incidents

 

 

 

% du nombre total d'incidents par région

Région

Incidents Harcèlement Vandalisme Violence Harcèlement Vandalisme Violence
Provinces Atlantiques* 27 22 5   81.5% 18.5%  
Quebéc 337 279 54 4 82.8% 16.0% 1.2%
Ontario 730 540 182 8 74.0% 24.9% 1.1%
Manitoba 56 39 16 1 69.6% 28.6% 1.8%
Saskatchewan 16 12 4   75.0% 25.0%  
Alberta 75 47 28   62.7% 37.3%  
Colombie-Britannique 103 73 30   70.9% 29.1%  
Régions du Nord** 1 1     100.0%    
Canada 1345 1013 319 13 75.3% 23.7% 1.0%
 

*Provinces Atlantiques: Terre-Neuve-et-Labrardor,Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse
**Régions du Nord: Territoires du Nord-Ouest, Yukon, et Nunavut

Source : Rapport des incidents d`antisémitisme de 2012, Ligue des droits de la personne, B’nai Brith Canada. Extrait le 24 juillet 2013 de www.bnaibrith.ca/summaryfr.php

3.2.5 Islamophobie

L’islamophobie est un terme dont l’origine historique est matière à débat. Plus récemment, il a été utilisé pour attirer l’attention sur les chevauchements pouvant s’effectuer entre l’hostilité envers l’islam en tant que religion et les formes d’hostilité plus racialisées et xénophobes à l’endroit des musulmans « en tant que personnes ». Si le terme tire son origine linguistique de la notion de « peur » de l’« islam », les définitions de l’islamophobie vont généralement au-delà de la simple notion de crainte pour inclure à la fois les sentiments et comportements antimusulmans (personnes) et anti-islam (religion). Les définitions du terme « islamophobie » incluent :

  • « stéréotypes, préjugés ou actes d’hostilité envers des personnes musulmanes ou les adeptes de l’islam en général »[97]
  • « toute idéologie ou schème de pensée ou comportement visant à barrer la voie des [musulmans] à des postes, droits et possibilités au sein de la société (ou certains de ses segments) en raison de leurs antécédents islamiques réels ou perçus [et] à les considérer et traiter comme des représentants (réels ou imaginés) de l’islam en général ou de groupes islamiques (réels ou imaginés), plutôt qu’en tant que personnes ayant leurs capacités propres »[98]
  • « crainte, haine et hostilité envers l’islam et les musulmans résultant d’une série de vues fermées qui impliquent et attribuent des convictions et stéréotypes négatifs et désobligeants aux musulmans »[99].

Les travaux de Chris Allen (2010) fournissent l’une des définitions les plus rigoureuses et complètes de l’islamophobie jusqu’à présent, qui expose en détail les divers « modes de fonctionnement » du maintien et de la perpétuation de l’islamophobie[100].

Le Runnymede Trust Report (1997) du Royaume-Uni, intitulé Islamophobia: A Challenge for Us All, obtient généralement le crédit pour avoir donné au terme sa place de choix et son importance dans les politiques et le débat publics. Ce rapport, que l’on cite souvent pour sa définition, présente huit « points de vue fermés » récurrents sur l’islam qui caractérisent l’islamophobie :

  1. considérer l’islam « comme un bloc monolithique, statique et immuable »
  2. considérer l’islam « comme distinct et "autre" » sans « valeurs communes avec les autres cultures », c’est-à-dire qu’il n’exerce aucune influence sur elles et vice versa 
  3. considérer l’islam comme « inférieur aux religions occidentales », plus particulièrement « comme une religion barbare, irrationnelle, primitive et sexiste »
  4. considérer l’islam « comme une religion violente, agressive, menaçante, favorable au terrorisme et engagée dans un "choc de civilisations" » 
  5. considérer l’islam « comme une idéologie politique… adoptée pour obtenir un avantage politique ou militaire »
  6. « rejeter du revers de la main » des critiques dirigées vers l’Ouest par l’islam
  7. utiliser « l’hostilité envers l’islam […] pour justifier les pratiques discriminatoires à l’endroit des musulmans et l’exclusion des musulmans de la société dominante »
  8. considérer « comme naturelle et normale » l’hostilité à l’endroit des musulmans.

La définition de l’islamophobie est source de grand débat. Les discussions portent entre autres sur les questions suivantes :

  • si le terme est trop axé sur les « croyances » plutôt que sur des formes plus institutionnelles et structurelles de discrimination[101]
  • si l’islamophobie est tout simplement une forme de racisme ou un phénomène unique et distinct, ou les deux[102]
  • s’il s’agit d’un phénomène clairement contemporain ou une composante de longue date de la civilisation euro-occidentale[103].

Certaines personnes mettent également en question l’existence même du phénomène qualifié d’islamophobie.

Néanmoins, les recherches indiquent que des préjugés antimusulmans, ou l’islamophobie, existent et se sont accrus en Ontario depuis les événements du 11 septembre[104]. Par  exemple, divers participants au dialogue stratégique de la CODP ont attiré l’attention sur les points de vue préjudiciables (« fermés ») à l’endroit des musulmans et de l’islam dans le contexte ontarien[105]. En particulier, les sondages d’opinion et autres enquêtes font part de tendances à la méfiance, à la peur et à l’animosité à l’égard des musulmans au Canada à la suite des événements du 11 septembre[106]. L’apparente persistance et croissance de cette tendance au fil des ans vient appuyer l’opinion selon laquelle l’islamophobie est de plus en plus acceptable sur le plan social au fil des ans, comme on l’observe ailleurs[107].

Bien que les Canadiennes et Canadiens aient l’impression de faire preuve de plus de « tolérance » envers la diversité que d’autres nations occidentales, ces mêmes recherches laissent entendre que ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de tenir compte de différences comme le port du voile islamique dans l’espace public[108]. L’antipathie envers le voile islamique, qui sévit particulièrement au Québec, se manifeste également dans les autres régions du pays. Le soutien à l’égard de l’interdiction du niqab (voile couvrant entièrement le visage) est particulièrement prononcé. Par exemple, un sondage Angus-Reid mené à l’échelle du Canada en 2010 examinait les attitudes de la population canadienne à l’égard du projet de loi 94 du gouvernement du Québec[109] qui, entre autres, exigerait essentiellement que tous les employés du secteur public et les personnes faisant appel aux services publics et gouvernementaux (comme les écoles, les bibliothèques et les services sociaux, de santé et de garde) aient en tout temps le visage découvert. Dans la pratique, cela interdirait le niqab (voile recouvrant l’ensemble du visage à l’exception des yeux). Hors Québec, le soutien envers cette politique était le plus élevé en Alberta (82 %) et en Ontario (77 %)[110]. De nombreuses explications sont données pour expliquer cet inconfort de la population envers le voile islamique; elles vont d’une préoccupation pour l’égalité des femmes à des inquiétudes plus générales envers la sécurité, en passant par un besoin d’adaptation aux « modes de vie canadiens ».  

Fréquence perçue de discrimination au Canada (2011)

Le graphique à barres montre que 42 % des musulmans percevaient que la discrimination était courante, 36 % la percevaient parfois, 11 % la percevaient rarement, 5 % ne la percevaient jamais et  5 % ne savaient pas. Des personnes de l'Asie du Sud, 29 % percevaient que la discrimination était courante, 43 % la percevaient parfois, 18 % la percevaient rarement, 6 % ne la percevaient jamais et 4 % ne savaient pas. Des personnes noires, 27 % percevaient que la discrimination était courante, 41 % la percevaient parfois, 22 % la percevaient rarement, 7 % ne la percevaient jamais et 4 % ne savaient pas. Des personnes juives, 15 % percevaient que la discrimination était courante, 34 % la percevaient parfois, 32 % la percevaient rarement, 12 % ne la percevaient jamais et 6 % ne savaient pas. Des personnes chinoises 12 % percevaient que la discrimination était courante, 40 % la percevaient parfois, 34 % la percevaient rarement, 10 % ne la percevaient jamais et 4 % ne savaient pas. Des personnes autochtones, 42 % percevaient que la discrimination était courante, 33 % la percevaient parfois, 15 % la percevaient rarement, 6 % ne la percevaient jamais et 4 % ne savaient pas. Des personnes gaies et lesbiennes, 38 % percevaient que la discrimination était courante, 38 % la percevaient parfois, 14 % la percevaient rarement, 5 % ne la percevaient jamais et 4 % ne savaient pas. Des anglophones vivant au Québec, 7 % percevaient que la discrimination était courante, 28 % la percevaient parfois, 33 % la percevaient rarement, 30 % ne la percevaient jamais et 2 % ne savaient pas. Des francophones vivant à l'extérieur du Québec 6 % percevaient que la discrimination était courante, 29 % la percevaient parfois, 39 % la percevaient rarement, 19 % ne la percevaient jamais et 7 % ne savaient pas.
Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, p.  28[111].

De plus, selon le sondage exhaustif Focus Canada (2006) d’Environics Canada auprès des Canadiennes et Canadiens d’origine musulmane le degré de discrimination subie, selon la perception des musulmans, n’est pas nettement plus faible au Canada que dans les autres pays occidentaux (voir l’Annexe 32)[112]. Ce sondage révèle que les Canadiennes et Canadiens d’origine musulmane se préoccupaient surtout des effets de la discrimination (67 %) et du sous-emploi (64 %) sur la vie des musulmans au Canada. D’autres conclusions de sondage indiquent que les événements du 11 septembre ont eu un effet déterminant sur les tendances de discrimination à l’endroit des musulmans[113].

Selon certaines recherches qualitatives, les Canadiennes et Canadiens musulmans ont généralement une opinion favorable de la manière dont les politiques et les lois canadiennes protègent la liberté de religion et appuient la diversité, mais conservent un sentiment croissant d’aliénation (« sentiment de non-appartenance ») dans certains segments de la société. Cela résulte en partie d’une exposition quotidienne continue à l’islamophobie dans les milieux de travail et médias, et au sein de la société[114]. Une analyste émet la mise en garde suivante : « Si on rappelle constamment aux gens qu’ils n’ont pas leur place, que ce soit au niveau rudimentaire de la rhétorique d’un discours d’extrême droite ou des médias ou encore de la discrimination quotidienne, subtile ou autre, auxquels ils peuvent faire face, ou parce que le gouvernement omet d’écouter leurs préoccupations et leurs demandes, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se sentent aliénés et perdent le désir d’appartenance »[115].

Certains observateurs soutiennent que les définitions des termes « nouvel antisémitisme » ou « islamophobie » vont trop loin et nuisent au débat constructif en soustrayant la religion et la politique (p. ex. les politiques et la conduite de l’État d’Israël et d’autres acteurs étatiques/non étatiques islamiques) aux critiques légitimes. Bien qu’une approche axée sur les droits de la personne ne puisse résoudre ce genre de désaccords, dans la mesure où ces questions transcendent le champ d’études de la « discrimination » en contexte de droits de la personne, il y a ici certains éléments à prendre en compte. Du point de vue des droits de la personne, il est possible d’entamer des poursuites pour « discrimination » aux termes du Code en cas de bigoterie, de préjugés et de racisme à caractère religieux si l’on peut montrer que des personnes ont fait l’objet de traitement inéquitable dans l’un des cinq domaines sociaux couverts par le Code (emploi, services et installations, logement, contrats, association professionnelle) uniquement, principalement ou même partiellement en raison de leur appartenance religieuse ou croyances.

3.2.6 Mondialisation

L’un des traits distinctifs des formes contemporaines d’intolérance ou de discrimination fondées sur la religion ou la croyance réside dans la portée et les effets globaux des rapports qui les inspirent. Les formes actuelles d’islamophobie et d’antisémitisme, en particulier, montrent comment les enjeux mondiaux se répercutent sur les enjeux locaux, et vice versa[116]. Dans certains cas, les conflits ethniques, religieux et politiques d’outre-mer gagnent l’Ontario et d’autres régions, où ils prennent des formes conditionnées par la situation locale. Des exemples de ce phénomène, présentés dans les médias d’information et la jurisprudence (voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance du CODP), incluent des conflits locaux et des affrontements en lien avec :

  • le conflit israélo-palestinien
  • la Guerre de Bosnie-Herzégovine
  • la partition du Soudan
  • d’autres conflits intérieurs d’outre-mer, comme ceux qui opposent les Tamouls au gouvernement du Sri Lanka et le gouvernement chinois au Falun Gong
  • des différends au sein de la communauté sikhe concernant la quête d’une patrie indépendante dans le Punjab.

Ce genre de tendance pourrait s’amplifier à l’avenir compte tenu de la résurgence de la religion à l’échelle mondiale, telle que notée par les observateurs de l’état de la foi dans le monde, jumelée à l’intensification de la mondialisation[117].

3.2.7 Antireligion

Au Canada, le durcissement des positions « laïques » et la croissance d’une attitude plus généralement hostile de certains segments de la population envers la religion constituent une tendance sociale, inspirée en partie par les tendances observées dans d’autres démocraties libérales occidentales. Certains sociologues canadiens y voient un phénomène davantage présent parmi les élites politiques et sociales du pays. Par le passé, constatent les penseurs, il allait de soi que les gens étaient croyants et l’axe premier des conflits religieux/de croyance résidait dans les différences entre les croyances (chrétiennes pour la plupart). « Aujourd’hui, c’est la foi elle-même qui pose souvent problème » [118] et les conflits opposent de plus en plus des personnes croyantes à des personnes non croyantes.

Les sentiments antireligieux tirent leurs forces d’une variété de sources qui ont généralement en commun une vision stéréotypée des religions, leur attribuant une nature « foncièrement rétrograde, tribale, anti-égalitaire et potentiellement violente »[119]. Dans certains cas, des préjugés anti-immigrants, le racisme et la xénophobie viennent renforcer les sentiments antireligieux[120]. Dans d’autres, ces sentiments se fondent sur des idéologies laïques variées qui remettent en question les coutumes et institutions chrétiennes dominantes traditionnelles. 

Dans d’autres encore, ces deux courants antireligieux se chevauchent. Le retrait ou la remise en question des mesures d’adaptation prévues pour tenir compte des besoins de l’ensemble des groupes religieux à la suite d’une réaction publique négative initiale à l’accommodement d’un groupe religieux minoritaire particulier est un exemple de ce genre de chevauchements[121]. Dans ce contexte, certains soutiennent que les chrétiens pratiquants (dont les personnes issues des confessions traditionnellement dominantes) sont de plus en plus relégués au rang de « minorité » marginalisée[122].

3.2.8 Litiges et chevauchements inter et intrareligieux

Les adeptes d’une religion/croyance sont à la fois victimes et auteurs de préjugés et de discrimination à l’endroit d’une variété de groupes minoritaires internes ou externes. Les recherches et la jurisprudence illustrent comment l’intersection des identités et les dynamiques de pouvoir peuvent agir de différentes façons au sein des communautés de croyance et mener au ciblage et à la marginalisation de groupes qui sont minoritaires en raison de leurs croyances, sexe, handicap ou identité/orientation sexuelle. Par exemple, des recherches laissent entendre que les femmes croyantes portent souvent un double fardeau constitué d’une discrimination interne fondée sur le sexe et d’une discrimination et d’un désavantage externes fondés sur la religion et l’ethnicité. Dans certains cas, comme dans celui des femmes musulmanes portant le hijab ou des femmes hindoues ou sikhes portant l’habit traditionnel, cela est dû en partie à leur vulnérabilité socio-économique élevée ou à leur grande visibilité, ou aux deux[123]. Bien que de nombreuses situations récentes de conciliation de droits contradictoires aient opposé des personnes croyantes à des femmes ou à des minorités sexuelles, les penseurs insistent sur l’importance de ne pas homogénéiser les relations antagonistes entre de telles communautés et identités, ou présumer que ces dernières sont mutuellement exclusives[124].

Les conflits confessionnels et doctrinaux entre adeptes de la même foi ou de fois différentes sont également courants dans la jurisprudence[125]. Les chercheurs font également part d’une diversité ethnoculturelle croissante au sein des confessions chrétiennes traditionnellement dominantes[126]. Dans certains cas, cette « désoccidentalisation du christianisme » a contribué aux tensions et conflits entourant les ententes de statu quo au sein d’organisations chrétiennes et entre elles, dans la mesure où celles-ci continuent de privilégier les formes traditionnellement dominantes d’expression du christianisme au détriment des formes d’expression d’inspiration culturelle (non occidentales)[127].


 

[70] Statistique Canada qualifie les crimes haineux déclarés par la police d’« affaires criminelles qui, après enquête par la police, sont déterminées comme ayant été motivées par la haine d’un groupe identifiable. L’affaire peut cibler la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la religion, l’orientation sexuelle, la langue, le sexe, l’âge, l’incapacité mentale ou physique, ou d’autres facteurs tels que la profession et les convictions politiques. » (Statistique Canada. Les crimes haineux déclarés par la policewww.statcan.gc.ca/daily-quotidien/110607/dq110607a-fra.htm. Statistique Canada recueille tous les ans depuis 2006 des données sur les crimes haineux déclarés par la police. Depuis 2010, il recueille des données complètes qui couvrent et comparent l’ensemble du Canada (99 % de la population) depuis 2010.

[71] Selon l’étude de Statistique Canada de 2012 (la première du genre à faire état des crimes haineux à l’échelon provincial dans toutes les provinces et territoires du Canada) l’Ontario (et particulièrement les régions métropolitaines établies dans le recensement) affichait le taux le plus élevé de crimes haineux au pays. L’étude de 2011 faisait état d’une hausse de 43,2 % des crimes haineux (901 au total) rapportés en Ontario en 2009, par rapport à 2008, et d’une hausse de 35 % des crimes haineux rapportés dans l’ensemble du pays en 2008 par rapport à 2007. Pour plus de renseignements, consulter les recherches menées en 2011 par Dauvergne et Brennan (2011) à l’aide de données de 2009 ainsi que les recherches menées par Dowden et Brenna (2012) à l’aide de données de 2010.

[72] Selon Statistique Canada, en 2001, la majorité de la population de l’Asie occidentale (43 %) était iranienne, tandis que 20 % était arménienne, 12 % afghane et 12 % turque (Lindsay, 2001, p. 9). La majorité des Canadiens d’origine asiatique occidentale sont musulmans (idem, p.12).

[73] « Une étude pilote des rapports de police sur les crimes haineux de 12 services de police canadiens menée par Statistique Canada » par exemple « révélait une hausse marquée des incidents antimusulmans (et, curieusement, antisémites) perpétrés l’année suivant les événements du 11 septembre » (Seljak et coll., 2007, p. 26). D’après l’étude sur les rapports de police sur les crimes haineux de 12 services de police de grands centres urbains canadiens, 928 crimes haineux ont été commis en 2001 et 2002, dont 43 % étaient motivés par la religion, au deuxième rang après la race et l’ethnicité (57 %) (Seljak et coll., 2007).

[74] Voir Statistique Canada (2003b) et Seljak et coll. (2008) pour obtenir une analyse des conclusions de l’enquête.

[75] Voir Seljak et coll. (2007).

[76] Voir Sharify-Funk (2011), Emon (2010) et Bramadat (2007).

[77] Citant Seljak et coll. (2008, p. 13-14) qui poursuit :

Certaines personnes soutiennent que le Canada est essentiellement un pays chrétien et que les nouveaux arrivants non chrétiens devraient apprendre à s’adapter à cette réalité. D’autres disent en revanche que le Canada est un pays laïque fondé sur une séparation stricte de l’Église et de l’État qui, par conséquent, ne peut tenir compte des besoins en matière de religion des nouveaux arrivants sans compromettre sa neutralité.

[78] Il existe des preuves à l’appui du fait que les Canadiennes et Canadiens deviennent de plus en plus las des valeurs multiculturelles d’inclusion et de tolérance, leur préférant de plus en plus les approches d’assimilation en matière de diversité ethnique et religieuse (voir les Annexes 24 et 25). Selon un nouveau sondage de 2005 sur les attitudes dans le monde mené par Pew Research par exemple, les opinions des Canadiennes et Canadiens étaient nettement plus axées sur l’assimilation que celles de la plupart des citoyens d’autres pays de l’OCDE, et pareilles à celles des Américaines et Américains (voir l’Annexe 25  World Values Survey de 2005-2008 - Importance accordée à l’adoption par les immigrants des valeurs de son pays).

[79] L’affaire Randhawa v. Tequila Bar and Grill Ltd, 2008 AHRC 3 (CanLII) examinée par le tribunal des droits de la personne de l’Alberta avait trait au refus d’accorder l’accès d’un homme sikh portant un turban à un bar parce que, selon le portier, le bar avait « une image à protéger » et ne voulait pas « laisser entrer trop de personnes à peau brune ». Il s’agit là d’un unique exemple des nombreux incidents troublants de discrimination fondée sur des motifs entrecroisés liés à la race, à la religion, à l’ethnicité et à l’ascendance qui ont été recensés. Consulter d’autres affaires de discrimination mettant en cause des motifs entrecroisés dans l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance.

[80] Les chercheurs canadiens font remarquer que dans l’ensemble, peu d’études savantes ont été effectuées sur les types et degrés de discrimination religieuse commise au Canada (Bramadat, 2007; Seljak, 2012). Les données à notre disposition, qui proviennent de façon disproportionnée de sondages d’opinion, ont de nombreux défauts d’ordre méthodologique qui limitent notre capacité à en tirer des conclusions générales. Ce manque de recherches et de données sophistiquées sur les réalités démographiques liées à la religion et la croyance, et à la discrimination et la tolérance en général, mine sérieusement la prise de décisions éclairées, fondées sur des données probantes. Bien qu’on ait pu observer durant la dernière décennie un intérêt croissant pour la diversité de religion et de croyance dans les milieux décisionnels et de recherche, et une attention plus grande
y étant accordée, des lacunes considérables demeurent quant aux données de base.

[81] L’Enquête sur la diversité ethnique de 2003 est l’une des rares études se penchant directement sur l’expérience et les perceptions de la population canadienne en matière d’intolérance et de discrimination raciale (Statistique Canada, 2003b). Une proportion relativement petite de répondants à cette enquête ont affirmé avoir fait l’objet de discrimination ou d’un traitement injuste en raison de leur religion. Des personnes ayant rapporté avoir subi de la discrimination au cours des cinq années précédentes, 13 % ont nommé la religion comme motif (16 % de femmes, 11 % d’hommes). Un moins grand pourcentage de minorités visibles (10 %) ont rapporté des incidents de discrimination fondée sur la religion, citant pour la plupart la race et l’ethnicité comme motif principal de la discrimination (Voir l’annexe N pour connaître les pourcentages de Canadiennes et Canadiens de minorités visibles rapportant des cas de discrimination fondée sur la religion par opposition aux Canadiennes et Canadiens issus d’autres groupes). Une autre étude récente menée pour le compte de l’Université de Toronto par Jeffrey Reitz, Rupa Banerjee, Mai Phan et Jordan Thompson (2008, p. 15) a montré que le statut de minorité visible était un facteur de risque de désavantage et de discrimination plus important que la religion. Leur examen de l’Enquête sur la diversité ethnique de 2002 de Statistique Canada a révélé que « [c]onformément à leur appartenance à des groupes minoritaires visibles, les hindous, les sikhs et les bouddhistes font l’objet de davantage de discrimination, à la fois objectivement sur le plan du revenu des ménages et subjectivement sur le plan de la discrimination signalée et la vulnérabilité » que d’autres groupes confessionnels comptant moins de minorités visibles. Consulter les Annexes 27 et 28 pour connaître le pourcentage de minorités visibles dans chaque groupe religieux canadien ainsi que l’iniquité objective et signalée selon la race et la religion au Canada. Néanmoins, Reitz et coll. (2008) nuancent leurs constats en notant que les effets des événements du 11 septembre et la polarisation religieuse qui s’en est suivie ne se reflètent peut-être pas dans les données du recensement de 2002 qu’ils ont analysées. En effet, les auteurs prédisaient des résultats différents s’ils répétaient leur étude aujourd’hui, étant donné les tendances en matière de polarisation.

[82] Par exemple, l’étude de Peter Beyer’s (2005) montre que les musulmans canadiens ont le deuxième plus haut niveau de scolarisation au Canada (après les juifs), qui est de 10 % supérieur à la moyenne canadienne. Malgré cela, « les musulmans gagnent manifestement peu d’argent comparativement à leur niveau de scolarité » (cité dans Seljak et coll., 2007). Cela semble aussi le cas des musulmans de deuxième génération ayant un haut niveau de scolarité (voir aussi Model et Lin, 2002) selon une étude des données de recensement 1991, qui a obtenu des conclusions similaires (cité dans Seljak et coll., 2007). Model et Lin (2002, p. 12) ont mené une étude sur les taux d’emploi et de participation à la main d’œuvre. D’après eux, les « indicateurs de bien-être économique relatif des groupes minoritaires religieux canadiens laissent entendre que les musulmans sont les plus désavantagés, suivis de près des sikhs » (p. 1083). De telles conclusions poussent Seljak et coll. (2007) à conclure que « [s]i cette situation se maintient chez les deuxième et troisième générations de musulmans issus de la vague d’immigration d’après les années 1960, nous pourrions bien voir émerger au Canada des conflits religieux similaires à ceux qui ont marqué l’Europe récemment ». 

[83] Prenant note de la façon dont le « néoracisme » s’articule souvent autour de la religion, Balibar (2007, p. 85) affirme :

Nous voyons ici que le naturalisme biologique ou génétique n’est pas la seule forme de naturalisation du comportement humain et des affinités sociales [...] [L]a culture peut aussi fonctionner comme la nature, et peut surtout servir de façon de confiner à priori les personnes et les groupes dans une généalogie, dans une détermination d’origine immuable et intangible.   

Pour en connaître davantage sur les qualités distinctives du « néoracisme » contemporain, consulter les écrits de Barker (1981) sur le « nouveau racisme », de Miles (2003) sur la « racialisation », de Modood (1997) sur le « racisme culturel » et de Taguieff (2001) sur le « racisme différencialiste ».

[84] La définition et la notion mêmes de « racialisation » anticipent cette possibilité. Le sociologue britannique Robert Miles fournit une construction théorique du concept de racialisation qui n’est pas exclusivement fondée sur la notion d’« inhérence biologique » et de couleur de la peau. Pour Miles, la racialisation fait intervenir des « processus de signification » qui « créent des collectivités différenciées sur le plan de la race »  à partir d’« indicateurs d’altérité raciale historiquement mouvants ». Ces processus peuvent puiser dans d’autres « ismes » (p. ex. nationalisme, ethnicisme) et interagir avec eux (Miles, 1982, p.170). Le concept d’« articulation raciale » a été développé par Miles pour aider à explorer ce genre d’interrelations entre les idéologies d’exclusion et les processus d’« altérité ».

[85] Des penseurs ont retracé l’évolution historique du phénomène de l’antijudaïsme, de l’ère du Judenhass (haine des juifs manifeste au sein des Empires perse et séleucide, et dénonciation des juifs qualifiés de « tueurs du Christ » par l’Église chrétienne naissante et l’Empire romain) jusqu’à l’antisémitisme de l’ère moderne qui a rendu possible l’adoption de la « Solution finale », fondée sur les idées de déterminisme biologique entourant la race et la nation. L’intellectuel allemand Wilhelm Marr a été le premier à utiliser le mot Antisemitismus en 1879. L’historien Martin Bunzl (2007, p. 12-13) ajoute :

Le terme et l’idéologie l’accompagnant ont été inventés par des intellectuels allemands qui ont fait de l’exclusion des juifs le pilier d’un mouvement politique et culturel. La haine des juifs date de bien longtemps avant ce mouvement, bien sûr. Mais avant l’ère moderne, l’antijudaïsme était fondé sur la religion. Les persécutions des juifs pouvaient être brutales, mais, du moins en théorie, ces derniers pouvaient se départir de leurs stigmates par la conversion. Or, la variante de la haine contre les juifs de la fin du 19e siècle avait de nouveau le fait qu’elle était ancrée dans la notion de race. Concept laïque s’inscrivant dans la quête moderne d’une classification rationnelle, l’idée de la race imposait aux juifs une destinée biologique immuable. Tout cela était rattaché à un projet de nationalisme, au sein duquel les champions de l’antisémitisme se voyaient, d’abord et avant tout, comme des gardiens de la pureté ethnique de l’État-nation. Étant donné leur différence raciale, les juifs ne pouvaient plus appartenir à cette communauté nationale, qu’ils aient voulu ou non l’assimilation culturelle.

[86] Cette définition est tirée d’un rapport de 2004 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de l’Union européenne (EUMC). Le rapport constitue la première étude exhaustive de l’antisémitisme dans l’UE. En 2005, L’EUMC (renommé depuis Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne [FRA]) a adopté la « définition de travail » de l’antisémitisme suivante qui s’inspire du rapport de 2004 :

L’antisémitisme est une certaine perception des juifs, pouvant s’exprimer par de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre les institutions de la communauté juive et contre les institutions religieuses juives (définition citée sur le site Web du European Forum on Antisemitism, à l’adresse www.european-forum-on-antisemitism.org/working-definition-of-antisemitism/francais-french/; Extrait le 10 mai 2013).

Les unités de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) chargées de la lutte contre l’antisémitisme utilisent aussi cette définition, tout comme le rapport du Département d’État des États-Unis publié plus tôt cette année et intitulé Contemporary Global Antisemitism.

[87] Le Protocole d’Ottawa (2011) réaffirme la définition de travail de l’antisémitisme de l’EUMC – devenue l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) – énonçant ce qui suit :

Exemples actuels non exhaustifs d’attitudes antisémites dans la vie publique, les médias, les écoles, au travail et dans la sphère religieuse :

  • Appeler à tuer et à faire souffrir les juifs, de même que soutenir ou justifier ces exhortations, au nom d’une idéologie radicale ou d’une vision religieuse extrémiste
  • Faire des allégations mensongères, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les juifs en tant que tels ou sur le pouvoir des juifs en tant que collectivité –par exemple les mythes sur une conspiration mondiale juive ou sur les juifs contrôlant les médias, l’économie, le gouvernement ou les autres institutions de la société
  • Accuser les juifs en tant que peuple d’être responsables des méfaits réels ou imaginaires commis par une seule personne juive ou un seul groupe juif, ou même d’actes commis par des non-juifs.
  • Nier le fait, l’objectif, les mécanismes (par ex : les chambres à gaz) ou l’intention du génocide à l’encontre du peuple juif par l’Allemagne national-socialiste, ses défenseurs et ses complices au cours de la Seconde Guerre mondiale (l’Holocauste)
  • Accuser les juifs en tant que peuple, ou Israël en tant qu’État d’inventer ou d’exagérer l’Holocauste
  • Accuser les citoyens juifs d’être plus loyaux à l’égard d’Israël, ou de supposées priorités juives dans le monde, au détriment des intérêts de leurs propres nations (voir Coalition interparlementaire de lutte contre l’antisémitisme, 2010).

[88] Voir supra, note 42 pour une explication du bien-fondé d’utiliser la graphie « antisémitisme » plutôt qu’« anti-Sémitisme ».

[89] Si certains considèrent que le terme antisémitisme ne s’applique proprement qu’à sa variante dominante et fondée sur la race du 19e siècle, d’autres mettent en lumière des constances et des transformations s’étalant sur une longue période, allant des temps anciens au présent. 

[90] Par exemple, Ben-Moshe (2007, p. 108) affirme ce qui suit :

Le nouvel antisémitisme n’est pas l’antisémitisme « classique » dirigé vers les juifs parce qu’ils sont étrangers et différents, mais l’effet du débordement du conflit israélo-palestinien sur les communautés juives du monde entier [...] [Il] vise l’État collectif juif, malgré l’emploi de caractéristiques antisémite classique [...]

Bien que ces caractéristiques et éléments précis demeurent contestés et continuent d’évoluer, le nouvel antisémitisme (que certains appellent la judéophobie) inclut des dimensions comme le fait de « cibler Israël pour le condamner et lui faire subir l’opprobre de façon sélective » (pour citer le Protocole d’Ottawa), qualifier l’État d’Israël de « collectif juif », retirant par le fait même aux juifs le droit à l’autodétermination nationale dont jouissent les autres (par exemple en attaquant la légitimité de l’État d’Israël, en comparant Israël à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid).

[91] Tout en reconnaissant que l’antisionisme peut prendre des formes antisémites, le rapport de 2004 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de l’Union européenne laisse entendre qu’il est légitime de parler d’antisémitisme seulement si l’on cible les juifs en tant que « juifs ». De cet angle, les points de vue antisionistes sont uniquement antisémites si l’« on perçoit Israël comme étant un représentant du “fait juif” et non l’“État d’Israël”, c’est-à-dire en tant qu’État critiqué pour ses politiques concrètes » (rapport de 2004 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de l’Union européenne, cité dans Bunzl, 2007).

[92] Voir supra, note 42, pour une explication du bien-fondé d’utiliser la graphie « antisémitisme » plutôt qu’« anti-Sémitisme ».

[93] En partie en reconnaissance de cela, les quatre grands partis politiques fédéraux ont créé en 2009 la Coalition parlementaire canadienne de lutte contre l’antisémitisme pour explorer et combattre l’antisémitisme, y compris le nouvel antisémitisme. 

[94] Voir bnaibrith.ca/files/audit2011/AUDIT2011.pdf.

[95] B’nai Brith (2012).

[96] Tel Aviv University. Antisemitism Worldwide 2010 General Analysis, 2010, Roni Stauber (éd.), Stephen Roth Institute for the Study of Contemporary Antisemitism and Racism et Kantor Center for the Study of Contemporary European Jewry, 2010. Étude citée dans Sutcliffe, 2007.

[97] CODP, 2005, p. 10. Le document Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale de la CODP qualifie l’islamophobie de « nouvelle forme de racisme sévissant au Canada » qui, « [e]n plus de motiver des actes d’intolérance et de profilage racial, [...] mène à considérer, aux niveaux institutionnel, systémique et sociétal, que les musulmans constituent une menace accrue pour la sécurité ». De façon similaire, la Fondation canadienne des relations raciales (2013b) définit ainsi l’islamophobie : « expression de craintes, de stéréotypes négatifs, de préjugés ou d’actes d’hostilité vis-à-vis de la religion islamique et des musulmans ».

[98] Définition tirée du mémoire national des Pays-Bas inclus à une étude non publiée de 2002 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de l’Union européenne (EUMC), citée dans Allen (2010, p. 134). Nommée RAREN 3 data collection project, l’étude a été menée par l’EUMC à la fin de 2001 et au début de 2002 pour établir des définitions universellement acceptées du « racisme », de la « xénophobie », de l’« antisémitisme » et de l’« islamophobie ». Dans le cadre de l’étude, les membres de l’UE ont été invités à soumettre leurs propres définitions.

[99] British Runnymede Trust (1997), cité dans Jamil (2012, p. 65).

[100] L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes a demandé à Allen et Jorgen S. Nielsen de corédiger un rapport intitulé Summary report on islamophobia in the EU after 11 September 2001 (2010, p. 190). Allen continue de mener des recherches sur l’islamophobie financées par le gouvernement au Royaume-Uni et à l’échelle internationale. Il définit l’islamophobie de la façon suivante :

Idéologie similaire au racisme, et aux autres phénomènes du genre sur le plan de la théorie, de la fonction et de l’objectif, qui maintien et perpétue une acception négative des musulmans et de l’islam dans le contexte contemporain, de façon similaire à ce qu’elle a pu faire par le passé, mais pas nécessairement dans la continuité, qui agit sur les actions, interactions et réactions sociales et autres, en modelant et en déterminant les interprétations, perceptions et attitudes du consensus social (les langues partagées et les schémas conceptuels) qui alimentent et créent la façon de voir les musulmans et l’islam comme « autres » [...]  Se manifestent par conséquent des pratiques d’exclusion qui entraînent des désavantages, des préjudices et de la discrimination, dont des actes de violence, envers les musulmans et l’islam dans les sphères sociale, économique et politique. Pour que cela soit qualifié d’islamophobie, une dimension « musulmane » ou « islamique » doit cependant être présente, qu’elle soit avouée, explicite ou implicite, manifeste, exprimée ou cachée, ou même exprimée de façon nuancée par l’entremise de sens d’origine « théologique », « sociale », « culturelle », « raciale », et ainsi de suite, qui parfois ne mentionnent ou n’identifient pas nécessairement les « musulmans » ou l’« islam ».

Bien que lourde et complexe, la définition d’Allen porte sans conteste vers l’avant l’acquisition analytique du concept en s’éloignant de définitions qui :

  • reposent sur des représentations « ouvertes » ou « fermées », « vraies » ou « fausses » de l’islam (qui ont tendance à mener à une politique de l’authenticité hargneuse et largement non pertinente du genre « le vrai islam dit [...] »), ou établissent entre elles de distinctions
  • ne font pas de distinctions entre les causes et les effets de l’islamophobie et les autres phénomènes connexes (en minimisant l’islamophobie ou en ignorant sa relation au racisme, à la xénophobie, à l’orientalisme et autres)
  • considèrent l’islamophobie en vase clos social et historique, soit en surgénéralisant ou en étant incapable d’établir des liens au-delà d’un événement ou d’un enjeu spécifique, serti dans le temps
  • n’explorent pas les mécanismes « idéologiques » et discursifs qui servent à maintenir et perpétuer l’islamophobie.

[101] Zine (2004, p. 113). Zine, un professeur de sociologie de l’Université Wilfrid-Laurier, soutient ce qui suit : « Pour comprendre les dimensions complexes par l’entremise desquelles s’opère l’islamophobie, il est nécessaire de sortir la définition du cadre de sa conception limitée de “peur et haine de l’islam et des musulmans” et de reconnaître que ces attitudes sont intrinsèquement liées aux formes individuelles, idéologiques et systémiques d’oppression qui favorisent la logique et la justification de rapports de pouvoirs spécifiques ». 

[102] Quelques questions : Dans quelle mesure les principes de l’islam sont-ils réellement un point de mire des islamophobes, et dans quelle mesure les musulmans ou Arabes ou Asiatiques du Sud sont-ils ciblés en tant que personnes, quelle que soit leur croyance? Comment une communauté très multiethnique qui n’a pas en commun l’ascendance biologique peut-elle être l’objet de racisme? Selon Meer et Modood (2010, p. 77) « bien qu’il soit vrai que “musulman” ne représente pas une catégorie biologique (putative) comme le font les termes “noir” ou “sud-asiatique” ou “chinois”, la même chose peut être dite du terme “juif”. Dans le cas des juifs, il a fallu une longue histoire non linéaire de racialisation pour transformer un groupe ethnoreligieux en race ». De façon similaire, « les musulmans bosniaques ont été victimes de “nettoyage ethnique” aux mains d’un groupe de personnes qui se sont mis à les identifier à un groupe “racial” alors qu’ils avaient les mêmes caractéristiques qu’eux sur le plan phénotypique, linguistique et culturel ». Meer et Modood (2010, p. 82) poursuivent en observant comment « on entend souvent qu’à la différence des identités fondées sur le genre et la race, des attributs involontairement prescrits à la naissance, le fait d’être musulman relève du choix de la croyance et, par conséquent, les musulmans devraient avoir moins de protection au sens de la loi que ces autres formes d’identité. Cela fait cependant fi [...] du fait que les gens ne choisissent pas de naître ou non dans une famille musulmane. De façon similaire, personne ne choisit de naître au sein d’une société où le fait d’être musulman ou de ressembler à un musulman occasionne des soupçons ou de l’hostilité, qui s’apparentent logiquement au genre de discrimination raciale dont font l’objet d’autres minorités [...] »

[103] La plupart des gens s’entendent par contre à dire que même si l’islamophobie d’aujourd’hui a des caractéristiques distinctes, elle s’inspire d’un bassin de discours, d’images et de stéréotypes hostiles provenant d’un bien plus long vécu historique de l’Europe avec l’islam.

[104] Les études quantitatives et qualitatives menées jusqu’à présent indiquent que les préjugés à l’endroit des musulmans se sont accrus. Une bonne partie de cette recherche est basée sur des sondages d’opinion et autres enquêtes. Selon un rapport élaboré par le service de police de Toronto, les crimes haineux commis à Toronto ont affiché une hausse de 66 % en 2001, dont la plus grande part était dirigée vers les musulmans (Zine, 2004). Parmi les incidents rapportés cette année-là figuraient l’agression au couteau d’un homme musulman, l’agression et l’hospitalisation d’un garçon de 15 ans, des tentatives par des conducteurs de frapper des femmes musulmanes alors qu’elles traversaient la rue; des menaces proférées contre des mosquées et écoles islamiques; à Hamilton, près de Toronto, un attentat à la bombe incendiaire contre un temple hindou qu’on avait pris pour une mosquée (Zine, 2004). Un autre sondage Ipsos Reid a révélé que 60 % des personnes interrogées ont estimé que la discrimination à l’égard des musulmans avait augmenté par rapport à il y a dix ans (Chung, 2011, cité dans Jamil, 2012). Pour consulter d’autres recherches qualitatives sur l’islamophobie, voir Jamil (2012) et Perry et Poynting (2006). D’autres recherches sur l’islamophobie étaient également menées au Canada en 2012 par la Dre Barbara Perry, y compris une étude non publiée (à l’époque) d’une durée d’un an sur la hausse des agressions haineuses commises contre des musulmans.

[105] Le directeur général du Conseil des relations américano-islamiques (CAIR-CAN), Ihsaan Gardee, a donné ses impressions de trois mythes récurrents présents dans le contexte canadien :  (1) les musulmans sont monolithiques; ils éprouvent, pratiquent et expriment tous leur religion de la même façon; (2) les musulmans tentent de miner les institutions démographiques et représentent une menace pour la société; (3) il y a un lien nécessaire entre la haine et l’islam (p. ex. l’islam véhicule la haine à l’égard des femmes, minorités LGBT et non-musulmans).

[106] Par exemple, dans le cadre du sondage le plus exhaustif en son genre mené en 2006-2007 par la firme Environics Canada, 28 % des membres de la population générale du Canada sondés croyaient que « la plupart » ou « beaucoup » de Canadiennes et de Canadiens avaient de l’hostilité envers les musulmans (Adams, 2009, p.23). Trente-huit p. 100 des 2 000 Canadiennes et Canadiens interrogés affirmaient avoir une impression négative de l’islam. De telles évaluations étaient clairement porteuses de préoccupations en matière de sécurité étant donné que la plupart des répondants jugeaient très (19 %) ou assez (40 %) probable que des Canadiennes ou Canadiens d’origine musulmane commettent un attentat terroriste en sol canadien.

Une variété de sondages d’opinion et d’autres enquêtes menés ultérieurement ont révélé des niveaux croissants d’animosité à l’endroit des musulmans, qui étaient généralement vus comme le moins aimé et digne de confiance de tous les groupes confessionnels, ethniques ou raciaux de la population générale canadienne. Par exemple, lors d’un sondage de Léger Marketing (de 2007) commandé par Sun Media, seulement 53 % des plus de 3 000 adultes canadiens sondés entre décembre 2006 et janvier 2007 ont dit avoir une impression positive de la communauté arabe, comparativement à 70 % dans le cas de la communauté noire et 76 % dans le cas de la communauté juive (Léger Marketing 2007). Un sondage (de 2008) mené auprès de 1 522 Canadiennes et Canadiens par Léger Marketing au nom de l’Association d’études canadiennes et de la Fondation canadienne des relations raciales a donné des résultats similaires (Hill, 2012; voir aussi Jedwab, 2008). Un sondage téléphonique équivalent aurait une marge d’erreur de 2,9  %, 19 fois sur 20. Quand on leur a demandé quel était leur niveau de confiance à l’endroit des protestants, catholiques, juifs, peuples autochtones, immigrants et musulmans, les notes de « confiance totale » pour les cinq groupes (obtenues à l’aide d’une combinaison des notes « grande confiance » et « confiance relative »)  étaient : protestants 71 %, catholiques 70 %, juifs 69 %, peuples autochtones 64 %, immigrants 64 % et musulmans 48 % (le manque de confiance envers les musulmans était le plus élevé chez les Canadiennes et Canadiens âgés). Les personnes âgées de 18 à 24 ans ont donné aux musulmans la plus haute note de confiance et les personnes de plus de 65 ans, la plus basse. Un sondage d’opinion publique mené en ligne par la firme Angus Reid en novembre 2010 demandait à 1 006 adultes canadiens choisis au hasard s’ils croyaient que le Canada était tolérant ou intolérant à l’égard de neuf différents groupes (Angus-Reid, 2008). Le tiers des répondants (33 %) pensaient que la société canadienne était intolérante à l’égard des musulmans, soit le taux le plus élevé de toutes les catégories (suivi des Canadiennes et Canadiens autochtones et des immigrants de l’Asie du Sud). Voir l’annexe 30 pour obtenir plus de résultats à ce chapitre. Lorsqu’on a demandé aux répondants quels groupes étaient les moins bien appréciés au Canada, les musulmans ont obtenu le plus haut pointage (33 %) suivi des immigrants de l’Inde et du Pakistan (24 %), de l’Afrique (16 %) et de la Chine (10 %).

Une autre étude menée par l’Association d’études canadiennes en 2011 a révélé que 43 % (ou moins de la moitié) des 2 345 personnes interrogées avaient des perceptions « très positives » ou « plutôt positives » des musulmans (Boswell, 2011, cité dans Jamil, 2012).

[107] Voir Allen (2010) qui se penche sur la situation au Royaume-Uni.

[108] Le sondage Focus Canada d’Environics de 2006-2007 a révélé que 55 % des Canadiennes et Canadiens pensaient que l’interdiction du voile islamique (de tout genre) n’était pas une bonne idée, par opposition à 57 % d’Américains et 62 % de Britanniques (Adams, 2009). L’interdiction du voile était une bonne idée aux yeux de 36 % des répondants. Inspirée par une étude semblable effectuée par le projet Pew Global Attitudes en France, en Espagne, en Allemagne et en Grande-Bretagne, la firme Environics a également sondé 500 musulmans canadiens et 2 000 membres de la population générale canadienne pour obtenir un portrait comparatif des attitudes envers l’intégration des musulmans au Canada. Le sondage auprès des musulmans canadiens a eu lieu du 30 novembre 2006 au 5 janvier 2007, tandis que celui mené auprès de la population générale a eu lieu entre le 8 décembre et le 30 décembre 2006 (Adams, 2009). Fait intéressant, lorsqu’on leur a demandé s’ils croyaient que les musulmans voulaient « adopter les coutumes et le mode de vie canadiens » ou voulaient « être distincts de la société canadienne au sens large », une faible majorité (55 %) de musulmans croyait que les musulmans voulaient adopter le mode de vie canadien. Au sein de la population en général, seulement un quart de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens (25 %) croyait qu’une majorité de musulmans voulaient adopter des habitudes de vie canadiennes et une majorité (57 %) affirmait que les musulmans voulaient demeurer distincts. Enfin, 7 % de la population générale croyait que les musulmans canadiens désiraient à la fois s’intégrer et demeurer distincts (Adams 2009). Des cinq pays à l’étude (dont la France, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne), le Canada affichait la seconde plus grande disparité entre les opinions de la communauté musulmane et celles de la population générale. Cette constatation pourrait indiquer que beaucoup de Canadiennes et de Canadiens associent le port de symboles extérieurs comme le hijab au manque d’adaptation aux « coutumes et normes canadiennes » ou à une résistance à ce chapitre (par opposition à la simple expression de questions d’identification ou de sécurité « raisonnables », comme on le représente souvent). Le maintien d’un caractère culturel distinct, jumelé à une adaptation aux normes canadiennes était rarement vu comme une option, le domaine des possibilités étant dominé uniquement par une approche de tout ou rien.

[109] Bien que cela ne soit pas affirmé explicitement, le projet de loi 94 vise spécifiquement les femmes musulmanes qui portent le niqab (voile recouvrant complètement le visage) en public, en raison d’un souci avoué pour la sécurité, l’identification et les communications.

[110] Sharify-Funk (2011). Le sondage Angus Reid de 2010 a aussi révélé que 95 % appuyaient le projet de loi. Dans l’ensemble, les hommes étaient plus susceptibles de l’appuyer que les femmes (83 % contre 77 %), tout comme les personnes de 55 ans et plus y étaient plus favorables que les personnes de moins de 35 ans (86 % contre 69 %). Le projet de loi a reçu un important soutien public de personnes comme le premier ministre Harper (« la loi a [...] du bon sens ») et Michael Ignatieff (qui l’a qualifiée de compromis raisonnable). Le vice-président des relations publiques de Angus Reid, Mario Conseco, a indiqué qu’« une mesure gouvernementale obtient très rarement un si grand soutien de la part de la population » avant de faire remarquer qu’« un tel degré de consensus donne à penser qu’on a atteint un point culminant : un moment auquel les Canadiennes et Canadiens atteignent les limites de l’« image de soi tant glorifiée d’une société tolérante et inclusive » (cité dans Sharify-Funk, 2011, p.146).

[111] À l’instar du sondage de la firme Environics Canada de 2006, le sondage Focus Canada de 2011 mené par l’Environics Institute a révélé que la population canadienne a davantage tendance à penser que les musulmans font l’objet de discrimination (souvent ou parfois). Ce sondage était fondé sur des entretiens téléphoniques réalisés auprès d’un échantillon représentatif de 1 500 Canadiens (âgés de 18 ans et plus) entre le 21 novembre et le 14 décembre 2011. Stratifié de façon à assurer la couverture de l’ensemble des 10 provinces, l’échantillon de l’étude reflète la population par groupe d’âge, sexe et taille de la communauté. Les résultats obtenus d’un sondage de cette taille auprès de la population devraient être fiables selon une marge d’erreur de plus ou moins 2,5 %, 95 fois sur 100.

[112] Dans le cadre du sondage d’Environics de 2006-2007, la plus jeune cohorte de répondants musulmans canadiens était la plus susceptible de signaler une expérience de discrimination: 42 % des 18 à 29 ans affirmaient avoir vécu une telle expérience, soit 11 points de pourcentage de plus que la moyenne des répondants musulmans (Adams, 2009). Les femmes étaient aussi plus susceptibles que les hommes de dire qu’elles avaient fait l’objet de discrimination, une tendance liée en partie à leur plus grande visibilité lorsqu’elles portent le voile partiel (hijab) ou complet (niqab) qui les identifient à la religion musulmane (Adams, 2009; voir aussi Jamil, 2011).

[113] Un sondage national mené en 2002 par la section canadienne du Conseil des relations américano-islamiques (CAIR-CAN) et intitulé Canadian Muslims One Year After 9-11 – a montré que les musulmans se sentaient de plus en plus la cible de discrimination religieuse depuis les événements du 11 septembre. Dans l’année suivant les attentats, 56 % des répondants ont signalé avoir été victimes d’incidents antimusulmans. Des incidents recensés, 33 % prenaient la forme de violence verbale, 18 % de profilage racial et 16 % de discrimination en emploi (cité dans Conseil des relations américano-islamiques Canada, 2004, p. 6).

[114] Jamil (2012).

[115] Husaini (1990).

[116] À la différence de l’antisémitisme classique et d’autres formes modernes de racisme qui mettent en doute la « capacité d’inclusion » des groupes racialisés « à la communauté nationale [...] dans l’intérêt de la purification nationale », Bunzl (2007, p. 13) commente la situation de l’Europe contemporaine : « les islamophobes ne se préoccupent pas particulièrement de savoir si les musulmans peuvent être de bons Allemands, Italiens ou Danois. Plutôt, ils se demandent si les musulmans peuvent être de bons Européens », à quoi nous pourrions ajouter plus généralement « citoyens de démocraties libérales laïques occidentales ».

[117] Voir par exemple Thomas (2009).

[118] Calhoun (2008, p. 7). L’Émergence et la propagation d’une « laïcité idéologique » davantage fermée et rigide au Canada et ailleurs, comme le fait remarquer entre autres recherches le rapport de 2008 de la Commission Bouchard-Taylor, constitue en partie une réaction à la résurgence de la religion dans le monde, à la « guerre au terrorisme » et à l’accroissement de la diversité religieuse et de la présence d’immigrants non occidentaux dans les grands centres urbains de l’Occident.

[119] Citant Bramadat (2007, p. 121). À propos de ce point de vue limité, Bramadat fait remarquer que « tous les actes d’altruisme, de bonté, de créativité et de solidarité humaine manifestes dans la religion sont perçus comme des illusions visant à duper les membres du groupe et personnes de l’extérieur » (ibidem; voir aussi Seljak et coll., 2007).

[120] Devant la montée du discours anti-immigrant voulant que la religion soit un obstacle à l’intégration des immigrants, Seljak et coll. (2007) imaginent ce qui suit :

[L’]anti-immigration, et pire encore le discours anti-immigrant, s’articulera de plus en plus autour du besoin d’ériger une société présumée éclairée, égalitaire, démocratique et laïque devant se protéger contre les communautés confessionnelles associées aux populations immigrantes et considérées comme régressives, antidémocratiques autoritaires et irrationnelles.

L’utilisation d’idéaux prétendument démocratiques et égalitaires pour justifier l’exclusion sociale de minorités ethnoraciales et religieuses est un exemple classique de ce que Henry et Tator (2009) nomment le « racisme démocratique ». Ils qualifient le racisme démocratique de « modèle le plus approprié pour comprendre comment et pourquoi le racisme persiste au Canada ». Dans les grandes lignes, ils décrivent le racisme démocratique d’idéologie qui permet aux gens de continuer de conserver leur capacité à promouvoir et à concilier deux ensembles de valeurs d’apparence contradictoire : (1) des valeurs et principes démocratiques libéraux comme la justice, l’égalité et l’impartialité et (2) des valeurs non égalitaires qui reflètent et sanctionnent les attitudes et sentiments négatifs et les comportements discriminatoires envers les minorités raciales.

[121] Des causes récentes très médiatisées d’accommodement des minorités religieuses dans la sphère publique, touchant des sujets comme la prière collective à l’école, le port du kirpan dans les cours d’école et les palais de justice, le financement équitable des écoles confessionnelles ou la médiation familiale à caractère religieux, ont fait état de ces tendances (voir Seljak et coll., 2008). Certains incidents et réservations concernaient à l’origine des musulmans et la menace perçue d’« islamisation », mais ont mené à l’expression plus générale de critiques envers la pratique religieuse dans la sphère publique et, plus tard, à la contestation de mesures précédemment acceptées d’accommodement de minorités confessionnelles situées à différents points du spectre de la religion. On trouve un exemple de cela dans la récente controverse qu’ont déclenchée les reportages médiatiques sur la prière musulmane collective dans une école élémentaire publique de la région de Toronto. Selon Bromberg (2012), le débat public que cela a suscité a été marqué de commentaires publics sur le fait qu’il fallait cesser de louer des locaux aux groupes de confession juive ou autre pour des activités religieuses après l’école. Bromberg (2012, p. 62-63) poursuit en soutenant que l’incompréhension de la population à l’égard de l’objectif et des raisons de l’accommodement raisonnable « crée un climat d’animosité et de méfiance à l’endroit des nouveaux immigrants et des communautés culturelles/confessionnelles existantes ». De plus, « les nouvelles revendications qui semblent menacer les modes de fonctionnement et normes établis créent un mouvement de contestation des droits jadis reconnus publiquement aux communautés juives et autres ».  

[122] Plus d’une personne a exprimé ce point de vue lors du dialogue stratégique sur les droits de la personne et la croyance de la CODP, qui a eu lieu en janvier 2012 au Multi-faith Centre de l’Université de Toronto. L’opinion selon laquelle les chrétiens canadiens étaient maintenant traités injustement comme des Canadiennes et Canadiens de seconde classe dans la sphère publique et les institutions dominantes, par opposition surtout aux personnes se qualifiant plutôt de laïque, occupait aussi une place de choix dans un épisode de 2013 de l’émission radiophonique Cross-Country Check-Up diffusée sur les ondes de la chaîne anglaise de Radio-Canada (émission du dimanche 3 mars 2013, « La religion a-t-elle une place dans la vie publique? »).

[123] Dans bien des cas, les conflits sociaux sévissant au sein des communautés minoritaires et majoritaires, et entre celles-ci, ont été reportés sur le terrain du corps et de la conduite des femmes, où les hommes (et certaines femmes) cherchent à gagner le contrôle. Le débat médiatique sur le port du voile par les femmes musulmanes est un exemple de cela (voir par exemple Banerjee et Coward, 2005; Sharify-Funk, 2011).

[124] Voir Shipley (2012).

[125] Certains exemples tirés de la jurisprudence concernent des différences et des conflits sur le plan religieux au sein de communautés similaires (raciales ou confessionnelles) et mettent en scène :

  • des sikhs de caste supérieure (Jat) se plaignant d’exclusion discriminatoire exercée par une organisation confessionnelle de caste inférieure (Ravidassi ou Chamar); Sahota and Shergill v. Shri Guru Ravidass Sabha Temple, 2008 BCHRT 269 (CanLII)
  • un employé catholique d’origine autochtone alléguant que son directeur général autochtone avait des préjugés à l’endroit des catholiques autochtones en raison du passé des pensionnats autochtones du Canada; MacDonald v. Anishnawbe Health Toronto, 2010 OHRT 329 (CanLII)
  • un traiteur juif d’aliments casher non « orthodoxe ou shomer shabbat » alléguant qu’une organisation juive d’homologation de produits casher l’avait traité différemment que s’il avait été orthodoxe; Rill v. Kashruth Council of Canada, 2008 OHRT 162 (CanLII)
  • un agent de voyage musulman imposant des exigences différentes d’obtention d’un visa hadj pour se rendre en Arabie Saoudite sur la base qu’une fois rendus, les musulmans d’Afrique excèdent la durée fixée de leur visa; Tulul v. King Travel Can, 2011 OHRT 438 (CanLII).

[126] Voir Beyer (2008), comme en fait état la note de fin de texte no 20.

[127] Voir Bramadat (2007). Des tensions ethniques et raciales ont récemment éclaté dans une église torontoise en pleine évolution démographique quand des divisions se sont créées en fonction de la race au sein de la direction et que les nouveaux adhérents de minorités visibles, maintenant majoritaires, se sont mis à se plaindre de discrimination exercée par l’establishment blanc et plus âgé de l’église.

 

4. (Dés) avantages systémiques liés à la foi

L’expression « (dés) avantages systémiques liés à la foi » fait référence aux façons dont les normes, structures, institutions et systèmes sociaux et culturels encouragent, maintiennent ou fixent profondément, de manière directe ou indirecte, consciente ou non[128], les (dés)avantages différentiels auxquels se heurtent des personnes et des groupes en raison de leur foi (prise dans son sens large qui inclut les systèmes de convictions religieuses et non religieuses). Les (dés)avantages liés à la foi peuvent avoir des effets préjudiciables sur des personnes croyantes ou non croyantes, selon le contexte, comme le montrent les exemples présentés ci-après. Certaines formes de (dés)avantages systémiques liés à la foi sont passibles de poursuites aux termes du Code (p. ex. discrimination systémique)[129] contrairement à d’autres (p. ex. celles qui prennent des formes culturelles ou sociétales plus générales). Cette section examine plus attentivement deux formes dominantes de (dés)avantages systémiques liés à la foi de l’époque actuelle, issues de l’organisation de la culture et des institutions publiques autour du « christianisme résiduel » et de l’idéologie « laïque fermée » et sa pratique.

4.1 Christianisme résiduel et (dés)avantages systémiques liés la foi

Les penseurs qui étudient le paysage canadien contemporain de la religion et de la croyance utilisent le terme « christianisme résiduel » pour mettre en lumière les différents héritages de l’ère du « Canada chrétien » (1841-1960) dans la vie publique canadienne[130]. Plus précisément, le terme attire l’attention sur la façon dont ces héritages continuent de structurer directement ou indirectement les institutions « laïques » canadiennes d’aujourd’hui. Bien que les penseurs qui utilisent ce terme portent généralement un regard critique sur les (dés)avantages systémiques liés à la foi qui peut résulter du christianisme résiduel[131], d’autres soutiennent que les choses sont comme elles se devraient. Selon eux, le Canada, une nation traditionnellement chrétienne, devrait continuer de privilégier le christianisme dans la vie publique, conformément à son identité et à ses traditions historiques (qui devraient faire l’objet d’un accommodement de la part des autres).

Parmi les exemples les plus manifestes du christianisme résiduel en Ontario figurent les deux jours fériés fixés en fonction des fêtes chrétiennes de Noël et de Pâques, et le financement public des écoles séparées de religion catholique romaine seulement[132]. Les penseurs ont mis en lumière de nombreux autres exemples symboliques[133] et institutionnels[134]. On en trouve un dans la Loi sur l’éducation de l’Ontario au paragraphe 264(1), Fonctions de l’enseignant, qui indique clairement à l’alinéa c) religion et morale qu’il incombe à l’enseignant, même temporaire :

[d]’inculquer, par les préceptes et l’exemple, le respect de la religion et les principes de la morale judéo-chrétienne et la plus haute considération pour la vérité, la justice, la loyauté, le patriotisme, l’humanité, la bienveillance, la sobriété, le zèle, la frugalité, la pureté, la modération et toutes les autres vertus[135].

L’article 19 du Code des droits de la personne de l’Ontario, qui maintient les droits des écoles séparées aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi sur l’éducation de 1990, stipule également : « La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à l’application de la Loi sur l’éducation en ce qui concerne les fonctions des enseignants »[136].

Certains penseurs du milieu juridique soutiennent que les lois mêmes qui sont adoptées pour protéger la religion et la croyance, et définir ce qui en soi doit être protégé, sont le reflet des conceptions occidentales libérales modernes de la religion, et plus particulièrement les conceptions basées sur le christianisme protestant libéral traditionnel du Canada[137]. Parmi les aspects structurants de cette approche présumée dominante de la religion dans la jurisprudence et les lois canadiennes figure une préférence pour l’autonomie individuelle et l’expression privée (fondée sur les écrits) de la croyance au détriment des formes davantage publiques et collectives du culte, de la pratique religieuse et de l’identité. Selon de tels penseurs, plus les convictions et pratiques des personnes et communautés en matière de religion et de croyance cadrent avec cette norme, plus ces personnes et ces groupes sont susceptibles d’être reconnus sur le plan juridique et sociétal, et de faire l’objet d’accommodements[138].

Or, de telles normes ont été violées ou menacées, ou perçues comme ayant été violées ou menacées, dans le contexte de nombreuses controverses contemporaines relatives à la religion dans la sphère publique, par exemple les controverses mettant en scène des musulmans, juifs, sikhs et minorités chrétiennes marginales[139]. Les recherches menées dans le cadre de sondages d’opinion et d’autres enquêtes appuient l’assertion selon laquelle beaucoup de Canadiennes et de Canadiens sont davantage pour l’accommodement des convictions et pratiques religieuses reléguées à la sphère privée qu’ils ne le sont des modes d’expression de l’identité et de la foi qui ont un caractère public, collectif et visible contraire aux normes libérales protestantes et laïques[140]. Les mêmes recherches font également état d’une situation à deux poids deux mesures qui prévaut parfois et fait en sorte que l’expression de croyances religieuses en public est tolérable si ces croyances cadrent avec le passé chrétien dominant du pays, mais inacceptable lorsqu’elles proviennent de minorités religieuses[141].

De l’avis de certains penseurs, la législation ne protège pas équitablement les droits à la liberté de religion et à l’égalité des minorités religieuses dont les pratiques s’écartent considérablement de la norme libérale protestante dominante, en raison du conditionnement culturel à l’origine de la façon même dont cette législation conçoit et protège la religion et la croyance. Par exemple, certains d’entre eux ont fait remarquer que la spiritualité autochtone n’est souvent pas protégée aux termes des mesures législatives actuelles de protection de la liberté de religion. Cela se produit quand les tribunaux ne reconnaissent ou ne comprennent pas les modes autochtones d’expression de la spiritualité, dont beaucoup n’obéissent pas aux distinctions occidentales habituelles entre l’activité sacrée et profane, la pratique des rites et la vie quotidienne, et la spiritualité et l’écologie[142]. Il a également été démontré que les différences entre les définitions juridiques de la religion, d’une part, et la façon dont de nombreuses communautés de croyance minoritaires (dont, entre autres, les communautés musulmanes, juives, hindoues,[143] bouddhistes,[144] sikhes et chinoises[145] du Canada) ont toujours conçu (le cas échéant) et pratiquer leur religion, de l’autre, contribuent au manque de protection des libertés et droits à l’équité des minorités religieuses en matière de religion et de croyance[146]. Cette conception juridique et sociétale dominante de la religion peut également nuire aux chrétiens qui pratiquent leur foi de façons davantage publiques et collectives. La jurisprudence offre cependant de nombreux exemples de pratiques et de systèmes de croyances qui sont protégés au motif de la croyance aux termes du Code, même lorsque leurs adeptes ne considèrent pas qu’ils pratiquent une religion proprement dite[147].

Les lois et les politiques en place, qui tendent à privilégier les « religions » et pratiques religieuses reconnues, peuvent également créer des désavantages structurels pour les membres de mouvements et de communautés de croyance non religieuses, et entraîner leur traitement inéquitable. Voici des exemples de façons dont les lois actuelles peuvent avantager les organisations et groupes religieux par rapport aux organisations et groupes non religieux :

  • exonération fiscale visant les terrains utilisés par des communautés confessionnelles à des fins religieuses et les frais de logement des ministres, prêtes et autres dirigeants religieux
  • statut d’organisation de bienfaisance pour les organisations confessionnelles qui font des contributions aux églises, mosquées, synagogues et temples, accompagné d’une variété de déductions d’impôt[148].

Ces privilèges et protections ne s’étendent pas aux organisations et communautés qui se constituent autour de croyances non religieuses[149].

Les mouvements religieux récents[150] et « groupes parareligieux », qui sont tous deux en croissance[151], sont également vulnérables à la stigmatisation, à l’exclusion sociale, aux préjugés et à la discrimination, dans certains cas en raison des suppositions et stéréotypes hérités de notre passé chrétien[152]. La couverture médiatique de la récente proposition de financement d’un poste d’aumônier wiccan dans une prison fédérale, et le tollé médiatique qui s’en est suivi, est un bon exemple des stigmates auxquels se heurtent ces mouvements et groupes. Dans ce cas particulier, la réaction populaire a poussé le gouvernement fédéral à revoir sa proposition de financement, avant de mettre fin au financement de tous les aumôniers à temps partiel des établissements fédéraux. Bon nombre des communautés de croyance dont il est question ici ont un caractère hautement décentralisé et individualiste, et incluent des convictions et pratiques qui ne cadrent pas toujours parfaitement avec les modalités et définitions des protections juridiques établies en matière de religion, de croyance et de conscience (voir la section III pour en connaître davantage sur ces obstacles).

Les communautés constituées autour de croyances moins connues peuvent aussi se heurter au scepticisme et regard accru de la société au moment de revendiquer des droits de la personne en lien avec la croyance[153]. Cela peut être le résultat du peu d’importance accordée à leurs convictions en raison de leur apparence « étrange » ou d’une antipathie envers leur orientation non théiste (« les athées n’ont aucun principe ») au sein de ce qui demeure une culture publique chrétienne dominante et (sans conteste « post- ») théiste[154].

4.2 Laïcité fermée et (dés)avantages systémiques liés à la foi

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la réaction historique dominante du Canada aux conflits soulevés au sein des différentes fois traditionnelles et entre elles a été de privilégier la laïcisation et de confiner la religion au domaine privé. Bien qu’il représente une évolution par rapport au système passé de privilèges religieux évidents et de discrimination à l’endroit des adeptes de traditions religieuses ou de croyances minoritaires, le processus continu de laïcisation du Canada n’est pas sans ses « exceptions ». Cette section examine plus attentivement certaines formes de discrimination et d’exclusion auxquelles peuvent se heurter, par inadvertance, certaines communautés confessionnelles quand la société adopte des modèles étroits (« rigides » ou « fermés ») de laïcité qui cherchent à écarter les voix, perspectives et pratiques religieuses de l’espace public, au motif de supposés principes de « neutralité », d’une manière pouvant avantager en fin de compte les personnes non croyantes. On y éclaircit également le sens du terme « laïque » et la façon de l’interpréter au Canada, ainsi que ses répercussions sur l’accommodement de la religion dans la sphère publique.

4.2.1 Historique, définition et objectifs de la laïcité

De nombreux penseurs et commentateurs ont fait référence au brouillard de confusion qui entoure souvent l’usage et l’interprétation du terme « laïque » dans le discours et le débat publics contemporains sur la religion dans l’espace public[155]. Au 14e siècle, les premiers utilisateurs du terme « laïque » y prêtaient uniquement le sens d’une attention portée aux questions de ce monde par opposition aux questions éternelles[156]. Le mouvement positiviste a plus tard adopté le terme, le transformant en une idéologie à part entière[157] qui cherchait à libérer la politique et la société de toutes ses conceptions religieuses en y substituant une nouvelle moralité basée sur la science et la raison, et axée exclusivement sur le bien-être de la personne dans la vie présente. Si certains éléments de cette idéologie plus vaste ont eu une influence tacite sur les usages politiques modernes du terme[158], les penseurs contemporains établissent néanmoins une différence entre la « laïcité » en tant qu’idéologie et la « laïcité » en tant que « mode de fonctionnement d’une société qui ne cherche pas dans une quelconque tradition religieuse la validation de son autorité politique »[159].

Selon certains penseurs, une grande part du débat public sur les exigences de la laïcité omet d’établir une distinction entre les objectifs sous-jacents (ou fin visée) de la laïcité et les mesures institutionnelles traditionnelles (ou moyens) adoptées pour les atteindre[160]. La plupart du temps, le sens du terme « laïcité » est simplement affirmé et présumé, plutôt qu’expliqué et examiné[161], d’une façon qui nuit à son analyse et à la reconnaissance de la pluralité des valeurs et options qui sont réellement en jeu.

Pour éviter de confondre la fin et les moyens, le philosophe politique canadien Charles Taylor (2010) soutien qu’il est utile et prudent de débuter toute discussion sur la réaction appropriée à la diversité (religieuse) par une clarification des objectifs fondamentaux (ou « produits ») de la laïcité et un engagement envers ceux-ci. Les objectifs fondamentaux de la laïcité incluent :

  1. Liberté – exercice de la non-contrainte en matière de religion et de croyance (« libre exercice » de la religion et de la conscience, y compris la liberté de n’avoir aucune croyance religieuse)
  2. Égalité – traitement équitable des personnes, quelle que soit leur religion ou croyance (sans qu’aucune perspective morale, religieuse ou antireligieuse, ne bénéficie d’un statut privilégié dans la vie publique)[162].

Il arrive que ces objectifs entrent en conflit les uns avec les autres. Selon les penseurs, le fait de concevoir la laïcité comme une « doctrine à valeurs multiples », dont certaines valeurs constitutives peuvent s’avérer contradictoires, signifie de reconnaître le besoin de continuellement concilier ces objectifs contradictoires, au cas par cas selon le contexte, sans faire appel à une règle ou à un principe abstrait et tout englobant (du genre à clore la discussion)[163]. La façon dont les sociétés choisissent de concilier et de pondérer chacun de ces objectifs déterminera le caractère particulier de leur modèle laïque, et la forme qu’il prendra[164].

4.2.2 Modèles de laïcité ouverts par opposition à fermés

Les modèles institutionnels laïques existants se situent généralement le long d’un continuum allant de modèles antireligieux, qui cherchent à occulter complètement la religion de la sphère publique, à des modèles libéraux et pluralistes, qui accordent une plus grande place à la religion dans la sphère publique[165]. Bien qu’ils maintiennent tous en général un certain engagement envers la « distance de principe » de l’État vis-à-vis une quelconque orientation morale ou un système de croyances, ces modèles peuvent être regroupés dans deux grandes catégories à des fins de comparaison : modèles de laïcité ouverts ou fermés (voir l’Annexe 31 pour obtenir un comparatif des modèles ouverts et fermés de laïcité)[166].

Tout au long de l’histoire, les modèles de laïcité ouverts ont généralement vu le jour en contexte de pluralisme religieux, pour composer avec celui-ci (comme c’est arrivé au Canada, en Inde et aux États-Unis). Ces modèles sont habituellement basés sur des théories politiques pluralistes libérales qui appuient la diversité en général, et accordent donc une place à la religion dans l’espace public, sous réserve du respect des principes de non-contrainte et d’équité en matière de traitement[167]. À l’opposé, les modèles de laïcité fermés voient généralement le jour dans des sociétés dominées par une Église puissante ou religion établie. Le modèle fermé, souvent désigné par le raccourci « laïcité »[168], est habituellement inspiré par des théories politiques républicaines[169] (« creuset ») qui cherchent à éliminer la religion de la sphère publique et à mobiliser les membres de la société politique autour d’une commune allégeance envers des idéaux et valeurs civiques (issus du Siècle des Lumières européen). L’Annexe 31 présente de façon plus détaillée les distinctions qui existent entre ces deux grands modèles opposés de laïcité.

4.2.3 Modèle canadien

Contrairement à ce que croit souvent le grand public, la Constitution canadienne en soi ne reconnaît pas la laïcité comme un principe juridique autonome, ou n’exige la séparation de l’Église et de l’État ou la neutralité religieuse de l’État[170]. Les lois qui mentionnent explicitement la laïcité sont rares[171]. Cependant, la plupart des gens s’accorderaient à dire que le consensus social, politique et juridique contemporain général ayant cours au Canada prévoit « la laïcité sans laïcisme »[172]. Ce consensus affirme l’importance de conserver une certaine « distance de principe » entre les institutions publiques et étatiques et une quelconque religion ou système de croyances, de façon à ne pas privilégier ou imposer une quelconque religion ou système de croyances. En même temps, ce consensus n’impose pas de « moralité laïque nouvelle » et n’oblige pas les croyants à faire abstraction de leur foi[173]. Les analystes des milieux juridiques et politiques s’entendent généralement pour dire que l’approche canadienne en matière de diversité religieuse, bien qu’elle puisse varier sur le plan régional et administratif[174], suit majoritairement le modèle de laïcité ouvert décrit plus tôt. Il est typiquement admis que cela se reflète dans la jurisprudence touchant la liberté de religion et l’égalité[175], et est conforme aux engagements stratégiques et juridiques du Canada en matière de diversité et de multiculturalisme[176].

Les termes « secular » et « laïque » ne figurent pas dans le Code des droits de la personne de l’Ontario ou les politiques de la CODP, mais ont été cités à quelques reprises dans des décisions de tribunaux supérieurs prises en application de la Charte. Les rares dictionnaires de droit canadiens de langue anglaise qui mentionnent le terme « secular » font tous singulièrement référence au jugement de 2002 de la Cour suprême du Canada dans Chamberlain c. Surrey School District[177], qui portait sur la British Columbia School Act et définissait l’acception juridique du terme en droit canadien (voir les définitions complètes fournies à l’Annexe 32). Les décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique présentent toutes les deux une acception juridique inclusive des termes « secular » et « laïque », favorable aux modes d’expression de la religion dans la sphère publique[178]. Par exemple, le Dictionary of Canadian Law reprend cette position en affirmant que :

  • le terme « strictly secular » est pluraliste ou inclusif dans leur sens le plus large[179]
  • la religion est un aspect fondamental de la vie des gens dont on ne peut faire abstraction (consulter les définitions complètes à l’Annexe 32)[180].

Depuis la décision Chamberlain de 2002, les tribunaux ont largement abondé dans le même sens. En accord avec la première cause canadienne à faire jurisprudence en matière de liberté de religion aux termes de la CharteR. c. Big M Drug Mart[181], ils ont reconnu le droit des personnes de croire ce qu’elles veulent, ainsi que « le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et […] de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique, par leur enseignement et leur propagation, et par le culte », et ce, en public ou en privé[182]. Cette approche a récemment été affirmée de nouveau dans le cadre de la décision hautement médiatisée de la Cour suprême du Canada du 20 décembre 2012 dans R. c. N.S.[183], qui examinait le droit d’une femme musulmane de porter le niqab (voile recouvrant le visage en entier) au moment de témoigner dans le cadre d’une poursuite au criminel. S’exprimant au nom de la majorité, la juge en chef McLachlin a indiqué ce qui suit :

Une réponse laïque obligeant les témoins à laisser de côté leur religion à l’entrée de la salle d’audience est incompatible avec la jurisprudence et la tradition canadienne, et restreint la liberté de religion là où aucune limite n’est justifiable[184].

Dans une autre décision importante (2013), R.C. v. District School Board of Niagara [185], le TDPO a affirmé le droit à l’expression légitime de diverses idées et pratiques religieuses dans les écoles et institutions publics, pourvu que certaines exigences soient respectées[186].

4.2.4 Tensions et sujets de débat en matière de religion dans la sphère publique

Par conséquent, les penseurs du milieu juridique s’entendent généralement sur la texture « laïque ouverte » des politiques, lois et décisions jurisprudentielles canadiennes. La question des limites appropriées à imposer à la liberté de religion dans la sphère publique demeure toutefois matière à discussion. 

4.2.4.1 Limites de la liberté de religion dans la sphère publique

La liberté de religion a pour principe de base que « la liberté de croyance est plus que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance »[187]. Les limites imposées aux gestes que l’on peut poser au motif de ses croyances religieuses sont en partie dues à la reconnaissance du plus grand impact direct que peuvent éventuellement avoir ces gestes (comparativement aux croyances) sur les droits des autres.

Cependant, les avis sur les limites concrètes à imposer aux pratiques religieuses dans la sphère publique varient. Les opinions tendent à suivre un continuum allant de l’interdiction complète de la religion dans l’espace public (laïcité fermée) aux appels à son expression et à sa manifestation sans limites dans l’espace public. Aucune de ces positions n’est défendable dans le contexte juridique canadien, qui reconnaît l’existence d’un droit d’exprimer et de pratiquer sa religion en public, sous réserve de limites et de la conciliation nécessaire des droits contradictoires.

Les personnes qui revendiquent une plus grande restriction de la religion dans l’espace public ont tendance à privilégier le fait de s’entendre sur des valeurs civiques communes, telles que celles qui ont été établies dans la Charte canadienne des droits et libertés (p. ex. liberté, dignité, autonomie, sécurité, égalité, diversité, démocratie), et de leur céder la place[188]. De ce point de vue, la pratique de la religion dans la sphère publique peut être limitée quand elle va considérablement à l’encontre de ces valeurs civiques fondamentales[189]. Dans ce contexte, les croyants qui passent de la sphère privée à la sphère publique doivent se soumettre non seulement aux règles de leur religion, mais également aux règles et normes libérales de la sphère publique canadienne (du moins tant qu’ils demeurent dans la sphère publique). Tout ça nous mène à la question suivante : Quelles sont précisément ces « valeurs canadiennes » fondamentales qui sous-tendent et déterminent nos droits et libertés? Et dans quelle mesure ces valeurs sont-elles non négociables?

« Les laïcistes doivent accepter que la religion n’est pas quelque chose qu’on laisse à la porte de la sphère publique tout comme les acteurs des milieux religieux doivent accepter qu’une fois passée cette porte, les règles religieuses ne sont plus les seules à prévaloir. »
– Participant à l’atelier juridique de la CODP

« Y a-t-il un moyen d’envisager les obligations à respecter au moment d’accéder à la sphère publique? Certains disent qu’il s’agit simplement d’articuler ses propres croyances et de les défendre. Selon d’autres, il incombe aux personnes accédant à la sphère publique de reconnaître les différends généralisés qui y règnent et de comprendre qu’elles n’ont pas seulement l’obligation d’articuler leurs croyances, mais également de voir la situation du point de vue d’autrui. »
– Participant à l’atelier juridique de la CODP

Par exemple, certaines personnes ont plaidé pour l’inclusion non négociable de l’égalité entre les sexes aux « valeurs canadiennes » devant l’emporter automatiquement sur les libertés religieuses dans la sphère publique[190]. Cependant, les décisions jurisprudentielles prises en application de la Charte laissent généralement entendre qu’aucun droit n’est absolu et qu’il n’existe aucune hiérarchie des droits[191]. L’idéal laïque de la neutralité de l’État est également parfois invoqué pour défendre l’établissement de restrictions maximales à la religion dans la vie publique (se reporter à la discussion ci-après).

Les personnes qui préfèrent une approche moins restrictive de la religion dans la sphère publique reconnaissent généralement le besoin d’en arriver tout au moins à un consensus minimal sur des valeurs civiques communes. Elles ont cependant tendance à privilégier l’inclusion de la diversité et de la liberté de religion, de conscience, d’expression et d’association au nombre des valeurs canadiennes fondamentales[192] ou à plaider pour l’atténuation du langage des valeurs civiques, au point de le vider de ses aspects non procéduraux, ou les deux[193]. Si, selon certains, seules les règles du droit criminel doivent servir à limiter l’expression de la religion dans l’espace public, d’autres sont d’avis que l’État devrait se garder le plus possible d’imposer une quelconque vision morale substantielle de ce qui est dans l’intérêt des citoyens[194]. D’autres encore s’interrogent sur les règles et valeurs de base de la société canadienne proprement dite, du point de vue de la religion[195].

Le Code des droits de la personne de l’Ontario reconnaît aux adeptes de religions/ croyances le droit à un traitement équitable, ce qui inclut l’obligation d’accommodement de leurs pratiques en matière de religion et de croyance dans les sphères publique et privée, dans les domaines sociaux couverts par le Code. Ce droit est conforme à l’objectif général du Code, qui consiste à créer une société ontarienne inclusive qui respecte la dignité et la valeur de toute la population ontarienne (dont les personnes de tous horizons religieux). La distinction entre les sphères publique et privée a peu d’importance aux termes du Code lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une obligation d’accommodement de la religion ou de la croyance[196]. Le préjudice injustifié, le caractère raisonnable et de bonne foi des exigences et le besoin de concilier les droits liés à la croyance et les droits reconnus d’autrui constituent les seuls motifs de restriction de l’obligation d’accommodement[197]. Ici, la question de savoir si le droit ou l’obligation en jeu concerne la sphère publique ou privée est manifestement absente. D’ailleurs, le fait de ne pas tenir compte des besoins en matière d’observance religieuse dans les domaines sociaux protégés (services et installations, emploi, logement, contrats et association professionnelle), au sein de l’espace public ou privé, peut contrevenir au Code.

4.2.4.2 Limites de la neutralité

Les partisans de modèles de laïcité plus fermés plaident fréquemment pour l’interdiction complète des modes d’expression religieuse dans la vie publique dans le but de maintenir la « neutralité » des affaires publiques. L’argument selon lequel les services publics ou financés par les fonds publics devraient être libres de toute expression de la religion ou sensibilités religieuses pour conserver leur neutralité et caractère laïque constitue une illustration de cette perspective[198]. Cependant, certains observateurs soutiennent que l’idée de purger la sphère publique de la religion pour la rendre neutre et laïque omet de reconnaître que cette purge pourrait par inadvertance privilégier les perspectives agnostiques et athées dans l’arène publique et, par conséquent, mettre les croyants en position de désavantage clair « par rapport aux autres porteurs de points de vue exhaustifs »[199]. « [N]ous croyons tous en quelque chose, soutient Benson dans ce cas. La question n’est pas de savoir si nous croyons ou pas, mais en quoi nos croyons[200]. »

« [La] sphère publique est [parfois] qualifiée de "neutre" parce qu’elle a été vidée de ses formes étroites d’adhésion religieuse. Cependant, ce que l’on ne reconnaît pas (et dont on ne discute pas) est qu’il reste, lorsqu’on exclut les religions explicites des espaces publics complexes, les convictions implicites et vagues d’autres systèmes de croyances qui, n’étant pas alimentées par la religion, semblent obtenir un "laissez-passer" et un droit d’accès (et de financement) particulier aux systèmes publics. »[201]
– Iain Benson

Dans leur avis minoritaire accompagnant la décision historique de la Cour suprême du Canada dans Chamberlain, les juges Gonthier et Bastarache abondent dans le même sens, se disant en désaccord avec l’adéquation parfois effectuée entre les notions de « laïcité », de « non religieux » et de « neutre », comme le fait un précédent jugement annulé de J. Saunders[202]. Décrivant les problèmes associés à ce raisonnement, le juge Gonthier affirme :

À mon avis, le juge Saunders a commis une erreur en présumant que le terme « laïque » signifiait en réalité « non religieux ». Ce n’est pas le cas puisque rien dans la Charte, dans la théorie politique ou démocratique ou dans le pluralisme bien compris n’exige, lorsque des questions d’intérêt public sont en cause, que les positions morales fondées sur l’athéisme l’emportent sur les positions morales fondées sur des croyances religieuses. Je souligne que le préambule même de la Charte précise que « […] le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Selon le raisonnement du juge Saunders, l’opinion morale qui traduit une croyance fondée sur une religion ne doit pas s’exprimer sur la place publique, alors qu’elle devient publiquement acceptable si elle n’est pas ainsi fondée. Le problème que pose une telle interprétation est que chacun a des « convictions » ou des « croyances », que celles-ci prennent leur source dans l’athéisme, l’agnosticisme ou la religion. Il est donc erroné de considérer que le terme « laïque » relève du domaine de la « non-croyance ». Cela étant, pourquoi alors les personnes ayant des convictions religieuses devraient-elles être pénalisées ou exclues? Ce faisant, on dénaturerait les principes du libéralisme d’une manière qui fragiliserait la notion de pluralisme. L’essentiel est que des personnes peuvent être en désaccord sur des questions importantes et qu’un tel désaccord, lorsqu’il ne met pas en péril la vie en société, doit pouvoir être accommodé au cœur du pluralisme moderne[203].

Au moment de mettre en lumière les répercussions inégales que peuvent souvent avoir les « concepts neutres » (dans ce cas-ci le terme « laïque ») sur les communautés en quête d’équité, telles que les reconnaît la jurisprudence relative aux droits de la personne, Bhabha établit une analogie avec le contexte des handicaps, rappelant qu’il est bien connu de nos jours que le « monde conceptualisé », plutôt que d’être neutre, privilégie les personnes non handicapées[204].

Bien que la Constitution ne l’établisse pas explicitement, la Cour suprême du Canada a déduit et affirmé à plusieurs reprises que l’État avait une obligation de neutralité religieuse conformément au paragraphe 2(a) et à l’article 15 de la Charte, qui protègent la liberté de religion et le droit à l’égalité de religion. Dans notre contexte juridique canadien, font cependant remarquer des penseurs du milieu juridique, où la neutralité et la laïcité n’ont pas le statut de principes constitutionnels autonomes, l’obligation de neutralité puise ses sources, dans le premier cas, dans les principes de l’égalité religieuse et de la liberté de religion[205]. Cela laisse entendre que l’obligation de neutralité de l’État est relative, ce qui a d’importantes implications. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, mais d’un moyen d’atteindre l’objectif de promotion de l’égalité religieuse et de la liberté de religion. Plusieurs décisions judiciaires de tribunaux supérieurs appuient cette interprétation[206].

Selon ce point de vue, l’expression et l’accommodement de la religion dans la sphère publique ne peuvent être limités qu’en fonction des facteurs suivants :

  • la nécessité d’assurer la liberté (non-contrainte en matière de religion et de convictions)
  • la nécessité d’assurer l’égalité et de prévenir la discrimination – ne pas privilégier ou sanctionner une foi en particulier (religieuse ou non)
  • les répercussions sur les droits contradictoires d’autrui et la nécessité de protéger la sécurité publique, l’ordre, la santé et les valeurs constitutionnelles fondamentales.

Selon cette perspective axée sur les droits de la personne, la religion fait partie intégrante et légitime de la vie publique et est une composante essentielle d’une sphère publique pleinement inclusive[207].

Comme preuve à l’appui de l’évolution vers une approche plus nuancée de l’idéal de la neutralité, les analystes du milieu juridique attirent aussi l’attention sur la décision (de 2002) de la Cour suprême dans S.L. c Commission scolaire des Chênes[208]. Dans l’affaire S.L., la majorité des juges ont reconnu que, « d’un point de vue philosophique, la neutralité absolue n’existe pas »[209]. Citant Richard Moon, cette décision reconnaît également « la difficulté que pose la mise en œuvre d’une politique législative qui serait considérée par tous comme étant neutre et respectueuse de leur liberté de religion » [210] :

Si la laïcisation ou l’agnosticisme constitue une position, une vision du monde ou une identité culturelle équivalente à une appartenance religieuse, ses adeptes pourraient se sentir exclus ou marginalisés au sein d’un État qui appuie les pratiques religieuses, même les moins confessionnelles. Par ailleurs, il est possible que les croyants interprètent le retrait intégral de toute religion de la sphère publique comme le rejet de leur vision du monde et l’affirmation d’une perspective laïque [...]

Ainsi, de manière ironique, alors que la religion se retire de plus en plus de la place publique au nom de la liberté et de l’égalité religieuses, la laïcité paraît moins neutre et plus partisane. Compte tenu de la croissance de l’agnosticisme et de l’athéisme, la neutralité religieuse dans la sphère publique est peut-être devenue impossible. Ce que certains considèrent comme le terrain neutre essentiel à la liberté de religion et de conscience constitue pour d’autres une perspective antispiritualiste partisane[211].

Bien que le tribunal ait confirmé en fin de compte que l’État devrait aspirer à la plus grande neutralité possible, il donnait explicitement un caractère inclusif à cette neutralité[212] sur le plan de la religion, indiquant qu’elle « respecte toutes les positions à l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune, tout en prenant en considération les droits constitutionnels concurrents des personnes affectées ». Il existe néanmoins des décisions inverses qui, selon certains, semblent assimiler la laïcité (absence de religion en tant que telle) à la « neutralité », à la « non-discrimination », à la « tolérance » et au « non-sectarisme »[213].

4.3. Conséquences des (dés)avantages systémiques liés à la foi

D’après certains penseurs, le fait de penser que la laïcité canadienne contemporaine a résolu les problèmes de la discrimination et de l’iniquité sur le plan religieux en créant des règles de jeu neutres et égalitaires a des conséquences néfastes, notamment en empêchant les Ontariennes et Ontariens de reconnaître (1) la persistance du privilège chrétien au sein de la culture et de la vie institutionnelle publiques de l’Ontario et (2) les effets néfastes de la laïcité fermée et des concepts de « laïcité neutre »[214]. L’incapacité de reconnaître les avantages et désavantages structurels ainsi soutenus et occasionnés en matière de religion[215], ou « (dés)avantages liés à la foi », pourrait expliquer en partie la fréquence avec laquelle la population dénonce les mesures d’accommodement religieux adoptées, au motif qu’elles procurent des « privilèges spéciaux » aux adeptes de croyances minoritaires (au lieu de leur assurer des chances égales de vivre selon leur conscience religieuse en neutralisant les règles de jeu inéquitables).

En raison du lien étroit qui existe entre la religion, l’ethnicité et la race en Ontario, où de nombreuses minorités religieuses appartiennent également à des groupes ethniques ou raciaux minoritaires, ce désavantage religieux structurel peut prendre des dimensions raciales de plus en plus grandes[216]. Selon certains penseurs, le fait de ne pas reconnaître et régler la question des (dés)avantages systémiques liés à la foi pourrait accroître la polarisation, l’aliénation et la radicalisation[217] des membres de communautés de croyance minoritaires, avec tout ce que cela peut représenter pour la société dominante, comme l’illustre la situation dans d’autres régions[218]. Il se peut bien que nous traversions l’un de ces moments récurrents de l’histoire canadienne où vient le temps d’élargir le « cercle inclusif », comme l’appelle John Ralston Saul en s’inspirant d’un pilier de la culture autochtone canadienne, soit la notion du « cercle inclusif qui s’élargit pour s’adapter graduellement aux nouvelles personnes qui s’y joignent »[219].


 

[128] Les (dés) avantages systémiques liés à la foi ont un effet « préjudiciable » ou d’« exclusion » sur les personnes appartenant à une communauté de croyance particulière.

[129] La discrimination systémique ou institutionnelle fait référence à des modèles de comportement, politiques ou pratiques qui sont intégrés aux structures sociales ou administratives d’une organisation ou d’un secteur, ont des effets préjudiciables sur des personnes appartenant à un groupe social protégé par le Code et touchent des domaines sociaux protégés par le Code. D’apparence parfois neutre, la discrimination systémique peut aussi chevaucher certains types de discrimination qui ne sont ni neutres ou commis par inadvertance (voir le document de la CODP intitulé Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale).

[130] Utilisé dans le présent contexte, ce terme est tiré de l’étude de David Seljak et coll. (2008). Seljak et coll. (2008, p. 12) emploient ce terme pour attirer l’attention sur les diverses façons dont la sphère publique contemporaine canadienne « présumément laïque » et « neutre sur le plan religieux » conserve des éléments « chrétiens résiduels et normatifs », voire, selon les auteurs, « qu’elle conserve l’empreinte de son passé chrétien [...] et des aspects de sa tradition chrétienne, et est structurée de façon à tenir compte des valeurs, pratiques et formes de communauté chrétiennes ». Voir Seljak (2012) disponible au téléchargement sur le site de la CODP.

Roger O’Toole  (2006, p. 8), un des plus éminents historiens canadiens du domaine de la religion, soutient qu’« on ne peut réellement comprendre les formes et valeurs de la société canadienne sans connaître la variété des convictions, organisations et expériences à caractère religieux qui ont orienté de façon considérable la société canadienne ». Le penseur du milieu des sciences des religions Paul Bramadat (2005, p. 3) soutient de façon similaire qu’« [i]l est difficile de comprendre les structures sociales passées et même actuelles de ce pays sans savoir, entre autres, que l’Église catholique romaine et plusieurs Églises protestantes (surtout l’Église anglicane) ont connu pendant près d’un siècle avant la Seconde Guerre mondiale une sorte de statut de facto (et de jure dans certaines institutions) de confessions établies (c’est-à-dire privilégiées) ».

[131] Le christianisme résiduel peut être à l’origine des (dés) avantages systémiques liés à la foi dans la mesure où il entraîne par inadvertance des désavantages pour les personnes et communautés de confession ou de croyance extérieure aux courants chrétiens historiquement dominants (soit non chrétiennes ou hors des grandes Églises chrétiennes).

[132] La Loi constitutionnelle de 1867 du Canada inclut des dispositions qui rendent possible et protègent le financement public d’écoles catholiques romaines. L’Ontario et la Saskatchewan, qui sont les seules provinces à financer les écoles catholiques, ne financent cependant pas les écoles d’autres confessions. En 1999, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a conclu que la politique de financement des écoles de l’Ontario était discriminatoire sur le plan de la religion. Cette décision a été confirmée en 2006 dans un autre rapport sur l’état des droits de la personne au Canada (Seljak et coll., 2008).

[133] Les penseurs donnent d’autres exemples moins évidents et principalement symboliques des forces du christianisme qui subsistent au sein des institutions publiques canadiennes, dont ce qui suit :

  • le libellé du préambule même de la Constitution précise que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit »
  • 21 lois canadiennes mentionnent « Dieu »,  17 la « religion », quatre le mot « chrétien » et un la « Bible » 
  • 11 lois exigent l’exercice du serment d’allégeance à « Dieu »
  • le titre officiel de notre souverain actuel, selon le bref électoral canadien, est « Élisabeth la seconde, par la grâce de Dieu, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la foi »
  • le discours du Trône se termine par les mots « [p]uisse la Divine Providence vous guider dans vos délibérations »
  • les versions bilingue et anglaise de l’hymne national, Ô Canada, adoptées officiellement par le Parlement en 1980, incluent « God keep our land glorious and free! » (ajout fait à l’hymne pour la première fois en 1968 sur recommandation d’une commission gouvernementale)
  • la devise canadienne inclut « D.G. Regina » à côté du nom Elizabeth II, qui signifie dei Gratia (Reine par la grâce de Dieu)
  • la devise nationale, A Mari usque ad Mare (d’un océan à l’autre), se fonde sur le psaume 72, verset 8 (« il dominera d’une mer à l’autre et du fleuve aux confins de la terre »)
  • Certaines administrations provinciales et municipales ont débuté des sessions législatives et conseils municipaux par une prière chrétienne et ont exigé qu’on prête serment d’allégeance à Dieu dans les palais de justice (exemples tirés de Beaman, 2003; Biles et Ibrahim 2005; Beyer, 2008; Kunz 2009; O’Toole 2006; Seljak et coll., 2008).

[134] Les penseurs citent les exemples suivants de christianisme résiduel au sein des institutions :

  • institutions importantes des secteurs de la santé et des services sociaux, dont des hôpitaux, programmes de santé et services de bien-être de l’enfance d’envergure, qui continuent d’appartenir aux Églises et d’être exploitées par elles (p. ex. Société d’aide à l’enfance catholique et hôpital St. Michael’s de Toronto)
  • structuration de nombreux programmes et services d’aumôniers des institutions publiques (y compris des hôpitaux, prisons et forces armées) en fonction d’une norme chrétienne et de leur administration conjointe par l’État et des organisations confessionnelles (à prédominance chrétienne). Dans le cadre de ses consultations, la CODP a aussi entendu que la structure de la formation et de l’accréditation des aumôniers conservait encore son orientation excessivement chrétienne. Même le titre « aumônier » puise ses origines dans le christianisme. Un participant hindou au dialogue stratégique a formulé le commentaire suivant : « je suis le seul aumônier hindou agréé au Canada, voire en Amérique du Nord, et il m’a fallu étudier de nombreuses années dans des établissements chrétiens pour obtenir cette désignation »
  • articulation de la semaine de travail autour des jours de repos judéo-chrétiens traditionnels.
  • Roger O’Toole (2006) met en lumière beaucoup d’autres façons dont le christianisme de l’ère victorienne (qui puise ses origines historiques en Angleterre et en Europe de l’Ouest) a profondément influencé les institutions contemporaines canadiennes, des universités, hôpitaux et organismes de services sociaux à la moralité publique plus générale (y compris les préoccupations contemporaines pour le maintien de l’ordre), en passant par le régime politique pluraliste et l’État-providence.

[135] L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 19 (1).

[136] L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 19 (2).

[137] Dans sa description de « la rencontre interculturelle » que constitue la relation entre le droit et la religion, Berger (2012) illustre certaines des façons dont la définition dominante de la religion dans les lois canadiennes, telle qu’elle a été élaborée par le juge Iacobucci dans Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 RCS 551, 2004 SCC 47, reflète cette compréhension culturelle libérale de la religion. Par exemple, il soutient que les évaluations de la religion menées par les tribunaux, dans une très grande majorité, (1) voient la religion comme un phénomène individuel et non collectif, (2) présentent la religion comme un phénomène fondamentalement privé plutôt que public et (3) privilégient les valeurs d’autonomie et de choix individuel au détriment des valeurs, identités et nomes communautaires (voir aussi Kislowicz, 2012). Faisal Bhabha (2012) montre de façon similaire comment les tribunaux ont eu tendance à reconnaître uniquement les demandes d’accommodement de la religion fondées sur la revendication de droits et d’intérêts individuels, tandis que les « requêtes fondées sur des droits communautaires et collectifs ont été rejetées » (voir aussi Beaman, 2003; 2006; Kislowicz, 2012).

[138] Résumant l’impact de ce biais culturel du droit, qui reflète et reproduit ce que Lori Beaman (2003) appelle la « normalité religieuse », Benjamin Berger (2012 p. 26) affirme :

En bref, plus une religion concorde avec la façon dont la loi imagine la religion, c’est-à-dire une expression individuelle et privée de l’autonomie, et plus elle est digne de tolérance sur le plan juridique. La garantie de liberté de religion et d’égalité sera volontiers appliquée pour protéger les religions qui concordent déjà avec les engagements culturels de la loi (voir aussi Beaman, 2003).

[139] Bon nombre de causes récentes ayant établi un précédent et suscitées beaucoup d’attention de la part des médias et de la population mettaient en scène des adeptes de la foi sikhe. De ces causes, beaucoup ont soulevé la controverse relativement au port du kirpan (couteau cérémonial) à l’école, à l’Assemblée législative ou dans les palais de justice, ainsi qu’au port du turban ou au port de la barbe longue au lieu d’uniformes de travail ou de matériel de sécurité standards. Toutes ces causes portaient sur l’expression de la religion dans l’espace public, à l’encontre de la norme du statu quo. La communauté sikhe canadienne a été à l’avant-plan de l’élargissement des frontières de l’accommodement religieux fondé sur les droits de la personne. Cela a exposé les membres de cette communauté à des niveaux considérables d’hostilité et à un important ressac (voir par exemple Grant c. Canada (Procureur général), [1995] 1 C.F. 158; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 RCS 256; Bhinder c. CN, [1985] 2 RCS 561; Loomba v. Home Depot Canada, 2010 OHRT 1434 (CanLII); Randhawa v. Tequila Bar & Grill Ltd., 2008 AHRC 3 (CanLII).

Des observateurs du milieu juridique ont aussi fait remarquer que les tribunaux avaient été moins que généreux ces dernières années lorsqu’il s’agissait d’étendre les mesures de protection de la liberté de religion aux groupes minoritaires chrétiens, comme les huttérites de l’Alberta ou des groupes mennonites pratiquant des formes de cette religion plus centrées sur la communauté et allant à l’encontre des normes religieuses du statu quo (voir par exemple Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 RCS 567). Des penseurs ont également observé que l’immigration croissante des confessions chrétiennes d’origine non occidentale au Canada contribue à la croissance significative des confessions chrétiennes protestantes évangélique et pentecôtiste, qui ont tendance à privilégier les expressions du christianisme davantage publiques, collectives et politisées, parfois d’une façon qui « hérisse les Canadiennes et Canadiens laïques ou issus des courants chrétiens dominants » (Seljak et coll., 2007). Pour en connaître davantage sur la nature et l’impact d’une telle diversité chrétienne, consulter aussi Fadden et Townsend (2009) et Wilkinson (2006).

[140] Un sondage commandé par Sun Media et mené en 2007 auprès de 3 000 Canadiennes et Canadiens par la firme Léger Marketing posait la question suivante : « Le fait de respecter les pratiques religieuses suivantes cause-t-il un problème à la vie en société dans votre ville? » Les niveaux de tolérance des répondants diminuaient progressivement à mesure qu’augmentait la dimension publique et visible des observances citées, particulièrement dans le contexte de l’islam. Par exemple, une majorité de répondants ne considéraient pas que la prière (84 %), le jeûne du ramadan (83 %) et l’interdiction de la consommation d’alcool (77 %) causaient un problème. En revanche, 37 % d’entre eux voyaient un problème au fait de porter le voile, par opposition au port de symboles religieux de façon plus générale (25 %) (Léger Marketing, 2007). Bien que l’on puisse débattre du sens et des implications de telles conclusions (par exemple dans quelle mesure la résistance au port du voile est-elle liée à des questions d’équité hommes-femmes plutôt qu’à des normes civiles relatives à ce qui appartient à l’espace privé/public), les penseurs du milieu des sciences des religions ont noté une évolution des identités canadiennes et normes d’engagement civil à l’époque actuelle. Comme le fait remarquer Seljak (2012, p.10) la maxime traditionnelle « pour être un bon Canadien on doit être chrétien » est de plus en plus remplacée par une nouvelle mouture : pour être un bon Canadien (égalitaire, démocratique, rationnel et multiculturel), il faut être laïque ou, du moins, le bon type de personne religieuse, c’est-à-dire celle qui confine la religion à sa vie privée.

[141] Des sondages d’opinion et autres enquêtes apportent un certain appui au point de vue selon lequel « la laïcité au Canada peut tenir compte des formes historiques dominantes du christianisme » ou des formes d’expression de la religion/croyance qui cadrent avec celles-ci, ou les deux, mais non des systèmes de foi ou pratiques qui sont perçues autrement. Pour attirer l’attention sur ces deux poids deux mesures, Seljak et coll. (2008) donne l’exemple du débat relatif au financement des écoles confessionnelles qui a eu lieu en Ontario durant la campagne électorale provinciale de 2007. La proposition des conservateurs (de John Tory) en vue d’étendre le financement des écoles confessionnelles aux établissements autres que catholiques a été catégoriquement rejetée par l’électorat, qui y voyait un affront aux idéaux laïques (relativement à ce qui appartient à la sphère privée par opposition à publique) et une menace à l’unité civile. Fait intéressant, malgré qu’un sondage d’opinion mené pour le compte de la chaîne de télévision CTV et du journal Globe and Mail eu révélé que 71 % de l’électorat s’opposait au financement public des écoles confessionnelles, des efforts subséquents d’élimination du financement public de ces écoles, déployés par une coalition formée entre autres de l’Association canadienne des libertés civiles et du Parti vert de l’Ontario (seul parmi les formations politiques), a obtenu peu d’appuis de la population et n’a pas porté ses fruits. Un autre sondage d’opinion publique publié le 10 septembre 2007 dans le journal The Gazette de Montréal durant la Commission Bouchard-Taylor de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles a révélé que 59 % des répondants québécois ne s’opposaient pas à la présence de crucifix sur les murs d’écoles publiques, alors qu’une majorité d’entre eux désapprouvaient l’attribution aux juifs ou musulmans de congés de travail pour la prière (72 %), le port du niqab (couvrant tout le visage) par des femmes en public (67 %) ou celui du hijab dans les écoles (61 %). Seljak et coll. (2008) et Emon (2012) examinent comment cette même dynamique de deux poids deux mesures s’est manifestée en Ontario durant le débat de 2004-2005 sur l’introduction d’un système d’arbitrage fondé sur la charia (un système analogue était appliqué sans problème jusqu’à ce moment par les communautés juives canadiennes, avant d’être catégoriquement rejeté par la population quand les musulmans ont fait la demande d’un système semblable).

[142] Par exemple, Beaman (2006) soutient que les mesures de protection de la liberté de religion et de l’équité protègent uniquement une gamme étroite de ce que l’on juge, du point de vue autochtone, relever du sacré et de la spiritualité. Selon Beaman, cela est une des raisons pour lesquelles les mesures de protection constitutionnelle de la liberté de religion ont rarement été invoquées par les peuples autochtones, par opposition aux revendications territoriales et revendications de droits issus de traités qui, à la différence de la revendication de droits à la liberté de religion et à l’équité, n’exigent pas de dimension collective. De poursuivre l’auteure, cela a eu pour effet de minimaliser et de marginaliser la spiritualité autochtone et a entraîné la profanation des sites et terres autochtones. Elle attire aussi l’attention sur le manque général de connaissances et le mépris à l’égard des désavantages systémiques dont font l’objet les communautés autochtones en matière de pratique religieuse en raison du biais et du point mire spécifique sur le plan culturel (individualiste) des mesures canadiennes de protection juridique de la religion et de la croyance (ibidem). Beaman insiste sur la façon dont les catégories mêmes de « croyance » et de « religion », qui sont le fruit d’une expérience, d’un vocabulaire et d’une tradition historiquement chrétiens, hissent les conceptions occidentales européennes de la religion au rang de « normes en fonction de laquelle on évalue la spiritualité autochtone » ou « envisage son accommodement » (Beaman, 2006, p. 237;
voir aussi Beaman, 2012).

[143] Bannerjee et Coward (2005), tout comme Boisvert (2005) et King (2012), montrent comment les coutumes de fin de vie et rituels d’enterrement hindous et sikhs doivent être considérablement modifiés au Canada pour se conformer aux lois et règlements canadiens en matière de santé et de sécurité. Pour satisfaire aux normes et codes du bâtiment et, entre autres, obtenir le statut d’organisation sans but lucratif et sa reconnaissance, les hindous et bouddhistes doivent également modifier de façon considérable leur façon de concevoir et de construire leurs édifices confessionnels, et d’établir leurs structures de gouvernance religieuses traditionnelles (Bramadat et Seljak, 2005). Le fait d’articuler la semaine de travail canadienne autour du calendrier grégorien chrétien nuit à la capacité de ces communautés de pratiquer leur religion selon ses coutumes.

[144] Par exemple, le mémoire présenté par Matthew King (2012) dans le cadre du dialogue stratégique et intitulé Sur l’engagement des bouddhistes canadiens à l’égard du discours sur les droits de la personne et le droit met en relief comment la définition de la religion et de la croyance de la CODP, en raison de l’attention qu’elle porte aux « convictions », actes d’adoration discrets et pratiques rituelles prescrites, privilégie, à des fins de protection juridique, un bouddhisme « blanc, privilégié, de classe moyenne (une tradition individualisée, fondée sur la religion qui s’inspire fortement du protestantisme libéral) » (King, 2012, p. 70). Selon lui, cela masque considérablement et soustrait aux mesures de protection juridiques l’expérience plus sociale, extériorisée et communautaire de centaines de milliers de bouddhistes « ethniques » au Canada et ailleurs, « pour qui l’affiliation et l’identité relèvent peut-être moins de la croyance et de la pratique ainsi définies que de la création d’un milieu social familier au sein d’une société canadienne étrangère » (ibidem).

[145] La discussion de Lai et coll. (2005) sur l’incapacité du discours public, des pratiques institutionnelles et de la collecte de données officielles de recensement canadien de même reconnaître la « religion chinoise », dans ce qu’elle a de distinct du taoïsme, du confucianisme ou du bouddhisme, offre un exemple particulièrement émouvant de la « discrimination subtile » qui nie la « religion chinoise » et, par le fait même, « la base même de la culture et de l’auto-identité de ses adeptes » (Lai et coll., 2005, p. 104).

[146] Attirant l’attention sur les formes considérables d’exclusion que peut entraîner une interprétation monoculturelle de la religion dans le contexte du droit, des politiques et du discours populaire, Mahmood, (2005, p. 62) intervient en faveur d’un « dialogue sur la façon dont la variété de groupes confessionnels autodéfinis du Canada envisagent réellement le concept de la religion », en tant que point de départ essentiel des discussions futures sur l’avancement du multiculturalisme canadien (et, pourrions-nous ajouter, de façon plus générale sur les droits en matière de croyance protégés par le Code).

[147] Voir par exemple Huang v. 1233065 Ontario, supra, note 14, et l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance de la CODP pour obtenir plus d’exemples. Dans Huang v. 1233065 Ontario, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a rejeté l’argument selon lequel Falun Gong est assimilable à une « secte » et ne devrait pas être accepté comme une croyance parce qu’en tant que système de croyances, il n’est pas raisonnable, ne peut résister au moindre examen scientifique, ou épouse des valeurs qui sont incompatibles avec les valeurs de la Charte. La requérante assimilait Falun Gong à une « pratique » et non à une « religion ». Cependant, le TDPO a accepté la preuve d’experts indiquant que la notion de « religion » en Chine est bien différente de celle qui prévaut en Occident et qu’en termes occidentaux, Falun Gong serait considéré comme une croyance. Le TDPO a conclu que Falun Gong constituait un système de croyances, d’observances et de culte, et qu’il correspondait à la notion de « croyance » aux fins du Code.

[148] Seljak et coll. (2008).

[149] La section IV examine la définition même de la croyance de la CODP quant aux convictions morales et éthiques. McCabe et coll.(2012) ont donné davantage d’exemples de la discrimination dont font l’objet les humanistes laïques en raison des politiques actuelles et définitions juridiques des droits relatifs à la religion et à la croyance.

[150] Les sociologues du milieu des sciences des religions ont délaissé le terme « sectes », et ses connotations négatives, au profit du terme « nouveaux mouvements religieux » ou « religions émergentes ».

[151] Les données de recensement révèlent une croissance de « groupes paraconfessionnels » allant de la scientologie au nouvel âge, en passant par le paganisme, le satanisme, le théosophisme, le mouvement rastafari et la Wicca. Pour en connaître davantage sur ces tendances démographiques, consulter la section III 1.

[152] Le sondage de Síân Reid’s auprès des adeptes contemporains de la Wicca et d’autres formes de paganisme a révélé que bon nombre de répondants « croient que leur appartenance religieuse s’accompagne de stigmates [et] d’un potentiel de conséquences sociales indésirables allant du ridicule à la menace de violence physique, en passant par l’ostracisme, le mépris, la possibilité de perte d’emploi et de garde d’enfants, et le refus de logement (cité dans Seljak et coll., 2007, p. 28; voir aussi Reid, 2005; Beaman, 2006b). Les sociologues du milieu des sciences des religions ont démystifié bon nombre des mythes entourant de tels groupes paraconfessionnels, souvent qualifiés péjorativement de « sectes », comme ceux qui touchent leurs présumées méthodes de programmation coercitives, irrationalisme, usage de violence et « magie noire ». Selon Seljak et coll. (2007), la perception courante à l’endroit des adeptes de la Wicca et du paganisme, selon laquelle ces personnes pratiquent l’adoration du diable, la promiscuité sexuelle et d’autres formes de diabolisme des sens, est en partie alimentée par l’imagerie qui subsiste de l’ère de l’Inquisition du Moyen-Âge chrétien et des films d’horreur contemporains. 

[153] Plusieurs exemples des différentes formes de préjugés et de discrimination dont font l’objet de telles communautés de croyance minoritaires figurent dans la jurisprudence et, de façon plus générale, dans la documentation du domaine des droits de la personne, lesquelles repoussent les limites des croyances et personnes dignes de protection juridique relative aux droits de la personne (voir par exemple Gail McCabe et coll., 2012; David Sztybel, 2012; Camille Labchuck, 2012; et l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance de la CODP). Le fait qu’en 2011, les requêtes déposées auprès de la TDPO par des athées, des agnostiques et des personnes ne s’identifiant à « aucune religion » surpassaient les requêtes déposées par des catholiques romains en est un indicateur.

[154] Voir Seljak et coll. (2008).

[155] L’une des principales recommandations de la Commission Bouchard-Taylor de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles de 2008 traitait du besoin d’élaborer un livre blanc pour clarifier la nature et le sens des engagements du Canada envers la laïcité. De façon similaire, le philosophe des sciences politiques Rajeev Bhargava (2010) fait état de l’importance, dans les États libéraux occidentaux de façon générale de « mieux comprendre leurs propres pratiques laïques ». Voir Seljak (2012), Chiodo (2012a) et Benson (2004 et 2012) pour en connaître davantage sur les emplois anhistoriques « flous » du terme dans le discours public contemporain canadien.

[156] Selon le New Oxford Companion to Law (2008), le mot anglais « secular » vient du latin saecularis (signifiant « temporel » ou « générationnel », « appartenant à un âge ») employé dans le droit canon catholique pour décrire les membres du clergé qui vivaient au sein de la société médiévale plutôt que retirés du monde dans des monastères. Selon cet emploi datant du 14e siècle, le terme signifiait « ayant trait au monde » ou, comme le définit le Dr. Johnson’s Dictionary, « mondanité – attachement aux biens de la vie présente » (Benson, 2004). Les premiers emplois du terme ne renvoyaient pas nécessairement à l’areligiosité, comme le font certains des emplois et interprétations les plus pluralistes d’aujourd’hui (Berger, 2002), même si le terme a progressivement adopté la connotation négative d’« impiété » (New Oxford Companion to Law, 2008). Cette dernière connotation négative a été inversée par le mouvement positiviste du 19e siècle.

[157] On attribue en grande partie le mérite de l’érection de la laïcité en idéologie à George Holyoake et Charles Bradlaugh (Benson, 2004; New Oxford Companion to Law, 2008). La laïcité en tant qu’idéologie générale a pris une myriade de formes, allant « de la croyance en le fait que le matérialisme scientifique épuise l’explication de l’existence à la notion qu’aucun monde doté de sens transcendantal ou de temps éternel ne devrait orienter la conduite des gens dans le monde de tous les jours, en passant par l’opinion selon laquelle les valeurs sont inhérentes non pas au monde lui-même, mais aux orientations de l’homme par rapport au monde » (Calhoun, 2008, p. 7).

[158] Malgré les interprétations conventionnelles contemporaines (« de bons sens de tous les jours ») du mot « laïque », qui bornent le terme à la « simple absence de religion plutôt qu’à une façon particulière de se représenter le monde ou, en effet, à une idéologie », des dimensions de l’idéologie positiviste ont été « tacitement incorporées » aux théories politiques modernes et emplois de la laïcité (Calhoun, 2008, p. 8). Par exemple, le mouvement positiviste du 19e siècle a été le premier à recommander de confiner la religion à la sphère privée.

[159] Novak (2006, p. 107). Les emplois politiques modernes reflètent souvent cette interprétation plus minimale (laïque par opposition à laïciste) qui présuppose : une séparation entre la religion et les secteurs clés de l’État (les autorités religieuses ne gouvernent pas l’État et leurs règles et principes ne forment pas les assises du modèle de gouvernance de cet État); la neutralité de l’État en matière de religion (bien que généralement, malgré les interprétations variées de la notion, les représentants de l’État puissent avoir des convictions religieuses qui ne peuvent par contre avoir une influence sur les affaires de l’État); et, de façon concomitante, la concession d’aucun privilège à une religion donnée dans la vie publique. Cependant, les sens politiques modernes donnés au terme laïque maintiennent généralement cette dernière distinction entre les affaires publiques et privées, en dépendent même, reléguant plus ou moins la religion au côté privé de cette dichotomie fondamentale (Calhoun, 2008).

[160] Habituellement, un modèle de laïcité institutionnel et historique, la plupart du temps dans ses versions américaines ou françaises, est érigé en seul modèle ou sens possible du mot laïque tel qu’employé dans la sphère publique. D’affirmer Charles Taylor, « [c]e genre d’attitude équivaut à [...] fétichiser le modèle institutionnel privilégié quand, en réalité, on devrait partir des objectifs pour en dériver les modèles concrets à adopter » (Taylor, 2010, p. 28). Voir la discussion de Bhargava (2010) sur ce problème.

[161] Benson a fait référence à ce problème durant l’atelier juridique de mars 2012 sur les droits de la personne, la croyance et la liberté de religion de l’Université York en avançant la notion de « définition présuppositionnelle », c’est-à-dire l’attribution de présuppositions à une définition qui est loin d’être claire.

[162] Ces objectifs ont été établis dans un premier temps dans le rapport (2008) de la Commission Bouchard-Taylor (2008, p.135-1366; voir Woehrling, 2011, pour plus d’information sur cette question). Dans son article, Taylor (2010, p. 23) met de l’avant un troisième objectif fondamental de la laïcité, conforme aux visées originales de la Révolution française :

Fraternité – à savoir la quête (du moins d’un niveau minimal) de consensus, d’harmonie et de courtoisie entre les membres des différentes confessions, au moyen de l’inclusion des toutes les familles spirituelles (confessionnelles ou non) « dans le processus continu de détermination de la nature de la société (son identité politique) et de la façon d’atteindre ces objectifs (régime de droits et de privilèges exact) » (voir Bouchard-Taylor, 2008, pour en connaître plus sur cette distinction entre la fin et les moyens).

[163] Bhargava (2010). Dans ce même article, Bhargava discute de l’importance d’adopter une « laïcité contextuelle » et un « raisonnement moral contextuel » s’inspirant du modèle laïque autochtone instructif. Malheureusement, fait remarquer Taylor (2010, p. 29), il est courant en cas de conflits sur les « exigences de la laïcité » de conserver « l’illusion de l’existence d’un seul principe, disons la laïcité, et de son corollaire, la neutralité des institutions ou espaces publics » et de penser « qu’il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable, de choisir ou de prendre en compte différentes visées », ce qui appauvrit le dialogue sur les choix qui s’offrent à nous.

Fait intéressant, beaucoup d’élaborateurs de politiques fédérales canadiennes interrogés dans le cadre de l’étude de Gaye et Kunz (2009) privilégiaient une approche au cas par cas contextuelle et fondée sur des principes plutôt que des « directives rigides et systématiques venues du haut » en raison de la constante évolution des réalités démographiques et sociales et des situations particulières, lesquelles nécessitent l’adoption de politiques souples. De telles constatations réaffirment l’importance d’examiner les valeurs et objectifs sous-jacents au moment de traiter des questions de religion et de croyance, et de leur accommodement dans l’espace public.

[164] L’absence de reconnaissance des différentes façons d’envisager et de réaliser les objectifs de la laïcité peut alimenter les discours de polarisation des personnes religieuses et non religieuses (en faveur ou non de la laïcité) qui caractérisent tout opposant soit d’extrémiste areligieux ou antireligieux ou de fanatique religieux sans engagement envers la laïcité (au lieu de reconnaître qu’il y a différentes façons de comprendre et d’atteindre les idéaux laïques).

[165] De nombreux penseurs et décisions juridiques canadiennes ont fait part de cette diversité sur le plan de l’interprétation et de l’institutionnalisation concrète de la laïcité, et de l’éventail des nuances entre ces deux pôles (Voir par exemple Adelman, 2011; Berger, 2002; Benson, 2004; Bhargava, 2010; Buckingham, 2012; Cladis, 2009; Seljak et coll., 2008; Woehrling, 2011). Dans Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 (CanLII), le Tribunal des droits de la personne du Québec a entendu des éléments de preuve d’experts ayant repéré quatre façons dont la laïcité interagit avec la vie de l’État :

  1. La laïcité intégrale qui se caractérise par une volonté de laïciser la sphère publique par un « militantisme antireligieux » et une vision d’un conflit insurmontable entre la modernité et la religion.
  2. La laïcité « neutre » qui reconnaît une laïcité ouverte aux droits individuels et conjugue la stricte neutralité de l'État. Ses adeptes sont opposés à des expressions religieuses dans la sphère du pouvoir, mais ils acceptent la conservation de certains symboles religieux et pratiques individuelles dans les institutions publiques.
  3. La laïcité ouverte est semblable à la laïcité « neutre », mais reconnaît tant les droits religieux individuels que collectifs. L'État peut s'accommoder de particularismes religieux et culturels, tout en s'assurant que l'exercice du pouvoir soit séparé des institutions religieuses.
  4. L'approche religieuse intégrale considère que la religion est nécessaire pour assurer un ordre social sain et réduit la prédominance de la laïcité (cité dans Chiodo, 2012a).

[166] Cela reprend la distinction établie entre la « laïcité ouverte » et la «  laïcité fermée » dans le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor (2008). Ces modèles (moyennant quelques différences mineures) ont à d’autres moments été envisagés et mis en opposition à l’aide des termes « laïcité modérée » et « laïcité radicale » (Novak, 2010), « laïcité en tant que pluralisme » et « laïcité en tant qu’areligiosité » (Berger, 2002), et approches « accommodationistes » et « séparationistes » (Beaman, 2006).

[167] La Commission Bouchard-Taylor définit de la façon suivante la laïcité ouverte :

Une laïcité ouverte reconnaît la nécessité que l’État soit neutre – les lois et les institutions publiques ne doivent favoriser aucune religion ni conception séculière –, mais elle reconnaît aussi l’importance pour plusieurs de la dimension spirituelle de l’existence et, partant, de la protection de la liberté de conscience et de religion
(Bouchard-Taylor, 2008, p. 140).

Tout en notant de « profonds désaccords » par rapport à ces modèles de laïcité durant la consultation exhaustive de la Commission au Québec, le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor indique « que ce modèle de laïcité est celui qui permet le mieux de respecter à la fois l’égalité des personnes et leur liberté de conscience et de religion, donc de réaliser les deux finalités premières de la laïcité » (Bouchard-Taylor, 2008, p. 141).

Le terme « laïcité ouverte » avait été utilisé dans un rapport antérieur intitulé Laïcité et religions perspective nouvelle pour l’école québécoise et publié en 1999 par un Groupe de travail sur la place de la religion à l’école. En vue d’orienter la laïcisation des écoles du Québec, le groupe de travail recommande l’instauration d’une « laïcité ouverte », « c’est-à-dire qui n’exclut pas la reconnaissance du fait religieux, à la fois dans le respect de la liberté de conscience et de religion de ceux et celles qui fréquentent l’école et dans l’enseignement » (cité dans Milot et Tremblay, 2009).

[168] Le terme laïcité est souvent utilisé au Canada pour parler du modèle républicain français de laïcité fermée, de la façon dont il a été adopté en France ou dont on y aspire dans le Québec de l’après-Révolution tranquille. Cependant, le terme laïcité, en soi, ne laisse pas nécessairement entendre un modèle de laïcité de type fermé, malgré qu’il soit utilisé de la sorte. Le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor, qui recourt aux termes « laïcité ouverte » et « laïcité fermée » en
offre un bon exemple. Penseuse du milieu des sciences des religions, Lori Beaman (2008) attire aussi l’attention sur la complexité sémantique de la définition du terme « laïcité ». S’inspirant des travaux de Solange Lefebvre, Beaman soutient que le terme est souvent mal compris ou mal rendu en anglais par « secular » ou « secularization ». Lefebvre (2008) soutient que le terme ne peut être facilement traduit ou transposé dans d’autres cultures. C’est ce que tente de faire dans son article (2009) Laïcité et diversité religieuse, la conseillère à la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Sophie Therrien, en s’inspirant du travail de Micheline Milot (2002) pour établir une distinction entre « laïcisation », « laïcité » et « laïcisme » :

La laïcisation concerne les démarches faites et voulues par l’État pour maintenir des rapports neutres avec les religions et pour empêcher les interventions directes des religions dans la gestion de l’État. Ces éléments seront formulés soit par voie constitutionnelle, soit par voie juridique, soit à travers le droit coutumier (Common Law).

La laïcité décrit le résultat du processus de laïcisation. On peut la définir comme « un aménagement progressif des institutions sociales et politiques concernant la diversité des préférences morales, religieuses et philosophiques des citoyens. Par cet aménagement, la liberté de conscience et de religion se trouve garantie par un État neutre à l’égard des différentes conceptions de la vie bonne, et ce, sur la base de valeurs communes rendant possible la rencontre et le dialogue. » (Citant le Comité sur les affaires religieuses, 2003, p. 21.)

Selon Sophie Therrien, la laïcité « doit nécessairement s’appuyer sur les droits individuels » et « s’impose donc aux institutions, afin que les individus puissent jouir pleinement de leurs droits et de leurs libertés ». Soulignant l’engagement envers la liberté individuelle de conscience et de religion qui sous-tend la laïcité, elle affirme : « La laïcité ainsi définie se distingue du laïcisme, doctrine qui vise à expurger la religion, dans toutes ses manifestations, de l’ensemble de la sphère publique » (Therrien, 2009).

[169] À ce chapitre, la variante française du républicanisme moderne est exemplaire. Selon elle, l’identité civique de la personne, en tant que citoyen de la république, doit idéalement supplanter et remplacer les identités morale, culturelle et religieuse. Cette vision ne fait cependant pas consensus parmi toutes les philosophies politiques républicaines.

[170] Surtout chez les élites sociales et politiques du Canada, et certains décideurs gouvernementaux (voir Biles et Ibrahim, 2005; Bramadat, 2005; Gaye et Kunz, 2009), la croyance populaire veut que la Constitution canadienne contienne une clause de désinstitutionnalisation qui affirme l’engagement du Canada envers la laïcité et la séparation de l’Église et de l’État, comme dans le cas de la constitution américaine (1er amendement). Cela est tout simplement faux. Selon Seljak et coll. (2008), l’absence d’une clause constitutionnelle exigeant la séparation de l’Église/l’État ou la neutralité de l’État rend possible la contestation et la modification considérable, sur le plan politique et stratégique, des rapports entre l’Église et l’État au Canada (dans les limites du respect de la Charte canadienne des droits et libertés). De soutenir de nombreux auteurs, les rapports entre l’Église et l’État ont plutôt été marqués par la collaboration. Bien sûr, la jurisprudence en matière de liberté de conscience et de religion, prise en application du paragraphe 2(a) de la Charte, établit des limites à l’étendue des modifications pouvant être apportées à ces rapports. Bien que cela ne figure pas explicitement dans la Constitution, la Cour suprême a inféré, à plusieurs reprises, que l’État avait un devoir de neutralité découlant du paragraphe 2(a) et de l’article 15 de la Charte, qui protège la liberté de religion et l’égalité religieuse (voir par exemple S.L. c. Commission scolaire des Chênes, 2012 CSC 7).

[171] Elles incluent :

  1. la School Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, chap. 412, qui fait cavalier seul en stipulant, au par. 76(1), que « [t]outes les écoles et toutes les écoles provinciales fonctionnent selon des principes strictement laïques et non confessionnels »
  2. l’article 1 de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels fédérale, L.R.C. 1985, chap. C-51, qui mentionne les monuments « religieux ou laïques » dans sa définition des « biens culturels »
  3. l’Annexe 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles du Québec, 2010, G.O. 2, 3190, which refers to “[...]the operation of lodging facilities for the members of religious communities or for secular priests” [at para61110] (vestige du droit canon catholique du Moyen-Âge)
  4. l’article 4 du règlement 298 des R.R.O. de 1990 pris en application de la Loi sur l’éducation de l’Ontario, qui indique que le rassemblement qui se tient au début ou à la fin du jour de classe dans les écoles élémentaires publiques et les écoles secondaires publiques peut inclure le chant du « God Save the Queen » [par. 4(2)] et la lecture de « textes religieux, y compris des prières » [al. 4(2)(1)] et de « textes profanes » [al. 4(2)(2)] qui véhiculent des valeurs sociales, morales ou spirituelles et qui représentent bien la société multiculturelle de l’Ontario.

[172] Novak, 2006, p. 114.

[173] ibidem

[174] La stratégie de gestion de la diversité culturelle du Canada sur le plan juridique, administratif et constitutionnel a été comparée davantage et à juste titre à un « bricolage » de mesures institutionnelles à modulation régionale établies au moyen d’une approche pragmatique (plutôt que programmative ou philosophique) (Seljak et coll., 2008). La Loi constitutionnelle (1982) du Canada reflète ce « bricolage » en affirmant, dans son Préambule, « que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». En même temps, le paragraphe 2(a) de la Charte canadienne des droits et libertés garantie le « droit fondamental » que constitue « la liberté de conscience et de religion ». D’un point de vue mondial et historique, l’approche canadienne, qu’on ne peut assimiler complètement à une quelconque catégorie, s’apparente le plus au modèle de pluralisme non constitutionnel qui accorde (bien que non officiellement) le soutien et la reconnaissance de l’État à de multiples religions (Seljak et coll., 2008). Les mesures actuelles de protection des droits des écoles confessionnelles inscrites dans la Loi constitutionnelle (1867 et 1982) et le Code des droits de la personne de l’Ontario illustrent bien cet état de fait, tout comme les services multiconfessionnels d’aumônerie offerts par les institutions de l’État (voir la discussion précédente sur l’« establishment d’ombre » pluraliste, mais indépendant du Canada) (ibidem).

[175] Voir par exemple Beaman (2008); Benson (2012); Calhoun (2008); Novak (2006); Seljak (2012); Woehrling (2011).

[176] Calhoun, 2008, p. 8 affirme : « [f]aire de la religion une partie intégrante et pleinement légitime de la vie publique revient à adopter une version spécifique de la légitimité, voire de la nécessité, d’inclure les engagements envers la culture et la moralité profonde à l’ensemble du discours public, dont même ses éléments les plus rationnels et critiques ». Benson (2012b) soutient que le passage suivant de la décision de la Cour suprême du Canada R. c. Oakes, où le juge en chef Dickson discute de la « norme fondamentale » de l’article 1 de la Charte, affirme le lien qui existe entre la diversité religieuse, l’accommodement et l’inclusion, et de façon plus générale les engagements pris envers la diversité :

L’inclusion de ces mots [société libre et démocratique] à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l’objet même de l’enchâssement de la Charte dans la Constitution : la société canadienne doit être libre et démocratique. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous-jacents d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu’une restriction d’un droit ou d’une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer (R. c. Oakes (1986) 1 R.C.S. 103, selon le juge en chef Dickson).

La décision Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers de la Cour suprême du Canada établit un lien similaire entre l’inclusion de la religion et l’engagement du Canada envers la diversité. Le jugement indique ce qui suit, au nom de la majorité des huit juges : « La diversité de la société canadienne se reflète en partie dans les multiples organisations religieuses qui caractérisent le paysage social et il y a lieu de respecter cette diversité d’opinions » (Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers [2002] 1 RCS 772, au par. 812).

[177] Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710.

[178] L’article 76 de la School Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, chap. 412, fait cavalier seul au Canada en indiquant explicitement, au paragraphe (1) que : « Toutes les écoles provinciales ou autres doivent mener leurs activités selon des principes laïques stricts et non sectaires ». Avant l’arrêt Chamberlain (ibidem) de 2002, le tribunal n’avait pas défini l’emploi du terme « laïque » figurant à l’article 76. L’affaire Chamberlain portait sur une controverse découlant du refus d’un conseil scolaire d’approuver trois livres de contes mettant en scène des parents de même sexe (à titre de matériel éducatif) pour les classes de la maternelle et de la 1re année. Quand le conseil scolaire de Surrey a voté contre l’approbation des livres de peur qu’ils ne soulèvent des préoccupations chez certains parents, les deux enseignants ayant proposé les livres à l’origine (tous deux membres de l’association des éducateurs gais et lesbiennes de la C.-B.) ont demandé une révision judiciaire de la décision du conseil, plaidant entre autres que le conseil avait basé indûment sa décision sur des considérations religieuses.   L’affaire a été entendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, puis portée en appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, avant d’aboutir devant la Cour suprême du Canada (consulter l’analyse en profondeur des décisions de chaque tribunal menée par Buckingham, ainsi que Benson, 2004).

La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a annulé la décision de la juge Saunders de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui indiquait, au par. 78 que « [d]ans le milieu de l’enseignement, le terme laïque exclut la religion ou la croyance religieuse ». Le juge Mackenzie, s’exprimant au nom d’une cour d'appel de la C.-B. unanime, a conclu que le fait d'« interpréter la laïcité comme étant l’imposition de la "non‑croyance établie" plutôt qu’une simple opposition à la "croyance établie" aurait pour effet d’interdire la religion dans le domaine public » (au par. 30). Il a ajouté : « Aucune société ne peut être dite vraiment libre si seules les personnes dont la moralité est influencée par la religion peuvent participer aux délibérations liées aux questions morales d’éducation dans les écoles publiques » (au par. 34). Bien que la Cour suprême ait renversé certains éléments
de cette décision, elle a confirmé l’interprétation inclusive de la notion de laïcité. Selon la Cour, le fait de fonctionner selon des principes strictement laïques signifiait que le conseil scolaire ne pouvait pas permettre aux préoccupations d’un groupe de parents d’empêcher la reconnaissance des modèles familiaux d’autres membres de la communauté scolaire.

[179] Dictionary of Canadian Law, 4e édition, à 1168.

[180] Words and Phrases, 2008, à 25036

[181] R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 RCS 295.

[182] Citant le juge en chef Dickson dans R. c. Big M Drug Mart Ltd au par. 94. Bien sûr, ce droit, comme tous les autres, est soumis aux limitations de l’article 1 et doit être considéré en fonction des droits d’autrui (p. ex. droit à la non-discrimination et à la non-contrainte).

[183] R. c. N.S. 2012 CSC 72.

[184] ibidem, par. 2.

[185] Supra, note 8.

[186] Les requérants, qui se qualifiaient d’athées, alléguaient que la politique originale et la politique modifiée du conseil scolaire du district du Niagara concernant la distribution de textes religieux étaient discriminatoires au motif de la croyance, en contravention du Code des droits de la personne de l’Ontario. La politique originale permettait uniquement aux Gédéons de distribuer des Bibles Gédéons aux élèves de la 5e année, avec le consentement des parents. La politique modifiée accordait un pouvoir discrétionnaire en matière d’approbation des autres « publications religieuses » pouvant être distribuées avec le consentement des parents. Dans la pratique cependant, seules des Bibles Gédéons avaient été distribuées. La Commission ontarienne des droits de la personne est intervenue dans l’affaire.

Dans sa décision, le TDPO a conclu que la protection contre la discrimination fondée sur la croyance s’étendait à l’athéisme et que l’exposition à la religion à l’école ne portait pas nécessairement atteinte aux droits protégés par le Code. Comme l’indiquait le président associé du tribunal, David Wright :

Selon moi, le Code permet les activités religieuses facultatives organisées avant ou après les heures d’instruction, pourvu qu’on accorde à toutes les croyances le même traitement, que les élèves ne soient pas subtilement ou ouvertement contraints à y participer et que l’école montre clairement qu’elle ne privilégie pas de religion particulière. La garantie du traitement équitable sans discrimination en raison de la croyance n’exige pas qu’on vide les écoles publiques de toute activité ayant trait à la croyance, à l’exception de l’éducation sur la variété de religions qui existent. Je suis d’accord avec les intimés que la distribution de matériel lié
à la religion et à la croyance à l’extérieur des heures d’instruction peut être permise avec le consentement des parents, mais ce, moyennant l’adoption d’une politique soigneusement élaborée garantissant l’égalité entre toutes les croyances.

Tout jugement interdisant la promotion d’idées ou de pratiques religieuses dans les écoles publiques à ceux qui veulent y participer aurait pour effet d’interdire des activités comme les clubs religieux facultatifs à l’école secondaire ou l’aménagement de salles de prières.  À mon sens, le Code assure l’égalité en matière de croyance, mais ne chasse pas la croyance de tous les lieux publics. En effet, une telle politique serait contraire aux valeurs de diversité et d’inclusion du Code. Les activités en lien avec la croyance menées à l’extérieur de la salle de classe ne doivent pas automatiquement être éliminées, tant que la participation à ces activités est facultative, que les élèves ne subissent pas de pression en vue d’y participer, et que l’école conserve sa neutralité, montre clairement qu’elle appuie ce genre d’activités pour toutes les croyances et qu’elle ne fait pas la promotion d’une croyance particulière (R.C. v. District School Board of Niagarasupra, note 8, au par. 59-60).

[187] Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 RCS 772.

[188] Berger (2002, p. 52) soutient que ces valeurs fondamentales (dignité humaine, autonomie et sécurité), bien « que non identifiées sur le plan institutionnel » existent dans le droit canadien et peuvent être « ressorties du tissu de la Charte canadienne des droits et libertés ». Pour décrire les normes civiles à l’origine des sociétés démocratiques libérales contemporaines, Taylor (2010) emploi en alternance les termes (1) droits de la personne, (2) égalité et non-discrimination, et (3) démocratie. Bhabha (2012) examine l’adoption davantage embarrassée, dans des arrêts récents comme S.L. (supra, note 170), de ce qu’il appelle la « diversité laïque » en tant que valeur canadienne ultime. Il ne s’agit pas ici de normes procédurales neutres, mais de valeurs libérales importantes qui forment en fait (même lorsqu’elles ne sont pas reconnues) la base d’une « croyance de combat » (Berger, 2002, p. 45, citant Taylor, 1995, p. 249). Bhabha (2012) soutient que ces valeurs civiques libérales fondamentales ne constituent pas simplement un ensemble de valeurs parmi d’autres, qui doivent être conciliées (p. ex. au moyen d’un critère de proportionnalité). Plutôt, ce sont les valeurs suprêmes qui fournissent le cadre normatif et les fondements de l’évaluation et de la conciliation des situations de droits et de prétentions morales contradictoires.

[189] Par exemple, Berger (2002, p. 62) soutient :

[L]orsque la conscience religieuse exige de poser des gestes qui ne cadrent pas avec le souci civique de respect des principes fondamentaux de notre société, plus particulièrement ceux de la dignité humaine, de l’autonomie et de la sécurité, ces gestes ne s’attirent pas la protection de la Charte.

Dans son examen des tendances observées dans la jurisprudence canadienne en matière de
liberté de religion, Bhabha (2012) fait référence à la tendance croissante qu’ont les juges de la Cour suprême, depuis Amselem (supra, note 137) à « mettre des bémols dès qu’ils en ont la possibilité » à la portée de la conception de la liberté de religion en articulant et en soulignant des valeurs canadiennes « non négociables ». Dans Bruker c. Markovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, au par. 2, la juge Abella soutient ce qui suit : « Celles‑ci [les différences] ne sont pas toutes compatibles avec les valeurs canadiennes fondamentales et par conséquent, les obstacles à leur expression ne sont pas tous arbitraires » (cité dans Bhabha, 2012). La Politique sur les droits de la personne contradictoires (2012) de la CODP souligne de façon semblable l’important rôle de médiation que jouent les valeurs constitutionnelles et sociétales sous-jacentes dans la conciliation de droits contradictoires (voir la Politique sur les droits de la personne contradictoires, section 5.4.2).

[190] Stein (2009).

[192] Voir par exemple Benson (2012b). Andre Schutten (2012) et Iain Benson (2012b) contestent tous les deux la façon dont les tribunaux judiciaires et administratifs interprètent les limites des défenses légales en matière d’emploi particulier prévues au par. 24(1) du Code, dans le contexte des organisations religieuses. Selon eux, les interprétations dominantes de la limite imposée par le par. 24(1) au droit des organisations religieuses d’embaucher des personnes de même confession et de leur imposer au travail des conditions en lien avec la religion sont trop restrictives et ne protègent pas adéquatement les droits d’association positifs constituant l’un des fondements de cette disposition.

[193] Certaines personnes s’inspirent de la théorie politique libérale de John Rawls, qui plaide pour l’établissement d’une société libérale neutre sur le plan de ce qui constitue le mode de vie à suivre, qui s’articule uniquement autour d’un engagement procédural profond envers le traitement équitable de tous.

[194] Voir Chiodo (2012a) pour connaître ses arguments en faveur de ce point de vue (ce qu’elle appelle le libéralisme pluraliste ou modus vivendi en s’inspirant de la philosophie politique de John Gray). À ce chapitre, Chiodo puise également dans les travaux antérieurs d’Iain Benson (Chiodo, 2012a, p. 15).

[195] Les penseurs et praticiens du milieu juridique qui plaident en faveur de la restriction minimale de la pratique religieuse dans la vie publique soutiennent que les citoyens dotés de positions éthiques et morales fondées sur la religion ont tout aussi droit que les autres à interpréter ces valeurs canadiennes et à contribuer à leur établissement et transformation, selon une perspective clairement religieuse. De plus, le philosophe politique canadien Charles Taylor (2010) fait remarquer que les valeurs fondamentales comme la dignité, l’égalité, la liberté et la fraternité peuvent être non seulement interprétées de façons diverses, mais également emprunter de diverses sources, relativement à l’inspiration (religieuse ou non religieuse) à l’origine de leur adoption. Calhoun affirme que les notions de liberté, d’émancipation et de libération proviennent en grande partie des discours religieux de l’Europe (Calhoun, 2008; citant Habermas, 2006).

[196] Le Code rend obligatoire la non-discrimination et le traitement équitable, ce qui inclut l’obligation d’accommodement des convictions et pratiques dans cinq domaines sociaux : services et installations, emploi, logement, contrats et association professionnelle. Tous ces domaines sociaux chevauchent (et trouve leur expression dominante dans) l’espace public.

Dans la jurisprudence prise en application du Code et de la Charte, les tribunaux établissent une certaine distinction entre le droit d’épouser une croyance et le droit (plus restreint) d’agir sur la foi de la croyance relativement à l’espace privé et public. Cependant, cela se produit uniquement de façon secondaire et indirecte, dans la mesure où les droits des autres (et valeurs constitutionnelles plus vastes) entrent en jeu une fois que l’on se retrouve dans l’espace public.

[197] Voir la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP pour connaître l’approche de la CODP en matière de conciliation de droits contradictoires. Voir le document intitulé Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement de la CODP pour obtenir des renseignements supplémentaires sur le préjudice injustifié et les exigences de bonne foi. Bien que les valeurs constitutionnelles puissent éventuellement offrir une façon supplémentaire de délimiter les droits relatifs à la croyance en situation de droits contradictoires, comme en fait état la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP, ces valeurs constitutionnelles sont généralement reconnues conformes à l’objectif de promotion de la diversité et de l’inclusion du Code (conformément au modèle de laïcité ouverte).

[198] Voir Benson (2012b).

[199] Citant Chiodo (2012a, p. 10). Attirant l’attention sur certaines des façons dont les appels à la neutralité laïque peuvent exclure les croyants, Seljak et coll. (2008) font remarquer :

[L]es philosophes politiques ont commencé à soutenir que le fait d’interdire le discours religieux dans la sphère publique, à priori, contrevient aux droits des membres de communautés confessionnelles et est contraire à la philosophie démocratique libérale. Selon eux, l’obligation de traduire son discours religieux en idiome laïque afin de participer à une sphère publique présumée « libre de toute valeur » et fondée sur des règles rationnelles de soi-disant neutralité impose un fardeau excessif aux membres de communautés confessionnelles. Elle exige que certains membres de la population canadienne, et non d’autres, sacrifient des éléments importants de leur identité et solidarité de groupe (Seljak
et coll., 2008, p. 19.

[200] Benson (2013, p.15). Dans cet article, Benson fait également remarquer que George Jacob Holyoake, le champion du positivisme du 19e siècle à qui l’on attribue souvent le terme « laïcisme », reconnaît explicitement cette dimension de la foi ou de la conviction au sein des paradigmes non religieux et même scientifiques dans le sous-titre de son manifeste de 1896 intitulé English Secularism : A Confession of Belief (caractères gras ajoutés). Cependant, Christopher Hitchens et d’autres nouveaux athées contestent l’idée selon laquelle l’athéisme est une « conviction ». Tout en avançant, en tant que nouvel athée, que « [n]otre croyance n’est pas une croyance » et que « [n]os principes ne sont pas une religion », Hitchens admet que « [n]ous ne nous fions pas uniquement sur la science et la raison, car ceux-ci sont des facteurs nécessaires plutôt que suffisants [...] » (Hitchens, 2007, cité dans Benson, 2013, p. 14). Voir Benson, 2010; Benson, 2012a; Benson, 2012b; Chiodo 2012a).

Charles Taylor (2010) s’oppose à cette tendance à occulter les « engagements convictionnels », quel que soit le niveau de scientificité des convictions. Plutôt, il insiste sur l’importance pour chacun de reconnaître comment ses propres convictions (religieuses ou non) se font le reflet d’engagements évaluatifs profonds qui ne sont nullement neutres ou une simple expression de faits. À cet égard, le sociologue Craig Calhoun (2008, p. 8) observe que le laïcisme a souvent été interprété « comme s’il s’agissait uniquement de l’absence de religion plutôt que d’une façon particulière de voir le monde ou, en effet, d’une idéologie ». Il mentionne aussi que des aspects de l’idéologie positiviste ont été « tacitement incorporés » dans les théories politiques modernes et emplois du fait laïque, et ce, malgré les interprétations conventionnelles (pleines de bon sens, de tous les jours) donnant à la laïcité le sens de « simple absence de religion ».

[201]  Benson (2012a), reprenant les propos de son mémoire intitulé Religious inclusion and the construction of the “public”, présenté et soumis lors de l’atelier juridique sur les droits de la personne, la croyance et la liberté de religion qui a été organisé conjointement par la CODP et l’Université York les 29-30 mars 2012.

[202] Supra, note 177.

[203] Supra, note 177, au par. 137.

[204] Bhabha (2012). Insistant sur l’impossibilité d’atteindre la neutralité absolue et l’enracinement de tous les points de vue et actions dans la « croyance », Benson (2010, p. 23) offre l’exemple de la personne qui choisit de ne pas porter ou exhiber de marques ou de symboles religieux en public. « Le fait de ne pas porter de symbole religieux », soutient-il, « n’est qu’une manière relativement plus vague de montrer en quoi l’on croit et ne croit pas ».

[205] Voir Woehrling (2011) pour en savoir davantage.

[206] Voir Whoerling (2011). L’opinion dissidente du juge LeBel dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 RCS 650 exprime de façon explicite la relativité du devoir de neutralité de l’État dans le contexte juridique canadien. D’affirmer le juge (au par. 76) : « l’application sans nuance, sans souci du contexte, du principe de neutralité pourrait s’avérer incompatible avec le droit au libre exercice de la religion » (cité dans Chiodo, 2012a, p. 13).

[207] Anticipant la réaction du tribunal dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes (supra, note 170), Charles Taylor (2010) soutient que « la raison d’être de la neutralité de l’État est précisément d’éviter de privilégier ou de défavoriser non seulement les positions à caractère religieux, mais toute position de base, qu’elle ait ou non un caractère religieux » (Talyor, 2010, p. 25). Taylor nous rappelle que les engagements envers les valeurs plus profondes qui sous-tendent les modèles démocratiques laïques canadiens consistent, après tout, « à protéger le droit des personnes d’épouser et de mettre en pratique quelque perspective qu’elles aient choisi d’adopter; à traiter les gens de façon équitable, quelles que soient leurs opinions, et à leur donner la chance de s’exprimer » (2010). Selon lui, le fait de manquer à ces engagements au nom de la laïcité, de la « religion civile » ou de « l’antireligion » revient à trahir ces principes démocratiques de la laïcité (ibidem).

[208] Supra, note 170.

[209] La juge Deschamps, s’exprimant pour la majorité de la Cour dans S.L. supra, note 170, au par. 31.

[210] La juge Deschamps, s’exprimant pour la majorité de la Cour dans S.L. supra, note 170, au par. 30.

[211] Moon (2008, p. 231). Citée par la juge Deschamps au par. 30, s’exprimant pour la majorité (juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell) dans la décision de la Cour suprême S.L. (supra, note 170).

[212] Cité dans Chiodo (2012a). À cet égard, Bhabha (2012) applaudit la décision S.L. (supra, note 170) pour avoir épousé la valeur qu’il qualifie de « pluralisme laïque »  (respect des différences non seulement religieuses, mais également culturelles variées de la société canadienne) et pour n’avoir pas craint ni caché les inévitables évaluations normatives (par opposition à faussement « neutres ») des limites des droits et libertés individuelles, ainsi que les normes fondamentales à l’origine même de ces droits et libertés. Dans ce contexte, affirme-t-il, « le tribunal se dirige peut-être, lentement mais sûrement, vers une théorie de la liberté religieuse définie et alimentée par la priorité normative que constitue le respect des différences au sein d’une société multiculturelle » (p. 14). Il voit en la situation un départ par rapport à la norme juridique historique de protection de la diversité religieuse au Canada, non pas pour des raisons de diversité multiculturelle, mais dans l’optique d’assurer l’égalité entre les religions. 

[213] Voir par exemple les analyses de décisions judiciaires fondées sur cette interprétation moins inclusive de la laïcité menées par Chiodo (2012a) et Buckingham (2012).

[214] Le fait que la culture publique canadienne s’articule encore, de façon latente, autour de normes libérales protestantes n’est ni exceptionnel (d’un point de vue historique mondial) (voir Beyer, 2008) ou nécessairement troublant, en tant que fait historique, compte tenu de l’évolution historique et de la composition religieuse du Canada. Plus problématique cependant est la non-reconnaissance de ce fait fondée sur l’idée largement répandue au sein de la population canadienne selon laquelle la laïcité et ses séparation croissante de l’Église et de l’État et privatisation de la religion ont résolu le problème de l’intolérance et de la discrimination à caractère religieux. De soutenir Seljak et coll. (2008, p. 14), la stricte adhésion idéologique à la laïcité (perçue comme étant neutre) pourrait, plutôt que d’ériger un rempart contre la discrimination, produire et promouvoir davantage d’intolérance et de discrimination compte tenu du fait que « [l]es communautés minoritaires voient leurs besoins non satisfaits tandis que ceux de la majorité chrétienne le sont déjà, en grande partie du moins, par la culture et les structures de nos institutions publiques ». 

[215] Pour en savoir davantage sur les concepts de discrimination structurelle et de désavantage lié à la foi en tant que conséquences du privilège résiduel chrétien dans les institutions et structures canadiennes laïques contemporaines, consulter Seljak et coll. (2008); Beaman (2008); et Beyer (2008). À la non-reconnaissance des adaptations et privilèges structurels s’offrant par défaut au groupe majoritaire s’ajoute souvent l’image de soi canadienne dominante d’un pays tolérant, égalitaire, ouvert et multiculturel.

[216] De sa perspective sociologique mondiale qui pourrait tout aussi bien s’appliquer au Canada, Craig Calhoun (2008) observe que le fait d’exclure la religion de la sphère publique « avantage sans doute une classe moyenne laïque dans de nombreux pays, une majorité "indigène" laïque en Europe et une élite blanche relativement laïque aux États-Unis, par  rapport aux communautés noires, latino-américaines et immigrantes davantage religieuses » (Calhoun, 2008, p. 13). À propos de l’avenir du Canada, Seljak et coll. (2007) prédisent de façon similaire :

[L]anti-immigration, et pire encore le discours anti-immigrant, s’articulera de plus en plus autour du besoin d’ériger une société présumée éclairée, égalitaire, démocratique et laïque devant se prémunir contre les communautés confessionnelles associées aux populations immigrantes et considérées comme régressives, antidémocratiques autoritaires et irrationnelles.

[217] Selon eux, le fait de ne pas reconnaître ou inclure les communautés confessionnelles minoritaires peut et a fait en sorte qu’un segment de la population adopte une « mentalité de forteresse » et se mette à considérer la société dominante et le gouvernement comme « un "autre" hostile et dangereux qu’il faut craindre et éviter, et à qui il faut résister » (Seljak et coll., 2007, p. 18). Dans le cadre de leur étude sur la radicalisation des jeunes des communautés juives, chrétiennes, musulmanes hindoues et sikhes, Paul Bramadat et Scott Wortley (2008) qualifient l’inégalité, la discrimination et la marginalisation de facteurs clés de radicalisation religieuse des jeunes. Ils mettent en opposition
le modèle d’importation, qui part du principe qu’on importe l’extrémisme religieux dans les pays occidentaux, et le modèle de souche, qui met en lumière les conditions auxquelles se heurtent les immigrants et minorités dans les sociétés d’accueil.  Bien que les deux facteurs puissent jouer un rôle, leur étude laisse entendre que les « perceptions d’injustice sociale, ainsi que les sentiments connexes de colère, de désespoir et d’aliénation peuvent donner aux jeunes les motivations et les justifications dont ils ont besoin pour participer à l’extrémisme criminel et religieux ».

[218] Selon Seljak et coll. (2008), les risques que posent la laïcité militante et la non-reconnaissance des effets néfastes de l’articulation de normes et de mesures institutionnelles contemporaines laïques autour d’un modèle chrétien résiduel qui, dans certains cas, est de plus en plus fermé et antireligieux incluent :

  • le fait d’aliéner les communautés minoritaires ethnoreligieuses et de prévenir leur intégration en « refusant de reconnaître ou de respecter les éléments publics de leurs traditions religieuses » (Seljak et coll., 2008, p. 6), et de communiquer à ses communautés que leurs pratiques et identités religieuses ne sont pas compatibles avec l’identité et la citoyenneté canadienne, et – par conséquent 
  • le fait d’« encourager la création de "ghettos" religieux », c’est-à-dire des communautés ethnoreligieuses fermées qui ont relativement peu de lien avec le reste de la société canadienne, et, éventuellement, la radicalisation religieuse et le désengagement de la vie publique canadienne (Seljak et coll., 2008, p. 19).

[219] Saul (2008).

 

 

IV. Définition de la croyance

Cette section présente les arguments en faveur et à l’encontre de l’élargissement de la portée actuelle de la définition de la croyance dans la politique mise à jour de la CODP. On y examine aussi des conditions possibles à remplir pour obtenir la désignation de croyance à des fins de protection des droits de la personne, et les limites éventuelles de cette désignation. Enfin, on y aborde les conséquences possibles de l’élargissement de la définition de la croyance pour les organisations responsables de l’application du Code. Bon nombre des arguments mis de l’avant dans les différentes sections du présent document pourraient être immédiatement opposés à des arguments contraires, mais nous avons préféré présenter les contre-arguments dans des sections différentes, dans la mesure du possible, pour donner à chaque perspective un éclairage positif et permettre au lecteur de juger chacun des arguments selon ses propres mérites.

Questions clés

  • La CODP devrait-elle définir la croyance dans sa politique mise à jour? Dans l’affirmative, comment?
  • Que nous disent la jurisprudence et les principes d’interprétation législative à propos de la façon de concevoir le terme « croyance »?
  • Quelles distinctions, le cas échéant, peut-on établir entre la « croyance » et les autres « convictions » (p. ex. opinions, préférences) et pratiques connexes?
  • Quelles sont certaines des conséquences de l’élargissement de la définition de « croyance » pour ceux et celles qui ont des responsabilités aux termes du Code?

1. Contexte

1.1 Définition actuelle de la croyance dans la politique de la CODP

La croyance est l’un des motifs de discrimination interdits aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. Le Code n’offre pas de définition de la croyance, mais la Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP de 1996 la définit de la façon suivante :

On entend par croyance une « croyance religieuse » ou une « religion », ce qui est défini par un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte. La foi en Dieu ou en des dieux, ou en un être suprême ou une divinité, n’est pas une condition essentielle de la définition de croyance[220].

La Politique sur la croyance de 1996 utilise le terme « religion » dans son sens large, en y incluant par exemple des cultes non théistes, comme les croyances et pratiques spirituelles des cultures autochtones, ainsi que les nouvelles religions de bonne foi (évaluées au cas par cas)[221]. Néanmoins, elle y exclut clairement les croyances non religieuses en affirmant explicitement que « [l]e terme croyance ne comprend pas les convictions profanes, morales ou éthiques, ni les convictions politiques »[222]. La politique de 1996 stipule également qu’elle ne s’étend pas aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes » ou aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel »[223].

Depuis l’adoption de la politique de 1996, les tribunaux et le TDPO sont de plus en plus souvent amenés à s’interroger sur la portée légitime à donner aux protections en matière de droits de la personne conférées aux termes du Code au motif de la croyance (voir la discussion ci-après). Plusieurs causes récentes ont fait intervenir des systèmes de croyances non religieuses, y compris le véganisme éthique[224], l’athéisme[225] et des convictions politiques[226]. Ce genre de causes, jumelées à d’autres développements du domaine juridique et tendances sociales plus vastes (comme la hausse des formes de croyances et d’affiliation non religieuses), contribuent à faire de la définition de la croyance un élément essentiel de la mise à jour de la politique actuelle.

1.2. Développements du domaine juridique

La plupart des décisions prises en application du Code et rendues par le TDPO et les tribunaux judiciaires donnent à la croyance le sens de religion, conformément à la position stratégique de 1996 de la CODP[227]. Le Black’s Law Dictionary fait de même quand il définit le mot anglais « creed » comme étant « une confession d’articles de la foi, une déclaration formelle de croyances religieuses, toute formulation ou confession de foi religieuse et un système de croyances religieuses »[228]. De façon semblable, l’ouvrage de Tarnopolsky et Pentney intitulé Discrimination and the Law indique que les termes croyance (ou « creed ») et religion « sont essentiellement synonymes »[229].

Il existe cependant quelques exceptions notables à cette tendance. Dans R.C. v. District School Board of Niagara[230]le TDPO a conclu que la protection contre la discrimination fondée sur la croyance s’étendait à l’athéisme. Le TDPO affirmait que l’interdiction de la discrimination fondée sur la croyance incluait « le fait de veiller à ce que nulle personne ne fasse l’objet de discrimination en emploi, en matière de services et dans les autres domaines sociaux visés par le Code en raison de son rejet des convictions ou pratiques d’une ou plusieurs religions, voire de toutes les religions, ou de sa croyance en l’existence d’aucune divinité »[231].

Une variété d’autres causes ont laissé la porte ouverte à la possibilité que les convictions non religieuses puissent constituer une croyance au sens où l’entend le Code (voir la discussion ci-après). Dans l’ensemble, les tribunaux semblent réticents à fournir une définition finale, définitive ou fermée du terme « croyance » qui ferait autorité, y préférant plutôt une évaluation au cas par cas plus organique et analogique de la situation (« si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard »)[232]. Cette approche a donné des résultats variés. Les tribunaux judiciaires et administratifs ont étendu la portée des notions de « croyance » au sens du Code et de « religion » au sens de la Charte à une grande variété de croyances spirituelles et religieuses définies de façon subjective, dont :

  • les pratiques spirituelles autochtones[233]
  • la Wicca[234]
  • l’huttérisme[235]
  • le mouvement raëlien[236]
  • le Falun Gong[237]
  • l’Église universelle de Dieu[238]
  • la Rocky Mountain Mystery School[239].

Rien dans la jurisprudence n’interdit l’élargissement de la définition de « croyance » ou l’inclusion de convictions éthiques et morales laïques à cette définition. Par conséquent, la question de savoir ce qui devrait constituer une croyance au sens du Code lorsqu’il s’agit de protéger le droit de vivre à l’abri de la discrimination n’est pas close, surtout en ce qui concerne les croyances laïques, morales ou éthiques. D’ailleurs, cette question est au cœur des discussions entourant la mise à jour de notre Politique sur la croyance. En même temps, les tribunaux ont proposé des lignes directrices sur les limites qu’ils comptent imposer aux croyances dignes de protection aux termes du Code (voir la discussion ci-après).

De plus, l’application des principes d’interprétation législative peut porter à croire que croyance et religion ont un sens distinct (consulter l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance de la CODP et la section 3, ci-après, pour une discussion plus poussée de la question).


[220] Voir la Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP, 1996, p. 4.

[221] ibidem, p. 4. La politique indique aussi que « [p]our qu’il y ait croyance au sens de la loi, il faut et il suffit qu’il y ait à la fois des convictions et des pratiques religieuses, pourvu que ces convictions soient entretenues et que ces pratiques soient observées de façon sincère ».

[222] ibidem, p. 5.

[223] ibidem, p. 5. La politique stipule également ce qui suit, dans une note de fin de texte : « Non seulement de tels groupes ne sont pas protégés par le Code, mais ils pourraient bien être sujets à des poursuites en vertu du Code criminel ». Les activités illicites de ces groupes devraient être immédiatement signalées à la police. Par exemple, la mutilation génitale des femmes est une violation des droits fondamentaux des femmes et n’est pas une activité protégée au motif de la croyance. Voir la Politique sur la mutilation génitale féminine de la CODP.

[224] Voir Ketenci v. Ryerson University, 2012 OHRT 994 (CanLII). 

[225] R.C. v. District School Board of Niagara, supra note 8. 

[226] Al-Dandachi v. SNC-Lavalin Inc., 2012 ONSC 6534 (CanLII).

[227] Voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance (2012) et Chiodo (2012a) pour un résumé de certaines de ces décisions.

[228] 6e édition, 1990.

[229] Tarnopolsky et Pentney, 1985, p. 61.

[230] Supra note 8.

[231] ibidem, par. 30. Dans sa décision en faveur du requérant athée, le président associé du TDPO, David Wright, a noté également, au par. 31 :

À mes yeux, la protection contre la discrimination fondée sur la religion doit inclure la protection de la croyance d’un requérant en l’existence d’aucune déité, une conviction personnelle profonde du manque d’existence d’une divinité ou un d’ordre supérieur qui gouverne sa perception de soi, de l’être humain et du monde. Les croyances du requérant ont trait à la religion et font intervenir l’objectif d’assurer le traitement équitable de chaque personne, quelles que soient ses opinions ou pratiques en matière de religion. Il n’est pas nécessaire dans le présent cas de déterminer si la croyance peut parfois englober les convictions profondes portant sur des questions autres que la religion. 

[232] Voir Kislowicz (2012) pour en connaître davantage sur les points forts de cette approche analogique.

[233] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General), supra, note 11.

[234] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), supra, note 12.

[235] Alberta v. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 S.C.R. 567.

[236] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 TDPO 2460 (CanLII).

[237] Huang, supra note 14.

[238] Central Alberta Dairy Pool v. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 S.C.R. 489.

[239] Dans cette décision arbitrale particulière au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

 

2. Arguments à l’appui d’une définition large de la croyance qui va au-delà de la religion et inclut les croyances laïques,morales ou éthiques

2. 1. Principes d’édification et d’interprétation des mesures législatives

Certains des principaux arguments contre la restriction de la notion de croyance aux seules religions dans la politique de la CODP puisent leurs sources dans les principes d’interprétation législative. Parmi les principes invoqués ci-après figurent :

  • la présomption d’absence de tautologie
  • la présomption de cohérence
  • l’absence d’absurdités de logique
  • le statut égal des versions française et anglaise du Code
  • l’interprétation conforme à la Charte.

2.1.1 Présomption d’absence de tautologie et de cohérence

La « présomption d’absence de tautologie » est un outil clé d’interprétation législative du terme croyance au sens du Code. Cette présomption part du principe que l’Assemblée législative a choisi avec soin tous les mots utilisés dans les lois de façon à ce qu’ils ne soient pas redondants ou superflus, ou qu’on ne puisse les confondre avec des mots semblables[240]. De façon similaire, la « présomption de cohérence » part du principe que l’Assemblée législative utilise le langage de façon soignée et cohérente afin qu’un même mot conserve le même sens tout au long d’une même loi, sans jamais prendre le sens d’un autre mot utilisé dans cette loi[241].

Il y a toutefois des exceptions à ces règles, à la fois dans le cas de la présomption de cohérence que dans celui de la présomption d’absence de tautologie[242].

Les lois d’autres administrations canadiennes traitant de sujets semblables peuvent aussi servir d’outils d’interprétation législative[243]. Par exemple, dans B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), la Cour suprême a indiqué ce qui suit, en ce qui a trait à l’interprétation du motif de l’état matrimonial en Ontario : « nous [admettons] que le texte d’une loi d’un autre ressort puisse servir à l’interprétation d’une disposition litigieuse […] »[244]. Le tribunal examinait l’impact de la définition de l’état matrimonial dans la loi relative aux droits de la personne de la Saskatchewan, qui excluait expressément l’identité particulière du conjoint ou de la conjointe du motif de l’état matrimonial (contrairement au Code de l’Ontario). Selon le tribunal, « l’exclusion expresse de la notion d’identité particulière dans le code de la Saskatchewan et sa non exclusion dans le Code de l’Ontario incitent davantage à conclure que le législateur ontarien a en fait voulu que la définition d’état soit extensive »[245]. Autrement dit, le fait que le code de la Saskatchewan définissait l’état matrimonial différemment que le Code de l’Ontario pouvait donner à penser que les législateurs de l’Ontario avaient une intention différente de celle des législateurs de la Saskatchewan.

Le Code de l’Ontario interdit la discrimination fondée sur la croyance, mais n’inclut pas la religion au nombre des motifs de discrimination interdits. Le mot « religion » ne figure pas dans le Code. Les articles qui traitent des défenses légales dont peuvent se prévaloir les groupements sélectifs (art. 18) et des emplois particuliers (art. 24) utilisent l’adjectif « religieux ». Outre la croyance, les termes « religion », « croyance religieuse » et « conviction politique » figurent dans d’autres lois canadiennes sur les droits de la personne (voir la Figure 3 ci-après qui dresse la liste des termes associés à la croyance utilisés dans les lois et (ou) décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne de l’ensemble du pays).

Figure 3 : Motifs de discrimination interdits associés à la croyance prévus dans les lois et décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne

Loi

Motifs de discrimination interdits

Loi canadienne sur les droits de la personne (1977)

religion

Human Rights Code de la Colombie-Britannique (1969)

religion et conviction politique

Human Rights Act de l’Alberta (1966)

religion et conviction politique

Human Rights Code de la Saskatchewan (1979)

croyance religieuse et conviction politique

Code des droits de la personne du Manitoba (1970) (version française codifiée non officielle)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse

Code des droits de la personne de l’Ontario (1962)

croyance

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975)

religion, conviction politique

nota : le chap. 1.3 de la Charte reconnaît aussi la liberté de conscience, la liberté de religion [246] et la liberté d’opinion, entre autres

Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (1963) (version française codifiée non officielle)

Religion et croyance, affiliation et activité politique

Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick (1967)

religion et conviction et activité politiques

Human Rights Act de Terre-Neuve (1969)

croyance religieuse, religion et opinion politique

Human Rights Act de l’Île-du-Prince-Édouard (1968)

religion, croyance et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Yukon (1987)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Nunavut (2003)

croyance, religion

Remarque : Les dates renvoient à l’année d’adoption originale de la loi et non aux termes utilisés à l’époque.

Les recherches menées en vue d’interpréter la variété des termes en usage d’un bout à l’autre du pays ont révélé que les lois, politiques et décisions jurisprudentielles offrent peu de définitions, comme c’est le cas en Ontario. La définition du terme « religion » (tirée de l’affaire Syndicat Northcrest c. Amselem[247]) et la définition de « conviction politique » qui a été établie par l’Île-du-Prince-Édouard et renvoie aux seules croyances des partis conformément à la loi électorale de la province sont les deux exceptions. Dans Wali v. Jace Holdings Ltd.[248], le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a tenté de définir le terme « conviction politique ». Il a laissé entendre que la loi ne s’appliquerait pas à toutes les convictions politiques, mais plutôt à celles qui concernent un système de « coopération sociale », et a conclu que le requérant avait fait l’objet de discrimination fondée sur ses convictions politiques parce qu’il avait été licencié en partie à cause de sa position politique à l’égard de la réglementation des techniciens en pharmacie par l’ordre des pharmaciens[249].

En appliquant les outils d’interprétation législative présentés précédemment, il est possible de soutenir que les termes religion et croyance désignent des notions différentes dans la législation ontarienne et canadienne relative aux droits de la personne, pour les raisons suivantes :

  1. le Code de l’Ontario utilise le terme croyance plutôt que religion
  2. au moment de l’élaboration du Code de l’Ontario, les termes croyance et religion étaient tous les deux connus de l’Assemblée législative de la province, qui a opté pour le terme croyance
  3. d’autres lois relatives aux droits de la personne utilisent les termes « religion », « croyance religieuse » et parfois à la fois « religion » et « croyance ».

2.1.2 Absence d’absurdités de logique

Le principe de la prévention des absurdités de logique et des conséquences absurdes peut, selon certains, constituer un autre outil d’interprétation pertinent au moment de tenter de résoudre des cas d’ambiguïté législative[250]. Bien que certains penseurs aient noté le potentiel d’absurdité, il n’est pas du tout clair que ce principe d’interprétation puisse aider à interpréter le sens du terme croyance.

Selon Labchuck (2012) et Szytbel (2012), la restriction de la protection des croyances aux seules convictions religieuses pourrait avoir comme conséquence absurde d’assurer des mesures de protection différentes aux adeptes du véganisme éthique selon que leurs croyances, bien que quasi identiques, puisent ou non leurs sources dans la religion[251]. Labchuck donne en exemple quatre différents types d’adeptes du véganisme éthique :

  1. adepte du jaïnisme qui est végétalien pour des motifs religieux
  2. chrétien pratiquant pour qui le véganisme constitue un devoir religieux
  3. chrétien végétalien, qui pratique le véganisme pour des motifs moraux laïques en lien avec le bien-être animal
  4. athée qui pratique le véganisme éthique pour des motifs strictement moraux et laïques.

De soutenir Labchuck, le fait d’exclure les croyances laïques de l’interprétation donnée au terme croyance créerait une absurdité de logique en offrant uniquement des protections relatives aux droits de la personne aux deux premières catégories d’adeptes du véganisme au détriment des autres, bien que ces dernières puissent avoir un engagement équivalent envers les mêmes convictions en matière de véganisme éthique (ou même faire partie de la même organisation).

Des analystes du milieu juridique ont mis en lumière d’autres absurdités de logique, incohérences et exclusions pouvant inévitablement découler de toute tentative de définition et de délimitation universelles de ce qui constitue une religion au sens de la loi[252]. D’autres ont fait remarquer que la définition de croyance de la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP, qui exclut « les convictions profanes, morales ou éthiques », contenait aussi des contradictions d’ordre logique. Cette définition semble indiquer que les convictions laïques et les convictions morales ou éthiques ne bénéficient pas de protection. Selon eux, le fait d’isoler les convictions religieuses (qui bénéficient de protection) des « convictions morales ou éthiques » ou même des « convictions politiques » (qui ne bénéficient pas de protection selon le libellé de la politique) n’est pas logique puisque les convictions morales et éthiques ont souvent leurs origines dans la religion, entre autres sources (y compris des sources laïques)[253].

2.1.3 Statut égal des versions française et anglaise du Code

Un autre principe d’interprétation législative veut que l’on donne aux versions française et anglaise du Code les mêmes statut et égard au moment d’interpréter le Code. La première étape de l’interprétation de toute loi bilingue consiste à vérifier les équivalences de sens des versions française et anglaise de la loi, par exemple « croyance » et « creed » dans le présent cas. En second lieu, il est essentiel de déterminer si un sens commun est conforme aux intentions du Parlement.[254]. Si l’une des deux versions donne plus de poids à l’objet du Code, cette version doit être retenue même si les deux versions du Code ont en commun un sens plus restreint[255].

La version française du Code des droits de la personne de l’Ontario emploie le terme « croyance », que l’on traduit souvent par « belief » en anglais plutôt que par le terme « religion », plus restrictif. Cela donne à penser qu’on pourrait donner au mot « creed » une interprétation allant au-delà de la simple notion de « religion », comme le reconnaît le TDPO dans l’affaire R.C. v. District School Board of Niagara[256].

2.1.4 Interprétation du Code conforme à la Charte

Les partisans d’une interprétation large du terme « croyance » allant au-delà de la notion de religion soutiennent qu’on devrait donner au Code une interprétation conforme au paragraphe 2(a) de la Charte, qui garantie à la fois la liberté de religion et la liberté de conscience. L’examen de la jurisprudence relative à la liberté de conscience mené par la CODP révèle que les tribunaux accordent généralement au terme conscience un sens qui englobe les convictions non religieuses dictées par la conscience, qu’elles puisent leur source dans une « morale laïque »[257], des positions « d’athées, d’agnostiques, de sceptiques ou d’indifférents »[258], ou des « croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent »[259], et ce, malgré le fait que la Cour suprême n’ait jamais rendu de décision majoritaire qui donnait à la « liberté de conscience » une interprétation différente de la « liberté de religion ».

Par exemple, dans Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté) [260], l’appelant Charles Roach a contesté en vain l’exigence qui lui était imposée, en tant que nouveau citoyen, de jurer ou d’affirmer solennellement son allégeance au monarque, au motif que cela contrevenait à sa liberté de conscience au sens du paragraphe  2(a) de la Charte. Dans sa décision, le juge Linden a établi la distinction suivante entre la liberté de conscience et la liberté de religion :

Il semble [...] que la liberté de conscience ait une portée plus large que la liberté de religion. Cette dernière se rattache davantage à des opinions religieuses transmises par des institutions religieuses établies alors que la première vise à protéger les opinions, fondées sur une conception morale très profondément ancrée du bien et du mal, qui ne reposent pas nécessairement sur des principes religieux organisés. Ce sont de graves questions de conscience. Par conséquent, l’appelant peut contester le serment ou l’affirmation solennelle en se fondant sur la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte, sans faire appel à des moyens découlant de ses croyances religieuses [...]Toutefois, comme l’a exprimé Mme la juge Wilson, les termes « conscience » et « religion » ont des sens apparentés du fait qu’ils décrivent tous les deux le domaine des croyances éthiques et morales profondes, par opposition aux autres croyances et notamment à celles à caractère politique qui sont protégées par le par. 2b) [liberté d’expression]. (italiques ajoutés; voir aussi la décision concordante du juge Wilson dans R. c. Morgentaler[261]).

Compte tenu des recoupements entre les objectifs de la Charte et du Code et le statut pleinement (et non quasi) constitutionnel de la Charte, certains s’appuient sur des décisions du TDPO et d’autres tribunaux[262] pour soutenir que l’interprétation du Code devrait être fidèle aux interprétations, valeurs et modalités de la Charte, surtout en cas d’ambiguïté législative. Dans la décision rendue par le TDPO le 9 octobre 2012 dans l’affaire McKenzie v. Isla, le vice-président du tribunal affirme ce qui suit :

Le Tribunal a souligné que toute ambiguïté de la portée des droits protégés par le Code devrait être résolue d’une manière qui protège les éléments fondamentaux des droits et libertés prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), chap. 11 (Charte)[263].

Selon Labchuck et Chiodo, l’inclusion des convictions laïques, morales ou éthiques à la « croyance » au sens du Code va dans le sens de donner plein effet aux éléments fondamentaux du droit à la liberté de religion et de conscience prévu au paragraphe  2(a) de la Charte[264].

En même temps, le degré de correspondance qui existe ou devrait exister entre les visées et objectifs de la jurisprudence relative à l’« égalité » aux termes du Code et les visées et objectifs de la jurisprudence relative à la liberté aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte demeure matière à discussion. Certains penseurs mettent en garde contre l’« impérialisme de la Charte »[265] et le chevauchement de ces analyses et objectifs distincts dans de récentes décisions judiciaires. Dans Freitag v.Penetanguishene (Town) 2013 TDPO 893 (CanLII), la décision du Tribunal établie une distinction claire entre les mesures de protection garanties par la Charte et le Code en matière de religion et de croyance[266].

Il n’est pas déraisonnable de penser qu’on devrait plutôt comparer et harmoniser les dispositions du Code en matière de discrimination fondée sur la croyance avec le paragraphe 15(1) de la Charte (« tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur […] la religion […] »), auquel ces dispositions s’apparentent davantage[267]. Aucune mention n’étant faite à l’article 15 de la Charte des questions de conscience et de conviction sans fondement religieux certains diront que les interprétations du Code devraient aller dans le même sens[268]. La CODP n’a pas connaissance de cas de reconnaissance de la conscience à titre de motif analogue.

Selon la Politique sur la croyance de la CODP de 1996 « [l]a liberté religieuse est le principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p. 5). D’indiquer une note de fin d’ouvrage, la CODP en arrive à cette interprétation à la lecture du Préambule du Code[269]. Beaucoup semble dépendre de la façon dont on interprète l’objet du Code, et plus particulièrement de la façon dont on compose avec le recoupement des objectifs de protection de la dignité individuelle et des visées sociales plus générales comme la création d’un « climat de respect mutuel » et la promotion de l’« égalité des droits et des chances sans discrimination »[270]. Si le libellé du Préambule est nettement au cœur de cette question, les tribunaux ont clairement affirmé l’importance de tenir également compte de la manière dont les tribunaux supérieurs des différentes compétences ont interprété les lois relatives aux droits de la personne dans leurs décisions.[271]

2.1.5 Interprétation libérale et téléologique du Code

Certains analystes et penseurs du milieu juridique soutiennent que l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques aux croyances protégées par le Code répond principalement à une interprétation libérale et téléologique du Code, comme l’exige son statut « quasi constitutionnel »[272]. Ils s’appuient sur des décisions judiciaires indiquant que :

  1. les lois relatives aux droits de la personne devraient être interprétées de façon libérale et téléologique conformément à leur statut quasi constitutionnel[273]
  2. les ambiguïtés perçues (comme la portée de la définition du terme croyance) devraient être interprétées de façon à promouvoir les objectifs de la loi, soit prévenir la discrimination[274].

Conscients de la fonction et du mandat progressifs de la CODP[275], certains analystes soutiennent que « la protection au même titre des croyances similaires, sans égard à leur fondement religieux ou laïque », cadre tout à fait avec l’esprit et le mandat du Code et de la CODP[276].

Ce point de vue trouve des appuis dans une décision de 2013 du TDPO, qui portait sur l’inclusion de l’athéisme au nombre des croyances protégées par le Code des droits de la personne. Dans cette affaire, l’arbitre et président associé du Tribunal, David Wright, a tranché de façon décisive en faveur du requérant, affirmant qu’« une interprétation libérale et téléologique de l’interdiction de la discrimination fondée sur la croyance s’étend à l’athéisme et, par conséquent, qu’il est interdit, au sens du Code, d’exposer une personne à de la discrimination parce qu’elle est athée »[277].

2.2 Tendances sociales : Laïcisation et nature changeante des convictions

« Je pense qu’il existe un argument de taille en faveur d’étendre la croyance au-delà de la religion lorsque des convictions similaires ont une importance similaire pour une personne non croyante. »
– Participant à l’atelier juridique de mars 2012

 « [L]a distinction établie [entre les croyances religieuses, qui sont pleinement protégées aux termes du Code, et les systèmes de convictions laïques, morales ou éthiques, qui ne le sont pas] semble arbitraire aux yeux de bien des observateurs, et laisse entendre que les croyances familières ou privilégiées constituent de “vraies” convictions, tandis que les croyances nouvelles ou différentes ne constituent pas des convictions ou constituent des pseudo-convictions[278]. »

Les transformations qu’ont subies la société et ses convictions à l’ère contemporaine offrent un autre argument central à l’appui de l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques à la définition de la croyance. Le sens que les gens donnent à leur vie et au monde[279] a considérablement changé durant l’époque moderne, et plus particulièrement depuis les années 1960. De soutenir certains observateurs, la religion n’est plus l’unique ou principale autorité en matière de morale et d’identité en cette ère contemporaine, mais plutôt une parmi tant d’autres. Selon ces observateurs, il est particulièrement important de reconnaître au même titre les motivations religieuses et non religieuses à l’origine des convictions et de l’action morale dans l’environnement social actuel, caractérisé par la diversification et la personnalisation des systèmes de croyances, la décentralisation de la religion et le déclin de son importance, et la croissance du nombre de personnes professant des convictions non religieuses profondes (comme l’explique précédemment la section III, Historique et contexte).

L’idée que seules les religions ont des bases sociales et communales profondes, ou reposent sur des relations sociales inéquitables (et, par conséquent, qu’elles
sont les seules à mériter des protections et remèdes particuliers aux termes du Code) a également été contestée. Soulignant les similitudes entre les convictions laïques et religieuses profondes, et les questions de conscience, un participant à l’atelier juridique affirmait :

Si l’on pense aux éléments qui se chevauchent sans être identiques, on en arrive aux convictions profondes qu’on ne peut changer, ou qu’on peut uniquement changer à grand coût personnel. Nous ne sommes pas ici pour protéger les frivolités. Nous sommes ici pour protéger les personnes marginalisées, et les athées et pacifistes ont toujours été marginalisés au sein de la société.

D’autres, y compris certains penseurs du milieu des sciences des religions, soutiennent que les distinctions entre les convictions/pratiques religieuses et laïques s’estompent rapidement, comme l’illustre l’individualisme grandissant, la fluidité croissante des convictions, de l’identité et de l’appartenance religieuses et non religieuses, et le déclin de l’importance et du sens accordés aux formes de communautés stables de longue date. « Les convictions laïques peuvent jouer dans la vie de certaines personnes un rôle fondamental presque identique à celui que joue la religion dans la vie d’autres personnes », affirme également Labchuck en soulignant qu’il est difficile de tirer « un trait définitif entre les convictions religieuses et autres ». Selon elle :

Les deux types de convictions renvoient à des engagements directionnels qui contribuent à donner un sens et une orientation à la vie. Les convictions laïques pourraient bien constituer les équivalents éthiques et moraux des convictions religieuses. Elles pourraient jouer un rôle équivalent ou encore plus grand dans la vie des personnes qui y adhèrent que ne le joue la religion dans la vie des personnes qui vont à l’église, mais parfois ne respecte que du bout des lèvres les idéaux prêchés à leur lieu de culte.[280]

D’après Chiodo, « [l]e fait de reconnaître que les points de vue sans fondement religieux peuvent aussi constituer des prétentions exhaustives à la vérité », et fonctionner de façon similaire à la religion, pourrait aider à « changer notre façon d’envisager de nombreuses visions du monde [laïques] considérées à tort comme étant neutres »[281].

Si certains sont d’avis qu’il est tout simplement sage et raisonnable d’étendre les protections prévues par le Code aux convictions non religieuses compte tenu des tendances sociales actuelles, d’autres présentent des arguments en ce sens encore plus forts, reposant sur des considérations juridiques. Selon eux, le principe de l’interprétation libérale et téléologique du Code, conformément à son statut quasi constitutionnel, repose sur une interprétation organique et progressive des droits de la personne par les tribunaux, en accord avec l’évolution des tendances sociales, valeurs et conceptions de la société[282].

2.2.1 L’adoption d’une définition extensive de la croyance permet d’adapter les mesures législatives anti-discrimination à l’évolution des tendances au sein de la société

« Il est odieux d’entamer des procédures judiciaires en établissant une distinction entre des convictions légitimes et illégitimes. »
– Participant au dialogue stratégique de la CODP de janvier 2012

La CODP a entendu beaucoup d’arguments en faveur d’une définition extensive de la croyance qui ne se limiterait plus aux croyances religieuses, sans pour autant affirmer explicitement quels autres types de convictions (sans fondement religieux) pourraient bénéficier de mesures de protection relatives aux droits de la personne. De l’avis de certains, l’adoption d’une définition extensive de la croyance, soumise aux critères minimaux déjà établis par les tribunaux, permettra aux mesures de protection des droits de s’adapter et d’évoluer au rythme des développements sociaux émergents, des tendances en matière d’iniquité et de discrimination, et de la nature changeante et dynamique de la croyance et de sa pratique à l’ère moderne. D’autres soutiennent que l’absence d’une définition figée de la croyance fera en sorte que les adeptes de diverses croyances et fois minoritaires, comme la spiritualité autochtone, n’auront pas forcément à faire correspondre leurs convictions et pratiques à un quelconque modèle catégorique occidental prédéfini (p. ex. une religion) qui leur est, dans certains cas, étranger[283].

Dans son mémoire de janvier 2012 présenté dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP, Tenter de verser un océan dans un gobelet en carton : Un argument pour la « dé-définition » de la religionHoward Kislowicz soutien que « parce que les expériences religieuses vécues des individus et des communautés sont tellement diverses », et en constante évolution, « une réponse plus appropriée peut être de refuser d’adopter une approche globale, une définition a priori de toute religion » dans le but d’éviter de réprimer la liberté de religion au nom, ironiquement, de la religion[284].

Le même argument pourrait s’appliquer à la croyance. En fin de compte, Kislowicz plaide en faveur de l’approche de la common law visant à traiter les cas à mesure qu’ils se présentent[285], selon un raisonnement analogique contextuel (« si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard »)  plutôt qu’une définition abstraite de la notion de croyance. Selon l’auteur, le raisonnement analogique constitue déjà un principe fondamental du droit et, à ce titre, ne devrait pas susciter de crainte.

2.3. Cohérence par rapport aux lois et à la jurisprudence canadiennes et internationales

2.3.1 Droits de la personne sur la scène internationale

Pour appuyer leur position, les partisans d’une définition élargie de la croyance, qui inclurait les convictions laïques, éthiques et morales, citent la jurisprudence canadienne et internationale en matière de droits de la personne. Bien qu’ils n’aient pas force de loi chez nous à moins d’avoir été inclus à la législation du pays, les lois et instruments internationaux en matière de droit de la personne établissent les normes applicables aux lois et politiques internes en matière de droits de la personne. Les tribunaux canadiens peuvent citer explicitement ces lois et instruments internationaux au moment de rendre des décisions judiciaires, ce qu’ils ont d’ailleurs fait par le passé, particulièrement en cas d’ambiguïté quant à l’interprétation des lois canadiennes en matière de droits de la personne[286].

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Ce regroupement des droits afférents à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction dans le contexte du droit international, y compris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) de1966[287] et la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction de 1981[288], dont le Canada est signataire, peut être interprété comme un appel à l‘inclusion de l’ensemble de ces droits dans la législation nationale (comme l’exige l’article 7 de la Déclaration)[289] et dans les lois sur les droits de la personne des provinces[290]. Le droit international en matière de droits de la personne et les résolutions connexes témoignent également d’une réticence envers l’établissement de distinctions entre les systèmes de croyances dignes ou non de protection et envers le rejet des définitions subjectives de ces systèmes[291].

Dans R.C. v. District School Board of Niagara, le TDPO a explicitement affirmé la pertinence, à ce chapitre, de la jurisprudence et du droit internationaux en matière de droits de la personne[292].

En plus de souligner ces tendances du droit international, les partisans de l’inclusion des convictions non religieuses aux croyances protégées aux termes du Code donnent en exemple les lois d’autorités compétentes étrangères. Par exemple, l’Angleterre inclut la « religion et les convictions » au nombre des motifs de discrimination interdits aux termes de l’Equality Act de 2010 du pays, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, articles 9 et 14) et au droit international (voir la section 4.1 ci-après)[293]. La Nouvelle-Zélande et certains États américains étendent aussi leurs mesures de protection aux systèmes de croyances sans fondement religieux, comme
le véganisme éthique[294].

2.3.2 Jurisprudence canadienne

Bien qu’une bonne part de la jurisprudence relative au Code continue d’assimiler la croyance à la religion (comme il en a été question précédemment), il existe des exceptions notables à cette tendance. Une variété de causes ont mené à la conclusion que les croyances non religieuses peuvent constituer une croyance au sens où l’entend le Code, ou ont ouvert la voie à cette possibilité. En effet, les tribunaux semblent en général réticents à fournir une définition finale, faisant autorité, définitive ou fermée du terme « croyance ». Au lieu de cela, ils préfèrent procéder à une évaluation organique, analogique[295] et au cas par cas, ce qui a donné une variété de résultats (voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance).

Les tribunaux judiciaires et administratifs n’ont pas eu de difficulté à reconnaître une grande variété de convictions religieuses et spirituelles définies de façon subjective à des fins d’application du Code, y compris des pratiques spirituelles autochtones[296], la Wicca[297], l’huttérisme[298], le mouvement raëlien[299], le Falun Gong [300], l’Église universelle de Dieu [301] et la Rocky Mountain Mystery School[302]. Plus important encore, rien dans la jurisprudence n’interdirait l’élargissement de la définition de la « croyance » pour y inclure les convictions laïques, morales et éthiques. Il existe cependant des lignes directrices relatives aux limites que les tribunaux sont prêts à imposer à la portée de la notion de « croyance » (voir la section sur les critères minimaux, ci-après).

Parmi les exemples notables de décisions jurisprudentielles ayant envisagé une définition élargie de la croyance figurent R.C. v. District School Board of Niagara[303] et Hendrickson Spring Stratford Operations v. USWA, Local 8773. Dans ce dernier cas, l’arbitre a affirmé ce qui suit :

Le terme « croyance » au sens du Code a un sens large et peut être interprété comme comprenant presque tout système de croyances qui englobe un ensemble particulier de croyances religieuses, mais également nombre d’autres croyances philosophiques, profanes et personnelles – les « ismes » (dans la terminaison des mots comme « environnementalisme », « conservatisme », « libéralisme » ou « socialisme »)[304].

Dans Rand v. Sealy Eastern Ltd., le Tribunal a aussi envisagé la possibilité d’inclure les convictions non religieuses, citant à l’appui la définition du terme anglais « creed » figurant dans le Webster’s New International Dictionary, soit « parfois un sommaire de principes ou un ensemble d’opinions professées ou adoptées, et relevant de la science ou de la politique »[305].

Dans une autre décision de 1998 faisant autorité, Jazairi v. Ontario (Human Rights Commission)[306]la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de la CODP de ne pas soumettre une plainte à une commission d’enquête au motif que « les opinions politiques relatives à une question particulière, dans le présent cas le point de vue du requérant à propos du conflit israélo-palestinien, ne constituent pas une croyance au sens du Code ». La Cour a cependant reconnu que la définition de la croyance varie d’un dictionnaire à l’autre, et que certains lui donnent le sens de systèmes de croyances laïques[307]. Selon la Cour divisionnaire, le terme « croyance » pourrait inclure un ensemble exhaustif de principes, mais son sens comprend d’ordinaire une dimension religieuse. La Cour a ensuite explicitement affirmé la possibilité qu’une « perspective politique comme le communisme, composée d’une structure ou d’un système cohésif et reconnu de convictions » puisse constituer une croyance, mais qu’il n’était pas nécessaire de résoudre cette question dans le cadre de cette affaire[308]. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de la Cour divisionnaire. Elle a confirmé l’importance d’évaluer chaque affaire relative à la croyance sur les faits qui lui sont propres et a souligné que la question de savoir si d’autres perspectives politiques fondées sur un système cohésif de convictions pouvaient ou non constituer une « croyance » n’était pas une question sur laquelle elle devait trancher en l’instance. La Cour d’appel a observé que ce serait une erreur de traiter de questions aussi importantes dans l’abstrait.[309]

La tendance de plusieurs décisions à ne pas se prononcer sur la définition de la croyance, pour plutôt s’en tenir à une analyse à première vue de l’existence de discrimination au motif que la conviction ou pratique en cause pourrait constituer une croyance, peut être une indication de la réticence qu’ont les tribunaux à définir officiellement la notion de croyance[310].

La jurisprudence canadienne définit plus clairement la notion de religion. L’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada qui interprète le terme « religion » est la décision Amselem. Dans cette affaire, la Cour a adopté une définition large de la religion, en affirmant ce qui suit : 

Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et complet de croyances et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle[311].

La décision Amselem indique clairement que lorsqu’il s’agit de liberté de religion, seules les croyances, convictions et pratiques ayant un fondement religieux, par opposition à celles qui possèdent une source laïque ou sociale ou sont dictées par la conscience, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada[312].

Dans Amselem, la Cour a également souligné que la teneur du droit à la liberté de religion reconnu à toute personne aux termes de la Charte est extensive et repose sur les notions de choix personnel, d’autonomie et de liberté individuelle. Compte tenu de l’importance accordée par le tribunal aux choix personnels et à l’autonomie en tant que valeurs sous-jacentes et raison d’être des droits religieux, certains soutiennent qu’il n’y a pas de raison de ne pas étendre ces droits à d’autres types de convictions (y compris les convictions de son choix), et ce, au nom de ces mêmes valeurs. D’autres font valoir que l’importance accordée dans Amselem et dans des décisions subséquentes à la nature individuelle et subjective de la religion, par opposition à ses aspects communaux et associationnels distinctifs, ont brouillé les frontières entre la religion, la croyance et la conscience individuelle, rendant les distinctions entre les convictions religieuses et non religieuses « de plus en plus difficile à justifier »[313]. Selon Moon, « [l]’importance accordée à la conviction personnelle nous porte à nous interroger sur la raison pour laquelle on devrait traiter les convictions religieuses et autres convictions de façon différente »[314].


[240] Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (2002, p. 158-161), citant un bon nombre de décisions de la Cour suprême du Canada. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada affirme cette « présomption d’absence de tautologie » et, citant des décisions à l’appui, indique, au par. 38 :

[...]La professeure Sullivan signale d’ailleurs à la p. 210 de son ouvrage que « [l]e législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain. Chaque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur. » Comme l’explique l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au par. 28, « [s]uivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire ». Voir également l’arrêt Procureur général du Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, au par. 838.

[241] La « présomption de cohérence » s’applique aussi à l’ensemble des lois et suppose que les mesures législatives ne seront pas interprétées de manière à contrevenir les unes aux autres (pour en savoir davantage sur la prise en compte des mesures législatives parallèles, voir la note de fin de texte 243). Par conséquent, quand deux lois traitant du même sujet ou de sujets analogues emploient les mêmes termes ou des termes semblables, les tribunaux concluent habituellement que les mots ont les mêmes sens. À l’opposé, quand un mot différent est utilisé par des lois qui sont en d’autres points semblables, on peut supposer que l’Assemblée législative voulait donner au mot un sens ou un objet différent (Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes).

[242] Comme la présomption de cohérence, la « présomption d’absence de tautologie » peut être réfutée en attribuant un sens possible à un mot potentiellement tautologique pour lui donner une signification et éviter qu’il ne soit redondant, ou en expliquant pourquoi, en choisissant ce mot, l’Assemblée législative pourrait avoir voulu créer une redondance ou inclure des mots superflus. Quand le tribunal a des raisons de croire que l’Assemblée législative inclut intentionnellement des mots tautologiques, la présomption est plus facile à réfuter. Par exemple, le tribunal peut laisser entendre que l’Assemblée législative a choisi de créer la répétition pour se prémunir contre la confusion et la mauvaise application de la loi. La répétition peut également s’avérer nécessaire pour rendre la loi plus facile à comprendre pour les non-initiés. Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes.

[243] L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53 affirme la pertinence de la prise en compte des lois parallèles d’autres provinces et territoires au moment de tenter de déterminer et d’interpréter l’intention de la loi et le sens de ses éléments. Dans cette décision, le tribunal cite d’autres décisions à l’appui de ce principe, indiquant aux par. 57 et 58 :

L’intimé nous incite [...] à tenir compte des dispositions législatives parallèles des provinces et des territoires et nous convenons qu’il s’agit d’une entreprise utile en l’espèce. Évidemment, nous ne laissons pas entendre que la consultation des lois provinciales et territoriales s’avère toujours pertinente pour discerner l’intention du législateur fédéral. La professeure Sullivan confirme toutefois que la comparaison des lois fédérales, provinciales et territoriales portant sur un même sujet peut se révéler instructive (p. 419-420).

La Cour a déjà examiné en parallèle les dispositions législatives de différents ressorts. Ainsi, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, le juge Sopinka étudie quelques lois provinciales comparables afin de déterminer si la loi fédérale considérée permet à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique de décider qui est un employé en application de sa loi habilitante (p. 631-632). De même, dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, le juge Estey recourt à une analyse comparative de la loi manitobaine et de celles d’autres provinces pour décider si la ville de Winnipeg entendait geler des évaluations foncières (p. 504-505).

Les tribunaux ont fait preuve d’un désir assez profond d’assurer l’uniformité des lois relatives
aux droits de la personne du Canada. Par conséquent, ils ont semblé imposer aux assemblées législatives le fardeau d’envoyer, s’il en est, un message clair de leur désir de s’éloigner de l’approche nationale en matière de droits de la personne au moyen du langage utilisé dans la loi. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353 en a fait la démonstration en indiquant,
au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

Par conséquent, on pourrait soutenir dans certains cas, plus particulièrement lorsque l’assemblée législative l’a signalé de façon explicite, que l’emploi de mots différents par des lois dont l’objet est similaire montre que l’Assemblée législative voulait donner à ces mots des sens différents, conformément à la « présomption d’absence de tautologie ».

[244] B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 RCS 403, au par. 42.

[245] ibidem

[246] Amselem, supra, note 137, par. 39, indique que lorsqu’il s’agit de liberté religieuse, seules les croyances, convictions et pratiques tirant leur source d’une religion, par opposition à celles qui soit possèdent une source séculière ou sociale, soit sont une manifestation de la conscience de l’intéressé, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada.

[247] Supra, note 137.

[248] Wali v. Jace Holdings Ltd. [2012], CHRR Doc. 12-0389, 2012 BCHRT 389.

[249] Dans cette affaire (ibidem), l’arbitre du tribunal, Enid Marion, a fait remarquer au par. 106 : Le Code ne définit pas la « conviction politique » et le tribunal n’a pas formulé d’observations complètes sur le sujet. Cependant, dans Croxall c. West Fraser Timber Co., 2009 BCHRT 436 [CHRR Doc. 09-2826], le tribunal a indiqué que :

Le motif de la conviction politique n’est pas défini dans le code et le tribunal n’a pas eu maintes occasions d’établir un argument juridique exhaustif et d’élaborer sa définition.

Dans Prokopetz and Talkkari v. Burnaby Firefighters' Union and City of Burnaby, 2006 BCHRT 462 [CHRR Doc. 06-621], au par. 31 (Prokopetz), le tribunal a résumé les quelques causes qui traitaient de la conviction politique en tant que motif et en a ressorti deux principes sous-jacents. Le tribunal a conclu que la conviction politique au sens du code
doit être définie de manière libérale et sa portée ne doit pas être restreinte, d’un côté, aux convictions politiques partisanes ni étendue, de l’autre, de façon illimitée (aux par. 19-20).

Dans sa décision de conclure à la légitimité de la requête des requérants au motif de la conviction politique aux termes du code de la Colombie-Britannique, le tribunal a déclaré, aux par. 117 et 119 :

À mes yeux, la libre expression des membres de l’ordre en matière de réglementation de leur profession s’inscrit dans la portée de la conviction politique compte tenu du cadre législatif régissant les activités de l’ordre et du mandat réglementaire exprès donné à l’ordre par le gouvernement relativement aux techniciens en pharmacie. Il s’agissait d’une nouvelle initiative légiférée qui concernait le bien-être de la population et était source de discussion
au sein du milieu de la pharmacie. 

J’accepte que l’expression de la conviction de M. Wali ait trait à un système de « coopération sociale », c’est-à-dire le contrat social entre le gouvernement, l’ordre et la population relativement à la distribution sûre de médicament pharmaceutique.

Thrifty admet que la position adoptée par M. Wali auprès de l’ordre avait joué un rôle dans son licenciement. Puisque j’ai conclu que la position de M. Wali s’inscrit dans la portée de la conviction politique au sens du code, je conclus que cet aspect de la plainte de M. Wali était également justifié.   

[250] Labchuck (2012) s’inspire de l’ouvrage de Ruth Sullivan intitulé Driedger on the Construction of Statutes [Butterworth Canada Ltd, 3e éd. (1994), Chapitre 3 : « Avoiding Absurd Consequences »]. Elle attire aussi l’attention sur les justifications du recours à des interprétations extensibles de dispositions législatives par les tribunaux pour éviter de telles absurdités. Elle donne en exemple Campbell (G.T.) & Associates Ltd. v Hugh Carson Co.,[1979] 99 DLR (3d) 529 (CA ON).

[251] Voir Labchuck (2012) et Szytbel (2012).

[252] Voir Sztybel (2012) et Kislowicz (2012). Dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique, la professeure de droit Winnifred Sullivan a parlé de la difficulté de définir la religion en droit de manière à protéger la liberté religieuse tout en délimitant, du même coup, cette liberté (au moyen de la définition préventive).

[253] « Bien qu’il y ait peut-être un argument à faire pour exclure le terme "laïque", on peut difficilement rendre compte de l’exclusion des croyances morales ou éthiques, puisque la religion n’est que l’un des arbitres de la morale et l’éthique (McCabe et coll., 2012). » Benson (2012b) attire l’attention de façon similaire sur le problème logique que constitue toute tentative de départir les considérations non seulement morales et éthiques, mais également politiques (sauf de la définition de la croyance) des préoccupations proprement religieuses. Selon lui, la dimension politique doit englober les considérations morales et éthiques.

[254] Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, Markham, LexisNexis Canada Inc., 2008, p. 101-102.

[255] R. c. Turpin, [1989] 1 RCS 1296 aux par. 1313 et 1314.

[256] Supra, note 8, au par. 42. Le président associé David Wright a affirmé : « Je me fie à la traduction française "croyance" que l’on retrouve dans le Code, laquelle reflète une conception plus large de la croyance qui tient compte des convictions plutôt que de la seule identification à un ensemble structuré d’opinions religieuses ».  

[257] R c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, au par.179. Voir aussi R. c. Little, 2009 NBCA 53 (CanLII), au par. 6, indiquant de façon incidente : « Bien sûr, le paragraphe 2(a) ne se limite pas à protéger les convictions religieuses. Il ouvre la porte aux objecteurs de conscience dont le jugement s’inspire d’autres sources. »

[258] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 235, au par. 90. Voir Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 aux par. 208 et 209.

[259] R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC) [1986] 2 R.C.S. 713, par. 759. Voir Chiodo (2012a); Chiodo (2012b).

[260] [1994] 2 F.C. 406, 1994 CanLII 3453 (CAF).

[261] R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30. Dans cette affaire, la Cour suprême a aboli une disposition du Code criminel qui limitait l’accès à l’avortement, parce qu’elle portait atteinte, de façon injustifiable, à l’art. 7 de la Charte. Dans son opinion concordante, la juge Wilson indiquait :

[D]ans une société libre et démocratique, la « liberté de conscience et de religion » devrait être interprétée largement et s’étendre aux croyances dictées par la conscience, qu’elles soient fondées sur la religion ou sur une morale laïque. D’ailleurs, sur le plan de l’interprétation législative, les termes « conscience » et « religion » ne devraient pas être considérés comme tautologiques quand ils peuvent avoir un sens distinct, quoique relié.

[262] Chiodo (2012a) cite Mortillaro v. Ontario (Minister of Transportation), 2011 OHRT 310 (CanLII), au par. 61; Ontario (Director, Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593. Cependant, étant donné que ces deux causes ont trait à des interprétations congruentes de l’analyse de la discrimination au sens du Code et de l’art. 15 de la Charte, elles sont peut-être peu applicables au par. 2(a) de la Charte. Labchuk cite la décision de la juge McLachlin dans R. v. Zundel, [1992] 2 RCS 731 qui établissait que lorsqu’on peut tirer de la législation deux interprétations tout aussi convaincantes, le tribunal devrait privilégier une interprétation qui fait la promotion des principes et valeurs de la Charte, plutôt qu’une qui ne la fait pas.

[263] Dans McKenzie v. Isla, 2012 OHRT 1908 (CanLII), le vice-président Ken Bhattacharjee cite les affaires ci-après qui affirment ce principe (au par. 33) : Taylor-Baptiste v. Ontario Public Service Employees Union, 2012 OHRT 1393 (CanLII); Dallaire v. Les Chevaliers de Colomb, 2011 OHRT 639 (CanLII); et Whiteley v. Osprey Media Publishing, 2010 OHRT 2152 (CanLII).

[264] Voir Labchuck (2012) et Chiodo (2012a).

[265] Ce terme a été employé par un participant durant une séance de consultation de la CODP. Consulter Ryder (2012b) pour en apprendre davantage sur les liens entre les analyses de la discrimination au sens du Code et au sens de la Charte. Voir aussi Huang v. 1233065 Ontario, supra, note 14, au par. 28, dans lequel sont citées quelques décisions portant sur les liens entre le Code et la Charte, et R. v. Badesha, 2011 ONCJ 284 (CanLII). Dans la décision de 2010 de la cour d’appel de la Colombie-Britannique British Columbia (Ministry of Education) v. Moore, 2010 (CanLII) BCCA 478, au par. 51, la juge Rowles affirmait dans son opinion dissidente (que la Cour suprême a largement suivi en appel)  que la jurisprudence prise en application de la Charte devrait « informer de façon appropriée l’analyse législative, sans la dominer ». À l’appui de son opinion, la juge Rowles cite Leslie Reaume :

« [...]les emprunts au contexte de la Charte dans le cadre législatif sont appropriés pour autant que l’exercice enrichisse l’analyse relative à l’égalité réelle, respecte les limites de l’interprétation des lois et serve l’objectif et le statut quasi constitutionnel de la loi habilitante » (au par. 375; cité dans Ryder, 2012b, p. 12). 

[266] Freitag v. Penetanguishene (Town) [2013] OHRT 893. Dans cette décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (2013), l’arbitre, Leslie Reaume, soutient : « [...] La Charte et le Code sont des instruments législatifs distincts et l’établissement de la contravention du par. 2(a) de la Charte ne permet pas de conclure à la discrimination dans la cause portée devant moi en application du Code » (au par. 27). Elle poursuit en indiquant, au par. 42 :

« [D]ans la mesure où l’on reprend dans les analyses relatives au Code des observations faites dans le cadre d’affaires relatives au [paragraphe 2(a) de la Charte], on doit prendre ces observations en compte d’une manière qui est conforme aux principes d’interprétation législative de longue date qui régissent l’analyse de la discrimination menée aux termes du Code. Et bien qu’il existe des liens évidents entre le paragraphe 2(a) de la Charte et le concept de discrimination, les différentes méthodes d’interprétation de la Charte et du Code soulèvent la possibilité que l’on obtienne deux conclusions différentes, même quand les questions et éléments de preuve à l’étude sont de nature semblable. » 

[267] Dans Freitag c.Penetanguishene, l’arbitre du TDPO, Leslie Reaume, établit une autre distinction entre le Code et les protections conférées en matière de discrimination par l’article 15 de la Charte, en indiquant, au par. 41 :

Même dans le cas des affaires faisant intervenir l’article 15, lorsque la question de la discrimination est au cœur de l’analyse, les tribunaux ont établi qu’il existe des différences considérables à la manière dont on interprète la Charte et le Code. Voir Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593.

[268] Prenons par exemple Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 (CanLII). S'exprimant au nom de la Cour unanime, le juge Stratas indique ce qui suit, au par. 19  : La jurisprudence en matière d’égalité sous le régime de la Charte nous éclaire sur la teneur de la jurisprudence en matière d’égalité relevant des lois sur les droits de la personne, et réciproquement (voir, par ex. Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, aux par. 172-176; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au par. 27;[Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (CanLII)] au par. 30; [Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5 (CanLII)] aux par. 319 et 328) ».

Les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte sont les suivants :

15.(1) La loi ne fait exception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

De plus, le paragraphe 15(2) soulève une préoccupation plus générale en matière d’égalité réelle ayant trait à l’« [amélioration de] la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Il indique :

15.(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[269] À ’appui du fait qu’elle qualifie la liberté de religion de « principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p.5), la politique de 1996 indique (dans sa note de fin de texte no 7) :

Ce principe est exprimé dans le préambule du Code qui dit de façon expresse que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [...] [qui vise] à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon à ce que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l’avancement et au bien-être de la collectivité et de la province.

[270] Par exemple, Labchuck (2012), dans son appel à l’extension de la définition de la croyance, accorde une importance relative à l’objectif du Code visant à protéger la dignité humaine de la personne. Labchuck décrit de la façon suivante l’esprit, l’intention et la visée des lois relatives aux droits de la personne : « protéger au maximum la dignité humaine ». D’autres participants au dialogue stratégique et à l’atelier juridique de 2012 ont effectué une lecture du Code davantage ancrée dans la dimension sociale, en insistant sur le rôle que jouent les lois relatives aux droits de la personne dans l’élimination progressive des « pratiques sociales d’exclusion ».

[271] Les tribunaux ont démontré un désir profond d’uniformiser la législation canadienne en matière de droits de la personne. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, en a fait la démonstration en indiquant, au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de
l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

[272] Voir par exemple Labchuck (2012), Chiodo (2012a), McCabe et coll. (2012), Benson (2012b) et Szytbel (2012).

[273] Labchuck (2012) et Chiodo (2012b) citent tous les deux Insurance Corp of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 RCS 145 à cet égard.

[274] Selon Labchuck (2012), la Cour suprême du Canada a approuvé ce concept dans Dickason c. Université de l'Alberta [1992] 2 RCS 1103, au par. 115.

[275] Chiodo (2012a) et Labchuck (2012), entre autres personnes, attirent l’attention sur l’affirmation explicite, dans le Code, du besoin d’interpréter et de promouvoir progressivement les objectifs du Code.

[276] Labchuck (2012).

[277] R.C. v. District School Board of Niagara, supra note 8, au par. 43.

[278] Chiodo, 2012b, p. 19

[279] Charles Taylor s’est abondamment prononcé sur la quête de sens et d’authenticité à l’ère moderne, fondée sur des sources aussi diverses que la religion, la spiritualité et (ou) l’humanisme laïque (Taylor, 1989).

[280] Labchuck (2012).

[281] Chiodo (2012a). Voir Benson (2012).

[282] Parfois, ce besoin de promouvoir les objectifs des droits de la personne peut amener les tribunaux à chercher à y parvenir même là où la lettre de la loi est limitée. À l’appui de ce principe, Labchuck cite la décision Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears (O’Malley), [1985] 2 RCS 536, dans laquelle le tribunal a laissé présager une obligation d’accommodement, malgré son absence du Code à l’époque.

[283] Bien que les tribunaux aient donné à la définition de la religion et de la croyance une portée vaste qui inclut de nombreuses croyances et pratiques religieuses non occidentales, on a l’impression de devoir continuer de qualifier celles-ci de « religion », dont le concept, de l’avis de certains, a été élaboré principalement en ayant à l’esprit les traditions religieuses occidentales (p. ex. Voir Huang, supra, note 14).

[284] À cet égard, Kislowicz (2012) s’inspire du travail de la penseuse du milieu juridique américain Winnifred Fallers Sullivan, qui a lancé un appel semblable dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 lors du dialogue stratégique de la CODP. David Seljak (2012) a similairement mis en garde contre le fait d’établir une quantité excessive de règles et de définitions, et de rendre les droits relatifs à la croyance trop spécifiques, d’une façon qui empêcherait de donner une interprétation plus vaste et dynamique aux notions de religion et de croyance : « [N]ous ne pouvons pas protéger ce que nous ne pouvons pas voir et la façon dont nous définissons la religion va déterminer ce que nous voyons - et ne voyons pas – comme étant digne de protection et de promotion » (Seljak, 2012, p. 11).

[285] Kislowicz, 2012, p.31.

[286] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux par. 69-71.

[287] L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques inclut les dispositions suivantes :

  1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
  2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.
  3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
  4. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

[288] Voir Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981 à l’adresse :[www2.ohchr.org/english/law/pdf/religion.pdf].

[289] L’article 7 de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, stipule : « Les droits et libertés proclamés dans la présente Déclaration sont accordés dans la législation nationale d'une manière telle que chacun soit en mesure de jouir desdits droits et libertés dans la pratique. »

[290] L’Article 28 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et l’article 50 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipulent que les dispositions de ces pactes (y compris l’article 18 du PIDCP) s’appliqueront à toutes les unités constitutives des États fédératifs sans limitation ni exception aucunes. Pour en savoir davantage, consulter le document de recherche de la CODP intitulé Les commissions des droits de la personne et les droits économiques et sociaux (www.ohrc.on.ca/fr/les-commissions-des-droits-de-la-personne-et-les-droits-%C3%A9comomiques-et-sociaux).

[291] Dans son observation no 22 sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui commente l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité affirme ce qui suit :

  • L’article 18 englobe la liberté de pensée dans tous les domaines, les convictions personnelles et l’adhésion à une religion ou une croyance, manifestée individuellement ou en commun.
  • La liberté de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction (au par. 1).
  • L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, y compris le droit de ne professer aucune religion ou conviction.
  • Les termes « conviction » et « religion » doivent être interprétés au sens large.
  • Le droit protégé à l’article 18 ne devrait pas être limité aux religions traditionnelles ni être discriminatoire à l’égard de toute religion ou conviction pour quelque motif que ce soit (y compris le fait qu’elle est nouvellement établie ou associée à des minorités religieuses) (au par. 2).

Le Comité des droits de l’homme est un organe composé de 18 experts indépendants. Les États signataires doivent soumettre des rapports sur la façon dont les droits sont mis à exécution (habituellement tous les quatre ans). Le Comité fait ensuite part de ses commentaires et suggestions. L’article 41 du PIRDCP permet au Comité de traiter les plaintes déposées contre un État partie par un autre État partie. Le Premier protocole facultatif permet au Comité de traiter les plaintes individuelles déposées contre des États signataires. 

Dans un paragraphe traitant des « minorités religieuses et nouveaux mouvements religieux » d’un autre rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction (2006) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Asma Jahangir fait remarquer ([A/HRC/4/21], aux par. 43-47), entre autres, que :

  • la croyance en l’existence d’un être suprême, des rituels ou un ensemble de règles morales et sociales, ne sont pas propres aux religions; on trouve aussi ces éléments dans les idéologies politiques
  • l’établissement d’une distinction entre sectes et les nouveaux mouvements religieux est compliqué par le fait qu’aucun instrument international relatif aux droits de la personne ne contient de définition des concepts de religion, de secte ou de nouveau mouvement religieux
  • “les termes « sectes », « religions » et « nouveaux mouvements religieux » doivent tous être clarifiés
  • la définition d’une religion ou d’une croyance est extrêmement complexe.

Ce rapport discute de défis semblables à l’échelle internationale lorsqu’il s’agit de composer avec la diversité de croyance et les définitions connexes. Parmi les autres points mentionnés dans ce rapport relativement à l’interprétation de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, figure :

  • Rosalyn Higgins (membre du Comité des droits de l’homme lors de la rédaction de l’observation générale no 22) était opposée à l’idée qu’un État partie puisse décider de ce qui constitue et ne constitue pas une croyance religieuse véritable - les fidèles devraient eux-mêmes décider.
  • le Rapporteur spécial Abdelfattah Amor a indiqué ce qui suit : « il n’appartient ni à l’État, ni à un quelconque autre groupe ou communauté de prendre en tutelle la conscience des gens et de favoriser, d’imposer ou de censurer une croyance religieuse ou une conviction » (rapport du Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse [E/CN/4/1997/91], au par. 99).
  • Le Rapporteur spécial Riberiro a indiqué que l’ancienneté d’une religion, son caractère révélé et l’existence d’un texte écrit ont leur importance même s’ils ne sont pas suffisants pour faire une distinction entre religions, sectes et associations (1990).

Un autre rapport d’activité de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction de l’Assemblée générale des Nations unies (2009) affirme de façon similaire qu’« [I]l appartient aux fidèles eux-mêmes de définir les contenus d’une religion ou d’une conviction ».

[292] Supra, note 8. Dans cette décision du TDPO (2013), le TDPO s’est fié aux protections conférées

à l’échelle internationale au moment d’interpréter le motif de la croyance aux termes du Code de l’Ontario :

Je me suis également fié au fait que les lois relatives aux droits de la personne incluent des mesures de protection de l’athéisme dans le contexte de la liberté de religion. Comme l’a conclu la Cour suprême dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 70, « les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». L’article 18(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Canada, stipule ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. [40]

Bien que son libellé parle de « religion ou conviction », l’article 18, à mes yeux, a les mêmes objectifs que la protection de la croyance au sens du Code. L’article 2 de l’observation générale de 1993 rédigée sur cet article par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, doc. des N.-U. CCPC/C/21/Rev.1/Add/4L, indique clairement que les convictions athées et la non-conviction sont protégées dans ce traité international fondamental relatif aux droits de la personne :

L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes conviction et religion doivent être interprétés au sens large. L’article 18 n’est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles (aux par. 40 et 41).

[293] Voir Donald (2012).

[294] Voir Labchuck (2012).

[295] Voir Kislowicz (2012) pour en connaître davantage sur les points forts de cette approche analogique.

[296] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General), supra, note 11.

[297] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), supra, note 12.

[298] Hutterin Brethren, supra, note 160.

[299] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 TDPO 2460 [CanLII), Gilbert v. 2093132 Ontario Inc., 2011 OHRT 672 (CanLII).

[300] Huang, supra, note 14.

[301] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.

[302] Dans cette décision arbitrale particulière au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[303] Supra, note 8.

[304] Hendrickson Spring v. United Steelworkers of America, Local 8773 (Kaiser Grievances), [2005] O.L.A.A. No. 382, 142 L.A.C. (4th) 159.

[305] Rand v. Sealy Eastern Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/938 (comm. d’enquête Ont.), D/942. Il s’agit de l’une des premières décisions portant sur la croyance en Ontario. Le professeur Cumming, qui entendait la plainte d’un homme sikh à qui on avait refusé un emploi parce qu’il portait la barbe et le turban, a décrit la croyance comme étant dérivée du mot latin « credo » qui signifie « je crois ». Il a aussi examiné les définitions suivantes des dictionnaires de langue anglaise Oxford et Webster :

Dans le Oxford : sous « Creed » – « Un système accepté ou professé de croyances religieuses : la foi d’un individu ou d’une collectivité, en particulier de la façon dont elle s’exprime ou est susceptible d’expression dans une formule définie. »

Dans le Webster : sous « Creed » - « Toute formule de confession d’une foi religieuse;
un système de croyances religieuses, en particulier de la façon dont il est exprimé ou exprimable dans un énoncé défini; parfois, un sommaire des principes ou d’un ensemble d’opinions professés ou acceptés en sciences, en politique, ou autres domaines semblables; en tant que croyance d’espoir (hopeful creed) ».

[306] [1997] CanLII 12445 (CA ON), confirmé en 1999 CanLII 3744 (CA ON).

[307] ibidem, par. 39. Dans son mémoire à la CODP (McCabe et coll., 2012), l’Ontario Humanist Society, cite d’autres définitions et étymologies semblables de dictionnaires qui dérivent plus généralement le terme « croyance » du latin « credo », signifiant « je crois », sans aucune implication ou nécessité de fondement religieux.  

[308] ibidem, par. 40.

[309] Décision Jazairi [1999] de la Cour d’appel de l’Ontario (supra, note 306, par. 28). Dans une décision récente, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande d’un intimé d’annuler une requête relative aux droits de la personne afférente à une poursuite au civil. Le requérant alléguait qu’il avait été licencié pour avoir fait part de ses opinions sur le conflit armé en Syrie, lesquelles étaient inextricablement liées à son identité en tant que musulman et Canadien d’origine syrienne. L’intimé soutenait que la requête reposait sur de la discrimination fondée sur des « opinions politiques », auxquelles le Code ne s’applique pas. La Cour supérieure a cité la décision Jazairi de la Cour d’appel et conclu que le tribunal avait expressément laissé le champ libre à l’inclusion d’autres systèmes de convictions politiques aux croyances reconnues. Compte tenu des éléments de preuve à sa disposition, la Cour supérieure a conclu qu’elle ne pouvait pas (pour les besoins d’une requête en radiation) conclure que les opinions du requérant ne constituaient pas une croyance; voir Al-Dandachi, supra, note 9.

[310] Par exemple, dans Sauve v. Ontario (Training, Colleges and Universities), 2009 OHRT 1415 (CanLII), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a conclu qu’il n’avait pas à décider si l’Église métaphysique et la lecture du tarot étaient assimilables à une croyance : « je conclus que même si le tarot pouvait être juridiquement compris dans la définition de croyance aux termes du Code, la décision de refuser les prestations pour travailleurs autonomes n’était pas fondée sur la lecture des cartes de tarot. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si le tarot dans le contexte de cette cause constitue une croyance selon la jurisprudence pertinente [...] » (au par. 39). Voir également Hayes v. Vancouver Police Board and another (No.2), 2010 BCHRT 324 (CanLII) qui porte sur le paganisme. Dans d’autres affaires, les décisionnaires ont accepté, sans discussion ou analyse poussée, qu’un système de convictions ou de croyances constituait bel et bien une croyance et se sont plutôt concentrés sur la question de savoir quelles pratiques étaient protégées. Par exemple, dans une décision arbitrale au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[311] Supra, note 137, au par. 69.

[312] Ibidem.

[313] Chiodo (2012b, p. 19) soutient ce qui suit :

Étant donné que les convictions perdent graduellement leurs caractéristiques d’association pour devenir de plus en plus personnelles, la distinction entre les convictions religieuses et non religieuses devient difficile à justifier. En effet, aux yeux de nombreux observateurs, cette distinction semble arbitraire et laisse entendre que des croyances familières ou privilégiées constituent des convictions véritables, à l’opposé des croyances nouvelles ou différentes, qui ne seraient pas des convictions ou constitueraient uniquement des pseudo-convictions.

[314] Moon, 2012a.

 

3. Arguments à l’appui du maintien de la définition de « croyance » de la politique de 1996, fondée sur la notion de « religion »

3.1 Lois sur les droits de la personne et objectif d’égalité

Bon nombre des arguments présentés à la CODP en faveur du maintien de la définition actuelle de la croyance, qui assimile cette notion à la religion, s’articulent autour de la crainte d’un éventuel « assouplissement » de l’objet et de la visée des lois relatives aux droits de la personne. Les tenants de ce point de vue nous ont rappelé à quel point il était important de se remémorer l’objet original des mesures de protection des droits de la personne au moment d’examiner la question de la définition de la croyance. D’affirmer certains, l’objet principal des lois relatives aux droits de la personne était de lutter contre la discrimination qui est fondée sur des inégalités sociales, l’exclusion sociale et les préjudices historiques auxquels se heurtent les groupes vulnérables et marginalisés de la société, et les reproduit. Un participant à l’atelier juridique a fait la remarque suivante :

Je ne veux pas assouplir la loi afin que les personnes en situation de pouvoir, qui jouissent de privilèges, puissent l’utiliser pour consolider le pouvoir qu’elles ont déjà. Nous voulons être inclusifs, mais pas au point d’appliquer les motifs de discrimination interdits à tout un chacun […] Si vous assouplissez la politique [définition], vous serez sur une pente savonneuse et devrez très vite traiter de questions qui débordent l’intention originale des codes des droits de la personne. À ce moment-là, vous aurez perdu votre mécanisme de protection et de promotion des droits des groupes vulnérables et marginalisés identifiables[315].

Les défenseurs de ce point de vue avaient tendance à insister sur le fait que l’aspect collectif des désavantages sociaux et stéréotypes auxquels se heurtent les groupes protégés à l’heure actuelle par le Code était une des conditions de base de la protection de ces groupes aux termes du Code. Selon eux, le virage amorcé dans de récentes décisions jurisprudentielles, qui s’éloignent de l’analyse abstraite formelle de la discrimination à première vue centrée sur la dignité humaine et les groupes de comparaison au profit d’interprétations plus contextuelles et téléologiques prenant en compte les rapports historiques et sociaux de pouvoir et d’iniquité, va dans le sens de ce point de vue[316].

D’autres pourraient répondre que les communautés confessionnelles protégées à l’heure actuelle par le Code ne sont pas toutes désavantagées sur le plan social. D’ailleurs, comme en faisait plus tôt état la section Historique et contexte, certaines communautés confessionnelles pourraient bénéficier d’avantages et de privilèges structurels au sein de la société ontarienne, du moins à certains égards. De toute façon, même si la CODP élargissait la définition de la croyance établie dans sa politique, les affaires soumises aux tribunaux judiciaires et au TDPO seraient encore tenues de satisfaire aux critères de discrimination à première vue, lesquels peuvent prendre en compte le désavantage d’ordre social actuel ou passé, et les contextes d’iniquité sociale[317].

Certains penseurs du milieu juridique insistent sur le besoin d’effectuer une distinction entre l’objectif des lois relatives aux droits à l’égalité (p. ex. protection contre la discrimination fondée sur la croyance aux termes du Code) et l’objectif des lois relatives aux droits à la liberté (p. ex. protection de la liberté de religion aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte)[318]. Selon eux, les premières abordent les désavantages et l’iniquité d’ordre social et historique, en tenant compte, comme il se doit, des dynamiques sociales générales de pouvoir et d’iniquité dans le but d’interdire et d’éliminer les cas de discrimination et de traitement inéquitable[319]. Les secondes auraient tendance à mettre davantage l’accent sur le droit des personnes de vivre à l’abri de la coercition de l’État ou de son ingérence dans les domaines de la religion et de la conscience[320], indépendamment du fait que cette coercition ou ingérence puisse être fondée sur des iniquités sociales, un désavantage collectif ou des stéréotypes par rapport à un groupe.

Bien que les tribunaux reconnaissent à la Charte une dimension de protection de l’égalité en matière de liberté de religion[321], certains penseurs du milieu juridique font état du poids disproportionnel accordé à la dimension de la liberté dans la jurisprudence relative au paragraphe 2(a) de la Charte[322]. S’opposant à la tendance qu’ont les tribunaux supérieurs à combiner et à confondre les droits à l’égalité de religion et de croyance prévus aux termes du Code et de l’article 15 de la Charte, et les droits à la liberté de religion prévus aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, Ryder, entre autres, souligne l’importance d’établir une distinction entre les objectifs distincts, malgré leurs chevauchements, de ces deux lois, en conseillant à la CODP de garder à l’esprit les visées particulières des lois relatives aux droits de la personne au moment d’évaluer ses options en matière de définition de la croyance dans sa politique[323].

3.2 Protections distinctes pour le caractère unique de la religion

D’avis que la religion est différente des autres types de systèmes de croyances, d’autres soutiennent que l’on commet une erreur catégorique, d’ordre potentiellement juridique, lorsqu’on omet d’établir une distinction entre, par exemple, des convictions politiques et éthiques, la conscience et la religion, étant donné que différents types de convictions nécessitent différents types de protection légale (p. ex. liberté d’expression par opposition à liberté de religion par opposition à liberté de conscience), conformément à leur statut et mode de fonctionnement uniques dans la vie des gens. Un participant à l’atelier juridique mettait en garde contre les dangers de tenter d’associer l’inassociable :

Quelques distinctions pourraient aider. Nous avons une longue tradition de protection des religions en tant que collectifs, de forces institutionnelles au sein de la société. [L’inassociable] fait référence aux nouvelles formes d’identité, qui reposent sur l’autonomie individuelle plutôt que l’aspect collectif des religions. C’est pour cette raison qu’elles devraient être jugées distinctes.

Diverses décisions judiciaires ont abordé la dimension collective de la religion et de la croyance[324]. Par exemple, dans 407 ETR Concession Company v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, CAW-Canada, un arbitre du travail affirme : « La croyance suppose un certain degré d’association entre les personnes ayant les mêmes convictions. Elle porte sur un ensemble de convictions communes et suppose un système de profession de foi quelconque[325]. » Dans son avis minoritaire dans l’affaire Hutterian Brethren[326], le juge LeBel a aussi insisté sur l’importance de reconnaître les aspects collectif et communal de la religion :

[La liberté de religion] englobe en outre le droit d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune […] La religion a trait aux croyances religieuses, mais aussi aux rapports religieux […] [cette cause] soulève des questions sur […] le maintien des communautés organisées autour d’une même foi.[327]

La juge en chef McLachlin, dans sa décision majoritaire, et la juge Rosalie Abella étaient aussi d’avis que la liberté de religion avait à la fois des dimensions individuelles et collectives. Cependant, la juge McLachlin a rejeté l’idée selon laquelle l’incidence de la mesure sur la communauté transformait la demande fondamentale de la colonie – la demande individuelle des plaignants en vue d’obtenir un permis sans photo – en revendication d’un droit collectif.

De façon similaire, la Politique sur la croyance de 1996 reconnaît l’aspect collectif de la religion lorsqu’elle fait référence au besoin d’évaluer les besoins du groupe religieux auquel appartient une personne, et d’en tenir compte (voir la discussion sur les « besoins du groupe » à la section V, 3.2)[328]. Cela est conforme à l’article 11 du Code traitant de la discrimination indirecte, qui fait aussi référence aux besoins du groupe auquel appartient la personne.

De nombreux penseurs du milieu juridique contestent cette omission de la dimension communale de la religion dans la jurisprudence traitant de la liberté de religion au sens du paragraphe 2(a) de la Charte, surtout depuis la décision Amselem.[329] Par exemple, Moon fait remarquer que :

L’importance particulière que revêt la pratique religieuse aux yeux des gens doit reposer en partie sur son caractère collectif, comme le fait qu’une pratique comme l’utilisation de la sukkah relie la personne à une communauté de croyants et fait partie d’un système commun de normes [...] [L’]accommodement religieux pourrait être motivé du moins en partie par le désir d’éviter la marginalisation de groupes identitaires[330].

D’autres ont mis en relief d’autres aspects uniques et distincts de la religion (par opposition à d’autres types de convictions) qui mériteraient des considérations juridiques particulières et leurs propres types de protection. Par exemple, des personnes ont souligné la portée et l’exhaustivité de l’engagement religieux, ainsi que la nature absolue et transcendante de ses revendications de la vérité, qui en soi pourraient poser pour l’autorité de l’État libéral des défis particuliers, différents de ceux d’autres types de convictions (moins toutes englobantes ou absolues)[331].

3.3 Distinction entre les droits fondés sur la conscience et la religion, et les protections existantes sans lien nécessaire avec la croyance

Plusieurs personnes nous ont aussi parlé de l’importance d’établir une distinction entre les questions de « religion » et les questions de « conscience », en partie pour les motifs présentés précédemment. Mettant en garde contre les dangers de combiner ces phénomènes interreliés, mais distincts sous une même catégorie, soit la « croyance », un participant affirmait ce qui suit :

L’histoire de la religion nous montre qu’il existe une composante collective inhérente, c’est-à-dire que le fait de s’identifier à une religion signifie que l’on s’identifie à un groupe et à un ensemble de permissions internes négociées par la personne […] Pour moi, la conscience est une composante individuelle de la religion. Je pourrais avoir un différend avec des membres d’un groupe confessionnel, et me fier à ma conscience. La conscience peut être l’antithèse d’une conviction religieuse. Je suis de plus en plus convaincu que les nouvelles religions devraient être considérées sous l’angle de la conscience plutôt que de la religion.

Le même participant a ensuite expliqué comment deux différents types de mesures juridiques de protection des droits, le premier un droit négatif (droit de vivre à l’abri de la coercition) et le second un droit positif (impliquant une obligation d’accommodement), pourraient ne pas nécessairement s’appliquer de façon égale aux deux types de convictions. Selon lui :

Nous avons peu de difficulté à dire que les gens ne devraient pas faire l’objet de coercition sur le plan de la conscience, mais les choses se compliquent lorsqu’on parle d’accommodement. Le véganisme éthique, qui relève davantage de la conscience que de l’appartenance à une communauté, en est un bel exemple […] Devrait-on prévoir des mesures d’accommodement de la conscience de la même façon qu’on le fait pour les religions? C’est une question importante et difficile à résoudre.

De l’avis de certaines personnes, la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP confère suffisamment de droits (bien que négatifs, c’est-à-dire « vivre à l’abri de ») aux adeptes de croyances non religieuses. Par exemple, la politique indique ce qui suit :

La CODP a pris pour position que chaque personne a le droit de vivre à l’abri de la discrimination ou du harcèlement fondé sur sa religion ou sur le fait qu’elle ne partage pas la religion de la personne qui la harcèle. Ce principe s’applique également lorsque les personnes visées par le comportement discriminatoire n’ont aucune conviction religieuse, y compris les personnes athées ou agnostiques, qui elles aussi bénéficient de la protection définie dans le Code[332].

La politique de 1996 étend donc les mesures de protection accordées en matière de droits de la personne aux cas de harcèlement et de traitement discriminatoire de personnes au motif qu’elles ne partagent pas une croyance ou une conviction religieuse particulière (p. ex. qu’elles n’ont pas de croyance religieuse, sont athées, agnostiques ou humanistes laïques) ou aux situations où un membre d’une foi religieuse impose ses croyances de quelque façon à une personne qui ne les partage pas, quelles que soient ces croyances[333]. En revanche, la politique n’impose pas aux organisations d’obligation positive d’accommodement des personnes ayant des convictions non religieuses profondes. Certains sont d’avis que cette limite de l’obligation d’accommodement est justifiable puisqu’elle découle en grande partie d’une reconnaissance, au sein de la société, des règles de jeu inéquitables (sociales, institutionnelles, structurelles) dont font l’objet les membres de « groupes minoritaires » (donc pas d’accommodement des besoins des personnes qui ne font pas l’objet de telles formes de désavantage indirect). Bien sûr, les membres de communautés de croyances sans fondement religieux peuvent aussi se heurter à des désavantages collectifs (examinés précédemment).

Se reportant à la distinction établie entre la religion et la conscience dans la jurisprudence prise en application du paragraphe 2(a) de la Charte (voir la section 2.1.4), certains soutiennent que la CODP ne devrait pas étendre la portée de la notion de croyance au moyen de l’élaboration de politiques, mais plutôt recommander aux législateurs d’inclure la « conscience » au Code s’il elle croit réellement qu’un plus grand éventail de convictions personnelles méritent d’être protégées aux termes de celui-ci. Cela permettrait le maintien de deux volets distincts de jurisprudence (droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur la croyance et droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur la conscience). Le fait d’agir autrement, disent certains, équivaut à confondre des pommes et des oranges en les regroupant pêle-mêle dans une seule catégorie (« croyance »). Cela pourrait pousser les décideurs à tout simplement faire fi de la politique de la CODP, qui risquerait d’aller à l’encontre de l’interprétation judiciaire.

3.4 Arguments liés à la prolifération des poursuites et à son impact

L’argument du raz-de-marée a également souvent été invoqué pour expliquer ce qui pourrait arriver si la CODP élargissait sa définition de la croyance. Selon cet argument, les organisations soumises au Code seront noyées dans un déluge de demandes d’accommodement de convictions sincères de tout type qui compromettra leur capacité à fonctionner et à remplir leur objectif fondamental[334]. Les préoccupations relatives au déluge éventuel de réclamations en matière de croyance étaient parfois liées à l’anxiété des organisations par rapport au fait de pouvoir uniquement recourir à un critère de « sincérité subjective » pour contenir ce genre de demandes.

D’autres personnes ont attiré l’attention sur le champ d’application beaucoup plus large du Code, comparativement à la Charte, et sur les répercussions considérables que l’inclusion au Code des questions de conscience individuelle (actuellement incluses à la Charte et applicables uniquement au gouvernement) pourrait avoir sur les organisations

ontariennes. De conclure un participant au dialogue stratégique : « L’analyse de la croyance au sens du Code ne devrait pas s’inspirer de la Charte sans réfléchir, étant donné l’impact considérablement plus grand que peut avoir le Code sur les employeurs et citoyens »[335]

Certaines personnes contesteraient néanmoins l’hypothèse selon laquelle l’inclusion de convictions non religieuses à la définition de la croyance mènerait assurément à une avalanche de demandes frivoles. La définition large et subjective de la religion adoptée dans la décision Amselem[336] ouvre déjà la porte à une multitude de revendications (frivoles et vexatoires dans certains cas) aux termes de la loi actuelle. De plus, la définition de la croyance dans la politique actuelle n’a pas empêché le dépôt auprès du TDPO de requêtes qui ne cadrent probablement pas avec cette définition.

En outre, même si les politiques de la CODP sont jugées convaincantes et sont souvent prises largement en compte par le TDPO et les autres tribunaux, les décideurs chargés d’affaires individuelles ne seraient pas nécessairement assujettis à un quelconque changement leur étant apporté. Quoi qu’il en soit, du point de vue des droits de la personne, le maintien des droits et mesures d’accommodement actuels au motif que leur élargissement pourrait entraîner des difficultés à l’avenir (p. ex. anticipation de préjudices injustifiés) n’est pas une position défendable sur le plan juridique. En matière d’accommodement par exemple, les analyses du préjudice injustifié doivent se baser sur les réalités et contraintes organisationnelles (démontrables sur le plan empirique) actuelles.

3.5. Intention des mesures législatives

Selon les principes d’interprétation législative, l’intention de la législature doit être prise en compte au moment d’interpréter les lois[337], tout comme « [l]’évolution et l’historique législatifs d’une disposition »[338]. La CODP a été informée d’éléments de preuve anecdotiques provenant d’une entrevue orale menée auprès d’un militant de premier plan des droits de la personne de l’époque de l’adoption du Code, qui soutenait que le Parlement visait uniquement les croyances religieuses au moment d’inscrire la croyance au nombre des motifs de discrimination interdits en 1962. D’autres ont laissé entendre que le langage de la « croyance » puisait ses sources dans le vocabulaire chrétien dominant, et avait un sens religieux[339].

Malgré cela, la CODP n’est pas tenue de suivre à la lettre les interprétations de 1962. Depuis sa promulgation en 1962, le Code a été mis à jour à maintes reprises, dont plus récemment en 2008, et à aucun moment a-t-on remplacé le terme « croyance » par « religion » ou « croyance religieuse ». De plus, comme nous l’indiquions plus tôt, les lois relatives aux droits de la personne ont un statut quasi constitutionnel. Cela signifie qu’elles doivent être soumises à une interprétation libérale et téléologique pour assurer l’atteinte de leurs objectifs, y compris une interprétation souple des droits protégés. Cependant, comme nous l’avons également noté précédemment (voir supra, note 337), « [o]n doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte le libellé choisi par le législateur »[340].

De plus, en reposant sur des termes et concepts généraux, l’approche se veut organique et souple. Les dispositions principales de la loi peuvent suivre l’évolution des conditions sociales et des conceptions des droits de la personne. Selon Sullivan et Driedger :

Les tribunaux sont tenus de respecter le sens des mots utilisés par la législature. Or, étant donné le caractère plastique de la langue, et surtout du langage général utilisé d’ordinaire dans les codes des droits de la personne, cette contrainte n’empêche pas les tribunaux d’adopter une approche souple et adaptative.

Dans la pratique, la Cour suprême du Canada a toujours adopté une approche souple et adaptative de résolution des questions afférentes aux lois relatives aux droits de la personne. Cela ressort clairement de la volonté de ce tribunal d’adopter et d’élaborer de nouveaux concepts dans le cadre de ces lois. Bien que les nouveaux concepts puissent être vaguement associés à des dispositions particulières de la loi à l’étude, la principale justification de leur adoption réside dans le fait qu’ils respectent les politiques et buts généraux de cette loi, et tendent à en faire la promotion[341].

Cette approche libérale et téléologique d’interprétation de la loi ressort clairement dans la lecture que fait la CODP de l’identité sexuelle, de la grossesse et de l’allaitement dans le contexte du motif de sexe prévu dans le Code, et ce, malgré le fait que la législation n’abordait initialement pas de tels motifs et concepts interreliés.

L’examen de l’histoire du choix de la « croyance » comme motif de discrimination interdit a été d’une aide limitée puisque les recherches archivistiques menées jusqu’à présent par la CODP relativement au passé juridique de ce choix n’ont pu produire de définition fonctionnelle précise et définitive du terme « croyance » utilisée au moment de la première parution de ce terme dans la version originale du Code, en 1962. Lorsqu’il a déposé son projet de loi de création d’un code des droits de la personne le 14 décembre 1961, l’honorable W.K. Warrender a indiqué que ce projet de loi ne contenait aucun nouveau principe. De laisser entendre le député, il ne faisait que rassembler sous forme de code des droits de la personne diverses lois anti-discrimination déjà approuvées par l’Assemblée législative de l’Ontario[342].

Les propres recherches menées par la CODP relativement à l’historique législatif des lois anti-discrimination ontariennes ayant précédé et plus tard modelé le Code des droits de la personne ont révélé que l’ébauche initiale du premier projet de loi anti-discrimination déposé à l’Assemblée législative de l’Ontario le 19 mars 1943 incluait à la fois la « croyance », la « religion » et la « race » au nombre des motifs de discrimination interdits[343]. Ce projet de loi n’a cependant pas été adopté en seconde lecture le 23 mars 1943[344]. Le 3 mars 1944, un second projet de loi anti-discrimination interdisant de façon plus étroite l’affichage et les publications discriminatoires (précurseur de la Racial Discrimination Act) a été déposé à l’Assemblée législative et adopté en troisième lecture[345]. La version finale de la Racial Discrimination Act ayant reçu la sanction royale le 14 mars 1944 interdisait l’affichage et les publications discriminatoires « pour quelque raison que ce soit au motif de la race ou de la croyance de telle personne ou catégorie de personne ». Brillait par son absence dans la version finale de cette loi clé antérieure au Code toute mention de la « religion » en tant que motif de discrimination interdit autonome et distinct de la « croyance ». Même si la croyance incluait clairement la religion dans la Racial Discrimination Act, les archives consultées par la CODP dans le cadre de ses recherches n’expliquent aucunement la raison du passage de l’inclusion de la religion et de la croyance dans l’ébauche du projet de loi initial à la seule mention de la croyance dans la Racial Discrimination Act[346].


 

[315] Plusieurs participants à l’atelier juridique de mars 2012 de la CODP affirmaient de façon similaire que les lois relatives aux droits de la personne, telles qu’elles ont évolué au Canada, n’avaient pas pour but de protéger l’ensemble des convictions personnelles, mais plutôt celui de promouvoir l’égalité réelle et de remédier aux violations des droits de la personne qui avaient une composante collective. Selon eux, les personnes dont les griefs se situaient hors des limites de ce but devraient et peuvent faire appel à d’autres instruments stratégiques et juridiques pour obtenir réparation (p. ex. lois de lutte à l’intimidation, Charte pour les questions de liberté de conscience).

[316] Dans Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5 [Quebec], la Cour suprême du Canada (CSC) a noté que la disposition sur l’égalité de l’article 5, ainsi que les lois anti-discrimination en général ont pour objet « d’éliminer les obstacles qui empêchent les membres d’un groupe énuméré ou analogue d’avoir accès concrètement à des mesures dont dispose la population en général » (Québec, au par. 319; citant Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S.). S’exprimant au nom de la cour unanime dans la récente décision de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 (CanLII), le juge Stratas a affirmé l’importance d’aller au-delà des analyses formelles de groupes de comparaison dans le cas présent pour « prendre totalement en compte les facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques relatifs au groupe » (par. 22, citant Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, au par. 39). La CSC a néanmoins indiqué clairement dans l’arrêt Quebec que la stigmatisation, les préjugés, les stéréotypes ou le maintien des désavantages historiques ne sont pas des aspects distincts de la discrimination dont il faut faire la preuve pour démontrer l’existence de la discrimination. De façon similaire, dans B c. Ontario (Commission des droits de la personne), supra, note 244, la Cour suprême a conclu que le requérant n’avait pas à s’identifier à un groupe désavantagé sur le plan historique pour revendiquer le droit de vivre à l’abri de la discrimination au motif de l’état familial (au par. 47). Le TDPO a confirmé cette interprétation dans Hendershott v. Ontario (Community and Social Services), 2011 OHRT 482 (CanLII) [Hendershott].

Les décisions du TDPO, néanmoins, semblent laisser le champ libre à la possibilité que, dans certains cas, il soit nécessaire d’examiner de plus près dans quelle mesure une requête fait intervenir les objectifs des lois anti-discrimination et les principes de l’égalité réelle. Dans ces cas généralement rares, où l’identité du requérant ou le sujet de la requête, ou les deux, ne semblent pas conformes à l’objet des lois relatives aux droits de la personne, il peut être utile de tenir compte d’aspects comme les préjugés et les stéréotypes, qui peuvent supposer une composante collective. Cela pourrait aider à déterminer si les allégations « créent réellement un désavantage » et soulèvent des questions d’égalité réelle (Hendershott, idem aux par. 45, 49 à 51 et 55. Tranchemontagne,[2006] CSC 14, au par. 104; cité dans McCalla v. Home Depot of Canada, 2012 OHRT 877 [CanLII]). Giggey v. York District School Board, 2009 OHRT 2236 (CanLII) fournit un bon exemple du manque de lien pouvant s’opérer entre le motif de discrimination et les types de discrimination réelle que l’adoption du Code est censée prévenir. Dans cette affaire, le requérant soutenait que le refus du conseil scolaire d’accepter son fils à la maternelle durant l’année scolaire 2009-2010 parce son acte de naissance indiquait qu’il était né le 1er janvier 2006 était discriminatoire aux termes du Code au motif du « lieu d’origine », parce que l’enfant était né sous un fuseau horaire différent. S’il était né en Ontario, la date de naissance inscrite aurait été le 31 décembre 2005 (ce qui lui aurait permis d’entrer à la maternelle en 2009-2010). Dans sa décision rejetant la requête, le TDPO a indiqué (au par. 11) : « [...] il doit y avoir un lien entre le "lieu" en cause et les raisons de l’interdiction. Dans le présent cas, je n’en trouve pas. Or, ce sont la rotation de la Terre et les choix de la société humaine relativement aux limites des fuseaux horaires et à l’emplacement de la ligne internationale de changement de date qui déterminent s’il est plus tard ou plus tôt sous un fuseau horaire quelconque. Cela ne fait aucunement intervenir des stéréotypes, des désavantages sociaux ou historiques, ou des caractéristiques présumées. » 

[317] Dans l’importante décision récente Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les critères d’établissement de la discrimination au sens

du code des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Elle a appliqué les critères traditionnels employés depuis longtemps pour établir la discrimination à première vue, qui sont tirés de l’arrêt O’Malley, supra, note 282, au par. 28. Pour établir à première vue l’existence de discrimination aux termes du Code, les plaignants doivent démontrer :

  1. qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination
  2. qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service (à l'emploi ou autre) concerné
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore, au par. 33).

La Cour d’appel de l’Ontario a adopté une série de critères très similaires dans Shaw v. Phipps, 2012 CA ON 155, au par. 14.

Dans le contexte des dispositions anti-discrimination de la Charte (art. 15), la juge Abella, s’exprimant sur cette question au nom de la majorité de la Cour dans Quebec (supra, note 316), a réaffirmé l’engagement du tribunal envers les critères d’établissement de la discrimination présentés dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 S.CR. 143, qui impose au demandeur le fardeau de démontrer, conformément à l’article 15 de la Charte, que :

  1. le gouvernement a établi une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et
  2. que l’effet de cette distinction sur l’individu ou le groupe perpétue un désavantage.

Selon la Cour, un désavantage est le résultat d’une distinction fondée sur un motif de discrimination interdit qui a pour effet d’imposer à une personne ou un groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de limiter l’accès aux possibilités et avantages offerts à d’autres membres de la société.

Étant donné que la Cour suprême a très récemment formulé deux séries de critères d’établissement de la discrimination, la première dans le contexte de la Charte (dans Quebec) et la seconde dans le contexte de requêtes relatives à de la discrimination déposées aux termes de lois relatives aux droits de la personne (dans Moore), il reste à déterminer dans quelle mesure ces deux séries de critères se rapprochent et lesquels utiliser pour établir la discrimination aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. Dans les faits, les critères utilisés par le TDPO depuis Tranchemontagne pour établir la discrimination à première vue ont été relativement malléables, variant selon les circonstances de l’affaire. Certaines des décisions du TDPO stipulent que le requérant doit montrer que le traitement différentiel a créé un désavantage (Voir A.N. v. Hamilton-Wentworth District School Board, 2013 OHRT 67 (CanLII), au par. 112 et Addai v. Toronto (City), 2012 OHRT 2252 (CanLII). Le TDPO a aussi indiqué que dans la plupart des affaires juridiques de droits de la personne, la démonstration d’un traitement préjudiciable fondé sur un motif du Code permet d’inférer qu’il y a eu discrimination s’il existe un lien entre le sujet de la requête et l’objet sous-jacent du Code.

Bien qu’une majorité de décisions prises en application du Code aient confirmé que les critères établis pour la détermination de la discrimination demeurent les mêmes, quel que soit le motif, les facteurs contextuels pris en compte peuvent varier selon le motif. Par exemple, dans le cas de l’âge, il semble que l’on soit plus attentif à la démonstration d’indicateurs (désavantages, préjugés et stéréotypes) de discrimination réelle et moins disposé à simplement inférer de l’existence d’une distinction fondée sur l’âge qu’il y a eu discrimination. Dans le cas de la croyance, certains décisionnaires ont fait remarquer que les effets sur la croyance ne contreviennent pas tous aux droits (p. ex. ne pas être en mesure de participer à des activités sociales ou culturelles liées à la croyance ou de porter un style de hijab particulier). En ce qui a trait aux activités sociales et culturelles, consulter Eldary v. Songbirds Montessori School Inc., 2011 OHRT 1026 (CanLII); Hendrickson Spring v. United Steelworkers of America, Local 8773, supra, note 304; Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4 (2007), 60 C.H.R.R. D/101 (N.S. Bd. Inq.). En ce qui a trait au hijab, consulter Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 (CanLII)). Si la CODP décidait d’élargir la portée de la définition de la croyance figurant dans sa politique, il se pourrait que les tribunaux judiciaires et administratifs choisissent d’accorder plus d’importance aux indicateurs de discrimination réelle.

[318] Par exemple, le penseur du milieu juridique Bruce Ryder a insisté sur cette distinction dans son exposé intitulé The relationship between religious equality and religious freedom : convergence and divergence et présenté à l’atelier juridique (2012a).

[319] Certaines lois relatives aux droits de la personne, comme le code de la Colombie-Britannique, expriment plus explicitement leurs sensibilités envers les formes sociales d’iniquité. Parmi les objectifs déclarés du code des droits de la personne de la Colombie-Britannique figurent :

  1. favoriser l’avènement d’une société dans laquelle rien ne s’oppose à la participation libre et entière à la vie économique, sociale, politique et culturelle de la Colombie-Britannique
  2. favoriser un climat de compréhension et de respect mutuel où tous sont égaux en dignité et en droit
  3. prévenir la discrimination interdite par le Code
  4. reconnaître et éliminer les tendances persistantes d’inégalité liées à la discrimination interdite par le Code
  5. prévoir des mesures de réparation pour les personnes victimes de discrimination en contravention du Code (Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, chap. 210, art. 3; pas en italiques dans l’original). 

[320] La Cour suprême du Canada a abordé pour la première fois la portée du paragraphe 2(a) dans sa décision historique R v Big M Drug Mart Ltd, supra, note 181. Elle a appliqué au paragraphe 2(a) une approche contextuelle vaste en mettant l’accent sur la liberté et la conscience individuelles et en prenant en compte les valeurs qui sous-tendent la disposition et, plus généralement, la Charte. Le juge en chef Dickson a décrit ainsi l’objet de la liberté de religion et de la liberté de conscience (au par. 123) :

Les valeurs qui sous-tendent nos traditions politiques et philosophiques exigent que chacun soit libre d’avoir et de manifester les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience, à la condition notamment que ces manifestations ne lèsent pas ses semblables ou leur propre droit d’avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles.

[321] Les décisions jurisprudentielles prises en application du paragraphe 2(a) révèlent des divisions internes relativement au poids proportionnel accordé aux dimensions de la liberté et de l’égalité de cette liberté fondamentale. La première grande décision prise en application du paragraphe 2(a) de la Charte, l’arrêt Big M Drug Mart, supra, note 181, reconnaissait aux dispositions sur la liberté de religion à la fois des objectifs et visées relatives à la liberté et à l’égalité.

[322] Bon nombre des personnes ayant soumis des mémoires à la CODP notaient depuis Big M un intérêt unilatéral pour les questions de liberté et de croyance individuelles dans les décisions des tribunaux prises en application du paragraphe 2(a) (voir Berger, 2012; Bhabha, 2012; Moon, 2012a; Ryder, 2012a). Selon Bhabha (2012), par exemple, les tribunaux ont eu tendance à reconnaître uniquement les demandes d’accommodement de la religion fondées sur la revendication de droits et d’intérêts individuels, tandis que les « requêtes fondées sur des droits communautaires et collectifs ont été rejetées » (voir aussi Berger, 2002, et l’analyse menée par Berger [2012] sur les partis pris culturels libéraux présents dans la jurisprudence prise en application du paragraphe 2(a)). Selon Berger (2012) :

L’accent excessif placé sur la liberté de religion plutôt que sur l’égalité en matière de religion est un artefact de la perception de la religion dans la loi. Dans le contexte de la loi, la religion semble puiser sa valeur fondamentale dans l’expression de la volonté autonome de l’agent individuel. Toute dignité ou tout privilège accordé à la religion découle de la place fondamentale qu’occupe la religion dans le choix des façons de vivre correctement.

[323] Ryder (2012a). Voir Bhabha (2012); Moon (2012a); et Reaume (2012).

[324] L’avis minoritaire du juge Bastarache dans Amselem (supra, note 137) exprime cette vision de la religion comptant à la fois une dimension collective et objective. D’avis que « la religion est un système de croyances et de pratiques basées sur certains préceptes religieux » (par. 135), le juge Bastarache a conclu (1) que de tels préceptes sont donc « objectivement identifiables, ce qui rend les limites des protections de la liberté religieuse plus prévisibles » et (2) qu’« en connectant les pratiques à ces préceptes religieux, un individu fait savoir qu'il ou elle partage un certain nombre de préceptes avec d'autres adeptes de la religion ». Par conséquent, l’expression collective de convictions et de pratiques communes est, pour le juge Bastarache, un élément essentiel de la religion (cité dans Kislowicz, 2012

[325] 2007 CanLII 1857 (ON LA), au par. 120. Il est à noter cependant que l’arbitre ne se prononçait pas sur ce qui constitue une croyance. Il cherchait à savoir si un employeur devait tenir compte de convictions religieuses ne constituant pas une exigence de la croyance de la personne. L’arbitre faisait cette remarque au moment d’expliquer pourquoi, dans le contexte des relations de travail, il préférait l’approche retenue par les juges minoritaires dans Amselem (supra, note 137). Mais puisqu’il était tenu de respecter la décision majoritaire de l’arrêt Amselem, il s’agissait d’une observation incidente.

[326] Supra, note 160.

[327] ibidem, aux par. 181-18, cité dans Schutten, 2012 [italiques ajoutés]

[328] À la p. 7.

[329] Supra, note 158.

[330] Moon, 2012a.

[331] Berger (2002) affirme ce qui suit :

Aux yeux de l’adepte, la religion n’est pas une chose qu’on laisse à la maison ou à la porte du Parlement. La conscience religieuse assigne à la vie une dimension divine qui gagne tous les aspects de l’être. L’autorité divine s’étend à toutes les décisions, tous les gestes, tous les moments et tous les lieux de la vie du fervent. Contrairement aux pouvoirs d’un État libéral, la conscience religieuse ne fonctionne pas selon un système de compétences.

[332] À la p. 5.

[333] Dans Freitag v.Penetanguishene (Town) [2013] OHRT 893, par exemple, l’arbitre du Tribunal des droits de la personne Leslie Reaume soutient dans sa décision en faveur du demandeur : « [...]  Dans certains contextes, le demandeur n’a pas besoin de faire état d’une croyance ou d’un système de convictions particulier pour bénéficier de protection contre l’imposition des convictions et observances religieuses d’autrui [...] » (au par. 22).

[334] Déplorant la croissance de « sectes » et d’« organisations marginales » qui « empruntent la légitimité de la langue et de la terminologie de la foi et de la croyance pour parvenir à des fins étroites, illégitimes, voire illicites » (Landau, 2012, p. 37), Richard Landau affirme, dans son mémoire (2012) déposé dans le cadre du dialogue stratégique :

Si un Canadien fonde un système de croyances religieuses en 2011 et revendique le droit pour lui-même et ses adhérents de ne pas travailler le jeudi, est-ce une expression légitime d’une croyance et la société est-elle tenue de l’accommoder?

En sa qualité de gestionnaire et réalisateur du domaine des médias et de la diffusion habitué à approuver du contenu religieux pour la télévision canadienne, Landau mettait l’accent sur l’importance pratique que revêt pour les organisations le fait d’avoir des définitions et directives claires relativement aux croyances et religions dignes de reconnaissance sociale, d’accommodement et, dans son champ d’activités particulier, de temps d’antenne (voir Landau, 2012, pour connaître les critères qu’il a élaborés).

[335] Cela est le résultat du champ d’application plus vaste du Code de l’Ontario, qui s’étend aux acteurs du gouvernement et à leurs activités (comme le fait la Charte), mais aussi à des acteurs des secteurs privé et non gouvernemental, y compris tous les employés, fournisseurs de services, fournisseurs de logements, associations et autres, qui sont réglementés par la province.

[336] Supra, note 158. De ce point de vue, les demandes frivoles et vexatoires pourraient tout aussi bien être qualifiées en des termes religieux de convictions laïques, éthiques ou morales. Elles pourraient aussi faire l’objet de requêtes, quelle que soit la politique adoptée par la CODP.

[337] L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 confirme ce principe. Dans cette affaire, la Cour suprême tient compte des principes d’interprétation législative et souligne l’importance de mener un « examen attentif du texte des dispositions, de leur contexte et de leur objet » (au par. 32). Elle déclare ensuite, au par. 33 :

Il nous faut interpréter le texte législatif et discerner l’intention du législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Dans le cas d’une loi relative aux droits de la personne, il faut se rappeler qu’elle exprime des valeurs essentielles et vise la réalisation d’objectifs fondamentaux. Il convient donc de l’interpréter libéralement et téléologiquement de manière à reconnaître sans réserve les droits qui y sont énoncés et à leur donner pleinement effet (voir, p. ex., R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 497-500. On doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte
le libellé choisi par le législateur.

[338] ibidem, par. 43. À ce chapitre, la Cour suprême poursuit :

Souvent, l’évolution et l’historique législatifs d’une disposition peuvent constituer des aspects importants du contexte dont il doit être tenu compte dans une démarche moderne d’interprétation des lois (Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70,
[2005] 3 R.C.S. 425, par. 28, le juge Binnie; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, p. 528, la juge L’Heureux-Dubé; Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, par. 41-53, la juge Abella. L’évolution législative s’entend de la formulation initiale, puis subséquente, d’une disposition, et l’historique législatif, des éléments touchant à la conception, à l’élaboration et à l’adoption du texte de loi : Sullivan, p. 587-593; P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 496 et 501-508 (au par. 43).

[339] Les personnes qui fondent ce point de vue sur une lecture davantage historique font remarquer que les confessions chrétiennes se sont différenciées les unes des autres en fonction de leurs « croyances », les croyances étant un élément central de l’édification de communautés et de la foi. Au Canada, bon nombre sinon la plupart des cas de discrimination et de préjudice faisaient intervenir des membres de communautés chrétiennes dont les croyances différaient. 

[340] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)2011 CSC 53, au par. 33.

[341] Sullivan (2002, à la p. 377). Voir la discussion sur l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne fondée sur les intentions présumées du législateur à la p. 374-378.

[342] En plus de la Racial Discrimination Act de 1944, l’hon. Warrender a mentionné les lois suivantes au moment du dépôt du Code des droits de la personne en 1961 :

  • Fair Employment Practices Act et Female Employee’s Fair Remuneration Act de 1951
  • Fair Accommodation Practices Act de 1954
  • Établissement de l’Anti-Discrimination Commission de l’Ontario en 1958 (renommée Commission ontarienne des droits de la personne en 1962). 

[343] Le Hansard (journal des débats de l’Assemblée législative de l’Ontario) du 10 mars 1943 décrit de la façon suivante l’objectif du projet de loi déposé par John Glass : « prévenir la discrimination à l’endroit de quiconque au motif de sa race, de sa croyance ou de sa religion ». Une disposition indique que « [n]ulle personne ne se verra refuser les accommodements ou installations de quelconque hôtel, restaurant, théâtre ou autre lieu public en raison de sa race, de sa croyance ou de sa religion ». Une autre déclare : « Nulle personne ne publiera ou n’exposera ou ne fera publier ou exposer un énoncé, un symbole, un emblème ou une autre représentation qui fomente ou tend à fomenter la haine, la dérision ou le mépris envers toute personne ou classe de personnes en raison de la couleur, de la race, de la croyance ou de la religion de cette personne ou de cette classe de personnes ».

[344] Le Hansard du 23 mars 1943 rapportait que « M. Glass était le seul député présent à la Chambre pour exprimer son appui envers le projet de loi ». Encore selon le Hansard, le projet de loi avait été rejeté en partie parce qu’il ne faisait pas « la promotion de l’unité » et que son adoption « équivaudrait à l’adoption d’une politique de contrainte contraire aux principes démocratiques ».

[345] Le projet de loi s’est néanmoins heurté à une forte opposition de la part des partisans de la libre expression. Déposé le 3 mars 1944 sous le nom de projet de loi 46, il a été modifié le 13 mars pour « protéger les libertés ». Un article a été ajouté, qui stipulait : « Cette loi n’a pas pour effet de porter entrave à la libre expression verbale ou écrite d’opinions sur un quelconque sujet et ne confère aucun avantage ou protection aux sujets de pays ennemis. »

[346] Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada confirmait qu’il était pertinent, au moment d’interpréter la loi, de tenir compte de son passé, y compris des dispositions qui ont été rejetées. Par exemple, la Cour affirme au par. 44 :

Nous croyons que rien ne justifie d’oublier les dispositions envisagées mais non retenues dans la mesure où elles peuvent contribuer à la détermination de l’objet de la loi. Une grande prudence s’impose quant à l’importance éventuelle qu’il convient de leur accorder. Cependant, elles peuvent renseigner utilement sur l’historique et l’objet de la loi et, dans certains cas, offrir un élément de preuve direct de l’intention du législateur (Sullivan, p. 609; Côté, p. 507; Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 37. Dans l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, notre Cour a statué qu’un projet de modification législative rejeté pouvait servir à établir l’intention du législateur : par. 348-349, le juge Bastarache.

L’application du principe d’interprétation législative que constitue l’absence de tautologie à la première ébauche du projet de loi anti-discrimination, laquelle a été proposée puis rejetée, peut porter à croire qu’on donnait deux sens différents aux notions de « croyance » et de « religion » puisque ces deux termes coexistaient dans un même projet de loi. Cependant, cela n’offre aucune indication des définitions différentes qu’on avait donnée à ces deux termes et n’exclut pas la possibilité que les deux notions aient été ancrées dans la religion.  

 

4. Critères minimaux susceptibles de délimiter la portée de la notion de croyance

Quelle que soit la définition employée dans la prochaine politique, le fait de donner à cette définition un caractère complètement extensible, sans critères minimaux à satisfaire, pourrait imposer un fardeau excessivement lourd aux organisations tenues de déterminer ce qui constitue une croyance digne de protection aux termes du Code. Cela ferait également fi du petit nombre de limites et de lignes directrices établies dans la jurisprudence. Même les groupes plaidant en faveur d’une définition élargie de la croyance, comme l’Ontario Humanist Society, reconnaissent que les mesures de protection offertes devraient s’étendre, non pas à l’ensemble des convictions ou opinions, mais aux « système[s] de croyances substantiel[s] s’apparentant aux croyances ou aux principes d’une religion » qui « influence[nt] la manière dont vous vivez »[347].

Selon l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance mené par la CODP en 2012, la croyance est définie de façon subjective, mais les requêtes en matière de croyance doivent nécessairement contenir des éléments objectifs (voir la section V 3.3 pour en savoir davantage sur ces éléments). Par exemple, les fournisseurs de mesures d’adaptation pourraient avoir le droit de chercher à obtenir des preuves de l’existence et de l’observance sincère d’un système cohésif de croyance. Dans le cas des croyances nouvelles ou moins bien comprises, ces preuves pourraient prendre la forme de témoignages d’experts (voir entre autres Huang v. 1233065 Ontario[348] et Re O.P.S.E.U. and Forer[349]). La décision Jazairi[350] et, dans le contexte des droits relatifs à la conscience prévus au paragraphe 2(a) de la Charte, celle de Roach [351] excluent aussi les opinions politiques isolées des mesures de protection prévues en matière de croyance et de conscience. Cependant, ces décisions n’écartent pas la possibilité de relier les convictions politiques à un système cohésif plus vaste de croyances morales ou éthiques profondes digne de protection au sens de la loi, comme l’envisageait le tribunal dans Jazairi.

Selon certains, la CODP et les tribunaux devraient s’inspirer des critères minimaux et du cadre d’analyse déjà élaborés par les tribunaux dans le contexte du droit à la liberté de religion prévu au paragraphe 2(a) de la Charte au moment de s’interroger sur la nature et la portée des convictions non religieuses éventuellement dignes de protection aux termes du Code, selon une définition élargie de la définition de la croyance[352]. Les critères minimaux envisageables incluent le fait que les convictions dictées par la conscience (étant ou non associées à la religion ou au divin) doivent :

  • être sincères[353]
  • être « profondes et volontaires », et « intégralement liées à la façon dont la personne se définit et [...] s’épanouit »[354]
  • s’inscrire dans une vision morale et éthique exhaustive du monde[355]
  • former un « groupe universel de croyances qui se fondent pour apporter au croyant les réponses à un grand nombre des problèmes auxquels les êtres humains sont confrontés, si ce n’est à tous ces problèmes »[356]
  • avoir un lien quelconque avec la doctrine officielle d’une organisation ou d’une communauté, même si les convictions et pratiques peuvent ne pas être requises par cette doctrine.[357]

Bien que l’établissement de tels critères minimaux de ce qui pourrait constituer une croyance au sens du Code puisse « écarter un nombre considérable de requêtes d’objecteurs de conscience », soutient Chiodo, « il doit en être ainsi : la religion est protégée parce qu’elle représente une alternative à l’autorité de l’État, commande la loyauté suprême de la personne et s’étend à toutes les facettes de sa vie »[358]. Selon l’auteure, pour mériter les mêmes mesures de protection que la religion, les revendications fondées sur la conscience et les convictions personnelles, ou des convictions non religieuses plus générales, devraient pouvoir satisfaire aux mêmes exigences.

Si l’on se fie à ce cadre analytique, les opinions politiques liées à des visions éthiques et morales plus exhaustives du monde pourraient éventuellement constituer une croyance du point de vue de la perspective conditionnelle élargie susmentionnée. La façon de déterminer qu’une conviction politique est ancrée dans un système de croyances plus vaste, cependant, entraîne ses propres difficultés. Les principes d’interprétation législative que constituent l’absence de tautologie et la cohérence pourraient aussi constituer un obstacle à l’inclusion des convictions politiques à la notion de croyance au sens du Code (comme nous en discutons à la section IV, 2.1.1).

4.1 Exemple du Royaume-Uni : critères de l’affaire Grainger

L’inclusion des « convictions » non religieuses aux lois sur les droits de la personne du Royaume-Uni, moyennant certaines conditions,  peut offrir à la CODP et aux tribunaux certaines pistes sur la façon de délimiter les convictions dignes de protection en matière de droits de la personne. Récemment consolidées dans l’Equality Act de 2010, les mesures législatives relatives à l’égalité du Royaume-Uni interdisent explicitement la discrimination fondée sur des convictions religieuses ou philosophiques. Par exemple, il a été établi que le véganisme (dans Hashman v. Milton Park)[359] et les systèmes de croyances fondés sur la science (dans Grainger Plc v. Nicholson)[360] étaient dignes de protection aux termes des lois relatives au traitement équitable du Royaume-Uni. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) reconnaît aussi de nombreux systèmes de croyances [361], y compris le pacifisme, le véganisme, la scientologie, la secte Moon, le Divine Light Zentrum, le druidisme et la Conscience de Krishna.

Grainger Plc v. Nicholson[362] constitue peut-être l’affaire la plus instructive du Royaume-Uni en matière de critères d’évaluation des convictions dignes de protection[363]. Dans cette affaire, Nicholson, le requérant, soutenait que son système de croyances sur le changement climatique était de nature philosophique et scientifique, et qu’il se conformait non seulement à la réglementation du Royaume-Uni de 2003 relative à l’égalité en matière de religion et de conviction en milieu de travail, mais également aux lois prises en application de la Convention européenne des droits de l’homme (article 9, protocole 1, article 2). Dans sa décision, le juge Burton a conclu que la croyance en l’existence du changement climatique constituait une conviction protégée aux termes de la législation. Il a aussi indiqué qu’une conviction pouvait bénéficier de protection si elle était basée sur la science, pourvu que le système de croyances ait trait à un « aspect considérable de la vie et du comportement humains » et qu’il atteigne « un certain degré de force, de sérieux, de cohésion et d’importance »[364].

Grainger est une cause importante parce qu’elle établit le critère Grainger, qui depuis sert de norme principale d’évaluation des droits des requérants de bénéficier de mesures de protection au motif de la conviction. Tel qu’il est défini dans une décision de 2011 (Hashman v. Milton Park)[365] donnant raison à un adepte du véganisme éthique et militant de la lutte contre la chasse au renard qui alléguait avoir fait l’objet d’un renvoi discriminatoire de son poste de jardinier en raison de ses opinions, le critère Grainger établit que les systèmes de croyances philosophiques (sans fondement religieux) sont dignes de protection tant qu’ils remplissent certaines conditions. Selon ces conditions, le système de croyances philosophiques doit :

  1. être sincère
  2. constituer un système de croyances et non une simple opinion ou un simple point de vue basé sur l’état actuel des informations disponibles sur le sujet[366]
  3. être associé à un aspect important ou considérable de la vie et du comportement humains
  4. s’attirer un certain degré de respect au sein d’une société démocratique en n’allant pas à l’encontre des principes de dignité humaine ou des droits fondamentaux d’autrui[367].

Dans Hashman, le tribunal a aussi fait un renvoi à l’affaire Williamson[368], dans le cadre de laquelle le juge Nichols a précisé que « la conviction doit aussi être cohérente, c’est-à-dire qu’elle doit être intelligible et capable d’être comprise »[369]. Tant que ces conditions sont remplies, les tribunaux ont aussi affirmé dans Grainger et Hashman[370] que le système de croyances peut :

  1. prendre la forme d’une conviction personnelle (que la personne n’a pas en commun avec autrui)
  2. être basé sur une doctrine politique
  3. être basé sur la science, p. ex. darwinisme.

Étant donné que les convictions philosophiques et la religion ne sont pas soumises aux mêmes critères précis relativement à la religion et à la conviction aux termes de l’Equality Protection Act du Royaume-Uni de 2010, certains (comme ceux qui recommandent d’établir une distinction entre la religion et les convictions personnelles dictées par la conscience) pourraient dire qu’il est possible d’user de prudence pour éviter de confondre des phénomènes uniques, tout en conférant à ces deux motifs étroitement liés des mesures de protection égales. La question est de savoir si deux séries de critères distincts (l’une pour la religion et l’autre pour les convictions personnelles dictées par la conscience) devraient être posées comme postulat dans le contexte d’un seul motif élargi de la croyance aux termes du Code, ou une seule comme le soutient Chiodo[371].

Certaines personnes ont critiqué la distinction établie entre les convictions religieuses et les convictions philosophiques dans le contexte de la loi du Royaume-Uni, la traitant d’arbitraire et de susceptible de causer des abus. Selon elles, cette distinction encourage l’adoption d’une approche à deux volets pouvant s’avérer plus stricte à l’endroit des convictions philosophiques, perçues comme de « simples opinions », comparativement aux convictions religieuses[372]. Néanmoins, au moment d’élaborer les critères Grainger dans Hashman, le tribunal a clairement affirmé que « ces exigences minimales ne devraient pas être établies de façon à priver des convictions minoritaires de la protection qui devrait leur être offerte aux termes de la convention »[373].


 

[347] McCabe et coll. (2012, p. 33) citent la définition de la croyance du dictionnaire Cambridge.

[348] Dans cette affaire, le TDPO a rejeté l’argument selon lequel Falun Gong s’apparente à une « secte » et ne devrait pas être reconnu comme une croyance parce qu’il ne s’agit pas d’un système de convictions raisonnable capable de résister à un examen scientifique et qu’il épouse des valeurs qui sont incompatibles avec celles de la Charte. Durant son témoignage, la plaignante a qualifié Falun Gong de « pratique » plutôt que de « religion ». Le TDPO a cependant accepté la preuve d’experts indiquant que la notion de « religion » en Chine est bien différente de celle qui prévaut en Occident et qu’en termes occidentaux, Falun Gong serait considéré comme une croyance. Le TDPO a conclu que Falun Gong constitue un système de croyances, d’observances et pratiques religieuses, et qu’il correspond à la notion de « croyance » au sens du Code (voir Huang, supra).

[349] Dans la décision arbitrale en matière de travail Re O.P.S.E.U. and Forer (supra, note 12) de 1987, le tribunal a conclu que la Wicca correspondait à la notion de « religion » au sens de la convention collective après avoir examiné les éléments de preuve, y compris des avis d’experts au sujet de l’histoire, des pratiques et des convictions qui y étaient associées. Le tribunal a abordé la question de l’observance religieuse d’une perspective « large, libérale et essentiellement subjective » établie dans une décision antérieure de la Cour d’appel de l’Ontario (Re O.P.S.E.U. and Forer, (1985), 52 O.R. (2d) 705 [C.A]). Dans cette affaire, la Cour d’appel avait souligné la diversité des religions et des pratiques religieuses au Canada et avait insisté sur le fait que ce qui constitue une conviction ou une pratique religieuse pour certains peut être considéré comme laïque par d’autres. La notion de religion ne doit pas être interprétée du point de vue de la « majorité » ou du « courant dominant » d’une société.

[350] Dans Jazairi v. Ontario Human Rights Commission, 1999, supra, note 306, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que les opinions du plaignant concernant la seule question des relations entre les Palestiniens et Israël ne constituaient pas une croyance. Cependant, la Cour a confirmé l’importance d’évaluer chaque affaire relative à la croyance sur les faits qui lui sont propres et a souligné qu’il ne lui incombait pas en l’instance de résoudre la question de savoir si certaines perspectives politiques ou autres, fondées sur un système cohérent de convictions, pouvaient ou non constituer une « croyance ». Le tribunal a observé que ce serait une erreur de traiter de questions aussi importantes dans l’abstrait.

[351] Dans Roach c. Canada (Ministre d'État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté), [1994] 2 CF 406, 1994 CanLII 3453 (CAF), le juge Linden a établi une distinction entre la « conscience » en tant que « domaine des croyances éthiques et morales profondes » et les « autres croyances et notamment […] celles à caractère politique » auxquelles s’appliquent les mesures de protection de la liberté d’expression prévues au paragraphe 2(b). Si l’on soutient qu’en situation d’ambiguïté législative, le Code devrait s’en tenir aux interprétations de la Charte, comme nous en parlions plus tôt, on pourrait en croire que les convictions politiques devraient être exclues de la portée des mesures de protection de la croyance aux termes du Code.

[352] Chiodo (2012a; 2012b) avance cet argument, plus particulièrement dans le contexte de la conscience au sens de la Charte. Elle soutient que le même critère pourrait être appliqué à l’interprétation de la croyance aux termes du Code.

[353] Amselem, supra, note 137.

[354] ibidem, au par. 39.

[355] ibidem La Politique sur la croyance (1996) traite de cette conviction ou vision du monde exhaustive lorsqu’elle donne à la croyance la définition de « système reconnu et […] confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte » (p. 4; italiques ajoutés).

[356] Bennett c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1310 (CanLII) au par. 55 (citant les caractéristiques d’une religion, telles que les établit une décision des États-Unis. Il est important de noter cependant que certaines des caractéristiques citées dans la décision des États-Unis ne correspondent pas à celles qui ont été attribuées aux croyances en Ontario (p. ex. le besoin d’avoir un fondateur ou un prophète, et un clergé et des écrits importants, la prescription d’un régime alimentaire ou du jeûne).

[357] « Dans Amselem, supra, note 137, par exemple », Chiodo (2012a) soutient, « bien que l’installation d’une souccah ne soit pas une obligation prescrite à tous les juifs, il s’agit d’une pratique liée à la religion que les résidents de l’immeuble croyaient devoir respecter » (citant Amselem, au par. 69). Consulter la section V 3.2 pour en connaître davantage sur les arguments juridiques et décisions attribuant à la religion et à la croyance une dimension collective d’association.

[358] Chiodo (2012b, p. 10).

[359] Hashman v. Milton Park (Dorset) Ltd (t/a Orchard Park) (Hashman) Employment Tribunal (ET/3105555/09, 26 Octobre 2011).

[360] Grainger plc v. Nicholson (Grainger) [2010] IRLR 4 (EAT) [Employment Appeal Tribunal].

[361] Conformément au droit international relatif aux droits de la personne (en particulier l’article 18

de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui confère des droits relatifs à la « religion
ou à la conviction »), l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que :

  • Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  • La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Les citoyens des pays membres de l’Europe peuvent interjeter appel, en tant que plaignants individuels, des décisions et directives de leur pays devant la Cour européenne des droits
de l’homme.

[362] Grainger, supra, note 360..

[363] Parmi les autres affaires importantes non mentionnées figurent McClintock v. Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, R Williamson v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [2005] 2 A.C. 246, R v. Countryside Alliance v Attorney General [2007] UKHL 52, Campbell and Cosans v. United Kingdom [1982] 4 EHRR 293 et Eweida v. British Airways Plc. [2009] ICR 303.

[364] Cité dans Labchuck (2012).

[365] Supra, note 359.

[366] Au Royaume-Uni, la distinction établie entre un système de croyances et une « simple » opinion est tirée de McClintock v. Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, Times 5 décembre 2007. Dans cette affaire, un juge se plaignait d’avoir fait l’objet de discrimination en raison de son opposition au mariage entre personnes de même sexe (Pitt, 2011, p. 389). Il a perdu sa cause « parce que les faits indiquaient que la vraie raison de son objection n’était pas son interprétation du christianisme, mais plutôt son opinion selon laquelle les enfants se portaient mieux au sein de ménages traditionnels composés de parents hétérosexuels (ibidem) ». Dans Hashmanle tribunal a indiqué que McClintock v. Department of Constitutional Affairs précisait certaines des limites des critères; plus particulièrement, « il n’est pas suffisant d’avoir un point de vue basé sur une logique réelle ou perçue, ou sur l’existence ou l’absence d’informations disponibles sur le sujet (ibidem, par. 44) ». Certains soutiennent que la distinction établie entre une « simple » opinion et un système de croyances philosophique est vague et complexe, et ouvre la voie à des divergences importantes d’interprétation, un aspect dont a fait état l’avocat de la défense dans Hashman.

[367] Campbell and Cosans v. United Kingdom [1982] 4 EHRR 293, au par. 36 et R (Williamson) v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [2005] 2 A.C. 246, au par. 23

[368] R (Williamson) v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [20052 A.C. 246.

[369] ibidem, par. 43.

[370] Il est à noter que dans Hashman, supra, note 359, le tribunal a explicitement limité la valeur de précédent de l’affaire en déclarant que le jugement s’appliquait uniquement aux opinions et circonstances du plaignant. La décision ne devrait donc pas être interprétée de façon à indiquer que les opinions sur la chasse au renard, en soi, constituent un système de croyances philosophique.

[371] Chiodo, 2012a.

[372] Par exemple Voir Pitt, 2011.

[373] Supra, note 359, au par. 43.

 

5. Impact et répercussions possibles de l’élargissement de la définition de croyance

Le fait d’étendre les mesures de protection prévues par le Code aux convictions et pratiques non religieuses pourrait avoir de nombreuses répercussions sur les employeurs et autres organisations de l’Ontario[374].

Par exemple, cela pourrait accroître les difficultés administratives auxquelles se heurtent les employeurs et organisations lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure et à quels égards, le cas échéant, les « convictions » moins bien connues devraient bénéficier de mesures de protection. Les défis posés iraient au-delà de la simple détermination de ce qui constitue une croyance pour inclure également l’évaluation et l’identification des éléments fondamentaux et périphériques de convictions et de pratiques peu connues à des fins de détermination des mesures d’adaptation pertinentes éventuelles. Les organisations et, dans certains cas, les tribunaux ont déjà du mal à composer avec les allégations d’atteinte aux droits relatifs à la religion et à la croyance (y compris de la difficulté à déterminer ce qui relève de la « croyance » et de la « religion » et quelles pratiques devraient faire l’objet de mesures d’adaptation) aux termes des dispositions et interprétations actuelles du Code et de la Charte, depuis la décision Amselem.[375] Une définition élargie de la croyance ajouterait probablement à ces difficultés.

L’élargissement de la définition de la croyance pourrait également augmenter le nombre et le volume de requêtes pour discrimination fondée sur la croyance soumises aux organisations et au TDPO (en partie simplement en raison de la publicité que pourrait entraîner l’annonce d’une modification aux interprétations de la croyance au sens du Code). Cela pourrait aussi étendre la portée de l’obligation d’accommodement de la croyance à moins de préjudice injustifié à laquelle sont tenues les organisations et, par le fait même, augmenter leurs coûts et nuire à leur fonctionnement (bien que dans la limite du préjudice injustifié)[376]. Par exemple, on pourrait demander à une grande organisation de rénover un bureau, de modifier un uniforme ou de changer ses menus en guise d’accommodement de l’aversion profonde d’un adepte du véganisme éthique envers l’utilisation de produits animaux, y compris le cuir.

Enfin, il faudrait considérer attentivement les répercussions de l’application des défenses légales prévues aux articles 18 (groupement sélectif) et 24 (emploi particulier).


[374]  L’article de Chiodo (2012b) intitulé Conscience, Creed and the Code : Forthcoming Changes to the Ontario Human Rights Commission’s Policy on Creed fait état de tels répercussions possibles.

[375] Voir Chiodo, 2012b.

[376] D’avis que la plupart des causes seront rejetées à la première étape de l’analyse de l’existence de discrimination à première vue, comme c’est le cas à l’heure actuelle, Chiodo (2012b) ne se préoccupe pas trop de cette possibilité.

V. Accommodement des croyances et conception inclusive

Questions clés

  • Quels éléments, le cas échéant, sont uniques et spécifiques à l’accommodement des croyances et ses analyses?
  • Quels aspects de l’accommodement des croyances doivent être examinés davantage et clarifiés?
  • Quelle est l’étendue de l’obligation d’accommodement des croyances et pratiques religieuses et de l’obligation connexe de conception inclusive?
  • Dans quelles circonstances peut-on limiter les mesures d’adaptation à la croyance, ou refuser d’en offrir?

1. Contexte

L’accommodement de la religion et de la croyance n’est pas un concept nouveau en Ontario ou au Canada. Et ce n’est pas un concept attribuable aux demandes et aspirations d’une population immigrante multiculturelle, en expansion depuis les années 1970. Le droit canadien accorde depuis longtemps une certaine reconnaissance à la liberté et au pluralisme religieux, ainsi qu’aux compromis que cela nécessite inévitablement. Ce qui a changé dans les dernières années est sans doute le fait d’appliquer et d’adapter cette approche de l’accommodement à des différences de plus en plus grandes et profondes sur le plan de la religion et de la croyance au sein de la société ontarienne[377], différences qui peuvent gêner les normes établies et compliquer la façon de faire les choses.

1.1 Objet et but de l’accommodement

Il n’est pas rare d’entendre que les personnes en quête d’accommodement de leurs croyances cherchent à obtenir des « privilèges spéciaux » de la société et de ses institutions[378]. Dans ce contexte, il convient de clarifier les buts et objectifs sous-jacents de l’accommodement[379]. Loin d’accorder des privilèges et avantages spéciaux, l’accommodement cherche à faire l’inverse. Son but est de favoriser le traitement équitable de membres de groupes minoritaires de la société en abordant et en tentant d’éliminer les désavantages (en matière de pratiques dans le cas de la croyance) auxquels ils se heurtent en raison de la structure des institutions et services, qui (souvent par inadvertance) répond davantage aux besoins des groupes dominants[380]. On désigne cette notion par les expressions « discrimination indirecte » ou « discrimination par suite d’un effet préjudiciable »[381].

Une grande part de la résistance de la société contemporaine envers l’accommodement semble provenir d’une incapacité à :

  1. reconnaître l’iniquité parfois inhérente au statu quo (ce qui, comme nous en discutions précédemment, ajoute à la nécessité d’élaborer un cadre contextuel permettant de comprendre la discrimination fondée sur la croyance)
  2. saisir que l’égalité (réelle par opposition à formelle) nécessite parfois qu’on prenne des mesures pour rendre les règles de jeu équitables[382].

Plutôt que de promouvoir « des valeurs ou pratiques étrangères en terre canadienne », comme certains le laissent entendre en situation d’accommodement des croyances, les personnes qui demandent ou offrent des mesures d’adaptation (liées ou non à la religion) réaffirment plutôt les valeurs canadiennes les plus profondes d’égalité et de non-discrimination enchâssées dans la Charte et dans les lois provinciales en matière de droits de la personne, et en favorisent l’expression. De l’avis de certains, le fait de rediriger le débat de l’« accommodement » vers les valeurs sous-jacentes d’« équité » peut remettre le débat public de ces questions sur le bon chemin. Comme l’explique un auteur : « Bien qu’il soit facile de parler de "trop d’accommodement", "trop d’égalité" est moins compréhensible [ou acceptable] dans nos contextes constitutionnels et sociaux actuels »[383].


[377] Seljak (2012) fait cette observation.

[378] Un participant au dialogue stratégique a fait l’observation suivante qui reprend les propos de Bromberg (2012) :

L’année dernière, j’ai travaillé pour une grande [compagnie] et on m’a déconseillé d’utiliser le mot accommodement en raison de la réaction des employées. Aux yeux de certains, cela donnait des « privilèges spéciaux » aux uns, au détriment des autres. Par conséquent, le concept des droits de la personne et la Commission sont devenus de « mauvais mots ». La direction n’a pas bien composé avec la situation [...] La population réagit à la notion d’accommodement et nous devons en être conscients.

[379] Consciente de la montée récente de ce genre de sentiments, Anita Bromberg (2012) souligne l’importance de clarifier les buts et objectifs sous-jacents de l’accommodement.

[380] Faisal Bhabha (2012) évoque le contexte des handicaps pour montrer que la reconnaissance par les tribunaux du fait que le « monde conceptualisé », plutôt que d’être neutre, privilégie les personnes non handicapées « entraîne une obligation d’accommodement en tant que mesure de protection fondamentale contre un préjudice indu ».

[381] La Politique sur la croyance (1996) définit la « discrimination indirecte », appelée aussi « discrimination par suite d’un effet préjudiciable » ou « discrimination constructive » :

Il y a discrimination constructive lorsqu’une exigence, une qualification ou un facteur qui semble « neutre » a néanmoins un effet négatif sur les membres d’un groupe auquel s’applique un motif illicite de discrimination en vertu du Code. Parce que cette exigence a un effet différent sur les personnes selon l’appartenance ou non à un groupe, on peut dire qu’elle donne lieu à une « discrimination constructive » (CODP, 2006, p. 6).

[382] Comme Brodsky et coll. (2012, p. 36) l’expliquent dans leur ouvrage Les accommodements au XXIe siècle en parlant de l’accommodement et des droits de la personne relatifs aux handicaps :

L’accommodement n’a pas pour visée le traitement égal. Elle vise l’inclusion de personnes [...] à qui la participation pleine et entière à la société a historiquement été refusée. Dans les affaires d’accommodement, la question n’est pas de savoir si le plaignant a bénéficié d’une égalité formelle, mais si l’on a composé avec ses caractéristiques réelles de manière à ce qu’il puisse obtenir un avantage autrement inaccessible. Comme l’expliquait le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, « le respect des différences [...] est l’essence d’une véritable égalité » (citant Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143 au par. 31 [italiques ajoutés].

[383] Beaman (2012, p. 18).

 

2. Cadre législatif

Comme l’indiquent l’arrêt O’Malley[384] et d’autres décisions judiciaires, les organisations régies par le Code ont une obligation d’accommodement des observances liées à la croyance jusqu’au point de préjudice injustifié, sans égard au fait que les normes, règles ou exigences de l’organisation nuisent de par leur conception, leur intention ou leur effet, à la capacité d’adeptes de suivre les principes de leur croyance. Les tribunaux ont aussi affirmé qu’il incombe avant tout au requérant d’établir qu’il y a eu discrimination à première vue. Le fardeau de la preuve passe ensuite à l’intimé, qui doit démontrer qu’il a pris les mesures d’adaptation nécessaires, jusqu’au point de préjudice injustifié.

L’obligation d’accommodement des droits relatifs à la croyance se manifeste en contexte de « discrimination indirecte », aussi connue sous le nom de « discrimination par suite d’effet préjudiciable ». Sous la rubrique Discrimination indirecte, le paragraphe 11(1) du Code indique ce qui suit :

Constitue une atteinte à un droit d’une personne reconnu dans la partie I[385] l’existence d’une exigence, d’une qualité requise ou d’un critère qui ne constitue pas une discrimination fondée sur un motif illicite, mais qui entraîne l’exclusion ou la préférence d’un groupe de personnes identifié par un motif illicite de discrimination et dont la personne est membre, ou l’imposition d’une restriction à ce groupe, sauf dans l’un des cas suivants :

(a) l’exigence, la qualité requise ou le critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances [caractères gras ajoutés].

Le paragraphe 11(2) qualifie immédiatement la défense fondée sur une « exigence de bonne foi »  applicable à la discrimination indirecte en indiquant ce qui suit :

La Commission, le Tribunal ou un tribunal ne doit pas conclure qu’une exigence, une qualité requise ou un critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances, à moins d’être convaincu que la personne à laquelle il incombe de tenir compte des besoins du groupe dont le demandeur est membre ne peut le faire sans subir elle-même un préjudice injustifié, compte tenu du coût, des sources extérieures de financement, s’il en est, et des exigences en matière de santé et de sécurité, le cas échéant [caractères gras ajoutés].

Pour qu’une exigence soit qualifiée de raisonnable et de bonne foi, l’organisation doit démontrer qu’elle a pris des mesures d’adaptation des observances relatives à la croyance jusqu’au point de préjudice injustifié.

Les analyses de l’accommodement de la croyance continuent tout de même de soulever des questions et des tensions, dont nous discutons à la prochaine section.

2.1 Preuve de discrimination à première vue et analyse de la pertinence

Avant de déterminer s’il est bel et bien nécessaire de fournir des mesures d’adaptation et si ces mesures d’adaptation entraîneraient un préjudice injustifié pour l’organisation, il convient de vérifier l’existence d’une discrimination à première vue.

Les tribunaux ont affirmé qu’il revient aux personnes en quête d’accommodement d’établir avant tout l’existence d’une situation de discrimination à première vue et de montrer :

  1. qu’elles possèdent une caractéristique ne pouvant pas constituer un motif de discrimination aux termes du Code
  2. qu’elles ont subi un effet préjudiciable en matière de service, d’emploi ou autre
  3. que la caractéristique protégée a joué un rôle dans l’effet préjudiciable [386].

Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois relatives aux droits de la personne. Par exemple, une organisation peut avancer qu’elle a tenu compte des besoins d’un requérant jusqu’au point de préjudice injustifié. En Ontario, le Code stipule que l’évaluation du préjudice injustifié doit reposer sur les facteurs suivants : coûts, sources extérieures de financement (le cas échéant) et santé et sécurité.

Si l’on met de côté la question du préjudice injustifié, est-il toujours « approprié » pour un service dont la clientèle est de passage, comme un service de restauration ou de transport en commun, de tenir compte de la grande variété potentielle d’observances liées à la croyance de ces usagers? Le préjudice injustifié constitue-t-il la seule ligne de défense contre l’accommodement d’observances de bonne foi liées à la croyance lorsqu’on peut faire la preuve d’effets préjudiciables? Ou existe-t-il d’autres pistes d’analyse préliminaires ayant trait à la « pertinence » de l’accommodement des croyances dans des contextes de services particuliers, compte tenu de la nature essentielle du service offert? 

Par exemple, pourrait-on plaider qu’il est raisonnable et non discriminatoire, dans certains contextes précis, de ne pas tenir compte des observances des usagers en matière de croyance (selon la nature de ces observances) en raison du caractère passager des ces usagers et, en partie, de leur capacité éventuelle à mettre en pratique les règles associées à leur croyance ailleurs (sans que cela ne cause de fardeau indu)?

Si c’est le cas, il pourrait être utile d’élaborer des lignes directrices indiquant dans quelles circonstances il pourrait convenir de mener une « analyse de la pertinence » et quels seraient les ingrédients d’une telle analyse. On pourrait devoir envisager cette question dans le cadre de la mise à jour de la politique.

Cependant, les analyses actuelles de la discrimination à première vue et du préjudice injustifié pourraient déjà inclure des outils suffisants pour traiter de ces situations.

Par exemple, dans le cas de requêtes aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, les tribunaux ont conclu que même lorsque des droits religieux sont en jeu, les gestes qui entravent ces droits ne constituent pas nécessairement de la discrimination ou une violation de droits protégés par la Charte. Dans ses décisions relatives au paragraphe 2(a) de la Charte,  la Cour suprême du Canada a établi qu’une atteinte aux droits religieux doit aller au-delà « du négligeable ou de l’insignifiant ». Une atteinte « négligeable ou insignifiante » est une atteinte qui ne menace pas véritablement des convictions ou un comportement religieux[387]. Bien que les analyses de la discrimination et des mesures de protection des droits de la personne prévues par le Code soient différentes de celles qui découlent de la Charte, les décisions prises en application du Code ont aussi établi une distinction entre les éléments fondamentaux et périphériques des droits dignes de protection.

L’Examen de la jurisprudence relative à la croyance offre plusieurs exemples de pratiques précises, liées à une religion ou une croyance, qui ne font pas l’objet de protection juridique ou d’obligation d’accommodement selon des décisions prises en application de la Charte ou du Code, ou des deux. Parmi ces exemples figurent :

  • activités bénévoles à l’église, dans ce cas-ci la dotation en personnel d’une activité de financement d’un camp de jour (non protégées selon l’arrêt Eldary v. Songbirds Montessori School Inc. du TDPO)[388]
  • activités sociales et communautaires liées à la religion (Hendrickson)[389]
  • installation d’une soucoupe, interdite par le règlement de la copropriété, afin capter des émissions religieuses et culturelles de sources internationales (lien à la croyance jugé insuffisant selon Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4)[390]
  • distribution de cadeaux à caractère religieux (stylos comprenant des inscriptions religieuses)[391]
  • congé spécial pour assister à une réunion de sélection de revendications territoriales dans le cadre de devoirs ancestraux et religieux[392].

Au moment de déterminer si un droit a été bafoué et doit être protégé, les organisations peuvent devoir évaluer dans quelle mesure les convictions d’une personne peuvent donner lieu à des exceptions[393]. À ce chapitre, l’affaire Saadi v. Audmax[394] s’avère intéressante : pour en arriver à sa décision, le tribunal a établi une distinction entre ce qu’exigeait la foi du requérant (en matière de vêtements religieux) et ce qui constituait des préférences de style « subjectives » et individuelles[395].

2.2. Critiques du cadre et discours de l’« accommodement »

« Les gens ne veulent pas que l’on tienne compte de leurs besoins et les tolère. Ils veulent être respectés. »
– Participant au dialogue stratégique de janvier 2012

« Le terme accommodement renvoie en soi à une dynamique de pouvoir. Nous parlons d’une politique qui tente de donner aux gens la liberté de s’épanouir pleinement, mais demeure fondée sur un déséquilibre de pouvoir. Je n’ai que des observations, aucune solution. Mais j’y pense chaque fois que j’entends le mot « accommodement ».
– Participant au dialogue stratégique de janvier 2012

L’accommodement peut être perçu comme le fait de « consentir une exception »

à une personne ou à un groupe de personnes sur qui une règle universelle (à première vue neutre) aurait autrement un effet discriminatoire fondé sur un des motifs interdits aux termes de la Charte, du Code ou des deux. Des partisans d’une égalité encore plus grande critiquent cette notion de l’accommodement qui, selon eux, ne va pas assez loin parce qu’elle ne fait que consentir des exceptions au lieu de remettre en question la « norme de privilèges » qui, avant tout, place les minorités en situation de désavantage[396]. Certains penseurs mettent en opposition les approches « d’accommodement »/« de tolérance » et les approches « d‘égalité » pluralistes plus radicales qui, selon eux, constituent des cadres concurrents d’analyse de la diversité religieuse au Canada[397].

Par exemple, Lori Beaman insiste sur les hiérarchies implicites d’appartenance et de « normalité » que crée inévitablement le discours de la « tolérance » et de l’« accommodement », « dans le cadre duquel les majorités confèrent des avantages aux minorités » et déterminent unilatéralement les limites (raisonnables) de cette tolérance[398]. « Ce qui me préoccupe, explique-t-elle, c’est que ces termes nous figent à un endroit qui s’approche de l’égalité, mais ne l’atteignent jamais vraiment. Ils ne nous forcent pas à repenser les inégalités structurelles, comme le rendrait possible la mise à nu des différences et l’obligation d’en arriver à une égalité réelle[399]. »

2.3 Continuum de l’accommodement : de systémique à individuel

Les lois relatives aux droits de la personne actuelles et les précédents jurisprudentiels connexes ouvrent néanmoins la porte à l’adoption d’un concept plus exhaustif et transformatif de l’accommodement qui va au-delà de l’application d’exceptions pour examiner plutôt la norme établie. Le paragraphe 11(2) du Code fait explicitement appel à la conception de milieux exclusifs fondés sur les « besoins du groupe » en tant que solution de première instance la plus appropriée à la discrimination indirecte, à moins que cela n’entraîne de préjudice injustifié. Les décisions de la Cour suprême du Canada appuient cette approche.[400]

Dans un article de 2012 intitulé Les accommodements au XXIe siècle et publié par la Commission canadienne des droits de la personne,  Brodsky, Day et Peters retracent jusqu’à la décision historique de 1999 de la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin) l’évolution sur le plan judiciaire d’une approche d’élimination de la discrimination indirecte plus dynamique (et non « réactionnaire »), systémique (et non « individuelle ») et transformatrice (et non « fondée sur des exceptions »)[401]. Avant Meiorin, les intimés étaient uniquement tenus d’effectuer des rajustements individuels ou de consentir des exceptions à la règle en cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Il ne leur incombait pas de justifier la règle ou norme universelle. Consciente des façons dont cette approche gênait et minait « la promesse d’égalité réelle » au sein de la société, tel que prévu par les lois relatives aux droits de la personne, la juge McLachlin (nommée depuis juge en chef) citait en l’approuvant le passage suivant, au nom de la cour unanime :

La difficulté que pose ce paradigme est qu’il ne met en question ni l’inégalité du rapport de force ni les discours de domination, comme le racisme, la prétention de la supériorité des personnes non handicapées et le sexisme, qui font qu’une société est bien conçue pour certains, mais pas pour d’autres. Il permet à ceux qui se considèrent comme « normaux » de continuer à établir des institutions et des rapports à leur image, pourvu « qu’ils composent » avec ceux qui en contestent l’établissement.

Sous cet angle, l’accommodement paraît ancré dans le modèle de l’égalité formelle. En tant que formule, le traitement différent réservé à des personnes « différentes » ne constitue que l’inverse du traitement semblable réservé aux personnes semblables. L’accommodement ne va pas au cœur de la question de l’égalité, n’a pas la transformation pour objectif, n’examine pas la façon dont les institutions et les rapports doivent être modifiés pour les rendre disponibles, accessibles, significatifs et gratifiants pour la multitude de groupes qui composent notre société. L’accommodement semble signifier que nous ne modifions ni les procédures ni les services; nous nous contentons d’offrir des « mesures d’adaptation » à ceux et celles à qui ils ne conviennent pas tout à fait. Nous faisons certaines concessions à ceux qui sont « différents », plutôt que d’abandonner l’idée de la « normalité » et d’œuvrer à la véritable inclusion.

Conçu ainsi, l’accommodement semble permettre à l’égalité formelle d’être le paradigme dominant, pourvu que des adaptations soient parfois accordées pour remédier à des effets inégaux. Il ne met pas en doute les croyances profondes relatives à la supériorité intrinsèque de caractéristiques comme la mobilité et la vue. Bref, l’accommodement favorise l’assimilation. Son objectif est de tenter de faire cadrer les personnes « différentes » dans les systèmes existants.[402]

De poursuivre la juge, « [l]e droit de ne pas faire l’objet de discrimination est ramené à la question de savoir si le "courant dominant" peut, dans le cadre de sa norme formelle existante, se permettre d’accorder un traitement approprié aux personnes lésées. Dans la négative, l’édifice de la discrimination systémique reçoit l’approbation de la loi. Cela n’est pas acceptable. »[403]

La Cour suprême du Canada a élaboré une nouvelle[404] analyse pour justifier l’établissement d’une exigence de bonne foi obligeant les intimés à passer en revue et à modifier, pour les rendre inclusives, les règles, exigences et normes causant préjudice, jusqu’au point de préjudice injustifié. Le tribunal a poussé les organisations à elles-mêmes « intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail » (et par extension les normes de services)[405]. Ce faisant, il a radicalement modifié la visée initiale de l’accommodement, mettant en cause non plus la personne faisant l’objet du préjudice, mais la norme causant le préjudice[406]. En résumé, la décision Meiorin a eu les répercussions suivantes sur le plan judiciaire : une fois que l’existence d’un cas à première vue de discrimination (par suite d’un effet préjudiciable) a pu être démontrée, l’organisation a la responsabilité, aux termes de la loi, d’explorer une variété de mesures d’adaptation, y compris la possibilité de commencer par ce que certains ont nommé l’« accommodement systémique »[407] (modification de la norme au bénéfice de tous). L’organisation peut passer à l’examen des mesures d’adaptation individuelles possibles jusqu’au point de préjudice injustifié seulement après avoir fait la démonstration que l’accommodement systémique créerait un préjudice injustifié.

Les politiques et directives de la CODP recommandent également aux organisations de concevoir leurs programmes, services et milieux de travail de façon inclusive. Comme l’accommodement systémique, l’idéal de « conception inclusive » du secteur des droits de la personne peut obliger les organisations à examiner minutieusement et réorganiser leurs façons de faire les choses (normes et règles actuelles). La conception inclusive n’a pas besoin d’être (et idéalement ne devrait pas être) le résultat de plaintes, de demandes d’accommodement ou de requêtes fondées sur un cas de discrimination (par suite d’un effet préjudiciable) à première vue.

2.4 Accommodement et droits contradictoires

L’examen des droits d’autrui fait souvent partie intégrante de l’accommodement de la croyance (p. ex. droits des autres groupes protégés par le Code ou intérêt général de la société en matière d’ordre public, de santé, de sécurité ou de démocratie). Comme l’examinent les documents de la CODP intitulés Politique sur les droits de la personne contradictoires et L’ombre de la loi : Survol de la jurisprudence relative à la conciliation de droits contradictoires, il peut arriver, et arrive souvent, que des droits entrent en conflits les uns avec les autres, surtout dans le contexte de la croyance. À tous les paliers de législation relative aux droits de la personne, la reconnaissance du fait que la liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance (religieuse ou autre) provient en grande partie d’une compréhension des répercussions possibles de nos actions sur autrui[408].

Certaines des affaires de droits contradictoires les plus complexes de l’ère contemporaine ont eu trait au refus de fournir certains services au motif de la croyance (p. ex. avortement, célébration du mariage de personnes du même sexe, coupe de cheveux de femme) ou d’exécuter des tâches liées à l’emploi (p. ex. acheminement de patients vers des services d’avortement, service d’alcool, installation d’étalages de Noël), ou les deux. Pour savoir comment aborder et régler le plus convenablement possible de telles situations, la CODP recommande aux lecteurs de se reporter à sa Politique sur les droits de la personne contradictoires, qui présente les grandes lignes d’un cadre de résolution de ce genre de situations. La politique met de l’avant plusieurs principes importants, dont les suivants : 

  • il n’existe aucune hiérarchie entre les droits
  • aucun droit n’est absolu
  • l’examen doit prendre en compte le contexte
  • les droits comprennent des éléments fondamentaux et périphériques, et la conciliation des droits penchera vers le respect des éléments qui forment le cœur du droit
  • il importe de chercher des « compromis constructifs », ainsi que des « mesures d’adaptation » et autres qui atténueront le préjudice pouvant être causé à chaque droit.

 

[384] Supra, note 282.

[385] L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 11(1). La Partie 1 du Code (Égalité des droits) énonce les motifs de discrimination interdits et les domaines sociaux (services et installations, logement, contrats, emploi, association professionnelle) où la discrimination fondée sur ces motifs est interdite.

[386] Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012, supra, note 317.

[387] Hutterian Brethren, supra, note 235. Dans sa récente décision dans l’affaire R. v. Badesha, 2011 ONCJ 284 (CanLII) (Badesha), la Cour de justice de l’Ontario a observé que le degré d’ingérence qui doit être démontré avant que l’on considère que les effets sur les droits religieux sont plus que « négligeables » ou « insignifiants » peut varier selon les circonstances particulières.

[388] Eldary v. Songbirds Montessori School Inc., 2011 OHRT 1026 (CanLII). Dans cette décision du TDPO, le tribunal a conclu que le fait de gérer un camp de jour organisé par l’église de la partie requérante à titre d’activité de financement n’était pas de nature religieuse ni considéré comme une obligation selon les préceptes de sa foi. Le fait que ces activités se déroulaient à l’église ne suffisait pas à conclure qu’elles avaient droit à des protections au motif de la croyance.

[389] Hendrickson Spring, supra, note 304.

[390] Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4 (2007), 60 C.H.R.R. D/101 (N.S. Bd. Inq.). Dans cette affaire, la commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse a rejeté la requête voulant qu’un condominium soit tenu de prendre des mesures pour satisfaire à une demande d’installation d’une soucoupe, à l’encontre de ses propres règlements internes, pour permettre au requérant de capter des émissions religieuses et culturelles musulmanes de sources internationales. La commission a déclaré que pour pouvoir établir qu’il y a eu discrimination, il faut faire plus que montrer un lien quelconque avec la religion. Au contraire de l’affaire Amselem (supra, note 137), rien n’indiquait que l’accès au service par satellite constituait une pratique, une croyance, une obligation ou une coutume religieuse, ou que cela faisait partie des préceptes de la foi ou de la culture de la famille. Bien que le requérant ait voulu avoir accès à une technologie permettant d’exposer davantage les membres de sa famille à leur culture, leur langue et leur religion, rien n’indiquait que son absence compromettrait de quelque façon que ce soit l’observance de leur foi.

[391] Hendrickson Springsupra, note 304, a été cité dans cette décision selon laquelle le fait de distribuer des cadeaux à caractère religieux (p. ex. des stylos comprenant des inscriptions religieuses) en milieu de travail ne constitue pas un droit protégé, même si la capacité de le faire était extrêmement importante pour la plaignante. Aucune preuve n’indiquait que cette activité faisait partie de sa religion en tant que chrétienne régénérée; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (Barillari Grievance), [2006] O.G.S.B.A. No. 176, 155 L.A.C. (4th) 292).

[392] Whitehouse v. Yukon [2001], 48 C.H.R.R. D/497 (Y.T.Bd.Adj.). Dans cette décision, une commission d’arbitrage du Yukon n’a pas reconnu à un membre des Premières nations le droit à un congé spécial pour assister à une réunion de sélection de revendications territoriales en raison de ses devoirs ancestraux et religieux.

[393] R. v. N.S., 2010 CA ON 670au par. 69.

[394] Saadi v. Audmax, 2009 OHRT 1627 (CanLII).

[395] Dans Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 (CanLII), la Cour divisionnaire de l’Ontario qui a procédé à la révision judiciaire de l’affaire a exprimé son désaccord avec la conclusion du TDPO dans Saadi v. Audmax, selon laquelle la façon dont l’employeur appliquait le code vestimentaire constituait une discrimination intersectionnelle à l’endroit de la plaignante, fondée à la fois sur les motifs de sexe et de croyance. Le tribunal a conclu que le TDPO aurait dû se demander s’il aurait été possible pour Mme Saadi de respecter le code vestimentaire de l’employeur sans compromettre ses croyances religieuses vis-à-vis du port de vêtements religieux appropriés. Le tribunal indiquait (au par. 86) :

Rien dans la religion de Mme Saadi ne l’obligeait à porter la forme particulière de hijab qu’elle portait ce jour-là. S’il lui était possible de porter une forme de hijab conforme à la fois à sa religion et au code vestimentaire de l’entreprise (comme elle l’avait fait tous les jours pendant six semaines), il n’y avait pas atteinte à ses droits religieux. Seul son sens de l’esthétique, apparemment contraire à celui de son employeur, avait été atteint.

[396] Voir Beaman (2012).

[397] Voir Beaman (2012). Lorne Sossin (2009) met en lumière des tensions semblables au sein du régime et du discours judiciaires qui régit la religion en milieu de travail canadien. Elle fait état de cadres d’action contradictoires dont, d’un côté, un discours de pluralisme, d’inclusion et de reconnaissance mutuelle et, de l’autre, un discours d’« exceptionnalisme » qui voit le Canada comme « une société majoritairement chrétienne dans laquelle les autres minorités religieuses sont tolérées dans un contexte de déviation par rapport à la norme » (p. 485).

[398] Beaman (2012, p.16). Attirant l’attention sur les origines et répercussions du discours de l’« accommodement » dans le contexte des déséquilibres de pouvoir employeurs-employés relatifs au droit du travail et à l’emploi, Beaman (2012, p.16-17) considère que le discours et la pratique de l’accommodement ne répondent pas suffisamment aux objectifs et à la promesse d’une égalité réelle en tant que valeur constitutionnelle canadienne centrale. Cependant, elle souligne le caractère relativement nouveau et, par conséquent, transformable, du concept de l’accommodement qui domine maintenant le discours et le droit.

[399] ibidem, p. 17.

[400] Sous la rubrique Discrimination indirecte, le paragraphe 11(2) du Code stipule :

La Commission, le Tribunal ou un tribunal ne doit pas conclure qu’une exigence, une qualité requise ou un critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances, à moins d’être convaincu que la personne à laquelle il incombe de tenir compte des besoins du groupe dont la personne est membre ne peut le faire sans subir elle-même un préjudice injustifié, compte tenu du coût, des sources extérieures de financement, s’il en est, et des exigences en matière de santé et de sécurité, le cas échéant (cité dans la Politique sur la croyance de la CODP, 1996, p. 8).

La Politique sur la croyance de 1996 évoque cette composante de « conception inclusive » | e l’analyse de l’accommodement en affirmant ce qui suit : « Une adaptation peut se faire en modifiant une règle ou en prévoyant une exception partielle ou totale à la règle pour la personne demandant l'adaptation » (p. 7).

[401] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 (Meiorin).

[402] ibidem, par. 41 citant Day, Shelagh, et Gwen Brodsky. « The Duty to Accommodate : Who Will Benefit? » 1996, 75 Can. Bar Rev., 1996, p. 433.

[403] Iidem, par. 42.

[404] Les « exigences de bonne foi » constituent la principale défense applicable à la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, comme l’indique l’article 11 du Code. Selon la Cour suprême du Canada, pour être considéré comme une exigence de travail de bonne foi, l’employeur doit démontrer que la norme, le facteur, l’exigence ou la règle : 

  • a été adopté dans un but ou un objectif rationnellement lié aux fonctions exercées
  • a été adopté de bonne foi, en croyant qu’il était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif
  • est raisonnablement nécessaire à la réalisation du but ou de l’objectif de l’employeur, en ce sens que ce dernier ne peut pas composer avec la ou les personnes subissant l’effet préjudiciable sans que cela impose de préjudice injustifié.

Ce dernier critère provient de Meiorin (supra, note 401) et est essentiel puisqu’il oblige les employeurs à élaborer dès le départ leurs normes, règles et exigences d’une façon qui prend en considération la diversité des membres de l’organisation et cherche à tenir compte de cette diversité
et la favoriser, jusqu’au point de préjudice injustifié.

[405] Meiorin, supra, note 401, au par. 68.

[406] À propos des « profonds changements opérés à la conception de l’accommodement dans le domaine juridique » par suite de la décision Meiorin, Melina Buckley et Alision Brewin affirment :

Avant cette décision, les employeurs étaient uniquement tenus d’envisager des mesures d’adaptation individuelles en aidant ceux qui ne satisfaisaient pas à la norme existante. L’obligation comporte à présent deux volets. Les employeurs doivent tout d’abord se demander si la norme elle-même peut être modifiée de façon à être plus inclusive et à favoriser une égalité réelle sur le lieu de travail. Si cela n’est pas possible ou si la norme se justifie pleinement en regard du nouveau critère juridique plus strict, les employeurs sont toujours tenus de déployer d’importants efforts en vue d’un accommodement individuel (Buckley et Brewin, 2004, p. 22; cité dans Brodsky et coll., 2012, p. 10, italiques ajoutés).

[407] Karen Schucher décrit l’idée de l’« accommodement systémique » dans son commentaire sur
la nouvelle approche adoptée dans Meiorin en matière de « discrimination par suite d’un effet préjudiciable » : « Cette approche plus vaste étend la portée du concept de l’accommodement en exigeant l’apport de changements systémiques aux normes des milieux de travail. Ces changements incluent aussi bien une reconnaissance des réalités distinctives entre groupes et individus, que l’adoption de mesures de réparation et d’exception axées sur les individus. L’accommodement systémique requiert une transformation effective des normes liées au lieu de travail [...] » (Schucher, 2000, p. 9-10; cité dans Broskey et coll., 2012, p.10).

[408] Le droit international relatif aux droits de la personne établit une distinction importante, confirmée dans la jurisprudence canadienne, entre la dimension intérieure de la croyance ou conviction de la personne (forum internum), qui « bénéficie d’une protection absolue » sans limites, et sa « manifestation extérieure » qui « peut être soumise à certaines restrictions » dans le but de garantir la reconnaissance adéquate et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux exigences de la moralité, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique [DUDH, par. 29(2); pour en savoir davantage, consulter le Rapport d’activité du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction (2012) de l’Assemblée générale des Nations unies [A/67/303] (aux par. 17-21)].

 

3. Questions propres à l’accommodement des croyances

Bien que la notion d’accommodement ait surtout été développée dans le contexte des handicaps, son application au contexte de la croyance n’est pas nouvelle. La croyance soulève des questions particulières en matière d’accommodement, en partie en raison de la nature spécifique de la religion et de la croyance en tant que forme et source de différences sociales. Par exemple, les pratiques et observances liées à la croyance, et surtout à la religion, incluent typiquement des dimensions et formes d’expression collectives pouvant aller à l’encontre des normes et principes d’accommodement généralement acceptés (p. ex. l’accommodement repose sur une évaluation individuelle), adoptés dans le contexte des handicaps (voir la section V. 3.2 pour en savoir davantage sur cette question).

Cette dernière section du document présente des questions d’accommodement et formes d’analyse propres au contexte de la croyance, ainsi que des ambiguïtés et sources de tension parfois associées à des questions comme l’évaluation de la sincérité de la croyance et l’existence d’une croyance ou de pratiques liées à la croyance dignes de protection. On y examine aussi les questions et défis inhérents à l’accommodement des modes d’expression collective de la croyance.

3.1. Dimensions particulières de la croyance : points de vue sur le motif

Un des caractères distinctifs de la croyance réside dans son potentiel de mutabilité, c’est-à-dire son enracinement dans des convictions et identités subjectives qui la distinguent des autres motifs de discrimination interdits, moins variables (voire immuables). Pour certaines personnes, cette mutabilité de la croyance et de la religion, c’est-à-dire leur dimension de choix conscient par opposition à un caractère involontaire, fait que l’intolérance à leur égard est de bonne guerre. En attirant plus spécifiquement l’attention sur la façon dont la dimension de choix de la conviction religieuse peut miner la volonté de fournir des mesures d’adaptation à la croyance, un participant au dialogue stratégique de la CODP a émis le commentaire suivant :

L’accommodement religieux est perçu différemment des autres types d’accommodement parce que les gens pensent que la croyance est un « choix », plutôt que d’un besoin. Ou, je « choisis » de faire les choses de cette façon, mais j’ai aussi « besoin » de faire les choses de cette façon[409].

Certains poussent cette logique plus loin en affirmant que la religion et la croyance ne devraient pas bénéficier du même degré de protection juridique que d’autres motifs comme le sexe, la race ou l’orientation sexuelle, précisément parce que ces dernières formes de différences sociales sont largement prescrites et involontaires plutôt que le résultat d’un choix[410], comme c’est le cas pour la croyance. Il est important de noter que les tribunaux ont clairement rejeté, comme justification des comportements discriminatoires, l’argument selon lequel une personne peut éviter de faire l’objet de discrimination ou d’intolérance en modifiant ses comportements et en effectuant des choix différents (voir la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Québec (Procureur général) c. A[411]. Consulter également la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP pour obtenir plus de renseignements sur la position opposée, et en grande partie retenue par les tribunaux, selon laquelle il n’existe « aucune hiérarchie des droits » au Canada).

Un autre participant au dialogue stratégique de 2012 faisait remarquer que les convictions religieuses et croyances peuvent se heurter à plus d’opposition et d’hostilité que les autres motifs de discrimination interdits et entrer davantage en conflit avec les identités et convictions d’autrui, ou du moins causer plus de difficultés à cet égard. Rappelant l’importance de tenir compte des différences clés entre l’accommodement de la religion et celle du handicap, il affirmait : 

En contexte social, il n’est pas toujours possible de comparer le handicap et la religion étant donné que la religion de certains met ouvertement en question le mode de vie d’autres personnes, par exemple leur orientation sexuelle […] De plus, nous ne pouvons pas faire fi du fait que certaines personnes détestent la religion d’autrui […] Les autres catégories de motifs ne soulèvent pas toujours ces questions. Par exemple, la population s’entend généralement sur le fait qu’il faille rendre la société accessible aux personnes handicapées. En revanche, la religion bouscule les convictions des gens, qui ne sont pas toujours prêts à faire ce genre d’accommodement[412].

3.2. Accommodement des croyances collectives : accommodement des besoins du groupe

La croyance a aussi pour aspects particuliers sa dimension collective et le fait qu’elle constitue une forme éventuelle d’expression[413]. Cela est particulièrement vrai dans le cas des croyances religieuses. Or, un principe des droits de la personne largement accepté, surtout dans le contexte du handicap, veut qu’on doive parfois personnaliser les mesures d’adaptation pour assurer un traitement équitable, c’est-à-dire procéder à une évaluation individuelle (au cas par cas) des besoins de la personne en matière d’accommodement. Ce principe général peut être difficile à respecter dans le contexte de l’accommodement de la croyance, lorsqu’on doit prévoir des mesures d’adaptation aux actes d’adoration et observances rituelles qui répondent aux « besoins du groupe ». L’accommodement des actes d’adoration collectifs, comme on a pu le voir récemment dans une école intermédiaire de Toronto, en est un exemple[414].

Certains participants aux consultations soutenaient que, par définition, l’accommodement est nécessairement de nature individuelle et ne devrait pas s’étendre aux observances de groupes ou actes d’adoration collectifs (en raison du risque de contrevenir aux droits et besoins individuels). Cependant, l’analyse sur l’« accommodement systémique » selon les besoins du groupe présentée plus tôt montre qu’il n’est pas nécessaire d’envisager l’accommodement seulement du point de vue des besoins individuels. Même dans le contexte du handicap, il existe de nombreux exemples de mesures d’adaptation individuelles pouvant bénéficier à l’ensemble d’un groupe (par exemple, l’annonce verbale des arrêts des transports en commun pour les personnes ayant des handicaps visuels).

Malgré tout, les efforts déployés pour assurer une conception inclusive qui ne privilégie ou ne désavantage pas un membre quelconque de la communauté de croyance peuvent soulever des questions difficiles. La mise à jour de la Politique sur la croyance de la CODP devra fournir des directives aux organisations qui devront assurer l’accommodement d’une observance collective liée à la croyance.

Les organisations tenues de concevoir et de fournir une mesure d’adaptation
à une croyance collective doivent prendre en compte plusieurs éléments et principes, comme :

  • le maintien d’un environnement libre de contraintes en matière de religion et de convictions[415]
  • le respect et l’accommodement équitables de différentes convictions (sans en privilégier ou désavantager, ni sanctionner ou condamner aucune)
  • l’application du processus le plus inclusif possible en consultant le plus de parties touchées possible au moment de procéder à la conception inclusive ou à l’accommodement systématique des « besoins du groupe »
  • la prise en compte et la conciliation de tout droit contradictoire (conformément à la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP)
  • la prise en compte des différences internes du groupe en matière de besoins d’accommodement
  • la prise en compte des facteurs, lois et politiques propres au secteur/contexte.

La question suivante peut également être soulevée et devra être prise en considération dans le cadre de la mise à jour de la politique du CODP :

  • Dans quelle mesure les fournisseurs de mesures d’adaptation peuvent ou devraient-ils réglementer et surveiller les pratiques internes et observances collectives des communautés de croyance, et intervenir à ce chapitre, le cas échéant, s’il y a une possibilité que ces pratiques et observances contreviennent aux principes des droits de la personne ou idéaux d’égalité? 

Les membres individuels des communautés de croyance ont le droit de s’associer et de pratiquer un culte en groupe, généralement de la manière qu’ils jugent convenable, pourvu qu’ils puissent librement adhérer à la communauté en question et la quitter, conformément aux droits et mesures de protection de la liberté de religion et d’association prévus dans la Constitution. La jurisprudence actuelle laisse généralement entendre que les organisations ne devraient pas porter atteinte aux observances collectives des communautés de croyance. Cependant, dans le cas des observances collectives faisant l’objet d’un accommodement dans l’espace public, les organisations pourraient devoir garder un œil sur les droits contradictoires éventuels et mettre en place les mesures d’adaptation les plus susceptibles de respecter et promouvoir les droits de toutes les parties (pour en savoir davantage sur la conciliation des droits contradictoires, consulter la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP).

De plus, la Politique sur la croyance contient une disposition qui, dans les faits, annulerait les mesures de protection juridiques accordées aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence », et (ou) aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel ». Les effets de cette disposition devront être examinés dans le contexte de la mise à jour actuelle de la politique.

3.3 Établir l’existence d’une croyance

Dans la plupart des cas, il ne sera pas nécessaire ou raisonnable de s’interroger sur l’existence d’une croyance entraînant une obligation d’accommodement[416]. Cependant, si un doute demeure au moment du dépôt d’une demande d’accommodement, le fournisseur éventuel des mesures d’adaptation pourrait devoir déterminer s’il existe bel et bien une conviction ou une pratique sincère digne d’accommodement aux termes de la loi.

Bien qu’il n’existe aucune formule prédéterminée indiquant si l’on devrait établir l’existence d’une croyance avant ou après l’établissement de la sincérité de la conviction, la question peut devoir être posée : La personne revendiquant des droits adhère-t-elle à une croyance protégée aux termes du Code?

La jurisprudence indique clairement que la perception subjective et personnelle de tout demandeur à l’égard de ses croyances est ce qui importe, par opposition aux obligations réelles de la foi ou aux convictions et pratiques de ses autres adeptes. La Politique sur la croyance de 1996 de la CODP affirme ce point à plusieurs reprises, en indiquant par exemple que « des personnes peuvent [de façon légitime] demander des mesures d’adaptation pour des pratiques ou observances religieuses qui ne correspondent pas à des doctrines établies, ou elles peuvent demander une adaptation pour observer une pratique qui n’est pas observée par tous les membres de la croyance »[417]. Même si elle n’a aucune valeur exécutoire devant les tribunaux judiciaires ou le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, la définition que la CODP donne à la croyance dans sa politique mise à jour aura une influence sur ce qui pourrait être qualifié de croyance au sens du Code. Il existe également d’autres critères « objectifs » que peuvent utiliser les organisations au moment de chercher à établir l’existence d’une croyance (p. ex. son lien avec un système de convictions exhaustif et tout englobant), comme l’indique la section sur la définition de la croyance (voir en particulier la section IV 1.1, tout en gardant à l’esprit que la CODP n’a pas terminé d’établir et de clarifier les critères possibles).

3.4. Observances par opposition à pratiques

L’établissement d’une distinction entre les éléments fondamentaux et périphériques d’une religion ou d’une croyance peut être d’autant plus complexe que la jurisprudence canadienne affirme généralement qu’une pratique peut faire l’objet de mesures d’adaptation malgré le fait qu’elle ne constitue pas une « obligation », un « acte d’adoration » ou une « exigence de la foi », contrairement aux tendances observées en Europe, où l’on maintient une plus grande distinction entre les « observances » et les « pratiques »[418]. Compte tenu des distinctions observées sur la scène internationale entre les pratiques et les observances[419], la CODP pourrait vouloir réexaminer son maintien de la terminologie existante et du recours au terme « observances » dans le titre de sa politique actuelle de 1996 (Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses). La politique ne définit pas le terme « observances » et ne fait aucune distinction notable entre les observances et les pratiques. Une des seules mentions du mot se trouve dans la définition de croyance, soit « un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte » (p. 4; italiques ajoutés).

Cependant, la distinction entre les pratiques associées à une croyance et les observances imposées par une croyance peut ne pas être particulièrement significative devant les tribunaux du pays en raison de l’approche subjective adoptée dans la décision Amselem (selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’une pratique soit imposée « officiellement » pour être digne de protection aux termes de la loi).

3.5 Application des analyses de la Charte au contexte du Code

On trouve dans la jurisprudence, et plus particulièrement la jurisprudence prise en application de l’article 1 et du paragraphe 2(a) de la Charte, des appuis à l’idée de restreindre plus étroitement les pratiques religieuses dignes de protection juridique aux seules observances religieuses fondamentales. Comme nous l’indiquions précédemment, les décisions jurisprudentielles prises en application du paragraphe 2(a) indiquent que les atteintes « négligeables ou insignifiantes » au droit à la liberté de religion constituent des atteintes ne menaçant pas véritablement une croyance ou un comportement religieux[420]. De façon similaire, selon les critères Oakes établis aux termes de l’article 1 de la Charte, la limitation d’une liberté ou d’un droit constitutionnel (comme la liberté de religion) peut être jugée appropriée si on peut montrer : (i) que la restriction d’un droit a pour but d’atteindre un objectif urgent et réel; (ii) qu’il y a un lien rationnel entre la mesure juridique choisie et l’objectif visé et, enfin, (iii) que l’atteinte au droit ou à la liberté en cause est minimale (italiques ajoutés)[421].

Les penseurs du milieu juridique soulignent que les tribunaux supérieurs font de plus en plus appel aux restrictions prévues à l’article 1 dans les causes relatives aux droits religieux[422]. Certains y voient le résultat de la définition hautement subjective de la religion établie dans Amselem, qui réduit considérablement la portée éventuelle des limites internes (« objectives ») applicables à ce droit. Beaucoup soutiennent que les critères Oakes de restriction des droits aux termes de l’article 1 de la Charte ouvrent la porte à une interprétation large et, du moins dans leur application aux affaires de liberté de religion traitées jusqu’à présent, n’ont pas opéré la même force de promotion de l’égalité réelle que les analyses de l’accommodement menées dans le contexte des lois relatives aux droits de la personne. Selon certains analystes, les tribunaux appelés à présider des causes relatives aux droits religieux comme Wilson Colony[423] et R. v. Badesha [424] ont « adopté dans la pratique une norme de justification très faible aux termes de l’article 1 de sorte que le droit ne protège que des formes limitées de libertés »[425]. Ces deux décisions semblent donner à penser qu’aux termes de la Charte, une atteinte aux droits religieux d’une personne ne sera jugée importante que dans la mesure où la personne se trouvait obligée de choisir entre la participation à une activité (p. ex. conduire une voiture ou une motocyclette) et sa religion[426]. Dans de telles décisions, l’apparente absence de toute exigence d’examen des façons d’assurer une conception plus inclusive ou d’atteindre les objectifs législatifs[427], dans le but de promouvoir l’égalité réelle, illustre les tensions et inconvénients éventuels d’une simple importation des analyses sur l’atteinte minimale effectuées aux termes de la Charte dans la jurisprudence relative aux droits de la personne en matière de croyance (voir la section IV 2.1.4 pour en savoir davantage sur la relation Code-Charte).

Si les analyses menées aux termes de la Charte ont tendance à mettre l’accent sur les libertés individuelles et à permettre une interprétation plus large de ce qui constitue une atteinte minimale, l’approche axée sur les droits de la personne, en revanche, met l’accent sur les objectifs de l’égalité, de l’accès équitable aux biens, avantages et services de la société, et à leur pleine jouissance en imposant une obligation d’accommodement jusqu’au point de préjudice injustifié[428].

3.6 Religions qui incitent à la haine ou à la violence ou contreviennent au droit international en matière de droits de la personne

Une autre des restrictions aux droits liés à la croyance provient de la limite établie dans la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP à la portée de la croyance. Selon la politique, la croyance ne s’étend pas :

  • aux religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes
  • aux pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel (p.5).

Cette question pourrait devoir être éclaircie dans la politique mise à jour.

Dans l’affaire Huang[429], le TDPO a rejeté l’argument selon lequel un système de croyances qui ne se conforme pas à la Charte devrait être rejeté. Le TDPO a fait une distinction entre le fait d’exclure la religion dans son ensemble et celui d’imposer des limites à la pratique de la religion lorsque cela peut causer des torts à autrui (aux par. 31-32) :

Autrement dit, les valeurs de la Charte sont pertinentes lorsqu’il s’agit de déterminer la portée de la liberté de religion protégée aux termes de lois constitutionnelles ou quasi constitutionnelles. Il n’est cependant pas approprié d’exclure de la portée du Code un système de croyances qui pourrait ne pas se conformer à la Charte.

À mes yeux, il existe une différence entre l’établissement de limites sur l’exercice d’une liberté de religion parce qu’elle porte atteinte aux droits d’autrui et le refus d’étendre la notion de « croyance » à un mouvement religieux parce que certaines des convictions qu’il véhicule peuvent ne pas cadrer avec les valeurs exprimées dans la Charte.

3.7. Établir le niveau de sincérité de la croyance

« Dans la pratique, les gens sont souvent obligés d’obtenir la confirmation de leurs besoins en matière d’accommodement spirituel auprès d’autorités quelconques. Dans un de mes cas récents par exemple, une entreprise de limousines exigeait d’un chauffeur qu’il se rase la barbe. Quand l’employé a refusé, l’entreprise lui a montré du doigt d’autres chauffeurs sikhs ayant acquiescé à sa demande. Elle l’a aussi sommé d’obtenir une lettre d’un prêtre s’il voulait avoir gain de cause. Ce genre de situations survient aussi en milieu scolaire, où les enfants qui veulent porter le kirpan se font encore prier d’apporter une lettre d’un prêtre. Nous devons faire en sorte que la nouvelle politique sur la croyance indique clairement que ce sont les convictions spirituelles individuelles et la sincérité de la croyance qui importent. Ce n’est pas comme cela que ça marche sur le terrain. »

– Balpreet Singh Bopari, présentation effectuée lors du dialogue stratégique sur la croyance de 2012

En ce qui concerne les requêtes relatives à la liberté de religion déposées aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, la Cour suprême a confirmé que la perception subjective et personnelle de tout demandeur à l’égard de sa religion est ce qui importe, et pas les obligations réelles de la foi ni les croyances et les pratiques des autres membres de la même confession. D’expliquer le tribunal, il a adopté cette définition subjective de la religion afin de ne pas ouvrir la porte à des débats théologiques. Les décisions prises en application du Code ont aussi confirmé l’approche subjective adoptée en matière de croyance, et l’attention correspondante portée à la sincérité de la croyance[430].

Au moment d’évaluer la sincérité de la croyance d’une personne, les organisations peuvent chercher à établir « que la croyance religieuse invoquée est avancée de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice »[431]. Un des principes généralement reconnus dans la jurisprudence relative à l’accommodement du handicap veut que l’on présume que la revendication est sincère et effectuée de bonne foi, à moins qu’on ait une raison de croire le contraire (par exemple, historique d’allégations fausses ou vexatoires). Il reste à examiner comment et dans quelle mesure, le cas échéant, cette norme de « bonne foi » par défaut s’applique dans le contexte de l’accommodement de la croyance.

Selon les décisions rendues jusqu’à présent, les organisations pourraient être en droit d’examiner la sincérité et la crédibilité des revendications d’un requérant relativement à ses besoins en matière d’accommodement[432]. Ce faisant cependant, il n’est pas convenable de présumer qu’une personne n’ayant pas suivi les règles de sa croyance par le passé, ou ayant fait certaines exceptions à ce chapitre, n’a pas aujourd’hui de croyance valide ou sincère. Comme l’indique la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. N.S. : « [l]a perfection passée n’est pas une condition préalable à l’exercice du droit constitutionnel à la liberté de religion »[433]. La décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. N.S. confirmait ce point, en ajoutant que la « force de la croyance » et la « sincérité de la croyance » sont deux questions distinctes[434]. Et bien que la « constance de la pratique religieuse » puisse servir de critère de détermination de la sincérité de la pratique, comme l’établit la jurisprudence, les organisations doivent tenir compte de la place croissante qu’occupent l’éclectisme, l’individualisme et le syncrétisme dans la conduite de la société contemporaine en matière de croyance et de religion (dans la section III. 1.2 sur l’historique de la croyance)[435]. Bien qu’il ne s’agisse pas, en soi, d’un facteur déterminant suffisant, il pourrait être possible de confirmer partiellement la sincérité de la croyance et établissant l’existence objective de la croyance et d’une communauté correspondante d’adeptes, à laquelle le requérant appartient de toute évidence. 

Compte tenu du critère central d’affirmation de l’existence d’un droit relatif à la croyance que constitue la sincérité de la croyance, le processus de mise à jour de la politique devra inclure l’examen des principes et des lignes directrices d’évaluation de la sincérité de la croyance, comme le réclament souvent les organisations.

3.8 Congés pour observances religieuses

Lorsqu’une personne demande un congé à son employeur pour observer une fête religieuse, ce dernier doit tenir compte de ses besoins. Si l’obligation de l’employeur de fournir des mesures d’adaptation sous forme de congés pour l’observance de la prière, du sabbat et des fêtes religieuses a été confirmée à maintes reprises, il a été plus difficile de déterminer si ces congés doivent être payés. La portée de la mesure d’adaptation exigée est une question qui revient souvent : dont-on offrir un congé payé? Jusqu’à quel point? Pourrait-on offrir un congé sans solde?

La Politique sur la croyance de 1996 de la CODP a établi les principes généraux suivants, fondés sur la jurisprudence qui existait à l’époque (et reposait principalement sur Chambly)[436] :

  1. Un employeur a le devoir de considérer et d’accepter les demandes de congés pour observances religieuses, y compris les congés payés, à moins qu’une telle mesure lui cause un préjudice injustifié.
  2. Le principe de l’égalité de traitement exige, à tout le moins, que les employés aient droit à des congés payés pour observances religieuses, jusqu’à concurrence du nombre de jours de congé chrétiens qui sont considérés comme jours fériés, soit deux jours (Noël et le Vendredi saint).
  3. Le nombre de congés payés peut être de trois en vertu de certaines conventions collectives qui reconnaissent aussi le lundi de Pâques comme un congé payé.
  4. Au-delà de ces mesures, soit l’octroi de deux ou de trois jours, les personnes concernées peuvent demander d’autres mesures d’adaptation. Par exemple, ces mesures peuvent inclure des congés payés additionnels comme les congés mobiles ou des congés pour raisons personnelles, si de telles dispositions existent dans la convention collective ou la politique de la compagnie, ou des congés non payés.
  5. Le critère de préjudice injustifié s’applique à toutes les demandes d’adaptation, et c’est à l’employeur qu’il incombe de montrer les effets du préjudice causé et de prouver à quel point le préjudice est injustifié[437].

Ces principes reposent en grande partie sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Chambly [438]. Dans cette affaire, le tribunal a examiné la demande d’enseignants juifs voulant se prévaloir d’une disposition de la convention collective prévoyant des congés spéciaux payés qui leur aurait donné droit à un congé payé pour Yom Kippur. L’employeur leur a dit qu’ils pouvaient prendre le congé sans rémunération[439]. La Cour a observé que les fêtes religieuses chrétiennes de Noël et du Vendredi saint étaient prévues au calendrier scolaire. Les employés chrétiens pouvaient donc observer leurs fêtes religieuses avec rémunération. Les enseignants juifs, dont ce n’était pas le cas, subiraient en revanche un effet discriminatoire à moins qu’une mesure d’adaptation ne soit offerte par l’employeur.[440] Dans ce cas précis, il n’était pas possible d’offrir une adaptation en modifiant l’horaire de travail puisque les enseignants ne peuvent travailler que lorsque les écoles sont ouvertes et que les élèves sont en classe. Par conséquent, l’employeur était tenu d’offrir des congés payés.

Les décisions subséquentes n’ont pas conclu que l’arrêt Chambly obligeait tous les employeurs à fournir aux autres employés le même nombre de congés payés qu’aux employés chrétiens. Dans l’affaire Ontario (Ministry of Community and Social Services) v. Grievance Settlement Board[441], la Cour d’appel de l’Ontario a examiné le grief d’un membre de l’Église universelle de Dieu qui demandait 11 jours de congé payés par année pour des fêtes religieuses. La politique de l’employeur accordait deux jours de congés payés aux employés et leur permettait d’honorer le reste de leurs obligations religieuses en modifiant leur horaire de travail. L’employeur a fait à l’employé diverses propositions d’accommodement de ses besoins en matière d’observance religieuse, mais ce dernier les a toutes refusées sous prétexte qu’il avait droit à 11 jours de congé payés.

La Cour d’appel a conclu que la politique de l’employeur respectait bien son obligation d’accommodement. Les options de réaménagement de l’horaire prévues dans la politique constituaient « une mesure d’adaptation viable pour les employés qui avaient besoin de congés supplémentaires au-delà des deux jours déjà prévus. Elles leur permettaient d’aménager leurs heures de travail de manière à leur éviter d’avoir à choisir entre la perte de salaire ou l’utilisation d’avantages déjà gagnés [soit les jours de vacances accumulés], d’une part, et l’observance de leurs fêtes religieuses, d’autre part. »

La Cour d’appel a souligné que dans l’affaire Chambly[442], la Cour suprême avait trouvé important le fait qu’il était impossible pour un enseignant de reprendre un congé pris pour une fête religieuse en travaillant un autre jour. Elle a donc conclu que les employeurs pouvaient satisfaire à leur obligation d’accommodement en offrant un réaménagement approprié de l’horaire de travail, sans devoir au préalable prouver que le fait d’accorder un congé payé entraînerait un préjudice injustifié de nature économique ou autre.

Dans l’affaire Markovic v. Autocom Manufacturing Ltd.[443], le TDPO s’est penché sur le cas d’un employeur n’ayant pas offert à un employé le nombre (2) de jours de congé payés correspondant à ceux prévus pour les fêtes religieuses chrétiennes. La politique de l’employeur offrait plutôt une gamme de mesures d’adaptation, comprenant la possibilité de reprendre le temps, de changer de quart avec un autre employé, de travailler un jour férié laïque lorsque l’entreprise est ouverte (sous réserve de la Loi sur les normes de travail), de réaménager l’horaire des quarts, d’utiliser des jours de vacances ou de prendre un congé sans solde. Selon M. Markovic le refus d’Autocom de lui accorder un congé payé pour célébrer la fête de Noël selon le rite de l’Église orthodoxe serbe était discriminatoire.

Le TDPO a conclu qu’en offrant un processus permettant aux employés de prendre des dispositions pour avoir congé afin d’observer des fêtes religieuses au moyen d’options d’aménagement de leur horaire, sans perte de salaire, l’employeur avait établi une politique appropriée et non discriminatoire. Le TDPO a conclu que les circonstances étaient différentes de celles de l’affaire Chambly (arrêt de la Cour suprême), qui ne permettaient pas la modification de l’horaire en raison de la nature du milieu de travail [école] et qui mettait en scène un employeur d’avis que les trois jours de congé spéciaux payés prévus par la convention collective ne pouvaient pas être utilisés à des fins d’observance religieuse.

Cependant, le TDPO a observé dans Markovic[444] que les options d’aménagement de l’horaire prévues pourraient ne pas convenir à certaines personnes et qu’il faudrait, en pareil cas, explorer d’autres mesures d’adaptation. Ce faisant, il a laissé ouverte la possibilité que l’on doive prévoir un congé payé dans certaines circonstances.

Dans Koroll v. Automodular Corp, le TDPO a également affirmé le bien-fondé de permettre aux employeurs de remplir leur obligation d’accommodement au moyen d’une variété de mesures autres que des congés payés, surtout dans les milieux de travail disposant d’horaires souples[445]. Dans ces affaires, le TDPO semble avoir laissé entendre qu’il ne jugera pas qu’il y a eu discrimination par suite d’un effet préjudiciable tant que la recherche de solutions permet à l’employé touché de prendre un congé à des fins d’observance d’une fête religieuse sans subir de conséquences défavorables importantes sur le plan de l’emploi (y compris une perte de salaire). Cependant, la détermination de ce qui constitue une conséquence défavorable sur le plan de l’emploi (équivalente à de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable) est très peu circonscrite.[446] Cette question devra être examinée et clarifiée dans le cadre de la mise à jour de la politique.


 

[409] Présentation de Balpreet Singh effectuée le 13 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP sur la croyance.

[410] À l’opposé, Meer et Modood (2010, p. 82) affirment ce qui suit, en s’appuyant sur l’exemple spécifique des musulmans au Royaume-Uni : «  [Cette position] fait cependant fi [...] du fait que les gens ne choisissent pas de naître ou non dans une famille musulmane. De façon similaire, personne ne choisit de naître au sein d’une société où le fait d’être musulman ou de ressembler à un musulman occasionne des soupçons ou de l’hostilité, qui s’apparentent logiquement au genre de discrimination raciale dont font l’objet d’autres minorités. »

[411] Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5.

[412] Présentation de Nadir Shirazi effectuée le 13 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP sur la croyance.

[413] La Cour suprême du Canada a reconnu l’aspect communal et collectif des droits religieux dans plusieurs décisions, y compris Hutterian Brethren, supra, note 235. Dans cette note, le juge LeBel, en position minoritaire, affirme aux par. 181-2 :

« [La liberté de religion, c’est] d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune [...] La religion a trait aux croyances religieuses, mais aussi des rapports religieux [...] [cette cause] soulève des questions sur [...] le maintien des communautés organisées autour d’une même foi (non souligné dans l’original; cité dans Schutten, 2012).

[414] Fréquentée par une majorité d’élèves musulmans, l’école en question avait pris des mesures pour assurer la prière collective du vendredi dans sa cafétéria pour une variété de raisons ayant trait à la sécurité, à l’inclusion et à la prévention de l’absentéisme.

[415] Les tribunaux ont reconnu un continuum de ce qui peut constituer de la « pression » dans les milieux scolaires et autres fréquentés par les enfants et les jeunes, qui sont plus impressionnables et vulnérables à la pression sociale. La pression exercée en matière de religion, dans ce contexte, peut prendre des formes plus indirectes. 

[416] L’obligation d’accommodement comporte à la fois des dimensions procédurale et de fond. Bien que l’obligation matérielle fasse référence à la mesure d’adaptation demandée ou fournie, qui doit satisfaire de façon appropriée les besoins réels de la personne, l’obligation procédurale d’accommodement est tout aussi importante. Elle oblige les fournisseurs et demandeurs de mesures d’adaptation à participer à un processus visant à déterminer ce qui est approprié. Une organisation peut manquer à son obligation d’accommodement uniquement pour avoir fait fi de son obligation procédurale d’explorer, de bonne foi, la demande et les possibilités connexes, même lorsque l’accommodement matériel est jugé non approprié. En outre, un demandeur de mesures d’adaptation peut voir sa requête rejetée pour n’avoir pas pris part au processus d’accommodement (conformément à l’obligation procédurale), même lorsque l’accommodement matériel est jugé approprié. Par exemple, consulter l’affaire Daginawala v. SCM Supply Chain Management Inc., (2010 OHRT 205 (CanLII)), mettant en scène un employé n’ayant pas donné de préavis suffisant de sa demande de congé à des fins religieuses. Dans cette affaire, le TDPO a conclu que le requérant n’avait pas informé son employeur qu’il avait besoin de quatre heures de congé non payé en lui donnant un préavis suffisant pour lui permettre de trouver quelqu’un pour le remplacer. L’employé avait donné un préavis d’environ 72 heures et l’employeur avait ordinairement autorisé le congé lorsqu’il avait reçu un avis suffisant.

[417] Page 18 (note de bas de page 20).

[418] Cela se reflète dans des causes controversées traitées par des tribunaux européens (y compris en Angleterre, en Italie et dans le reste de l’UE) et dans le cadre desquelles des chrétiens ont appris que la protection juridique du droit à la liberté de religion ne leur donnait pas le droit de porter une croix en milieu de travail étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une « observance » exigée par leur religion (mais plutôt une simple pratique en lien avec cette religion) (voir Donald, 2012). Cependant, dans sa récente décision judiciaire potentiellement jurisprudentielle portant sur le cas d’une employée d’accueil de la British Airways à qui l’on avait empêché de porter une croix au travail, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu que le transporteur avait indûment restreint le droit de l’employée d’exprimer sa religion (consulter l’article sur cette affaire paru dans les médias et intitulé Cross ban did infringe BA worker's rights, Strasbourg court ruleswww.guardian.co.uk/law/2013/jan/15/ba-rights-cross-european-court).

[419] À propos des « symboles religieux », un rapport (2006) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies intitulé Report on Civil and Political Rights Including the Question of Religious Intolerance et soumis par la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Asma Jahangir, fait état d’une distinction établie par certains entre une observance, qui fait référence aux « prescriptions inévitablement liées à la religion ou aux convictions et protègent à la fois le droit de poser certains gestes et le droit de s’abstenir d’en poser d’autres » et une pratique, qui fait référence à une manifestation « non pas prescrite, mais seulement autorisée par une religion ou une conviction » (E/CN.4/2006/5). Bien que certains États n’étendent leur protection qu’aux observances, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (et plus précisément Rosalind Higgins) a indiqué qu’il n’incombait ni au comité ni à ses États membres de déterminer ce qui représentait ou non une manifestation de la religion ou une conviction religieuse véritable (discussion du Comité des droits de l’homme des Nations Unies du 24 juillet 1992, Summary Records of the 1166th meeting of the forty-fifth session, au par. 48).

[420] R v. Badesha, supra, note 387.

[421] Haboucha (2010). L’article 1 de la Charte, connu aussi sous le nom de « clause des limites raisonnables », prévoit restreindre les droits constitutionnels (y compris les droits à la liberté de religion et de conscience prévus au paragraphe 2(a) et droits à l’égalité religieuse prévus à l’article 15) à ce qui est jugé « raisonnable » et dont la « justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Le libellé exact des critères utilisés pour déterminer
de telles « limites raisonnables » a été mis de l’avant dans R. c. Oakes. Pour justifier une telle contravention de la Charte, le gouvernement doit démontrer :

  1. qu’il existe un objectif gouvernemental urgent et réel
  2. que les moyens utilisés pour atteindre l’objectif sont proportionnels, ce qui signifie :
    1. qu’il doit exister un lien logique entre l’objectif visé et les moyens
    2. que l’atteinte aux droits doit être minimale
    3. qu’il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et l’objectif

(R. c. Oakes, supra, note 176).

[422] Voir par exemple Bhabha (2012) et Moon (2012a).

[423] Dans Hutterian Brethren, supra, note 235, la Cour suprême du Canada a conclu que les huttérites
qui ne croient pas, pour des motifs d’ordre religieux, que leurs photos doivent servir à des fins d’identification, doivent néanmoins respecter une loi provinciale pour des raisons en lien avec l’importance, pour l’intérêt public, de confirmer l’identité sur les permis de conduire. L’arrêt a été rendu par une faible majorité, trois juges sur sept étant dissidents. (Benson, 2012, p.23). Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que les huttérites demeuraient « libres » de mettre en pratique les principes fondamentaux de leur religion par suite de la décision du tribunal. Ils n’ont tout simplement pas (« à juste titre » selon l’analyse du tribunal prise en application de l’article 1 de la Charte) un accès égal à la conduite d’un véhicule et, par conséquent une mobilité égale, puisqu’ils se verraient refuser, dans la pratique, le permis de conduire en raison de leur objection de conscience à caractère religieux à la prise de photos à des fins d’obtention du permis.

[424] Supra, note 387. R. v. Badesha portait sur la contestation, par un homme sikh, d’une loi ontarienne qui oblige le port du casque de protection pour conduire une motocyclette. M. Badesha soutenait qu’il ne pouvait pas porter de casque en raison de ses croyances religieuses profondes en la nécessité de porter le turban. Le tribunal a conclu que l’atteinte aux droits religieux de M. Badesha découlant du fait qu’il ne pouvait pas conduire une motocyclette était négligeable et insignifiante, et qu’elle n’enfreignait donc pas le paragraphe 2 (a) de la Charte. Le tribunal a souligné que la limite imposée avait un effet sur sa capacité de conduire une motocyclette de la façon dont il voulait, non sur son droit de s’adonner au culte ou de mettre en pratique les croyances liées à sa religion. Conduire tout type de véhicule est un privilège et non un droit. Le juge a également pris en compte une analyse menée aux termes de l’article 1 de la Charte pour conclure que la loi sur le port obligatoire du casque protecteur était justifiée.

[425] Moon (2012a). Par exemple, dans R. v. Badesha, supra, note 387, le tribunal a conclu que le plaignant conservait la liberté de pratiquer sa religion sikhe, mais n’avait pas « à juste titre » droit d’accès à la grande variété d’options en matière de transport offertes aux autres citoyens, étant donné que cela constituait un privilège et non un droit. Cette détermination, effectuée dans le présent cas et dans Hutterian Brethren, supra, note 235, semble reposer en partie sur l’argument selon lequel les personnes visées disposaient d’autres options en matière de transport et conservaient la liberté de pratiquer leur religion, ce qui rendait l’atteinte non substantielle. Par exemple, M. Badesha pouvait conduire une voiture (ce qui n’exige pas le port d’un casque) tandis que les huttérites pouvaient recourir à des modes de transport autres que la voiture, qui ne nécessitent pas de permis de conduire (voir Moon, 2012a pour obtenir une analyse critique de la faible norme de justification adoptée par les tribunaux dans ces affaires au moment d’interpréter l’article 1).

[426] “D’affirmer un participant au dialogue stratégique de janvier 2012 à propos des décisions Badesha (supra, note 387) et Hutterian Brethren (supra, note 235) : « Jusqu’où voulons-nous pousser ce genre d’analyse? C’est-à-dire qu’une personne peut toujours aller ailleurs si on lui refuse un service pour des raisons en lien avec un motif du Code. » Il a ensuite conclu en disant : « Je trouve ce genre d’analyse troublant ». 

[427] Par exemple, certains ont indiqué que l’on aurait pu relativement facilement atteindre les objectifs législatifs d’identification et de sécurité dans Hutterian Brethren (supra, note 235), et de santé et de sécurité dans Badesha (supra, note 387) à l’aide d’autres moyens (p. ex. empreintes digitales dans le cas de Hutterian Brethren) (voir Benson, 2012).

[428] Dans l’arrêt Hutterian Brethren, supra, note 235, la Cour suprême a explicitement rejeté la pertinence de l’« analyse de l’accommodement raisonnable » des droits de la personne effectuée dans le cadre des analyses prises en application de l’article 1 de la Charte sur la légitimité des lois portant atteinte à une pratique religieuse. Cette position a été reprise plus tard dans l’arrêt Badesha, (supra, note 387) de la Cour de justice de l’Ontario (consulter l’analyse plus poussée de l’arrêt Hutterian Brethren effectuée par Moon, 2012a). Selon l’exposé raisonné de la juge en chef McLachlin dans Hutterian Brethren : « La constitutionnalité d’une mesure législative au regard de l’article premier de la Charte dépend, non pas de la question de savoir si elle répond aux besoins de chacun des plaignants, mais plutôt de celle de savoir si la restriction aux droits garantis par la Charte vise un objectif important et si l’effet global de cette restriction est proportionné (Hutterian Brethren, au par. 69; cité dans Moon, 2012a). Dans R. v. Badesha, la Cour de justice de l’Ontario a noté que les analyses prises en application du Code de droits de la personne et portant sur l’accommodement et le préjudice injustifié ne s’appliquent pas à une analyse prise en application de l’article 1 et portant sur l’allégation qu’une loi contrevient à la Charte.

[429]Huang, supra, note 14.

[430] Voir R.C. v. Niagara District School Boardsupra, note 8, pour un article plus récent. Dans cette affaire, le TDPO a conclu que la politique (2010) du conseil scolaire du district de Niagara était discriminatoire parce qu’elle permettait uniquement la distribution, dans certaines circonstances, de « textes sacrés reconnus et adoptés à l’échelle mondiale » :

La tentative de restriction de la politique aux seuls « textes sacrés reconnus et adoptés à l’échelle mondiale » et non à du matériel secondaire était discriminatoire [...] La politique était discriminatoire parce que sa définition de « matériel acceptable » contrevenait au principe de l’égalité réelle en excluant le type de matériel qui est central à de nombreuses croyances. Le fait de restreindre la distribution à des textes sacrés ou fondamentaux exclut certaines croyances et, par conséquent, est discriminatoire. L’exigence portant sur la reconnaissance « à l’échelle mondiale » peut aussi avec pour effet d’exclure les croyances émergentes et non traditionnelles (au par. 68).

[431] Amselem, supra, note 15, par. 52.

[432] ibidem, par. 53.

[433] R. v. N.S. (2010), supra, note 393

[434] R. c. N.S. (2012), supra, note 183.

[435] Des recherches laissent entendre que bon nombre de personnes expriment maintenant leur religion ou croyance de façon très individuelle et sélective, en fondant leurs convictions et pratiques davantage sur des interprétations et expériences personnelles que sur des expressions institutionnelles ou des exigences de la foi. Cette personnalisation des convictions et pratiques a également contribué à une forme croissante d’éclectisme, dont l’appellation anglaise « Sheilaism » a été rendue célèbre par un sociologue américain. Cela signifie que les gens « se façonnent » un système de croyances personnalisé, pouvant varier selon le contexte, à partir de convictions et de pratiques issues de sources et de traditions de plus en plus diverses. Dans son article intitulé Dimorphs and Cobblers : Ways of Being Religious in Canada, William Closson James cite l’exemple de plus en plus courant d’un ami qui, faisant partie d’un couple juif-chrétien, fréquente à la fois la synagogue réformiste (où il était jadis coordonnateur de l’éducation aux adultes) et l’Église unie (où il est membre du comité d’approche). Le syncrétisme des croyances est particulièrement courant chez les adeptes de diverses religions asiatiques et les peuples autrefois colonisés, y compris les peuples autochtones du Canada, dont beaucoup ont développé des pratiques religieuses syncrétiques pouvant prendre des formes axées sur l’alternance situationnelle plutôt que la synthèse. Les personnes chargées d’évaluer la sincérité de la croyance selon les normes (judéo-chrétiennes) occidentales de la cohérence devront tenir compte de cette diversité afin de ne pas juger les gens en fonction de normes, comme l’exclusivisme, pouvant être spécifiques aux versions dominantes des religions monothéistes abrahamiques.

[436] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 RCS 525.

[437] ibidem, par. 14.

[438] ibidem

[439] ibidem. Le conseil scolaire a fondé son argument en partie sur le fait que les jours fériés payés qui coïncidaient avec Noël et le Vendredi saint n’étaient pas de nature expressément religieuse, mais plutôt laïque et, par conséquent, qu’il n’y avait pas de discrimination (étant donné qu’aucune distinction n’était faite et qu’aucun avantage ou congé n’était accordé en fonction directe de la religion). La Cour suprême a rejeté cette justification et conclu qu’il s’agissait de discrimination indirecte, nommée aussi discrimination constructive (ou par suite d’un effet préjudiciable).

[440] L’analyse suivante effectuée dans Chambly a mené le tribunal à conclure qu’il y avait eu discrimination par suite d’un effet préjudiciable (c’est-à-dire indirecte) (au par. 541) :

[...] le calendrier scolaire prévoit déjà les jours de fête chrétienne de Noël et du Vendredi saint. Cependant, les adeptes de la religion juive doivent prendre une journée de congé pour célébrer le Yom Kippour. Il s’ensuit inévitablement que le calendrier a un effet différent sur les enseignants de religion juive. À cause de leurs croyances religieuses, ces enseignants doivent prendre une journée de congé, alors que la majorité de leurs collègues ont leurs jours de fête religieuse reconnus comme jours de congé. En l’absence d’accommodement de la part de leur employeur, les enseignants de religion juive doivent perdre une journée de salaire pour observer leur jour de fête. Il s’ensuit que le calendrier scolaire a pour effet de faire preuve de discrimination envers les membres d’un groupe identifiable à cause de leurs croyances religieuses. Le calendrier ou l’horaire de travail a donc un effet discriminatoire.

Le tribunal a ensuite examiné la nature de la mesure d’adaptation qui serait nécessaire pour contrer ces effets négatifs. Il a rejeté l’opinion voulant que l’offre du conseil scolaire d’offrir un congé non payé était une adaptation suffisante. Monsieur le juge Cory a écrit :

S’il existait une condition de travail qui niait à tous les professeurs asiatiques une journée de salaire, on conclurait qu’il y a discrimination [...] Manifestement, la discrimination directe résultant en une perte de salaire serait intolérable et défierait les mesures législatives relatives aux droits de la personne. Les effets négatifs semblables découlant de cette discrimination et donnant lieu à la même perte ne peuvent être tolérés à moins que l’employeur ne prenne des mesures raisonnables pour répondre aux besoins des employés touchés. ibidem, au par. 542).

Le tribunal a conclu que le conseil aurait dû offrir des congés pour observances religieuses en vertu des dispositions de la convention collective relatives aux congés pour raisons spéciales puisque cela ne lui aurait pas causé de préjudice injustifié.

[441] 2000 CanLII 16854 (ON CA).

[442] Chambly, supra, note 436.

[443] 2008 OHRT 64 (CanLII).

[444] ibidem

[445] Koroll v. Automodular Corp. [114], 2011 OHRT 774 (CanLII). Dans cette affaire, un membre de l’Église du Dieu vivant a allégué que son employeur avait porté atteinte à ses droits en ne lui donnant pas de congé payé pour observer les sabbats annuels. Il a aussi allégué que le programme de reconnaissance de l’assiduité établi par l’employeur était discriminatoire à son endroit. Les employés ayant une parfaite assiduité recevaient une prime, à laquelle il ne pouvait avoir droit même si son assiduité était parfaite à l’exception des jours de sabbat où il ne pouvait travailler en raison de ses croyances religieuses. Le TDPO a adopté la même position que dans l’affaire Markovic et a rejeté la prétention du requérant selon laquelle il avait droit à des congés payés pour les fêtes religieuses. Cependant, le tribunal a conclu que le fait que l’employeur exige qu’il soit présent tous les jours de travail prévus pour avoir une parfaite assiduité et recevoir une prime constituait une discrimination fondée sur la croyance. L’intimé n’a pas démontré qu’il ne pouvait fournir de mesure d’adaptation à l’égard des besoins religieux de l’employé sans subir de préjudice injustifié. Le TDPO a accordé 2 000 $ en dommages-intérêts pour atteinte à la dignité et à la fierté, et a ordonné à l’intimé de réviser son programme de reconnaissance de l’assiduité pour enlever l’effet discriminatoire qu’il a sur les employés qui ont des croyances religieuses exigeant qu’ils s’absentent du travail.

[446] Certains soutiennent du point de vue de l’égalité réelle que le fait d’exiger que les employés non chrétiens utilisent les heures supplémentaires ou compensatoires accumulées pour l’observance des fêtes religieuses pourrait constituer un manque d’équité, même si cela n’entraîne pas de perte de revenu, en imposant un fardeau supplémentaire aux employés non chrétiens qui doivent utiliser leurs « heures accumulées » pour satisfaire des besoins en matière de religion qui, chez les employés chrétiens, sont satisfaits par l’entremise des jours fériés.

 

 

Annexes: 1 − 10

1. Principales confessions religieuses, Ontario, 1991 et 2001

Principales confessions religieuses, Ontario, 1991 et 2001

2001

1991

Variation en pourcentage de 1991 à 2001

Nombre

%

Nombre

%

Catholique romaine

3 866 350

34,3

3 506 820

35,1

10,3

Protestante

3 935 745

34,9

4 291 785

43,0

-8,3

Chrétienne orthodoxe

264 055

2,3

187 905

1,9

40,5

Chrétienne, non incluse ailleurs

301 935

2,7

136 515

1,4

121,2

Musulmane

352 530

3,1

145 560

1,5

142,2

Juive

190 800

1,7

175 650

1,8

8,6

Bouddhiste

128 320

1,1

65 325

0,7

96,4

Hindoue

217 560

1,9

106 705

1,1

103,9

Sikh

104 785

0,9

50 085

0,5

109,2

Aucune religion

1 809 535

16,0

1 226 300

12,3

47,6

1  À des fins de comparaison, les données de 1991 sont présentées en fonction des frontières de 2001.

2  Comprend les personnes ayant déclaré « chrétienne » de même que celles ayant indiqué « apostolique », « chrétienne régénérée » et « évangélique ».

Source : adapté de Statistique Canada, 2003a.

2. Principales confessions religieuses, Canada,1991 et 2001

 

2001

1991

Variation en pourcentage de 1991 à 2001
Nombre % Nombre %

Catholique romaine

12 793 125

43,2

12 203 625

45,2

4,8

Protestante

8 654 845

29,2

9 427 675

34,9

-8,2

Chrétienne orthodoxe

479 620

1,6

387 395

1,4

23,8

Chrétienne, non incluse ailleurs**

780 450

2,6

353 040

1,3

121,1

Musulmane

579 640

2,0

253 265

0,9

128,9

Juive

329 995

1,1

318 185

1,2

3,7

Bouddhiste

300 345

1,0

163 415

0,6

83,8

Hindoue

297 200

1,0

157 015

0,6

89,3

Sikh

278 415

0,9

147 440

0,5

88,8

Aucune religion

4 796 325

16,2

3 333 245

12,3

43,9

*Remarque : Les communautés spirituelles autochtones (+175 %), païennes (+281 %) et serbes orthodoxes (+109 %) ont connu une croissance considérable durant cette période, mais le nombre actuel d’adeptes de chacune de ces trois catégories ne dépasse pas 30 000.

**Comprend les personnes ayant déclaré « chrétienne » de même que celles ayant indiqué « apostolique », « chrétienne régénérée » et « évangélique ».

Source : Seljak et coll., 2007, p. 22. Adapté d’un tableau de Statistique Canada accessible à : www12.statcan.ca/francais/census01/Products/Analytic/
companion/rel/canada_f.cfm

3. Conclusions du sondage Focus Canada de l’Environics Institute sur l’appartenance à une confession religieuse spécifique au Canada en 2011

Graphique à barres montrant l'appartenance religieuse au Canada en pourcentage. Une description des données suit.

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p. 39.

Résumé :

Selon un sondage Focus Canada de 2011, mené par l’Environics Institute, 31 % de tous les Canadiennes et Canadiens adhérant à une confession religieuse spécifique se disent catholiques romains, 18 % se disent protestants (courants principaux), 7 % se disent protestants (conservateurs/ évangéliques), 6 % se disent chrétiens (non précisé), 2 % se disent catholiques (rites orientaux), et 1 % se dit musulman, juif et hindou, respectivement. Moins de 1 % se dit sikh et 2 % disent adhérer à une autre confession. Au total, 26 % des Canadiennes et Canadiens ne s’identifient à aucune confession religieuse spécifique.

4. Appartenance religieuse au Canada –- Variation en pourcentage, 1991 à 2001

Graphique à barres montrant la variation en pourcentage de l’appartenance religieuse de 1991 à 2001. Une description des données suit.

Source : Kunz, 2009, p. 8

Résumé :

Un sondage cité dans Kunz et présenté à l’origine dans le numéro de Diversité Canadienne du printemps 2006 (vol. 5, no 2) montre la variation en pourcentage de l’appartenance religieuse de 1991 à 2001. Des groupes à l’étude affichant une croissance, les musulmans ont augmenté de 129 %, les hindous de 89 %, les sikhs de 89 %, les bouddhistes de 84 %, les catholiques romains de 5 %, les juifs de 4 % et les confessions chrétiennes autres, de 121 %. Les protestants canadiens ont affiché une baisse de 8 %. Les Canadiennes et Canadiens ne s’identifiant à aucune confession religieuse spécifique ont augmenté de 44 % durant cette période.

5. Composition du Canada en matière de religion,1971-2011 (Pew Research Center)

Graphique à barres montrant l'évolution de la composition du Canada en matière de religion entre 1971 et 2011. Une description des données suit.

* Le tableau n’inclut pas les données de 1971 de la catégorie « Autre religion » en raison de leur manque de compatibilité avec celles de 1981 à 2011. La somme des pourcentages, qui sont calculés à partir de données arrondies, peut ne pas correspondre à 100 %.

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Selon un sondage mené par le Pew Research Center sur la composition du Canada en matière de religion de 1971 à 2011, le pourcentage de Canadiennes et de Canadiens se disant protestants est passé de 41 % en 1971 à 27 % en 2011. De façon similaire, le pourcentage de personnes se disant catholiques est passé de 47 % à 39 % durant la même période. Le pourcentage de Canadiennes et de Canadiens s’identifiant à une « autre religion » est passé de 4 % à 11 % de 1971 à 2011, tandis que celui des personnes ne s’identifiant à aucune confession religieuse spécifique est passé de 4 % à 24 % durant la même période.

6. Croissance des religions autres que le protestantisme et le catholicisme au Canada et aux États-Unis, 1981-2011

Graphique linéaire montrant la croissance des religions autres que le protestantisme et le catholicisme au Canada et aux États-Unis entre 1980 et 2011. Une description des données suit.

Sources : U.S. General Social Survey, 1972-2012; Recensement du Canada, 1971 à 2001; Enquête nationale auprès des ménages de 2011. Les données des États-Unis incluent les adultes seulement (âgés de 18 ans et plus). Les données du Canada incluent les adultes et les enfants.

PEW RESEARCH CENTER

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Selon un sondage mené par le Pew Research Center, les Canadiennes et Canadiens s’identifiant à une confession religieuse autre que le protestantisme ou le catholicisme est passé de 4 % à 11 % entre 1980 et 2010. À des fins de comparaison, leur pourcentage est passé de 3 % à 6 % aux États-Unis durant la même période.

7. Proportion de la population canadienne d’autre appartenance religieuse, par région (1981-2011)

Graphique linéaire montrant le pourcentage de la population du Canada de chaque région s’identifiant à une confession religieuse autre que le protestantisme ou le catholicisme entre 1981 et 2011. Une description des données suit.

Sources : Recensement du Canada, 1971 à 2001; Enquête nationale auprès des ménages de 2011.
PEW RESEARCH CENTER

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Le pourcentage de la population du Canada s’identifiant à une confession religieuse autre que le protestantisme ou le catholicisme, selon un sondage mené par le Pew Research Center, est illustré par région. Entre 1981 et 2011, la région de l’Ontario a affiché une hausse, allant de 5 % à 15 %. Ce pourcentage est passé de 4 % à 12 % en Colombie-Britannique, de 4 % à 8 % dans les Prairies, de 3 % à 7 % au Québec et de 1 % à 2 % dans les provinces de l’Atlantique.

8. Pourcentage de changement projeté dans l’appartenance religieuse, 2001-2017

Graphique à barres montrant le pourcentage de changement projeté dans l’appartenance religieuse  de 2001 à 2017. Une description des données suit.

Source : Kunz, 2009, p. 8

Résumé :

Un sondage cité dans Kunz (2009, p.8) et présenté à l’origine dans le numéro de Diversité Canadienne du printemps 2006 (vol. 5, no 2) émet des projections quant au pourcentage de changement dans l’appartenance religieuse des Canadiennes et Canadiens entre 2001 et 2017. Le sondage prévoit que le nombre de Canadiennes et de Canadiens se disant musulmans augmentera de 145 %. Durant la même période, cette augmentation serait de 92 % chez les hindous, de 72 % chez les sikhs, de 36 % chez les bouddhistes, de 10 % chez les juifs et de 29 % chez les adeptes d’autres religions.

9. Principales confessions religieuses des immigrants selon la période d’immigration, Canada (avant 1961 à 2001)

 

Période d’immigration (%)
Avant 1961 1961-1970 1971-1980 1981-1990 1991-2001**

Total des immigrants

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Catholique romaine

39,2

43,4

33,9

32,9

23,0

Protestante

39,2

26,9

21,0

14,5

10,7

Chrétienne orthodoxe

3,8

6,3

3,8

3,0

6,3

Chrétienne, non incluse ailleurs*

1,3

2,2

3,8

4,9

5,3

Juive

2,7

2,0

2,2

1,9

1,2

Musulmane

0,2

1,3

5,4

7,5

15,0

Hindoue

0,0

1,4

3,6

4,9

6,5

Bouddhiste

0,4

0,9

4,8

7,5

4,6

Sikh

0,1

1,1

3,9

4,3

4,7

Aucune religion

11,0

13,5

16,5

17,3

21,3

Autres religions

2,1

1,0

1,1

1,3

1,4

* Comprend les personnes ayant déclaré « chrétienne » de même que celles ayant indiqué « apostolique », « chrétienne régénérée » et « évangélique ».

** Comprend des données jusqu’au 15 mai 2001.

Source : Seljak et coll., 2007, p. 30. Source originale : Statistique Canada. Vue d’ensemble : le Canada est toujours majoritairement catholique romain et protestantwww12.statcan.ca/francais/census01/Products/Analytic/companion/rel/canada_f.cfm

10. Appartenance religieuse des immigrants au Canada, par décennie d’arrivée (1971-2011)

 % de la population immigrante se disant…

 

1971-1980

1981-1990

1991-2000

2001-2010

Protestante

24 %

19 %

17 %

17 %

Catholique

32 %

31 %

23 %

22 %

Autre religion

23 %

29 %

38 %

39 %

Sans appartenance religieuse

20 %

21 %

23 %

21 %

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Annexes: 11 − 21

11. Appartenance religieuse des 7,2 millions d’immigrants au Canada, 2006

Chrétiens                                           – 59 %

Sans appartenance religieuse            – 17 %

Musulmans                                         – 9 %

Hindous                                             – 4 %

Bouddhistes                                     – 4 %

Autres                                                – 4 % (surtout sikhs)

Juifs                                                   – 2 %

Source : Todd, 2012.

Données d’origine présentées dans le Pew Forum (2012) Report et tirées des données de recensement du Canada de 2006 relatives au lieu de naissance (accessibles à :

www12.statcan.ca/census-recensement/2006/dp-pd/hlt/97-557/T404-fra.cfm?Lang=F&T=404&GH=4&GF=1&G5=0&SC=1&SR=1&S=1&O=D&D1=1).

12. Croissance de la population sans appartenance religieuse au Canada et aux États-Unis, 1971-2011 (Pew Research Center)

Graphique linéaire montrant la croissance de la population sans appartenance religieuse au Canada et aux Etats-Unis de 1971 à 2011. Une description des données suit.

Sources : U.S. General Social Survey, 1972-2012; Recensement du Canada, 1971 à 2001; Enquête nationale auprès des ménages de 2011. Les données des États-Unis incluent les adultes seulement (âgés de 18 ans et plus). Les données du Canada incluent les adultes et les enfants.

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Le graphique illustre le pourcentage de croissance de la population sans appartenance religieuse au Canada et aux États-Unis entre 1970 et 2010, selon un sondage mené par le Pew Research Center. Au Canada, la population sans appartenance religieuse est passée de 4 % en 1971 à 24 % en 2011. Aux États-Unis, elle est passée de 5 % à 20 % durant la même période.

13. Conclusions du sondage Focus Canada 2011 de l’Environics Institute sur le pourcentage de la population canadienne ayant une appartenance religieuse, 1985-2011*

Graphique linéaire montrant le déclin de l'appartenance religieuse parmi la population canadienne entre 1985 et 2011. Une description des données suit.

*Données de 1985-2008 de Statistique Canada (population âgée de 18 ans et +)

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p. 39.

Résumé :

Selon un sondage mené par l’Environics Institute, le pourcentage de Canadiennes et de Canadiens s’identifiant à une confession religieuse s’élevait à 88 % en 1985, 88 % en 1990, 85 % en 1995, 80 % en 2000, 79 % en 2004, 74 % en 2008 et 69 % en 2011. Le graphique montre une baisse constante de l’appartenance religieuse au sein de la population canadienne entre 1985 et 2011.

14. Tendances sur le plan de la désaffiliation religieuse au Canada selon la génération (1971-2011)

Graphique linéaire montrant le pourcentage de personnes sans appartenance religieuse, par groupe d’âge. Une description des données suit.

Sources : Recensement du Canada, 1971 à 2001; Enquête nationale auprès des ménages de 2011.

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Le graphique illustre les tendances sur le plan de la désaffiliation religieuse entre 1971 et 2011, selon un sondage mené par le Pew Research Center. On y montre le pourcentage de personnes sans appartenance religieuse, par groupe d’âge. Le graphique indique que le pourcentage de personnes sans appartenance religieuse nées en 1946 ou avant est passé de 4 % à 12 % entre 1971 et 2011. Chez les personnes nées entre 1947 et 1966, il est passé de 9 % à 20 % entre 1981 et 2011. Chez les personnes nées entre 1967 et 1986, il est passé de 21 % à 29 % entre 2001 et 2011. Chez les personnes nées entre 1987 et 1995, le pourcentage de personnes sans appartenance religieuse était de 29 % en 2011.

15. Conclusions du sondage Focus Canada 2011 de l’Environics Institute sur la croyance en Dieu parmi la population canadienne, selon le sexe et la scolarité

Graphique à barres montrant le pourcentage de la population canadienne croyant en Dieu ou en un esprit universel, selon le sexe et la scolarité. Une description des données suit.

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p. 41.

Résumé :

Un sondage mené par l’Environics Institute en 2011 a mesuré la croyance en Dieu ou en un esprit universel parmi la population canadienne, selon le sexe et le niveau de scolarité. Des répondants au sondage, 79 % ont dit croire en Dieu ou en un esprit universel, tandis que 17 % ont dit ne pas croire en Dieu ou en un esprit universel et 3 % n’en étaient pas certains.  Chez les hommes, 73 % ont dit croire en Dieu ou en un esprit universel, comparativement à 85 % chez les femmes. Lorsqu’on tient compte du niveau de scolarité, 91 % des personnes n’ayant pas terminé leurs études secondaires croyaient en Dieu ou en un esprit universel, comparativement à 82 % chez les personnes ayant un diplôme d’études secondaires, 80 % chez les personnes ayant fait des études collégiales ou encore des études universitaires partielles et 75 % chez les personnes ayant un diplôme d’études universitaires.

16. Conclusions du sondage Focus Canada 2011 de l’Environics Institute sur l’importance de la religion dans la vie personnelle de la population canadienne, selon l’appartenance religieuse et l’âge

Graphique à barres montrant l’importance de la religion dans la vie personnelle de la population canadienne, selon l’appartenance religieuse et l’âge.  Une description des données suit.

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p. 40.

Résumé :

En 2011, l’Environics Institute a mené un sondage sur l’importance de la religion dans la vie personnelle de la population canadienne ayant une appartenance religieuse. Des répondants au sondage ayant une appartenance religieuse, 39 % considéraient que la religion avait de l’importance dans leur vie personnelle. Des personnes s’identifiant à un groupe spécifique, 28 % des catholiques, 39 % des protestants (courants principaux), 73 % des chrétiens évangéliques, 51 % des répondants d’autres confessions chrétiennes et 47 % des personnes s’identifiant
à une autre religion ont indiqué que la religion avait une importance dans leur vie personnelle. 

17. Conclusions du sondage Focus Canada 2011 de l’Environics Institute sur l’importance de la religion dans la vie morale et éthique personnelle de la population canadienne, selon l’âge(1981-2011)

Graphique à barres montrant l’importance de la religion dans la vie morale et éthique personnelle de la population canadienne. Une description des données suit.

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p. 42.

Résumé :

En 2011, l’Environics Institute a mené un sondage pour déterminer si la pratique de la religion était très importante dans la vie morale et éthique des Canadiennes et Canadiens entre 1981 et 2011. Au total, 42 % de la population canadienne ont dit que la pratique de la religion était importante dans leur vie morale et éthique en 1981, par opposition à 26 % de la population canadienne en 2011. Parmi les répondants au sondage, 28 % des personnes âgées de 18 à 29 ans ont répondu par l’affirmative en 1981, contre 25 % en 2011. Des personnes âgées de 30 à 44 ans, 40 % ont répondu par l’affirmative en 1981, contre 20 % en 2011. Des personnes âgées de 45 à 59 ans, le pourcentage s’élevait à 48 % en 1981 et 25 % en 2011. Enfin, chez les Canadiennes et Canadiens âgés de 60 ans et plus, il était de 60 % en 1981 et 36 % en 2011 à répondre par l’affirmative.

18. Conclusions du sondage Focus Canada de 2011 de l’Environics Institute sur la fréquence de participation de la population canadienne ayant une appartenance religieuse à des services religieux, 2003-2011

Graphique à barres montrant la fréquence de participation de la population canadienne ayant une appartenance religieuse à des services religieux. Une description des données suit.

Source : Environics Institute. Focus Canada 2011, 2011, p.40.

Résumé :

En 2011, l’Environics Institute a mené un sondage qui examinait la fréquence de participation à des services religieux parmi les Canadiennes et Canadiens ayant une appartenance religieuse entre 2003 et 2011. En 2003, 21 % des répondants participaient à des services religieux au moins une fois par semaine, comparative-ment à 25 % en 2007 et 29 % en 2011. Le pourcentage de personnes qui participaient à des services religieux toutes les deux ou trois semaines était de 6 % en 2003, 6 % en 2007 et 7 % en 2011. Le pourcentage de personnes qui participaient à des services religieux une fois par mois ou moins était de 10 % en 2003, de 14 % en 2007 et de 14 % en 2011. Le pourcentage de personnes qui participaient aux services religieux spéciaux seulement était de 27 % en 2003, de 33 % en 2007 et de 28 % en 2011. Le pourcentage de personnes qui ne participaient jamais ou presque jamais à des services religieux était de 35 % en 2003, 21 % en 2007 et 22 % en 2011.

19. Participation à des services religieux au Canada et aux États-Unis, 1986-2012

Graphique linéaire montrantle pourcentage de personnes vivant au Canada et aux Etats-Unis disant participer à des services religieux au moins une fois par mois. Une description des données suit.

Sources : U.S. General Social Survey, 1986-2012; Enquête sociale générale du Canada, 1986-2011.

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Un sondage mené par le Pew Research Center rend compte de la participation à des services religieux au Canada et aux États-Unis entre 1986 et 2012. Le sondage mesure le pourcentage de répondants disant participer à des services religieux au moins une fois par mois. Au Canada, 43 % de répondants disaient participer à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 27 % en 2012. Aux États-Unis, leur pourcentage était de 54 % en 1986 par opposition à 46 % en 2012. Les deux courbes du graphique indiquent une baisse graduelle de la participation à des services religieux au moins une fois par mois au Canada et aux États-Unis, entre 1986 et 2012.

20. Tendances relatives à la participation à des services religieux, par région

Graphique linéaire montrant les tendances relatives à la participation à des services religieux au Canada, par région. Une description des données suit.

Sources : Enquêtes sociales générales du Canada.

Source : Pew Research Center’s Forum on Religion & Public Life. Canada’s Changing Religious Landscape: Overview, 2013. Extrait le 15 juillet 2013 de www.pewforum.org/Geography/Canadas-Changing-Religious-Landscape.aspx

Remarque : Contrairement aux recensements des décennies précédentes, le recensement de 2011 n’incluait aucune question sur la religion. La religion était abordée dans un sondage facultatif soumis à 4,5 millions de ménages choisis au hasard. Approximativement 2,65 millions de ménages ont participé au sondage. Selon Statistique Canada, certains groupes (immigrants, minorités ethniques, personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et autochtones) pourraient être sous-représentés dans le sondage facultatif. Malgré ces lacunes, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 constitue la meilleure source d’information sur l’appartenance religieuse au Canada en 2011 (Pew Forum 2013).

Résumé :

Un sondage mené par le Pew Research Center rend compte du pourcentage de Canadiennes et de Canadiens de chaque région âgés de 15 ans et plus qui participaient à des services religieux au moins une fois par mois entre 1986 et 2012. Dans les provinces de l’Atlantique, 57 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus participaient à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 31 % en 2012. Au Québec, 48 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus participaient à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 17 % en 2012. En Ontario, 42 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus participaient à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 31 % en 2012. Dans les Prairies, 41 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus participaient à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 31 % en 2012. En Colombie-Britannique, 26 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus participaient à des services religieux au moins une fois par mois en 1986, par opposition à 23 % en 2012.

21. Pourcentage de la population qui est d’avis que la religion est très importante, par pays (Pew Research Center)

Religion très importante

Amérique du Nord

É.-U.

59 %

Canada

30 %

Europe de l’Ouest

Grande-Bretagne

33 %

Italie

27 %

Allemagne

21 %

France

11 %

Europe de l’Est

Pologne

36 %

Ukraine

35 %

Slovaquie

29 %

Russie

14 %

Bulgarie

13 %

République tchèque

11 %

Zone de conflit

Pakistan

91 %

Turquie

65 %

Ouzbékistan

35 %

Amérique latine

Guatemala

80 %

Brésil

77 %

Honduras

72 %

Pérou

69 %

Bolivie

66 %

Venezuela

61 %

Mexique

57 %

Argentine

39 %

Asie

Indonésie

95 %

Inde

92 %

Philippines

88 %

Bangladesh

88 %

Corée

25 %

Vietnam

24 %

Japon

12 %

Afrique

Sénégal

97 %

Nigeria

92 %

Côte d’Ivoire

91 %

Mali

90 %

Afrique du Sud

87 %

Kenya

85 %

Ouganda

85 %

Ghana

84 %

Tanzanie

83 %

Angola

80 %

Source : adapté de Seljak et coll., 2008, p. 19. Source originale : Pew Research Center for the People and the Press. Among Wealthy Nations: U.S. Stands Alone in Its Embrace of Religion.

 

Annexes: 22

22. Examen des requêtes déposées auprès du TDPO

22.1 Requêtes auprès du TDPO, selon le motif (2012-2011)

Motifs

Total

Handicap

53 %

Représailles

24 %

Sexe, grossesse et identité sexuelle

24 %

Race

22 %

Couleur

16 %

Âge

15 %

Origine ethnique

16 %

Lieu d’origine

13 %

État familial

10 %

Ascendance

11 %

Sollicitations ou avances sexuelles

6 %

Croyance

6 %

État matrimonial

6 %

Orientation sexuelle

4 %

Association

5 %

Citoyenneté

5 %

Casier judiciaire

3 %

État d’assisté social

1 %

Aucun motif

2 %

Remarque : Comme beaucoup de requêtes concernent un cas de discrimination fondée sur plus d’un motif, les totaux indiqués dans le tableau précédent dépassent le nombre total de requêtes reçues. De plus, l’identité sexuelle a été incluse aux motifs de discrimination interdits aux termes du Code en 2012. Avant cette date, elle était couverte par le motif de sexe, comme c’est le cas dans ce tableau.

22.2 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance religieuse (exercice 2011-2012)

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance religieuse, exercice 2011-2012

Religion/croyance

Nombre

Pourcentage

Islam

50

35,7 %

Christianisme

49

35,0 %

Judaïsme

15

10,7 %

Hindouisme

10

7,1 %

Aucune croyance identifiée

8

5,7 %

Plus d’une croyance identifiée

7

5,0 %

Spiritualité autochtone

4

2,9 %

Sikhisme

3

2,1 %

Bouddhisme

2

1,4 %

Sorcellerie

2

1,4 %

Magie élémentale*

1

0,7 %

Véganisme éthique*

1

0,7 %

Kabbale*

1

0,7 %

Adhésion à un barreau du Canada

1

0,7 %

Aucune appartenance religieuse

1

0,7 %

Mouvement rastafari*

1

0,7 %

Taoïsme*

1

0,7 %

Wicca*

1

0,7 %

Yoga/cosmologie*

1

0,7 %

Zen*

1

0,7 %

Zoroastrisme*

1

0,7 %

Total***

161

115,0 %

*Regroupés dans la catégorie « divers » dans le graphique présenté dans le corps du texte (10 ou 7,1 % au total)

***Le total dépasse 100 % étant donné que certaines requêtes citent plus d’une croyance

Remarque : La croyance des requérants a été déterminée selon la religion à laquelle ils s’identifiaient dans leur requête. Certains requérants ont fait l’objet de discrimination en raison de leur croyance perçue, qui s’avérait parfois différente
de leur croyance réelle. Dans de tels cas, nous avons tenu compte de la croyance perçue en raison de notre intérêt pour l’objet de la discrimination fondée sur la croyance.

22.3 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance à une religion chrétienne (exercice 2011-2012)

Graphique à barres montrant le pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance à une religion chrétienne, durant l'exercice 2011-2012. Un tableau des données suit.

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance à une religion chrétienne, exercice 2011-2012

Confession chrétienne

Nombre

Pourcentage des requêtes totales liées à la croyance déposées auprès du TDPO

Pourcentage des requêtes de requérants s’identifiant à la religion chrétienne

Catholicisme romain

13

9,3 %

26,5 %

Christianisme (aucune confession spécifique nommée)

13

9,3 %

26,5 %

Adventisme du septième jour

8

5,7 %

16,3 %

Christianisme orthodoxe, y compris russe et grec

4

2,9 %

8,2 %

Christianisme régénéré

2

1,4 %

4,1 %

Protestantisme (aucune confession spécifique nommée)

2

1,4 %

4,1 %

Église anglicane

1

0,7 %

2,0 %

Église catholique arménienne

1

0,7 %

2,0 %

Église biblique de Dieu

1

0,7 %

2,0 %

Église des christadelphes

1

0,7 %

2,0 %

Église méthodiste

1

0,7 %

2,0 %

Pentecôtisme

1

0,7 %

2,0 %

Église baptiste spirituelle

1

0,7 %

2,0 %

Total

49

35,0 %

100,0 %

22.4 Nombre de requêtes déposées auprès de la TDPO par un requérant s’identifiant à plus d’une croyance (exercice 2011-2012)

Nombre de requêtes

Croyances citées
par les requérants

1

Christianisme et hindouisme

1

Christianisme et « croyances autochtones canadiennes » 

1

Sorcellerie; kabbale; taoïsme; zen; judaïsme; yoga/cosmologie; bouddhisme; magie élémentale

1

Wicca et catholicisme romain

1

« Croyances autochtones »/judaïsme

1

Judaïsme/bouddhisme

1

Zoroastrisme et judaïsme

TOTAL 7

 

22.5 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon la croyance (exercice 2010-2011)

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon la croyance, exercice 2010-2011

Religion/croyance

Total

Pourcentage

Islam

57

31,8 %

Christianisme

48

26,8 %

Aucune croyance identifiée

19

10,6 %

Judaïsme

10

5,6 %

Athéisme/humanisme/agnosticisme

9

5,0 %

Spiritualité autochtone

5

2,8 %

Aucune croyance religieuse

5

2,8 %

Sikhisme

4

2,2 %

Hindouisme

4

2,2 %

Mouvement rastafari

4

2,2 %

Bouddhisme

3

1,7 %

Mouvement raëlien

3

1,7 %

Plus d’une croyance nommée

3

1,7 %

Falun Gong*

1

0,6 %

Usage de marijuana*

1

0,6 %

Sorcellerie*

1

0,6 %

Croyance en Dieu*

1

0,6 %

Vampirisme païen*

1

0,6 %

Croyance en l’honnêteté*

1

0,6 %

Croyance en Dieu, le Paradis et
la résurrection *

1

0,6 %

Croyance en le respect et la dignité pour le travail accompli*

1

0,6 %

Croyance en de bonnes pratiques d’entreprise*

1

0,6 %

Croyance en des pratiques d’entreprise honnêtes*

1

0,6 %

Croyance en l’équité*

1

0,6 %

Acceptation de toutes les croyances*

1

0,6 %

Total**

186

103,9 %

*Peuvent être regroupés dans la catégorie « divers » (12 entrées, 6,7 % du total)

**Le total dépasse 100 % en raison du nombre de requérants s’identifiant à plus d’une croyance

Remarque : La croyance des requérants a été déterminée selon la religion à laquelle ils s’identifiaient dans leur requête. Certains requérants ont fait l’objet de discrimination en raison de leur croyance perçue, qui s’avérait parfois différente de leur croyance réelle. Dans de tels cas, nous avons tenu compte de la croyance perçue en raison de notre intérêt pour l’objet de la discrimination fondée sur la croyance.

22.6 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance à une religion chrétienne (exercice 2011-2012)

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon l’appartenance à une religion chrétienne, exercice 2011-2012

Confession chrétienne

Nombre

Pourcentage des requêtes totales liées à la croyance déposées auprès du TDPO

Pourcentage des requêtes de requérants s’identifiant à la religion chrétienne

Christianisme (aucune confession identifiée)

20

11,2 %

41,7 %

Catholicisme romain

9

5,0 %

18,8 %

Adventisme du septième jour

4

2,2 %

8,3 %

Christianisme orthodoxe y compris oriental et russe

4

2,2 %

8,3 %

Église des témoins de Jéhovah

3

1,7 %

6,3 %

Pentecôtisme

2

1,1 %

4,2 %

Église copte

2

1,1 %

4,2 %

Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours

1

0,6 %

2,1 %

Mennonisme

1

0,6 %

2,1 %

Église baptiste du Septième Jour

1

0,6 %

2,1 %

Église anglicane évangélique

1

0,6 %

2,1 %

Total

48

26,8 %

100,0 %

22.7 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, par motifs entrecroisés (2011-2012)

Le graphique suivant illustre le nombre et le pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO en 2011-2012 qui citaient la croyance et abordaient aussi un motif de discrimination entrecroisé interdit aux termes du Code. Comme beaucoup de requêtes font état de discrimination fondée sur plus d’un motif, les totaux indiqués dépassent considérablement le nombre total (140) de requêtes examinées.

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, par motifs entrecroisés

Motif

Nombre de requêtes citant ce motif

Pourcentage de requêtes citant ce motif

Origine ethnique*

54

38,6 %

Lieu d’origine*

52

37,1 %

Race*

48

34,3 %

Aucune intersection de motifs

40

28,6 %

Ascendance*

36

25,7 %

Représailles ou menaces de représailles

36

25,7 %

Couleur

32

22,9 %

Handicap

31

22,1 %

Sexe (y compris le harcèlement sexuel et la grossesse)

16

11,4 %

Âge

16

11,4 %

Identité sexuelle

14

10,0 %

État familial

11

7,9 %

Citoyenneté

10

7,1 %

Orientation sexuelle

6

4,3 %

État matrimonial

5

3,6 %

Association à une personne visée par un motif susmentionné

4

2,9 %

Sollicitations ou avances sexuelles

3

2,1 %

Casier judiciaire

3

2,1 %

État d’assisté social

1

0,7 %

Expression de l’identité sexuelle

0

0,0 %

Total

518

370,0 %

*Motif lié la race. Les requêtes citant un ou plusieurs motifs liés à la race ont été comptées une fois et regroupées dans la catégorie « motif lié à la race ». Elles représentent 50,7 % de toutes les requêtes. Le nombre total de requêtes liées à la croyance (140) a été utilisé comme dénominateur pour obtenir les pourcentages

22.8 Pourcentage des requêtes pour discrimination fondée sur la croyance déposées auprès du TDPO et citant des motifs entrecroisés, désagrégation des motifs liés à la race (2011-2012)

Graphique à barres montrant le pourcentage des requêtes citant la croyance par motifs entrecroisés déposées auprès du TDPO durant l'exercice 2011-2012.

Résumé :

Ces données illustrent le pourcentage de requêtes citant la croyance et un ou plusieurs autres motifs entrecroisés, déposées auprès du TDPO en 2011-2012, selon les informations obtenues du TDPO par la CODP. Les motifs entrecroisés cités dans les requêtes liées à la croyance incluent : l’état d’assisté social (0,7 %); le casier judiciaire (2,1 %); les sollicitations ou avances sexuelles (2,1 %); l’association (2,9 %); l’état matrimonial (3,6 %); l’orientation sexuelle (4,3 %); la citoyenneté (7,1 %); l’état familial (7,9 %); l’identité sexuelle (10,0 %); l’âge (11,4 %); le sexe (11,4 %); le handicap (22,1 %); la couleur (22,9 %); les représailles ou menaces
de représailles (25,7 %); l’ascendance (25,7 %); aucune intersection de motifs (28,6 %); la race (34,3 %); le lieu d’origine (37,1 %); l’origine ethnique (38,6 %).

22.9 Ventilation des motifs de race et motifs liés à la race cités dans les requêtes pour discrimination fondée sur la croyance déposées auprès du TDPO et citant des motifs entrecroisés (2011-2012)

Le graphique et le diagramme suivants illustrent le nombre et le pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO en 2011-2012 liées à la croyance et citant un motif entrecroisé lié à la race, par rapport au nombre total (222) de motifs entrecroisés liés à la race cités dans des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO durant l’exercice. Le total est supérieur à 100 % étant donné que les requêtes peuvent citer plus d’un motif.

Graphique à barres montrant la ventilation des motifs de race et motifs liés à la race cités dans les requêtes pour discrimination fondée sur la croyance déposées auprès du TDPO durant l'exercice 2011-2012. Un tableau des données suit.

 

Nombre

Pourcentage (race et motifs connexes)

Race et motifs connexes

222

158,6 %

Origine ethnique

54

24,3 %

Lieu d’origine

52

23,4 %

Race

48

21,6 %

Ascendance

36

16,2 %

Couleur

32

14,4 %

22.10 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, par motifs entrecroisés (exercice 2010-2011)

Le graphique ci-après illustre le nombre et le pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO en 2010-2011 qui citaient la croyance et abordaient aussi un motif de discrimination entrecroisé interdit aux termes du Code. Comme beaucoup de requêtes concernent une discrimination fondée sur plus d’un motif, les totaux indiqués dans le tableau dépassent considérablement le nombre total (179) de requêtes examinées.

Graphique à barres montrant le nombre et pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO en 2010-2011, citant la croyance et un autre motif du Code. Une description des données suit.

*La race et les motifs connexes incluent l’ascendance, la couleur, l’origine ethnique, le lieu d’origine et la race

Résumé :

Ces données indiquent le pourcentage de requêtes déposées durant l’exercice 2010-2011 citant à la fois la croyance et des motifs entrecroisés, selon les données du TDPO qui ont été recueillies et analysées par la CODP. Des requêtes citant la croyance et un motif entrecroisé, 0,6 % citait l’état matrimonial; 2,2 % citaient l’état d’assisté social; 2,8 % citaient des sollicitations ou avances sexuelles; 4,5 % citaient le casier judiciaire; 4,5 % citaient l’orientation sexuelle; 7,8 % citaient l’association; 14.0 % ne citaient aucun motif entrecroisé; 14,5 % citaient le sexe; 15,1 % citaient l’âge; 16,2 % citaient l’état familial; 30,7 % citaient les représailles ou les menaces de représailles; 31,3 % citaient le handicap; et 60,3 % citaient la race ou des motifs connexes.

22.11 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social (exercice 2011-2012)

Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social, exercice 2011-2012

Domaine social

Nombre de requêtes citant ce domaine

Pourcentage de requêtes citant ce domaine

Emploi

102

72,9 %

Biens, services, installations

34

24,3 %

Logement

4

2,9 %

Association

3

2,1 %

Contrats

2

1,4 %

Total

145

103,6 %

Remarque : Le total s’élève à 103,6 % puisqu’une même requête peut citer plus d’un domaine social.

22.12 Requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon le domaine social (exercice 2011-2012)

Requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon le domaine social, exercice 2011-2012

Domaine social

Toutes les requêtes

Requêtes liées à la croyance

Emploi

76,4 %

72,9 %

Biens, services, installations

21,0 %

24,3 %

Logement

5,0 %

2,9 %

Contrats

0,7 %

1,4 %

Association

0,7 %

2,1 %

22.13 Requêtes déposées auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social (exercice 2010-2011)

Graphique circulaire montrant le nombre et le pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social durant l'exercice 2010-2011.

Le total se chiffre à 105 % puisqu’une même requête peut citer plus d’un domaine social.

Résumé :

Ce diagramme illustre le nombre et le pourcentage de requêtes déposées auprès du TDPO citant la croyance, selon le domaine social, durant l’exercice 2010-2011. De ces requêtes, 118 ou 65,9 % avaient trait à l’emploi; 51 ou 28.5 % avaient trait à des biens, des services et des installations; 9 ou 5,0 % avaient trait au logement; 6 ou 3,4 % avaient trait à des contrats; 2 ou 1,1 % avaient trait à l’association; et 2 ou 1,1 % n’avaient trait à aucun domaine social spécifique.

22.14 Requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon le domaine social (exercice 2010-2011)

Graphique à barres montrant les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon le domaine social, durant l'exercice 2010-2011. Une description des données suit.

Résumé :

Ces données illustrent le pourcentage de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011, par rapport à l’ensemble des requêtes déposées durant le même exercice, regroupées selon le domaine social. Le domaine social de l’emploi était cité dans 65,9 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 77,0 % de toutes les autres requêtes. Le domaine social des biens, des services et des installations était cité dans 28,5 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 21,0 % de toutes les autres requêtes. Le domaine social du logement était cité dans 5,0 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 6,0 % de toutes les autres requêtes. Le domaine social des contrats était cité dans 3,4 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 2,0 % de toutes les autres requêtes. Le domaine social de l’adhésion à des associations à participation libre ou à des syndicats (« association » pour les besoins du présent document) était cité dans 1,1 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 1,0 % de toutes les autres requêtes. Aucun domaine social spécifique n’était cité dans 1,1 % des requêtes liées à la croyance, par opposition à 1,0 % de toutes les autres requêtes.

22.15 Nombre et pourcentage de requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO, selon le sexe de la partie requérante (exercice 2011-2012)

Sexe

Nombre

Pourcentage

Homme

80

57,1 %

Femme

48

34,3 %

Non précisé

12

8,6 %

Total

140

100,0 %

22.16 Nombre et pourcentage de requêtes auprès du TDPO citant la croyance, selon la région (exercice 2011-2012)

La répartition géographique des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2011-2012 a été effectuée en utilisant la première lettre du code postal des requérants, conformément à la façon dont le TDPO rend compte de la région d’où proviennent les requêtes qui lui sont soumises.

Région

Nombre

Pourcentage

Centre (L)

66

47,1 %

Toronto (M)

43

30,7 %

Est (K)

14

10,0 %

Ouest (N)

13

9,3 %

Nord (P)

4

2,9 %

Total

140

100,0 %

22.17 Requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon la région (exercice 2011-2012)

Graphique à barres montrant les requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO par rapport aux requêtes totales déposées, selon la région, durant l'exercice 2011-2012. Un tableau des données suit.

Région

Toutes les requêtes

Requêtes liées à la croyance

Est (K)

11 %

10 %

Centre (L)

37 %

47 %

Toronto (M)

25 %

31 %

Ouest (N)

18 %

9 %

Nord (P)

6 %

3 %

Autre

2 %

0 %

22.18 Répartition géographique des requêtes déposées auprès du TDPO en 2010-2011 et citant la croyance,  par ville/région

L’examen des requêtes liées à la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011, mené par la CODP, classait les requêtes par ville, selon l’endroit où était survenu l’incident, conformément à la question 7b, Dans quelle ville ou région?, de la formule de requête du TDPO. Ces conclusions ne correspondent pas à la façon dont le TDPO présente ses données en matière de requêtes par région, ou à la façon dont nous avons fait état, dans le présent rapport, des requêtes liées à la croyance déposées en 2011-2012, soit dans les deux cas en déterminant la région au moyen du code postal. Cependant, ces données donnent une meilleure idée de l’endroit où surviennent les incidents allégués de discrimination.

Graphique circulaire montrant où surviennent les allégations de discrimination. Une description des données suit.

Le plus grand groupe de requêtes pour discrimination fondée sur la croyance déposées auprès du TDPO en 2010-2011 provient de Toronto (45 % de toutes les requêtes). Suivent ensuite Mississauga (8,3 % des requêtes), Ottawa (4,7 %), Brampton (4,1 %) et London et Richmond Hill (2,3 % chacun). Markham, Oakville et Oshawa constituaient chacun le lieu d’origine de 1,7 % des cas allégués de discrimination fondée sur la croyance. Burlington, Guelph, Hamilton, Milton, la région de Peel, St. Catharines et Wellington étaient le lieu d’origine de deux cas allégués; Ajax, Belleville, Brantford, Cambridge, Cobourg, Collingwood, Delhi, Dwight, Fort Eire, Grimbsy, la région du Grand Toronto, King City, Kitchener, Newmarket, Niagara Falls, Orillia, Penetanguishene, Peterborough, Pickering, Sault Ste Marie, Seaforth, Seven Bridge, Sioux Lookout, Stoney Creek, Tecumseh, Thamesford, Thornhill, Vaughan, Welland, Windsor, Woodbridge, Woodstock et la région de York étaient chacune le lieu d’origine d’un cas allégué.

Annexes: 23 − 33

23. Sondage Angus Reid de 2010 sur le multiculturalisme – Bon ou mauvais pour le Canada?

Multiculturalisme

En ce qui a trait à la politique en matière de multiculturalisme, pensez-vous que le multiculturalisme a été bon ou mauvais pour le Canada?

 

Région

 

Total

C.B.

Alb.

Man./Sask.

Ont.

Qc

Atl.

Très bon / bon

55 %

65 %

51 %

54 %

57 %

49 %

50 %

Mauvais / très mauvais

30 %

23 %

39 %

27 %

28 %

31 %

31 %

Pas certain(e)

16 %

12 %

10 %

19 %

14 %

20 %

18 %

24. Sondage Angus Reid de 2010 - creuset ou mosaïque?

Multiculturalisme

Lequel des énoncés suivants se rapproche le plus de votre point de vue?

 

Région

 

Total

C.B.

Alb.

Man./Sask.

Ont.

Qc

Atl.

Le Canada devrait constituer un creuset – les immigrants devraient s’assimiler et se fondre à la société canadienne

54 %

50 %

60 %

52 %

50 %

64 %

41 %

Le Canada devrait constituer une mosaïque – les différences culturelles au sein de la société sont précieuses et devraient être maintenues

33 %

42 %

32 %

21 %

38 %

22 %

40 %

Pas certain(e)

13 %

8 %

9 %

27 %

12 %

14 %

19 %

Autres sondages d’opinion connexes

Selon un sondage récent de l’Association d’études canadiennes, 50 % des Canadiennes et Canadiens pensent que les nouveaux arrivants devraient rejeter leurs traditions et devenir « davantage comme nous », comparativement à 36 % de la population canadienne en 2007 (Patriquin et Gillis, 2010, cités dans Sharify-Funk, 2011). Un autre sondage (2007) révélait que seulement 69 % de la population canadienne pensaient que le multiculturalisme aidait à forger le sentiment d’identité et de citoyenneté des Canadiennes et Canadiens, comparativement à 80 % en 2001 (Sharify-Funk, 2011). Un autre sondage d’opinion publique mené en 2010 par la firme Angus Reid auprès de 1 006 adultes canadiens choisis au hasard a montré que ce nombre avait augmenté depuis 2008. Des répondants à ce sondage, environ 54 % ont indiqué vouloir que le Canada devienne un creuset, c’est-à-dire que les immigrants s’assimilent et se fondent à la société canadienne (comparativement à 33 % des Canadiennes et Canadiens, qui préfèrent l’approche de la mosaïque, qui valorise et maintien les différences culturelles). En Ontario, les résultats obtenus étaient seulement légèrement différents.

Cette tendance générale pourrait être en partie le résultat d’une réaction défavorable à la diversité religieuse croissante, et de plus en plus visible, de la société canadienne. Selon un sondage de 2008 mené par la firme Léger Marketing auprès de 1 522 Canadiennes et Canadiens pour le compte de l’Association d’études canadiennes et de la Fondation canadienne des relations raciales, les personnes les plus susceptibles de s’opposer à la politique canadienne en matière de multiculturalisme sont aussi les plus susceptibles de blâmer les minorités pour toute discrimination dont elles font l’objet (le gros du blâme étant dirigé vers les musulmans suivis des juifs, des homosexuels et des Noirs).

25. World Values Survey de 2005-2008 – Importance accordée à l’adoption par les immigrants des valeurs de son pays

Importance accordée à l’adoption par les immigrants des valeurs de son pays (%)

Très important

Assez important

Pas important

Canada

58

32

10

Suède

24

44

32

Brésil

26

61

13

Corée du Sud

27

58

15

Andorre

30

53

17

Serbie

34

47

20

Argentine

34

47

20

Italie

35

40

26

Pologne

35

48

17

Roumanie

36

39

25

Norvège

37

42

21

Moldavie

39

48

13

Ukraine

40

45

15

Taïwan

40

46

14

Suisse

42

47

11

Trinidad-et-Tobago

43

33

24

Chypre

43

35

22

Uruguay

43

39

17

Chine

44

41

15

Finlande

47

46

7

Rwanda

47

48

5

Espagne

47

42

11

Slovénie

48

39

13

Chili

50

34

16

Bulgarie

53

33

14

Allemagne

53

38

9

Éthiopie

54

37

9

Zambie

57

29

15

Mexique

58

30

12

Inde

58

27

14

États-Unis

59

32

9

Afrique du Sud

59

28

13

Burkina Faso

59

27

14

Malaisie

60

37

2

Indonésie

62

28

10

Jordanie

62

23

15

Vietnam

63

31

5

Turquie

64

27

10

Thaïlande

65

32

3

Ghana

67

24

10

Australie

68

26

6

Maroc

68

25

7

Égypte

69

22

9

Mali

73

20

7

Géorgie

84

14

2

(World Values Survey de 2005-2008)

Source : Citoyenneté et Immigration Canada. Étude documentaire de la recherche sur l’opinion publique canadienne concernant le multiculturalisme et l’immigration pour la période 2006-2009, 2010. Extrait le 6 avril 2013 de www.cic.gc.ca/francais/pdf/recherche-stats/2012-por-multi-imm-fra.pdf

26. Enquête sur la diversité ethnique de 2003 –La religion comme source de discrimination chez les répondants ayant perçu une discrimination

  Pourcentage ayant défini la religion comme source de la discriminatio perçue Population non autochtone total âgée de 15 ans et plus (Limite du EDE) Population non autochtone totale âgée de 15 ans et plus fois le pourcentage
Total de la population non autochtone âgée de 15 ans et plus 13 % 22 445 490 402 470
Homme 11 % 10 947 760 188 190
Femme 16 % 11 497 730 214 270
Population – minorité visible 10 % 2 999 850 99 450
Homme 10 % 1 443 120 50 910
Femme 9 % 1 556 730 48 550

Source : Statistique Canada. Enquête sur la diversité ethnique, 2003b, tel que cité dans Seljak et coll., 2007. Pourcentages calculés à partir du total des réponses valides.

27. Pourcentage de chaque groupe ethnique canadien, par race et religion (2002)

 

Aucune religion

Catholi-cisme

Protestant-isme

Autre confes-sion chrétien-ne

Islam

Judaïsme

Boud-dhisme

Hindou-isme

Sikhisme

Autre religion

Blancs

Canadiens

6,1

4,2

6,3

4,0

-

5,1

-

-

-

-

Francophones

8,8

38,5

3,1

11,4

-

-

-

-

-

-

Anglophones

35,1

15,2

55,1

20,9

-

4,6

-

-

-

33,9

Européens du Nord et de l’Ouest

13,8

5,8

17,6

13,2

-

-

-

-

-

-

Russes et Européens de l’Est

7,7

7,3

5,2

17,4

-

33,9

-

-

-

-

Européens du Sud

0,4

0,6

-

-

-

-

-

-

-

-

Juifs et Israéliens

-

-

-

-

-

34,6

-

-

-

-

Arabes / Asiatiques de l’Ouest/ Africains du Nord

0,4

0,4

-

2,2

9,4

-

-

-

-

-

Latino-Américains, Centraméricains et Sud-Américains

-

0,2

-

-

-

-

-

-

-

-

Grecs

-

-

-

6,9

-

-

-

-

-

-

Italiens

1,9

7,8

0,6

1,3

-

-

-

-

-

-

Portugais

-

2,4

-

-

-

-

-

-

-

-

Européens - autres

1,1

0,5

0,4

-

-

6,7

-

-

-

-

Total – minorités non visibles

82,2

92,4

93,4

84,2

14,6

97,8

-

-

-

62,8

 

Minorités visibles

Chinois

12,0

1,1

1,4

4,7

-

-

45,2

-

-

-

Asiatiques du Sud

0,8

0,6

0,4

1,3

37,6

-

2,9

88,6

100

-

Noirs

1,5

1,2

3,1

3,4

7,8

-

-

-

-

-

Philippins

-

2,2

0,3

0,6

-

-

-

-

-

-

Latino-Américains

0,5

1,3

0,3

0,9

-

-

-

-

-

-

Asiatiques du Sud-Est

0,8

0,3

-

0,2

-

-

28,0

-

-

-

Arabes et Asiatiques de l’Ouest

0,5

0,3

-

1,9

35,6

-

-

-

-

-

Coréens

-

0,2

0,3

1,5

-

-

-

-

-

-

Japonais

0,7

-

0,2

0,4

-

-

4,1

-

-

-

Minorité visible, n.i.a.

0,2

0,2

0,3

0,6

2,5

-

-

11,4

-

-

Minorité visible multiple

0,3

0,2

-

0,2

-

-

-

-

-

-

Total – minorités visibles

17,8

7,6

6,6

15,8

85,4

2,2

83,8

100

100

37,2

 

Total N

7 850

14 630

11 700

3 410

840

680

570

530

650

130

                       

Remarque : Tous les pourcentages sont pondérés au moyen de facteurs de pondération élaborés par Statistique Canada, à l’exception des données de la rangée « N » qui ne sont pas pondérées, mais ont été arrondies. Certaines cases ont été omises en raison de la taille des cases, inférieure à 30.

Source : Reitz, Banerjee, Phan and Thompson 2008.

28. Iniquité objective et signalée au Canada, selon la race et la religion, 2002

 

Inégalité (revenu/ménage) par rapport à la MOY (RMR).

Discrimination signalée (%)

Vulnérabilité signalée (%)

N

Blancs

 

 

 

 

Aucune religion

3 036 $

11,7

13,8

5 800

Catholicisme

214 $

9,2

17,1

12 670

Protestantisme

1 977 $

9,4

14,7

10 440

Autre confession chrétienne

-206 $

14,4

18,0

2 580

Islam

-17 690 $

10,6

28,1

130

Judaïsme

14 004 $

22,9

35,0

670

Total

1 237 $

10,2

16,2

32 290

 

Minorités visibles

Aucune religion

-6 669 $

35,9

34,7

2 040

Catholicisme

-5 099 $

36,7

39,1

1 960

Protestantisme

-8 757 $

38,6

39,9

1 250

Autre confession chrétienne

-10 061 $

40,6

33,6

830

Islam

-15 320 $

34,1

38,0

700

Bouddhisme

-8 273 $

32,4

35,1

510

Hindouisme

-4 886 $

36,0

47,0

530

Sikhisme

-6 646 $

27,3

32,9

650

Total

-7 684 $

35,9

37,3

8 470

Remarque : Tous les pourcentages sont pondérés au moyen de facteurs de pondération élaborés par Statistique Canada, à l’exception des données de la colonne « N » qui ne sont pas pondérées, mais ont été arrondies. Parmi les groupes raciaux, seuls les groupes confessionnels dont la taille de la cellule est suffisante ont été inclus au tableau. Des tests d’hypothèse des différences entre les groupes peuvent être obtenus des auteurs.

Source : Reitz, Banerjee, Phan and Thompson, 2008.

29. Enquête Focus Canada sur l’expérience des musulmans du Canada en matière de discrimination

Au cours des deux dernières années, avez-vous vécu personnellement une mauvaise expérience en raison de votre race, de votre groupe ethnique ou de votre religion, ou cela ne vous est-il pas arrivé? (Musulmans seulement) [Pourcentage de personnes ayant répondu « oui »]

Graphique à barres montrant le pourcentage de cas de discrimination dont ont fait l'objet les musulmans du Canada par rapport aux autres pays  entre 2006-2007 en raison de leur race, ethnicité ou religion.  Une description des données suit.

Source : Citoyenneté et Immigration Canada. Étude documentaire de la recherche sur l’opinion publique canadienne concernant le multiculturalisme et l’immigration pour la période 2006-2009www.cic.gc.ca/francais/ressources/recherche/rop-multi-imm/sec02-4.asp. Source originale : Environics Research Group. Focus Canada 2006­­­-4; données internationales tirées du 2005 Pew Global Attitudes Survey.

Enquête Focus Canada sur l’expérience des musulmans du Canada en matière de discrimination

 (% ayant répondu « oui » durant les deux dernières années)

Canada

31 %

Grande-Bretagne

28 %

France

37 %

Espagne

25 %

Allemagne

19 %

30. Sondage Angus Reid de novembre 2010 sur le niveau de tolérance de la population canadienne, selon le groupe social

Multiculturalisme

Dans l’ensemble, diriez-vous que la société canadienne est tolérante ou intolérante envers les groupes suivants?

 

Tolérante

Intolérante

Incertain(e)

Musulmans

52 %

33 %

15 %

Canadiens d’ascendance autochtone

62 %

30 %

9 %

Immigrants de l’Asie du Sud (comme l’Inde et le Pakistan)

64 %

24 %

12 %

Gais et lesbiennes

72 %

16 %

12 %

Personnes handicapées

75 %

15 %

10 %

Immigrants de l’Asie (comme la Chine et Hong Kong)

81 %

10 %

9 %

Immigrants de l’Amérique latine

79 %

7 %

14 %

Immigrants de l’Europe

89 %

4 %

7 %

31. Laïcité ouverte par opposition à fermée

LAÏCITÉ OUVERTE

LAÏCITÉ FERMÉE

  • Laïcité en tant que pluralisme (Berger 2002)
  • Laïcité en tant qu’a-religiosité (Berger 2002)
  • Modèle archétypal adopté à l’origine en réaction à la diversité et au pluralisme religieux
  • Modèle archétypal adopté à l’origine en réaction à la domination excessive de l’Église au sein d’une société homogène relativement religieuse
  • Aucun « mur de séparation » entre l’Église et l’État. Dans les sociétés ayant adopté ce modèle, la laïcité est une forme d’arrangement institutionnel flexible qui vise à protéger les droits et libertés, et non un principe juridique ou constitutionnel explicite et autonome (c’est-à-dire pas un « principe directeur »)
  • « Mur de séparation » entre l’Église et l’État. Dans les sociétés ayant adopté ce modèle, la laïcité constitue un principe constitutionnel explicite et autonome
  • Modèle de « mosaïque » flexible et tolérant sur le plan religieux qui s’inspire des théories politiques pluralistes et libérales axées sur la diversité et le multiculturalisme
  • Modèle de « creuset » républicain plus stricte et rigoureux qui s’inspire du modèle révolutionnaire français, lequel érige la laïcité en idéologie (« Lumières ») pour se justifier
  • Libéralisme ou modus vivendi pluraliste. L’État n’utilise pas ses mécanismes politiques et juridiques pour inculquer de vision unique et significative de ce qui constitue le bien, la vérité ou le beau. Il recherche plutôt des terrains d’entente entre les différents modes de vie et fait place à la diversité en signe du fait qu’il y a différentes façons de mener une bonne vie (Chiodo 2012a s’inspirant de Gray 2000 et Benson 2004)
  • Libéralisme de convergence. L’État utilise des mécanismes politiques et juridiques pour promouvoir les principes libéraux universels et le consensus rationnel sur le mode de vie optimal. La tolérance à l’égard des autres modes de vie repose sur la foi en leur disparition graduelle à mesure que les citoyens adoptent une vision « éclairée » de la vérité, du bien et de la beauté (Chiodo 2012a s’inspirant de Gray 2000 et Benson 2004)
  • « [N]e cherche pas à accroître la laïcisation ou à éliminer progressivement la croyance religieuse, et ne sert pas à neutraliser ou à éliminer la capacité de “marqueur d’identité” de la religion (Woehrling 2011, p. 91) »
  • Cherche à accroître la laïcisation, à éliminer progressivement la croyance religieuse et à neutraliser ou éliminer la capacité de « marqueur d’identité » de la religion
  • « La neutralité de l’État à l’égard des religions et la séparation de l’Église et de l’État ne sont pas perçues comme des fins en soi, mais comme des moyens permettant d’atteindre le double objectif, fondamental, de respect de la religion et de l’égalité morale, et de la liberté de conscience et de religion (Woehrling 2011, p. 91) »
  • La neutralité de l’État à l’égard des religions et la séparation de l’Église et de l’État sont perçues comme des fins en soi
  • N’est pas en faveur de la religion, mais ne s’y oppose pas
  • L’athéisme constitue la position étatique/publique privilégiée, soit de fait (comme c’est le cas en France) ou de droit (comme c’était le cas dans l’ancienne Union soviétique)
  • Reconnaissance de la contribution positive de la religion
  • Maîtrise, marginalisation et discréditation active de la religion, qui est traitée d’irrationnelle, de rétrograde, de tribale, d’inégalitaire et (ou) de potentiellement violente
  • Restriction des pratiques religieuses à la sphère privée (sphère des associations à participation volontaire, de la famille ou de l’individu), en respectant uniquement le droit à la vie privée
  • Soutien à l’accommodement de la religion dans la sphère publique
  • Accommodement interdit de la religion dans la sphère publique au nom de la neutralité et de la séparation de l’Église et de l’État. « [L]es citoyens doivent éviter de traîner dans la sphère publique leurs convictions, pratiques ou principes religieux (Berger 2002) »
  • Cherche à concilier les droits individuels et collectifs, en partie en reconnaissant et en faisant valoir des droits d’association religieuse considérables, libres d’intervention de l’État
  • Préférence accordée aux droits individuels plutôt que collectifs, et restriction considérable des droits à l’association religieuse, qui sont soumis à l’intervention de l’État
  • Priorité accordée à la protection de la liberté de religion et de conscience, ainsi qu’à l’égalité sur le plan de la religion et des convictions, même s’il faut relativiser le principe de la neutralité et de la séparation de l’Église et de l’État (p. ex. permettre aux employés du gouvernement de porter des signes religieux)
  • En cas de conflit entre l’accommodement religieux et la neutralité religieuse de l’État, l’accommodement doit l’emporter
  • Priorité accordée au principe de neutralité plutôt qu’à la liberté de conscience et de religion et qu’à l’égalité sur le plan religieux

 

  • En cas de conflit entre l’accommodement religieux et la neutralité religieuse de l’État, l’idéal de la neutralité doit l’emporter.
  • Les idéaux laïques régissent les institutions de l’État et activités du gouvernement, mais non les usagers et employés des services publics
  • Les activités des institutions de l’État et les pratiques des employés de l’État et usagers des services publics sont soumises aux idéaux laïques (neutralité de l’État, séparation de l’Église et de l’État)
  • Motifs religieux acceptés dans la sphère publique afin de favoriser la « citoyenneté inclusive », tant que les institutions ou acteurs de l’État ne privilégient pas ces motifs au détriment de points de vue contradictoires
  • Discours religieux interdit dans la sphère publique. Les arguments de nature religieuse sont jugés diviseurs et controversés en soi, et néfastes à l’harmonie politique et civique, puisqu’ils reposent sur des principes ou dogmes a priori ne pouvant pas faire l’objet de débat politique rationnel

Exemples de pays à laïcité ouverte :

  • Inde
  • Canada (dans la plupart des cas, sauf le Québec)

Exemples de pays à laïcité fermée :

  • France
  • Ancienne URSS

Exemples pratiques :

  • Accommodement des pratiques religieuses à l’école
  • Prières et symboles religieux permis au Parlement tant qu’il y a représentation de la diversité
  • Possibilité pour les parents de formuler une justification religieuse de leurs préférences en matière de programme d’études, mais interdiction pour l’école de privilégier ce point de vue au détriment de points de vue opposés (voir la décision Chamberlain)

Exemples pratiques :

  • Interdiction du port de signes religieux applicable à tous les employés du gouvernement
  • Interdiction du port du foulard à l’école ou au moment d’obtenir des services publics
  • Interdiction de la prière et des symboles religieux de nature quelconque dans l’espace public

Exemples de critiques :

  • Trop grande permissivité sur le plan religieux
  • Affaiblissement des rapports civiques et de l’identité nationale
  • Création de vases clos ethniques/religieux, promotion de la politique identitaire et division de la nation
  • Risque sur le plan de la sécurité et de la stabilité de l’État
  • Coûteux et moins efficace sur le plan administratif

Exemples de critiques :

  • Personnes traitées comme des entités abstraites sans valeurs et engagements culturels et religieux préexistants; donc, aucun respect de l’intégrité et de la dignité de la personne et de l’identité
  • Modèle autoritaire, paternaliste et assimilationniste
  • >Règles de jeu inéquitables pour les citoyens religieux. Bien que les gens puissent adopter en privé quelque point de vue que ce soit,  ces points de vue doivent demeurent immatériels, ou pour le moins silencieux, dans bien des sphères qui importent le plus - par exemple le débat public et les politiques sur l’environnement, l’énergie, la guerre et les services sociaux (Novak)
  • La religion n’a jamais été entièrement du domaine privé et ne peut l’être (p. ex. mouvement des droits civiques, mouvement de lutte à l’esclavage)

Traduit et adapté principalement du résumé et de l’adaptation du rapport de la Commission Bouchard-Taylor (2008) effectués par Woehrling’s (2011).

32. Définitions du terme « Secular » du Canadian Law Dictionary

The Dictionary of Canadian Law (4e édition, Carswell), à la p. 1168

Secular, adj.

(1) La double exigence que l’éducation soit « laïque » et « non confessionnelle » signifie que les écoles ne doivent pas servir à l’endoctrinement ou à l’inculcation de préceptes de quelque religion, et elle n’empêche pas les personnes qui, sur des questions d’intérêt public, ont des positions morales d’inspiration religieuse de débattre de l’enseignement moral dans les écoles publiques. Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 RCS 710.

(2) L’expression « strictly secular » dans la School Act ne peut signifier que pluraliste en ce sens qu’il faut faire une place publique aux positions morales indépendamment de leur fondement religieux ou non. Elle signifie donc pluraliste ou inclusif dans leur sens le plus large. Chamberlain v. Surrey No. 36, 2000 Carswell BC 2009 (voir également les autres sources suivantes : BCLR, WWR, DLR, BCAC, WAC, Admin LR, E, M, P JJA).

(3) Ayant trait au monde matériel plutôt que spirituel.

Laïcité, n.

  • Toutefois, l’exigence de laïcité fait en sorte que nul ne peut invoquer les convictions religieuses des uns pour écarter les valeurs des autres. Bien que le conseil scolaire puisse tenir compte des préoccupations religieuses des parents, l’exigence de laïcité l’oblige à accorder une même reconnaissance et un même respect aux autres membres de la collectivité. Les convictions religieuses qui interdisent la reconnaissance et le respect des membres d’un groupe minoritaire ne peuvent être invoquées pour exclure le point de vue minoritaire. Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 RCS 710.

Words and Phrases, Westlaw (2008), W&P 25036

Laïque

Cour suprême du Canada

Le fait que la School Act [R.S.B.C. 1996, c. 412] insiste sur la stricte laïcité ne signifie pas que les considérations religieuses n’ont aucune place dans les débats et les décisions du conseil scolaire. Les conseillers scolaires ont le droit et, en fait, le devoir, aux réunions du conseil, de faire valoir les points de vue des parents et de la collectivité qu’ils représentent. La religion jouant un rôle important dans de nombreux milieux, ces points de vue seront souvent dictés par des considérations religieuses. La religion est un aspect fondamental de la vie des gens, et le conseil scolaire ne peut en faire abstraction dans ses délibérations. L’exigence de laïcité fait en sorte que nul ne peut invoquer les convictions religieuses des uns pour écarter les valeurs des autres. Bien que le conseil scolaire puisse tenir compte des préoccupations religieuses des parents, l’exigence de laïcité l’oblige à accorder une même reconnaissance et un même respect aux autres membres de la collectivité. Les convictions religieuses qui interdisent la reconnaissance et le respect des membres d’un groupe minoritaire ne peuvent être invoquées pour exclure le point de vue minoritaire.

Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 RCS 710 par. 19, juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Arbour, Binnie, Iacobucci, L’Heureux-Dubé and Major).

 

 

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